- Titre :
- Informatique libre - Philosophie GNU
- Intervenante :
- Véronique Bonnet
- Lieu :
- Ubuntu Party - Paris
- Date :
- Novembre 2016
- Durée :
- 1 h 28 min 57
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
Description
Richard Matthew Stallman, concepteur du projet GNU, a voulu très tôt faire le lien entre les quatre libertés de l’informatique libre et une approche large et complète de l’autonomie de l’être humain, essentielle, inaliénable, non négociable. Le propos de cette conférence sera donc de présenter les caractéristiques de la philosophie GNU, telle qu’on peut en lire les développements sur le site de la FSF. Et aussi montrer qu’une adhésion aux valeurs du free software est un engagement existentiel très fort. Le rapport à nous-même, aux autres et au monde, dans la philosophie GNU, prolonge par exemple les propos humanistes de La Boétie, dont le Discours sur la servitude volontaire, au moment de la Renaissance, dénonce les pratiques confiscatoires et rusées des tyrans d’alors. Les servitudes technologiques, économiques et politiques que dénonce Richard Stallman dans le philosophie GNU, par leur métamorphoses incessantes et les ruses renouvelées qui les installent, requièrent toute l’attention et les capacités d’analyse de la FSF et de l’April. La philosophie GNU donne des pistes pour rester vigilants.
Transcription
Bien. Alors je vous remercie aussi beaucoup de votre présence. Mon propos, aujourd’hui, était de faire le lien entre l’informatique libre et ce qu’on appelle la philosophie GNU. Philosophie GNU qui fait écho à ce projet GNU [1] que Richard Matthew Stallman a commencé à lancer en 1983, dont il a fait un bilan trente ans après. L’April, dont je suis administratrice, va bientôt fêter ses 20 ans. 20 ans d’attention à une certaine montée en puissance du copyright qui a des effets assez délétères sur l’ouverture du savoir, sur l’invitation à étudier, interroger, distribuer, compléter, améliorer.
Il se trouve que le 11 octobre dernier, Richard Stallman, qui donc est cet initiateur du projet GNU, a été honoré, c’était dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne et c’était l’UPMC, donc l’université Pierre et Marie Curie, qui, dans ce lieu qui rejoignait sa première vocation humaniste d’être à la fois un lieu pour la littérature et la science, là il y a eu donc une remise du diplôme honoris causa, qui montre à quel point, pour beaucoup de chercheurs, pour beaucoup d’universitaires et pour un public de plus en plus important, l’informatique libre est une notion dont on peut très mal se passer.
Si j’avais à ouvrir cette conférence par une citation de Richard Stallman, je dirais : « La vie sans liberté est une oppression et ceci est vrai aussi bien de notre pratique de l’informatique que de toutes les autres activités de la vie quotidienne ». Cette proposition est extraite d’un texte qui fait partie de la philosophie GNU, un texte qui s’appelle Pourquoi le logiciel libre est plus important que jamais [2] et donc je vais essayer de faire le point sur ce qui peut pousser un programmeur, apparemment un mathématicien, apparemment un technicien extrêmement brillant, qui est en colère, qui s’aperçoit qu’il ne peut même pas utiliser ce de quoi il se sert, il ne peut même pas dépanner ce de quoi il se sert. Et donc je vais commencer par vous proposer de voyager au milieu du XVIe siècle, parce qu’il se trouve que dans l’histoire de l’humanité il y a eu des formes d’oppression, régulièrement de plus en plus insidieuses, régulièrement de plus en plus rusées, et un lanceur d’alerte – lien avec Snowden dont il a été question tout à l’heure – il se trouve qu’au milieu de la Renaissance, il y a un lanceur d’alerte qui s’appelle Étienne de La Boétie, qui s’aperçoit que dans cette montée des périls, juste avant les guerres de Religion, il y a, de la part du pouvoir, des formes d’oppression qui sont de plus en plus subtiles, qui passent de plus en plus inaperçues, et qu’il va essayer de dénoncer dans un texte qui s’appelle Le discours sur la servitude volontaire.
Il se trouve que tout à l’heure Genma a cité un ouvrage récent qui s’appelle La nouvelle servitude volontaire. Alors c’est très bizarre de parler de servitude volontaire, tout simplement parce que ceux qui servent, ceux qui sont asservis, alors aussi bien dans les nouvelles technologiques, aussi bien au moment de la Grèce antique, aussi bien à Rome, à la Renaissance, au moment des Lumières, il se trouve que ceux qui servent n’ont pas idée qu’ils le font et La Boétie est stupéfait. Pourquoi ? Parce qu’il s’aperçoit que la plupart du temps il y a un tyran, il y a un tyran qui opprime beaucoup, parfois tout un peuple – alors on pourrait peut-être parler aujourd’hui d’un tyran technologique, de forme assez monstrueuse de captation qui, après tout, passe inaperçu. On n’est pas toujours en train, lorsqu’on envoie un mail, de se représenter le caractère très violent de cette intrusion. Et déjà, donc au moment de la Renaissance, Étienne de La Boétie s’inquiète parce qu’il voit bien que si tous ceux qui servent, sans même savoir qu’ils servent, se liguaient contre celui qui les opprime, nécessairement, il n’y aurait pas photo, ils auraient le rapport de force en leur faveur. Et donc il se demande pourquoi ceux qui servent volontairement ne se révoltent pas – là c’est Étienne de La Boétie, un ami de Montaigne – pourquoi ceux qui vont même à l’encontre des caprices et des désirs de ceux qui les oppressent n’ont pas idée, à un moment, même de renoncer à des activités. Et cette absence d’activité pourrait, éventuellement, faire tomber directement le tyran sans qu’ils en aient à s’en prendre physiquement à lui.
Je vais essayer de retracer l’argumentaire de La Boétie. Il va mourir très jeune, La Boétie, il va mourir à 32 ans. Montaigne, son ami, va veiller sur ses derniers instants. On fait l’hypothèse que Le discours de la servitude volontaire est écrit comme premier jet par La Boétie lorsqu’il a une vingtaine d’années, il y revient un petit peu après, et c’est un texte qui est devenu un manifeste. Au début La Boétie ne l’a pas publié. Montaigne, étant donné le contexte religieux et politique très dur, n’a pas publié, lui qui était légataire des papiers de son ami, n’a pas non plus publié ce texte. Progressivement, il se trouve que ce texte a été publié à des titres tout à fait divers, par des militants tout à fait divers, à chaque fois pour dire qu’il en faudrait peu pour que la pyramide de la tyrannie s’effondre. Et La Boétie appelle « pyramide de la tyrannie » le fait que, en fait, un tyran s’entoure de tyranneaux, de petits tyrans, qui servent le tyran mais qui, en même temps, se font servir par d’autres qu’eux, puis par d’autres qu’eux, jusqu’à ce qu’une pyramide de l’effroi, une pyramide de la terreur, se trouve installée.
J’ai choisi de développer dans Le discours de la servitude volontaire d’abord un principe qu’on va retrouver dans la philosophie GNU, à savoir que la nature, donc cette bonne mère qui n’est pas une marâtre, là, mais qui est une instance sage, c’est bien sûr une métaphore. Vous avez chez La Boétie l’hypothèse que, par nature, les êtres humains ont une terre commune, un habitat qui est commun et non seulement ils ont un habitat commun, mais ils ont, parce qu’ils sont semblables les uns aux autres, la possibilité de se reconnaître, de se voir chacun dans chacun, du moins s’il n’y a pas l’irruption, la confiscation par telle ou telle instance politique ou religieuse de cette proximité qui est la leur. Naturellement, ça on va le retrouver beaucoup dans la philosophie GNU, par principe l’être humain a vocation à une liberté, liberté qui fait d’eux des compagnons, qui fait d’eux des êtres semblables qui non seulement peuvent se reconnaître, mais peuvent se parler.
Alors parole. Elle va nous donner, cette nature, la voix. Elle nous donne la parole qui nous permet de nous accointer, alors ça c’est un terme de l’époque, s’accointer ça veut dire trouver dans la conversation les uns avec les autres des synergies, la possibilité d’aller dans le même sens pour serrer, étreindre le nœud de cette alliance.
J’attire votre attention sur la conclusion assez exceptionnelle, magnifique de cet extrait, à savoir « la nature nous a mis en compagnie », elle ne nous a pas mis en servitude, mais en compagnie, ce qui veut dire que quiconque va briser ce lien, va tout faire pour que les hommes ne se parlent pas, ne s’accointent pas, ne soient pas dans une fraternité constructive, il se trouve que cette oppression-là est dénoncée en termes rigoureux, et je vais essayer de le montrer, subtiles, et ensuite je ferai des analogies avec la philosophie GNU, par La Boétie qui va parler, bien sûr, d’une ruse de ceux qui oppressent et qui ne vont surtout pas manifester d’une façon lourde qu’ils sont oppresseurs. Bien au contraire, ils vont s’y prendre par la séduction, ils s’y prennent par la ruse.
L’illustration qui est d’abord celle de La Boétie, beaucoup de références à Rome. Et à Rome, alors vous avez notamment Néron, Vespasien, vous avez donc différents tyrans, vous allez dire c’est souvent la République à Rome mais il y a aussi des dictateurs, des chefs d’armée qui essaient de minorer la fonction du Sénat et qui essaient de tourner à leur avantage le peuple, faire en sorte que le peuple acquiesce, en tout cas ne dise mot. Vous avez ici hypothèse que c’est du pain et des jeux, la formule est connue panem et circenses, par des images, par des belles images, par des festins, par toute une série extrêmement agile de dispositifs de séduction, l’oppresseur s’arrange pour ne pas apparaître tel.
Voyons les termes qu’utilise par exemple La Boétie : « comme la bouche est occupée à manger », et après il va dire « comme les yeux sont occupés à regarder les combats de gladiateurs, les combats de fauves », alors pendant ce temps-là la bouche ne va pas parler, elle sera trop occupée, tout fait bouche, elle ne pourra pas tenir une forme de langage, elle sera simplement occupée à se sustenter, à dévorer. C’est-à-dire que le tyran tient le peuple par l’appétit et même par une certaine survie, c’est-à-dire qu’on donne des festins à ceux qui alors ne vont pas prendre la parole pour dénoncer le contexte qui est le leur.
Je fais intervenir une dernière référence à La Boétie. Donc les Tibère, les Néron, ceux qui font du peuple absolument ce qu’ils veulent, vont donc donner des sesterces, vont donc payer un certain silence alors que, en réalité, si les opprimés regardaient bien ce qu’il en est du sort qu’on leur impose : « en réalité, il abandonne tout, il abandonne ses enfants, il donne son sang, alors qu’il est devenu comme une souche, il ne parle pas il ne se plaint pas, séduit par de belles images, séduit par des formes qui miroitent à ses yeux, œil qui n’a plus les moyens de se défendre, de fixer les ressorts de la tyrannie. »
Enfin, on a parlé tout à l’heure de festin, on a parlé tout à l’heure de manière dont les Tibère et les Néron achètent le silence, vous avez même chez La Boétie l’hypothèse que le peuple donne son œil et donne sa bouche à celui qui l’occupe d’une façon tellement habile qu’il ne voit pas, qu’en réalité, tous ses droits naturels à parler, à agir, à inventer, sont, par avance, neutralisés.
Il y a, dans la philosophie GNU, très tôt, une métaphore. Alors la philosophie GNU c’est donc la philosophie que Richard Stallman, une fois le projet GNU lancé, il faut écrire du code, il faut faire en sorte qu’il ne puisse pas y avoir de labellisation, qu’on ne puisse pas mettre sous copyright les lignes de code qui permettent de continuer à échanger, de continuer à mettre au pot commun des hypothèses et des savoirs. Très tôt, vous avez de la part de Richard Stallman, la décision de chercher des moyens pédagogiques, d’expliquer à ceux qui sont spoliés sans avoir une idée nette qu’ils le sont – et là vous voyez donc l’analogie avec ce Discours sur la servitude volontaire. Il va essayer, donc, de concevoir des moyens très simples pour expliquer ce qui se passe lorsque quelqu’un qui avait un logiciel, qui pensait pouvoir s’en servir longtemps, qui pensait pouvoir l’améliorer, le dépanner, continuer à lancer tel driver ou telle imprimante. Il propose d’imaginer ce qu’il en serait de la stupéfaction d’une cuisinière : que se passerait-il si on expliquait à une cuisinière qui, jusque-là, a réalisé des tourtes - ceci est une tourte lorraine - qui se passerait-il si elle s’apercevait, elle qui a réalisé, qui a amélioré, qui a affiné sa manière de procéder pour faire plaisir à ses amis, si elle s’apercevait que c’en est fini, la recette est sous copyright, que c’est terminé ; cette recette-là on ne peut plus s’en servir puisque quelqu’un va prétendre avoir eu l’idée de cette manière de procéder et va, d’une façon affective et d’une façon économique, revendiquer une appropriation qui exproprie les autres.
Alors effectivement, imaginons la surprise qui serait celle de ceux qui utilisent des recettes, parce que c’est vrai qu’un logiciel est très proche d’une recette, que se passe-t-il si ce plat-là, qu’on a progressivement appris à ne pas trop rater, auquel on a pensé, qu’on a essayé d’améliorer, peut-être en élargissant telle cheminée qui permet l’évacuation de la fumée, peut-être en relevant par cette épice un petit peu autrement cette réalisation-là, que se passerait-il si brusquement il était interdit de faire usage ce cette recette, tout simplement parce que quelqu’un a mis son nom dessus ? Alors est-ce qu’on va ne rien dire ? Est-ce qu’on va devenir une souche, pour reprendre les termes de La Boétie ? Est-ce qu’on va se laisser dépasser, intimider par cette mainmise ? Peut-être va-t-on devoir inventer la tourte « aprilienne » si la tourte lorraine est interdite ? Est-ce qu’on va essayer de se faire à l’idée que ce plat-là on ne pourra plus jamais le réaliser ? Est-ce qu’on va se mettre à plusieurs, comme l’ont fait les hackers au moment du projet GNU, pour essayer d’optimiser assez vite quelque chose qui n’est pas encore labellisé, qui n’est pas encore sous copyright et donc sous expropriation. Pourquoi cette image est-elle extrêmement forte ? Et là, il y a dans les propos de Richard Stallman une manière de rendre compte de la colère qui a été la sienne.
Donc supposons [je lis ce qui manque], « Supposons qu’il en soit des recettes de cuisine comme des logiciels, que se passerait-il si les deux étaient logés à la même enseigne ? » Alors effectivement, on pourrait se demander comment faire pour enlever tel ingrédient, comment faire pour améliorer, comment faire pour distribuer des copies améliorées ? Ironie. Dans ce cas-là, il faudrait s’adresser à celui qui détient la recette, de même que Richard Stallman a essayé de s’adresser à celui qui était détenteur de la licence du driver de l’imprimante Xerox. Et que répondrait le médecin ? Il dirait « Non », il dirait que sans doute il aurait mieux à faire qu’à ôter le sel : « Je serais heureux de le faire. Mes honoraires ne sont que de cinquante mille dollars et, de toutes façons, je n’ai pas le temps ! » Voilà ce que répondrait le détenteur de la recette. Analogie entre des brevets logiciels et des brevets culinaires qui feraient qu’on serait obligé de s’adresser à qui de droit pour exécuter ce que, d’une façon très innocente et très habituelle, on avait jusque-là l’habitude de faire.
Alors pourquoi cette image et que faire de cette image ? La philosophie GNU est effectivement une philosophie au sens où elle raisonne, au sens où elle analyse les raisons prétendues de celui qui dit non, donc de celui qui va dire que c’est tant et que, de toutes façons, il a autre chose à faire que ça. Entre temps il faut qu’il exécute telle commande du ministère de la Marine.
Il y a, dans les propositions de Richard Stallman, quelque chose de plus qu’une habileté à écrire du code, une habileté à lancer de lignes de commande, il y a une rigueur dans la manière dont ces raisonnements fallacieux sont interprétés.
C’est pourquoi je me suis permis de proposer ce détour par La Boétie parce que, de même que dans Le discours de la servitude volontaire de La Boétie vous avez un argumentaire, vous avez une décomposition de ce qui prétendument est un propos tenu de droit par quelqu’un qui ne veut surtout pas partager, et vous avez, chez Richard Stallman aussi, la décomposition de ce type de réaction en deux grands registres : ce qu’on appelle le registre affectif et ce qu’on appelle le registre économique. Autrement dit, que se passe-t-il lorsqu’une firme répond que non, cet accès au code source on ne peut pas le donner parce qu’on a besoin de monnaie sonnante et trébuchante, et parce que cette forme-là c’est sa chose et on y tient. Et donc, vous avez dans la philosophie GNU une recherche de la question qu’il faut poser. C’est exactement comme lorsqu’en philosophie on essaie de problématiser une situation : quel est exactement l’axe d’interrogation qui est à tenter et pour quelle raison ?
Ici Richard Stallman se réfère à l’effet sur la société : quel serait l’effet sur la société si on écoute celui qui veut tout frapper de copyright ? Quel est l’effet sur la société ? Quel est l’effet sur la société si on donne un accès au code source, si on permet aux utilisateurs d’exercer d’une façon plénière leurs droits ?
Ceci est extrêmement clair. Bien évidemment, s’il y a restriction de l’emploi d’un logiciel, peut-être que ceci est nuisible. Alors que pour la société, permettre un pot commun, permettre un accès au code source, permettre une forme d’exécution autonome qui accroisse l’accointance entre les humains – à la fois la reconnaissance qu’ils ont les uns envers les autres, cette parole qu’ils partagent les uns avec les autres – peut-être y a-t-il des effets sociaux intéressants.
Je vais parler de deux types d’arguments. « Si restreindre la distribution d’un logiciel déjà développé est préjudiciable à la société, alors un développeur ayant du sens moral rejettera cette activité. » On est ici, évidemment, dans l’ironie. Supposons que l’on démontre aux différents GAFAM que tel verrouillage est nocif pour la société, sens moral, au nom du respect qui est dû à chaque utilisateur, il faudrait bien sûr que ces verrous logiciels, que ces racketiciels, que ces portes dérobées s’effacent. On serait, bien évidemment, en plein rêve !
Développement des deux axes : l’axe sentimental et l’axe économique. Quel est le propos qui est tenu par telle entreprise qui veut maintenir son copyright en imposant ainsi à l’utilisateur de constamment acheter telle mise à jour, d’avoir recours à ses services pour réparer ? L’argument affectif – alors effectivement c’est très émouvant : « J’ai mis ma sueur, j’ai mis mon cœur, j’ai mis mon âme dans ce programme. Il vient de moi. C’est le mien ! »
Vous avez assez souvent, dans la philosophie GNU, la dénonciation d’une supercherie qui est celle de la propriété intellectuelle, comme si telle idée était née dans tel cerveau et absolument jamais dans les autres. Comme si ceci donnait à tout jamais une sorte de rente de situation. Faire d’un logiciel sa chose – ironie à nouveau – c’est oublier que lorsqu’il y a paiement, alors cet attachement viscéral, cet attachement affectif, en réalité, disparaît : « Considérons comment ces mêmes programmeurs cèdent volontiers leurs droits à une grosse entreprise ». Et là, on oublie que c’est sa chose, on oublie le rapport viscéral, sentimental, affectif à ce qu’on a constitué, « moyennant salaire ; mystérieusement l’attachement affectif disparaît. » Dont acte. Peut-être que le versant affectif, peut-être que l’alibi de l’attachement indéfectible, ne résiste pas longtemps lorsque telle propriété intellectuelle est rachetée et permet à l’acheteur de tirer rémunération de cela.
D’où l’examen de l’argument économique : « Je veux devenir riche – alors on dit souvent au lieu de je veux devenir riche, je veux gagner ma vie – et si vous ne me permettez pas de devenir riche en programmant, je ne programmerai pas ! » Donc là on est bien dans le parti pris théorique d’examiner les effets sur la société de telle déclaration ou de telle déclaration. Là, personne ne programmera. Si personne ne programme, alors menace : vous serez privés de tout, vous qui voulez accéder au code source en passant outre cet argumentaire économique.
Vous avez ici, évidemment, la forme de la démonstration par l’absurde : que se passe-t-il si on empêche les malheureux candidats à la richesse de tirer parti – rente de situation – de cette chose qu’ils ont contribué à créer ? Alors la société est privée de tout. Si vous regardez bien, c’est très exactement l’envers de ce qu’on appelle la théorie de la main invisible. Si des abeilles d’une ruche sont cupides, alors elles vont butiner beaucoup. Si elles butinent beaucoup, alors la ruche sera riche, la ruche sera prospère. Ici vous avez une réfutation qui passe par l’hypothèse que si l’informatique libre empêche les auteurs de logiciels de faire de leurs trouvailles une rente de situation, et même au-delà, alors la société sera proche de la misère et proche du néant. Vous avez ici donc cet argument qui est repris par Richard Stallman.
J’en viens à ce qu’il en est exactement de la philosophie GNU. Il se trouve que le mois dernier j’ai posé à Richard Stallman la question du rapport entre projet GNU et philosophie GNU et il m’a dit que ces deux aventures n’étaient pas coïncidentes, qu’il y avait eu tout un temps où il y avait eu une maturation et même qu’il avait initialement pensé à trois libertés seulement, pas quatre. Trois libertés de l’informatique libre, c’est-à-dire qu’à aucun moment, au début, il n’avait pensé que exécuter un programme – un utilisateur théoriquement utilise – jamais au début il n’avait pensé que cette liberté que donc il appelle 0 – il y a la liberté 1, liberté 2, liberté 3 –, il appelle cette liberté 0, parce qu’il l’ajoute après, avec un certain recul, étant donné que l’impossibilité pour l’utilisateur d’utiliser ne lui avait pas traversé l’esprit initialement.
J’ai ici choisi de projeter ce gnou qui est un peu différent des autres : c’est ce qu’on appelle le Philosophical GNU ; il est d’un certain Markus Gerwinski, qui l’a dessiné pour le site de la FSF, de la Free Software Foundation. L’accompagnement de ce dessin, si vous allez sur les pages Philosophie GNU de la FSF, c’est un gnou très rêveur, très réfléchi. Si vous regardez donc la délicatesse et la perplexité de ses sourcils, c’est un gnou qui est en train penser. Et c’est donc le gnou qui accompagne les différents articles de la philosophie GNU du site de la FSF.
C’est une boussole cette philosophie GNU et vous avez, en effet, Richard Stallman qui a eu besoin – alors environ deux ans après le lancement du projet GNU – de synthétiser, éventuellement d’expliquer, de systématiser, des principes qui étaient déjà bien présents, parce que c’est une sainte colère qui l’amène à constituer son groupe de programmeurs pour faire en sorte que du code soit disponible et que le code source ne soit pas verrouillé. Et donc vous avez cette décision de systématiser des principes, ce qui, lorsque vous allez donc sur la page d’accueil de la philosophie GNU du site de la FSF, vous avez d’abord des principes qui commencent par définir ce qu’il en est de l’informatique libre. Et on pourrait dire que la philosophie GNU c’est comme la boussole de l’informatique libre en tant que les contextes évoluent, des logiciels nouveaux apparaissent, de nouvelles formes séduisantes de spoliation sont mises en place et donc il importe de rappeler ce qui est absolument fondamental et, pour chaque occurrence historique – bon il y a un moment par exemple où Linus Torvalds libère le noyau qui va donner lieu à GNU/Linux [3] – vous avez en fonction des intermittences, en fonction des événements qui vont ponctuer toutes ces époques de recherche, vous allez avoir progressivement des nuances. Vous allez avoir des considérations qui sont circonstancielles : que se passe-t-il si dans tel programme se glisse telle atteinte aux principes de l’informatique libre ? On commence donc par cette page d’accueil qui rappelle tout simplement une définition, que libre est à prendre au sens de disponible, qui respecte la liberté, et non pas de gratuit. « Nous avons développé le système d’exploitation GNU », donc on est bien dans une synthèse, on est bien dans un regard rétrospectif.
Vous avez un philosophe qui s’appelle Hegel, par exemple, qui a dit que la plupart du temps l’oiseau de Minerve, c’est l’oiseau de la déesse de la sagesse, ne prend son vol que le soir. Une fois qu’on a développé le système d’exploitation GNU alors on va pouvoir penser, on va pouvoir préciser les principes, les conditions, les clauses suspensives, comment dans tel contexte, alors on va faire jouer le principe de cette façon ou de cette façon.
Vous connaissez très certainement par cœur ces quatre libertés qui définissent l’informatique libre. Je me suis expliquée tout à l’heure sur le 0 : c’est tout simplement parce que cette quatrième liberté a été ajoutée après coup. Puisqu’au tout début du projet GNU, il n’y avait même pas d’indice permettant de faire l’hypothèse que l’oppression irait jusqu’à empêcher l’exécution, puisque sa colère c’était dans un contexte de dépannage, dans la nécessité d’un code source dans un contexte de dépannage. Et là, la liberté 0, elle est constituée lorsque Richard Stallman s’aperçoit qu’il y a des contextes dans lesquels la machine exécute non pas ce que l’utilisateur croit exécuter, mais autre chose.
Liberté donc d’étudier, de modifier le programme sous forme de code source. Redistribuer de copies exactes. Redistribuer des copies modifiées.
Précision. Pourquoi cette philosophie GNU est-elle fondamentale ? Parce que le logiciel – comme la recette de cuisine de tout à l’heure – est une forme qui est immatérielle. C’est une structure. C’est un ensemble d’opérations d’abord mentales qui, ensuite, sont implémentées, en essayant de permettre beaucoup d’opérations. Comme il y a un caractère immatériel, il va de soi qu’il est plus simple de copier un logiciel, de copier une recette de cuisine, que de réaliser des objets matériels comme une chaise, de l’essence, un sandwich. Autant la recette du sandwich est immatérielle, autant le sandwich ne peut pas être copié parce que c’est un objet qu’on crée. Et l’informatique libre a à voir certes avec des objets concrets, avec des tâches de la vie quotidienne extrêmement pragmatiques, mais travaille d’abord sur la question du droit à utiliser une structure mentale, une chose mentale, l’améliorer et la distribuer.
J’en viens à deux listes. Sur les pages Philosophie GNU de la FSF, vous avez d’abord une première liste [4] qui est constituée d’articles qui installent l’informatique libre, qui installent des dispositions destinées à assurer l’autonomie de l’utilisateur. Et vous avez une seconde liste [5] dont on pourrait montrer qu’elle est peut-être plus circonstancielle d’articles également écrits par Richard Stallman.
Si on regarde, là c’est la première liste de ces articles qui constituent la première phase de la philosophie GNU, vous voyez qu’on va d’articles très fondamentaux – Qu’est-ce que le logiciel libre ? – jusqu’à cette obligation morale qui a été la sienne puisque le « devons » n’est pas un « devons » au sens de « il serait avantageux de », mais nous devons, quitte à avoir à démissionner, quitte à avoir à renoncer à des avantages immédiats, parce qu’il en va de l’accointance des êtres humains, de leur fraternité et du partage.
Si on regarde, je vais simplement développer deux de ces articles, si on regarde la teneur de ces articles on s’aperçoit que, à la fois, on est bien dans une progression historique, c’est-à-dire qu’il y a un moment où GNU/Linux devient possible, il y a moment où l’<em
« Quand le logiciel libre, alors vraiment humilité là du théoricien, quand le logiciel libre n’est pas supérieur en pratique, lorsqu’il y a des logiciels privateurs qui sont techniquement supérieurs, que faire ? » C’est-à-dire que là on est bien dans l’examen de cas de figure qui peuvent être déconcertants, qui peuvent être même considérés comme des atteintes possibles, comme des objections possibles, mais qui sont d’une façon systématique examinés.
Je vais simplement donner idée de deux de ces articles qui constituent le premier versant de la philosophie GNU. Richard Stallman se situe dans un idéalisme pragmatique, à savoir il conçoit bien l’informatique libre comme certainement une démarche technique, mais une démarche technique qui repose sur des valeurs. Est-ce qu’on accepte, encore une fois, une vie sans liberté y compris dans ses pratiques informatiques ? Ou est-ce qu’on décide que cette vie n’est véritablement une vie que si on y est autonome, que si on peut savoir exactement ce qu’on fait quand on le fait, et que si on peut partager, ce qui est une démarche importante ?
Donc société meilleure. Il y a en effet un idéalisme. Il y a effectivement une dimension utopique au sens où le propos est de remplacer ce qui est et qui est inacceptable par ce qui devrait être, donc il y a bien cette ampleur-là, il y a bien cette intention-là. Mais pragmatisme, on ne se contente pas de dire « ah qu’est-ce que ce serait mieux si l’utilisateur pouvait utiliser », on écrit des lignes de code, on examine des objections possibles, on intègre des éléments qui sont des éléments émergents dans un contexte qui n’était pas le contexte initial. C’est-à-dire qu’on fait tout pour accompagner cette quête numérique d’autonomie.
Vous avez, dans ce premier moment de la philosophie GNU, une grande insistance sur l’école, sur la transmission du savoir, déjà pour une raison historique. Parce que, lorsqu’en 83, Richard Stallman s’aperçoit que les pratiques qui étaient celles des universitaires jusque-là sont des pratiques menacées puisque des chercheurs ne peuvent plus utiliser cette manière de faire extrêmement humaniste qui était la leur, ne peuvent plus facilement verser au pot commun, faire des suggestions, récupérer ces suggestions prolongées par d’autres. Il y a donc une raison historique de cet intérêt pour l’éducation et pas seulement une raison historique c’est que, lorsqu’un code source est verrouillé, on est dans une démarche de secret, alors que le propre de l’éducation, le propre de la transmission du savoir, c’est de permettre d’examiner, permettre de voir ce qui se passe lorsqu’on enclenche telle ligne de commande, voir comment on peut essayer d’implémenter ceci ou cela. Bon il va de soi que lorsque le code source est verrouillé, alors ces démarches ne sont pas possibles.
Ici vous avez un mot-clé : interdit. Interdit, parole qui s’interpose comme le logiciel privateur se met sur le chemin de ceux qui veulent avoir une pratique éducative évidemment aux antipodes d’une culture du secret, alors il faut adopter l’informatique libre dans l’éducation, et vous avez plusieurs articles de Richard Stallman qui le posent. Autrement dit, pas seulement un caractère technique, on ne va pas dire qu’il est préférable que l’éducation adopte l’informatique libre parce que ça marche mieux – ce qui est aussi le cas – mais on va dire que l’informatique libre regarde de très, très près le cœur même de ce que c’est qu’être humain, de ce que c’est qu’être un être parlant, à savoir les droits de l’homme, la liberté et la coopération, étant donné que partager est bon. Et si on ne partage pas dans un contexte scolaire, on ne voit pas très bien à quel moment on pourra partager.
Vous avez assez souvent, chez Richard Stallman, un caractère très imagé. Il n’hésite pas à donner la parole au logiciel lui-même : prosopopée, on va donner la parole à un objet, éventuellement à un contexte, pour rendre plus vivant l’interdit. Le logiciel privateur dit : « Le savoir est un secret ». Et effectivement le savoir est un secret. On a une ici une sorte de mainmise du pouvoir sur le savoir parce que partager le savoir rend des usagers très lucides, très à même de savoir ce qui a eu lieu lorsqu’il opère telle ou telle démarche.
L’expression qui est très intéressante ici, et c’est vrai que parcourir les articles de la philosophie GNU de la FSF est souvent très revigorant et très clair, « culte de la technologie », c’est quasiment un bouclier, culte, le terme est fort. Vous avez une sorte, ici, d’alibi mystique qui voudrait que le code source ne concerne que les très grands manitous qui peuvent y toucher sans catastrophe et sûrement pas les apprentis sorciers que sont ceux qui veulent apprendre. Donc vous avez de la part de Richard Stallman souvent des propositions qui sont assez proches de celles de Michel Foucault. Michel Foucault qui dit que, la plupart du temps, le savoir est la chasse gardée du pouvoir. De temps en temps, il arrive que le savoir soit un contre-pouvoir. Il se trouve que l’informatique libre est quelque chose comme un contre-pouvoir qui, notamment, lutte contre le culte de la technologie, sorte de rideau mystérieux qui a l’air de réserver l’informatique aux initiés pour que le grand public, surtout, ne s’en empare pas.
J’en viens ici à cette notion qui est celle des articles qu’on appelle plus circonstanciés. Vous avez un deuxième volet et c’est celui-là, donc je vais le faire défiler en plusieurs fois. Vous avez un deuxième volet sur le site Philosophie GNU, donc sur le site de la FSF. La raison pour laquelle on sépare la première liste de la suivante, on dit que ce sont ensuite des articles qui sont plus récents, qui sont encore tout chauds de la presse par laquelle ils sont passés, ceux qui viennent d’éclore. Et vous avez une liste assez impressionnante parce qu’en effet, quand on parle avec Richard Stallman, on s’aperçoit qu’il est au fait des moindres glissements du territoire de l’informatique. Que telle innovation dans Facebook, que telle signature de CETA, que telle nouvelle concernant ce qui va être un raz-de-marée pour des avancées, l’intéressent très précisément.
Donc je vais faire défiler. Attention au « soutien » contredit par les faits. Lorsque l’open source se met à se prétendre informatique libre, bijou optimisé, vous avez évidemment beaucoup d’articles à écrire, parce qu’il ne faudrait surtout pas que ce développement extrêmement intéressé, qui s’intéresse surtout à une culture du résultat ne vienne établir des contresens sur l’éthique du logiciel libre.
Vous avez donc beaucoup de moments où il y a une prise de plume avec humeur. Alors c’est quoi cette histoire de « Komongistan » ou comment faire voler en éclats l’expression « propriété intellectuelle » ? « Komongistan », il se trouve que certains entrepreneurs ont trouvé commode, dans le commerce qui était le leur, d’inventer une sorte de pays imaginaire, alors c’est fait de Corée, Mongolie et Pakistan et ça donne donc le « Komongistan », avec l’idée que certaines démarches sont absolument irrespectueuses aussi bien de l’histoire des peuples, aussi bien des formes symboliques, en inventant des constructions infâmes – bon d’ailleurs comme certaines constructions infâmes du logiciel privateur – dans une totale méconnaissance de ce qu’est telle dimension culturelle. Et donc vous avez à chaque fois des formes, alors je fais défiler ce deuxième volet de la philosophie GNU et je vais m’attarder sur deux de ces articles.
Swindle, Kindle. Swindle ça veut dire l’escroc. Au moment où le Kindle apparaît vous avez cet article de Richard Stallman qui va démonter les rouages qui cachent des procédures qui ne doivent surtout pas être soupçonnées par l’utilisateur. Et vous avez, à mesure que des initiatives sont prises, une grande vigilance de la FSF qui va se demander si telle pratique est compatible avec la définition du logiciel libre.
J’ai de plus en plus serré pour que la liste puisse tenir. On est vraiment dans une forme de lucidité, on va dire multiforme qui, à chaque fois, s’intéresse aux DRM, s’intéresse à telle nouvelle forme de brevet logiciel. Je signale que demain l’April, en la personne de Magali Garnero et de Galiléa, de Marie, vont faire à 15 heures une conférence sur l’overdose en matière de DRM.
Pour ne pas en rester donc à cette liste, si on regarde, par exemple, l’article « Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? » – la conférence précédente était consacrée à Snowden – se pose en effet la question du seuil. Vous ne trouverez jamais sous la plume de Richard Stallman une sorte de manichéisme : ne pas surveiller du tout ; ne pas comprendre l’inquiétude de tel ou tel gouvernement. Il s’agit bien de déterminer un niveau de surveillance. Il s’agit de se demander à partir de quel niveau de surveillance intense il ne peut plus y avoir de lanceurs d’alerte, mais quel niveau de surveillance – trop de données tue la donnée – permet, en effet, de repérer certains comportements. Vous avez un caractère qui est non manichéen, qui est toujours très nuancé, circonstancié, parce qu’il s’agit, en effet, de réfléchir à quel seuil est tolérable. Dans cet article qui est très célèbre donc, de la philosophie GNU, vous avez de la part de Richard Stallman un raisonnement sur comment faire que les métadonnées ne soient pas pillées d’une façon très unilatérale et massive et vous avez le conseil d’essayer de disperser les données, les tenir dispersées, ne jamais les regrouper sur le même support, parce que les regrouper c’est, évidemment, faciliter la tâche.
Je pense que c’est toujours ce texte. « Les logiciels libres sont contrôlés par les utilisateurs ». Il se trouve que cet article est écrit trente ans après le lancement du projet GNU, c’est un article dans Wired, et vous avez dans ce texte une sorte de bilan et en même temps de rebond : étant donné ce qui a été déjà installé alors il faudrait aspirer à tel dispositif qui évite ce pillage, qui évite cette captation, ce siphonnage de métadonnées et de données.
Je termine par une loi, la loi de Stallman, qu’on peut lire d’une façon à la fois étonnée, peut-être, et en même temps convaincue : « Tant que les grandes entreprises domineront la société et écriront les lois, chaque avancée ou chaque changement de la technologie sera pour elles une bonne occasion d’imposer des restrictions ou des nuisances supplémentaires à ses utilisateurs ».
Le projet GNU, lancé en 83, a maintenant 33 ans. L’April, inventée au Bocal de l’université de Paris-Saint-Denis, va avoir 20 ans. Il semblerait que les principes, les principes non négociables, les principes considérés comme intangibles, posés dans la philosophie GNU, qui est comme une boussole pour le mouvement GNU, nous interpellent encore.
Je vous remercie de votre attention.
Applaudissements
Organisatrice : Merci. Est-ce qu’il y a des questions ? Des commentaires ?
Véronique : Ou bien alors j’ai été trop claire et je m’en excuse. Pardon ! Non, je plaisantais.
Organisatrice : Ah oui, il y en a. Une question.
Public : Oui. Bonjour. Moi je travaille dans le logiciel libre et c’est vrai que tous les jours, on va dire, là on parle beaucoup des producteurs, des informaticiens, mais quelle est la position de Richard Stallman par rapport, justement, aux consommateurs. La réalité des choses c’est que, toute la journée, en fait, on se bat, on a beau leur dire free is not free, le fait est que, à un moment donné, les gens sont consommateurs, ils n’ont pas envie de participer. L’hypothèse de base que moi je fais depuis le début des années 90, c’est : tout le monde participe. Le fait est que chacun est dans son métier, tout le monde ne peut pas forcément participer de la même manière. Je ne sais pas quelle est la position de Richard Stallman.
Véronique : Déjà, je pense qu’il utilise le terme utilisateur et pas consommateur, parce que si on dit consommateur et là ça renvoie à ce que La Boétie dit de la bouche, de l’usage de la bouche. C’est vrai qu’il y a, alors peut-être d’une façon délibérée de la part des GAFAM, une sorte de recours à des formes, à des belles images, des beaux emballages qui vont, bien sûr, dissuader de se préoccuper de ce qui passe. Lorsque, par exemple, Richard Stallman parle du SaaSS [Service as a Software Substitute [6], NdT], c’est-à-dire un software qui consiste à utiliser des services, c’est-à-dire à déléguer, à ne pas même avoir idée de ce qui se passe lorsqu’on confie telle donnée à garder, par exemple, pour ne pas l’avoir chez soi. Il me semble que s’il évite – là en fait je ne vous réponds pas – s’il évite de parler de consommateur c’est qu’il a bien idée que la tentative de ces GAFAM c’est d’essayer de réduire l’utilisateur en consommateur, précisément. Et il dit bien, dans différents articles, que la programmation est peut-être la chose la plus difficile pour un intellect humain, ce qui, bien sûr est une opportunité de délester. Alors, avec la plus grande bonne conscience du monde, on va délester ces malheureux utilisateurs de s’interroger, de vérifier, de lire les conditions d’utilisation, de ne pas savoir qu’est indiqué en très petit que telle manière de poster telle photographie dans tel contexte c’est ne plus en être propriétaire, etc.
Donc il me semble qu’il serait, encore une fois on oppose ce qui est à ce qui devrait être, il serait pertinent, la plupart du temps, de parler de consommateurs et même de consommateurs qui absorbent ce qu’on veut bien leur faire absorber, mais l’idée pragmatisme, idéalisme pragmatique, l’idée c’est de faire des consommateurs des utilisateurs, me semble-t-il, en tout cas si j’ai bien compris la substance des différentes directions. Et vous, vous le percevez, bien évidemment, comme une consommation, comme une consommation qui va aller vers l’emballage le plus simple à utiliser, c’est ça ? Oui ?
Public : Moi j’appartiens à différentes communautés. On va dire que, globalement, il y a des communautés où, par exemple, les utilisateurs ont compris que la documentation, la traduction, la recette, il y a un certain nombre d’activités qui ne sont pas foncièrement informatiques et qui peuvent très bien être faites, justement, par des utilisateurs. Il y a des communautés où, justement ça, le message est très bien passé. Il y a d’autres communautés où non, on est vraiment plutôt dans la consommation au sens où « hou là, là, c’est de l’informatique », et donc cet aspect documentation à faire, eh bien c’est à vous de le faire, finalement.
Véronique : Oui. C’est le culte de la technologie. C’est à la fois le culte, c’est-à-dire on a idée qu’il s’agit d’une dimension extrêmement précieuse : pour certaines personnes, ce qui se passe dans un ordi est miraculeux. On ne comprend pas bien ce qui s’y passe mais c’est extraordinaire ! C’est un culte de la technologie au sens où seuls donc les grands prêtres, quelques geeks ; souvent quand on écoute assidûment LCP Public Sénat, on s’aperçoit que dans beaucoup de questions de société qui concernent le fichier TES [fichier des titres électroniques sécurisés, NdT] ou telle nouvelle mesure qui regarde la loi pour une République numérique, on s’aperçoit que ces débats sont des débats de geeks ; c’est ce que disent beaucoup de députés : « C’est une affaire de geeks ». Ces inquiétudes-là, ça peut concerner quelques communautés isolées, mais peut-être que le grand public lui, dans sa sagesse, n’est pas anxieux. Et là encore je ne sais pas si j’ai tout à fait répondu, mais c’est vrai que je ressens exactement cette mise à part de ceux qui savent, de ceux qui sont réputés savoir, de ceux qui sont informaticiens mais n’y comprennent rien parce qu’ils croient qu’il y a tel péril, ils ont telle paranoïa, et c’est vrai que se joue toujours la question du rapport entre le savoir et le pouvoir.
Il me semble que ce technicisme auquel on assiste de plus en plus, moi c’est récent, je l’ai découvert récemment. C’est vrai que lorsqu’il y a un débat sur une question d’actualité, maintenant on fait venir le spécialiste de cette question, l’expert indépassable. Et on a l’impression qu’une pratique généraliste de la pensée, une pratique globale de la pensée est comme empêchée, parce que c’est l’expert qui devra se prononcer dans la sagesse qui est la sienne sur ce point. Mais là, je partage une chose à laquelle je n’ai pas encore totalement réfléchi. À laquelle quelqu’un a beaucoup réfléchi, c’est Socrate, personnage de Platon dans l’Apologie de Socrate, puisque, effectivement, il essaie de savoir s’il y a à Athènes quelqu’un de plus sage que lui parce que l’Oracle de Delphes a dit qu’il était le plus sage, et il va voir les artisans, mais les artisans qui sont très, très forts sur un point en particulier qui est leur pratique, croient, parce qu’ils sont très forts sur ce point-là, qu’ils peuvent se prononcer sur quoi que ce soit à propos de quoi que ce soit. C’est la question du rapport entre l’expertise et la pensée encyclopédique, la pensée globale. Mais là, c’est un peu le professeur de philosophie qui s’exprime.
Public : Je n’ai pas compris. En fait, moi je me suis reconnu comme un utilisateur simple et je n’ai pas compris si tu voyais ça comme un problème qu’il y ait des utilisateurs simples qui ne contribuent pas. Ou si tu voyais ça comme une bonne chose. Je ne comprends pas ça dans ta question.
Public : Non. Moi c’est dans un usage professionnel. L’utilisateur, là je parle d’organisations de l’éducation qui « achètent » des softs libres entre guillemets et qui les achètent comme ils négocieraient avec Microsoft, ou voilà. Ils sont formatés à un certain type de rapport, on va dire, et ils veulent continuer à rester dans ce rapport. Le problème est le suivant, c’est que du coup, en interne il n’y a même pas de compétences pour discuter. Sauf que pour le logiciel libre on ne peut pas discuter comme si on vendait du Microsoft en boîte. Et pour eux, tout problème a une solution. Et donc on a beau leur refaire l’explication détaillée de la licence ! Voilà…
Véronique : Oui, d’où intérêt de pouvoir s’adosser à une communauté vigilante lorsqu’on n’est pas soi-même informaticien. Puisqu’à partir du moment où des informaticiens, c’est le cas dans le projet GNU, se constituent en communautés permettant d’utiliser les compétences – peut-être que untel va être très pointu sur cette question, tel autre sur telle question – ce qui est là extrêmement intéressant, c’est l’interface. C’est-à-dire comment on essaie de réagir au cloisonnement, cloisonnement alors pas seulement dans l’informatique. Il se trouve que Poincaré, début du XXe siècle, est le dernier mathématicien généraliste. Après il y en a qui vont faire de la topologie, il y en a qui vont faire de l’analyse, telle branche de l’analyse. Il devient, après Poincaré, très complexe d’avoir une perspective globale sur la mathématique. Donc l’informatique, n’en parlons pas !
Organisatrice : Bien. Est-ce qu’il y a d’autres questions ? Oui.
Public : Bonjour. Je suis utilisateur libre [individuel, NdT], donc je travaille sur Excel, Powerpoint, SketchUp, etc. Et j’aimerais, avec d’autres amis, on aimerait passer à Ubuntu, ou bien au logiciel libre. Et c’est vrai que, par exemple, on a cette barrière, on n’est pas informaticiens, on utilise les produits Microsoft, etc., Google, et il y a un cap à franchir. Le logiciel libre, monsieur fait remarquer que c’est à nous de faire de la programmation, etc. C’est peut-être une fausse image qu’on a. Mais peut-être que le logiciel libre devrait s’ouvrir avec d’autres outils. Ubuntu a commencé, de ce que j’ai pu voir, qui permettent à l’utilisateur lambda de ne pas avoir à programmer. Parce que ce qui intéresse l’utilisateur lambda c’est de quitter Microsoft, parce qu’il en a assez, de quitter les quatre, Google, etc., mais de ne pas avoir à faire de programmation. Parce que, d’abord, il travaille, ce n’est pas son métier l’informatique, et il a l’impression d’être un peu exclus par Linux, etc., parce que ce sont des geeks, c’est réservé, etc. Et ça, c’est dommage, parce qu’il faudrait faire une passerelle. Et je dis, à ce moment-là, c’est un petit peu aux utilisateurs de libre de créer des softwares qui permettent de ne pas avoir à programmer, comme par exemple SketchUp, on n’a pas besoin de programmer, on fait sa maison, on fait son plan, on fait un tas de choses, et je trouve que ça manque. C’est dommage parce qu’on pourrait faire le saut plus rapidement et là on est freinés. Et ça fait des années qu’on est freinés. Je suis là pour essayer de trouver une solution. J’ai parcouru les stands, je suis au regret de dire que je n’ai pas trouvé de solution. Je vous ai entendu et j’ai trouvé très intéressant parce que vous avez parlé, notamment, d’un peu d’élitisme sur la technicité. C’est l’élitisme, à chaque fois on fait appel à un expert, expert pour tout, politique, sur les conflits, etc. On en a ras le bol de tous ces experts et c’est pourquoi on cherche avec le logiciel libre, notamment, de ne plus avoir d’experts, mais d’avoir une liberté d’expression propre.
Véronique : Bien sûr. Oui. Je me permets une question en retour. Connaissez-vous l’existence du Premier Samedi du Libre [7], où il y a beaucoup d’ateliers, c’est ici même.
Organisatrice : Moi j’aurais une autre question. Est-ce que vous êtes allé dans la salle de l’installation. Il y a une salle qui s’appelle la « install-partie » dans laquelle les utilisateurs potentiels viennent et peuvent installer Ubuntu dans leur ordinateur et peuvent s’initier. Ou bien peuvent voir une démonstration du fonctionnement pour s’approcher. Donc il y a effectivement des efforts qui sont faits au sein de cet événement même, pour aller vers les utilisateurs qui ne sont pas des informaticiens.
Véronique : Si je peux me permettre. Oui. Oui.
Public : Inaudible.
Véronique : Je comprends. Si je peux me permettre de vous faire part de mon expérience personnelle. Donc je ne suis pas du tout programmeuse. Il se trouve qu’il y a eu une installation, il se trouve que c’est Debian. Je vous promets que depuis que cette installation a eu lieu, j’effectue moi-même, toute seule, les upgrade update, je mets à jour, parce qu’il y a des logiciels qui sont conçus à cette fin. Je télécharge tous les paquets dont j’ai besoin en fonction de ce que je demande à mon ordinateur. Je m’initie actuellement à la programmation, mais je n’aurais pas eu les moyens de saisir ce qu’il en est. Il ne s’agit pas, dans la philosophie GNU, de dire que quiconque doit devenir programmeur, il s’agit de proposer, puisque des programmeurs ont fini par constituer GNU/Linux, il s’agit de proposer à la fois ce qui est ouvert, partagé et bon, et en même temps de faire référence à la vigilance de ceux qui étant programmateurs voient que dans telle branche du programme il peut y avoir tel bogue, tel élément privateur, qui va faire fonctionner autrement ce qui n’était pas prévu pour ça. Il me semble que l’on peut, me semble-t-il, en tout cas c’est mon cas depuis un certain nombre d’années, faire appel aux compétences là où elles sont. Mais je ne sais pas du tout si j’ai répondu à votre question. Oui ?
Public : Excusez-moi. Juste une petite question. Est-ce que, dans votre réflexion, vous avez intégré quelque chose comme l’évolution technologique par rapport aux besoins ? C’est un peu compliqué, mais en fait, je n’avais pas imaginé que la philosophie pouvait rencontrer les éléments comme la GPL [GNU General Public License, NdT], enfin tout ce qui était licences, en fait tout ce qu’a fait Richard Stallman, je n’avais jamais imaginé ça. Et en réfléchissant à ce que vous disiez, je me suis dit « mais, est-ce que tout ça c’est un débat qui reste vrai par rapport à l’évolution des besoins, la technologie ? Ce qu’on faisait dans les années 70, ce qu’on faisait dans les années 80, 90, etc., est-ce que ça reste toujours vrai par rapport aux besoins ? » Est-ce que vous avez intégré ça dans votre réflexion ? Par exemple, l’utilisation massive de réseaux, du coup les terminaux ont moins besoin de stocker. Peut-être qu’un jour, on aura juste une interface et qu’on sera relié à quelque chose de central et que ce sera matériellement sans intérêt pour les utilisateurs de ne pas être connecté au réseau.
Aujourd’hui, par exemple, pour obtenir les notes de son enfant, il faut utiliser le réseau pour avoir accès au cahier scolaire, enfin au cahier de textes, il faut avoir accès au réseau. Du coup, le réseau est une nécessité. Et du coup, le terminal de l’utilisateur n’est plus quelque chose d’autonome. Est-ce que dans cette réflexion, le fait qu’on n’ait plus d’autonomie dans le terminal de l’utilisateur, est-ce que ça rend caduque l’intérêt de développer une informatique autonome ? C’est un exemple parmi beaucoup d’autres. Est-ce qu’on peut toujours comparer l’informatique d’aujourd’hui avec l’informatique des années 80, et dans ses intérêts, et dans ses buts ?
Véronique : Oui. Je comprends. Vous avez pris l’exemple d’aller voir les notes de son enfant. Il se trouve, par exemple, que l’ENT Lilie, qui vient de changer de nom, c’est la ministre de l’Éducation nationale qui en décidé ainsi, maintenant je crois que ça s’appelle monlycée.com [monlycée.net, NdT], c’est un logiciel libre. Cahier de textes, il y a un logiciel qui s’appelle cahier de textes, qui permet, par exemple, à une équipe pédagogique, de mettre à la disposition des classes des pdf et autres choses de ce genre.
Concernant cette réflexion elle-même sur le devenir de l’infrastructure des usages de besoins qui étaient initialement insoupçonnables, il me semble, et là je me réfère à ce qui est ancien et je vais me référer après à ce qui est actuel, il me semble que chaque fois qu’il y a eu une mise en garde – les portables sont des ordinateurs – il me semble que lorsqu’il y a une réflexion sur la multiplication des DRM, là on se réfère à de nouveaux usages – les liseuses sont quand même assez récentes dans les bibliothèques publiques – il me semble qu’à chaque fois la communauté, alors qu’il s’agisse de la FSF, qu’il s’agisse de l’April. Actuellement l’April demande, à la suite de l’Envoyé Spécial sur le rapport entre le ministère de la Défense et Microsoft, demande que soit communiqué le document [8] dont il a été question dans l’émission. Il me semble que, à mesure qu’il y a donc des accords, des changements de pratique commerciale, des changements dans la manière de poster sur des réseaux sociaux, il me semble qu’à chaque fois il y a toujours quelqu’un qui, sur une liste de diffusion, prend l’initiative de se demander si ce logiciel n’est pas privateur, si l’usage de telle permission, l’accord de telle permission à telle administration – ça s’est posé notamment avec les déclarations d’impôts en ligne, ça s’est posé à propos APB. APB c’est une pratique, Admission Post-Bac, qui a essayé de trouver des solutions aux flux d’étudiants et leurs désirs tout à fait légitimes de faire leurs études dans telle filière. Il me semble qu’à chaque fois qu’il y a soit un dispositif nouveau, soit une pratique qui s’intensifie, il me semble que la communauté libriste – alors ça peut être La Quadrature [9] pour tel point, plutôt Framasoft [10]+ pour des questions d’édition, plutôt l’April qui peut faire telle pétition sur tel rapprochement qui lui paraît fâcheux – il me semble qu’à chaque fois en tout cas, il y a une tentative de se demander aussi bien technologiquement que d’une façon éthique si cette manière de procéder ne pourrait pas être remplacée par une autre.
Là je faisais référence à l’actualité. Il se trouve que j’ai pu parler donc avec Richard Stallman il y a un mois de ce qu’il est en train d’écrire à propos de Facebook. Il se renseignait, à ce moment-là, pour savoir ce qu’il en était exactement de tel mur, de telle permission. Il me semble que chaque fois que quelque chose bouge dans l’informatique, il y a toujours alors si ce n’est l’April, si ce n’est la FSF, si ce n’est telle autre communauté, il me semble qu’il y a, en tout cas, une enquête, une tentative d’aller voir dans le code, alors pas nécessairement en faisant de la rétro-ingénierie, mais de voir quelles sont les exécutions, quels sont les paramètres à éviter. Oui ? Non ce n’était pas tout à fait la teneur de votre propos.
Public : Inaudible.
Véronique : Oui, c’est vrai, qui sont des ordinateurs. Oui. Je vois. Il y a des facilitations de mécanismes. C’est un petit peu ce que les sociologues disaient dans les années 70. Les sociologues disaient que l’homme contemporain allait de la grande surface au petit écran. C’est un peu ce qui est en train de se passer, c’est-à-dire qu’il y a des installations culturelles qui deviennent triviales, qui ne font plus question. Et pour vous répondre à propos des laptops, c’est vrai qu’il y a, quand vous allez sur le site de la FSF, une réflexion qui est très nourrie, pas seulement sur le software mais sur le hardware. Ne serait-ce que pour la question des portes dérobées qui sont plus faciles à installer dans tel matériel que dans tel matériel. C’est-à-dire qu’il y a aussi une prise en compte de ce qui, étant fabriqué à tel endroit sans que telle vigilance puisse être exercée, peut induire tel comportement. Et c’est vrai que la disparition de l’ordinateur, puisque là les portables ont un accroissement d’usage tel qu’il y a de plus en plus – moi je vois bien il y a de plus en plus de collègues qui font tout avec une tablette ou même avec un portable – pose des questions qui sont d’autant plus fortes que les pièges, les malwares sont plus importants dans les smartphones. Mais là je ne sais pas si j’ai complètement, non plus, accompagné votre réflexion. C’est une réflexion éthique, c’est une réflexion sociologique qui n’est pas dissociable. Encore une fois le mouvement GNU, ce n’est pas une affaire de techniciens, c’est aussi une affaire de tout être parlant qui s’interroge sur ses pratiques et de la manière dont ses pratiques sont considérées comme intrusives par telle ou telle structure politique ou économique. C’est la loi de Stallman. Je pense que c’est la loi de Stallman qui, dans tous les textes qu’on a évoqués à l’instant, est la loi qui dit que finalement c’est l’entreprise, c’est telle firme, qui fait les lois. Et c’est vrai que la question de CETA, signé avant même d’être ratifié par chaque pays, la question de la suspension de TAFTA dont on ne sait pas si elle va être effective ou non, là entre, je crois, dans les préoccupations que vous exposez. Mais je vous en prie.
Organisatrice : Est-ce qu’il y a d’autres questions ?
Public : Les problématiques que vous posez par rapport au fait qu’on vit dans un monde moderne où le problème ne se pose plus, en fait le problème se pose tous les jours dans votre téléphone. Android typiquement, avec Google, il y a eu un procès Oracle/Google qui montre que le logiciel libre est vraiment quelque chose qu’on « pensait libre », entre guillemets,comme Java. Il s’est avéré que Java n’était pas libre et que derrière tout ce qu’on pensait particulièrement accessible et finalement ouvert, et on a eu la surprise de s’apercevoir que finalement c’était fermé, qu’il y avait des brevets et qu’il y avait des gens qui étaient capables de sortir des avocats pour voilà. Un objet de tous les jours qui est votre Android, qu’on pensait libre, n’est pas libre typiquement. Ça a posé un certain nombre de questions.
Deuxième élément, le logiciel libre, ce n’est pas simplement ce qu’il y a sur votre poste, c’est tout ce qu’il y a aussi à l’extérieur de votre poste. Typiquement, quand vous installez un Wordpress, c’est un logiciel libre. Vous pouvez très bien, entre guillemets, l’installer sur un serveur qui vous appartient, mettre vos données à vous, sans être obligé de passer par Facebook. Il y a tout un ensemble, comme ça, de softs. Effectivement se pose la question de la propriété des données, à savoir est-ce que c’est la vôtre ou est-ce que c’est celle de quelqu’un d’autre ? Ça, ça reste entre guillemets de votre responsabilité.
Et troisième élément, c’est que, au niveau de votre tablette, il y aura toujours la problématique du travail offline, le travail que vous allez faire sans connexion. Je suis dans le TGV, je veux travailler offline. Je suis dans le métro, je veux travailler offline. Je suis dans une zone, il suffit de naviguer en France il y a plein de zones où le réseau n’est pas particulièrement accessible, vous allez travailler en offline. La question c’est votre logiciel que vous allez utiliser, quel sera-t-il ?
Et le dernier point, je dirai, ce sont les formats ouverts. La problématique qu’il y a, c’est que, l’air de rien, avec les plateformes SaaS, c’est-à-dire les plateformes hébergées pour lesquelles on n’arrête pas, moi c’est un sujet que je connais d’autant bien que je travaille dans l’éducation, donc je mets en place des plateformes libres pour l’éducation, il y a toute la problématique des formats fermés. C’est-à-dire qu’il y a des écoles, il y a des universités, il y a des institutions où on se retrouve bloqué, parce qu’en fait on ne veut pas transférer leurs cours. Pourquoi ? Parce que le format dans lequel ils ont stockés leurs cours, ils ont stockés leurs informations est un format fermé.
Donc justement, ce que disait madame tout à l’heure, je pense qu’il faut bien le suivre. Stallman, ce sont les années 70. Dans les années 80, c’était toujours d’actualité, dans les années 90… En fait, c’est juste que la forme change, mais le sujet est toujours le même, c’est juste la forme qui change. Et on a toujours l’impression que, finalement, c’est un peu passé. Mais en fait non ! Ça revient sous une nouvelle forme. Le temps qu’on s’accoutume, le temps qu’on se fasse avoir, eh bien effectivement, ça a rechangé de forme.
Véronique : Oui. C’est ce qu’on appelle la technologie insidieuse au sens du soft power. C’est-à-dire autant un hard power, c’est-à-dire un pouvoir qui réprime et qui impose est visible, s’il ne ruse pas avec l’apparence, autant il va y avoir donc par les portes dérobées, par des dispositifs de captation, autant il va y avoir un pouvoir effectif dont on espère que la majorité d’individus ne le verra pas. Je crois prolonger votre proposition.
Je vous remercie beaucoup de votre présence et comme je suis administratrice de l’April, si vous avez des questions sur l’actualité de l’April. Donc c’est vrai que à part de cette commémoration bien sympathique et bien festive des 20 ans de l’April, qui a lieu sur novembre et sur décembre, il y aura un événement à Paris en février parce là, il faut une salle particulière, il faut vraiment qu’on puisse se voir, échanger, d’une façon un peu préparée, c’est vrai que l’April et je le disais tout à l’heure du caractère circonstancié, nuancé, non manichéen, lucide, chaque fois qu’il sort, aussi bien un projet de loi qu’un nouveau type de logiciel qui lui, étant inconnu, va pouvoir être séduisant un certain temps avant d’être analysé, c’est vrai qu’il est important d’être sur la brèche. Ce que l’April, je crois, fait, comme la FSF assez bien.
Je vous remercie beaucoup.
Applaudissements</em