Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
« Au cœur de l’April », échange avec des personnes qui font vivre l’association, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Également au programme, « 35 000 BAL pour répondre à une question essentielle : où suis-je et où vais-je ? ». Et, en fin d’émission, « Transformer le numérique », troisième conférence du triptyque de Louis Derrac. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 4 juin, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission, Julie Chaumard. Salut Julie.
Julie Chaumard : Bonjour à tous.
Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Pépites Libres » de Jean-Christophe Becquet - « 35 000 BAL pour répondre à une question essentielle : où suis-je et ou vais-je ? »
Étienne Gonnu : Étienne Gonnu : Nous allons commencer cette émission par une nouvelle pépite libre. Jean-Christophe Becquet, vice-président et ancien président de l’April, nous présente une ressource sous licence libre, texte, image, vidéo ou base de données, sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile. Les auteurs et autrices de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur la liberté accordée à leur public, parfois elle avec la complicité du chroniqueur.
Jean-Christophe nous propose aujourd’hui une bonne affaire : « 35 000 BAL pour répondre à une question essentielle : où suis-je et où vais-je ? »
Jean-Christophe Becquet : Bonjour à tous. Bonjour à toutes.
Qu’est-ce qu’une adresse ? Pourquoi est-ce si important ? Et quel rapport y a-t-il avec les licences libres ?
Les adresses rentrent dans la catégorie des informations géolocalisées. Concrètement, il s’agit d’attribuer un nom à chaque rue et un numéro à chaque bâtiment, puis d’y associer des coordonnées géographiques qui vont permettre de situer chaque adresse sur une carte et de la retrouver sur le terrain.
Disposer d’adresses fiables pour chaque point du territoire est essentiel, d’abord pour les services d’urgence. Lorsqu’on sait que chaque minute gagnée augmente de 10 % les chances de survie en cas d’arrêt cardiaque, on comprend bien l’importance, pour les pompiers et le SAMU, d’arriver au plus vite à la bonne adresse.
De nombreux services publics s’appuient sur votre adresse, que ce soit en matière d’école, de logement, de fiscalité ; ou encore le découpage des bureaux de vote pour dimanche prochain ! La distribution du courrier et des colis ou le raccordement aux réseaux, comme la fibre optique, nécessitent également une bonne maîtrise des adresses.
En France, ce sont les communes, à travers leur conseil municipal, qui ont l’autorité et la responsabilité d’attribuer une adresse à chaque habitation sur leur territoire. La loi 3DS, pour Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification, a renforcé cette disposition en 2022. Ainsi, chaque commune a l’obligation de partager ses adresses en open data. Depuis ce samedi 1er juin 2024, cette loi s’applique aux communes de moins de 2000 habitants.
Cela peut sembler, à première vue, d’une simplicité quasi triviale, mais l’histoire montre que l’adressage est un processus laborieux.
Dès 2014, l’IGN, La Poste, Etalab et OpenStreetMap annonçaient un partenariat pour travailler sur une base adresse nationale. Cette démarche a permis d’ouvrir des portes et surtout des données, mais, 10 ans après, il reste encore beaucoup de travail.
On compte aujourd’hui 20 000 communes, en France, qui ont publié leur base adresses. Cela représente 17 millions d’adresses sur un total estimé à plus de 26 millions, il reste donc presque une moitié du chemin à parcourir.
Précisons un peu comment fonctionne l’open data pour les adresses.
Chaque commune doit publier sa BAL ou Base Adresses Locale. Ce fichier doit respecter un format standard, aussi appelé schéma. Ensuite, les Bases Adresses Locales sont agrégées et complétées avec d’autres sources de données pour fournir la BAN pour Base Adresses Nationale. La Base Adresses Nationale est l’une des neuf bases de données du service public des données de référence. Elle est disponible sous Licence Ouverte.
La Base Adresses Nationale est accessible sous forme de fichiers ou d’API, c’est-à-dire des services en ligne qui permettent d’interroger les données d’adresses.
Le site national de l’adresse, adresse.data.gouv.fr, donne accès à l’ensemble des bases adresses ainsi qu’à un certain nombre d’outils libres pour construire, vérifier, mettre à jour et utiliser ces bases.
L’éditeur Mes Adresses permet de construire une Base Adresse Locale.
On trouve aussi un validateur qui permet de vérifier qu’une Base Adresses Locale est bien conforme au schéma attendu.
Enfin, AddOk, offre une interface de géocodage, c’est-à-dire qu’il permet de retrouver, à partir d’une adresse ou d’une liste d’adresses, les coordonnées géographiques correspondantes.
Tous ces outils sont, fort heureusement, des logiciels libres.
Les adresses sous licence libre intéressent également la communauté OpenStreetMap qui procède à leur intégration dans sa base mondiale. C’est une contribution très utile dans la mesure où de plus en plus de calculateurs d’itinéraires, notamment pour les mobilités actives – vélo et marche – s’appuient sur les données OpenStreetMap.
Plus ces bases s’améliorent et plus vous avez de chances d’arriver à votre destination !
Étienne Gonnu : Merci beaucoup Jean-Christophe pour cette nouvelle pépite libre. C’était vraiment passionnant et ça montre, avec une très belle illustration, l’importance d’avoir effectivement des formats cohérents, ouverts, librement accessibles, etc.
Merci beaucoup pour cette pépite et je te dis au mois prochain, peut-être, ou c’est la dernière de la saison ?, parce qu’on s’arrête le 9 juillet, j’en profite, dernière émission le 9 juillet.
Jean-Christophe Becquet : À priori, c’était la dernière, c’est ce qu’on avait dit avec Fred, mais je verrai si je rejoue en juillet.
Étienne Gonnu : D’accord. En tout cas en septembre. Je ne sais pas si on t’a demandé si tu souhaite reconduire ou non.
Jean-Christophe Becquet : Je n’ai pas encore répondu, mais si l’équipe me dit que la chronique est toujours intéressante, je reviens !
Étienne Gonnu : Je pense que ce sera avec plaisir. En tout cas, je te souhaite une bonne fin de journée, Jean-Christophe, et merci encore pour cette chronique.
Jean-Christophe Becquet : Belle émission. Bonne fin de journée à tous et à toutes. À bientôt. Au revoir.
Étienne Gonnu : Au revoir.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous échangerons avec Isabella et Vincent qui ouvriront le bal de notre sujet « Au cœur de l’April ».
Avant cela, nous allons écouter Clint at the Front Porch par Two Bullets For The Devil. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Clint at the Front Porch par Two Bullets For The Devil.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Clint at the Front Porch par Two Bullets For The Devil, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Et je vais tout de suite remercier Vincent Calame, qui est avec nous en studio pour le sujet suivant, qui nous a proposé une sélection musicale pour cette émission. Merci Vincent.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.
[Virgule musicale]
Au cœur de l’April
Choix des musiques libres et la nouvelle base de données pour les référencer avec Vincent Calame et Isabella Vanni
Étienne Gonnu : Nous allons donc poursuivre par notre sujet principal « Au cœur de l’April », un échange avec différentes personnes qui font vivre l’association. Nous parlerons avec Julie Chaumard, actuellement en régie, de son implication dans Libre à vous ! nous discuterons ensuite avec Laurent Costy, vice-président de l’April, sur deux tribunes de l’association, qu’il a animées et rédigées, au sujet de l’influence de certaines structures sur le secteur associatif français comme frein à son émancipation informatique ; Françoise Conil, nouvelle membre élue au conseil d’administration de l’April, nous rejoindra à distance, en fin d’émission et, pour commencer ce beau programme, nous allons échanger avec Isabella Vanni et Vincent Calame. Isabella Vanni est ma collègue dans l’équipe salariée de l’April et Vincent Calame un bénévole très actif de l’association, sur la recherche et l’archivage des musiques libres diffusées dans Libre à vous !, un aspect important des émissions.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Isa, Vincent, bonjour merci d’être avec moi en studio.
Vincent Calame : Bonjour.
Isabella Vanni : Bonjour.
Étienne Gonnu : Comme je le disais, Isa, tu pourras effectivement le confirmer, nous ne diffusons dans l’émission que des musiques sous licence libre. C’est un choix depuis le début. Peux-tu, peut-être, nous rappeler ce que signifie une musique sous licence libre ?
Isabella Vanni : Avec plaisir. C’est finalement le même principe que celui de la licence qui accompagne un logiciel libre. Une licence libre permet à n’importe qui de réutiliser la musique, de la modifier, de la partager, la seule condition est de citer le nom de l’artiste ou du groupe qui a composé la musique. C’est donc ce qui permet, effectivement, une large diffusion et aussi de s’approprier du morceau et de pouvoir créer, à son tour, grâce à ce morceau.
Pour rappel, la radio Cause Commune, qui accueille notre émission, qui héberge notre émission, paye une redevance qui lui permet de diffuser n’importe quelle musique, mais c’est vraiment un choix pour notre émission, l’émission Libre à vous !, de ne sélectionner que des musiques sous licence libre, parce qu’on promeut le logiciel libre, on promeut la culture libre en général, donc, ça nous paraît complètement naturel de le faire aussi pour la musique.
Étienne Gonnu : Je vais me permettre la boutade : est-ce que la radio est vraiment libre de son choix de souscrire à cette redevance de la Sacem ? C’est un débat dans lequel nous ne rentrerons pas !
Vincent, j’ai l’impression que tu voulais réagir ? J’ai peut-être une mauvaise lecture de ta gestuelle.
Vincent Calame : Je voulais juste dire, on en reparlera, que, pour un artiste, c’est un choix courageux de mettre ses œuvres sous licence libre, il faut donc les soutenir pour cela. Rappeler que libre n’est pas gratuit, que les artistes ont souvent des endroits où l’on peut acheter, les soutenir ou leur offrir un café. Donc, si une musique vous intéresse, vous plaît dans Libre à vous !, n’hésitez pas, ensuite, à aller découvrir l’artiste et à le soutenir un petit peu. On sait que quand on est artiste on mange de la vache enragée !
Étienne Gonnu : Un rappel effectivement très important. On liste et c’est aussi une des raisons, peut-être, de notre volonté, de la raison pour laquelle on fait de l’archivage, c’est sans doute pour rendre aussi plus lisible. Mine de rien, nous sommes à la 210e émission. En moyenne, en général, on diffuse trois pauses musicales, parfois on rediffuse, ne serait-ce que parce que des musiques nous plaisent, on a envie de les réécouter, mais ça commence à faire un bon paquet ! Je vais mélanger l’ordre de mon sujet, qu’importe ! Vincent, c’est toi qui as le regard le plus précis, est-ce que tu as en tête le chiffre, j’aurais pu le demander avant, de combien de morceaux ?
Vincent Calame : Là, on est à 440.
Étienne Gonnu : 440 morceaux libres. On va enchaîner, reprendre ce fil. On a donc fait ce choix qu’a expliqué Isa, en 2018, de ne diffuser que des morceaux libres, c’était notre ambition. Très rapidement, on est passé en hebdomadaire, donc, toutes les semaines, il faut trouver trois morceaux sous licence libre, si possible des morceaux de qualité – libre à chacun d’interpréter la chose, mais je trouve que, globalement, on trouve de très bonnes musiques sous licence libre, malgré, peut-être, l’à priori que peuvent avoir certaines personnes ; la difficulté, c’est de trouver ces pépites.
Isabella Vanni : Les trouver, donc, notamment, trouver des sites qui puissent permettre de chercher des musiques aussi selon leur licence, ce n’est pas toujours le cas. On a donc commencé à référencer ces sites qui étaient, finalement, notre point de départ. On a demandé aussi, bien évidemment, comme d’habitude, à nos membres et soutiens de nous donner un coup de main, donc de contribuer à la recherche et à nous signaler les morceaux qu’ils aimeraient écouter à la radio, entendre diffusés à la radio et on a commencé à noter tout cela sur un pad, sur un bloc-notes en ligne ; un pad, c’est un bloc-notes qui permet une écriture collaborative, pas forcément au même moment, c’est donc très pratique, c’est un document qu’on peut retrouver facilement, sur lequel on peut contribuer très rapidement, il suffit de se connecter.
Le problème, c’est qu’on commençait à accumuler pas mal d’informations sur cet outil et l’outil n’est pas vraiment fait pour ça, il n’est pas fait pour héberger des milliers et des milliers de lignes, plutôt des centaines et centaines de lignes, et, au bout d’un moment ça a commencé à ramer un petit peu.
Étienne Gonnu : Complètement ! C’était inutilisable !
Isabella Vanni : Surtout pour moi ! C’est moi qui ai dit « je n’en peux plus, j’ai du mal à travailler, à m’y retrouver, en fait », parce que j’ai une mauvaise mémoire, donc j’avais du mal à retrouver les artistes qui me plaisaient le plus, les musiques que j’avais aimées. Je me disais « il y aura bien un moyen déjà de signaler les musiques, de les retrouver, de les documenter et aussi de pouvoir les rechercher plus facilement, par exemple par genre et aussi par durée », parce que, parfois, on a besoin de trouver une musique courte, on sait que le temps n’est pas infini, on calcule à peu près 10 à 11 minutes de pauses musicales, en totalité, par émission. Donc, parfois, on a aussi besoin de chercher par durée. Normalement, nous sommes aussi censés transmettre au moins une chanson avec paroles en français, c’est donc aussi un critère qui se prête à être filtré.
Étienne Gonnu : Je précise que ce n’est pas un critère qu’on s’impose, c’est plus dans l’accord avec la radio qui est censée diffuser un certain pourcentage de musiques inédites, pas forcement inédites, en tout cas de musiques francophones.
Isabella Vanni : Il y a donc toute une série de critères et, personnellement, je mettais un temps fou à me retrouver sur cet outil, sur ce pad, ce bloc-notes, et je me suis dit « il faut demander à demander à Vincent de nous aider ».
Étienne Gonnu : C’est comme cela qu’est né ce truc qu’Isa a lancé.
Avant d’avancer sur ce sujet-là, pour reprendre peut-être le fil chronologique, en fait c’est le cœur de notre échange, parce qu’on a quand même fait quelques saisons avec ce pad. La base de données que tu as mise en place est utilisable depuis cette saison, ça ne fait que trois/quatre mois, le temps passe si vite que je m’y perds, mais c’est dans ces eaux-là, dans cet ordre de grandeur.
Vincent Calame : Elle était prête fin juin, mais je pense que vous l’avez vraiment utilisée à partir de cette saison.
Isabella Vanni : Oui. Au départ, c’était un prototype, il n’y avait que moi qui l’utilisais et il fallait ajuster.
Étienne Gonnu : Je ne veux pas oublier de remercier, de signaler ce qu’on utilisait. Tu dis que tous les sites ne permettent pas de filtrer, on passe beaucoup par Bandcamp, par FreeMusicArchive, Soundcloud, qui sont des manières de chercher. Moi je vais sur moteur de recherche, je tape : site : Soundcloud ou Bandcamp, entre guillemets « some rights reserved », ce qui est une manière de décrire ces licences, mais, ensuite, il faut filtrer un peu à la main les résultats de la recherche pour enlever les clauses non commerciales, qui ne sont pas des licences libres.
Je voulais surtout ne pas oublier de remercier deux sites, de signaler deux sites : auboutdufil.com est un site qui fait beaucoup d’éditoriaux autour des choix musicaux qu’il sélectionne, uniquement des musiques libres et Éric Fraudin, une des personnes de ce site, a fait quelques chroniques dans Libre à vous !, vous pouvez retrouver les émissions, je mettrai le lien, donc merci à lui et à Alice, j’espère ne pas me tromper, qui contribue beaucoup à auboutdufil.
Isabella Vanni : On a effectivement découvert beaucoup de belles musiques grâce à leur site. Il y a une fiche dédiée à chaque artiste dans laquelle on peut aussi trouver des citations pour l’émission.
Étienne Gonnu : Ce n’est pas forcément très régulier, c’est du travail bénévole, mais je vous conseille d’aller explorer auboutdufil.com et, régulièrement, il y a encore de nouveaux choix musicaux partagés.
Et puis il y a Ziklibrenbib, ils ne le font plus, ils ont fini, c’est assez récent, c’est un réseau de bibliothécaires qui faisaient des sélections musicales, pas strictement sous licence libre parce qu’il y avait des clauses NC.
Isabella Vanni : Plutôt en Creative Commons, donc libre diffusion et licence libre.
Étienne Gonnu : C’est leur choix et on n’a vraiment rien à redire à cela, mais qui nous permettait quand même une présélection et c’était vraiment des choix avec, pareil, un certain nombre de descriptifs, de la raison de leurs choix, classés par genre, etc.
Donc deux sites qui nous ont beaucoup aidés à découvrir des pépites libres et je tenais quand même à les remercier dans le cadre de cet échange.
Isabella Vanni : Bien vu !
Étienne Gonnu : Isa, tu disais que tu as commencé à dire « on a ce besoin », tu t’es tournée vers Vincent qui est bénévole à l’April, tu es développeur professionnellement. Tu nous aides, tu accompagnes l’April, tu nous as accompagnés sur la mise en place du site web de l’émission, en langage Spip, etc. Avec l’échange avec Isa, vous allez pouvoir nous raconter comment ça s’est construit, comment tu as développé cette base de données.
Vincent Calame : Oui, tout à fait. C’est évidemment venu d’un message d’Isa, sur la liste « Site web », qui demandait si on avait connaissance d’un outil capable de gérer des bases de données. Dans un premier temps on a réfléchi, on aurait pu intégrer ça dans le site web même de Libre à vous !, via Spip, en codant on aurait pu arriver à ce résultat-là. Nous nous sommes vite rangés à l’idée qu’il valait mieux un système autonome, aussi pour des questions de gestion de droit des personnes, des choses comme ça. Là, je me suis proposé de coder un truc. Je vais nuancer le portrait du bénévole altruiste, parce que, en fait, j’avais aussi un intérêt à le faire dans le sens où j’ai utilisé un logiciel que je développe depuis très longtemps, qui est le principal logiciel que je développe ; je le développe avec le soutien de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès humain, dont, en fait, je gère la base de données. Là, c’était pour moi l’occasion d’adapter ce logiciel à un autre cas de figure, donc de voir si l’adaptation se faisait bien et puis, avoir l’usage dans un autre cadre enrichissait le logiciel, en fait, un logiciel s’enrichit énormément quand il y a des usages variés. Je n’ai pas été déçu, ce qui est très bien. Parfois, des bouts d’interfaces n’ont pas bougé depuis dix ans, les personnes qui l’utilisent au quotidien sont habituées et, quand de nouveaux arrivants regardent l’interface, ils disent : « J’ai cliqué là, je n’ai pas compris, ça n’a pas marché ! ». Pour moi, ça a aussi été très intéressant.
Ça se présente actuellement sous la forme d’un tableau, j’utilise une bibliothèque libre, qui s’appelle TableSorter ; on lui fournit un tableau brut et elle s’occupe de mettre en forme, notamment de mettre des filtres sur toutes les colonnes, comme on a l’habitude d’avoir dans un fichier ods, dans un tableau. Là on a utilisé un pad, je dirais que pour ce type de données, professionnellement, les gens commencent souvent par faire un tableau sur un tableur qu’il faut partager, ça devient compliqué, c’est donc là qu’il faut passer à une base de données. C’est ce qu’on a fait : on a transformé ça en tableur en ligne pour pouvoir filtrer dessus et pouvoir faire des recherches, rajouter des auteurs et, notamment, recenser aussi le nombre de fois où a été diffusé un morceau.
Isabella Vanni : J’allais le dire, c’est une donnée très intéressante.
Vincent Calame : Quand on était sur le pad, on a effectivement découvert qu’un morceau avait été diffusé dix fois, ce qui est bien, mais il y a des petits déséquilibres dans la diffusion. C’est ce type d’information que fournit une base de données.
Étienne Gonnu : C’est un bon exemple de critères. Finalement, on crée des bases de données d’abord pour son usage, donc il y a forcément des critères, là le nombre de diffusions ou la durée, comme tu l’as expliqué, parce que, pour la radio, des morceaux de cinq minutes c’est trop long, donc il faut ce critère, mais ça reste une base de données et ce tableau est librement accessible à toute personne, le lien est partagé, donc n’importe qui peut venir consulter ce tableau. de ce point de vue-là, je trouve que l’utilisation de ce système de recherche de morceaux est très fluide. Par contre, pour contribuer — on pourra peut-être en discuter —, pour le moment il faut avoir un compte, c’est le choix qui a été fait, ce qui ne vous empêche pas de nous proposer des musiques libres et nous renseignerons le tableau ; il faut un compte pour contribuer, ce qui nous permet aussi de mieux contrôler, pour le moment, l’évolution de ce tableau, on verra ce qu’on en fera dans le futur.
Il y a ces critères, il y a eu beaucoup d’échanges. Je ne sais pas ce que tu en as pensé Isa, j’ai trouvé marrant de discuter avec un technicien de nos usages, un petit peu « tiens, qu’est-ce que cela veut dire ? »
Isabella Vanni : Oui, je n’ai pas manqué de questions et de propositions d’ajouts de colonnes et tout, Vincent était hyper réactif. Franchement, je me suis bien amusée avec ce projet, j’espère que c’est pareil pour lui.
Vincent Calame : Oui, je suis prêt à en faire d’autres.
Isabella Vanni : Je voyais que la mayonnaise prenait, donc je ne me suis pas retenue, j’ai proposé d’autres évolutions pour la base, mes collègues ont fait de même et les personnes qui ont rejoint l’équipe musique, qui est en train de se constituer au sein de l’équipe Libre à vous !, ont fait de même. C’était un beau projet à mener.
Étienne Gonnu : Je vous invite vraiment à aller voir. Il y a plein de super morceaux musicaux, Vincent nous a fait une sélection par rapport aux musiques disponibles, il y a vraiment toutes sortes de genres et on a essayé de trier aussi par genres musicaux. Si vous voulez découvrir des musiques sous licence libre, vous rendre compte, qu’en fait, on ne se rend pas compte qu’elles sont sous licence libre, ça n’a pas d’impact sur la qualité, il y a vraiment de superbes morceaux dans beaucoup de styles différents et, comme tu le disais, ça nous permet d’enchaîner sur l’autre aspect. La recherche prend du temps, des personnes nous proposent parfois des pauses musicales et, je le redis, n’hésitez pas à nous envoyer un simple mail, juste pour un morceau, ça nous permet aussi, parfois, d’en trouver d’autres et, en fait, ça fait super plaisir de recevoir ce genre de contribution. Isabella, tu t’es aussi dit qu’on pouvait essayer de formaliser ça un peu mieux, peut-être pour des gens qui ont une capacité à trouver des musiques.
Isabella Vanni : Je me suis dit qu’il y a effectivement mille et une façons de contribuer au logiciel libre, il y a aussi mille et une façons de contribuer à cette radio par la recherche, la sélection de musiques libres, leur traitement aussi parce qu’on fait quand même quelques petits traitements, notamment l’ajout de métadonnées, mais pas que. On utilise le logiciel Audacity par exemple pour ajuster le niveau, pour normaliser la crête, je crois, je ne sais plus le terme technique, bref !, on fait vraiment des tout petits traitements, mais qui prennent du temps, et qui sont typiquement des tâches qui peuvent être prises en charge par des bénévoles, des personnes passionnées de musique qui peuvent se dire que c’est un super moyen de participer, d’aider l’April à rechercher des musiques, etc. J’ai donc eu l’idée de mettre en place une équipe musique, pour l’instant nous sommes trois/quatre inscrits en plus des collègues.
Étienne Gonnu : Pas besoin d’être membre de l’April.
Isabella Vanni : Non, il y a plein de choses que vous pouvez faire à nos côtés sans être membre. Pour que l’équipe se consolide, il faudrait aussi que je documente tout ce qu’on vient de dire, c’est-à-dire comment on recherche les musiques, comment on les traite, comment on les met dans la base de données, bref !, que je fasse une documentation pour que les personnes qui rejoignent l’équipe musique trouvent une documentation toute faite, ça ne veut pas dire que la documentation n’est pas censée évoluer, mais déjà partir avec une bonne base et, pour l’instant, je n’ai pas encore pris le temps, mais, probablement pour la saison 8…
Vincent Calame : Ce matin, je t’ai envoyé un message à ce sujet.
Isabella Vanni : Super, je ne l’ai pas encore lu.
Étienne Gonnu : Les grands esprits !
Vincent Calame : On va créer une page wiki, on va compléter une page wiki. Justement, jusqu’à présent j’avais travaillé sur les données, mais là, je me suis penché sur les musiques elles-mêmes.
Il y a plusieurs niveaux de contribution : d’abord, effectivement, vous repérez une musique. L’idée du tableau de bord, c’est que vous vérifiez juste qu’on ne la connaît pas déjà et vous nous envoyez le lien, déjà c’est beaucoup, parce que rechercher sur les sites ce n’est pas évident, il y a très peu de recherches à partir de la licence. Nous signaler une musique, c’est déjà le premier niveau de contribution.
Le deuxième niveau, ce sera, effectivement, d’avoir un compte et de rentrer les métadonnées pour créer la fiche descriptive.
Le troisième niveau, c’est le traitement des fichiers.
Vous voyez donc que vous pouvez venir en faisant vraiment quelque chose de simple et après, une fois que vous êtes rentré, on va vous prendre et on va vous monopoliser.
Isabella Vanni : N’est-il pas merveilleux !
Vincent Calame : C’est vraiment progressif. Signaler un artiste, un groupe, c’est déjà précieux comme information parce que ce n’est pas facile à trouver.
Étienne Gonnu : Absolument, ça prend du temps, ce n’est pas facile ; ça prend du temps de trouver de la musique, mais c’est quand même plaisant d’écouter de la musique, savoir si elle nous plaît, il faut la choisir.
Vincent Calame : C’est très agréable.
Étienne Gonnu : Si on trouve un album qui nous plaît, le plus dur c’est de dire laquelle est pertinente. Bref ! Vincent.
Vincent Calame : Laquelle est pertinente dans un album, en fait, les émissions Libre à vous ! sont là pour longtemps.
Étienne Gonnu : C’est un avantage de la base de données ! Avant, quand on était sur le pad, on s’imposait d’en choisir une, parce qu’on ne voulait pas trop surcharger, ça prend du temps. Maintenant, avec une base de données où c’est plus propre, c’est plus facile de remplir, et je pense que si on veut mettre plusieurs morceaux d’un même artiste ou d’un même album, c’est assez rapide à remplir, donc, si elles nous plaisent toutes, on peut toutes les mettre, on choisira après, plus tard. C’est donc vrai que ça facilite cela.
Isabella Vanni : Il y a même une colonne « évaluation » que, personnellement, j’utilise parce que j’ai une mémoire de poisson rouge. Donc, pour me souvenir des artistes que j’aime beaucoup, parce que j’aime bien mettre au moins une musique sur trois que j’aime beaucoup, j’utilise cette colonne pour signaler le fait que j’aime bien, et j’aime beaucoup !
Étienne Gonnu : C’est à cela que ça sert.
Le temps qu’on s’était donné s’est écoulé. On a plein de choses à traiter.
Merci à vous deux d’être venus parler de ce sujet. Merci Vincent. Fred me signalait que tu es aussi chroniqueur dans Libre à vous !, tu as travaillé sur cette base de données, en parlant de Libre à vous ! tu as aussi développé un moteur de recherche croisé avec un autre site de l’April, Libre à lire !, où sont recensées les transcriptions. Tu es un bénévole en or pour l’association et je profite de cette émission, « Au cœur de l’April », pour te remercier, Isa acquiesce, et je sais que mes collègues le font aussi.
Merci à vous deux. À présent nous allons faire une pause musicale. Nous allons écouter If Only to Kill par Holizna. On se retrouve juste après avec Julie. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : If Only to Kill par Holizna.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter If Only to Kill par Holizna, disponible sous licence Creative Commons CC0, ce qui se rapproche le plus du domaine public.
[Jingle]
Discussion avec Julie Chaumard, membre de l’équipe Libre à vous !, notamment de la régie
Étienne Gonnu : Je suis Étienne connu de l’April, vous écoutez Libre à vous !. Nous vous proposons un sujet « Au cœur de l’April ».
J’ai à présent le plaisir d’accueillir Julie Chaumard, qu’Isa a remplacée en régie pour qu’elle puisse nous rejoindre. Encore bonjour Julie.
Julie, tu fais maintenant partie de l’équipe, du grand collectif Libre à vous !, tu es arrivée à la régie Libre à vous !. D’ailleurs, depuis combien de temps es-tu arrivée ?
Julie Chaumard : En septembre, fin septembre.
Étienne Gonnu : J’aurais dit depuis plus longtemps ! La régie, c’est quelque chose de nouveau pour toi, je crois que tu n’en avais jamais fait avant.
Julie Chaumard : Aujourd’hui, je fais la régie pour l’émission. Je suis venue sur la table du studio et Isabella m’a remplacée pour faire la régie.
Je n’avais jamais fait de régie avant, je connaissais l’April de nom, je ne connaissais pas très bien l’April, un petit peu le logiciel libre parce que je suis informaticienne, mais je ne connaissais pas trop le logiciel libre non plus et je ne connaissais pas la régie. Par contre, j’aime beaucoup la radio, j’aime beaucoup le son, j’aime beaucoup l’audio parce que je suis, par ailleurs, musicienne et, comme je suis informaticienne, j’aime aussi beaucoup la technique. Donc, pour moi, la radio c’est le son et la technique. J’ai vu une annonce, par hasard, en juin, je ne sais plus trop comment.
Étienne Gonnu : Tu ne connaissais pas trop l’April, comme quoi les hasards de la vie, parfois !
Julie Chaumard : Exactement. Je fais quand même du bénévolat dans ma vie, depuis de nombreuses années, c’est un aspect de la vie sociale que j’aime. J’ai donc vu cette annonce de bénévolat pour rejoindre la régie de l’April et l’annonce était formulée de telle manière qu’elle était accueillante, bienveillante, même pro, je dirais.
Étienne Gonnu : On essaye !
Julie Chaumard : Elle m’a donné envie de venir essayer. Comme je sentais que c’était bienveillant, je me suis dit « même si je ne connais pas, peut-être que je serai bien accueillie ». Ça a donc parlé à mon désir d’allier technique et son, j’adore aussi l’aventure, j’aime bien me dépasser, donc, j’ai postulé.
Étienne Gonnu : Tu nous as dit que tu n’avais pas de compétence. Je trouve formidable et, en fait, je ne suis pas surpris par ce que tu dis, que tu aimes bien l’aventure et te dépasser, parce que c’est assez stressant quand on arrive, qu’on ne connaît pas la régie, de s’y mettre tout d’un coup. Au début, on a senti que ça t’a demandé des efforts pour cadrer les choses et tu t’es beaucoup investie pour, finalement, bien te former à la question, on va en reparler. À aucun moment tu ne t’es laissée démonter. Depuis un an, tu fais assez régulièrement la régie, je crois que ton organisation professionnelle te permet d’être libre et l’un des enjeux c’est de trouver des personnes qui peuvent se rendre disponibles le mardi après-midi en direct. Ce dépassement s’est vu.
Avant, c’était essentiellement l’équipe salariée et on a déjà eu des bénévoles, merci à eux, ce n’étaient que des hommes qui avaient pu se libérer. On remercie Patrick, Adrien, Thierry, désolé si j’en oublie, si j’en laisse sur le tas. On a lancé cet appel, donc, Julie tu nous as rejoints, on a également Élise qui nous a rejoints, Bookynette, la présidente de l’April, s’est dit « moi aussi je veux rejoindre l’aventure ». Maintenant on une équipe vraiment bénévole, consolidée, sur la régie, que des femmes en plus !, ça ne change rien, on peut être homme ou femme, il n’y a pas besoin d’appareils génitaux pour faire fonctionner une régie ! En tout cas c’est chouette, on a souvent plutôt tendance à avoir des hommes sur les profils techniques, on montre donc qu’en réalité ça ne change rien.
Donc, tu es arrivée. Isa parlait de documentation, on avait toute une documentation. C’est aussi notre but de permettre à des nouvelles personnes d’intégrer aussi facilement que possible. Comment t’es-tu saisie de ça ? Comment cette documentation t’est-elle parue ? Cette période d’apprentissage, de manière générale ?
Julie Chaumard : Je ne connaissais rien du tout, mais vraiment rien du tout. Quand je suis arrivée, en septembre, je ne suis pas arrivée les mains dans les poches : Frédéric m’avait transmis votre fameuse documentation, je l’ai lue d’un trait, je n’ai pas compris grand-chose, mais au moins j’avais des termes pour commencer à comprendre un peu le processus. On a fait donc une première régie, avec Frédéric ou toi, j’ai un peu oublié maintenant, juste fictive.
Étienne Gonnu : Ça fait partie du tuilage, on est accompagné, bien sûr, comme tu dis.
Julie Chaumard : Après, pendant deux mois je crois, j’ai fait la régie avec quelqu’un, on était deux à la régie. C’est génial parce qu’on peut profiter de l’aspect sympathique de la régie, du direct, tout ça, et on n’est pas sans filet, il y avait quelqu’un à côté de moi. C’est vrai que j’ai demandé, pendant longtemps, à ce qu’il y ait quelqu’un près de moi ; on me disait « mais non, tu es prête ! ». C’est vrai que j’ai le trac, de nature, je ne suis pas quelqu’un de spontané, quand je dois parler, comme maintenant par exemple, il faut que je prépare quand même un petit peu, j’ai du mal à avoir des arguments de manière spontanée. C’est aussi ça le dépassement de soi parce que, effectivement, j’ai le trac, j’ai du mal à prendre la parole en public, mais, quand même, je suis venue parce que c’est aussi un dépassement de soi. Petit à petit j’apprends et, ce qui est sympa, à Libre à vous ! on apprend dans une très bonne ambiance, on peut se tromper, d’ailleurs tout à l’heure, à la régie, je me suis trompée un petit peu parce que je suis un peu en mode trac aujourd’hui, donc les réflexes sont un peu perdus, mais ça se passe super bien, du coup on a confiance en soi pour avancer. Donc, petit à petit j’apprends, j’interviens de plus en plus à l’émission, à la régie ou à l’animation.
Étienne Gonnu : Oui, puisque tu as déjà animé un sujet court pour l’émission.
Julie Chaumard : Avec un sujet qui me plaisait bien, que j’ai proposé.
Étienne Gonnu : Je crois que tu as envie d’en faire d’autres. C’est cool !
Julie Chaumard : J’ai bien envie d’en faire d’autres. Petit à petit, j’espère que je vais avoir plus le profil d’animateur.
Étienne Gonnu : Je répète, je dis qu’on accueille toutes les personnes qui veulent proposer un sujet, l’animer, même des sujets longs ; on accueille, on accompagne, justement comme tu le dis, les personnes qui ont ces envies-là, au contraire, on est ravis.
Julie Chaumard : Tout à fait. On est très bien accompagné. Quelqu’un comme moi, qui n’y connaissais rien, maintenant j’arrive à faire la régie régulièrement et à commencer à proposer des sujets ou à participer un peu sur le studio, comme je le fais actuellement.
Donc oui, dans mon organisation personnelle, je peux effectivement venir le mardi après-midi, c’est une chance dans ma vie de pouvoir organiser un peu mon temps de travail. Je pense que c’est à peu près le seul critère, il faut vraiment être disponible le mardi.
Étienne Gonnu : C’est la grosse contrainte qu’on a sur la régie, c’est sûr !
Julie Chaumard : Et encore, ce n’est pas tous les mardis. Là, déjà, nous sommes trois, donc ça fait un mardi par mois, voire deux. J’insiste toujours un petit peu pour venir parce que j’aime bien, j’aime beaucoup. Il y a aussi le fait que j’ai découvert l’April. Je ne connaissais pas tellement l’April, le milieu du logiciel libre, mais j’étais quand même intéressée par les sujets et vraiment, comme je le dis à chaque fois, j’ai découvert l’April, j’ai découvert les sujets, j’ai découvert les interventions et ça aussi c’est génial. Je me suis vraiment intéressée, maintenant, même dans ma vie professionnelle : là, par exemple, je viens d’installer un site internet avec OpenStreetMap dont j’avais entendu parler par Jean-Christophe Becquet ; j’ai fait un sujet WeasyPrint, maintenant j’utilise aussi WeasyPrint sur mes serveurs. Je m’intéresse vraiment à ça, suite au fait de vous avoir écoutés, je trouve que c’est très intéressant.
Étienne Gonnu : Super. Je vois que le temps file, mais je vais quand même préciser que tu t’es aussi lancée, que tu as accepté une autre aventure qu’on t’a proposée : la semaine prochaine, il y a les Rencontres Professionnelles du Logiciel Libre et tu as accepté de venir. On va t’équiper d’un micro et tu vas porter ce micro à différentes entreprises qui font du Libre ; c’est le 10 juin à Lyon. Comment ressens-tu cette aventure ?
Julie Chaumard : Un peu comme toujours, j’ai toujours un peu le trac, mais voilà, il faut y aller, on est bien accompagné. Donc, je vais aller là-bas, je vais rencontrer plein de gens, je vais leur poser des questions, on va interagir, je pense que ça va être très intéressant, très sympathique. J’espère que les personnes, là-bas, seront intéressées à parler et après on va compiler tout ça pour le mettre dans une émission. J’ai donc envie de faire quelque chose d’intéressant, j’ai envie d’aller rencontrer les gens et de participer à l’April, parce que je ne suis pas membre de l’April, mais j’aspire à faire plus de choses avec vous.
Étienne Gonnu : Super ! Et ce n’est pas une nécessité pour pouvoir contribuer et faire des projets avec nous.
Merci beaucoup Julie, le temps a filé, merci beaucoup d’avoir pris le temps pour cet échange.
Julie Chaumard : Merci.
Étienne Gonnu : Je vais demander à Isa de nous lancer la prochaine pause musicale que je vais prendre le temps d’annoncer. Nous allons écouter Sweet Asian’s dream par Ehma. On se retrouve juste après toujours sur Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Sweet Asian’s dream par Ehma.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Sweet Asian’s dream par Ehma, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
[Jingle]
Discussion avec Laurent Costy, autour de la tribune « Techsoup : instrument d’influence des Big Tech américaines »
Étienne Gonnu : Je suis Étienne l’April et vous écoutez Libre à vous ! sur radio Cause Commune.
Je voulais faire une très courte parenthèse, je me suis un peu emmêlé les pinceaux sur le sujet précédent lorsque j’ai évoqué le fait que l’équipe de la régie était composée exclusivement de femmes. Je tenais à préciser que je distingue bien sexe et genre et qu’une femme trans est une femme, un homme trans est un homme. Désolé si j’ai pu heurter des personnes qui nous écoutent par mes propos un peu confus.
Nous vous proposons aujourd’hui dans Libre à vous !, un sujet « Au cœur de l’April » et j’ai à présent le plaisir d’accueillir Laurent Costy, vice-président de l’April et chroniqueur dans Libre à vous !. Salut Laurent.
Laurent Costy : Bonjour Étienne. Bonjour à tous et à toutes.
Étienne Gonnu : Merci de nous rejoindre pour ce sujet.
Je vais aller directement au but, tu étais à Pas Sage en Seine ce week-end, un festival du numérique qui se déroule tous les ans, depuis plus de dix ans, à Choisy-le-Roi, qui est vraiment un chouette événement auquel, pour la première fois, j’ai pu moi-même participer. Est-ce que c’était cool ?
Laurent Costy : C’était une première pour moi aussi, je n’y étais jamais allé. J’ai découvert le lieu sur les bords de la Seine, c’est vraiment sympathique, il faisait un peu frais, comme la présidente l’a dit.
Étienne Gonnu : Pour un mois d’automne, c’est normal !
Je l’évoque, ce n’est pas complètement gratuit, parce que tu as proposé une conférence qui va être en lien avec notre discussion d’aujourd’hui, une conférence dont le titre est : « En 2024, Microsoft reste-t-il une entrave pour le Libre ? ».
Laurent Costy : Exactement. Ça faisait effectivement la suite de deux tribunes qui ont été publiées sur le site de l’April, qui commencent à dater un peu, mais ça s’inscrit dans le temps et plus on creuse ces sujets-là, plus on s’aperçoit, finalement, qu’il y a des choses en jeu.
Étienne Gonnu : On va parler de tes deux tribunes qui font référence au secteur associatif, à ses usages en termes de pratiques informatiques, à son émancipation informatique. Je pense ça peut être intéressant, peut-être pendant un court instant, de parler de ton parcours pour que les personnes qui nous écoutent aient une idée aussi d’où tu parles, quel est ton recul et ton expertise sur ce sujet dont nous allons discuter.
Laurent Costy : Oui, ce n’est pas récent. Je m’intéresse à ce sujet du lien entre le monde des logiciels libres et le monde associatif. C’est vrai que j’observe ce lien depuis plusieurs années, depuis plus de dix ans maintenant, parce que la question se pose systématiquement de savoir pourquoi il n’y a pas une plus grande convergence entre ces deux univers qui ont quand même beaucoup de valeurs en commun.
Étienne Gonnu : Tout à fait. Donc, ce milieu associatif, comme pour tout le monde en fait, a des besoins informatiques et nous, à l’April, tu pourras le confirmer, on considère qu’on doit, autant que possible, donner une priorité au logiciel libre, de toute façon on pousse pour une priorité au logiciel libre pour tout le monde, associations incluses. Quel regard portes-tu sur les associations, sur leurs besoins informatiques ? Est-ce qu’il y a des spécificités ? Est-ce qu’il y a des difficultés particulières propres aux associations ? En même temps, quand je dis « associations », je me dis que ça recouvre énormément de réalités différentes.
Laurent Costy : Oui. Il y a 1,4 million d’associations en France et 90 % d’entre elles sont des structures sans salarié, donc, évidemment, que les besoins de ces structures-là, des personnes qui incarnent ces associations-là, ne sont pas du tout les mêmes que ceux des associations qui peuvent avoir jusqu’à 1000 salariés. C’est vrai qu’il faut aussi réfléchir en ces termes-là. C’est vrai que j’ai plutôt tendance à m’intéresser aux très petites et petites associations, moyennes on va dire, jusqu’à 50 salariés. Après, on va considérer qu’elles ont des moyens suffisants pour vraiment réfléchir à la structuration de leur système d’information.
C’est vrai qu’en deçà, quand il n’y a pas de compétences internes, quand ça ne fait pas partie de l’objet de l’association, ça reste très compliqué de ne pas prendre ce qu’a pris le voisin, donc, du coup, de ne pas être dans un effet de mimétisme et d’utiliser ce que les autres utilisent.
Pour sortir de ça, il faut prendre conscience qu’il y a des enjeux, il faut avoir le temps de le faire et, finalement, dégager du temps reste une problématique pour les associations, pour prendre conscience de tous les enjeux et peut-être, c’est à elle de décider, évidemment, de prendre la décision, quand même, d’aller vers un système d’information moins corrosif pour leurs données et les données des adhérents et adhérentes.
Étienne Gonnu : Pour poser ce contexte, je trouve intéressant de s’arrêter sur cette idée que beaucoup d’associations sont de très petites associations, exclusivement portées par des gens sur du temps bénévole. On consacre son temps bénévole au sujet de son association, on n’a pas forcément les compétences, on n’a pas forcément le temps d’aller les chercher, parce qu’on ne se rend pas forcément compte qu’il y a des enjeux derrière. En fait, ça équivaut presque aux mêmes problématiques que l’usage quotidien d’une personne qui va transporter ses usages dans son association.
Laurent Costy : C’est ça, la porosité à l’extrême. On a vraiment des gens qui mélangent, d’ailleurs sans s’en rendre compte, les données associatives, les données personnelles ; ce sont aussi des choses qu’il faut pointer. Évidemment, il y a des fois où on n’a pas l’occasion, on n’a pas la possibilité d’acheter deux ordinateurs pour mettre une séparation extrêmement franche entre les deux univers. Peut-être y a-t-il quelques mesures à prendre pour, justement, séparer ces données-là.
Étienne Gonnu : Je pense que ce n’est pas forcément le cas de toutes les associations, ça va dépendre. J’ai l’impression, dans ce que tu dis, que quand on dit que ce n’est que « notre informatique », entre guillemets, qu’on est tellement en réseau, donc, est-ce que ce n’est vraiment que son propre choix, en même temps, la question peut se poser. Mais, quand on est dans le cadre associatif, avec d’autres personnes, notamment si l’association a des usagers et des usagères, il peut y avoir des impacts qui vont dépasser la seule personne qui met en place l’informatique. Ce sont donc des problématiques qui peuvent être spécifiques à ce contexte associatif, qui ne vont pas forcément être au même niveau d’enjeu que si on est vraiment à l’échelle individuelle.
Laurent Costy : Je ne suis pas sûr d’avoir compris ta question, excuse-moi Étienne.
Étienne Gonnu : En fait, j’ai réfléchi pendant notre échange. En tant qu’utilisateur ou utilisatrice individuelle, les enjeux sont réels en termes de préserver sa liberté informatique et, de fait aussi, celle des personnes de son entourage, avec qui on va avoir des interactions informatiques.
Dans le cadre d’une association, on va avoir une forme de responsabilité, notamment si l’association a des usagères, des usagers ou d’autres membres. À partir du moment où, dans ce cadre un peu institutionnalisé, on va proposer un outil informatique, ce n’est pas seulement notre liberté d’utilisateur et d’utilisatrice qui entre en ligne de compte, mais, finalement, on a un impact significatif sur celle des autres membres de l’association, sur celle des usagers et usagères de l’association. Donc, montrer qu’il y a un enjeu en plus.
Laurent Costy : C’est vrai que les gens qui ont un tout petit peu de compétences, qui ont des habitudes sur certains logiciels, vont embarquer l’ensemble de l’association sans qu’il y ait eu, en amont, la moindre réflexion sur le fond, parce que, finalement, on fait confiance à la personne qui a la compétence. Et puis ça permet, entre guillemets, « d’aller vite », d’avoir un système avec un logiciel, un réseau social, on va très vite être accompagné par cette personne qui sait, qui connaît, du coup, l’association adopte, effectivement sans réflexion, un outil.
Étienne Gonnu : On peut peut-être rappeler le rôle d’associations comme l’April, je pense aussi à Framasoft qui est de faire, notamment, de l’éducation populaire – l’April n’est pas une association d’éducation populaire –, cette sensibilisation aussi : pourquoi c’est important, pour les associations, de se saisir de ces enjeux, pourquoi ce sont des enjeux politiques dont elles doivent se saisir, parce que, dans ce temps très contraint, on n’a pas forcément le temps disponible, intellectuellement, de prendre conscience de ces enjeux, même si je pense qu’ils sont de plus en plus visibles, appréhendés, on en parle de plus en plus, surtout sur les considérations de données personnelles.
Laurent Costy : C’est vrai qu’il faut réussir à enclencher un début de réflexion. Récemment, j’ai accompagné une association qui était sous Dropbox. Dropbox est un outil qui permet de déposer des fichiers, finalement c’est un cloud simplifié qui permet aussi de synchroniser des données entre différents postes.
Étienne Gonnu : Donc, tu as accompagné cette association.
Laurent Costy : Pour aller migrer vers un système alternatif un peu meilleur, en l’occurrence, du coup, basculer sur Nextloud, sous Zourit d’ailleurs.
Étienne Gonnu : Nextcloud, qui est du logiciel libre.
Laurent Costy : Voilà, tout cela est intégré dans du logiciel libre et c’est quand même beaucoup plus sain pour les données. Du coup, c’est à ce moment-là que j’ai mesuré, parce que ça fait longtemps que je n’utilise plus ces outils, à quel point aussi ces outils sont enfermants et vraiment dans une logique de consommation. La première chose qu’on voit en haut à gauche, avant même le mot « accueil », c’est « votre carte de crédit n’est pas à jour ». Du coup, ça pose les choses, on sait à qui on a affaire. Néanmoins, l’association ne se rend plus compte à quel point elle est dirigée dans ce système-là, c’est terrifiant ! On cliquait sur des petits boutons sur l’interface et c’est pareil, ça ouvre des fenêtres qui disent « utilisez le compte premium, vous aurez plus de facilités », sans même comprendre pourquoi il faut faire ça.
On a regardé : l’association avait un compte qui lui permettait de stocker trois téraoctets de données, c’est colossal, on ne se rend pas compte, et, au bas mot, elle a besoin, elle utilisait 50 gigaoctets.
Étienne Gonnu : Je n’arrive même pas à calculer l’échelle, désolé !
Laurent Costy : On est dans ces échelles ! Parce que le système dans lequel elle était encourageait à toujours déposer plus de données, toujours aller plus vers l’avant, prendre le compte supérieur, etc., en fait ce n’est que ça l’interface. Alors que finalement, maintenant, synchroniser des données avec des logiciels libres, avec Nextcloud, ça devient simple. En fait, il faut réussir à trouver la bonne fenêtre, le bon moment pour poser ces choses-là et faire que l’association ouvre finalement les yeux sur des outils qu’elle pensait pertinents pour elle et qui l’engagent sur des choses qui n’ont aucun sens.
Étienne Gonnu : Merci beaucoup. Je voulais qu’on passe du temps pour poser un peu le contexte des enjeux dont on parle et pour avancer dans notre histoire, l’histoire des deux tribunes que tu as mentionnées. Là, on a la réalité, les besoins et les enjeux pour les associations, mais ce terrain n’est pas neutre, il n’est pas juste « il y a des logiciels libres, des logiciels pas libres ». Il y a des structures, il y a des protagonistes, on va dire, dans cette histoire, donc Solidatech, Techsoup, l’association les Ateliers du Bocage, Emmaüs. Est-ce que tu peux nous nous clarifier un petit peu qui sont les protagonistes ? Leur rôle dans tout cela ?
Laurent Costy : Oui. Ça fait partie des choses qui ont circulé sur la liste Libre Association de l’April, qui était très active à l’époque, elle est un peu moins active en ce moment. Il existe, en France, des acteurs qui veulent le bien des associations, je pense qu’on ne peut pas leur retirer ça, mais qui, sans s’en rendre compte, contribuent finalement à un soft power américain qui est juste colossal. À force de creuser le sujet, j’ai vraiment l’impression d’être confronté à quelque chose comme Coca-Cola précédemment, où on retrouve encore, au fin fond de l’Afrique, des panneaux Coca-Cola sur les cafés.
Les structures en France, là je parle de Solidatech qui n’est pas une association directement, c’est un programme, ça se qualifie comme un programme d’une Scic, une société coopérative d’intérêt collectif qui s’appelle les Ateliers du Bocage, une structure dans les Deux-Sèvres qui fait de l’insertion, qui fait du reconditionnement d’ordinateurs, qui propose aussi des ordinateurs sous GNU/Linux, mais qui, finalement, a accepté de porter le programme Solidatech en France, suite à une sollicitation de Techsoup – suite à une sollicitation ou parce qu’eux l’ont sollicité, on ne sait pas trop, il y a les deux versions.
Solidatech a été l’objet d’une première tribune pour justement, finalement, pointer un peu cette ambiguïté : Solidatech revendique quand même de soutenir les communs numériques, pour moi ce n’est pas vrai, là on est vraiment dans le common washing.
Étienne Gonnu : Ils proposent, à des prix qui battent toute concurrence, des licences Microsoft pour ne citer qu’eux, différents logiciels et clairement pas que du Libre.
Laurent Costy : C’est ça, oui, c’est essentiellement ça. Ils donnent accès, à des coûts très peu élevés, à des logiciels privateurs de liberté, comme, effectivement les suites Office, les licences Windows pour les ordinateurs et, finalement, ça entretient l’association dans ce système-là, sans qu’elle se pose la question de savoir s’il n’y aurait pas des alternatives et si ce ne serait pas meilleur pour l’association. C’est évident ! Quand on lui dit : « Normalement une licence c’est 189 euros, on va vous la vendre 12 euros », l’association se dit qu’elle fait une super affaire, elle ne se dit pas « je vais peut-être quand même regarder s’il n’y a pas anguille sous roche ou baleine sous gravillon ». On est dans cette espèce d’entretien d’un système. En plus, ce programme bénéficie d’une belle image, parce que les gens se disent « on fait une affaire et puis, franchement, c’est super, ça nous aide, ça nous soutient, il y a des programmes d’accompagnement, de formation », donc, oui, il y a quelque chose qui séduit les associations.
Je trouve ça dangereux pour le Libre parce que souvent, dans le monde du Libre, on a tendance à se tirer dans les pattes en disant « c’est normal, nos logiciels ne sont pas bons, ils ne sont pas beaux, etc. », sauf qu’à un moment donné il faut regarder le cadre dans lequel on évolue. C’est bien beau de se flageller, mais si, finalement, rien n’est possible dans le cadre qu’on se donne ! Il ne faut surtout pas se flageller, ça ne sert à rien, ce n’est pas ça qui va faire évoluer les choses. C’est mettre en évidence ce soft power pour pouvoir, justement, agir au bon endroit et faire bouger ce cadre. Je suis plutôt persuadé de ça.
Étienne Gonnu : Et puis des initiatives existent, on verra peut-être plus tard si on a le temps de développer, mais on peut penser à toute l’initiative CHATONS, il y a Emancip’Asso, un autre projet porté par Framasoft, qui vise à armer, à donner, à proposer aux associations des solutions en logiciel libre pour mieux émanciper leur informatique, pour dire très schématiquement le propos.
Tu nous as parlé de Solidatech en France.
Laurent Costy : Solidatech, en France, est donc une tête de pont de Techsoup qui est une ONG aux États-Unis. Quand on regarde ses partenaires, sur le site de cette ONG, ce sont effectivement toutes les Big Tech américaines : on retrouve Microsoft, on retrouve Cisco, on retrouve toutes les grosses structures américaines. Finalement, son rôle c’est de diffuser au maximum, sur la planète, toute la technologie américaine. Je vais mettre un petit bémol, si on compare la technologie américaine à la technologie russe ou chinoise, elle est moins pire, on est d’accord. Néanmoins, il est important, pour les associations, de se poser des questions par rapport à leur dépendance. On parle aussi de souveraineté, moi je préfère pointer la question de l’indépendance, de la maîtrise de son système d’information, parce que ce système-là est extrêmement puissant.
Quand on regarde sur Internet et qu’on décline toutes les Techsoup avec les extensions des noms de pays, finalement ils ont acheté tous les noms de domaine dans tous les pays, ils ont tous les noms de domaine de tous les pays pour Techsoup. Ça veut bien dire qu’ils ont une logique d’inonder le monde avec une intelligence qui est celle de trouver des relais locaux ; il y a quelques pays où ils n’ont pas trouvé de relais locaux, donc ils sont en frontal. L’idée, c’est quand même d’aller chercher des gens, si possible avec une bonne image, en l’occurrence, là, les Ateliers du Bocage en France, pour pouvoir, justement, continuer ce soft power qui est d’une extrême puissance.
Étienne Gonnu : Je vois deux enjeux. Si on est dans une logique de marché, tu me parlais d’un million, je crois, d’associations, etc., qui ont des besoins informatiques, ça représente quand même un marché, à l’échelle française, qui n’est pas complètement anodin, n imagine à l’échelle mondiale ! Et on imagine bien, pour les très grandes entreprises, que c’est une manière de toucher des publics, de développer et de défendre à fond leur version, leur imaginaire de l’informatique.
Laurent Costy : Ils sont extrêmement puissants. Sur le marché du reconditionné, récemment j’en ai parlé à Pas sage en Seine : avant, on avait la capacité de demander la déduction du coût de la licence Windows quand on achetait sans OS. Là, dernièrement, on m’a dit : « On ne peut pas, on vous offre la licence ». J’ai dû gratter, j’ai eu beaucoup d’échanges et finalement, à la fin, la personne m’a dit : « Le coût de la licence est extrêmement important, mais on ne peut pas vous le donner, on n’a pas le droit ». Ça veut dire qu’on continue à invisibiliser un système commercial — je ne sais pas si c’est commercial, en tout cas il y a du commerce entre le revendeur d’appareils reconditionnés et Microsoft —, qui est complètement transparent et qui laisse penser que les licences sont gratuites et que, de toute façon, on n’a pas d’autre choix que d’avoir un ordinateur avec une licence Windows.
C’est donc tout ce système-là qui est en œuvre avec Techsoup et Solidatech en France, à priori partout ailleurs aussi dans le monde, j’avais commencé à regarder en Belgique, je n’ai pas creusé. On se doute bien que ce système-là est vraiment dans une logique de continuer à inonder avec des technologies américaines.
Étienne Gonnu : Tu as parlé de ce coût. Tu as écrit deux tribunes, je veux bien ton regard sur la raison d’en faire d’eux. Dans la deuxième tribune — on n’aura peut-être pas le temps de rentrer dans le détail —, tu as proposé, l’April a proposé, à travers ta plume, six propositions, on va dire dans une gradation d’ambition pour contrer, pour renverser un peu la vapeur, notamment celle que tu viens de décrire pour lutter contre l’invisibilisation des coûts.
On a donc proposé deux tribunes. Quelle était cette logique de deux tribunes ? Moi j’y vois un peu une forme de logique de lanceur d’alerte et je trouve aussi que c’est intéressant, de la part de l’April, d’avoir cette forme d’action.
Laurent Costy : Ce n’était pas prémédité, mais finalement, en creusant le sujet Solidatech, c’est là qu’on met le doigt dans Techsoup, du coup on a envie de creuser et d’aller voir un peu pourquoi Solidatech en France. Ça a été une logique non préméditée, mais qui a, effectivement, abouti à la découverte de ce très puissant soft power américain sur différents lieux sur la planète et en particulier en France.
Étienne Gonnu : Je pense que c’est une difficulté qui existe, tu as essayé aussi, on a essayé de donner de la visibilité à ces tribunes, notamment surtout la seconde, en contactant des journalistes, en contactant des parlementaires. Il y a eu assez peu de retours, comment se l’explique-t-on ? Parce que ça touche aux associations, il ne faut pas toucher aux gentilles initiatives qui aident les associatifs ?
Laurent Costy : Ça montre que Microsoft et les Big Tech américaines réussissent ce soft power. Plus on est discret, plus on est invisible, mieux on réussit à pénétrer. Après, je pense aussi que l’actualité ne nous aide pas, parce que, maintenant, si on ne parle pas d’IA, on n’est pas écouté, on n’est pas entendu, tout en sachant qu’il y a aussi un énorme enjeu de soft power vis-à-vis de l’IA. J’écoutais, sur radio Cause Commune, l’émission Parlez-moi d’IA, où un Canadien était invité et il expliquait, finalement, que Microsoft a aussi poussé tous ses pions par rapport à l’IA, va intégrer l’IA dans sa suite Office. Donc, en fait, on continue à pénétrer, à rendre les choses incontournables, indispensables, et à laisser penser qu’on n’a pas d’autre choix.
Donc oui, c’est presque un constat d’impuissance face à une machine qui est un peu colossale.
Étienne Gonnu : Pour finir sur une note positive et ce que je vais te demander va être compliqué. On parle d’Emancip’Asso. En fait, on a des initiatives, il y a des manières de faire, de renverser la vapeur. Je trouve que c’est une initiative intéressante et je crois qu’elle t’enthousiasme aussi, me semble-t-il. Qu’est-ce que c’est ? C’est une manière de changer un peu les choses et d’accompagner les associations ?
Laurent Costy : Oui, il existe plein d’associations.
CHATONS est une excellente initiative pour pouvoir, justement, trouver des outils alternatifs.
Emancip’Asso veut mettre en lien des structures, des associations qui cherchent justement à changer et il y en a quand même de plus en plus, il ne faut pas croire, et puis des gens, des structures qui sont capables d’accompagner soit sur le plan technique soit sur le plan justement pédagogique ces structures associatives, pour changer leur système d’information, pour aller, tranquillement, vers un système alternatif moins corrosif pour leurs données et les données des utilisateurs et utilisatrices.
Donc oui, il y a de l’espoir, il faut se mobiliser, il faut arrêter de se flageller entre nous, parce qu’on est capable aussi, dans le Libre, de dire « ton logiciel n’est pas bon, il n’est pas beau, etc. », je l’ai dit tout à l’heure, mais, à un moment donné, n’oublions pas qu’en face il y a effectivement une machine qui est juste un bulldozer qui écrase tout. Soyons modestes et efficaces !
Étienne Gonnu : Si des associatifs nous écoutent et se disent « moi j’ai envie », qu’est-ce qu’on peut leur donner comme conseil ? Qui peuvent-ils aller voir ? On a parlé d’Emancip’Asso. As-tu d’autres conseils pour enclencher ?, parce que c’est faisable en fait ; ça peut paraître une étape très difficile de se tourner vers le Libre, en fait, on peut le faire pas à pas. Qu’est-ce que tu peux conseiller, en une minute max ?
Laurent Costy : Pour l’instant, Emancip’Asso est encore un peu en construction, ce n’est pas la seule, en tout cas c’est celle que je recommande pour l’instant. Après, évidemment, il y a les systèmes prévus pour les associations elles-mêmes, ce qu’on appelle, par exemple, les dispositifs locaux d’accompagnement qui sont des moyens d’être soutenu financièrement, justement pour engager des transitions. Ça peut être général, mais on peut aussi demander une transition numérique.
Après c’est pareil, si le mouvement associatif se dit rester neutre par rapport à cette question des outils informatiques, dans les régions, de plus en plus, les mouvements associatifs promeuvent un peu ce que sont les logiciels libres. Par exemple, en Bourgogne-Franche-Comté, Rachel Payan a beaucoup soutenu Bénévalibre ; maintenant, le CRAJEP de Bourgogne-Franche-Comté reprend la main sur l’animation, la formation des associations. Les têtes de réseau sont des bonnes solutions. Se tourner vers sa tête de réseau pour lui dire « peut-être que ça peut être utile de mettre en place un logiciel pour l’ensemble du réseau » et, fondamentalement, ça renforce le rôle de la tête de réseau et c’est ce qu’elles cherchent toutes, parce que, trop souvent, on leur dit « mais, vous servez à quoi ! ». C’est donc une bonne occasion de mutualiser et de faire commun pour pouvoir mettre à disposition de son réseau des logiciels libres.
Étienne Gonnu : Je pense que c’est une bonne manière de finir cet échange, sur une note positive. On peut faire des choses, on peut avancer, surtout pas de fatalisme.
Merci Laurent.
Laurent Costy : Merci.
Échange avec Françoise Conil, nouvelle membre élue du conseil d’administration de l’April
Étienne Gonnu : On ne va pas faire de dernière pause musicale afin de gagner du temps.
Normalement, nous avons avec nous Françoise Conil pour notre dernier échange « Au cœur de l’April ». Françoise, es-tu avec nous ?
Françoise Conil : Oui. Bonjour Étienne.
Étienne Gonnu : Bonjour Françoise et merci de nous rejoindre.
Françoise, tu es une des deux nouvelles personnes qui viennent d’arriver au conseil d’administration de l’April, merci beaucoup pour ça. Je redis que tous les ans l’association élit, vote pour une liste candidate, les candidats se présentent sur une liste commune pour le CA de l’April. Tu as donc rejoint ce conseil d’administration lors de notre AG de mars dernier. Est-ce que tu veux bien te présenter rapidement et nous donner ton rapport au logiciel libre ?
Françoise Conil : J’ai fait des études d’ingénieur et je suis ingénieure en développement logiciel au CNRS depuis 2004. Avant, je travaillais à Paris dans une société de télécommunications, toujours en développement logiciel.
Le rapport au logiciel libre. Dans mon travail et dans ma vie personnelle, progressivement — ce n’était pas le cas au début, quand j’ai commencé à travailler —, on va dire que depuis que je travaille dans l’enseignement supérieur et la recherche, j’utilise beaucoup, même quasiment exclusivement, oui, quasiment exclusivement, majoritairement des logiciels libres, des outils libres, des librairies libres, le plus possible, et j’essaye de promouvoir l’usage de ces outils autour de moi.
Étienne Gonnu : Super. Je précise que tu es déjà intervenue beaucoup plus longuement sur ton parcours, dans une émission « Parcours libriste », je vous encourage à écouter libreavous/165 si vous voulez écouter plus en détail le cheminement très intéressant de Françoise vers le logiciel libre.
Comment as-tu connu l’April ?, je crois, et tu pourras me corriger, que c’est lié notamment à cette intervention dans Libre à vous !. Comment as-tu connu l’April et comment t’es-tu retrouvée à accepter l’invitation à te présenter sur cette liste candidate au conseil administration ?
Françoise Conil : J’essaye d’organiser un petit peu. Ça fait longtemps que je voyais l’engagement de l’April sur les réseaux sociaux, sur les stands dans les événements libristes comme les Journées du Logiciel Libre à Lyon. Je voyais que son action était importante pour la promotion du logiciel libre, qu’elle avait des prises de position importantes, qui me tenaient aussi à cœur. En fait, je suis aussi impliquée dans de la médiation scientifique et pour la féminisation, essayer de promouvoir la féminisation des métiers du numérique. Le CNRS a fait une bande dessinée, qui s’appelle Les décodeuses du numérique, dans laquelle mon portrait a été publié, avec le portrait de chercheuses et d’autres ingénieures comme moi. Suite à ça, comme j’évoquais le logiciel libre, j’ai été contactée pour faire un « Parcours libriste » dans l’émission. Suite à cette émission, on m’a effectivement proposé de rejoindre le CA pour apporter un profil technique, pour rejoindre le CA avec mon profil technique, avec lequel je me sens plus à l’aise.
Étienne Gonnu : À l’April, on défend l’idée que le logiciel libre ne concerne pas que les informaticiens et informaticiennes. Le CA le reflète bien, il y a beaucoup de profils non techniques, et c’était bienvenu, en fait, d’avoir quelqu’un qui avait ton regard sur le Libre.
As-tu déjà participé à des conseils d’administration d’autres associations ou institutions et qu’est-ce que ça signifie, pour toi, d’être membre du CA de l’April ?
Françoise Conil : En fait, je me suis déjà investie dans plusieurs types d’associations, classiquement la représentation de parents d’élèves, dans mon milieu des réseaux de développeurs et développeuses logiciels, que ce soit régionalement ou nationalement, dans l’association des développeurs et développeuses Python, et puis en médiation scientifique, comme je disais, donc Science, un métier de femmes, MiXTeen et la Fête de la science. Mais ces groupements sont majoritairement constitués de bénévoles, c’est l’expérience que j’ai. L’intégration d’une structure comme l’April est assez nouvelle pour moi parce qu’il y a des salariés, ça fonctionne donc un petit peu différemment de ce que j’ai l’habitude de côtoyer.
Étienne Gonnu : De quelle manière ?
Françoise Conil : Il y a une activité assez importante du fait d’avoir aussi des salariés qui prennent en charge pas mal de choses. Il faut suivre !
Étienne Gonnu : D’accord, c’est intéressant. Ça me fait rire. Gee étant l’autre personne qui a rejoint le CA de l’April, en disant « il y a peu d’activité sur la liste de discussion ». J’ai l’impression que depuis que vous êtes arrivés, parce que plusieurs sujets, parce que l’actualité a fait que, il y a effectivement eu une grosse densité des échanges ! Le CA de l’April est un collectif, on s’engage en fonction de ses appétences, de ses capacités et c’est tout l’intérêt d’un collectif.
En termes de contribution, quand tu es arrivée, une première action très importante que tu as pu faire, c’était lors de l’AG de l’April. Cette année, on a fait le choix, avant l’AG elle-même, de proposer une matinée de conférences éclairs, de mini-conférences de six minutes et tu as vraiment porté, pas à bout de bras parce qu’il y a eu d’autres contributions, mais tu as vraiment été la cheville ouvrière principale pour la réalisation de cette matinée de conférences éclairs. Tu m’as dit que c’est un exercice que tu connaissais déjà. Est-ce que ça t’a plu ? Qu’est-ce que tu en retires ?
Françoise Conil : C’est compliqué parce que c’est quelque chose que j’ai fait dans mon engagement, dans ce qui est ce que j’appelle réseaux, on va dire associations de développeurs et développeuses dans l’enseignement supérieur/recherche. Dans cet environnement-là, j’ai participé à de nombreuses organisations de journées de conférences, etc. Donc, pour organiser les conférences éclairs, apporter un coup de main à cette organisation, je savais que j’avais un certain nombre de réflexes sous la main, facilement, des textes, des petits messages à envoyer pour l’acceptation, etc. J’avais bien en tête tous ces mécanismes, ce qui me permettait d’apporter une contribution, on va dire à moindre coût pour moi, parce qu’on a tous un manque de temps, donc, de pouvoir apporter quelque chose déjà pour commencer.
On a eu plein de sujets très intéressants, variés. J’ai écrit un petit guide d’organisation des conférences éclairs pour que d’autres personnes puissent maintenant s’en emparer aussi.
Ce que j’en ai retiré : on avait les titres de toutes ces conférences et quand je les ai entendues, le jour de l’AG, j’ai trouvé que c’était passionnant.
Étienne Gonnu : D’accord, c’était vraiment une super matinée. Merci de l’avoir organisée et ça montre bien aussi qu’on apporte tous quelque chose de différent. Ce qui était pour toi presque naturel aurait été quand même beaucoup plus compliqué pour d’autres. Merci d’avoir apporté cette compétence-là.
Je suis désolé, c’est le problème d’être le dernier sujet « Au cœur de l’April », je vois le temps qui avance à très grande vitesse. J’aurais d’autres questions à poser, ce sera peut-être une prochaine fois.
Un très grand merci d’avoir libéré un peu de ton temps, Françoise, pour partager ce moment avec nous. Je te souhaite une très bonne fin de journée.
Françoise Conil : Merci beaucoup. Bonne fin de journée.
Étienne Gonnu : Salut Françoise.
Nous allons passer à notre dernier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » Marie-Odile Morandi lue par Laure-Élise Déniel « Transformer le numérique », troisième conférence du triptyque de Louis Derrac
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi, lue par Laure-Élise Déniel. Le sujet du jour : « Transformer le numérique », troisième conférence du triptyque de Louis Derrac.
[Virgule sonore]
Marie-Odile Morandi, voix de Laure-Élise Déniel : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Nous voici arrivés, pour cette chronique, « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture », à la troisième des conférences du triptyque proposé par Louis Derrac au printemps 2023. Nous nous sommes intéressés précédemment à la première de ces conférences, intitulée « Comprendre le numérique », puis à la seconde, « Critiquer le numérique ». Cette troisième conférence, conclusive, est intitulée « Transformer le numérique ».
Louis Derrac se présente comme un acteur indépendant et militant de l’éducation au numérique, de l’éducation des citoyens et des citoyennes pour comprendre la chose numérique. Il propose un exercice d’analyse parti d’une envie personnelle de discuter un peu plus du numérique dont il considère que c’est un objet politique, sans prétendre à une expertise de tous les domaines. Il nous rappelle que son propos est engagé, puisque militant, donc, que ses vues peuvent évidemment être biaisées.
Cette conférence, comme les deux précédentes, est publiée sur le site de Louis Derrac sous licence libre Creative Commons Attribution Partage à l’identique, des ressources qu’il nous invite à utiliser et à diffuser.
Louis nous propose d’envisager ce qu’il appelle un numérique alternatif, celui qui s’oppose au numérique dominant, toxique, aujourd’hui largement confisqué par les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft –, et les géants chinois et asiatiques. Ce numérique est aussi confisqué, de plus en plus, par des gouvernements technocratiques, avec des technologues qui mettent en œuvre une « dématérialisation », entre guillemets, de tous les services et qu’ils appellent modernisation, simplification. Mais cette numérisation se fait sans débats ou discussions citoyennes.
Pour beaucoup de gens, le numérique est devenu une chose magique, qu’il n’y a plus besoin de vraiment comprendre, qu’il ne faut plus critiquer, qui est là, qu’on n’a pas vraiment désirée, qu’on n’a pas vraiment choisie.
Il est nécessaire de déconstruire le mythe tenace du solutionnisme technologique, par exemple que les problèmes environnementaux auxquels on fait face vont être résolus par des solutions numériques et technologiques, avec utilisation de l’oxymore « numérique responsable » ; un numérique qui n’aurait pas d’impact environnemental n’existe pas, mais nous pouvons envisager des solutions pour un numérique éthique, émancipateur, reposant sur des modèles économiques vertueux, respectueux de nos données, dont on pourrait limiter les impacts environnementaux et humains.
Pour transformer le numérique et aller vers ce numérique alternatif, pour envisager cette transformation alternumérique des organisations et de la société, Louis nous présente plusieurs niveaux d’action.
Vu la quantité énorme de terminaux en circulation, nos actions individuelles peuvent avoir un impact important. Pour cela, Louis nous incite à développer une hygiène numérique et, entre autres, à comprendre les base de la machine pour en être le maître plutôt que l’esclave ; à découvrir ou redécouvrir le logiciel libre, avec ses quatre libertés : exécuter le logiciel, l’étudier, donc faire preuve de transparence, le redistribuer, l’améliorer, pour pouvoir être le maître du logiciel qui alimente cette machine. Donc, installer sur son PC non seulement des logiciels libres mais aussi une distribution GNU/Linux, un des meilleurs moyens de faire durer son matériel, et nous intéresser aussi aux formats ouverts, interopérables, pour garantir la pérennité des documents et faciliter les changements de logiciels.
Il nous rappelle que le cloud, le nuage, ce sont toujours des ordinateurs, très physiques, souvent américains. Il nous conseille donc de chiffrer nos données pour les sécuriser et de savoir où elles sont hébergées : en cas de tensions commerciales avec les États-unis, par exemple, on pourrait tout perdre ! On peut ainsi se tourner vers des hébergeurs éthiques, locaux et décentralisés. On pense évidemment au collectif CHATONS, le Collectif des Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires, initié par Framasoft.
Pour Louis, chaque individu devrait chercher à passer d’un numérique qu’il consomme, celui des réseaux sociaux, à un numérique auquel il contribue, en allant sur des plateformes collaboratives, en créant des sites pour partager ses connaissances, avec enjeu éducatif à la clé et, bien entendu, en diffusant ses créations sous licence libre, voire copyleft qui interdit les restrictions en cas de diffusion d’éventuelles modifications ; ainsi, ses utilisateurs pourront à leur tour les partager, les réutiliser, les modifier sous cette même licence. Le cas de l’encyclopédie Wikipédia est mentionné, soulignant qu’elle est encore trop façonnée par ses contributeurs qui, pour une immense majorité, sont des hommes, plutôt jeunes et diplômés.
Il nous incite à revenir à une manière de s’informer autrement que par les réseaux sociaux, dont les algorithmes nous imposent leurs choix, répondant à leur modèle économique publicitaire. Il nous incite aussi à cesser de ne consulter que les trois premiers résultats proposés par le moteur de recherche Google, moteur le plus utilisé au monde. Louis nous rappelle que l’on peut choisir, à bon escient, des sites, des blogs, des newsletters auxquelles s’abonner pour reprendre le contrôle de son information et, pourquoi pas, se laisser aller à la sérendipité en navigant de site en site, en prêtant attention à l’inattendu et en l’interprétant.
Ainsi, à l’échelle individuelle, il est encore possible de choisir son numérique, mais cela demande des d’efforts, comme quitter les réseaux sociaux, surtout face à la pression sociale et aux obligations liées à son travail, à sa banque et à la numérisation subie, voire imposée, par ladite simplification administrative. Cependant, cela permet de se sentir en cohérence avec soi-même au regard de sa propre vision politique de la société. Cela permet aussi d’augmenter sa résilience et de moins subir une sorte de sobriété forcée, voire des restrictions quand des décisions collectives ou politiques interviendront, la question des impacts environnementaux et humains étant inéluctable avec une mutualisation des outils numériques qui s’imposera sans doute.
Il nous conseille, à l’échelle collective, de nous organiser, de proposer des discussions, des débats citoyens, en particulier en nous engageant dans des associations, pourquoi pas libristes, pourquoi pas l’April !
Transformer le numérique à l’échelle politique impose de se tourner vers des modèles non plus au service des plateformes et de leur rentabilité, mais au service des besoins des utilisateurs et utilisatrices et, pour cela, il faut se défaire de l’emprise de la publicité, voire interdire la publicité ciblée, et proposer des interfaces dont le but n’est plus de retenir notre attention, mais qui faciliteront notre déconnexion.
Louis Derrac estime qu’il faudrait socialiser les infrastructures comme les câbles sous-marins, détenus en grande partie par les Big Tech, ainsi que les briques logicielles indispensables à certains services essentiels, obliger les formats ouverts et, pourquoi pas, faire en sorte qu’un service de base comme une adresse électronique devienne un service public offert à chaque citoyen et citoyenne.
Le politique devra s’intéresser aux technologies low-tech plus durables, résilientes, nous menant vers plus de sobriété et, bien entendu, repenser une décentralisation des services web, en particulier ceux qui hébergent nos données.
Il faut impérativement éduquer les futures générations, c’est-à-dire former des citoyens et citoyennes d’un monde numérique. Pour Louis, il faut non seulement comprendre l’histoire du numérique, ses enjeux économiques, scientifiques, philosophiques, mais il faut faire preuve de réflexion critique, être capable de débattre afin de faire les bons choix.
Louis se dit frappé de la façon dont on lance, à grande échelle, des technologies d’IA générative, type ChatGPT, sans aucun contrôle, alors qu’elles représentent des dangers potentiels pour l’humain, voire pour nos démocraties. Il souhaiterait que soit instauré un principe de précaution comme cela existe dans les industries pharmaceutiques : avant sa sortie, un nouveau produit ne doit-il pas subir des batteries de contrôle ?
La transformation du numérique ne se fera pas sans débattre des questions philosophiques qu’il soulève, par exemple notre rapport au temps : est-il nécessaire d’avoir accès à l’information partout, tout de suite ? Est-ce raisonnable de vouloir aller toujours plus vite sans jamais supporter de perdre un peu de temps ?
Est-il venu le moment de repenser notre liberté versus notre sécurité ? Notre sécurité vaut-elle tous les reculs concernant la protection de notre vie privée ? Devons-nous réellement accepter la surenchère de surveillance de masse, mise en œuvre avec les technologies numériques ? Et enfin, quel progrès technique voulons-nous ? Celui que l’on subit ou celui que l’on choisit en tenant compte des limites économiques, environnementales et sociales qui s’imposent à nous ?
Louis nous met en garde : les tensions ne manqueront pas. On peut certes agir de façon individuelle, mais, pour agir de façon collective, des incitations plus politiques, voire passant par des lois, auraient probablement un effet plus incitatif, sans oublier qu’en matière de numérique les lobbies sont très puissants et défendent leur énorme pouvoir économique.
Reprenant le cas du logiciel libre, il nous partage sa réflexion sur les limites de cette philosophie, de ce projet politique passionnant, avec exemple à l’appui que vous découvrirez, concluant que le logiciel libre est une partie de la solution, mais n’est pas la solution à lui seul.
Vous trouverez les liens vers cette conférence, ainsi que vers les deux précédentes, sur la page des références de l’émission d’aujourd’hui.
À chacun et chacune d’entre nous, désormais, de réfléchir aux propos de Louis Derrac, de se les approprier, voire d’aider à ce que les questions philosophiques pénètrent le domaine politique.
Le numérique vers lequel nous devons tendre doit être au service du progrès humain : émancipateur et non aliénant, choisi et non subi, soutenable humainement et environnementalement, celui qui ne crée ni maître ni esclave et qui laisse de la liberté d’action individuelle. Ce numérique sera éthique, c’est le numérique alternatif que Louis Derrac nous propose en affirmant que c’est possible.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : De retour sur Cause Commune, la voix des possibles.
C’était « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi.
On approche vraiment de la fin de l’émission, il n’y aura pas de Quoi de Libre ?
J’annonce juste que vendredi 7 juin Cause Commune ouvre ses portes pour un apéro. Frédéric Couchet, mon collègue, devrait y être.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Jean-Christophe Becquet, Isabella Vanni, Vincent Calame, Laurent Costy, Françoise Conil, Marie-Odile Morandi, Élise Déniel-Girodon, ainsi que Julie Chaumard qui était également aux manettes de la régie.
Merci à l’ensemble des bénévoles qui s’occupent de la post-production des podcasts.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 11 juin 2024 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur le recrutement et la diversité de genre dans les métiers de l’informatique et le logiciel libre.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 11 juin et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.