- Titre :
- L’impossible combat contre la vente forcée
- Intervenants :
- Laurent Costy - Camille Gévaudan
- Lieu :
- Émission 56Kast - #75
- Date :
- Mai 2016
- Durée :
- 24 min
- Licence :
- Verbatim
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Présentation
Notre invité Laurent Costy raconte les cinq ans de procès qui l’ont opposé à Hewlett-Packard. Il cherchait simplement à se faire rembourser le système d’exploitation livré d’office sur son ordinateur…
Transcription
- Camille Gévaudan :
- Bienvenue dans le 75Kast. Aujourd’hui, on va parler de Paris, de son aménagement, de ses espaces verts. Non, je plaisante. Le 75Kast, pour les nouveaux, c’est seulement le 56Kast numéro 75. C’est ma blague préférée. Plus je la fais, plus elle est nulle, et donc plus elle est bonne. Laurent Costy, bonjour, tu es mon invité d’aujourd’hui, et tu vas nous raconter comment tu t’es battu pendant cinq ans contre Hewlett-Packard pour te faire rembourser Windows. C’est ça ?
- Laurent Costy :
- Exactement, exactement.
- Camille :
- Trop bien. On va commencer par une petite actu, si ça ne te dérange pas, à propos de messages de haine, parce que j’ai envie de nouvelles réjouissantes aujourd’hui, sur les réseaux sociaux. En fait la semaine dernière, trois associations, l’Union des étudiants juifs de France, SOS racisme et SOS homophobie ont publié les résultats d’une campagne qu’ils ont faite, deux tests auprès de Facebook, Twitter et c’était quoi le troisième ? YouTube. En fait, ils ont essayé de mettre des commentaires homophobes, des commentaires racistes, des commentaires négationnistes, des commentaires antisémites, d’apologie du terrorisme ou de crimes contre l’humanité. Enfin bref, que des choses très sympa et ils ont vu comment ça se passait, comment répondaient Facebook, Twitter et YouTube. Est-ce que les commentaires étaient enlevés ou pas, selon qu’on leur signalait ou pas.
- Laurent :
- Avec une grande réactivité, je suppose. Très grande réactivité.
- Camille :
- Ils promettent d’avoir les services qui sont dédiés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
- Laurent :
- Merveilleux !
- Camille :
- Donc après, on va voir comment ça se passe. Leur campagne c’était entre fin mars et mi-mai, donc ça a duré, avril, mai, c’est ça, un mois et demi, et ils ont posté en tout 586 commentaires haineux. Et voilà le résultat : seuls 77 d’entre eux ont été supprimés ! Ce qui est quand même formidable. Il y avait de grosses différences entre les services. Donc le bon élève, a priori, c’est Facebook. Mais on savait que Facebook, de toutes façons, a tendance à supprimer beaucoup, même les photos de nu et puis les tableaux de Courbet un petit peu dénudés. Voilà. Donc eux ils suppriment. Ils ont supprimé 34 % des commentaires. YouTube en a supprimé 7 %, ce qui n’est franchement pas grand-chose. Et Twitter, grand champion, en a supprimés 4 %. Donc quelques exemples de tweets qui n’ont pas été supprimés par Twitter : « Hashtag stop islam. Morts aux Juifs et aux Bougnoules. »
- Laurent :
- D’accord. Effectivement, ça c’est clair.
- Camille :
- Il n’y a aucun petit drapeau rouge qui s’est levé dans leur système de détection. Autre tweet : « Les homos n’ont pas leur place sur cette terre. Les pendre est un luxe. On devrait les brûler vifs de l’ongle du pied à la tête. »
- Laurent :
- Parfait !
- Camille :
- Voilà, voilà. Et ça, ça reste, il n’y a pas de problème. Le problème, c’est que la loi pour la confiance dans l’économie numérique, que l’on dit LCEN, qui a été votée en 2004, impose en fait aux hébergeurs de contenus, parce qu’eux ils disent : « Bah oui, mais ce n’est pas nous, ce sont les internautes qui postent. Il y a beaucoup de contenus, on ne peut pas tout surveiller et ça passe entre les mailles du filet. » Sauf qu’ils sont tenus d’enlever les contenus manifestement illicites dont ils ont connaissance. Et là, on a beau leur signaler des trucs et derrière ça ne suit pas. Donc ils disent qu’ils ont des équipes dédiées 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Mais a priori, les trois associations qui ont fait le test trouvent que c’est extrêmement flou. Ils disent : « Le mystère qui plane sur le fonctionnement des équipes de modération des réseaux sociaux empêche toute avancée sérieuse dans la diminution des messages racistes et antisémites. On ne sait pas bien comment ça marche derrière. » Donc en fait, les assos ont plusieurs réclamations à faire. D’abord, elles voudraient qu’il y ait un outil de suivi, clair, des signalements qui ont été faits, je suppose par la personne qui a signalé pour voir si sa demande est prise en compte, traitée, refusée, pour quelle raison. Ça je crois que c’est un peu le cas sur Facebook, qui dit toujours : « Non, on ne voit pas le problème, d’ailleurs ». Moi j’ai signalé des trucs, c’est hallucinant.
Deuxièmement, elles réclament des technologies d’empreintes numériques pour bloquer automatiquement la republication. Ça c’est comme sur YouTube : une fois qu’une vidéo a été signalée une fois comme enfreignant, enfin comme étant une contrefaçon, on repère la vidéo et on ne peut plus la ré-uploader, elle est reconnue automatiquement quoi ! Et du coup elle est enlevée.
Et troisièmement, les associations réclament, et c’est là que ça fait un petit mal, l’obligation de renseigner sa véritable identité sur des réseaux sociaux quand on s’inscrit sur une plate-forme. Donc là, les défenseurs de la vie privée ne sont pas tout à fait d’accord avec cette obligation de donner son vrai nom. D’ailleurs, il y a eu des problèmes sur Google+, ils refusaient absolument les pseudonymes, à un moment ils voulaient qu’on ne mette que nos vrais noms, et je crois qu’il y a eu d’autres problèmes sur d’autres plates-formes. Donc ça, ça peut faire polémique, mais en tout cas, il faut réagir sur le signalement des messages.
Voilà. Sur ce, on va regarder des drones devant le mont Fuji.
[Projection d’une vidéo de drones , NdT]
Voilà. C’était un spectacle avec une vingtaine de drones équipés de 16 500 leds, devant le mont Fuji, avec un concert de Shamisen, donc la guitare traditionnelle japonaise. C’était une création de Tsuyoshi Takashiro, que je trouve très jolie.
Et maintenant on va passer au Quartier libre.
[Jingle de la rubrique Quartier libre, NdT]
- Camille :
- Donc notre invité du jour, je le répète, est Laurent Costy qui milite à l’April [1]. Tu es administrateur de l’April, mais c’est en tant que citoyen que tu t’es attaqué à Hewlett-Packard.
- Laurent Costy :
- Alors je ne me suis pas attaqué à Hewlett-Packard. J’ai d’abord voulu acheter un ordinateur.
- Camille :
- Tout simplement.
- Laurent :
- Tout simplement, et c’est un peu eux qui ont contre-attaqué, on va dire ça comme ça. Moi je cherchais un ordinateur portable, avec effectivement des spécifications un peu précises, je voulais qu’il soit léger, je voulais telle capacité au niveau du processeur, etc., et surtout évidemment, je ne voulais pas qu’il y ait un système d’exploitation pré-installé. Parce que j’avais l’habitude d’utiliser des systèmes GNU/Linux, des systèmes libres depuis plusieurs années. Donc voilà ! Je cherchais quand même un ordinateur assez précis et, malgré mes recherches, je n’ai pas trouvé d’ordinateur qui me convenait sans ce système d’exploitation. Donc j’ai fait le choix d’acheter l’ordinateur qui me convenait techniquement et de demander le remboursement à Hewlett-Packard du système d’exploitation que je n’utilisais pas. Ce qui semble normal à tout un chacun a priori.
- Camille :
- Bon, déjà, tu les as un peu cherchés, non ?
- Laurent :
- J’ai un peu cherché. Enfin je ne sais pas. Quand vous achetez quelque chose et qu’on vous fourgue quelque chose que ne vous n’utilisez pas, en général votre premier réflexe c’est de demander au moins le remboursement de la chose que vous n’utilisez pas. On va peut-être prendre une analogie assez simple. C’est comme si à partir d’aujourd’hui, quand vous achetez une voiture, on vous oblige à prendre un assureur donné. Vous n’avez pas le choix de l’assureur et en plus le coût de l’assurance est compris dans la voiture et on ne vous donnera pas le prix. On ne vous donnera pas non plus le contenu du contrat d’assurance. Vous n’avez pas à savoir. On s’occupe de tout, ne vous inquiétez pas ! Moi effectivement, j’étais parti sur cette logique-là.
- Camille :
- C’est vrai qu’on ne s’en rend pas compte mais le système d’exploitation et l’ordinateur sont deux choses totalement différentes, qui du coup sont vendues ensemble.
- Laurent :
- On essaye de nous faire passer le système d’exploitation pour le moteur, mais ce n’est pas du tout le moteur. C’est plutôt l’analogie du contrat d’assurance. Il faut vraiment séparer les choses.
- Camille :
- C’est ce qu’on appelle la vente liée ?
- Laurent :
- La vente même forcée, c’est même de la vente forcée. On peut même aller jusque-là ! C’est vrai que j’ai demandé le remboursement à Hewlett-Packard et Hewlett-Packard a refusé. Voilà. Pour un coût, je le précise qui oscillait, estimé entre 50 euros et 120 euros. Il y avait à la fois le système d’exploitation et puis quelques logiciels complémentaires. Ça se monte à cette somme-là.
- Camille :
- Toutes leurs merdouilles d’antivirus.
- Laurent :
- Voilà, c’est ça les choses, dans un premier temps, qu’on vous présente comme gratuites et puis au final, trois mois après, il va falloir quand même payer l’antivirus, etc.
- Camille :
- J’ai été voir sur le site Racketiciels, qui a été fait par….
- Laurent :
- L’AFUL
- Camille :
- Voilà. Ça c’est ce qu’on appelle les Racketiciels, c’est le petit surnom des logiciels qu’on nous force à payer.
- Laurent :
- Exactement.
- Camille :
- Sur l’AFUL, l’Association française des utilisateurs de logiciels libres, je crois que c’est ça ?
- Laurent :
- C’est ça.
- Camille :
- Ils ont un schéma qui dit que 10 à 30 % du prix d’un ordinateur, en fait, ce sont les logiciels qui sont pré-installés dessus.
- Laurent :
- Voilà ! Donc on le paye, sans le savoir, et c’est ça qui est tout à fait scandaleux, moi je trouve, surtout quand on ne souhaite pas l’utiliser. Donc du coup, effectivement, suite au refus de Hewlett-Packard de me rembourser, eh bien j’ai été dans l’obligation de prendre un avocat pour essayer de faire valoir mes droits. Voilà. Et c’est toute une aventure : cinq ans et demi de procès. Le litige 50 à 120 euros, je l’ai dit tout à l’heure. C’est complètement démesuré par rapport à la problématique.
- Camille :
- Pour un logiciel quoi !
- Laurent :
- Pour un logiciel, pour un simple logiciel et quelque chose que je n’utilise pas. Qui, dans le commerce traditionnel, n’aurait posé aucun problème à personne.
- Camille :
- Comment on fait, donc concrètement, quand on a un système d’exploitation et qu’on le refuse ? L’ordinateur s’allume et comment on signale son refus ?
- Laurent :
- Il faut refuser, il faut refuser le contrat exploitation. Toute la procédure, finalement, est sur le site qu’on a évoqué tout à l’heure, http://racketiciels.info/
- Camille :
- Ils ont un guide.
- Laurent :
- Voilà, il y a tout un guide et il faut suivre cette procédure-là. Ceci étant, c’est quelque chose qui a été renvoyé dans le cours du procès en disant : « Oui, mais de toutes façons, vous avez utilisé cette procédure-là, c’est que vous vouliez nous embêter, etc. Ils retournent systématiquement les arguments qui sont proposés sur le site. Donc ça se retourne aussi un peu contre l’utilisateur. C’est un peu dur, un peu fort de café quand même quelque part, pour quelque chose qu’on ne souhaite pas utiliser. Et puis, effectivement, par rapport aux moyens qui sont déployés par Hewlett-Packard pour ne pas, finalement, débourser 50 euros, c’est absolument démesuré quoi !
- Camille :
- Oui. Parce qu’ils auraient réglé l’affaire en un seul courrier, en acceptant de rembourser le logiciel.
- Laurent :
- Tout à fait.
- Camille :
- Mais eux, ils acceptent de se retrouver au procès.
- Laurent :
- Ils sont allés jusqu’au bout. C’est inquiétant parce que ça veut dire que aller jusqu’au bout pour eux, soit c’est de la mesquinerie, mais je ne crois pas qu’une entreprise de cette taille-là, elle a le loisir de faire de la mesquinerie. Soit effectivement ça sous-entend qu’il y a des accords avec Microsoft qui font qu’à aucun moment ils ne doivent lâcher l’affaire. Donc ils mettent tous les moyens.
- Camille :
- Pour ne pas qu’il y ait une brèche et que les autres fassent pareil, éventuellement. C’est ça ?
- Laurent :
- Sans doute. C’est une hypothèse, on n’a pas de preuves évidemment. Mais je n’arrive pas à m’expliquer autrement cet état des choses.
- Camille :
- Comment tu t’es organisé ? Tu as fait ça avec le soutien d’une association ou vraiment tout seul ?
- Laurent :
- Non. À l’époque l’AFUL [2] soutenait certains utilisateurs et puis là ce n’était plus le cas. Donc j’ai engagé des fonds personnels dans le procès. J’ai dû payer mon avocat, pour des coûts bien supérieurs évidemment aux 50 et 120 euros qui sont évoqués là. Et puis surtout, prendre mon mal en patience. Parce que finalement pour, encore une fois, un litige de 50 à 120 euros, on a enquiquiné un juge pendant cinq ans et demi, quoi ! On a quand même d’autres problèmes en France, à régler, que ce genre de choses, me semble-t-il ! Et c’est ça qui m’a presque le plus abattu par rapport à tout ça.
- Camille :
- Et alors pourquoi c’était si long ? C’était quoi les étapes d’avant ? Il y a eu des échanges de courriers un peu polis ?
- Laurent :
- Oui. Alors après ce sont toutes les procédures juridiques. Quand on n’est pas du milieu on n’y comprend pas grand-chose. On a évidemment l’avocat qui est spécialiste qui s’occupe de tout ça. On essaie de raccrocher, de comprendre un peu tout ce qui se passe. Il y a sans cesse des renvois parce que le juge estime qu’il n’est pas compétent, qu’il n’a pas toutes les pièces. Il y a toute une logique à suivre dans le procès pour évidemment qu’il ne soit pas renvoyé pour vice de forme. Donc on suit les épisodes de renvois et hop c’est re-décalé de six mois, etc. Après l’autre répond. Enfin voilà, c’est très, très long.
- Camille :
- Les arguments de Hewlett-Packard pour ne pas rembourser, c’est quoi ?
- Laurent :
- Ils ont tout essayé. Déjà c’est une bonne leçon pour ceux qui pensent qu’on n’a rien à cacher sur Internet. Il faut savoir qu’ils ont balayé Internet pour me connaître, moi, jusqu’à ma naissance quoi !
- Camille :
- Ils t’ont stalké.
- Laurent :
- Ah oui, carrément. Ils ont tout fait, ils ont tout regardé. Évidemment j’étais déjà intervenu pour défendre le logiciel libre, puisque je suis militant du logiciel libre. Alors je suis devenu après, ça c’est la petite parenthèse que je voulais faire. Effectivement au départ, ils expliquaient que j’étais le faux-nez de l’association April qui attaquait Hewlett-Packard, ce qui n’était pas le cas. Par contre, ça m’a motivé pour intégrer le conseil d’administration de l’April.
- Camille :
- Maintenant, c’est fait !
- Laurent :
- Voilà. Je suis devenu administrateur à cause de ça. Merci Hewlett-Packard et merci, ça sert l’April. Ils ont donc effectivement passé ma vie en revue. Ils ont sorti toutes les vidées montrant que je défendais le logiciel libre, que j’étais un méchant, que j’étais un mauvais citoyen, que je ne voulais pas consommer comme eux le voulaient. Enfin voilà, c’est tout ce qu’ils ont déroulé pendant le procès.
- Camille :
- Ta démarche n’était pas honnête, en fait !
- Laurent :
- Ouais ! J’étais le vilain. Et c’étaient eux les bons qui étaient dans leur bon droit de faire consommer les gens comme eux l’entendaient. Voilà. C’est extrêmement dur à vivre parce que finalement moi je faisais ça parce que j’estime être dans mon bon droit. Je n’utilise pas quelque chose et on me le fait payer. Ça partait vraiment de cet état d’esprit-là. Et puis effectivement, défendre le logiciel libre qui est quelque chose, quand même, d’un peu plus éthique que ces programmes privateurs qui empêchent les gens d’être autonomes sur leur informatique et libres dans leur informatique.
- Camille :
- Et comment ça s’est terminé ?
- Laurent :
- Alors ça c’est terminé ! Ce n’est pas tout à fait terminé parce qu’en fait il y a eu un jugement sur le tribunal de proximité, mais un jugement défavorable pour moi et il faudrait que je me pourvoie en cassation.
- Camille :
- D’accord !
- Laurent :
- Sauf que là il faut des moyens financiers que j’estime ne plus avoir. Donc quelque part ils ont gagné parce qu’ils avaient de l’argent. Mais sur le fond ça n’a pas été jugé. Mon avocat m’a aussi déconseillé de poursuivre parce que devrait survenir, durant le cours de l’année 2016, un jugement européen.
- Camille :
- D’accord !
- Laurent :
- On espère qu’il sera favorable, mais rien ne le dit puisque, de toutes façons, il y quand même une force de lobbies extrêmement importante. Il faut savoir qu’il y a eu deux jugements un peu similaires qui ont été portés en 2015. Un favorable et un défavorable à une semaine d’intervalle.
- Camille :
- Ah oui ! C’est le bordel complet !
- Laurent :
- C’est le bordel complet ! Ça veut dire qu’il y a des pressions, il y a des coups de fil qui se passent. Ça ne peut pas être autre chose ! Par le même juge quoi ! Donc voilà. C’est ça qui n’est pas très sain quand même.
- Camille :
- D’accord. Donc c’est vraiment partagé entre favorable, défavorable ? Il n’y a pas une majorité de cas qui passent ou pas ?
- Laurent :
- En fait ça dépend des périodes. Il y a des fois des jugements favorables qui passent et après il y a des constructeurs qui arrivent à faire pression pour que, finalement, ça s’arrête de passer. C’est plutôt par périodes et par lobbies que ça fonctionne.
- Camille :
- Il y a une loi là-dessus ?
- Laurent :
- Une loi. Oui. Mais alors après, c’est l’interprétation de ce qu’est la vente forcée. Donc évidemment, tout le travail des très nombreux avocats de Hewlett-Packard sur la place parisienne, c’était de chercher la faille, de dire : « Mais oui mais ça ce n’est pas tout à fait de la vente forcée. Mais non regardez. Et puis de toutes façons il nous embête »
- Camille :
- Mais la loi à la base, elle dit quoi ?
- Laurent :
- Elle est interprétable la loi. C’est comme toute loi, c’est-à-dire qu’à un moment donné, en fonction de la force de l’avocat, il va réussir à convaincre le juge que finalement…
- Camille :
- Oui, mais est-ce qu’il y a un truc qui est interdit ? Les termes qui sont utilisés à la base, et après ce qu’ils interprètent.
- Laurent :
- La vente forcée est interdite en France. Mais encore une fois, il faut réussir à montrer qu’on est bien dans le cas de vente forcée.
- Camille :
- Oui d’accord.
- Laurent :
- Parce que l’argument qu’on me renvoyait c’était de dire « eh bien oui, il y avait d’autres ordinateurs qui pouvaient être achetés, etc. Donc il a fait exprès. » Voilà. Alors qu’en fait, moi j’avais vraiment choisi cet ordinateur-là qui correspondait à mes besoins. C’est ce que j’expliquais au début.
- Camille :
- D’accord. OK. Donc eux ils disaient que tu pouvais te débrouiller pour continuer à chercher et trouver un ordinateur où il n’y aurait pas Windows.
- Laurent :
- Tout à fait.
- Camille :
- Et toi tu as dit que tu voulais cet ordinateur-là pour ses capacités techniques et qu’il y avait Windows dessus de fait.
- Laurent :
- Exactement. Tout à fait.
- Camille :
- D’accord. OK. Et tu dis qu’il y a un truc qui va passer au niveau européen. C’est un jugement qui va être rendu sans doute, c’est ça ?
- Laurent :
- En tout cas il devrait survenir une décision sur la vente forcée et puis, justement, le fait de reconnaître, ou pas, le système d’exploitation comme vente forcée quand il est vendu directement avec la machine.
- Camille :
- OK. Le système d’exploitation et les logiciels qu’il y a avec ? Ou juste le système d’exploitation ?
- Laurent :
- Je n’ai pas le détail.
- Camille :
- D’accord.
- Laurent :
- Moi je ne suis pas spécialiste. Je suis un simple citoyen. Déjà essayer de comprendre tout ça.
- Camille :
- Oui, ça fait cinq ans, tu as mis le temps.
- Laurent :
- Cinq ans et demi ! Mais c’est vraiment complexe. C’est vrai que c’est l’avocat qui mène toute la démarche juridique. C’est vrai que c’est pas toujours évident à se mettre dedans quoi !
- Camille :
- OK. Est-ce que tu conseillerais à des gens de faire comme toi ? Encore aujourd’hui ?
- Laurent :
- Si on a un peu d’argent, oui. C’est citoyen de faire ça parce qu’on travaille dans l’intérêt général alors que eux travaillent dans l’intérêt privé. Pour moi ça fait une vraie différence.
- Camille :
- Oui ! Ça fait avancer les choses de continuer à y aller individu par individu ?
- Laurent :
- C’est un peu une goutte d’eau dans l’océan. Mais après, toute action est une action citoyenne et intéressante à mener, de mon point de vue. Après ça reste compliqué. Après, il y a de plus en plus d’ordinateurs ou de sites qui proposent des ordinateurs sans système d’exploitation. Ça se démocratise un peu plus. Donc on peut trouver quand même maintenant un ordinateur portable qui correspond à ses besoins sans système d’exploitation.
- Camille :
- Je suppose que ça ce n’est pas dans les grandes boutiques physiques d’électronique.
- Laurent :
- Ah ben non ! Si vous allez à Carrefour, vous ne trouverez jamais ça. Et puis on va vous regarder avec deux yeux ronds quoi ! Si vous posez la question : « Est-ce que vous vendez des ordinateurs sans système d’exploitation ? », le vendeur ne comprend même pas la question.
- Camille :
- C’est sur les sites un peu spécialisés de matos informatique, non, qu’on trouve ça ?
- Laurent :
- Voilà, exactement tout à fait.
- Camille :
- Avec des configs déjà faites.
- Laurent :
- Oui. Et puis on peut même moduler un peu la mémoire, le processeur, etc. Et ça se démocratise, mais il ne faut pas lâcher non plus cette question de la vente forcée qui est importante.
- Camille :
- OK. Mais alors aujourd’hui donc tu dis que l’AFUL n’accompagne plus trop les gens. C’est un combat qu’ils ont un peu laissé de côté ? Ça se fatigue ?
- Laurent :
- Non. Mais après il y a toujours de l’action qui est menée auprès des politiques. Il faut savoir que La Quadrature du Net [3], l’April agissent systématiquement auprès des députés pour essayer d’influencer des lois par rapport à ça. Mais c’est vrai que c’est un combat quotidien. Si des gens veulent agir, n’hésitez pas à rejoindre ces associations-là qui se battent au quotidien, qui agissent auprès des députés, auprès des sénateurs pour faire évoluer la loi. Alors ça prend du temps, il faut prendre son mal en patience, mais les choses, tout doucement, tout doucement, évoluent dans le bon sens.
- Camille :
- Il y a des petites avancées, là, récemment ? Des propositions d’amendements qui, éventuellement, pourraient avoir une place quelque part ces prochains mois ?
- Laurent :
- Là, les regards sont rivés sur l’Europe. Parce que c’est l’Europe qui va dicter.
- Camille :
- C’est de là que ça va venir.
- Laurent :
- Oui, c’est de là que après ça va redescendre sur les États donc ce serait plus efficace que ce soit décidé au niveau européen.
- Camille :
- En plus, il y a plusieurs trucs à demander. Il y a l’interdiction de la vente forcée explicite des systèmes d’exploitation et des logiciels avec l’ordinateur. Mais il y a aussi déjà une histoire de transparence à avoir et d’afficher sur les étiquettes, sur les descriptifs des ordinateurs qu’on achète, le prix et les logiciels qui sont installés dessus.
- Laurent :
- Bien sûr. Tout à fait.
- Camille :
- Parce que ça ce n’est pas encore fait, aujourd’hui.
- Laurent :
- Normalement, c’est dans les textes. Il faudrait afficher le coût du système d’exploitation qui est dessus.
- Camille :
- C’est vrai ? C’est dans les textes ?
- Laurent :
- A priori oui. Sauf erreur. Sous réserve, encore une fois je ne suis pas juriste. Mais a priori, j’aurais tendance à penser que oui. C’est l’exemple que je prenais tout à l’heure de la voiture. C’est comme si on vous vendait une voiture et dedans vous avez l’assurance, mais vous ne savez pas combien ça coûte, vous ne savez pas ce que ça couvre, etc. On est vraiment dans un monde à l’envers.
- Camille :
- Je pense que si les gens, déjà, voyaient effectivement. Ils vont à la Fnac, ils voient sur leur étiquette : prix de leur ordinateur 550 euros, dont Windows 100 euros, dont Norton 30 euros, dont machin…
- Laurent :
- Bien sûr. Mais c’est extrêmement compliqué, d’ailleurs, de connaître le prix de la licence Windows. C’est impossible de le savoir. Ce n’est qu’une évaluation qui a été faite par l’avocat en disant « on estime que c’est situé entre ça et ça ». Parce qu’évidemment Microsoft ne souhaite absolument pas donner ce coût-là.
- Camille :
- Ah bon !
- Laurent :
- Et puis il y a des accords.
- Camille :
- Ce n’est pas juste le même prix que si on achète Windows à part ?
- Laurent :
- Ah non, pas du tout. Ça n’a rien à voir, puisque de toutes façons c’est négocié justement entre HP et Microsoft qui font…
- Camille :
- Des partenariats de groupe quoi !
- Laurent :
- Évidemment. Et du coup le client d’HP, le premier client d’HP, ce n’est pas moi. Le premier client d’HP, c’est Microsoft. Ils font leurs ententes, et moi je suis un client secondaire. Si je consomme comme ils souhaitent eh bien tant mieux. Si je ne consomme pas comme ils souhaitent, eh bien je ne suis pas un client. Je suis méprisé. HP méprise ses clients, en tout cas les clients comme moi.
- Camille :
- D’accord. Mais tu as eu affaire à Microsoft à un moment ? Ou ce c’était que toi contre Hewlett-Packard ?
- Laurent :
- Non, non ! Le système fait que, finalement, c’est auprès de Hewlett-Packard que je demande le remboursement. C’est ça qui est hallucinant. C’est Hewlett-Packard qui défend les intérêts de Microsoft. C’est quand même étonnant. Donc ça sous-entend bien des accords incroyables entre les deux firmes. Parce que moi je n’ai pas de raisons de te défendre si je ne te connais pas, je veux dire !
- Camille :
- Ça c’est sûr !
- Laurent :
- Sauf si tu me donnes de l’argent. C’est un peu étonnant comme système.
- Camille :
- Et il y a des différences entre les différents constructeurs d’ordinateurs ? Il y en a qui sont plus ouverts à l’installation de Linux ou au remboursement ?
- Laurent :
- Oui tout à fait. Alors justement sur le site Racketiciels, il y a la liste des bonnes pratiques, des constructeurs qui ont des bonnes pratiques par rapport à ça, qui favorisent l’installation de GNU/Linux ou de logiciels libres, etc.
- Camille :
- C’est une minorité ou ?
- Laurent :
- Oui. Il y en a qui vont dans le bon sens. Encore une fois c’est un peu lent. Mais il y en a qui permettent, effectivement, d’aller un peu plus vite que d’autres, sans aucun doute. Parce que c’est vrai qu’à un moment donné, cet ordinateur que j’ai sous la main, là c’est pareil.
- Camille :
- C’est lui ?
- Laurent :
- Non ce n’est pas celui-là.
- Camille :
- Dommage ! Oh tu aurais dû l’amener !
- Laurent :
- C’est ma fille qui l’utilise. Ma fille l’utilise encore parce que le matériel est bon, mais pas le système d’exploitation à mes yeux. Sur celui-là, Darty, à une époque, permettait de rembourser la licence. Mais ça a été une histoire incroyable pour me faire rembourser cette licence. Parce que c’est pareil, la fois où je l’ai demandé, le vendeur m’a regardé comme ça et m’a dit : « Ah ben oui, c’est marqué sur l’étiquette donc on doit pouvoir le faire ». Et ça m’a pris facilement un mois et demi pour réussir à me faire rembourser parce que ça sortait de leurs procédures, ils n’avaient pas leurs procédures. Je pense que d’ailleurs les 50 euros qui m’ont été remboursés ne sont pas passés du tout sur le bon compte. Ça a été « je rembourse le client emmerdant et puis c’est tout ! » Enfin c’est le compte ! Voilà et puis c’est fait.
- Camille :
- C’est un geste commercial, quoi !
- Laurent :
- Bien sûr. Voilà, c’est ça. Je pense que ça s’est conclus comme ça après un mois et demi de négociations. Pour dire que ce n’est encore pas prêt.
- Camille :
- C’était il y a combien d’années ça ?
- Laurent :
- Celui-là il a quatre ans.
- Camille :
- D’accord. Donc ils avaient prévu une procédure mais personne n’était au courant.
- Laurent :
- Voilà, et ce n’était pas suivi derrière.
- Camille :
- C’était pour faire vitrine quoi !
- Laurent :
- Exactement !
- Camille :
- OK. Qu’est-ce que je voulais demander ? Tu as quel système d’exploitation du coup sur l’autre ? Tu as viré Windows ou tu l’as gardé ?
- Laurent :
- Ah ben non. Bien sûr que je l’ai enlevé. Le problème c’est que je suis honnête. Le problème c’est ça, c’est que je suis attaqué, mais je suis honnête. Bien sûr que j’utilisais Ubuntu à l’époque. Maintenant ça doit être Xubuntu pour ma fille parce qu’il commence à peiner un peu, l’ordinateur. Mais du coup, c’est un système, bien sûr, libre, évidemment.
- Camille :
- OK. Et il y a des gens qui ont fait le même genre de procédure pas pour le système d’exploitation mais pour les logiciels ? Ça a dû être encore plus pinailleur, mais c’est une idée qui me vient.
- Laurent :
- Je ne saurais pas répondre. Je suis désolé, je ne connais pas.
- Camille :
- J’aurais envie d’attaquer juste les antivirus.
- Laurent :
- Oui.
- Camille :
- Mes pires ennemis.
- Laurent :
- Passe sous GNU/Linux, tu seras tranquille. Je n’utilise plus d’antivirus depuis dix ans, maintenant, et je m’en porte très bien. Je n’ai jamais eu de perte de données.
- Camille :
- Il n’y a pas de virus sur Linux. C’est comme les Mac.
- Laurent :
- Il y en a beaucoup moins en tout cas. Oui. Il pourrait y en avoir. Moi en tout cas moi je n’ai pas eu de problèmes depuis dix ans.
- Camille :
- OK. Eh bien merci beaucoup pour ton histoire Est-ce que tu as quelque chose à ajouter ?
- Laurent :
- Non. On a un peu fait le tour.
- Camille :
- OK ! Cool. Eh du coup maintenant on va regarder maintenant une vidéo de chats.
- Laurent :
- J’adore.
- Camille :
- Parce que c’est la conclusion, la meilleure conclusion à toutes les histoires de logiciels libres qu’on puisse raconter, comme toujours.
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