Humanisme et informatique libre : une lecture philosophique. Véronique Bonnet

Titre :
Humanisme et informatique libre : une lecture philosophique
Intervenant :
Véronique Bonnet
Lieu :
RMLL2015 - Beauvais
Date :
Juillet 2015
Durée :
31 min 56
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Description

Le but de cette communication est de montrer pourquoi les programmes éducatifs qui formeront les citoyens internautes de demain ne peuvent pas se réduire à une formation technique. Mais se doivent de reformuler les questions qui ont été celles de l’humanisme, sur la place de l’homme, son rapport aux autres et à lui-même dans l’usage qu’il fait des nouveaux dispositifs informatiques. L’exemple du projet de filière "humanités et sciences numériques".

Transcription

Humanisme et informatique libre. J’ai précisé « une lecture philosophique », pour que vous ne soyez pas surpris. Parce que, tout simplement, mes outils sont ceux de la philosophie. Il se trouve que je suis professeur de philosophie. Mais un professeur de philosophie qui essaie de retrouver dans les grandes questions qui mobilisent actuellement la communauté libriste - qui est celle de retrouver des formes que, peut-être, la philosophie a déjà visitées en d’autres temps - et, par exemple, la question de la place de l’humain par rapport à la technique. Je vais commencer par un postulat que je vais passer ensuite - (je pense que j’ai jusqu’à quarante, c’est ça ?) - que je vais passer, donc, un certain temps à essayer d’expliquer.
Je vais dire que les menottes numériques peuvent être, en même temps, des verrous existentiels. Qu’est-ce que j’entends par là ? DRM [1], menottes numériques, portes dérobées, portent atteinte à ce qu’on veut faire de l’informatique, mais peut-être aussi, parce que l’informatique touche à la vie même, à nos existences. Qui se trouvent endommagées, qui se trouvent pillées, parfois foulées aux pieds, par des entreprises qui, en position dominante, font de l’utilisateur un outil. Or, il se trouve que, surtout à partir de la Renaissance, une notion qui est celle de l’humanisme, essaie de concevoir l’humain non pas comme un moyen : je vais t’utiliser parce que telle donnée, tel profil qui est le tien m’intéresse bien. Parce que je vais pouvoir inonder éventuellement tes écrans de tel produit que je veux vendre. Ou alors ça m’intéresse beaucoup de voir avec qui tu corresponds, quel est ton sociographe, quel est ce dessin qui va vers différents destinataires, différents interlocuteurs. Parce que, si je le sais, peut-être que je pourrai avoir idée de toi. Je pourrai te proposer tel type d’assurance ou tel type d’ouvrage, pourquoi pas ? Or il se trouve que le free software, dans son projet [2] le plus important, essaie de bien faire la différence entre utilisateur et outil. Et que cette proposition, elle est humaniste, parce qu’on appelle humanisme une perspective qui essaie de classer l’être humain au centre, qui fait de l’humain la finalité de toutes les actions, peut-être que toute parole et toute action n’ont de sens, prononcées par des êtres parlants, que si elles visent à accueillir un autre humain, à le respecter, à essayer de savoir de lui ce qui pourrait, d’une façon tout à fait riche, enrichir ma trajectoire propre. Et c’est pourquoi, je vais me permettre - parce que les menottes numériques sont des verrous existentiels véritablement, et le projet du ’’free software

est de lutter contre cet asservissement marchand - je vais me permettre de faire un détour par quelques repères philosophiques qui, vous allez le voir, se trouvent comme reflétés, retravaillés, déplacés par la philosophie GNU, notamment, et, notamment, par beaucoup de textes de Richard Stallman.
Je vais commencer délibérément mon exposé par la Free Software Song [3]. Alors peut-être que c’est trop tôt, de bon matin, pour faire une chorale. On pourrait quand même essayer. Donc « When we’ll have enough free software at our call, hackers, at our call  », Donc « quand nous aurons suffisamment de logiciels libres à notre disposition, à notre service, hackers, à notre service », « we’ll kick out those dirty licenses for ever more, hackers, for ever more. », « nous pourrons jeter dehors, nous pourrons congédier ces licences sales, ces licences qui nous salissent, qui nous abaissent, hackers, pour toujours, pour toujours ».
Qu’est-ce qui est très remarquable dans cette proposition ? Parce que dans ce couplet de la Free Software Song, on fait l’hypothèse que certaines licences, par moment, aussi la chanson du logiciel libre parle de ’’hoarders, ceux qui spéculent, ceux qui font des piles d’argent sur le dos de l’utilisateur qui, du coup, est simplement une source de métadonnées, qui simplement permet une rente, permet, dans la position dominante de certaines entreprises, d’être une sorte de vache à lait ou de chair. On parle de chair à canons, on pourrait parler de chair à data, corvéable, utilisable. Je crois que la dernière métaphore de Tristan Nitot [4] était assez éclairante à cet égard, puisqu’il a parlé d’une analogie entre les clients de la ferme, après tout les animaux sont les clients de la ferme, alors qu’en réalité ils sont pourvoyeurs de saucisses, ils sont pourvoyeurs de gigots. Peut-être que les clients de Facebook, d’une certaine façon, qui se croient les clients de Facebook, sont des machines, sont des sources de data sonnantes et trébuchantes.
Après être partie de cette perspective de la chanson du free software, je vais faire deux postulats concernant le mouvement du logiciel libre. Premier postulat, il se trouve que la philosophie GNU [5] travaille très intensément sur la dissociation entre l’utilisateur et l’outil. Il se trouve que faire son informatique comme on veut remet l’être humain au centre, il y a ici un humanisme. Et non seulement remet l’être humain au centre, en interdisant qu’on confonde utilisateur et marchandise, dans l’asservissement qui est celui contre lequel le projet GNU s’est élevé, mais en plus, faire son informatique comme on veut, ce sera mon deuxième point, faire son informatique selon la liberté 0, c’est, d’une certaine façon, c’est aussi un postulat d’humanisme, se faire soi-même. Je me déploie, je me reconfigure, je m’installe dans l’existence un peu autrement lorsque, par les textes que j’écris, par les mails que j’échange, par cette pratique dans nos vies personnelle et professionnelle de tous les instants de l’informatique, pourvu qu’elle soit libre, je me façonne moi-même, en faisant mon informatique comme je veux. Et c’est donc en ce sens, donc ce sont les deux postulats qui rendent compte de cette hypothèse de verrous numériques qui sont en même temps des menottes existentielles. À la fois, donc, l’informatique fait de l’être humain une fin, et pas un moyen : il va falloir qu’il s’installe dans l’existence, qu’il installe l’autre, qu’il laisse l’autre s’installer dans l’existence. Il ne s’agit pas simplement de rappeler que l’homme est une fin, il s’agit aussi de dire que s’il est une fin, par l’informatique libre qui est la sienne, sans verrou, sans évaporation de data, et sans faux-semblants sur la place qui est la sienne, il se trouve que l’être humain se construit. Il se trouve que l’être humain, parce que son essence n’est pas close, sa manière d’être, contrairement à celle des animaux, n’est pas fermée, il se trouve que, faisant son informatique comme il veut, alors il se construit, il se façonne.
C’est pourquoi, après les quelques repères philosophiques rapides que j’aurai évoqués, je parlerai du free software dans sa dissociation de l’utilisateur et de l’outil, et je parlerai du free software, ça il ne faut surtout pas l’oublier, comme forme de récréation. Eh oui, Stallman rappelle que, à écrire du code, aussi, on s’amuse. Il ne s’agit pas simplement de gagner de l’argent, il s’agit de s’installer dans l’existence d’une façon joyeuse, récréation, création. J’envisagerai en quoi le free software fait de la pratique informatique une pratique d’auto-constitution, inventive de soi. Quelque chose de créatif, quelque chose de gracieux, quelque chose de joyeux.
J’en viens à mes quelques repères philosophiques. Je vais opposer terme à terme. Nous sommes à la fin du Moyen Âge, nous entrons dans ce qu’on appelle la Renaissance et l’humanisme de la Renaissance. Je vais vous les présenter, d’abord, d’une façon simultanée. Vous avez reconnu, peut-être, l’ « Homme de Vitruve », de Léonard de Vinci, c’est la deuxième œuvre. La première œuvre, c’est une œuvre des Frères Limbourg, qui est au musée de Chantilly, qu’on appelle « L’Homme et le Zodiaque » : basculement. L’humanisme de la Renaissance fait passer le statut humain…, vous voyez que là le statut humain est totalement corseté, l’être humain, qui est une créature déficitaire, une créature imparfaite, selon l’Antiquité et selon les théologies qui sont issues de l’Antiquité, est totalement comme déterminé par les formes célestes qui gravitent autour de lui, et ce qu’il est, et ce qu’il fait, est strictement tributaire d’un au-delà, d’une dimension qui est transcendante, dont il est simplement une chétive copie. Il est simplement une chétive copie de cela, il est simplement un être déficitaire. Et donc, dans « L’Homme et le Zodiaque », vous avez l’ensemble des formes des constellations, des dimensions qui sont comme un corset, et qui imposent à l’être humain une vie qu’il ne choisit pas. S’il est humain, il va pouvoir croître, se déplacer, contempler. Si c’est l’animal, [il] va simplement pouvoir croître et se déplacer. Si c’est une plante, elle va simplement croître. L’être qui, ainsi, est surdéterminé par des formes transcendantes, impératives, parfaites.
Qu’est-ce qui va se passer à la Renaissance ? Et je vais vous lire un texte de Léonard de Vinci dans son « Traité de peinture » : La Renaissance se réjouit que l’être humain soit imparfait. Elle se réjouit que un certain Épiméthée, l’étourdi, "celui qui pense après", Épiméthée, ait oublié l’être humain dans la distribution du venin au serpent, des griffes au lion, des écailles au requin. Il se trouve que Épiméthée a oublié l’être humain. C’est de toutes les créatures la créature la plus imparfaite, la plus inaboutie, la plus fragile. Et grâce à cette heureuse faute d’Épiméthée, et là c’est une constante dans la Renaissance, on se réjouit de cette imperfection-là, ça veut dire que l’être humain, au moins, incomplet, va pouvoir se donner une forme qu’il choisira, va pouvoir avec le feu prométhéen, avec la métallurgie, avec l’art des armes, avec la politique, avec les rapports entre cités, il va pouvoir se donner une essence, puisque, fort heureusement, il en est privé. Alors que le serpent, le requin, alors que la plante, ont déjà toutes les caractéristiques en elles, et chaque exemplaire de l’espèce est strictement l’exemplaire de l’espèce, modulo une transformation sur des générations et des générations. Tel n’est pas le statut de l’être humain qui, fort heureusement, est incomplet.
Que dit, par exemple, Léonard de Vinci dans son « Traité de peinture », lui qui se représente, d’une certaine façon, dans l’ « Homme de Vitruve » ? Et là, vous voyez que, dans l’ « Homme de Vitruve » l’être humain est le centre et non plus une sorte de réceptacle douteux de toutes les formes qui gravitent autour de lui. C’est lui qui par sa gestuelle, qui par son énergie, va dessiner, autour de lui, des configurations belles, des configurations inouïes, qui n’existaient pas parce que, fort heureusement, il est incomplet, et donc il doit se donner une forme. Forme qui ne sera pas standard puisque la vie qu’il va se donner sera une vie composée et non pas une vie imposée. Que dit, par exemple dans le « Traité de peinture » Léonard de Vinci ? Il va dire, alors là on est à la limite, on n’oublie pas qu’en 1600 un certain Giordano Bruno est passé au bûcher, avec ses livres, il va dire, donc Léonard de Vinci, que l’être humain, parce qu’il est imparfait, est un créateur, que l’être humain est comme un maître et un dieu. Qu’il a la puissance, s’il veut représenter la mer, de faire surgir, par ses tableaux, par ses représentations, et par ses pensées, ce qu’il veut. On pense là l’être humain comme une source et non plus comme un réceptacle de composants qu’il doit intégrer d’une façon impérative.
J’ai parlé de Giordano Bruno, je pourrais parler aussi bien de Galilée, de Descartes qui, apprenant ce qui est arrivé à Galilée, renonce à faire paraître son « Traité du monde ». Il se trouve que cet humanisme de la Renaissance connaît une certaine pause, notamment avec la Contre-Réforme, avec les guerres de religion, et cet humanisme ressurgit au moment des Lumières. Vous connaissez le 18e siècle comme le siècle des Lumières, le retour en force d’une tentative d’émancipation de l’être humain, que ça soit par l’Encyclopédie de Diderot, d’Alembert, que ça soit par des traités politiques, comme ceux de Montesquieu qui dissocie l’exécutif, le législatif, le judiciaire qu’il ne faut jamais oublier, dans nos revendications très actuelles et très présentes. J’ai choisi cette proposition d’un humaniste qui s’appelle Rousseau, qui fait partie des philosophes des Lumières, qui fait une différence très essentielle. Là il parle du droit d’esclave, qu’est-ce que c’est le que le droit d’esclave ? « Je t’ai vaincu, je peux te mettre à mort, je suis le vainqueur. Je te propose de t’épargner, mais si je t’épargne, tu deviens mon esclave ». Et ça donne quoi ? « Je fais avec toi une convention toute à ta charge et toute à mon profit, que j’observerai tant qu’il me plaira, et que tu observeras tant qu’il me plaira ». Vous voyez qu’on est ici dans une dissymétrie, on est ici dans un pacte léonin. Que fait Rousseau dans le « Contrat social » ? Il va dire que le seul rapport politique, concevable et légitime, entre des êtres parlants, c’est un contrat qui soit véritablement un contrat, c’est-à-dire une loi qui soit proposée et non pas imposée. Parfois, lorsqu’on pense à certaines lignes très petites des contrats de Google ou de Facebook, « je fais avec toi… », bon, il y a quand même des échos de ce pacte léonin , de ces rapports dissymétriques, de ces positions dominantes, que l’humanisme, cette fois-ci des Lumières, va essayer de manifester.
Celui qui fait la synthèse de ce resurgissement, de la dissociation entre un humain qui est le centre, qui est la finalité de tout ce qui a lieu, de tout ce qui est dit, de tout ce qui est réalisé, celui qui fait la synthèse pour le siècle des Lumières, c’est un certain Kant, qui va rappeler que lorsqu’un être humain est sous tutelle c’est qu’il y a une anomalie. Lorsqu’un être humain est dans une éternelle minorité parce que son gouvernant, même s’il est un despote éclairé, prétend qu’il n’est pas mûr pour la liberté, c’est là que certaines formes mécaniques, c’est là que certaines structures répétitives, sont privatrices. La notion de privation, qui est très présente dans la philosophie GNU, qu’on va voir après, est une notion qui est récurrente dans les textes d’Emmanuel Kant. Voilà un autre moment de « Qu’est-ce que les Lumières de Kant » : « les préceptes et les formules, ces instruments mécaniques, d’un usage raisonnable ou plutôt d’un mauvais usage de ses dons naturels sont les entraves d’un état de tutelle permanent ». Là, il essaie encore de penser un être humain qui n’est pas asservi, qui n’est pas le moyen pour d’autres de briller, qui n’est pas le moyen pour l’autre de se manifester, qui n’a pas ses droits foulés aux pieds par des formes mécaniques et des formes techniques, et par des institutions.
Dernier rappel, qui, cette fois-ci, est plus proche de nous. Il se trouve que l’existentialisme, par exemple l’existentialisme d’un Jean-Paul Sartre, d’un Kierkegaard, donc au 20e siècle, il se trouve que très près de nous, l’existentialisme est un humanisme au sens où - et d’ailleurs c’est le titre d’un ouvrage de Sartre « L’existentialisme est un humanisme »- Sartre rappelle, donc dans la droite ligne, aussi bien de la Renaissance, des humanistes de la Renaissance, dans la droite ligne des humanistes des Lumières, il y a le rappel que l’être humain, en réalité, "n’a pas d’autre législateur que lui-même. Il n’est pas enfermé en lui-même, mais présent, toujours, dans un univers humain, c’est que nous appelons l’humanisme existentialiste".
Pourquoi avoir suscité ces trois rappels ? Parce qu’il se trouve que dans la philosophie GNU on va retrouver exactement ce rappel que l’être humain, en aucun cas, ne peut être réduit au statut de moyen. C’est ma seconde partie, qui va s’appeler GNU, utilisateur, outil. Je rappelle que le projet GNU vient d’un dysfonctionnement, bon, d’un dysfonctionnement, certes, de driver d’imprimante, ou plutôt de programme qui donne les ordres au driver d’imprimante, mais surtout d’un dysfonctionnement, puisque celui qui a acheté une imprimante, celui qui devrait pouvoir légitimement s’en servir, ne le peut pas.
Je vais faire référence à trois textes de Richard Stallman. Le tout premier s’appelle « Pourquoi le logiciel doit être libre » [6]. Et là, alors c’est très drôle, je vous conseille tout à fait ce passage-là, il se réjouit que les recettes de cuisine ne soient pas à la même enseigne que les logiciels. Pourquoi ? Parce que supposons que quelqu’un soit au régime, supposons que quelqu’un ait besoin qu’on enlève du sel de ses plats, si jamais il en était des recettes de cuisine comme des logiciels, alors il faudrait payer très cher. Voilà ce que répond le médecin : « Je serais heureux de le faire : mes honoraires ne sont que de 50 000 dollars, et entre temps j’ai une demande de la marine, entre temps il faut que je fournisse des biscuits pour la mer, et donc veuillez passer votre chemin ». Analogie, ce qui se passe dans l’informatique privative serait ubuesque, exactement dans le même sens.
Un autre texte de Richard Stallman, « Logiciel libre et éducation » [7], et là, alors j’ai certainement dans le public de nombreux éducateurs, moi-même je suis professeur, dans ce texte, alors - j’ai mis à chaque fois où regarder dans la philosophie GNU - dans ce texte, il y a le rappel que éduquer quelqu’un, rendre autonome quelqu’un, ça n’est sûrement pas commencer par lui imposer des formes abusives, des formes dissymétriques, des formes privatrices. Et au sens où, dans l’éducation, le logiciel libre est plus qu’un dispositif technique, puisque c’est un dispositif d’émancipation, étant donné que celui qui l’utilise sait qu’il peut accéder au code source, il sait que ce qui l’émerveille peut être ramené à une chaîne de code. Et d’une certaine façon, ceci lui donne confiance, aussi bien, dans ses compétences à apprendre, aussi bien dans l’humanité, dans le patrimoine industriel, numérique de l’humanité, et ceci va l’aider, éventuellement, à grandir.
Un dernier texte de Richard Stallman [8]. Il se trouve que je suis membre de l’April, membre du conseil d’administration de l’April. L’April cette année a lancé une pétition [9] parce qu’étrangement, alors qu’il y a eu migration de la gendarmerie [10], qu’il y a eu migration du ministère de l’Agriculture, on attend toujours l’interopérabilité dans le monde de l’éducation. Donc, si vous êtes dans le milieu de l’enseignement, que ce soit comme élève, étudiant, enseignant, portez sur la place publique cette étrangeté qui voudrait que, comme l’Open Bar de la Défense [11], comme l’Open Bar de la Santé [12], il y ait, comme des reconductions de contrat avec Windows dans l’Éducation nationale. Ce qui, non seulement, est sur le plan comptable, sur le plan de la citoyenneté, évidemment un déni, il n’y a pas d’appel d’offres, mais qui, en plus, brise l’égalité de l’usager devant le service public. Il se trouve que l’April a lancé une pétition et ne cesse de travailler ce dossier institutionnel.
Je passe à mon dernier point, et je vais montrer, donc que je vais appeler « Free Software, récréation, création », à partir du moment où on rappelle que l’utilisateur n’est pas un moyen, mais une fin, faire son informatique soi-même, faire son informatique comme on veut, c’est, en même temps, se faire soi-même. Donc, dimension récréative, libérale. On n’est pas dans une pratique qui est mercenaire. Je conseille cette lecture. C’est un texte qui s’appelle « Pourquoi le logiciel doit être libre », Richard Stallman rappelle que coder est amusant, que coder fait plaisir. Autrement dit, certains, pour faire de l’archéologie- ceux qui sont les fadas des temples et des pierriers-, ceux qui, pour la musique classique, ceux qui dans des métiers extrêmement peu payés, mais tout à fait gratifiants d’un point de vue humain, consentent à faire de leur passion leur métier néanmoins, ceux-là devraient pouvoir faire de leur passion pour le code, pour le logiciel libre, qui est gratifiant, qui est réjouissant, quelque chose aussi comme une tâche libérale, quelque chose qui ne va pas tomber sous la coupe de marchés, d’embauches, de situations dominantes, qui incitent ceux qui font du code à se tourner vers le logiciel privateur.
Un autre texte, que vous connaissez très certainement. Vous avez dans cette « histoire de l’informatique », de Philippe Breton, des références à des rêves, des références, éventuellement, à des formes de phantasmes. Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à écrire du code ? Et Philippe Breton montre que créer une intelligence artificielle, qu’avoir pour interlocuteur, éventuellement, un système c’est aussi inventer une autre manière d’exister, c’est inventer une autre manière d’être humain, d’être homme, d’être femme. Si j’avais à retenir dans cette « histoire de l’informatique » -et je ne vais pas abuser de votre patience, et j’ai bientôt fini- si j’avais à me référer, par exemple, à la Renaissance : Philippe Breton se réfère à Paracelse, qui est un grand alchimiste, et se demande si le rêve de certains geeks n’est pas de créer de toute pièce autrement qu’ en faisant un enfant, créer de toute pièce une forme intelligente. Vous savez que Marie Shelley dans son « Frankenstein », c’est aussi une référence de Philippe Breton, montre comment un homme, par un éclair galvanique, arrive à constituer un homme. On a ici, je dirais, tout le versant onirique, tout le versant inventif, et lorsque Marie Shelley écrit son « Frankenstein », elle le fait en compagnie d’un certain Lord Byron, père d’une certaine Ada [13] qui, à côté de Charles Babbage, avec des algorithmes, avec les nombres de Bernoulli, va arriver à des formes abstraites, à des formes conceptuelles, absolument magnifiques.
D’où, et ceci sera ma conclusion, je termine par une œuvre de la Renaissance, qui s’appelle « L’allégorie de la Simulation », d’un certain Lorenzo Lippi. Théorie de la simulation. Que les masques ne soient pas pour nous, même si la référence à Anonymous, même si la cryptologie est plus que jamais à l’ordre du jour, que les masques ne soient pas simplement manifestations d’une occultation, d’une manière de rendre invisible le visible. Que faisons-nous lorsque nous faisons de l’informatique, lorsque nous concevons des manières inédites d’écrire du code ? Nous sommes dans une démarche joyeuse, qui va dynamiter les apparences, qui va faire de l’être humain quelqu’un d’autre, absolument non superposable à tous les autres. Autrement dit, lorsque nous écrivons du code, avec le logiciel libre, nous hackons, de manière joyeuse, aussi, les définitions que l’être humain a eues jusque-là.
Je vous remercie de votre attention.
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