Pouhiou : À l’origine de PeerTube [1] il y a le projet Dégooglisons Internet [2] de Framasoft. Parmi les personnes qui bossent sur PeerTube la première personne c’est Chocobozz. PeerTube c’est le bébé de Chocobozz qui, au départ, l’a développé pendant deux ans.
Plein de monde contribue sur PeerTube. Marie-Cécile Godwin travaille beaucoup le design d’expérience utilisateur, notamment comprendre les systèmes, comment est-ce qu’ils fonctionnent et leur influence sur les gens. C’est ce qu’elle essaye d’apporter à PeerTube.
Rigelk est un des contributeurs au code de PeerTube qui, très vite, s’est enthousiasmé pour ce projet et a commencé à la fois à le présenter dans des conférences et tout ça et puis a apporté du code. C’est comme ça qu’on s’est connus et, de fil en aiguille, il est devenu membre de Framasoft.
David Revoy a pas mal travaillé, notamment sur l’illustration autour de PeerTube et il a notamment offert la mascotte de PeerTube, qui s’appelle Sepia, qui est un petit poulpe qui représente PeerTube.
Comment faire pour décentraliser YouTube ?
On cherchait, on buvait des coups après le FOSDEM [Free and Open Source Software Developers’ European Meeting ] en se demandant qu’est-ce qu’on va faire ? Est-ce qu’on ne va pas utiliser Popcorn time, ce truc, ce logiciel libre utilisé pour pirater des vidéos ? On ne savait pas et un jour quelqu’un nous a parlé de Chocobozz, un développeur de logiciels libres et qui, sur son temps libre, avait ce projet, PeerTube, qui était une plateforme de diffusion de vidéos mais décentralisée et fédérée.
David Revoy : Bonjour. Bienvenue chez moi.
Je m’appelle David Revoy et je suis un artiste illustrateur qui utilise des logiciels libres depuis 2010. J’ai illustré la campagne de Contributopia [3] de Framasoft. D’ailleurs on va rejoindre Pouhiou parce qu’on a du travail à faire sur PeerTube. Salut Pouhiou.
Pouhiou : Ça va ?
David Revoy : Oui.
Pouhiou : Sur le trois, un « V » de victoire mais avec trois. Sachant que pour faire un v il faut qu’il utilise trois tentacules. On va dire qu’on change le logo de PeerTube, légèrement, c’est-à-dire que le « Peer » va être en italique et il y aura un PeerTube avec un petit « v3 » en exposant, sachant qu’il y a trois triangles.
David Revoy : Comment exprimes-tu ce que veut dire ce trois ?
Pouhiou : À la fois le système de plugin, le fait de vraiment l’avoir mieux travaillé, mieux refondu, ça permet, en fait, à faciliter la contribution. Il n’y a plus besoin de se fader tout le CodeCore en mode montgolfière et partir plus sur des questions de steampunk ou trois ballons. Je te dis n’importe quoi !
David Revoy : Je regarde. Tout l’univers de la montgolfière, c’est quelque chose que j’adore, j’ai eu la chance d’avoir une maman pilote de montgolfière.
Pouhiou : C’est vrai ? Mais c’est trop cool !
David Revoy : Il y a aussi un côté zen et silence dans la montgolfière que j’aime bien et puis tu parlais de montagne, on peut faire une petite symbolique derrière.
Pouhiou : D’autant plus que ça crée une dynamique. C’est cool !
Marie-Cécile Godwin : Je m’appelle Marie-Cécile. Dans la vie j’essaie de travailler le moins possible, mais il faut quand même payer les factures donc, effectivement, je suis designer. J’essaye aussi de me reconvertir dans la teinture de laine parce que parce que les ordinateurs c’est chiant, il faut le dire.
Concrètement ça veut dire quoi aller à la rencontre des personnes qui utilisent les choses ? Durant les 15 entretiens que j’ai menés j’ai parlé avec des gens qui sont complètement extérieurs au Libre, par exemple des professeurs, des instituteurs, des institutrices, qui utilisent, par exemple, l’instance PeerTube de l’académie de Lyon. Là ce sont des problèmes d’usage vraiment très courants, c’est le quotidien : « Je veux mettre une vidéo en ligne, comment je fais ? Je ne connais pas PeerTube, mais je connais YouTube, comment je fais ? ». C’était vraiment super intéressant et surtout des gens qui utilisent des mots du quotidien, qui expriment leurs besoins de manière très pragmatique.
À côté de ça il y avait des gens qui étaient beaucoup plus techniques ou des vidéastes qui avaient vraiment des besoins, des usages hyper-concrets comme « ne pas perdre ma communauté si je migre sur PeerTube ».
C’est passionnant de voir les disparités d’usages et, encore une fois, on a rarement parlé du logiciel.
Souvent je dis que le design c’est donner une forme, c’est-à-dire que j’arrive, je vois des tas d’informations hyper-complexes, je les rassemble et j’essaye de leur donner une forme qui soit compréhensible, intelligible, qui ait du sens. Parfois c’est juste, effectivement, faire croiser les contraintes pour créer un meuble ou une interface. Parfois c’est plus « on ne sait pas ce que les gens qui utilisent PeerTube font et ce dont ils ont besoin ». Comment on cristallise ça dans quelque chose de compréhensible et comment on le retranscrit dans une interface.
Pouhiou : Quand on a commencé PeerTube, tout le monde nous a dit « il faut absolument avoir la monétisation, les stats et le chat pour les youtubeurs ». Mais on s’est dit – ce n’est pas qu’on n’aime pas les youtubeurs, moi-même j’ai été youtubeur – que c’est juste la partie visible de l’iceberg des vidéos sur Internet. Finalement, qui partage des vidéos sur Internet ? À la base de cet iceberg il y a le prof qui veut partager ses cours, il y a le petit magasin en ligne de tricot qui te montre comment on fait tel point pour te vendre ses laines, ses aiguilles, il y a des gens qui veulent partager des vidéos de leur chat ou quand ils se cassent la gueule dans la rue. On s’est dit « si on commençait à faire un outil pour ces personnes-là, qui ont moins de besoins ? » et, en plus, ça nous permet de faire un PeerTube qui ne copie pas YouTube. Ça permet de faire un outil avec d’autres fonctionnalités.
Rigelk : Bonjour. Moi c’est Rigelk. Ça fait maintenant deux ans, deux ans et demi que je suis contributeur à PeerTube. Au début j’ai commencé comme n’importe quel contributeur avec finalement des questions sur le logiciel, comment il fonctionne, quelle vision à long terme pour du streaming vidéo et comment je pouvais aider un peu parce que c’est un projet qui me paraissait sain est important.
PeerTube est un logiciel et les développeurs ont tendance à préférer contribuer, lorsqu’ils contribuent en ligne en tout cas, sur ce qu’on appelle une forge logicielle qui regroupe tout un tas de fonctionnalités, de contribution importantes à savoir la mémoire d’un projet, qui contient toutes les demandes des utilisateurs, toutes les demandes de fonctionnalités, les rapports de bugs. Quand on met en ligne une vidéo sur PeerTube tout un tas de mécanismes se mettent en marche. Quand on est en train de mettre les métadonnées de la vidéo, le serveur, derrière, doit transformer la vidéo ou la transposer en diverses résolutions pour s’assurer que la vidéo soit bien lisible par n’importe quel navigateur, par n’importe quel appareil.
La fédération est un moyen de faire se connecter entre eux des serveurs et des utilisateurs in fine.
Pouhiou : L’avantage de ce projet PeerTube c’était cette fédération où il n’y avait plus besoin d’avoir un gros serveur de géant du Web, mais on pouvait créer plein de petits serveurs qui, fédérés ensemble, interconnectés ensemble, présentent un gros catalogue de vidéos même si les vidéos sont séparées chez plein de monde,br/>
Là où Chocobozz a eu énormément de flair c’est qu’il a rajouté un truc en plus à la fédération, c’est la diffusion des vidéos en pair-à-pair. Le fait de diffuser des vidéos en pair-à-pair permet que si ta vidéo a du succès, s’il y a plein de monde qui se connecte en même temps sur ta vidéo, ce n’est pas ton serveur qui prend la charge, qui prend tous ces gens qui viennent, qui disent « je veux ta vidéo, je veux ta vidéo », la vidéo est aussi partagée entre les spectateurs et les spectatrices.
Rigelk : C’est extrêmement important dans PeerTube parce qu’il y a toute une question de coût de la donnée qui est souvent survolé par les plateformes, comme YouTube, quand elles vous proposent de la vidéo. On ne vous expose pas le coût de la donnée, mais le coût du stockage est très important, le coût du transcodage est très important, et pouvoir garder ses propres données et ses propres coûts à l’échelle que l’on souhaite tout en ayant accès à tout un catalogue de vidéos externes, c’est ce qui fait la force du réseau sur PeerTube.
L’installation de PeerTube n’est pas forcément simple, elle ne s’adresse pas à tout le monde parce qu’il y a des problèmes techniques complexes à résoudre pour optimiser le service de vidéo. Les fichiers de vidéo sont des fichiers lourds, il faut une bande passante importante. N’importe qui ne va pas pouvoir installer un service PeerTube et servir des vidéos lui-même. Pour ça, on distingue plusieurs utilisateurs. On a un public qui va installer PeerTube sur des serveurs parce qu’il a une connaissance technique plus approfondie et on va avoir des créateurs de vidéos, des visiteurs qui vont visionner des vidéos et s’abonner à des comptes de créateurs. Ce sont deux publics distincts et on ne demande pas à tout le monde d’installer une instance PeerTube.
David Revoy : Au tout début j’ai posté ça, je crois que c’est la toute première chose que j’ai postée [Diverses propositions de logo, NdT]. Le but était vraiment de travailler avec ça, c’était le seul univers graphique, en fait, qu’il y avait de PeerTube. C’était ce triangle qui me parlait beaucoup parce que c’est le triangle un peu de la Triforce de Zelda, de toute façon, mais incliné. J’ai essayé avec une télévision, un vieux téléviseur [Mis autour de la tête de la figure, NdT], la bonne TV, mais tout de suite des jeunes sur le projet Pepper&Carrot [4] qui m’ont demandé : « Pourquoi a-t-il une tête dans un micro-ondes ? », ce qui m’a fait prendre un énorme coup vieux.
J’ai commencé à simplement dessiner le logo et j’ai « plugé » le petit poulpe en dessous. Très vite j’ai eu une silhouette qui n’était pas connue, qui était vraiment pour PeerTube. Quand j’ai montré ce croquis-là sur le channel IRC ça a été tout de suite accepté avec un grand taux de sympathie et, pour le présenter un peu à la communauté, j’ai dû faire une version un peu plus propre, un peu plus marionnette, en vectoriel c’est-à-dire que tous les tentacules sont séparés, on peut bouger les yeux, on peut l’articuler et c’est ce que j’ai publié au final.
Marie-Cécile : Les GAFAM ne sont pas gratuits et c’est tout l’enjeu du truc. Je donne pas mal de cours dans les écoles, de digital innovation. C’est très intéressant de me confronter à la vision des étudiants et étudiantes des générations après la mienne, En fait, ils ne voient pas du tout la gratuité comme une exploitation de leurs données, pour eux c’est juste « ouais, on va être surveillés », alors que non, c’est beaucoup plus pervasif, c’est beaucoup plus sur un temps très long, c’est de la surveillance, c’est de l’accumulation de données, c’est la création profils, c’est très invasif.
Un des problèmes du Libre c’est que pour contribuer, pour faire valoir sa voix, ses opinions, sa vision des choses ou ses usages, il faut passer par des filtres, il faut savoir publier sur GitHub, il faut avoir l’audace de créer un profil sur un forum. Même moi, la première fois que j’ai voulu contribuer au Libre, juste faire un retour tout bête, il y a un gap énorme à passer, c’est compliqué. Donc il y a pas mal de voix qui ne sont pas entendues. Mon boulot c’est aussi d’aller chercher là où d’habitude les voix ne ressortent pas et faire ressortir les usages qui ne sont jamais mis en avant.
Rigelk : La différence avec des plateformes plus centralisées c’est qu’elles se basent sur une économie de l’attention. Elles vont monétiser les vues, elles vont les monétiser notamment avec de la publicité, qui est le moyen le plus standard, et avec des interactions sur les diffusions en direct, ce qu’on appelle des super chats sur certaines plateformes. Cette économie propre aux plateformes est totalement découplée de PeerTube parce qu’on a souhaité que PeerTube reste une plateforme de streaming qui ne soit pas liée à un système de paiement, qui ne soit pas liée à un système de recommandations qui vient conforter cette monétisation. C’est probablement la raison principale de la formation de bulles sur d’autres plateformes, de bulles d’attention, lorsqu’on cherche à proposer du contenu qui va faire rester le visiteur sur ces plateformes, ce qui n’est pas le cas sur PeerTube. On n’a pas, derrière, un intérêt financier à ce que la personne reste et on n’a donc pas un intérêt à lui suggérer des vidéos plus extrêmes, on n’a pas une économie de l’attention avec tous ses travers.
Avec l’arrivée du live dans la version 3, on va bénéficier encore plus de l’effet de levier apporté par le pair-à-pair qu’il y a déjà lors du streaming de vidéo. Beaucoup de personnes seront en train de regarder le même segment, la même partie de la vidéo en même temps, et le pair-à-pair prendra alors tout son sens pour aider le serveur à diffuser des vidéos libres.
Pouhiou : PeerTube est financé et maintenu par l’association Framasoft. Framasoft [5] est une association qui s’est créée en 2004, qui est une espèce de trait d’union entre le monde du logiciel et de la culture libre et les gens. Voilà ! Et on essaie d’apporter plus de Libre dans la vie des gens.
Aujourd’hui on dit que Framasoft est une association d’éducation populaire aux enjeux du monde numérique.