Diverses voix off : Comment ça va ? Je respire, l’air est pur, tout est calme, je me détends.
C’est beau.
L’été comme jamais
Dorothée Barba : Bonjour à tous. Bonjour à toutes. C’est beau un marronnier, mais ça complique parfois notre rapport au monde. Attention, je ne parle pas de l’arbre, je jargonne. J’aime beaucoup les jargons, je vous le disais déjà hier, les vocabulaires propres à une profession sont souvent drôles, poétiques, inattendus, ils ont le charme d’un secret pour initiés. Pour les journalistes, le marronnier c’est un sujet qu’on a déjà traité mille fois et qu’il faut tenter de réinventer, comme le reportage à la plage. Mais ce marronnier appartient aussi à un autre jargon, celui des wikipédiens. Les internautes qui écrivent et modifient les articles sur Wikipédia appellent marronnier un sujet de discorde récurrent, un débat sur ce qu’il faudrait écrire dans tel ou tel article et je peux vous dire qu’elle est dense, très dense la forêt des marronniers.
L’encyclopédie en ligne fête ses 20 ans cette année. Elle est corrigée, complétée, recorrigée et recomplétée en permanence en temps réel. Or, elle incarne une vision du monde, une fenêtre ouverte sur la réalité. Que devient la réalité si la fenêtre change tout le temps ?
Quand on parle de Wikipédia, on interroge notre rapport au savoir. Le sujet est bien moins geek qu’il en a l’air. C’est parti : « Le Monde selon Wikipédia ».
Voix off : Dorothée Barba sur France Inter.
Dorothée Barba : Avec trois invités en direct jusqu’à 10 heures, deux ici en studio et un à distance.
Bonjour Diane Ranville.
Diane Ranville : Bonjour.
Dorothée Barba : Bienvenue. Vous êtes scénariste de bandes dessinées, traductrice, ça c’est votre casquette professionnelle si j’ose dire, et vous êtes aussi membre du conseil d’administration de Wikimédia France [1]. Peut-être faut-il, avant toute chose, préciser à quoi sert cette association et quel son lien avec les contenus qu’on lit dans Wikipédia.
Diane Ranville : Wikipédia est une encyclopédie en ligne qui a sa communauté de contributeurs. Wikimédia France est un petit peu à Wikipédia ce que les Amis du Louvre sont au Louvre, c’est-à-dire que c’est l’association qui soutient l’existence de Wikipédia, notamment en faisant des choses auxquelles les contributeurs ne pensent pas. Les contributeurs sont vraiment sur le contenu éditorial. Notre association n’intervient pas du tout sur le contenu éditorial, mais on va essayer de faciliter l’activité des contributeurs en faisant notamment du lobbying par exemple, plutôt du plaidoyer auprès des politiques pour favoriser les licences libres [2] qui sont indispensables à l’existence de Wikipédia, pour défendre un certain modèle d’Internet qui permet l’existence du site.
Dorothée Barba : C’est donc un travail d’accompagnement de cette encyclopédie en ligne. C’est un travail bénévole pour vous ?
Diane Ranville : Oui.
Dorothée Barba : Bonjour Rémi Mathis.
Rémi Mathis : Bonjour Dorothée Barba.
Dorothée Barba : Bienvenue. Vous êtes historien, conservateur à la Bibliothèque nationale de France et wikipédien, autrement dit contributeur de cette encyclopédie. Vous avez présidé Wikimédia France pendant quatre ans et vous êtes l’auteur, chez First Éditions, de Wikipédia - Dans les coulisses de la plus grande encyclopédie du monde. Quel est le dernier article que vous ayez touché, corrigé ou complété, Rémi Mathis ?
Rémi Mathis : Bonne question. Hier nous avons regardé l’article sur Kellermann, le vainqueur de la bataille de Valmy, parce que ma fille qui a deux ans va au parc Kellermann et on voulait en savoir plus cet individu.
Dorothée Barba : Avez-vous apporté une modification à cette fiche sur Kellermann ?
Rémi Mathis : Non, même pas.
Dorothée Barba : Tout était tout bon.
Rémi Mathis : Là c’était vraiment prendre le savoir. Ça prend du temps de faire des modifications, ça veut dire repartir dans les livres, chercher les sources. Là c’était juste regarder rapidement.
Dorothée Barba : Donc là vous étiez un internaute lambda, si j’ose dire.
Rémi Mathis : Tout à fait. Oui.
Dorothée Barba : Ça vous arrive aussi parfois.
Rémi Mathis : Avec mon père et ma petite fille, donc vraiment comme tout le monde.
Dorothée Barba : Mon troisième invité est écrivain, je vais vous le présenter en lisant sa fiche Wikipédia, bien sûr : « Antoine Bello, né le 25 mars 1970 à Boston est un écrivain et entrepreneur français et américain ». Bonjour à vous Antoine Bello.
Antoine Bello : Bonjour Dorothée.
Dorothée Barba : Merci de participer à cette émission. Plusieurs romans publiés chez Gallimard Les Éclaireurs, Ada ou encore L’homme qui s’envola et si nous vous avons invité ce matin c’est parce que vous versez tous vos droits d’auteur à Wikipédia. Vous êtes, Antoine Bello, un grand fan de cette encyclopédie participative, c’est peu de le dire.
Antoine Bello : Oui, je suis un grand fan depuis que je l’ai découverte comme beaucoup, comme utilisateur, comme utilisateur assez intensif pour la préparation de mes romans. Pour la documentation c’est un outil absolument incroyable, notamment par la capacité qu’il offre de sauter d’article en article. Quand j’ai écrit un livre sur l’intelligence artificielle, je pars de cet article « Intelligence artificielle », mais on peut ensuite bondir de thème en thème, découvrir toutes les grandes figures, toutes les grandes controverses, je trouve que c’est absolument incomparable comme expérience de découverte de la connaissance. Et oui, j’ai eu envie d’en faire plus, je trouve que c’est un projet absolument magnifique. Je ne méconnais pas qu’il a besoin de fonds, ne serait-ce que parce qu’il a une infrastructure technique, qu’on a besoin d’entretenir des structures. Vos autres invités sont ou ont été bénévoles mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des frais qui sont liés à l’administration de Wikipédia. Et puis il y a tout un travail, dont on ne parle pas souvent mais qui est très noble, où Wikipédia par exemple, enfin la Wikimedia Foundation paye les frais de justice de gens qui sont mis en examen dans leur pays parce qu’ils ont écrit quelque chose qui avait l’heur de déplaire aux gouvernants. C’est très beau et qui va le faire sinon Wikipédia qui a besoin d’argent pour faire ça.
Dorothée Barba : Nous n’avons invité ce matin aucun opposant, aucun ennemi à Wikipédia et c’est tout à fait assumé. L’ambition n’est pas de s’écharper ou de débattre mais de mieux comprendre comment ça marche et surtout comment cet outil modifie notre rapport au savoir collectivement. Ça n’empêche pas, bien sûr, les auditeurs et auditrices de formuler des critiques ou des louanges ou des questions ou des anecdotes. J’attends vos messages sur le site et sur l’application France Inter et également par téléphone 01 45 24 7000.
Croyez-vous qu’on puisse décider comment on se présente soi-même sur Wikipédia ? Oh que non ! Ce serait trop facile. On va y venir. C’est L’été comme jamais.
Pause musicale : Viens, je t’emmène , France Gall.
Dorothée Barba : Nous avions prévu de vous faire écouter France le 14 juillet et ce n’était même pas exprès, France Gall sur France Inter.
Je vous emmène ce matin dans le monde merveilleux de Wikipédia, ce site internet sur lequel vous tombez à chaque recherche Google, à chaque question que vous vous posez sur une info, une date, un écrivain. Wikipédia a 20 ans cette année.
J’aimerais vous raconter comment l’écrivain Philip Roth a cherché des noises à Wikipédia.
Philip Roth, traducteur en off : On a la responsabilité d’écrire du mieux qu’on peut. Il le faut, une fois qu’on a fait ça on est tranquille. On peut faire tout ce qu’on veut, on n’a aucune responsabilité envers quiconque. On a une responsabilité envers la littérature, l’une des grandes causes perdues de l’humanité. On a une responsabilité envers la littérature et comment se comporte-t-on de manière responsable ? En s’impliquant dans son livre avec tout ce qu’on a. Que peut faire la littérature ? Bien peu ! Elle ne fait pas grand-chose, mais elle est bigrement importante.
Dorothée Barba : La voix d’un écrivain bigrement important lui aussi, Philip Roth interrogé ici par François Busnel. Cet écrivain américain, décédé en 2018, a eu maille à partir avec Wikipédia et l’histoire est racontée dans un nouveau titre de presse qui s’appelle Live Magazine. C’est un trimestriel proposé par le groupe Bayard. Ce numéro 1, qui vient de sortir, est une très belle réussite. On y trouve des histoires de vie, de secrets, de mensonges, de faussaires, ça fait écho, Antoine Bello, avec l’un de vos romans, L’homme qui s’envola, et vous y lirez un article titré « Il ne faut pas faire chier Wikipédia », il est signé de la romancière Alice Zeniter. Elle nous raconte, avec beaucoup de talent et beaucoup d’humour, cette histoire folle. En 2012 Philip Roth consulte l’article Wikipédia consacré à l’un de ses romans, La Tache. Il lit, dans cet article, que le personnage principal du livre, un universitaire accusé de racisme, est inspiré d’un certain Anatole Broyard. Philip Roth s’étouffe ; cette information est fausse. Il va charger son biographe de corriger l’article. Le biographe s’exécute, il enlève la phrase en question sur Wikipédia, mais sa correction est retoquée au motif que la source n’est pas crédible.
Question, Rémi Mathis : qu’est-ce donc que cette encyclopédie qui n’accorde pas à un écrivain le droit de savoir mieux que les autres ce qu’il y a dans son propre roman ?
Rémi Mathis : C’est un excellent exemple parce que ça pose justement plein de questions.
D’abord ça pose la question de qui parle. Quand le biographe arrive pour faire des modifications, personne ne sait qui est cette personne, personne ne sait s’il parle réellement au nom de Philip Roth, personne ne sait exactement ce qu’il en est. Ce qui est important sur Wikipédia ce n’est pas qui on est, c’est est-ce qu’on a des sources pour affirmer les choses et, du coup, est-ce que le texte est en relation avec ces sources globalement acceptées ?
Après il y a un deuxième problème de fond qui, en réalité, n’est pas exactement ce que vous avez dit. C’est-à-dire qu’il y avait marqué, dans cet article, non pas que c’était inspiré de cette personne-là mais que, d’après un critique littéraire important qui avait écrit dans The New York Times, ça lui rappelait l’histoire de cette personne-là. Ça disait aussi que Philip Roth avait dit qu’en fait il ne connaissait pas cette personne-là mais que c’était plutôt inspiré d’une autre personne. C’est un des principes très important sur Wikipédia qui s’appelle la neutralité de point de vue qui est que, étant donné que Wikipédia est écrit par des gens qui ne sont pas forcément des spécialistes, ils doivent juste rapporter ce qu’on sait sur un sujet. Donc, dans un cas tel que celui-là, ce que l’on sait sur un sujet c’est ce qu’en dit l’auteur lui-même et ce qu’en ont dit des spécialistes reconnus. Donc qu’un critique dise que ça lui rappelle…
Dorothée Barba : Un critique, le biographe, celui qui est le mieux renseigné quand même sur le cas de l’écrivain.
Rémi Mathis : Oui, mais il y avait finalement deux points de vue sur cette histoire l’une de Philip Roth et de son biographe et l’autre d’un critique littéraire très reconnu.
Dorothée Barba : Et les deux point de vue se valent ?
Rémi Mathis : Les deux points de vue ne se valent pas, mais les deux points de vue sont attribués à leurs auteurs et sont présentés au lecteur pour qu’il puisse se faire son avis sur la question.
Dorothée Barba : Comment s’est terminée cette querelle entre Roth et Wikipédia ? Vous nous racontez la suite, Rémi Mathis.
Rémi Mathis : Globalement il ne s’est passé grand-chose si ce n’est que des dizaines de personnes sont allées creuser un petit peu toute cette histoire et on est resté sur un paragraphe plus fourni, qui explique un petit peu tout, mais qui reste sur l’idée que l’auteur n’a pas le monopole du discours sur son œuvre et qu’il est normal de présenter les différents points de vue. C’est vraiment le principe de Wikipédia.
Dorothée Barba : Cela renseigne, au passage, sur une information savoureuse, ce que précise Alice Zeniter dans son papier : l’immense Philip Roth tapait parfois son nom dans Google pour vérifier ce qu’on disait de lui.
Antoine Bello vous faites pareil j’imagine ?
Antoine Bello : Oh !, on le fait tous je pense, d’une façon ou d’une autre. Ce que vient de dire Monsieur Mathis est vraiment très important. Est-ce qu’on imagine Donald ; Trump écrire lui-même sa notice Wikipédia ? Je crois qu’on a tous envie d’être préservés de ça. Pourtant il est d’absolue bonne foi, il nous expliquerait ce qu’il faut penser de l’attaque du Capitole ou de sa présidence merveilleuse.
Dorothée Barba : Sauf que là on est dans la fiction, Antoine Bello ; lui-même a briqué cette fiction.
Antoine Bello : Justement. Je comprends. J’ai été exposé d’une certaine façon à ça, pas de la même façon, pas sur une erreur factuelle, mais d’une certaine façon. Ce qui est parfois le plus énervant dans les notices sur Wikipédia, je ne suis pas le seul à le dire, c’est qu’elles s’accrochent à un petit détail qui est parfaitement anecdotique dans la vie d’un auteur ou d’une personnalité, qui est monté en épingle et qui finit par représenter 5 % ou 10 % du contenu de la note biographique, comme si ça prenait tout à coup une importance démesurée. Et pour faire sauter cette chose-là ou pour la mettre en contexte, on s’expose, en effet, à des grandes difficultés, parce qu’il faut pouvoir prouver, parce qu’il faut avoir des sources. Philip Roth avait beaucoup de sources à son appui. Quelqu’un comme moi, qui n’a pas non plus des articles sur lui tous les quatre matins, ça devient presque plus difficile de prouver quelque chose, que quelque chose n’existait pas, que pour la première personne qui a avancé un fait ou, peut-être, parce que c’était plus tôt à une époque où Wikipédia avait aussi des standards moins rigoureux, cette personne a pu le faire plus facilement.
Sur le principe, en tant qu’utilisateur de Wikipédia, moi je suis absolument attaché à ce principe de la neutralité de point de vue et c’est ça qui fait tout le sel de Wikipédia. C’est-à-dire que, vraiment, on sait qu’on peut aller sur n’importe quelle fiche et avoir pas un avis justement, mais des faits qui sont rapportés. Libre à chacun de se faire son avis. Je pense que c’est exactement le plus important : Wikipédia est fondée, est complètement sous l’empire de la raison. Parfois on me dit « mais tu vas sur Wikipédia, si tu penses quelque chose tu le penseras toujours après. Si tu pensais le contraire, tu n’auras rien trouvé pour te démentir ». Je trouve ça pas mal.
Dorothée Barba : C’est le biais de confirmation nous diraient les spécialistes du cerveau.
Antoine Bello : Ça veut dire, quelque part, qu’il y a toujours un effort de réflexion à faire et que si on n’est pas prêt à le faire, oui, on trouvera toujours, dans les faits qui nous sont rapportés, des éléments qui plaident pour notre cause. Pour moi c’est ça la richesse absolue de Wikipédia. Il faut préserver ça quitte à ce que ça crée des petits désagréments à Philip Roth ou à d’autres.
Dorothée Barba : Philip Roth, en l’occurrence, a écrit une lettre à l’encyclopédie en ligne, une lettre ouverte [3] publiée à l’époque dans le New Yorker : « Cher(e) Wikipédia, je suis Philip Roth... » et cet article a servi ensuite de source crédible pour corriger l’article.
Diane Ranville, tout est toujours affaire de sources ?
Diane Ranville : Oui, bien sûr. Je vérifiais à l’instant l’article et désormais l’article dit simplement que Philip Roth a réfuté l’hypothèse selon laquelle son personnage serait inspiré d’Anatole Broyard. Donc à présent l’article est conforme, on va dire, à la réalité, c’est-à-dire qu’il évoque l’hypothèse et il explique que l‘auteur a réfuté lui-même cette hypothèse.
Évidemment, les sources c’est complètement crucial comme disait Rémi Mathis à l’instant. Sur Wikipédia on est tous des anonymes ou, en tout cas, des pseudonymes et, pour attester de ce qu’on raconte, il faut mettre des sources et c’est ça qui permet, en fait, la traçabilité de l’information. C’est aussi ça qui permet, en tant que lecteur ou lectrice, qu’on puisse retrouver d’où vient l’information, la tracer et, tout simplement, ne pas prendre les choses pour argent comptant. On est aussi mis dans une position active de pouvoir aller rechercher les sources et avoir un regard critique sur ce qu’on nous présente.
Dorothée Barba : Est-ce qu’on peut y voir, d’une certaine manière, le royaume du soupçon permanent ? Ou du doute, pour le dire plus poliment.
Diane Ranville : Oui. Le royaume du soupçon, du doute pour le dire de manière plus positive. Le royaume du doute et aussi le royaume, disons, d’une volonté de recherche de vérité qui est quand même au cœur de la philosophie de Wikipédia, de son utopie aussi. On est quand même sur un projet quasiment utopique de vouloir mettre l’intégralité du savoir humain à disposition de l’entièreté de l’humanité. C’est quand même un projet fou.
Dorothée Barba : Une auditrice nous appelle de Marseille. Bonjour à vous Claire. Soyez la bienvenue. Vous avez une question.
Claire, auditrice : Bonjour. Elle est simple. Un de mes neveux est peintre-sculpteur, il est né en France, je donne son nom pour qu’on puisse vérifier, il s’appelle Clet, son prénom Abraham. Dans sa fiche Wikipédia il est indiqué qu’il est né à Séville et qu’il est de nationalité espagnole.
Dorothée Barba : Les invités vérifient en temps réel. Attention !
Claire, auditrice : C’est pour ça que j’ai donné le nom, en même temps vous constatez dans le corps du texte qu’il est Français. Donc il est français, mais il est de nationalité espagnole et il est né à Séville or il est né en France, il n’est pas du tout espagnol et il habite à Florence et pas du tout à Séville. Bref ! Tout ça pour dire qu’à plusieurs reprises il a essayé de changer les coordonnées qui lui sont attribuées, qui ne sont pas du tout exactes, mais il n’a jamais pu obtenir la vérité, un peu comme Philip Roth, sauf qu’il n’a pas la notoriété de Philip Roth, même s’il a une bonne notoriété.
Dorothée Barba : Merci beaucoup pour cette intervention Claire. Bonne journée à vous. Effectivement, c’est assez vertigineux cette question. On n’est pas maître de sa propre biographie sur Wikipédia ? Diane Ranville.
Diane Ranville : Oui, effectivement. En fait ce qu’il faudrait c’est qu’il y ait une source qui atteste de ce lieu de naissance.
Dorothée Barba : Lui-même s’il le dit, c’est lui qui le dit.
Diane Ranville : En fait, pour pouvoir retrouver l’information il faut qu’il le dise par exemple à France Inter, il vient ici. il dit « bonjour je suis né… »
Dorothée Barba : Quelle pression sur nos petites épaules !
Diane Ranville : Peut-être qu’on pourra utiliser cette émission comme source.
Dorothée Barba : Ah oui ! Rémi Mathis ? Est-ce que c’est possible ça.
Diane Ranville : Est-ce que c’est possible ’ Qu’est-ce que tu en penses ?
Dorothée Barba : Être quelqu’un de sa famille et appeler ce matin en direct pour dire...
Diane Ranville : Non, je pense qu’il faudra une publication en fait.
Rémi Mathis : Ce qu’on appelle une source c’est une source vérifiable, publiée si possible par un spécialiste, au maximum un catalogue d’exposition, etc., au pire une interview dans le monde journaliste.
Dorothée Barba : Au pire ! Je vous remercie !
Rémi Mathis : Il y a en effet plusieurs niveaux de crédibilité des sources. Les articles scientifiques sont au maximum, les publications grand public et, dans une interview, on sait très bien que si je vous dis que je suis né à Marseille, vous n’en savez rien. Je peux dire n’importe quoi et ça ne sera pas une source.
Donc précisément une source est censée être quelque chose de vérifié par une autorité sur le sujet. Je ne doute pas que sa tante dise la vérité, mais ce n’est pas une source. Ce qu’il faut c’est comprendre ce qui s’est passé sur cet article. Très important, lié à chaque article il y a un historique qui permet de voir les différentes couches, qui a modifié, à quel moment.
Dorothée Barba : Il faut cliquer en haut à droite sur « Voir l’historique ».
Rémi Mathis : Voilà. Comprendre un petit peu ce qui s’est passé sur cet article et essayer de le réécrire en se fondant sur les bonnes sources.
Dorothée Barba : Antoine Bello, que vous inspire l’histoire de cette auditrice ?
Antoine Bello : Je pense qu’elle est relativement classique, mais il faut absolument tenir bon, d’ailleurs je ne crois pas que Wikipédia ait l’intention de baisser les armes sur ce sujet. Les sources doivent passer avant tout. Vous disiez « quel monde que celui où les artistes ne peuvent pas contrôler leur propre biographie », mais heureusement ! Vous donnez la parole à des artistes et vous les laissez écrire leur biographie Wikipédia, ça serait un déversement d’égos et de contre-vérités, on passerait sous silence les moments un peu embarrassants. Il faut absolument éviter ça.
Il y a un élément de Wikipédia qu’on ne mentionne pas et je m’en excuse auparavant, ce n’est peut-être pas totalement le thème de l’émission, mais Wikipédia est disponible en 300 langues. Tout à l’heure vous me demandiez pourquoi j’ai donné mes droits d’auteur à Wikipédia, c’est peut-être l’élément le plus important. Vous avez aussi dit que Wikipédia c’est une vision du monde. Non, justement, Wikipédia ce sont 300 visions du monde ! C’est vertigineux !
Vous prenez la fiche de quelqu’un qui est dans presque dans toutes les langues, vous prenez la fiche de Barak Obama et vous allez lire sa biographie sur le site américain, le site français, le site kényan, un site justement néo-zélandais, vous allez avoir des variations, vous allez avoir une tonalité qui est complètement différente. C’est absolument crucial. C’est en cela que c’est un outil pour les historiens, c’est un outil pour les sociologues, c’est un outil pour tous les chercheurs, c’est un outil pour les citoyens.
J’ai découvert Wikipédia en 2002 au moment où je suis arrivé aux États-Unis et où on était en pleine phase de montée vers la guerre, les États-Unis se préparaient à envahir l’Irak et les Français, comme on le sait, étaient vent debout contre la guerre. C’est vraiment à cette occasion, j’ai presque honte de le dire tellement j’avais l’air naïf avant, que j’ai commencé à lire les presses des deux pays et à me rendre compte à quel point elles ne racontaient juste pas la même histoire. Il y avait des faits qui se déroulaient tous les jours et je les voyais rapportés par The New-York Times, The Wall Street Journal, Le Figaro, Le Monde et tout et je ne lisais pas la même histoire.
Wikipédia c’est exactement ça avec, en plus, cette sorte de « on tend vers la vérité », donc on va se raccrocher à des faits plutôt qu’à des interprétations, on va toujours aller à la recherche de ce qui peut être prouvé, de ce qui peut être sourcé, mais on rapporte les points de vue. En cela, allez lire l’article sur justement cette année 2002/2003, la montée vers la guerre, par exemple le discours de Colin Powell aux Nations Unies, allez lire le discours américain, la page française et la page américaine, vous aurez des histoires très différentes. Et c’est ça qui doit absolument cohabiter. Qu’on ait 300 langues aujourd’hui c’est merveilleux.
Dorothée Barba : J’en reviens à votre fiche Wikipédia, Antoine Bello, elle est disponible en huit langues, ce n’est pas mal ça huit langues !
Antoine Bello : Ce n’est pas mal ! Malheureusement je ne peux pas la lire dans certaines des langues dans lesquelles elle est écrite. En plus, je crois qu’elle est relativement squelettique dans certaines langues. C’est un mystère complet. Un jour votre fiche apparaît en arménien et vous vous dites « mais qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce qui s’est passé à Erevan pour que tout à coup ma fiche soit traduite ou écrite ? »
Dorothée Barba : On apprend, dans la version francophone, que vous êtes l’arrière-petit-neveu de Marcel Aymé et que vous avez publié votre premier roman en 1996. Tout est vrai, évidemment.
Antoine Bello : Ça c’est vrai !
Voix off : France Inter. Dorothée Barba. L’été comme jamais.
Pause musicale : Party like a human par General Elektriks.
Dorothée Barba : C’était General Elektriks sur France Inter. Vous écoutez L’été comme jamais en direct en ce 14 juillet jusqu’à 10 heures avec Rémi Mathis, l’auteur de Wikipédia - Dans les coulisses de la plus grande encyclopédie du monde, avec le romancier Antoine Bello, grand fervent, défenseur de Wikipédia et qui verse chaque année ses droits d’auteur à l’encyclopédie en ligne et avec Diane Ranville, membre du conseil d’administration de Wikimédia France.
Pas de patron, pas de pub sur Wikipédia, c’est un élément important sur lequel il faut insister, Diane Ranville.
Diane Ranville : Oui. Wikipédia est une encyclopédie qui est complètement autogérée par les contributeurs et contributrices qui participent. Donc effectivement pas de patron, pas de pub, c’est un principe très fort, c’est peut-être un des rares endroits sur Internet où on n’est pas pollué par la publicité.
En revanche, il y a des gens qui essayent de faire leur pub quand même à l’intérieur de leurs articles, mais les contributeurs et contributrices sont très attentives et attentifs pour empêcher ça.
Dorothée Barba : Isabelle, une auditrice, nous pose une question sur le financement de Wikipédia. Quelle est la différence entre Wikipédia et la fondation ?, écrit-elle. Pourquoi y a-t-il le bruit sur les réseaux que Wikipédia serait payée par les GAFAM ? Peut-être, Rémi Mathis, vous voulez répondre ou Diane Ranville.
Diane Ranville : Wikipédia n’est pas financée par les GAFAM.
De l’argent est récolté, vous voyez une ou deux fois par an un bandeau qui s’affiche sur Wikipédia qui vous demande de donner un peu d’argent. Les principales sources de financement de la Fondation Wikimedia ainsi que des associations Wikimedia locales, on va dire nationales comme Wikimédia France, à 90 %, je dis un chiffre qui n’est pas tout à fait juste, mais disons majoritairement ce sont des micros dons d’une moyenne de 20 euros ; après il y a quelques gros donateurs, etc.
Il se trouve que Google, évidemment, est très friand de Wikipédia parce que Wikipédia fournit des données structurées, en fait des réponses aux questions que les gens se posent, donc Google, avec son algorithme, va aller très facilement moissonner Wikipédia. Je ne sais pas si tu veux parler de Wikimedia Enterprise [4], c’est un petit peu technique.
Dorothée Barba : Rémi Mathis.
Rémi Mathis : Il y a surtout un fait qui est important dans le financement de Wikipédia c’est qu’on est en train de changer de modèle économique actuellement. C’est-à-dire que jusqu’à maintenant ça fonctionnait, comme l’a dit Diane, sur un système de flux, donc vraiment des levées de fonds avec les bandeaux qui nous embêtent au mois de décembre, qui ne veulent pas se fermer. On est en train de changer ça pour gagner plus de pérennité dans le fonctionnement. Il y a un fonds de roulement qui est en train d’être créé, en gros pour fonctionner comme les universités américaines ou les grands musées où on ne fonctionne pas sur du flux chaque année mais sur un stock, donc une somme d’argent très importante et on vit sur les intérêts de cette somme.
Il n’est pas faux qu’une partie de cette somme a été donnée par des grandes entreprises, généralement par les fondations des grandes entreprises, pas par les entreprises elles-mêmes, donc c’est beaucoup moins vertueux au sens où ce ne sont plus des petits dons, mais c’est ça qui donnera, au contraire, une indépendance à Wikipédia ce qui, sur le long terme, est intéressant.
Dorothée Barba : Revenons-en sur ce que notre rapport à Wikipédia raconte de notre lien au savoir et à la connaissance, car c’est bien notre sujet ce matin. Ce mot « encyclopédie » a une histoire très riche en France. Voici ce que Voltaire écrivait à Diderot sur l’Encyclopédie avec un « E » majuscule : « Votre ouvrage est une Babel. Le bon, le mauvais, le vrai, le faux, le sérieux, le léger, tout est confondu. » On pourrait dire la même chose aujourd’hui de Wikipédia, Rémi Mathis ?
Rémi Mathis : Tout à fait. C’est très intéressant de comparer l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, qui est forcément le modèle de toute encyclopédiste depuis deux siècles, et Wikipédia. On retrouve, en effet, des choses assez semblables.
Dorothée Barba : Dans les reproches notamment.
Rémi Mathis : Dans les reproches et dans certaines approches parce que les gens restent plutôt sur l’Encyclopædia Universalis, celle qu’on utilise, et ils ne connaissent pas si bien que ça l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
Or, quand on reproche à Wikipédia par exemple de traiter de sujets techniques au même niveau que de la culture ; s’il est légitime de parler d’informatique comme on parle de Victor Hugo ; quand on lui reproche de parler de choses légères au même niveau que de choses sérieuses ; quand on lui reproche que les articles sont anonymes, ça ce sont des reproches qu’on retrouve dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, donc ça n’a jamais gêné personne avec, toutefois, des différences très importantes sur le fait qu’on n’a plus la contrainte de la place donc on peut traiter d’un beaucoup plus grand nombre de sujets, sur le fait que ça évolue en permanence. Il y a plein de choses qui sont différentes. Il y a des choses où, finalement, Wikipédia est beaucoup plus proche de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert qu’Universalis ne l’est en réalité.
Dorothée Barba : Et la grande différence, évidemment, entre l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert et celle de Wikipédia aujourd’hui, Antoine Bello, c’est que Wikipédia est modifiée et corrigée en temps réel. Est-ce que ce n’est pas un peu épuisant, si je peux employer ce mot, de se dire que la vérité n’est jamais figée et qu’elle est toujours évolutive ?
Diane Ranville : Au contraire !
Antoine Bello : Oui, c’est peut-être épuisant, mais c’est comme ça. Je pense qu’on n’y peut malheureusement pas grand-chose, c’est comme ça, ça a toujours été comme ça. J’imagine que les gens qui cherchent la vérité, les sages qui se sont un peu approchés de la vérité ont compris que c’est un processus, c’est le processus de recherche qui constitue le premier pas vers la vérité. La vérité se dérobe toujours, c’est l’image du château dans le roman de Kafka, on n’y arrive jamais, mais on peut s’en approcher.
Dorothée Barba : C’est le chemin qui compte, ce n’est pas la destination.
Antoine Bello : Oui. Moi je crois beaucoup à ça. Si on veut toucher à la réalité d’un personnage ou d’un phénomène, non seulement il faut lire la fiche Wikipédia, mais il faut accepter de revenir la lire un mois plus tard, un an plus tard, il faudrait également pouvoir la lire un siècle plus tard.
Cet aspect du temps me parait absolument fondamental. J’en parlais avec des gens de la Wikimedia Foundation [5] aux États-Unis, certains n’étaient pas même conscients de cette dimension historique. Je leur disais « pensez à l’outil fantastique que seront les modifications sur la page de Trump entre 2014 et 2016, le moment où on le prend pour un amuseur de foire à celui où il devient le candidat du Parti républicain, comment sa page a été complètement réécrite, parce que la vérité a été réécrite, la réalité a été réécrite. »
Dorothée Barba : Puisque vous parliez du rapport au temps, cette citation trouvée à la page des marronniers dont je parlais tout à l’heure, cet endroit sur Wikipédia où sont recensés les sujets de discorde. J’ai lu ceci : « Avoir raison ne suffit pas sur Wikipédia, il faut en convaincre les autres. Ce que l’on ne parvient pas toujours à faire, auquel cas il faut s’y résoudre et passer à autre chose en espérant que le temps fasse son œuvre. » C’est une philosophie de vie, Antoine Bello ?
Antoine Bello : Je trouve que c’est une des choses les plus sages qu’on ait entendue ce matin, c’est très vrai. C’est ça la vérité du travail de conviction et la raison. Je disais que tout Wikipédia était placé sous le sceau de la raison, je pense que c’est exactement ça. À quoi sert une vérité dont on n’est pas capable de convaincre les autres ?, c’est un mysticisme. Si on n’est pas capable, justement, d’en apporter les preuves, d’en refaire la démonstration, de montrer des sources, ça n’est rien d’autre qu’une conviction, c’est une conviction qui se masque pour un fait. Que parfois il faille du temps pour faire évoluer les choses, évoluer un sentiment national par exemple, c’est normal, c’est la conviction, le travail de conviction qui doit faire son œuvre.
Dorothée Barba : Diane Ranville.
Diane Ranville : Sur ce sujet, je pense que c’est important aussi de souligner que finalement, quand on compare aux autres plateformes qui existent en ligne, notamment les réseaux sociaux qui sont le règne de l’opinion et de la petite phrase.
Dorothée Barba : Et de l’invective.
Diane Ranville : Et de l’invective, Wikipédia est un endroit où des gens de tous horizons, qui ont des opinions politiques différentes, qui ont des cultures différentes, arrivent à discuter pour trouver les formulations sur lesquelles ils vont pouvoir tous être d’accord, quelle que soit leur opinion, pour réussir à cerner une sorte de vérité sur un sujet. Je trouve ça assez beau parce que c’est une culture qu’on tend peut-être à perdre dans d’autres zones de l’Internet et qui, en fait, permet aussi de nous faire évoluer en tant que personne, d’être plus ouvert aux différents points de vue, de vraiment chercher une formulation qui soit neutre et, de cette manière-là, tendre à cette vérité.
Dorothée Barba : Nous accueillons un auditeur wikipédien. Bonjour à vous Pierre. Bienvenue.
Pierre, auditeur : Bonjour.
Dorothée Barba : Quelle est votre utilisation de cet outil ?
Pierre, auditeur : Merci de prendre mon appel. En effet, je suis un contributeur assez régulier de l’encyclopédie. En fait, j’ai commencé à découvrir l’outil quand j’étais au chômage, tout simplement, et j’ai été intéressé, car il y avait un article que je voulais modifier, je ne savais pas qu’il était possible de le faire. J’ai commencé à regarder un peu, j’ai commencé à modifier et là on commence à rentrer dans le monde dont vos intervenants et aussi l’intervenante parlent, qui est incroyable. On modifie quelque chose. Au début on fait une connerie et il y a quelqu’un qui est là pour dire « attention, les règles c’est ça » ; là on apprend et on commence à s’améliorer, puis à permettre aussi à d’autres personnes, progressivement, leur dire « voilà ce qu’il faut faire » et progressivement construire quelque chose ensemble.
Dorothée Barba : C’est une société que vous décrivez là, Pierre.
Pierre, auditeur : Je ne sais pas comment le voient les personnes qui sont invitées. Une société, je ne sais pas, mais en tout cas une communauté dans laquelle il y a un certain nombre de règles et de valeurs qui sont partagées et qui permettent de construire quelque chose de plus grand que ce qu’on ce qu’on pense.
J’avais une petite question.
Dorothée Barba : Allez-y.
Pierre, auditeur : Je me demandais justement ce que pensaient vos intervenants et intervenante sur la démocratisation de Wikipédia. Est-ce qu’ils pensent que Wikipédia devrait plus inciter à la contribution, devrait plus permettre aux personnes, à monsieur et madame Tout-le-monde, de savoir qu’il est possible de contribuer comme ça en fait ? Demain vous pouvez prendre un article et contribuer. Ou alors est-ce qu’ils pensent, au contraire, que ce n’est pas mal de conserver une certaine manière, une possibilité pour les personnes qui savent déjà un peu faire ?
Dorothée Barba : Et de rester entre initiés, si j’ose dire.
Pierre, auditeur : En tout cas rester entre personnes qui savent un peu pour que ça ne parte pas complètement à vau-l’eau.
Dorothée Barba : Merci beaucoup Pierre pour cette intervention, très bonne journée à vous. Diane Ranville.
Diane Ranville : Justement, une des missions de Wikimédia France c’est d’inciter les gens à contribuer, en tout cas de leur en donner les moyens. D’ailleurs à ce sujet-là, si ça vous intéresse, vous pouvez aller voir notre WikiMOOC [6]. Un MOOC c’est un cours en ligne qui permet d’apprendre, en l’occurrence à contribuer à Wikipédia. Vous apprenez aussi des choses de culture générale sur Wikipédia, comme ça vous apprenez à la fois à l’utiliser en tant que lecteur ou lectrice et en tant que contributeur, contributrice. Vous pouvez aller, si vous tapez WikiMOOC sur votre moteur de recherche préféré, vous retrouverez toutes les informations.
Dorothée Barba : Un auditeur nous parle de Wiki Game [7], je ne connaissais pas, je trouve ça très amusant, ça consiste à aller de lien en lien pour joindre deux mots qui ont été définis auparavant en passant d’article en article et en cliquant le moins de fois possible. Exemple : partir de Louis XIV et arriver à brosse à dents. Rémi Mathis, avez-vous déjà joué à ce Wiki Game ?
Rémi Mathis : Oui. On peut s’amuser à ça et ça repose vraiment sur une des grandes forces sur Wikipédia, notamment par rapport au livre papier, c’est justement ce système de liens.
Dorothée Barba : La sérendipité et trouver ce qu’on ne cherche pas. L’hyperlien est quand même une invention dont Diderot et d’Alembert auraient été extrêmement friands !
Diane Ranville : Diderot aurait adoré l’hyperlien, ça c’est sûr !
Rémi Mathis : Ils auraient kiffé.
Rémi Mathis : Il y a d’une part le fait de se perdre et de trouver des sujets dont on ne savait pas qu’ils nous intéresseraient et, d’autre part, le fait que sur Wikipédia lire un article ce n’est pas forcément suffisant. Donc critiquer un article en particulier c’est très intéressant et il faut le faire, mais il faut aussi voir tout le contexte qu’il y a autour. Il y a certains articles qu’on ne comprend qu’en rebondissant sur un article, qui nous fait rebondir sur un article et ainsi de suite.
Dorothée Barba : Je voudrais terminer sur une expérimentation personnelle, je sais que vous allez me gronder Rémi Mathis.
Hier, avec l’équipe de L’été comme jamais, on a essayé de modifier la page de Charline Vanhoenacker. Pourquoi elle ? Parce que, voilà. On a voulu indiquer qu’elle avait adopté un koala d’Australie. C’est un hommage à Alice Zeniter qui, dans son article sur Philippe Roth, explique qu’un contributeur a dit qu’elle aimait les koalas d’Australie, c’est faux, ça a été corrigé. Notre rajout a tenu précisément quatre minutes. Il a été corrigé ensuite parce que notre source n’était pas précisée. C’est mal de faire ça ? C’est ce que vous m’avez dit hors antenne, « on ne rajoute pas des fausses informations sur Wikipédia », pourtant c’est amusant.
Rémi Mathis : C’est amusant, mais c’est un espace public et c’est un espace qui est là pour le bien commun, donc on ne pollue pas une encyclopédie pour le plaisir.
Dorothée Barba : Vous ne pensez pas que tout le monde va essayer d’aller le faire ce matin ? C’est le risque.
Rémi Mathis : C’est un petit peu le risque de donner des mauvaises pratiques. L’exemple qu’on a l’habitude de donner c’est que c’est vraiment un lieu public. On peut critiquer le fait qu’il y ait des papiers sales dans la rue, on peut appeler son adjoint au maire pour s’en plaindre. On ne rajoute pas un papier sale pour voir combien de temps il faudra pour que les employés municipaux ramassent ce papier sale.
Dorothée Barba : Mon papier sale a tenu précisément quatre minutes.
Rémi Mathis : Donc nos employés municipaux sont formidables.
Dorothée Barba : Antoine Bello, vous avez déjà joué à ça ?
Antoine Bello : Non je n’ai jamais joué. J’ai déjà lu là-dessus, ça me paraît absolument fascinant. Il faut que je m’y mette.
Diane Ranville : Évitez de faire ça, s’il vous plaît.
Dorothée Barba : C’est un appel, un cri du cœur qui est lancé ce matin.
Et c’est L’été comme jamais. On est en direct ensemble jusqu’à 10 heures. Voici Bonnie Banane sur France Inter, cha-cha-cha.
Pause musicale : cha-cha-cha par Bonnie Banane.
Dorothée Barba : L’été comme jamais a plongé ce matin dans les entrailles de Wikipédia. Il y avait encore beaucoup à dire évidemment. Je termine par une question rituelle, une question que je pose tous les matins à mes invités et qui prend ce matin une saveur particulière puisque nous avons parlé de notre rapport à la connaissance : j’aimerais connaître un sujet sur lequel vous avez changé d’avis. On commence avec vous Rémi Mathis.
Rémi Mathis : Moi ça sera les questions d’écologie, sur un certain nombre d’idées reçues sur ce qu’il faut faire pour créer un monde meilleur, en tout cas durable. Donc toutes les questions de glyphosate, de nucléaire. J’avais tendance, je viens d’une famille de profs, France Inter...
Dorothée Barba : Bravo pour ça !
Rémi Mathis : Où on est forcément un petit peu écolo, forcément avec des idées reçues sur ces questions et se rendre compte que certaines problématiques sont plus compliquées. Notamment maintenant je suis assez persuadé qu’on ne résoudra pas la crise climatique sans nucléaire parce qu’on n’a pas d’autre solution. Il y a cinq ou dix ans je n’aurais pas du tout dit ça.
Je pense que Wikipédia est un des endroits où on peut reprendre une problématique générale et remettre en question ses à priori.
Dorothée Barba : Diane Ranville, sur quoi avez-vous changé d’avis ?
Diane Ranville : J’ai changé d’avis plusieurs fois sur l’exposition que je vais aller voir cet après-midi et je n’ai toujours pas décidé.
Dorothée Barba : Il faut réserver en raison des conditions sanitaires, ça sera trop tard.
Diane Ranville : Je sais ! On verra.
Dorothée Barba : Les passages à Paris, on veut aller voir une exposition et c’est impossible de se décider.
Antoine Bello, sur quoi avez-vous changé d’avis ?
Antoine Bello : D’abord je tiens à préciser que je n’introduirai jamais de fausses informations sur Wikipédia. Je croyais que vous me parliez du jeu des liens qui me paraît très amusant, pas du jeu, évidemment, pour falsifier la réalité.
Dorothée Barba : Bien sûr. Ce jeu est très drôle. J’ai perdu. Pas le jeu de mettre des fausses infos.
Antoine Bello : Je suis la dernière personne qui ferais ça.
Dorothée Barba : D’accord.
Antoine Bello : J’ai changé d’avis sur l’obligation vaccinale. Je suis quelqu’un d’épris, je suis très épris des libertés individuelles et j’ai toujours pensé que chacun avait le droit de disposer de son corps et de sa santé. Là je suis obligé de dire que le coût pour la collectivité est tellement énorme, notamment le coût pour la prochaine génération sous la forme de la dette qu’on va lui laisser — chaque confinement coûte des dizaines et des dizaines de milliards que nos enfants devront un jour rembourser — que je pense qu’on est fondé à demander l’obligation vaccinale, mais c‘est mon avis.
Dorothée Barba : Et c’est bien le propos de cette question. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.
Je rappelle les titres de vos livres Wikipédia - Dans les coulisses de la plus grande encyclopédie du monde, c’est signé Rémi Mathis aux éditions First.
Diane Ranville, vous étiez invitée ce matin comme wikipédienne, mais vous êtes aussi scénariste de bandes dessinées. La Valise est le titre de votre dernier ouvrage éditions Akileos.
Antoine Bello, la liste de vos romans est sur notre site à la page de L’été comme jamais. Personnellement je recommande L’Homme qui s’envola, chez Gallimard, l’histoire captivante d’un individu qui décide de disparaître, de changer de vie.
Merci beaucoup à vous trois. Bonne journée sur les réseaux et ailleurs et dans les expos parisiennes.
Charles Pépin est annoncé après les infos. Bonjour Charles. Sous le soleil de Platon. On a vu votre invité passer une tête dans ce studio.
Charles Pépin : Il est grand en plus.
Dorothée Barba : Parce qu’il est un grand fan de Wikipédia aussi. Yannick Agnel, le nageur.
Charles Pépin : Champion du monde de natation, qui a eu tellement de médailles aux JO, qui nous a fait tellement rêver. Aujourd’hui je le reçois pour un entretien philosophique sur la question de la performance, de l’échec, du succès, de ce que c’est que progresser et peut-être aussi trouver une forme de joie liquide pour un ancien nageur.
Dorothée Barba : Et vous pourrez jouer à chercher les fausses informations sur sa page Wikipédia.