François Bayrou : Je suis très intéressé par l’univers du logiciel libre. Pourquoi suis-je intéressé par l’univers du logiciel libre et que j’ai tenu à ce que tout se fasse en logiciel libre, en open source, comme vous dites ?
David Abiker : C’est un mot que vous aimez bien. On sent que vous avez travaillé. Il a travaillé !
François Bayrou : Non ! Vous vous trompez complètement !
David Abiker : Il n’y a pas de honte à travailler !
François Bayrou : Ça n’est pas ça la question. C’est un univers que je fréquente. J’arrive à comprendre comment il fonctionne, parce que c’est une des clefs, et je ne fais pas d’effet d’apparence.
Pourquoi suis-je intéressé par l’univers du logiciel libre ? Pourquoi suis-je intéressé par l’univers wiki ? Parce que ce sont des modèles de société non-marchands. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des gens qui, à partir de logiciels libres, ne font pas du marchand, ne créent pas des activités économiques. Wikipédia, pour prendre un exemple, c’est tout de même impressionnant qu’il y ait une encyclopédie de centaines de milliers de pages sur tous sujets, sans que personne n’ait été là pour des raisons marchandes.
Philippe Cohen : Vous allez vous fâcher avec beaucoup de professeurs agrégés en disant ça, qui se méfient beaucoup de Wikipédia, je pense à monsieur Assouline par exemple.
François Bayrou : Excusez-moi, mais professeur agrégé, dans ma vie, vaguement ça m’est arrivé il y a très longtemps, donc je l’ai oublié et je crois en connaître un certain nombre, y compris parmi mes enfants, donc je sais comment ils fonctionnent. Wikipédia, ça a des défauts, naturellement on peut s’en méfier, comme de tout, de la Britannica aussi on peut se méfier. Je peux citer des articles avec lesquels je suis en désaccord y compris dans les encyclopédies papier, y compris dans Universalis. je ne suis pas d’accord avec tout dans Universalis et dans Wiki non plus, je ne suis pas d’accord avec tout, je vois bien qu’on peut faire des manips. Mais pour l’essentiel ! Ne prenez pas le petit défaut ou la petite faille, prenez le fait massif ! Il y a là une encyclopédie, free, libre d’accès, à disposition de tout le monde, qui a été développée par des esprits généreux qui ont simplement voulu faire partager à d’autres ce qu’ils savaient. Vous ne trouvez pas que c’est intéressant ? Vous ne trouvez pas que c’est intéressant qu’on ait des logiciels, des systèmes d’exploitation qui soient constamment enrichis bénévolement ou gratuitement.
Philippe Cohen : Donc le savoir peut venir du bas.
François Bayrou : Pour moi, il y a donc là un projet de société qui est intéressant, au moins à regarder et à réfléchir, parce qu’il veut dire que la loi du profit ne commande pas tout. Qu’elle n’est pas totalement absente, nous ne sommes pas naïfs, bien sûr que les raisons économiques sont à prendre en compte, mais elles ne doivent pas prendre la place de toutes les autres raisons de vivre, raisons de chercher, raisons d’enseigner, raisons de transmettre, raisons de s’élever, raisons de créer, etc.
Philippe Cohen : Pourquoi faites-vous l’apologie d’un univers dans lequel il n’y a une régulation au moins discutable, si vous voulez, alors que, par ailleurs, on a vu à quels excès ça pouvait conduire dans le reste de la société ?
François Bayrou : Ce n’est pas vrai ! Je pense, Monsieur Cohen, que vous avez un problème avec la modernité !
Philippe Cohen : Pas du tout. La preuve, je vous écoute.
François Bayrou : Je vous le dis, il faut que vous vous détendiez. De toute façon, ça vient, la modernité. Et quant à Wikipédia c’est précisément, en tout cas normalement dans ses principes, un univers régulé, parce qu’il y a des comités de lecture, il y a des gens qui donnent leur appréciation et vous avez des tas d’articles, je ne sais pas si vous fréquentez Wikipédia, où il y a une notation qui dit : « Le fait qui est avancé par l’auteur de l’article n’est pas assez prouvé », ou bien : « À cet endroit-là il manque des éléments d’information. » C’est un univers régulé.
Philippe Cohen : Auto-régulé. Voilà ! C’est le même principe.
David Abiker : L’année dernière, deux élus locaux de Montpellier se sont retrouvées, pour l’une, scientologue dans Wikipédia et pour l’autre ancien criminel sexuel. Faits divers électroniques, mais Wikipédia ?
François Bayrou : Il y a plein d’excès ! Si vous saviez ce qu’on écrit dans les tracts qu’on distribue dans les bagnoles ! On écrit des horreurs, il y a plein d’excès, bien sûr, mais il y a la loi pour réprimer ça ! Si c’est malveillant, si c’est diffamatoire, il y a la loi, il n’y a qu’à faire respecter la loi !
C’est important pour beaucoup de ceux qui vous écoutent, sur le Net en particulier, il y a là quelque chose qui donne de l’espoir dans la nature humaine. Alors comme tout, pas que de l’espoir, mais il y a là quelque chose qui permet d’avoir une autre vision de l’avenir de l’humanité que cet avenir écrasé qu’on nous promet par ailleurs. Ça va peut-être nous permettre de reboucler avec le début de cette émission,
David Abiker : Vous nous proposez une conclusion, en fait.
François Bayrou : Si vraiment, ce que je crains, on est en train, en France, de mettre en place un réseau d’influence et de pouvoir sur des secteurs entiers de la société, où est la capacité de résistance ? Si vous êtes un citoyen moyen, un jeune garçon, une jeune fille, que pouvez-vous faire ? Vous défilez une fois et, après, il n’y a plus de défilé comme vous savez. Eh bien il y a là, dans cette culture civique, quelque chose qui donne de l’espoir, qui, en tout cas à moi, donne de l’espoir.