Émission Libre à vous ! diffusée mardi 4 mars 2025 sur radio Cause Commune Sujet principal : La fin des ERP libres ?


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous. Bienvenue dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
La fin des ERP libres, facturation et encaissement, les logiciels libres à l’épreuve des réformes fiscales, nous en discuterons avec Philippe Scoffoni, président de l’association PLOSS-RA, dirigeant de Easya Solutions et membre du conseil d’administration de l’association Dolibarr. C’est le sujet principal de l’émission du jour. Également au programme une nouvelle pépite libre de Jean-Christophe Becquet, Pyronear, une solution pour la détection précoce des incendies dans les espaces naturels.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 4 mars. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission Bookynette. Salut Booky.

Bookynette : Salut !

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet – Pyronear, une solution pour la détection précoce des incendies dans les espaces naturels

Étienne Gonnu : Nous allons commencer par une nouvelle pépite libre de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April. Texte, image, vidéo ou base de données, sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile. Les auteurs et autrices de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés accordées à leur public, parfois avec la complicité du chroniqueur.
Bonjour Jean-Christophe. Tu es avec nous ?

Jean-Christophe Becquet : Bonjour Étienne. Je suis avec vous. Bonjour à tous. Bonjour à toutes.

Pyronear est né en 2019 d’un groupe de jeunes ingénieurs qui souhaitaient s’impliquer dans le cadre de l’initiative Data For Good. Il s’agissait de développer une solution de détection précoce des départs de feux pour aider les pompiers à intervenir au plus vite dès qu’un incendie est déclaré. Pour cela, Pyronear utilise des caméras placées sur des points hauts et cherche à reconnaître la présence de fumée sur les images pour déclencher des alertes géolocalisées. Leur slogan joue sur les mots : « Pour une fumée sans feux ».
L’approche, adoptée au démarrage de Pyronear, se veut résolument frugale. Pour cela, l’équipe essaye de réutiliser des caméras existantes. Pour économiser la bande passante et l’énergie, le logiciel s’exécute en local sur des appareils à faible consommation de type Raspberry Pi. Les alertes sont remontées via le réseau mobile, sur une plateforme web, à partir de laquelle les pompiers peuvent surveiller leur territoire d’intervention.
Le code source du logiciel est sous licence Apache. Mais ce n’est pas tout ! Pyronear partage sous licence libre toutes les ressources nécessaires au fonctionnement du projet.
J’avais contacté l’équipe et ils m’avaient convaincu de patienter un peu avant d’écrire ma chronique, car leur engagement était bien d’ouvrir plus que du code.

Aujourd’hui, les images annotées, qui ont servi à entraîner l’algorithme de détection, sont disponibles sous licence ouverte. Concrètement, cela représente plusieurs milliers de photos. Elles sont d’abord classées selon la présence ou l’absence de fumée. Ensuite, celles correspondant à des alertes pertinentes sont annotées, c’est-à-dire que la zone de l’image sur laquelle se situe la fumée est identifiée avec précision. Ces images servent à entraîner un modèle de reconnaissance lui aussi partagé sous licence libre. La documentation nécessaire pour déployer un réseau de caméras Pyronear reste à améliorer, mais il est prévu également de la libérer. L’objectif est de permettre aux pompiers, mais aussi à toute personne volontaire, d’installer sa propre caméra.

L’association Pyronear bénéficie du soutien de la Direction interministérielle du numérique, grâce à l’Accélérateur d’initiatives citoyennes. Cela permet de rémunérer l’équivalent de deux personnes à temps plein.
La solution est déployée en Ardèche, en Seine-et-Marne et dans l’Aveyron.
Des jeunes en formation sont impliqués, notamment au sein de l’école CentraleSupélec, dans le cadre du programme Latitudes.
Des acteurs privés, comme Enedis, l’utilisent pour surveiller des centrales photovoltaïques.
Enfin, le projet s’internationalise en Catalogne et au Chili.

Je trouve que nous avons là un véritable commun numérique qui répond à plusieurs enjeux actuels.
Le partage de toutes les briques du projet sous licence libre permet la mutualisation des efforts de développement et ainsi une meilleure utilisation de l’argent public.
La conception frugale, dès le démarrage du projet, cherche à limiter la consommation de ressources et d’énergie.
L’équipe reste ouverte à la collaboration.

En conclusion, je dirais que dans une période où entreprises, médias et acteurs institutionnels nous rebattent les oreilles avec les techniques dites « d’intelligence artificielle », parfois nébuleuses, Pyronear représente un bel exemple d’utilisation intelligente de la technologie partagée grâce aux licences libres.

Étienne Gonnu : Merci Jean-Christophe. Encore une très belle pépite que tu as trouvée là. Je te rejoins dans ton constat. C’est vraiment un bel exemple de ce qu’il faut défendre comme projet. En plus, j’aime beaucoup le nom, Pyronear.

Jean-Christophe Becquet : Un projet très sympa. Pour préparer cette chronique, j’ai pu avoir des échanges et même une réunion en visio avec un des initiateurs du projet. Je confirme que ce sont des gens très ouverts et accessibles. Donc, si vous avez envie de contribuer à un projet libre d’intérêt général, n’hésitez pas à contacter l’équipe du projet Pyronear.

Étienne Gonnu : On mettra, comme d’habitude, les informations sur la page de l’émission.
Jean-Christophe, j’en profite pour signaler ton intervention du 20 février dans le cadre de AlpOSS, un événement autour du logiciel Libre organisé à Échirolles, en Isère, est disponible en vidéo et en transcription, une conférence éclair où tu as présenté tes pépites libres préférées. Je ne sais pas si tu veux en dire un mot.

Jean-Christophe Becquet : Juste préciser que, effectivement, la vidéo de la conférence est disponible sous licence libre, sur une plateforme libre PeerTube administrée par la ville d’Échirolles, métropole de Grenoble, qui accueillait la seconde édition de cet événement incroyable, AlpOSS, le rendez-vous des acteurs du logiciel libre et open source où, d’ailleurs, j’ai rencontré Philippe, l’intervenant suivant.

Étienne Gonnu : Philippe Scoffoni, exactement, avec qui on va parler de facturation et de logiciels de caisse. Il avait proposé une intervention, il y a plein d’autres interventions très intéressantes à écouter. Pareil, vous retrouverez le lien sur la page de l’émission.
Je vais te garder une minute de plus, je te pousse à beaucoup d’improvisation, puisqu’on parle de conférences éclairs. L’April organise une matinée de conférences éclairs samedi 15 mars de 10 heures à midi, avant son assemblée générale, des conférences ouvertes à tout le monde, membre ou pas de l’April, contrairement à l’AG elle-même qui est propre à l’exercice. J’en profite parce que je te sais familier du format des conférences éclairs. Est-ce que tu peux nous préciser ce qu’est ce format et pourquoi tu le trouves intéressant ?

Jean-Christophe Becquet : J’aime effectivement beaucoup ces moments de conférences éclairs qui consistent à présenter, sur un temps très court, cinq/six minutes, un projet, un logiciel, une initiative. Ça dure une heure, une heure et demie, ça permet, du coup, d’assister à 10/15 conférences sur des sujets variés avec des intervenants et des intervenantes variées. Ça donne en général une très belle dynamique. Ça permet, à coup sûr, de découvrir un projet, une initiative dont on n’avait pas connaissance.
Je vous encourage, si vous ne l’avez pas encore fait, à proposer une conférence éclair. L’avantage de ce format très court c’est qu’il ne demande pas énormément de préparation, on peut oser aller présenter un projet même si on n’est pas familier de l’intervention en public. C’est une très bonne manière de se faire la main, de faire ses premiers pas sur une tribune.
Ça avait eu un franc succès l’année dernière. J’espère qu’il y aura à nouveau, cette année, un beau programme de conférences éclairs pour l’assemblée générale de l’April, samedi 15 mars à Paris.

Étienne Gonnu : Samedi 15 mars, le matin, exactement. Venez nombreux et nombreuses, même si vous n’êtes pas membre de l’April, pour les découvrir si vous êtes dans le coin. Je ne crois pas qu’on les diffusera en ligne.
Je précise, surtout pour les personnes qui nous écoutent en direct, qu’il est encore possible de proposer des conférences : on a ouvert les candidatures en ligne pour ces conférences jusqu’au jeudi 6 mars à midi. À nouveau, vous retrouverez les détails sur la page de l’émission.
Merci beaucoup Jean-Christophe et je te dis au mois prochain pour une nouvelle pépite.

Jean-Christophe Becquet : Merci. Belle émission. Au mois prochain.

Étienne Gonnu : Belle journée Jean-Christophe.
Nous allons à présent faire une pause musicale

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous parlerons de logiciels de facturation, de logiciels de caisse et comment ils sont confrontés à la réforme fiscale.
Avant cela, nous allons écouter Pari Tenu par ZinKarO. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Pari Tenu par ZinKarO.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Pari Tenu par ZinKarO, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA, qui permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage de cette musique pour toute utilisation, y compris commerciale, à condition de créditer l’artiste, de dire le nom, la source du fichier original, d’indiquer la licence et d’indiquer si des modifications ont été effectuées. Dans le cas où vous effectuez un remix, que vous transformez ou que vous créez du matériel à partir de cette musique, vous devez diffuser votre œuvre modifiée dans les mêmes conditions, c’est-à-dire avec la même licence CC By SA.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Nous allons passer à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

La fin des ERP libres ? Facturation et encaissement… Les logiciels libres à l’épreuve des réformes fiscales

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal : La fin des ERP libres ? Facturation et encaissement… Les logiciels libres à l’épreuve des réformes fiscales.
Pour en discuter nous avons avec nous Philippe Scoffoni, président de l’association PLOSS-RA, membre du conseil d’administration de l’association Dolibarr et dirigeant d’Easya Solutions, un intégrateur Dolibarr.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm bouton « chat ». Toutes les références de l’émission seront rendues disponibles sur la page consacrée à l’émission, libreavous.org/238.
Bonjour Philippe. Tu es avec nous ?

Philippe Scoffoni : Bonjour. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Je te propose de commencer de manière très classique, est-ce que tu pourrais te présenter, s’il te plaît ?

Philippe Scoffoni : Oui, tout à fait. Déjà merci de m’avoir invité sur cette émission, c’est très sympa. On va parler d’un sujet qui n’est pas forcément hyper-passionnant mais c’est nécessaire, on va dire.
Je m’appelle Philippe Scoffoni. Comme tu le disais, sur le côté associatif je suis effectivement un président d’une association d’entreprises du numérique libre, on va dire, qui sont en Auvergne-Rhône-Alpes, une grosse trentaine d’entreprises aujourd’hui. Je fais partie du CA de l’association Dolibarr qui préside un petit peu, en tout cas qui accompagne le projet Dolibarr dans sa vie et puis, au niveau professionnel, je suis effectivement dirigeant d’une société que j’ai créée il y a une douzaine d’années maintenant, qui s’appelle Easya Solutions, principalement spécialisée sur les solutions de gestion d’entreprise avec un ERP libre qui est Dolibarr.

Étienne Gonnu : On va, bien sûr, préciser tout cela au cours de notre échange, on va présenter plus en détail ce qu’est Dolibarr, ce que sont des ERP. Avant qu’on entre justement dans le cœur de notre sujet, une question que j’aime bien poser à nos intervenants, tu fais du logiciel libre, tu t’es lancé dans le logiciel libre, qu’est-ce que c’est, pour toi, le logiciel libre et pourquoi est-ce aussi important ? Vaste question, question piège, en plus, que je ne t’ai pas demandé de préparer.

Philippe Scoffoni : Question piège. Non ! Je suis tombé sur les logiciels libres en 2003, il y a longtemps et pas très longtemps non plus. À l’époque, je cherchais une solution pour mettre en place un petit intranet dans l’entreprise où j’étais responsable informatique. On utilisait une vilaine solution Microsoft, qui faisait des pages HTML statiques, moche, peu pratique et j’ai découvert un logiciel qui s’appelait Spip, qui existe toujours, un logiciel de gestion de contenu. C’est un logiciel libre et puis, de fil en aiguille, j’ai creusé le sujet, j’ai vu les valeurs, j’ai vu les principes qui allaient autour, le partage du code, l’ouverture du code, etc. Ça m’a séduit, ça a touché une fibre en moi et, depuis, j’ai effectivement cherché le plus possible à m’équiper, à utiliser du logiciel libre que ce soit à titre personnel ou professionnel. Pendant une dizaine d’années, j’ai eu un blog où j’ai beaucoup écrit sur le sujet, c’est un sujet qui m’intéressait beaucoup. Il y avait les questions qui me touchaient aussi : comment fait-on, quelque part, pour avoir un modèle économique autour des logiciels libres ? Comment peut-on gagner de l’argent avec quelque chose que l’on donne ? C’était une question qui m’intriguait beaucoup et, quelque part, la création de ma société, il y a une douzaine d’années, a été un peu un défi personnel pour dire « si tu y crois, va jusqu’au bout ! Tu vas utiliser du logiciel libre, tu vas mettre en place du logiciel libre, tu vas créer un modèle économique autour de ça pour arriver à en vivre. » Aujourd’hui, ma société fait effectivement vivre une grosse douzaine de salariés, je trouve donc que c’est une belle démonstration. Avec ce modèle du logiciel libre, au travers de ses valeurs et des aspects pratiques qu’il apporte aux utilisateurs, oui, on peut effectivement avoir quelque chose de vertueux, des communs qui sont qui sont co-développés, co-maintenus, etc., avec un ensemble de valeurs qui vont autour, qui sont globalement très positives.

Étienne Gonnu : Ce que tu dis est très important. Je crois qu’on a déjà consacré un sujet à ces modèles économiques, sans doute qu’on le fera encore, mais c’est toujours intéressant de montrer, preuve à l’appui, qu’il existe des entreprises qui font du Libre, qui ont cette attention aux valeurs du logiciel libre et qui, pour autant, quand même, développent des modèles économiques viables et pérennes, comme c’est le cas d’Easya Solutions. On va en discuter. C’est vrai aussi que toutes les entreprises doivent respecter des cadres réglementaires et, parfois, il y a des réformes qui – et on va voir à quel point c’est le cas aujourd’hui –peuvent remettre en cause potentiellement, de manière assez forte, les modèles qui ont été développés. On va voir comment on peut se mobiliser et agir aussi par rapport à ça.
Comme l’indique le titre du sujet, un titre un peu provoc – La fin des ERP libres ? – on va parler de réforme fiscale. Tu disais que ce n’est pas passionnant, moi je trouve qu’il y a quand même beaucoup de choses intéressantes à dire autour de ça parce que ça pose aussi des questions profondes sur les modèles économiques. On va notamment parler de facturation et d’encaissement, qui sont des usages, et d’ERP qui sont des logiciels, la problématique sous-jacente étant de voir comment ces usages peuvent être réglementés, potentiellement des usages critiques, et comment ça peut impacter le développement de logiciels et de logiciels libres en particulier, puisque c’est cela qui nous intéresse ici. Donc chères auditrices et chers auditeurs, je vous invite à garder en tête la distinction entre usages et logiciels, les logiciels ne sont que des outils qui peuvent être génériques ou spécialisés, mais des outils pour répondre à des usages. On peut, par exemple, faire de la comptabilité avec un logiciel dédié, avec un simple tableur ou avec une feuille et un stylo.
Donc, pour commencer, on a parlé de ERP, trois lettres qui, je crois, signifient Enterprise resource planning , en français, tu me corrigeras, « planification des ressources d’entreprise ». Philippe, peux-tu nous présenter, un peu plus en détail que cela, ce que sont ces ERP ?

Philippe Scoffoni : Comme tu le disais, c’est effectivement un acronyme, j’utilise souvent le terme « logiciel de gestion, gestion d’entreprise, gestion d’association, gestion de coopérative », encore une fois, c’est un logiciel qui sert à un usage avec des modèles juridiques ou autres derrière.
Si on veut expliquer un peu ce que c’est, on peut utiliser un parallèle. Il faut imaginer l’entreprise un peu comme une grande maison. Il y a des pièces dans cette maison, il y a une cuisine pour préparer à manger, la chambre pour dormir, la salle de bain pour se laver, etc., chaque pièce a son rôle, ça c’est l’entreprise et l’ERP, ce logiciel, c’est un peu le cœur de la maison. Ce serait un peu comme un super système de domotique qui va connecter un petit peu toutes les pièces, qui va permettre de savoir ce qu’il y a dans le frigo, si la lumière est allumée dans le salon, etc. Ça veut dire, si on prend le cas d’une entreprise, que les services comme la comptabilité, les ventes, la gestion des stocks, etc., travaillent ensemble ; une maison, c’est un ensemble de pièces qui ont été conçues pour fonctionner ensemble ; une entreprise, c’est un ensemble de fonctions qui ont été conçues pour fonctionner ensemble. Et on va trouver, au cœur de l’entreprise, ce fameux logiciel qui a ce rôle de chef d’orchestre. C’est un peu pour donner les grandes lignes, je ne sais pas si l’analogie est très parlante.

Étienne Gonnu : Je suis impressionné, je trouve vraiment très efficace cette allégorie.

Philippe Scoffoni : Donc parfait. Ça parle un peu aux geeks qui aiment bien la domotique, l’ERP c’est le logiciel de domotique de l’entreprise.
Ce logiciel-là va donc couvrir tout un tas de fonctionnalités qui vont effectivement répondre aux besoins des différents services de l’entreprise et les possibilités sont assez étendues. Il y a des grands domaines très génériques dans une entreprise, une association ou une coopérative encore une fois, quel que soit le statut juridique, on va potentiellement vendre des prestations. Dans un restaurant, par exemple, on va avoir besoin de prendre les commandes des clients, de gérer les stocks des ingrédients, d’organiser le travail en cuisine, et puis, au final, de voir quels sont les plats qui se vendent le plus. Donc l’ERP, ce logiciel, doit fournir toutes ces fonctionnalités aux utilisateurs. C’est une espèce de carnet de bord qui relie un peu toutes les informations qu’on va collecter, qu’on va rentrer dedans, qu’il va calculer, etc. On va donc pouvoir aussi, avec un ERP, automatiser effectivement des choses, du travail, pour aller plus vite, pour être plus efficace, pour améliorer sa productivité, sa rentabilité, etc., pour contrôler que toutes les choses se passent comme elles doivent se passer, analyser l’activité, etc.
En gros, le but de ce logiciel, c’est d’essayer de rendre le fonctionnement d’une structure, quelle qu’elle soit, le plus fluide possible en centralisant les données au sein d’un même outil pour éviter d’avoir des données qui se promènent un peu partout, un coup dans des tableurs, un coup dans un logiciel de données et puis à un autre endroit, avec des données qui se dupliquent. L’objectif du logiciel de gestion d’entreprise, de l’ERP, c’est vraiment de centraliser toutes les données au sein d’un outil, c’est vraiment son objectif premier.

Étienne Gonnu : Et, comme tu le dis, il n’y a pas que les entreprises qui peuvent avoir intérêt à avoir un tel logiciel.
On entend souvent, associé au terme ERP, un autre acronyme, CRM, je crois que c’est Customer Relationship Management en bon anglais. Comment s’articulent-ils, parce que j’ai l’impression que ce sont des logiciels très proches ?

Philippe Scoffoni : Avec la partie CRM, on est plus sur la gestion de la relation clients, Customer Relationship Management. Là, effectivement, on est plus sur la partie potentiellement prospection, la « chasse aux clients », entre guillemets, donc des fonctions très amont dans le cycle de vente. Après, c’est toujours difficile de savoir ce que les gens mettent derrière ce terme, parce que ça va vraiment de, simplement, « je voudrais pouvoir faire des devis », à des fonctionnalités très avancées de pilotage de flotte, d’équipe de commerciaux qui vont aller faire des visites sur le terrain, saisir les comptes-rendus de rendez-vous, etc. On est plutôt sur cette partie vraiment prospection et puis, d’une manière générale, c’est pouvoir collecter et organiser toutes les informations sur ses prospects, sur ses clients, pour pouvoir les structurer, savoir ce qu’on fait avec ces clients-là. Là, on parle vraiment de la relation avec le client et de toutes ces informations qu’on veut garder autour de ce client.

Étienne Gonnu : Je vois la pertinence. Il y a une continuité.

Philippe Scoffoni : Il y a une continuité, en fait, les deux sont imbriqués. Il y a un chevauchement de fonctionnalités. Il y a des fonctionnalités de l’ERP qu’on peut considérer comme étant de la CRM et vice-versa, tout dépend de là où on met le curseur.

Étienne Gonnu : D’accord. En tout cas, on voit que ce sont des logiciels qui sont extrêmement importants, qui sont, on imagine du coup, extrêmement utilisés, qui peuvent aussi toucher, sans doute, des données sensibles. Mon impression, en tant que libriste, c’est de dire « heureusement qu’il existe des logiciels libres pour répondre à ces besoins », parce qu’il y a des libristes qui vont avoir ces usages et qui veulent pouvoir se tourner vers des solutions libres et puis, surtout, parce que ça permet d’avoir une souveraineté sur son infrastructure informatique et tout ce qu’on imagine, après, que le logiciel libre peut apporter en termes d’adaptabilité et de maîtrise de l’outil.
Tu es membre du conseil d’administration de Dolibarr. Tu as commencé de présenter Dolibarr. Donc Dolibarr est un ERP/CRM, je crois, il propose tout le spectre. Est-ce que tu peux nous présenter un peu Dolibarr ?

Philippe Scoffoni : C’est effectivement un ERP/CRM, plus ERP que CRM pour être honnête, qui existe maintenant depuis une vingtaine d’années à peu près, qui est né en France historiquement, qui, aujourd’hui, est porté par une grosse communauté avec encore, on va dire, beaucoup de Français mais qui s’est beaucoup internationalisé avec des Allemands, des Autrichiens, des Espagnols, des Italiens. C’est vraiment un projet à dimension européenne qui est pas mal utilisé, on voit maintenant des traces d’utilisation par des intégrateurs aussi côté Amérique du Sud. C’est donc un outil qui se développe beaucoup. C’est un outil qui est basé sur un modèle communautaire, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’éditeur derrière Dolibarr, c’est vraiment un outil développé, la plupart du temps, par un ensemble d’entreprises qui, comme la mienne, vont mettre en place ce logiciel et vont contribuer à sa correction, à sa modification, à son amélioration, etc.

Étienne Gonnu : As-tu une idée du chiffre d’utilisation ?

Philippe Scoffoni : À la grosse louche. C’est toujours compliqué parce que n’importe qui peut le télécharger, l’installer et l’utiliser. En plus, comme c’est un logiciel dont la prise en main est assez simple, avec même des petits packages d’auto-installation, je ne devrais pas le dire, avec tout ce qu’il faut pour le mettre sur un poste Windows, aussi sous Linux, donc il y a toute une quantité d’utilisateurs aujourd’hui qu’on ne sait pas compter. Sur le wiki de Dolibarr, une petite estimation avait été faite du nombre d’utilisateurs, je n’ai plus le chiffre en tête, mais on peut imaginer qu’il y a au moins, on va dire, 100 000 utilisateurs. Je crois, de mémoire, que c’était grosso modo le chiffre qu’on avait estimé en se basant sur un nombre de téléchargements, etc., c’est la seule chose qu’on a comme métrique.

Étienne Gonnu : Ce qui est important, c’est aussi pour cela que je te pose la question, ça va éclairer la suite de notre échange : des entreprises proposent ces logiciels, beaucoup d’entreprises les utilisent, ce sont donc des logiciels sérieux, qui sont développés avec beaucoup de rigueur et qui sont utilisés de manière tout à fait efficace, on va dire qu’il y a un marché. Dolibarr est une solution qui a sa place et qui, il me semble, existe de manière non marginale sur le marché des ERP.

Philippe Scoffoni : Et ce n’est clairement pas le seul. Aujourd’hui, il y a beaucoup de logiciels de gestion qui peuvent être parfois plus spécialisés : des logiciels de billetterie, des logiciels de caisse. Je peux en citer d’autres : OpenConcerto qui est édité par une société en Normandie ; on a le gros monstre Odoo avec sa version propriétaire à éviter, mais il y a la version communautaire, avec une énorme communauté, version qui, pour le coup, est vraiment libre avec un grand nombre de modules complémentaires disponibles sous licence libre, qui est donc aussi un des gros acteurs aujourd’hui dans le monde de l’ERP et j’en oublie, il y en a un gros paquet, ERPNext, Dokos, la liste est longue.

Étienne Gonnu : Je pense à nos amis de Pastèque, je crois que c’est plutôt du logiciel de caisse. La liste est longue et, mis bout à bout, il y a un vrai écosystème du logiciel libre qui a sa place dans le marché des logiciels d’ERP en général, de caisse en particulier, etc.
Je pense qu’on a bien présenté Dolibarr, mais peut-être qu’il y a des fonctionnalités, pour mettre en avant l’intérêt du logiciel libre pour les entreprises. S’il y a des entreprises ou des personnes qui utilisent des ERP non libres et qui nous écoutent, quel est l’intérêt d’un point de vue pragmatique ?

Philippe Scoffoni : Il y a pas mal d’intérêts. Un des intérêts, c’est déjà effectivement le fait qu’on puisse les utiliser potentiellement sans rien demander à personne, gratuitement pour utiliser le mot.
Après, quand on veut aller un peu au-delà, qu’on a une entreprise qui se développe, on peut effectivement avoir des besoins un petit peu particuliers, on a besoin d’adapter son logiciel de gestion aux particularités de son offre. C’est vrai que quand on est sur du logiciel propriétaire, faire évoluer ou compléter les fonctionnalités d’un logiciel propriétaire ça va être soit impossible soit épouvantablement cher, alors qu’avec un logiciel libre on va effectivement pouvoir le faire évoluer et l’améliorer, soit via des systèmes de modules complémentaires ou tout simplement en contribuant au cœur du logiciel. Cette ouverture-là reste un des gros avantages, notamment dans le monde de l’entreprise où, parfois, la compétitivité se joue à la capacité d’adapter au mieux, je dirais, l’outil de pilotage de l’entreprise, là, du coup, le logiciel libre a un énorme avantage parce qu’il est hyper-flexible, hyper-adaptable, il ne faut pas le faire n’importe comment, mais on a clairement, là-dessus, une marge que n’ont pas des logiciels propriétaires.

Étienne Gonnu : Si je file ta métaphore, si je veux repeindre juste la cuisine, je peux ajouter une pièce, et si je ne peux pas le faire moi-même, il y a plein d’entreprises, comme Easya Solutions, puisque tu es là et beaucoup d’autres, auxquelles je peux faire appel, des artisans spécialisés, parce que je ne sais pas monter une charpente, mais des gens savent très bien le faire et le feront.
Une dernière question avant qu’on arrive plus précisément sur la partie fiscale, sur la notion d’intégrateur par rapport à la notion d’éditeur ; Easya Solutions est un intégrateur. Je te pose cette question parce qu’il me semble qu’elle est importante pour la suite de nos échanges. Je pense que c’est bien de clarifier tout de suite.

Philippe Scoffoni : Un intégrateur est une société qui va mettre en place un logiciel qu’elle ne développe pas forcément en totalité. Si on parle d’intégrateur dans le monde du logiciel libre, il y a beaucoup de sociétés qui proposent des services : la mise en place, la configuration, des développements à façon, de l’hébergement autour d’un logiciel libre sans pour autant en être le développeur principal, donc là on parle plutôt d’intégrateur. En général, l’intégrateur va potentiellement contribuer au logiciel qu’il met en place si c’est un logiciel libre.
Quand on est éditeur, c’est un petit peu différent : on est celui qui développe le gros du code. J’ai des développeurs dont le job c’est de faire évoluer ce logiciel, de le maintenir, etc., avec souvent un modèle de vente indirect, ce qui est un peu différent. Pour le coup, l’éditeur aura des intégrateurs, d’autres sociétés qui déploient et qui mettent en place le logiciel qu’il développe, avec un modèle économique de contrats de maintenance ou des choses comme ça. On va dire que l’éditeur apporte son hyper-compétence sur l’outil, sur son fonctionnement, à des intégrateurs qui ont une compétence sur l’outil mais qui n’ont pas forcément besoin de connaître tous les internes de l’outil, juste savoir le mettre en place, le configurer, bien accompagner le client. C’est le rôle de l’intégrateur.

Étienne Gonnu : Très bien. Ça me paraît très clair.
On parlait de CRM, une info : le 20 mai 2025, les CRM seront le sujet principal de l’émission. Donc, si ça vous intéresse d’en savoir plus, connectez-vous sur causecommune.fm mardi 25 mai 2025 pour écouter en direct et, bien sûr, un podcast sera disponible.
Maintenant qu’on comprend mieux ce que sont des ERP et, pour ce qui nous intéresse, des ERP libres, comment ces logiciels sont-ils potentiellement impactés par de récentes réformes du droit fiscal et, en particulier, en ce qui concerne la facturation et l’encaissement qui sont deux gros usages des ERP me semble-t-il ? Quand on parle d’encaissement, il faut entendre, bien sûr, tout ce qui va toucher à la TVA, c’est un peu le nerf de la guerre. Et puis pourquoi craint-on un impact sur les ERP ? La question est : est-ce que c’est la fin des ERP ? On verra ça au cours de notre échange.
De base, la facturation et l’encaissement sont des usages qui doivent respecter un certain cadre légal, particulièrement quand ça va toucher à de la fiscalité.
Je vous propose de commencer d’abord par la facturation, un cas où la nouvelle réglementation va non seulement encadrer l’usage et, pour ce faire, va imposer le recours à un logiciel, ce qui, bien sûr, n’est pas anodin du tout. C’était une réforme du projet de loi de finances pour 2024, il y a donc un an.
Avant d’en arriver là, peut-on peut-être préciser un petit peu ce que l’on entend par facturation d’un point de vue justement entreprise et d’un point de vue aussi logiciel ?

Philippe Scoffoni : De manière générale, pour une structure, l’acte de facturer c’est l’acte d’enregistrer, en tout cas de formaliser la vente de quelque chose, que ce soit un service ou un produit, avec une facture qui est un ensemble d’informations. C’est réglementaire. Toutes les infos qu’on doit retrouver dans une facture sont listées sur les sites de l’État : qui vend le produit, quel est le produit, quel est le montant. On va trouver une notion de quantité, on va trouver une notion de prix unitaire et on va trouver effectivement une chose qui est assez importante, la notion de prix hors taxe et de prix toutes taxes comprises, lorsqu’on effectue une vente, si on est ce qu’on appelle assujetti à la TVA. Les micro-entrepreneurs, par exemple, et ça a fait l’objet de pas mal de remous encore ces derniers temps, sont potentiellement assujettis, c’est-à-dire doivent prélever de la TVA. Le taux de TVA dépend des produits : le taux de TVA normal est de 20 %, il y a différents taux de TVA sur l’alimentaire, 10 %, 5,5 %, etc. On va prendre le cas plus général, le taux de TVA de 20 %. Donc, quand une structure assujettie à la TVA vend pour 100 euros de produit, elle doit rajouter 20 euros, 20 % de TVA, elle va donc faire une facture de 120 euros toutes taxes comprises. L’acheteur paye 120 euros toutes taxes comprises, sachant que sur ces 120 euros, 100 vont effectivement dans la poche de l’entreprise et les 20 sont en fait collectés par l’entreprise pour l’État, c’est-à-dire qu’en fin de mois l’entreprise va déclarer le montant total de sa TVA collectée et elle va le reverser à l’État.

Étienne Gonnu : D’où l’importance, pour l’État, d’encadrer un petit peu comment la facturation se passe, notamment quand on utilise des logiciels.

Philippe Scoffoni : Quand on vend à des particuliers, le particulier paye effectivement cette TVA, c’est finalement lui qui paye cette TVA. Les entreprises ont des mécanismes : quand elles sont assujetties à la TVA, en fait, elles vont encaisser, elles vont collecter de la TVA et, quand elles-mêmes font des achats, les factures comportent aussi de la TVA et cette TVA qui leur est facturée est déduite de celle qu’elles collectent, une espèce de calcul est fait effectivement au moment de la déclaration, et l’entreprise ne paye que la différence. Donc, si elle a collecté plus de TVA que ce qu’elle en a, entre guillemets, « payé », elle va reverser l’écart à l’État.
Si on imagine toutes les transactions qui se font en France tous les jours, tous les mois, pour lesquelles cette TVA s’applique, ça représente des montants extrêmement importants pour l’État et pour son budget.

Étienne Gonnu : Et on imagine, du coup, que les solutions d’ERP, qui vont devoir gérer tout ça, doivent être très réactives. Une part de ce métier va être d’intégrer correctement la loi, les taux à jour, etc. Elles sont donc très intéressées par les réformes fiscales.

Philippe Scoffoni : C’est effectivement l’ERP qui va automatiquement rajouter cette TVA, etc., suivant les contextes, encore une fois, puisqu’on peut être exonéré de TVA. Il y a plein de subtilités autour de ces sujets-là, on ne va pas rentrer dans les détails aujourd’hui, il faudrait plus que l’émission.

Étienne Gonnu : On va dire que ce serait un autre sujet.
Revenons, justement, donc loi de finances 2024. Tu vas préciser, mais, en gros, cette loi a imposé la généralisation de la facturation électronique entre entreprises. Je précise tout de suite que des délais ont été prévus : 1er septembre 2026, obligation de pouvoir réceptionner les factures électroniques pour toutes les entreprises et obligation d’émettre pour les grandes entreprises et les établissements de taille intermédiaire et 1er septembre 2027, généralisation du procédé, obligation d’émettre des factures électroniques étendue aux PME, TPE, ce n’est donc pas aujourd’hui. Si une entreprise nous écoute, je pense qu’elle est sans doute à peu près au courant, mais voilà !
Que veut dire cette généralisation de la facturation électronique entre entreprises ? Ça veut déjà dire qu’avant il n’y avait pas d’obligation d’utiliser une facture électronique et que, maintenant, ça va être le cas ?

Philippe Scoffoni : Oui, tout à fait. Aujourd’hui, quand les entreprises émettent leur facture, un document « normalisé », entre guillemets, avec des informations normalisées, elles peuvent soit le remettre en mains propres sur papier ou l’envoyer à leurs clients, l’envoyer par e-mail en PDF. C’est ce qui s’est pratiqué depuis très longtemps et qui se pratique encore aujourd’hui. Et là, avec la réforme, on va devoir passer à un format 100 % numérique, structuré, standardisé, donc les factures papier, voire envoyer par mail, ça va être fini, tout simplement, tout cela va devenir totalement structuré, standardisé.
Déjà, on peut quand même attendre quelques gains à simplifier la gestion des factures, parce que papier, PDF, mail, ça veut dire des choses qui, potentiellement, se perdent, qui n’arrivent pas à leurs destinataires, donc des retards de paiement, etc. Ce système-là va permettre d’automatiser le flux de facturation entre les vendeurs et les acheteurs, donc, déjà, ça va fiabiliser un peu ce tunnel-là.
On a parlé de la TVA, l’idée c’est effectivement de lutter contre cette fraude à la TVA. Ça veut dire quoi ? Concrètement, ça veut dire que toutes les factures vont être ainsi dématérialisées vont transiter, vont être communiquées à l’État qui va donc pouvoir voir, quelque part un peu en temps réel, toutes les transactions de vente et d’achat entre les différentes structures, sociétés, en France, pour pouvoir effectivement automatiser et fiabiliser les déclarations de TVA, donc, entre guillemets peut-être « limiter la fraude », encore que, malgré tout, on « enverra » bien, entre guillemets, un petit peu que ce qu’on veut dans les tuyaux.
L’objectif initial, affiché, qui a été vendu, c’était effectivement de simplifier un petit peu tout cela pour les entreprises, simplifier, fiabiliser.

Étienne Gonnu : Qu’est-ce que ça génère comme craintes ? On pourrait dire « OK, super, on doit envoyer à l’État, ça facilite la gestion. » Quelle était la difficulté ou la menace pour les ERP libres ?

Philippe Scoffoni : Si on rentre un peu plus dans le détail de la mise en œuvre de cette réforme, on a vu les grands principes, on dématérialise les flux de factures, après il y a le comment.
Initialement le comment, dans la première loi pour la dématérialisation, parce que c’est un projet qui a déjà été repoussé une première fois en 2022, quand ça a été lancé il était question de mettre en place ce qu’on appelait le Portail Public de Facturation qui devait permettre à n’importe quelle entreprise de déposer gratuitement, sur ce portail, ses factures pour qu’elles soient transmises ensuite à l’acheteur et qu’il puisse signaler le règlement. Une plateforme publique devait être mise en place et l’État avait également prévu – il fallait laisser un peu de place au secteur privé – la possibilité d’avoir ce qu’on appelle des PDP, c’est l’acronyme qu’il faut retenir. PDP, c’est « Plateforme de Dématérialisation Partenaire », donc des sociétés privées qui pouvaient venir s’inclure dans ce système-là pour effectivement proposer aux entreprises des services à valeur ajoutée autour de leurs factures, la possibilité de régler les factures directement depuis leur plateforme, etc., d’automatiser et de transférer ces factures au Portail Public de Facturation.
On avait donc un système central, mis à disposition par l’État, auquel on pouvait soit directement remettre ses factures ou directement chercher ses factures dessus, soit passer par un prestataire privé, parce qu’on avait besoin des services qu’il proposait.
C’est ce qui était prévu initialement et puis cet hiver, octobre si je ne dis pas de bêtises, communiqué de presse de la DGFiP qui annonce que, ma foi, comme on a aujourd’hui près de 70 plateformes de dématérialisation partenaires qui se sont présentées, qui ont, on va dire, une accréditation provisoire pour l’instant, puisqu’il faut une accréditation pour être PDP, pour ne pas retarder le projet, on va finalement abandonner le Portail Public de Facturation. Conséquence : toutes les entreprises devront obligatoirement passer par un PDP, par une entreprise privée pour remettre leurs factures ou récupérer leurs factures.
C’est un peu le « coup de tonnerre », entre guillemets, d’octobre 2024. Le Portail Public de Facturation d’État devait être gratuit, là, tout d’un coup, on découvre qu’on passe dans un modèle où, pour pouvoir déposer, émettre ses factures ou recevoir ses factures, toutes les entreprises vont devoir payer.

Étienne Gonnu : Ils ont inventé une rente.

Philippe Scoffoni : Voilà ! C’est effectivement un système qui génère une rente réglementaire. La facturation, en France, c’est 2,5 milliards de factures par an ! À quelques centimes la facture, je vous laisse imaginer le marché, ce n’est pas rien ! C’est conséquent !

Étienne Gonnu : Quelles solutions ?

Philippe Scoffoni : C’est aujourd’hui, l’état de fait dans lequel on est. Il n’y aura probablement pas de retour arrière sur cet état de fait. Il reste quand même l’option de se plaindre, de faire remonter son mécontentement, etc., ce qu’ont fait beaucoup de syndicats d’entreprises, etc., mais malheureusement, comme on pouvait s’y attendre, ça n’a pas fait bouger les lignes de ce point de vue-là.
J’ai lancé une initiative qui est de tenter de monter un PDP avec une structure, avec une gouvernance ouverte, un fonctionnement ouvert, des coûts de fonctionnement ouverts, du logiciel open source, puisque derrière, pour être PDP, ça sous-entend de développer un logiciel pour recevoir les factures, les transmettre, etc., c’est un assez gros projet. On pourrait avoir un bel outil open source qui pourrait, du coup, être réutilisé par d’autres entreprises qui voudraient, potentiellement, se déclarer PDP. On pourrait un peu changer le marché de ce point de vue-là.

Étienne Gonnu : Quand vous avez lancé ce projet-là, j’ai trouvé intéressant, justement, de montrer que c’est parce que c’est du logiciel libre que c’est possible, avec tout un panel, tout un écosystème d’entreprises concurrentes dans les faits, mais, en fait, c’est de la coopétition comme on dit, de la compétition par la coopération. J’ai suivi vos échanges et, à mon niveau de compréhension, j’ai vu comment une initiative communautaire, une réponse communautaire peut être trouvée et on voit comment, peut-être, ça peut aussi montrer l’intérêt du logiciel libre via cette situation.

Philippe Scoffoni : Aujourd’hui, il faut imaginer que les 70, même 80 maintenant, PDP référencées ont développé 80 fois la même chose, ce qui, pour moi est une aberration complète, vulgairement parlant.

Étienne Gonnu : C’est un gaspillage d’énergie.

Philippe Scoffoni : Alors qu’on aurait pu développer UN logiciel open source, avec après, plusieurs structures, parce qu’il n’y a pas que le logiciel : il faut l’exploiter, il va falloir que ça tourne et il n’y a pas intérêt à ce que les factures se perdent, donc, derrière, il y a quand même encore du travail au-delà de faire le logiciel. On aurait effectivement pu imaginer que ce logiciel soit développé en open source, ce n’est pas forcément encore perdu !

Étienne Gonnu : On se demande pourquoi les pouvoirs publics ne s’en saisiraient-ils pas ? Êtes-vous soutenus par exemple par la Dinum ? En avez-vous parlé avec la Dinum ? On imagine l’intérêt, pour l’État, d’avoir des plateformes dont on peut auditer le code pour voir comment ça fonctionne, justement, ça facilite aussi peut-être le travail de contrôle l’administration fiscale.

Philippe Scoffoni : J’avoue qu’à l’échelle de l’initiative qu’on a lancée, on n’a pas eu vraiment encore le moyen. Aujourd’hui, je suis en contact avec le TOSIT, par exemple, une structure qui regroupe quand même des grosses entreprises françaises, Orange, SNCF, etc., pour essayer de voir si ça intéresserait ces entreprises-là qui, quelque part, vont devoir dématérialiser elles aussi des milliers et des millions de factures, d’avoir un logiciel open source qu’elles puissent internaliser parce qu’elles en ont les moyens.
Je donne un exemple : dans la liste des PDP, il y a une chaîne de supermarchés, je ne vais pas les nommer, qui a monté son propre PDP. C’est effectivement intelligent pour, quelque part, garder une forme de souveraineté sur ses données de facturation, là, on commence aussi à mettre le doigt dans le sujet. Je vois le problème que ça pose. En fait, l’initiative qu’on a lancée fédère bien au-delà du logiciel libre. On a des éditeurs de plateformes SaaS propriétaires, fermées, qui sont aujourd’hui impliqués et très motivés dans ce projet-là parce que pour eux aussi, quelque part, pour leurs clients, pour leurs utilisateurs, il y a déjà une forme de perte de souveraineté : je suis obligé de transmettre toutes mes données de facturation, toutes mes données de vente, toutes mes données d’achat, à des tiers. Et, si on regarde la liste des PDP, ce ne sont pas que des structures françaises. Il y a des structures en Belgique, en Hollande, on reste dans la CEE, mais qui vont peut-être héberger ça sur du cloud AWS, on ne sait pas où, etc. Là, on n’est plus sur une problématique de valeur. Ce problème de facturation électronique touche au-delà du logiciel libre, quelque part, de souveraineté, encore une fois, des données qu’on va tout d’un coup balancer. Certaines professions, j’ai vu passer les avocats et d’autres, demandent explicitement à être exclues de ce dispositif parce qu’elles sont tenues à un droit de confidentialité, donc balancer leurs factures avec ce qu’elles facturent à leurs clients, non !

Étienne Gonnu : Oui, c’est important.
Je vois le temps qui avance et on doit aussi parler d’encaissement. Peut-être rappeler, en positif, qu’effectivement les personnes qui vont être obligées de passer par ce système-là, mais qui ont à cœur d’utiliser le logiciel libre, une solution devrait donc exister. Où en êtes-vous, peut-être juste pour conclure ? Est-ce que tu fais un appel à participation à ce projet ?

Philippe Scoffoni : Juste par rapport à l’impact, il y a la question des valeurs, de souveraineté, il y a aussi l’aspect pratico-pratique, c’est-à-dire que tous ces logiciels libres vont devoir développer des connecteurs, au moins un connecteur avec ces fameux PDP. Ça représente du temps et de l’argent, c’est un investissement et, pour les petits projets de logiciel libre, ça va être encore de longs week-ends, de longues nuits, à coder.

Étienne Gonnu : Précisons qu’un collecteur, c’est une manière pour transmettre les informations aux PDP.

Philippe Scoffoni : Pour pouvoir transmettre informatiquement, ça va être une obligation. Donc cette réforme impose aussi un coût, une charge, à ceux qui portent ces logiciels libres pour venir développer. Dans la communauté de Dolibarr, on va dépenser du temps et de l’argent pour développer un connecteur, pour être, on va dire, raccord avec cette législation. Si on ne le fait pas, on ferme, entre guillemets, « Dolibarr c’est fini ». Ça n’arrivera pas, mais si Dolibarr n’est pas en mesure de transmettre ses factures tel qu’exigé ou de les recevoir tel qu’exigé, plus personne n’utilisera Dolibarr.

Étienne Gonnu : Ce serait comme vendre une maison sans cuisine.

Philippe Scoffoni : Et pareil pour tous les petits logiciels. Donc, quelque part, cette réforme génère aussi un coût et, dans les modèles de logiciel libre, ce n’est pas neutre, ça peut même être très problématique suivant les projets. C’est l’autre truc qu’il est important d’avoir en tête sur l’impact de cette réforme, pour le logiciel libre en tout cas.

Étienne Gonnu : On sait que le tissu des entreprises du logiciel libre est pour beaucoup composé de TPE et PME, on imagine que des grosses réformes comme cela sont plus faciles à intégrer, à digérer, par des très grandes entreprises, d’où l’importance, pour les entreprises du Libre, de pouvoir faire communauté, on y revient.
Faites-vous un appel à vous rejoindre dans le cadre de ce projet ou tout le monde est déjà là ?

Philippe Scoffoni : On a déjà rameuté pas mal de monde. Après, si vous êtes effectivement concerné par cette réforme de la facture électronique, que vous avez un logiciel de gestion, j’ai envie de dire libre ou pas, ce n’est pas grave, en l’occurrence toutes les volontés sont les bienvenues, vous pouvez nous répondre. Sur la partie communication, il n’y a pas encore de site web, il n’y a encore rien de très visible. Pour les points d’entrée, je pense qu’il y aura une adresse mail, des choses comme ça que je pourrai donner.

Étienne Gonnu : L’April pourra aussi faire le lien. C’est un projet qui est récent et je rappelle les échéances : 1er septembre 2026, 1er septembre 2027, ça va venir vite, mais il y a encore le temps.

Philippe Scoffoni : Il y a encore moyen de participer. On est en train de structurer les statuts. On va probablement démarrer avec une structure associative pour faire simple et commencer un peu à structurer le projet et puis avancer.

Étienne Gonnu : En tout cas, c’est un beau projet. Je trouve très intéressantes toutes les réflexions que vous avez eues sur les formes : association, entreprise, société anonyme, etc. C’est très intéressant à suivre et c’est un bel exemple de ce qu’il est possible de faire.
Je vous propose de faire une pause musicale pour qu’on puisse mieux se concentrer sur la suite de notre échange, sur l’encaissement, un autre gros morceau.
Nous allons écouter, aEDoNISM par Ceili Moss. On se retrouve juste après sur Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : aEDoNISM par Ceili Moss.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : De retour sur Cause Commune. Nous venons d’écouter aEDoNISM par Ceili Moss, disponible sous licence Creative Commons Attribution, CC By.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Vous écoutez Libre à vous !, l’émission de l’April qui vous raconte les libertés informatiques.
Nous discutons avec Philippe Scoffoni, président de l’association PLOSS-RA, membre du conseil d’administration de l’association Dolibarr et dirigeant d’Easya Solutions. Nous parlons d’ERP libres, ces logiciels de gestion de ressources d’entreprise. Nous avons présenté ces outils. Nous avons discuté de la réforme sur la part concernant la facturation. À présent, nous allons parler de la récente réforme, pendant le projet de loi de finances pour 2025, donc très récent, et comment cela a impacté les logiciels de caisse, qui est, j’imagine un autre gros morceau de ces ERP.
Pour les personnes qui suivent l’April, je vais juste rappeler le contexte antérieur.
Il y a quelques années, 2016/2017, une réforme fiscale a imposé des documents de conformité, c’est-à-dire que si vous avez une caisse vous devez pouvoir prouver que cette solution respecte un certain nombre de critères de fiabilité, etc., soit en mettant la certification soit une attestation et c’est l’éditeur ou l’intégrateur qui vous remet ce document.
Les logiciels libres permettent la modification du logiciel. À l’époque, il y avait une crainte que la moindre modification amènerait la nullité de l’attestation qui avait été remise par l’éditeur de la solution libre ou alors une forme de responsabilité infinie des intégrateurs, donc quelque chose d’intenable. L’April, et des parties prenantes d’entreprises, avions beaucoup échangé avec l’administration fiscale pour clarifier un petit peu tout cela, la doctrine, pour clarifier les textes application et pour clarifier que les logiciels libres étaient compatibles avec ce système, ce qu’on avait réussi à obtenir.
C’est donc la situation actuelle, tu vas pouvoir me le confirmer ou infirmer, mais jusqu’à présent les entreprises qui proposent des ERP et des solutions d’encaissement pouvaient elles-mêmes attester auprès de leurs clients que la solution était conforme au droit fiscal.

Philippe Scoffoni, : C’est ça. On avait effectivement la possibilité de délivrer une attestation de conformité en tant qu’intégrateur, en tout cas dernier, en bout de chaîne, qui met en place l’outil, comme quoi la solution dans la version telle qu’elle est installée, déployée, est effectivement conforme. C’est quelque chose qui permettait de tranquilliser le fisc de façon assez simple, en tout cas pour nous.

Étienne Gonnu : Conforme et des modèles se sont développés, vous avez pu absorber ça dans vos modèles économiques. Sauf que la loi de finances pour 2025 a supprimé cette possibilité d’attester, elle exige à présent que les entreprises fassent certifier leur solution. C’est bien ça ?

Philippe Scoffoni, : C’est ça. C’était déjà présent dans le texte initial, au départ il n’y avait même que ça en fait, en 2016 c’était « il faut que le logiciel soit certifié ». Certifié, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’on va payer un auditeur, donc déjà, première chose, il y a un coût, pour venir vérifier que le logiciel est bien conforme à toutes les exigences d’un référentiel. Il y a aujourd’hui deux référentiels : la certification NF525 et le référentiel de la LNE, mais c’est surtout la NF525 qui est aujourd’hui principalement utilisée. Au passage, la NF525 est une norme qui n’est pas accessible publiquement et on ne peut même pas l’acheter pour la consulter.

Étienne Gonnu : Ce n’est pas seulement au passage, c’est au cœur même du problème d’ailleurs.

Philippe Scoffoni, : C’est un des problèmes. Après, on a quand même le référentiel de la LNE qui, lui, est public, qui est sensiblement identique et qui permet quand même de commencer à travailler, mais, sur le principe, on a déjà un truc qui est un peu choquant, je trouve, premier point : la NF525 devrait être publique puisque c’est quelque chose qui, aujourd’hui en tout cas, va devenir exigé de tous les logiciels qui gèrent des encaissements. Ça veut dire qu’il va falloir faire auditer le code de ces logiciels pour qu’ils puissent effectivement obtenir cette certification. Un audit initial, pour la N525, c’est déjà 8 000 euros juste pour passer l’audit et après, bien entendu, il y a tout le travail préparatoire à cet audit, la documentation qu’il faut probablement compléter si c’est le cas et puis plein de petits détails. Comme on est déjà en train de travailler dessus côté Dolibarr, on voit bien qu’il y a plein de petits détails : à un endroit il faudrait que la date et l’heure soient mises, s’il n’y a que la date, ça ne va pas, c’est une non-conformité. Cela peut aussi générer une charge de travail en amont même de l’audit.
Et puis, aujourd’hui, comment fait-on certifier un logiciel open source ? Quand il y a un éditeur, j’ai envie de dire que c’est peut-être le cas « le plus simple », entre guillemets, c’est l’éditeur qui va faire auditer son logiciel et le faire certifier et là on a un logiciel open source qui est certifié. Restent les conditions dans lesquelles ce logiciel certifié est mis à disposition, parce que, bien souvent, comme on met à disposition le code source, est-ce que dans le cadre de la mise à disposition, il n’y a pas aussi un certain nombre d’éléments qu’il va falloir certifier, « double-certifier », entre guillemets ? Je ne suis pas un spécialiste du sujet, pareil, on est en train d’y travailler avec la communauté, mais on se pose aussi des questions sur cet aspect-là. C’est-à-dire qu’il y aura la certification du logiciel et les conditions dans lesquelles ce logiciel est mis à disposition.
Par rapport à l’éthique du logiciel libre, on est en train de se retrouver dans un système qui va contraindre à fermer beaucoup de choses.
Je sais que dans le cadre de l’attestation on était déjà obligé de refermer un peu les choses. Si je prends le cas de ma société, on ne délivrait l’attestation qu’aux clients que nous hébergions sur nos infrastructures. Comme cette attestation mettait initialement, comme tu le dis, un lien, une responsabilité sans limites, c’est-à-dire qu’en cas de fraude de votre client, parce qu’il a bidouillé le code, admettons, vous étiez coresponsables sans limites, des montants de TVA qu’il aurait dissimulés. Avec la certification, c’est pareil, on risque d’avoir un petit peu des problèmes potentiellement similaires, donc ça pose plein de questions autour du modèle. Comme je l’ai dit, pour un éditeur, ça peut s’envisager. Quand on est sur un modèle communautaire où il n’y a pas de structure juridique réellement « porteuse », entre guillemets, d’un logiciel, qui va faire la démarche de certifier ? Qui va payer ? Ça pose quand même beaucoup de questions.
Là, on est vraiment sur un problème qui touche le logiciel libre, qui questionne effectivement. Comme pour la facturation électronique, ce sont des coûts. Suivant les modèles économiques, ce sont peut-être des logiciels libres qui ne seront pas en mesure d’obtenir cette certification, qui, donc, ne seront plus utilisables et là, derrière, ce sont des utilisateurs qui vont se retrouver, pour le coup, pénalisés puisqu’ils ne pourront plus utiliser le logiciel de billetterie qu’ils utilisaient pour leur petit théâtre de quartier ou pour leur épicerie solidaire, etc. Tous ces acteurs-là vont être potentiellement touchés de plein fouet, devoir acheter une caisse certifiée ou fermer parce que, tout simplement, ils n’en auront pas les moyens.

Étienne Gonnu : Alors que pourtant cet usage leur est nécessaire, mais ils n’auront pas les moyens. On voit bien les effets de bord potentiels.
Comme on avait fait en 2016/2017, L’April va entrer en contact, déjà lancer des contacts et on relancera, si nécessaire, l’administration pour travailler avec elle sur la préparation des textes d’application, parce qu’il n’y a pas encore eu ce qu’on appelle le décret d’application qui va préciser les modalités de mise en œuvre. Il va falloir que ce soit rapidement clarifié, à priori on va aussi contacter l’administration pour cela.
Rassurez-vous ! Pour le moment, vos logiciels avec attestation sont encore valables, vous pouvez encore utiliser ces logiciels-là. Ça va faire partie de la discussion déjà de clarifier ça, d’avoir des délais quand même suffisants pour que les entreprises puissent adapter leur modèle à la situation, je pense que c’était utile de le préciser.
Ce que tu dis est important. On voit que ça ne concerne pas que les éditeurs, les intégrateurs et leurs modèles économiques, c’est tout l’écosystème et aussi toute la communauté des personnes qui utilisent pour des raisons éthiques, parce que, simplement ce sont des logiciels qui sont financièrement plus accessibles que des choses sur étagère dans un marché.
Ce qui, à la base, avait permis de trouver l’équilibre sur l’attestation, c’était que si on modifie une partie on va dire majeure du logiciel, la personne qui le modifie devient l’éditeur, devient donc responsable. Ça faisait porter la responsabilité sur l’utilisateur, il devenait lui-même éditeur s’il y touchait, ce qui ne va pas.
Je me pose une question. Une grande force du logiciel libre, et tu l’as évoquée plus tôt, c’est la réactivité, l’adaptabilité, la capacité de proposer des choses. Comment trouver un équilibre par rapport à la rigidité, on va dire, du système de certification ? Est-ce que tu penses que ça va avoir un impact ?

Philippe Scoffoni, : Pour moi oui. Une certification ça a un coût, il faut la maintenir dans le temps. Il y a l’audit initial, il y a des audits de renouvellement, etc., et on paye, comme ça, ad vitam æternam pour conserver cette certification.
Tant qu’on ne touche pas aux fonctionnalités qui sont dans le périmètre de la certification – la facturation, les encaissements, le logiciel de caisse, etc. – on peut continuer de faire évoluer le logiciel de gestion autour, en restant dans la même version et en gardant cette certification. Par contre, dès qu’on va vouloir toucher à ce cœur, ce périmètre-là, il faut effectivement repasser par une phase de certification avec, à nouveau, un coût, ça veut dire que ça influe sur le rythme des versions. J’imagine que dans Dolibarr il y aura une version certifiée. Dolibarr, c’est une version tous les six mois. Même si tout le monde ne monte pas forcément de version tous les six mois, ça n’a pas d’intérêt, mais peut-être tous les ans ou tous les deux ans, ça veut dire qu’il va falloir avoir des versions dites certifiées, peut-être parfois rester sur ces versions-là parce que le projet ne va pas avoir les moyens de refaire certifier une autre version avant un an, deux ans, il va rester sur les fonctionnalités de cette version certifiée, il va rester coincé sur cette version certifiée, parce que, si on en change, elle ne sera plus certifiée. Ça va clairement amener de la rigidité, ce qui n’est pas l’apanage du logiciel libre, au contraire.

Étienne Gonnu : On voit que l’impact est double. C’est une procédure très lourde, qui impacte les petites et moyennes entreprises que sont souvent les logiciels libres et qui est très peu compatible avec la réalité des développements logiciels en général, mais en particulier pour les logiciels libres.
Là on dresse un tableau pour lequel on n’a pas de quoi se réjouir, contrairement à la facturation qui était peut-être plus avancée, ici les décrets ne sont pas encore parus.

Philippe Scoffoni, : Non, on les attend.

Étienne Gonnu : Il y a ce qu’on appelle la doctrine fiscale : l’administration précise comment elle entend appliquer, qui est opposable, c’est donc un document extrêmement important et là aussi il y aura moyen de discuter.
L’objectif, et on nous l’a dit, ce n’est pas de venir taper, en tout cas, normalement, ce n’est pas de venir sabrer ou saboter l’écosystème du logiciel libre, on ne le pense pas, il n’y a pas vraiment de raison, c’est de lutter contre la fraude à la TVA. Alors est-ce que c’est un outil utile, qui fait sens, pour lutter contre la fraude à la TVA, que de retirer l’attestation ? Nous pensons que non, mais on n’en est plus là de la discussion puisque la loi a été adoptée, donc avançons. On va pouvoir réfléchir sur les coûts, sur les délais d’adaptation, peut-être sur les périmètres, il y a peut-être des manières d’alléger, il va falloir en discuter avec l’administration. Soyons optimistes sur la capacité de l’administration de nous entendre, il faut un optimisme de nécessité, on va dire, et de forme.
Je vois le temps qui file. Est-ce que tu voulais mentionner un dernier point sur la partie caisse ?

Philippe Scoffoni, : Non. Je pense qu’il y a effectivement encore « un combat » à mener, entre guillemets, il faut le mener jusqu’au bout, essayer de « gratter », entre guillemets, un maximum de choses.

Étienne Gonnu : Précisons que ce qu’une loi a voté une autre loi peut le défaire. Je pense que c’est difficile de l’envisager, mais ce n’est pas du domaine de l’impossible non plus.
En préparation de l’émission tu as mentionné autre chose et je pense que c’est est tout à fait en lien, c’est le Cyber Resilience Act, une réglementation européenne qui est déjà bien en place et qui a aussi fait couler beaucoup d’encre, même si le résultat final est beaucoup moins inquiétant qu’il ne l’était à la base. Je le mentionne parce que c’est effectivement une autre manière de réglementer des usages logiciels, qui va impacter tous les logiciels, notamment les logiciels libres, qui vont devoir répondre à des critères pour prouver leur sécurité informatique. Citons, et il sera en lien sur la page de l’émission, le travail du CNLL, l’Union des entreprises du logiciel libre et du numérique ouvert, qui a publié un guide de conformité au Cyber Resilience Act en décembre dernier. Tu as bien fait de me rappeler ce document qui s’inscrit bien dans le cadre de notre échange. Si vous êtes concerné, n’hésitez pas à aller consulter cet excellent guide.
Il reste une minute, deux minutes, je voulais te laisser un temps pour parler de PLOSS-RA et des Rencontres Professionnelles du Logiciel libre que vous portez, un autre exemple de communauté.

Philippe Scoffoni, : Tout à fait. Merci.
C’est un événement qu’on organise tous les ans sur Lyon. Cette année, c’est la Métropole de Lyon qui nous qui nous accueille, comme l’an passé d’ailleurs. C’est une journée avec des conférences, des ateliers, des exposants, on en est à 26/27 exposants, plus 9 associations ou structures associatives qui seront présentes. C’est une journée très sympa pour se retrouver et échanger autour de toutes ces solutions libres qui existent et venir découvrir des sujets divers et variés.

Étienne Gonnu : Si vous êtes dans le coin, allez-y. Je précise que Julie Chaumard était venue l’an passé, à l’édition 2024, elle avait conduit une série d’interviews de personnes participantes que vous pouvez retrouver dans libreavous/213.
Philippe Scoffoni, membre du conseil d’administration de Dolibarr, dirigeant d’Easya Solutions et président de PLOSS-RA, merci encore d’avoir participé à cette émission, de nous avoir éclairés sur ces enjeux. Je te souhaite une excellente fin de journée.

Philippe Scoffoni, : Merci beaucoup à toi et merci pour l’écoute à tout le monde.

Étienne Gonnu : Nous allons à présent faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous allons écouter Stick Together par Cistem Failure. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Stick Together par Cistem Failure.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Stick Together par Cistem Failure, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
J’en profite pour remercier les bénévoles de l’équipe musique de Libre à vous ! qui nous trouvent des musiques libres à diffuser. Personnellement j’aime beaucoup ce groupe, Cistem Failure, de banjo punk bien remonté et c’est grâce à elles et eux que je l’ai découvert. D’ailleurs n’hésitez pas à nous proposer des musiques libres à bonjour chez libreavous.org.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April. Nous allons tout de suite passer aux annonces de fin d’émission.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Dans les annonces.
Le week-end des 15 et 16 mars sera un important week-end pour l’April.
Pour les membres, déjà, rendez-vous samedi 15 mars après-midi pour les assemblées générales. En plus de l’AG ordinaire, une AG extraordinaire aura lieu pour voter la proposition de nouveaux statuts. Il est encore possible de voter en ligne si vous ne pouvez pas être disponible le jour même.
Avant ces AG, nous vous proposons, comme lors de la précédente AG, un temps de conférences éclairs, le samedi matin, ouvert à toute personne, membre ou pas de l’April, on en a parlé avec Jean-Christophe en début d’émission. Les conférences éclairs consistent en une succession de courtes présentations, de six minutes chacune, qui s’enchaînent sur des sujets variés. C’est la diversité des sujets, en lien avec le Libre de près ou de loin, qui font la richesse de l’événement. D’ailleurs, si vous nous écoutez en direct, il est possible de nous proposer une conférence jusqu’au jeudi 6 mars à midi.
Le jour suivant, dimanche 16 mars, nous vous proposons de nous retrouver dans le cadre d’un April Camp, également ouvert à toute personne, pour faire avancer différents projets de promotion et de défense du logiciel libre ou, plus simplement, pour discuter, faire connaissance. Nous consacrerons notamment, avec toutes les personnes intéressées, un moment d’échanges pour élaborer une possible position de l’April vis-à-vis de l’intelligence artificielle.

Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois à partir de 19 heures 30 dans ses locaux, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement. Une réunion d’équipe ouverte au public avec apéro participatif à la clé. L’occasion de découvrir le studio et de rencontrer les personnes qui animent les émissions. La prochaine soirée radio ouverte aura lieu le 7 mars.

La 24e édition de Libre en Fête, du 8 mars au 6 avril, approche. Quatre-vingt-trois événements sont déjà au compteur. Faire découvrir le logiciel libre et la culture libre au grand public au travers d’événements proposés partout en France, dans une dynamique conviviale et festive, tel est l’objectif de cette initiative de l’April qui existe grâce à la mobilisation des organisations locales de promotion du logiciel libre. Merci à toutes.

Dans le cadre de la deuxième édition d’AlpOSS, l’événement isérois de l’écosystème du logiciel libre, Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, a donné une conférence éclair intitulée « Mes petites pépites libres préférées ». La vidéo et la transcription de sa conférence sont à présent disponibles.

La quatrième édition de Numérikoff, événement destiné à favoriser une utilisation responsable, écologique, citoyenne et préventive du numérique aura lieu du lundi 17 au samedi 22 mars 2025 à Malakoff. À cette occasion, Magali Garnero, alias Bookynette, ici présente en régie, interviendra jeudi 20 mars, à 19 heures 30, à une table ronde intitulée « Médias réseaux sociaux et (dés)information, quelle menaces sur le débat démocratique ? Quels outils pour se libérer ? »

Les Journées des Libertés numériques, JDLN, sont de retour du 10 au 30 mars 2025 à Nantes, à la Roche-sur-Yon et à Angers et en ligne. JDLN propose un large panel d’événements – ateliers, conférences, débats, tables rondes, performances artistiques, etc. – pour débattre et agir sur la place du numérique dans nos vies. Cette année, le programme est autour du thème de la démocratie numérique avec notamment un débat participatif sur les cyberviolences de genre le 13 mars, un atelier sur l’autodéfense numérique féministe le 15 mars, et un débat participatif sur la surveillance numérique le 17 mars.

Je vous invite, comme d’habitude, à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec les logiciels libres et la culture libre près de chez vous, ainsi que les associations qui les font vivre.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Jean-Christophe Becquet, Philippe Scoffoni.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Bookynette.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux et Théocrite, bénévoles à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org/238, toutes les références utiles de l’émission de ce jour, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez également nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 11 mars 2025 à 15 heures 30.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 11 et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Média d’origine

Titre :

Émission Libre à vous ! diffusée mardi 4 mars 2025 sur radio Cause Commune

Personne⋅s :
- Étienne Gonnu - Jean-Christophe Becquet - Philippe Scoffoni
Source :

Podcast

Lieu :

Radio Cause Commune

Date :
Durée :

1 h 30 min

Autres liens :

Page de présentation de l’émission

Licence :
Verbatim
Crédits des visuels :

Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure.
Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l’aimable autorisation d’Olivier Grieco, directeur d’antenne de la radio.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.