Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Isabella Vanni : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Parcours libriste avec Laurent Costy, vice-président de l’April et chroniqueur dans Libre à vous !, l’occasion d’en savoir plus sur son parcours personnel et professionnel. C’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy et aussi la chronique « La pituite de Luk ».
Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 27 février, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast
À la réalisation de l’émission aujourd’hui, Magali Garnero. Salut Magali.
Magali Garnero : Salut.
Isabella Vanni : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy sur le thème « Chaloir pour deux doigts coupe fin »
Isabella Vanni : Comprendre Internet et ses techniques pour mieux l’utiliser, en particulier avec des logiciels libres et services respectueux des utilisatrices et utilisateurs pour son propre bien-être en particulier et celui de la société en général, c’est « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy qui, aujourd’hui porte sur le thème « Chaloir pour deux doigts coupe fin ».
Cette chronique a été enregistrée il y a quelques jours, je vous propose donc de l’écouter et on se retrouve juste après.
[Virgule sonore]
Laurent Costy : Hello Lorette ! Depuis qu’Alexis Kauffmann nous a proposé de faire une chronique en direct à la fin de la Journée du Libre Éducatif, vendredi 29 mars prochain, j’ai un peu de mal à dormir. Toi, tu as l’habitude de faire le Zénith mais moi, ça fait 20 ans que je prêche dans le désert pour convaincre les associations de migrer vers les logiciels libres. Et, en général, il n’y a pas plus de trois personnes dans la salle.
Lorette Costy : Dont deux personnes du stand de l’April à qui on a dit « il faut aller à la conférence, s’il vous plaît, parce que, sinon, il n’y aura personne dans le public ! ». Et tu exagères un peu sur le nombre de mes expériences au Zénith, je n’ai fait que trois fois de l’intérim pour le nettoyage post-concert ! Mais bon, ne t’inquiète pas, de toute façon, ce ne sera qu’un bon moment à passer. On pourra parler de logiciel libre et d’éducation par exemple.
Laurent Costy : C’est une excellente idée ! On pourra communiquer en amont sur le Mastodon de l’April. Par contre, ce ne sera plus possible sur le Raider, car l’April a, justement, décidé d’arrêter de communiquer via ce réseau social qui part en vrille depuis son rachat par ce libertarien à l’incompétence crasse lorsqu’il s’agit de comprendre ce qu’est réellement la liberté d’expression dans une société.
Lorette Costy : Ah oui, tu m’as expliqué un jour pourquoi tu appelais « Raider » ce qu’il reste de Twitter. Je résume : Twitter est devenu X, ce qui nous donne « Twix », logique ! Twix, dont le nom précédent était Raider avant 1991. CQFE, Ce Qu’il Fallait Expliquer !
Laurent Costy : Merci Lorette pour cette clarification qui n’est effectivement pas évidente quand on n’est pas dans mon cerveau. En plus, je ne peux plus inviter qui que ce soit dans ma tête, on est déjà trop nombreux là-dedans. Je rajouterais quand même que, si ça se trouve, on est à deux doigts de la fin pour Raider.
Lorette Costy : Je vais passer mon tour de joker et ne rigolerai donc pas.
Sinon, sur les sujets importants que sont les libertés et l’éthique dans le numérique pour lesquels on t’a accordé, à contrecœur, ce créneau de radio, tu as des choses à dire, j’espère ?
Laurent Costy : Le logiciel libre, c’est bien.
Lorette Costy : Merci papa ! Tu aurais pu ajouter que le logiciel libre se définit par quatre libertés et certainement pas la gratuité qui est souvent constatée à l’usage. Mais tu préfères me laisser faire ton boulot !
Laurent Costy : Tiens, puisqu’on parle de logiciel libre, je me sens obligé de revenir sur notre dernière chronique. Comme j’avais laissé décanter ma boîte mail un peu trop longtemps, je n’avais pas vu la réponse intelligente de Stéphane Bortzmeyer à ma question stupide. Je finis par me demander si ce ne serait pas plus simple que tu fasses directement la chronique avec lui.
Lorette Costy : Ça ne me dérangerait pas ! Mais, Papa, il n’y a pas que les compétences et les connaissances dans la vie, il y a aussi, pour toi par exemple… des trucs.
Laurent Costy : Merci ! Bon, l’une des questions en suspens était de comprendre la différence qu’il pouvait y avoir entre le navigateur libre Chromium distribué par Google et Iridium.
Lorette Costy : Donc, comme le dit Stéphane, Chromium est une production Google. Ce navigateur contient donc toute l’infrastructure de surveillance de Google, couches que justement Iridium a épurées !
Laurent Costy : De carottes, exactement ! Outre la polémique autour du fait qu’il n’était pas disponible sur le magasin d’application F-Droid.
Lorette Costy : Magasin alternatif à Google Play Store, qui propose des applications moins intrusives pour notre vie privée, je le rappelle, en passant, pour les personnes qui ne nous écouteraient pas assez régulièrement !
Laurent Costy : Il y avait la même question pour Signal, la messagerie alternative à WhatsApp : si ça ne fait aucun doute que Signal est mieux que WhatsApp pour la vie privée, logiciel libre ne veut pas dire non plus logiciel « gentil-bisounours-licorne » pour reprendre une formule de Stéphane, formule qui restera peut-être, d’ailleurs, dans l’histoire de l’informatique aux côtés de celle d’Edward Snowden sur la vie privée.
Lorette Costy : Je connais cette citation ! Tu me la lisais tous les soirs quand j’étais petite à la place de mes histoires favorites et de Desproges. Je cite de mémoire : « Dire que votre droit à la vie privée importe peu, car vous n’avez rien à cacher, revient à dire que votre liberté d’expression importe peu, car vous n’avez rien à dire. Car, même si vous n’utilisez pas vos droits aujourd’hui, d’autres en ont besoin. Cela revient à dire : les autres ne m’intéressent pas ! »
Laurent Costy : Je trouvais l’histoire du Petit Chaperon rouge assez peu politique, finalement, et très surcotée. Et puis, je préparais déjà ton conditionnement à ta participation choisie, mais néanmoins obligatoire, à ce podcast.
Lorette Costy : C’est un plaisir indicible et, encore une fois, un mot que l’on n’utilise plus guère, mon cher Papa. Et pour en revenir sur la transparence, incarnée par le code ouvert, elle ne se suffit donc pas à elle-même. Tu m’avais raconté, un jour, qu’une association était transparente sur toute sa comptabilité auprès de ses adhérent et adhérentes. L’initiative est louable, mais sans formation et sans accompagnement sur les règles de comptabilité, ça peut, parfois, être même contre-productif.
Laurent Costy : Oui, parce que ça peut générer un faux sentiment de « sécurité », entre guillemets. Comme c’est à la vue de tous et toutes, on se dit « c’est bien », sauf que c’est un peu trop simpliste de penser comme ça. Avec cette transparence qui, en passant, nécessite l’anonymisation des données, il est nécessaire d’accompagner et de faire œuvre de pédagogie. Il est important, aussi, de bien définir qui a accès aux données, qui peut les lire, les écrire et configurer le système d’information de manière ad hoc.
Lorette Costy : Tout à fait mon capitaine ! Finalement, on peut faire un parallèle avec le développement et la maintenance du logiciel libre. C’est souvent une inquiétude des personnes qui connaissent peu les logiques, l’organisation et les conditions de développement des logiciels libres. Ils pensent que c’est Open Bar – voir à ce sujet les communications passées pertinentes de l’April sur les liens entre Microsoft et le Ministère des Armées – et que, donc, tout ça c’est le dawa.
Laurent Costy : Non, les logiciels libres, ce n’est pas le DAWa. Éventuellement, on peut se servir de ce terme comme acronyme,Digital Alternative Way, mais il manquerait « pour un monde numérique meilleur », mais c’est tout. D’ailleurs, pour illustrer ça, je peux te raconter ma dernière contribution à un logiciel libre.
Lorette Costy : Oh oui ! Surjoué parce que, dans le fond, peu te chaut du verbe chaloir. Ah non, « surjoué parce que, dans le fond peu te chaut – du verbe chaloir – c’était entre crochets, il ne fallait pas que je le lise.
Laurent Costy : Oui, c’est ça, il ne faut pas lire ce qui est entre crochets. Donc, devant tant d’enthousiasme, je me plie à ta demande insistante. Petit préambule : comme j’ai des compétences relativement limitées en programmation – changer la couleur d’affichage d’Hello World relève pour moi de l’exploit –, j’ai opté pour contribuer à un projet libre par la traduction.
Lorette Costy : J’ai souvenance que ton niveau d’anglais était a peu près du même niveau que la colorisation d’Hello World ! Tu es sûr que c’était une bonne idée ?
Laurent Costy : Oui, une excellente idée même. Pour deux bonnes raisons de mauvaise foi. D’abord, j’ai choisi de traduire un tutoriel bientôt obsolète de Minetest, l’alternative à Minecraft. Donc, vraiment, peu de monde devrait être confronté à mes traductions très littéraires. Et, par ailleurs, n’importe qui peut désormais contribuer à la traduction d’un projet libre en utilisant, par exemple, LibreTranslate, outil, sous licence libre, de traduction.
Lorette Costy : Et tu as trouvé tous les diamants et tous les lingots d’or du tutoriel de Minetest ? Ou, finalement, tu as préféré jouer avec la forge logicielle, pas dans le jeu, mais dans la réalité, pour soumettre tes propositions de modifications ?
Laurent Costy : Non, mon niveau de crafting frise ma compétence de colorisation des mots anglais Hello World, mais, j’ai finalement soumis sur la forge du projet effectivement, les fichiers utiles à l’affichage des textes français. Et j’ai échangé avec le responsable de ce projet. C’est lui qui a regardé la pertinence de l’intégration de cette branche et qui a validé. Désormais, si tu joues au tutoriel de Minetest, les textes d’apprentissage sont en français si ton système est dans cette langue !
Lorette Costy : Finalement, la contribution, ce n’est pas sorcier, même quand on n’a pas des compétences avancées en informatique. Si on devait ne retenir qu’une seule chose de cette chronique, somme toute assez insipide, ce serait bien celle-là !
Laurent Costy : Ce n’est pas faux ! En plus, on est fier, ensuite, de sa contribution quand on sait qu’elle va servir à d’autres et qu’on a enrichi un commun numérique !
Lorette Costy : Carrément Cicéron ! C’est très différent de ce que l’on essaie chaque jour de nous faire passer pour de la contribution alors que ce n’est que de l’évaluation pour améliorer des business privés ! Je m’explique, parce que j’ai lu, dans ton expression faciale, généralement agréable, une grande dubitativité. À chaque interaction dans le Web mercantile, comme des achats sur Internet, des mails échangés avec le service après vente, etc., on est intimé, puis relancé, pour mettre un maximum d’étoiles. Et on nous vend ça comme du Web contributif. Beurk sérieux, pourquoi contribuerais-je à améliorer quelque chose au seul bénéfice financier de quelqu’un d’autre ?
Laurent Costy : Je confirme que tu es bien la fille de ton père, j’ai la même attitude ! Et je ne supporte pas les évaluations par étoiles où on ne peut pas s’exprimer avec des vrais mots pour dire ce qu’on pense parce qu’ils ont la flemme de lire. Bref, il y a contribution et contribution !
Lorette Costy : En parlant d’étoiles, on va donner rendez-vous à nos p·auditeurs et p·auditrices pour la prochaine chronique où on leur mettra encore plein d’étoiles dans les yeux !
Laurent Costy : En leur ouvrant de belles perspectives d’alternatives libres pour leurs systèmes d’information. Bien joué pour la conclusion, je te garde pour la prochaine chronique. La bise ma puce.
Lorette Costy : Merci. La bise mon Papa gratifiant et reconnaissant !
[Virgule sonore]
Isabella Vanni : Vous êtes de retour en direct sur radio Cause Commune.
Nous venons d’écouter une nouvelle chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy.
Nous allons faire une petite pause musicale.
[Virgule misicale]
Isabella Vanni : Après la pause musicale nous aurons le plaisir d’accueillir Laurent Costy, auteur de la chronique, pour une interview « Parcours libriste ».
En attendant nous allons écouter La Marguerite par Ozabri. On se retrouve dans environ trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : La Marguerite par Ozabr.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter La Marguerite par Ozabri, disponible sous licence libre Art Libre.
[Jingle]
Isabella Vanni : Passons maintenant au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Parcours libriste de Laurent Costy
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui, aujourd’hui, sera un nouveau « Parcours libriste ». Il s’agit du cinquième épisode de ce format que nous avons inauguré lors de la précédente saison de Libre à vous !, l’idée étant d’inviter une seule personne pour parler avec elle de son parcours personnel et professionnel. Un parcours individuel qui va, bien sûr, être l’occasion de partager messages, suggestions et autres.
Notre invité du jour est Laurent Costy, vice-président de l’April et chroniqueur pour Libre à vous !, nous avons justement entendu, en début de l’émission, la chronique « À cœur vaillant la voie est libre » qu’il fait chaque mois avec sa fille Lorette.
Pour cet échange, nous avons le plaisir d’avoir Laurent au studio avec nous. Bonjour Laurent.
Laurent Costy : Bonjour à tous et à toutes.
Isabella Vanni : N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Sur le site de l’April, nous avons un trombinoscope où les membres qui le souhaitent peuvent apparaître et afficher une courte bio. Laurent Costy étant administrateur de l’April, plus précisément vice-président, il n’a pas le choix, il doit forcément y apparaître. Je vous lis ce qu’il écrit pour se présenter : « J’ai souhaité rejoindre l’April pour apporter mon expérience en milieu associatif et contribuer au développement de l’utilisation des logiciels libres dans les associations, dont les valeurs sont, en général, très proches de celles que l’on retrouve dans le Libre, en particulier en ce qui concerne l’éducation populaire. Je suis donc actif dans le groupe de travail Libre Association. »
Tu parles de « mon expérience en milieu associatif », je pense qu’on peut partir de là. Qu’est-ce que tu as souhaité apporter à l’April et comment as-tu recueilli cette expérience ?
Laurent Costy : Disons que je ne peux apporter d’expérience que sur des questions associatives, car je n’ai travaillé qu’en milieu associatif depuis le début de ma carrière professionnelle, ce serait donc difficile de faire autrement. C’est effectivement une question qui a jailli au fil de mon expérience, au début de ma carrière professionnelle.
Isabella Vanni : À quel âge as-tu commencé ta carrière associative ?
Laurent Costy : J’ai fait une objection de conscience, ça existait encore à l’époque. J’ai donc commencé mon objection de conscience en 96. On peut dire que ma carrière professionnelle a commencé à ce moment-là. J’ai fait partie des dernières personnes sous ce régime-là et puis j’ai rejoint une association qui s’appelait encore ANSTJ, Association Nationale Sciences Techniques Jeunesse à l’époque, qui est devenue, depuis, Planète Sciences, dont l’objet était de promouvoir la culture scientifique et technique auprès des jeunes, ce qu’elle continue d’ailleurs à faire aujourd’hui. C’est pendant cette période-là, qui a duré une dizaine d’années, que j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à cette question de l’informatique libre parce que je découvrais qu’on commençait déjà à être, disons, asservis à des outils qui nous étaient imposés.
Isabella Vanni : Peux-tu faire un exemple ?
Laurent Costy : Oui. Du coup, je vais expliquer ce qui a déclenché, chez moi, cette envie d’aller un peu plus loin que de simples questions. À l’époque, on utilisait un logiciel de comptabilité qui s’appelait Ciel, je crois, et on n’avait pas pris, me semble-t-il, le support. Il fallait payer un montant supplémentaire pour pouvoir avoir le support, l’appui. Un jour, on a rencontré un souci, on a appelé l’éditeur du logiciel qui nous a répondu que, comme on n’avait pas payé le support, il ne pouvait pas répondre à la question. On nous a dit « il faut payer les 100 euros pour qu’on puisse répondre à la question ». J’ai trouvé que ça faisait cher la réponse, d’une part, et puis surtout, quelque temps après, on s’est aperçu que c’était bien un bug du logiciel et non pas un problème de notre côté qui faisait que ça ne fonctionnait pas. Donc, finalement, on devait payer pour améliorer leur logiciel et la contribution n’était pas partagée. C’est un petit peu ça, je pense, qui m’a vraiment engagé sur le chemin du logiciel libre et qui fait que je suis, encore, vice-président de l’April aujourd’hui.
Isabella Vanni : Comment as-tu rencontré le logiciel libre ? Par des personnes, par des recherches sur Internet ? Des conférences auxquelles tu as assisté ?
Laurent Costy : À l’époque – quand je dis « à l’époque », c’était au début des années 2000, l’April étant née 1996, une des premières, une des associations pionnières –, je pense que l’écosystème du logiciel libre était relativement restreint. Il y avait l’AFUL, je pense que j’avais commencé à adhérer à l’AFUL, l’Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres, justement sur des questions d’éducation populaire. J’ai dû, sans doute, me rapprocher de Jean-Christophe Becquet qui a été président de l’April et qui, lui aussi avait un pied dans l’éducation populaire, puisqu’il travaillait, à l’époque, à la Ligue de l’enseignement dans le sud de la France. C’est sans doute par ce biais-là que j’ai commencé à appréhender l’April et que, tout doucement, j’ai rejoint l’April.
Isabella Vanni : Vous étiez géographiquement voisins. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Laurent Costy : Peut-être dans les premières réunions à l’April, je pense que c’est là que ça a matché, j’essaye de me souvenir, c’est vieux !
Isabella Vanni : C’est vieux ! Non, ce n’est pas si vieux que ça !
Laurent Costy : Il a dû y avoir une conjonction éducation populaire/April qui a fait que ça a accroché.
Isabella Vanni : À propos d’éducation populaire, c’est bien évidemment un sujet qu’on a abordé à plusieurs reprises dans notre mission, je voulais savoir ce qu’est, pour toi, l’éducation populaire, parce que je sais qu’on peut lui donner plein de définitions différentes et, en fait, en Italie, je viens d’Italie, cette expression en tant que telle n’existe pas, donc j’ai mis du temps à comprendre ce que c’était. Qu’est-ce que c’est pour toi ?
Laurent Costy : Je n’ai pas encore complètement compris après 30/40 ans ! C’est vrai que ça reste compliqué à expliquer simplement ; ce n’est pas bien, parce que ça n’aide pas les gens à comprendre. Du coup, je me suis dit que j’allais prendre quelques citations de gens qui ont vraiment réfléchi à la question de l’éducation populaire, ce sera plus simple, plus clair que mes propos, parfois je m’emmêle dans mes phrases !
Donc Françoise Tétard, qui a été une historienne de l’éducation populaire, qui est décédée au début des années 2010, expliquait justement que « l’éducation populaire est, par définition, indéfinissable, et c’est un ressenti partagé ». Donc, au moins, tout le monde est d’accord pour se dire que c’est compliqué.
Isabella Vanni : Donc je n’étais pas folle, c’est vrai !
Laurent Costy : Elle précise, après : « L’éducation populaire est née plusieurs fois depuis un siècle. L’éducation populaire a été définie de différentes manières à chaque période de l’histoire, de plus, elle n’a pas toujours signifié la même chose au cours d’une même période. C’est comme si elle était adaptable, malléable à chaque pensée politique, à chaque vision du monde, à chaque courant pédagogique. L’éducation populaire, un terme valise, c’est d’abord et surtout un discours venant qualifier des pratiques de militants qui ont fait des choses ensemble et qui souhaitent se mettre sous une même bannière. » C’est peut-être ça qui est intéressant, c’est-à-dire que ce sont des gens qui se retrouvent pour se dire « en fait, on converge sur la manière d’avancer, sur la manière de former les gens. » Il y a évidemment une notion de formation qui est extrêmement importante dans l’éducation populaire.
Isabella Vanni : C’est finalement cette définition qui te convient le plus ? En as-tu d’autres que tu veux lire ? Vas-y, avec plaisir.
Laurent Costy : Ça, c’est une non-définition quelque part. Ce qui m’intéressait, c’était aussi de citer Hugues Bazin parce que, du coup, il y a aussi cette logique de ceux qui s’en revendiquent et qui n’ont pas forcément, par exemple, l’agrément jeunesse et éducation populaire, qui est une reconnaissance par l’État, finalement, et puis les associations que j’appelle vénérables qui « sont » éducation populaire depuis très longtemps. Je vais citer Hugues Bazin et puis j’expliciterai un tout petit peu après : « D’un côté, il y a ceux qui parlent de l’éducation populaire et n’en font plus vraiment et, de l’autre, ceux qui ne s’en revendiquent pas, mais la pratiquent effectivement. À l’évidence, et c’est là le paradoxe, nous assistons à un renouveau de l’engagement militant, des nouvelles formes créatives d’innovation sociale et artistique à travers l’émergence d’une génération d’associations plus sous la forme de réseaux que de fédérations. »
C’est vrai que l’âge d’or de l’éducation populaire, ça a été les grandes fédérations d’éducation populaire. Elles ont encore des choses à dire, elles ont encore des choses à faire, mais ça fait parfois contraste, parfois, avec des structures qui, par exemple, ne veulent pas rentrer dans des logiques fédératives. On peut prendre un exemple extrêmement concret, celui de Framasoft qui se revendique de l’éducation populaire, qui avait demandé l’agrément éducation populaire jusqu’à il n’y a pas longtemps, qui fait de l’éducation populaire quotidiennement, mais qui, finalement, a refusé de signer – j’ai oublié, ça va me revenir, il y a peut-être quelqu’un dans le chat qui le mettra – la charte que le Gouvernement voulait mettre en place vis-à-vis des associations, qui intimait aux associations l’ordre de ne pas maltraiter le drapeau français. Évidemment, je caricature la charte, mais vous aurez compris que Framasoft n’avait pas envie de s’engager dans quelque chose qui était mal écrit, mal défini, donc du coup, de fait, perdait cet agrément d’éducation populaire, mais certainement pas leurs actions quotidiennes d’actions d’éducation populaire.
Ce sont un petit peu tous ces contrastes-là qu’on peut voir se croiser au sein des mouvements, au sein des fédérations qui sont plus anciennes. C’est aussi pour cela que c’est toujours en renouvellement et qu’il y a toujours de plus en plus d’acteurs qui s’en revendiquent.
Isabella Vanni : Merci. Tu disais, dans ta présentation sur le trombinoscope de l’April, que les associations ont des valeurs en général très proches de celles que l’on le retrouve dans le Libre. Ça semble évident, mais c’est bien de les rappeler.
Laurent Costy : Du coup, je vais conclure en donnant une définition qui va faire lien.
Isabella Vanni : C’est super ! C’est parfait !
Laurent Costy : C’est une merveilleuse transition ! Je vais conclure avec une citation de Marie-Jo Mondzain qui fait justement le lien. Dans cette définition de l’éducation populaire, qui est une vraie définition, en tout cas pas une longue définition, on fait le lien avec le logiciel libre. Elle dit : « L’éducation populaire fut pensée par ceux qui voulaient véritablement l’émancipation du peuple grâce à la circulation libre des signes et des idées — et c’est là, évidemment, qu’on rejoint le logiciel libre —, grâce au partage patient du temps qu’il faut pour parler, pour penser et pour créer. » Là, on n’était pas dans cette logique de numérique mais, fondamentalement, cette définition-là rejoint bien toute la question que les communautés libristes défendent au quotidien et elle rejoint bien tout ce que font les associations d’éducation populaire.
Isabella Vanni : Entre-temps, la réponse à notre question est effectivement arrivée sur le chat. C’était la Charte de la laïcité, obligatoire pour toutes les associations subventionnées. Tu avais effectivement dit charte.
Laurent Costy : C’est le CER, le Contrat d’Engagement Républicain, ça me revient.
Isabella Vanni : Contrat d’Engagement Républicain .
Tu disais que tu as milité pendant dix ans, tu as fait partie, pendant dix ans, de cette association qui était plutôt une association d’éducation populaire autour de la science. C’est parce que tu avais fait une formation scientifique ?
Laurent Costy : Oui. Je me destinais plutôt à être enseignant de physique-chimie. À l’époque, j’avais passé une licence de physique-chimie, j’avais passé le Capes, j’avais aussi passé le Capet pour être enseignant en lycée technique et puis, en fait, ma rencontre avec Planète Sciences est venue bousculer un peu tout ça, tout ce projet-là, qui m’a encouragé à faire cette objection de conscience. Je me suis effectivement bien éclaté, c’était extrêmement jubilatoire d’aller dans les écoles, de faire des projets de fusées, de ballons expérimentaux avec les jeunes, avec les enseignants, du coup j’y suis resté une dizaine d’années et j’ai un peu mis de côté ce projet d’enseignement.
Isabella Vanni : Sans regrets ?
Laurent Costy : Non, sans regrets parce que, dans l’éducation populaire, on fait aussi énormément de formation, on accompagne énormément les gens de manière parfois moins lourde, avec un système moins pesant que peuvent avoir les enseignants dans le cadre scolaire et puis, parfois aussi, le mépris. On a vu, ces derniers temps, ce qui s’est passé à l’échelon ministériel. Donc oui, on est quand même un peu plus libre !
Isabella Vanni : Après, tu as quitté Planète Sciences, vers où as-tu migré ?
Laurent Costy : Je suis allé en Bourgogne-Franche-Comté, parce que j’ai postulé pour être délégué régional des Maisons des jeunes et de la culture en Bourgogne-Franche-Comté. C’était un métier qui consistait à soutenir les MJC sur leur territoire, dans leurs projets associatifs, pour les soutenir aussi vis-à-vis des partenaires locaux, vis-à-vis des mairies qui subventionnaient les postes de directeur de MJC, qui subventionnent toujours pour la majorité. Je parcourais les routes et, du coup, c’était aussi l’occasion : j’en ai profité, évidemment, pour essayer de faire passer des messages sur les systèmes d’information dans les MJC, à l’échelon fédéral, et puis aussi dans le monde inter-associatif.
Je ne sais pas si on en parle maintenant, mais, à cette occasion-là, j’ai été président du CRAJEP de Bourgogne-Franche-Comté, je vais expliquer l’acronyme parce que ça ne doit pas parler à tout le monde. C’est le Comité Régional des Associations de Jeunesse et d’Éducation Populaire, on revient à l’éducation populaire, c’est à l’échelon régional, mais il y a aussi un échelon national, le CNAJEP. En tout cas, à cet échelon régional, disons que tout a convergé, entre les membres, pour qu’on puisse mettre en place un projet qui s’est appelé Bénévalibre, un projet de logiciel libre pour faciliter la valorisation du bénévolat dans les associations.
Pour la faire très courte, souvent, quand on rencontre des financeurs, en particulier à l’échelon local, la mairie, par exemple, dit : « Nous vous subventionnons à 80 %, ce n’est pas normal, il faut diversifier vos financements, etc. » Or, si on oublie de valoriser le bénévolat, de dire « attendez, vous apportez une part financière, mais l’association apporte une quantité de « travail » – je mets « travail » entre guillemets, vraiment des gros guillemets pour ne pas faire un parallèle entre le travail et le bénévolat parce que ce serait une mauvaise chose –, en tout cas on apporte quelque chose, une richesse sur ce territoire-là qui passe complètement à la trappe si on ne la valorise pas. Certaines associations le faisaient, le faisaient un peu au doigt mouillé, d’autres le faisaient bien. On a convergé pour dire que s’il y avait un outil qui permette de simplifier ça, ce serait pertinent et, finalement, dans le cadre du CRAJEP, Bénévalibre est né, en 2018 je crois, et continue à être mis à disposition gratuitement des associations, évidemment à l’échelon de la Bourgogne et de la Franche-Comté et de tout le territoire. N’importe quelle association peut accéder à la plateforme qui, de surcroît, a été développée par une Scic, une société coopérative d’intérêt collectif, qui s’appelle Cliss XXI, qui développe pratiquement exclusivement du logiciel libre et qui maintient le logiciel.
En fait, là, on a un très bon exemple, un très beau projet en commun, parce que j’y tiens beaucoup, où chacun a pu exprimer son besoin, définir le cahier des charges. Finalement, chaque membre s’est senti concerné par le projet, a donc pu le faire connaître dans son propre réseau et a eu envie de le faire changer d’échelle. Au départ c’était en Bourgogne-Franche-Comté, on est monté à l’échelon national : le CNAJEP et le Mouvement associatif, à l’échelon national, relaient ce projet parce qu’il est pertinent pour l’ensemble du territoire.
Isabella Vanni : D’ailleurs, le comité de pilotage du projet s’est élargi au fur et à mesure, puisque c’était un comité ouvert.
Laurent Costy : C’est vrai que le mode de fonctionnement s’est fait de manière très naturelle : les gens rentrent, sortent du comité et, pour l’instant, ça fonctionne. C’est vrai que c’est extrêmement intéressant. On pourra renvoyer les personnes qui nous écoutent vers Les Cahiers de l’action que l’INJEP produit — l’INJEP c’est l’institut national de la jeunesse et de l’éducation Populaire, encore l’éducation populaire —, et, dans le cahier numéro 61, il y a tout un article qui explique justement la genèse du projet et comment on est vraiment dans un commun numérique. C’est cela que je trouve extrêmement intéressant dans ce projet-là.
Isabella Vanni : Tu parlais d’éducation populaire. Cliss XXI, en plus d’être une coopérative spécialisée dans le logiciel libre, fait aussi des actions d’éducation populaire, des install-parties, des fêtes d’installation, des conférences, etc. C’est donc vraiment tout l’environnement qui a adhéré.
Laurent Costy : Complètement. Il y a des textes très militants et très intéressants sur le site de Cliss XXI, je vous invite à aller voir.
Isabella Vanni : Tout à fait.
Toujours dans ta présentation sur le trombinoscope, tu dis que tu es actif sans le groupe de travail Libre Association. Peut-être veux-tu nous en dire quelques mots ?
Laurent Costy : C’est effectivement ce qui me motivait quand je suis arrivé à l’April : pouvoir faire circuler l’information entre des associations qui avaient des expériences sur tel ou tel logiciel libre, qu’elles pouvaient conseiller, recommander à d’autres associations qui étaient en transition pour, justement, aller vers un numérique plus éthique.
L’outil essentiel, c’était une liste de mails où les gens posaient des questions, échangeaient, faisaient part des manifestations, en complément à l’Agenda du Libre, peut-être qu’on en parlera un peu plus ; c’était très spécifiquement orienté sur la question associative.
Pour être tout à fait transparent, je dirais que le nombre de mails, sur la liste, a beaucoup baissé ces deux dernières années, le Covid est passé par là. Cette question-là évolue dans l’écosystème libriste, je pense que tout le bon travail que fait Framasoft autour de ça fait que les choses se déplacent, les besoins sont différents, je pense au projet Emancip’Asso que Framasoft est en train de mettre en place, qu’ils ne vont pas tarder à lancer. On va réfléchir, voir comment, éventuellement, faire se rejoindre les projets, si c’est pertinent ou pas, etc.
En 2007/2008, on avait produit un questionnaire, à peu près 500 associations avaient répondu. C’est vrai que, maintenant, le questionnaire est devenu, on peut dire, l’alpha et l’oméga de l’Internet, on en a tous les jours, mais, à l’époque, c’est vrai que ça nous avait permis d’avoir un éclairage sur les usages des logiciels libres des associations.
Isabella Vanni : Je précise que Framasoft, l’association qu’on a citée déjà plusieurs fois, utilise Bénévalibre, que Cliss XXI, qu’on a citée, est membre de l’April, que les flyers d’Emancip’Asso sont prêts, tout cela grâce à Magali, en régie.
Laurent Costy : Framasoft fait plus que l’utiliser, ils le soutiennent financièrement, ce qui est vraiment incroyable : à un moment donné, ils ont eu besoin d’une fonctionnalité dans le logiciel. Ils ont dit « on va faire ce qu’on préconise depuis toujours, on va financer cette fonctionnalité. » Ils ont donc payé directement Cliss XXI pour permettre de développer cette fonctionnalité qui permet, à une association, de déplacer ses données d’une instance à une autre. Peut-être faut-il que j’explique très rapidement ce qu’est instance ? Une instance c’est, finalement, une version installée sur des serveurs. Bénévalibre a été pensé dans une logique décentralisée, ce qui fait qu’une fédération peut choisir de prendre le code source du logiciel Bénévalibre et d’aller l’installer sur ses propres serveurs pour son usage fédératif, avec ses propres règles.
Framasoft a dit « on va commencer à utiliser l’instance 0, la première que Cliss XXI avait installée et puis, dans un deuxième temps, on migrera nos données et, pour migrer nos données, il faut la fonctionnalité, donc on subventionne. » En plus, ils ne se sont pas arrêtés là, parce que ça fait deux ans, même trois, je crois, qu’ils subventionnent une fonctionnalité qui permet de faire évoluer le logiciel en fonction des besoins de la communauté.
Isabella Vanni : On rappelle, encore une fois, qu’il y a une organisation, une structure, une personne, bref !, quelqu’un qui finance un logiciel libre ou une fonctionnalité et, après, tout le monde en profite. C’est merveilleux !
Laurent Costy : C’est ça. Du coup, en passant, on peut quand même remercier le Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté qui, au départ, avait mis 10 000 euros sur la table et la Fondation Crédit Coopératif qui a permis de lancer le projet. On a attendu d’avoir ces financements pour se dire « on a assez d’argent pour commencer le projet ». Nous ne sommes pas partis à l’envers en se disant « on cherche des sous, on fait appel à vous, puis, après, on trouve le projet pour aller avec les sous ! »
Isabella Vanni : On part des besoins ! Ah, si tous les logiciels pouvaient se développer comme ça, nous serions heureuse et heureux !
Il n’y a pas que ça. Le groupe de travail Libre Association a aussi édité un guide. Tu as été contributeur, bien évidemment, du Guide Libre Association.
Laurent Costy : Oui. C’était un peu la suite logique du questionnaire de l’époque. Il y avait à la fois un catalogue de logiciels utiles aux associations, on citait des logiciels de comptabilité, de graphisme, etc., et on donnait aussi un petit peu de matière pour un discours politique. Parce que, finalement, si on en reste à des questions techniques, à des questions d’utilisateurs et d’utilisatrices, c’est assez limité. Il faut aussi donner des arguments pour pouvoir convaincre la gouvernance associative. Si on ne fait pas ça, il y a peu de chances que ça fonctionne, parce que ça va être l’envie d’une personne un peu technique de l’association qui ne va pas être considérée. Il faut donc donner de la matière pour faire comprendre aux gouvernances associatives qu’il y a un enjeu pour elles de migrer vers du logiciel libre.
Isabella Vanni : Et on sait très bien que l’argumentaire vaut pour tout le monde, vaut aussi pour aider, par exemple, des élus à militer, à faire des actions importantes pour le Libre dans l’hémicycle ou pour convaincre son entourage. C’est toujours très bien de trouver des arguments.
Il y a eu une autre une autre action, dont j’ai envie de parler, c’est le Cerfa en format ODT, c’est un cas très concret et c’est aussi une belle victoire, une belle action du groupe Libre Association.
Laurent Costy : Effectivement, tu me le remémores. Pour faire des demandes de subventions, les associations ont besoin de remplir un document. À l’époque, ce n’était pas complètement numérisé, c’est-à-dire qu’on n’allait pas sur une plateforme. Maintenant, je crois qu’il n’y a plus ces documents téléchargeables, je n’en ai pas rempli récemment. En tout cas, à l’époque, il y avait un canevas à remplir et le format qui nous était proposé était un format propriétaire. Du coup, le groupe a travaillé, pendant l’été, pour faire un PDF que l’on pouvait remplir, sous un format ouvert, à partir de LibreOffice. On l’a communiqué au ministère qui l’a mis à disposition, sur la plateforme gouvernementale. C’était plutôt pour montrer comment on peut contribuer et faire que ce soit plus simple pour les utilisateurs et utilisatrices.
Isabella Vanni : Belle satisfaction pour le groupe d’être écouté.
J’ai envie de faire la pause musicale là, parce que, après la pause musicale, on va attaquer un sujet très intéressant, une expérience personnelle avec ce qu’on appelle la vente forcée. Donc, je préfère lancer la pause là.
Nous allons écouter un morceau choisi justement par notre invité, Lauren Costy. Le morceau s’appelle Optimism par Minda Lacy. On se retrouve dans environ deux minutes trente. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Optimism par Minda Lacy.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Optimism par Minda Lacy, disponible sous licence libre Creative Commons By SA 3.0.
[Jingle]
Isabella Vanni : Je suis Isabella Vanni de l’April. Nous allons reprendre le fil de notre discussion, avec notre sujet principal consacré aujourd’hui au Parcours libriste de Laurent Costy, vice-présidente de l’April, chroniqueur dans Libre à vous ! et expert du monde associatif.
Je rappelle que vous pouvez participer à notre conversation par téléphone au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Nous allons attaquer un gros dossier, la bataille de Laurent Costy contre la vente forcée, j’ai même noté : « Ce qui m’a motivé pour intégrer le conseil d’administration de l’April. » Donc vas-y, raconte-nous ! Pourquoi cette bataille ? Comment ça s’est passé ?
Laurent Costy : C’est vrai qu’à l’époque Microsoft était le grand méchant, le Libre s’est quand même construit en opposition à Microsoft qui imposait, et c’était légitime, tellement à marche forcée sa logique, ses logiciels, que le Libre s’est construit là-dessus. D’ailleurs, l’AFUL a été plutôt un peu novatrice.
Isabella Vanni : Je rappelle que l’AFUL est l’Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres.
Laurent Costy : Au départ, elle soutenait même un peu financièrement les gens qui souhaitaient se faire rembourser la licence Windows qui était imposée lorsqu’on achetait un ordinateur. À l’époque, c’était extrêmement compliqué de trouver des ordinateurs neufs sans Windows dessus, à part, évidemment, monter son propre ordinateur, mais, pour les ordinateurs portables, c’était hors de question, ça n’existait pas. Du coup, ayant besoin d’un nouvel ordinateur portable, j’ai acheté un ordinateur portable. Il y avait Windows dessus et j’ai engagé un procès, puisque, au départ, j’ai fait une simple demande de remboursement de la licence que je n’utilisais pas puisque j’utilisais un système alternatif GNU/Linux, une distribution GNU/Linux, h’ai donc engagé un procès. Le procès a duré plusieurs années, trois/quatre ans au total.
C’est vrai que c’est quand même une expérience un peu traumatisante. Déjà, ce qui était très étonnant, c’est que c’était finalement HP mon opposant, ce n’était pas Microsoft. C’est là que je trouve que Microsoft est extrêmement malin, parce qu’il laisse les constructeurs se débrouiller avec ces problématiques-là, alors que la vraie problématique est bien chez Microsoft, c’est-à-dire que ce sont les fabricants qui protègent le contrat qu’ils ont entre Microsoft et eux-mêmes.
Je n’ai pas gagné ce procès, je sais que d’autres d’autres personnes ont gagné après, un Italien en particulier, tu as peut-être les références. Je n’ai pas gagné ce procès, il aurait fallu que j’aille en cassation après. Étienne Gonnu aurait pu nous expliquer un peu mieux les processus juridiques, je ne suis pas très expert. J’ai préféré m’arrêter, parce que, finalement, on a des gens qui sont prêts à mettre des moyens colossaux. J’avais trouvé un avocat quand même un peu spécialiste de la question, mais HP avait sollicité trois avocats de la place parisienne, extrêmement bien mieux payés, à mon avis, que mon avocat, pour aller jusqu’au bout et faire que je ne puisse pas gagner.
De cette expérience-là, je retiens quand même un exemple extrêmement intéressant pour expliquer aux gens qu’on a toujours quelque chose à cacher. Souvent, sur Internet, les gens disent « pas de problème, je n’ai rien à cacher, donc peu importe, ce n’est pas grave si je laisse filer mes données, mes métadonnées, ce n’est pas un problème, je ne fais pas de choses illégales, etc. » En fait, dans le cadre de ce procès-là, un des arguments des avocats de HP a été de dire « regardez, ce monsieur fait des conférences pour le logiciel libre, donc c’est quelqu’un qui nous en veut, c’est quelqu’un qui est méchant. » J’estimais ces données-là, qui faisaient la promotion du logiciel libre, extrêmement positives, vues par un avocat, c’était du pain béni pour se retourner contre moi.
Avec cet exemple-là, si je devais retenir une chose de ce procès-là, c’est d’être extrêmement prudent quand on affirme qu’on n’a rien à cacher, parce que, finalement, n’importe quelle donnée peut vous paraître positive, mais elle peut être vue complètement négativement par quelqu’un qui veut l’utiliser contre vous. Si on peut retenir quelque chose de ce procès-là, c’est peut-être ça.
Isabella Vanni : Tu t’étais embarqué dans une sacrée expérience ! Avais-tu une idée de l’ampleur que ça pouvait prendre en termes de durée, de stress ?
Laurent Costy : Non. Là on appréhende aussi toute la mécanique judiciaire. C’est vrai que c’est quand même compliqué, c’est très compliqué surtout quand on n’est pas de la partie, il faut un peu de moyens financiers pour avancer l’argent, ce n’est pas à négliger. Si je ne suis pas allé en cassation c’est parce que, finalement, face aux moyens que pouvait avoir HP, à un moment donné je me suis dit « je ne vais pas jouer, ils ont plus de moyens que moi ! » Là c’est pareil, la perception de la justice, dans ces moments-là, est complexe pour des gens comme moi. Je ne vais pas complètement dénigrer le système, mais ça pose quand même la question des moyens pour aller en justice.
Isabella Vanni : Donc, tu n’es pas jusqu’au bout, tu as perdu parce que tu as décidé d’arrêter le processus.
Laurent Costy : J’ai décidé de ne pas aller en cassation.
Isabella Vanni : Récemment, il paraît que tu as acheté un ordi reconditionné, cette fois sans Windows.
Laurent Costy : Non, c’est plus compliqué !
Isabella Vanni : J’ai mal lu mes notes !
Laurent Costy : Ce n’est pas grave. On aurait pu penser que cette question-là était derrière nous et que, finalement, ça avait beaucoup changé. Ça a un peu changé parce que, maintenant, on peut réussir à acheter certains ordinateurs reconditionnés sans système d’exploitation. Je parvenais à le faire avec certaines boutiques de reconditionnement et, récemment, j’ai été confronté à un changement des conditions de leur part. La dernière fois, j’avais demandé un ordinateur en particulier, qui avait déjà Windows installé dessus, je leur ai dit « je le souhaiterais mais sans licence », ils ont dit « d’accord, OK, on vous déduit un montant. » On ne sait pas trop comment le montant était déduit.
Isabella Vanni : Comment il était calculé, tu veux dire, mais ils ont pris en compte le fait qu’il y avait à un coût en plus du fait que le système d’exploitation était installé.
Laurent Costy : Jusqu’à il y a trois/quatre ans je pratiquais de cette manière-là, donc je recevais un ordinateur sans licence Windows. Là, j’ai refait avec une entreprise – je ne sais pas si on la cite ou pas, de toute façon je pense que j’écrirai une tribune sur le site de l’April parce que c’est quand même assez éloquent –, j’ai refait avec cette entreprise-là qui m’a dit « non, on ne peut pas retirer la licence, ce n’est pas possible. » Les échanges que j’avais avec eux étaient lunaires et ça s’est conclu par « on ne peut pas vous communiquer le prix de la licence ». Donc, ils ne peuvent pas communiquer l’accord qu’ils ont avec Microsoft, ils sont visiblement tenus au secret. Ils sont tenus par la logique de laisser des licences Windows. Ils m’ont dit : « On a quelques ordinateurs avec des systèmes d’exploitation libres », ce qui est très bien, sauf, évidemment, qu’en termes de performances ça n’a rien à voir, ce ne sont pas du tout les mêmes objets.
Je pensais en avoir terminé, avoir laissé cette question de la licence Windows derrière moi et, en fait, on s’aperçoit que Microsoft continue d’inonder, avec toute cette logique-là, et puis, surtout, d’être le plus invisible possible. En fait, les gens ne se rendent même plus compte qu’ils payent des licences Windows, alors que la logique commerciale voudrait qu’on affiche le prix de ce qu’on achète. C’est le minimum d’une logique commerciale pour avoir confiance en qui on achète, etc.
Isabella Vanni : Pourtant, la Cour de justice de l’Union européenne a dit qu’il ne s’agit pas d’une façon de vendre déloyale.
Laurent Costy : Là aussi, on peut se poser la question du poids de Microsoft. On va faire du conspirationnisme ! Quand on regarde, par exemple, le rapport GAFAM Nation, le document-là écrit pas des journalistes, quand on voit l’investissement en temps et en argent des GAFAM auprès de la Commission européenne, on est en droit de se poser la question de ce poids-là sur nos lois, même s’il y a des députés, des gens qui se battent, etc. De fait, avec de tels moyens humains et financiers, il y a des gens qui vont aller à la facilité, qui vont se dire « ce n’est pas un problème important. » Effectivement, par rapport à la faim dans le monde, par rapport à des problèmes de guerre, etc., on peut se dire ça, sauf que derrière, de mon point de vue, ça a des conséquences démocratiques.
Isabella Vanni : Et Code Is Law, comme on le rappelle souvent, donc ce n’est pas négligeable du tout.
Laurent Costy : Voilà ! Donc, de mon point de vue, ça a des conséquences pour nos démocraties. Pour expliciter ce serait un peu plus long, le raccourci est un peu trop raccourci, justement, il faudrait plus de temps.
Isabella Vanni : On n’a qu’une heure aujourd’hui. Marie-Odile, sur le salon de webchat, dit qu’il faut virer les lobbies de Bruxelles.
Tu parlais de cette capacité de Microsoft à se rendre presque invisible, indispensable et invisible en même temps. C’est une parfaite transition pour un autre gros dossier auquel tu t’es attelé qui est le dossier Solidatech et Techsoup. Est-ce que tu veux nous en dire plus ?
Laurent Costy : On avait déjà eu une rencontre avec Solidatech. Solidatech est un programme, ça s’appelle un programme, qui émane des Ateliers du Bocage, une entreprise d’insertion qui fait un travail incroyable dans les Deux-Sèvres. Ils reconditionnent des ordinateurs, ils forment des gens qui ont du mal à retrouver du travail, ils sont dans la sphère Emmaüs. Ils ont donc mis en place, ou ils ont été sollicités pour le faire – je pense que c’est plutôt ça – un programme, qui s’appelle Solidatech, qui a pour vocation de faciliter le numérique dans les associations.
Sauf que, quand on creuse un petit peu, on s’aperçoit que derrière cette structure-là, il y a une espèce de grosse structure américaine qui s’appelle Techsoup, qui, en fait, fait du soft power américain. C’est une énorme structure qui a des partenaires, les Big Tech américains – Microsoft, Cisco, etc. –, et qui diffuse du matériel et des logiciels à des ONG, partout dans le monde, à des prix défiant toute concurrence. C’est bien parce que ça facilite, après, l’informatique, le numérique, dans ces structures-là, sauf que, évidemment, ça entretient les outils américains dans ces structures-là. Pourquoi une association s’embêterait-elle à aller vers un numérique plus éthique, à essayer GNU/Linux, par exemple, si on lui offre une licence Windows à 5,80 euros, ce qui est réellement le cas quand on passe par Solidatech.
Isabella Vanni : Là, à nouveau, l’importance des argumentaires. Pourquoi devrait-on se tourner vers Microsoft si on sait que c’est du logiciel privateur, qui ne respecte pas nos données, etc. ? Le fait de mettre des tarifs extrêmement bas risque de faire pencher la décision avant même de se poser des questions.
Laurent Costy : C’est évident. Les gens sont déjà habitués à ces logiciels-là, ils ne vont pas passer du temps à changer leurs habitudes, ce serait trop compliqué. Ils préfèrent, effectivement, avoir l’impression de faire une excellente affaire parce que la licence n’est qu’à 5,80 euros ! Sauf que, derrière, ils continuent à entretenir un système qui, de mon point de vue, je reboucle avec la question de Bruxelles de tout à l’heure, impacte nos démocraties et oriente, finalement, une vision du numérique. Peut-être que cette vision du numérique est intéressante, encore une fois je n’ai pas de jugement sur le fond, ce qui m’importe c’est, à un moment donné, d’être dans la boucle pour pouvoir en discuter et mettre dans la boucle des discussions des gens autres que ces GAFAM, parce que ce sont eux qui tracent la route du numérique sans qu’on ait le moindre mot à dire, sans qu’on puisse interroger, poser des questions par rapport à ça. Le vrai danger est là. Fondamentalement, je pense que ça part de bonnes intentions, mais le poids et l’argent qu’ils mettent après influencent trop nos choix démocratiques. C’est ça qui me perturbe.
Isabella Vanni : Quand tu dis que ça entretient la domination de Microsoft, que ça emprisonne les utilisateurs et utilisatrices, quand tu parles de licence qui ne coûtent presque rien, sur le webchat on dit « la première dose est gratuite ».
J’ai été assez étonnée par le travail d’investigation que tu as fait, c’est presque du travail de journaliste d’enquête. Tu as vraiment creusé la question parce que ce n’était pas facile de savoir ce qu’est Solidatech. Tout était sur le fond.
Laurent Costy : Il faut creuser pour ne pas dire de bêtises non plus. Ce serait trop facile de dire « c’est mal, c’est le mal, etc. » Encore une fois, ce que font les Ateliers du Bocage est remarquable. Je pense aussi que même les salariés de Solidatech ne mesurent pas combien ils sont le jeu, finalement, de Techsoup, de cette grosse entreprise mondiale qui fait un soft power digne de Coca-Cola qui investissait tous les pays, qui distribuait des enseignes qu’on retrouve au fin fond de l’Afrique, etc. C’est extrêmement malin, c’est extrêmement puissant. Du coup, il faut en avoir conscience pour essayer d’atténuer, de sortir un peu de ça, pour se prendre en main. On parle de souveraineté, mais, si on n’a pas conscience de ça, c’est très rigolo comme mot, mais, à part ça, on ne peut pas en sortir, on ne pourra pas se prendre en main, on ne pourra pas agir !
Isabella Vanni : Tu veux rappeler qu’à l’April on préfère parler plutôt de gouvernance.
Laurent Costy : Le terme « souveraineté » est un terme qui est utilisé par les journalistes, c’est vrai que je l’utilise là. Dans l’article qui sortira les jours prochains sur Solidatech/Techsoup, on fait un peu le mélange, on essaye de nuancer un peu ce qu’est la souveraineté, parce qu’il peut y avoir, parfois, un peu un relent de nationalisme, ce qu’on ne veut pas à l’April. On préfère donc parler de gouvernance partagée, de maîtrise des outils logiciels qu’on utilise et le Libre est une condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante, pour aller vers une gouvernance mieux maîtrisée.
Isabella Vanni : Aux personnes qui s’intéressent à ce sujet, c’est annoncé, il y aura bientôt une actu diffusée sur notre sur notre site.
Jusqu’à maintenant tu as été très sérieux, on a abordé des sujets très sérieux. Si vous écoutez les chroniques de Laurent et Lorette Costy, « À cœur vaillant la voie est libre », en fait, on rigole beaucoup. C’est cet autre côté de toi dont je voulais parler. Comment est née la chronique « À cœur vaillant la voie est libre » et que t’apportes cette expérience, en plus vécue avec ta fille ?
Laurent Costy : Comment est-elle née ? Déjà, quand on était membre du conseil d’administration c’était obligatoire de faire une chronique, on n’avait pas le choix !
Isabella Vanni : Voilà, la pression qu’on a ! On oblige les gens à faire des choses, c’est absurde !
Laurent Costy : Bonne question. Il fallait monter un programme et, du coup, il y a eu des appels à contribution. Ce n’est pas simple de monter un programme, même une heure et demie de radio. Au départ, c’était une fois par mois, mais, après, de manière hebdomadaire, ce n’est pas simple, tu es bien placée pour le savoir, Isabella ! Même en vous répartissant, à trois salariés, la charge, c’est quand même très lourd. Il fallait donc trouver des contenus.
Je ne sais plus comment ma fille a bien voulu faire un essai avec moi et je lui en suis extrêmement reconnaissant. Si ça n’avait tenu qu’à moi, réécoutez la première, vous verrez à quel point je suis mauvais, alors que Lorette a fait ça toute sa vie avec le Zénith ! C’est vrai qu’on prend beaucoup de plaisir à faire ça de manière à peu près mensuelle, on se retrouve et, franchement, on s’éclate bien, donc, tant qu’on s’éclate ! On avait dit qu’on arrêterait à la 42e.
Isabella Vanni : Non ! Je n’étais pas au courant ! Qu’est-ce qu’on peut faire ? Il faut faire une pétition contre cette décision ?
Laurent Costy : Il y a encore de la marge. En plus, j’aime beaucoup échanger en amont avec Stéphane Bortzmeyer qui nous fait le grand honneur de relire la chronique à chaque fois, qui donne de très bons conseils et l’échange est vraiment agréable sur ces points-là.
Isabella Vanni : Il trouve beaucoup d’erreurs ou ça va mieux ?
Laurent Costy : Au début, la chronique était très technique et, plus ça avance, moins il y a de fond, moins il y a de contenu. Ce sont de plus en plus de blagues et de moins en moins de choses dedans. Je pense donc que Stéphane n’a pas trop de travail, de moins en moins de travail. Prochainement, on va essayer de faire un peu de cybersécurité puisque je sors d’une formation, on va essayer de donner des éclairages et peut-être un peu de technique, mais ce n’est pas toujours simple, à la radio, d’expliquer des choses techniques.
Isabella Vanni : Je sais aussi que la chronique te demande un énorme boulot, je crois que tu parlais d’environ huit heures pour la préparer ?
Laurent Costy : C’est ça. Les premières c’était huit heures parce que je travaillais beaucoup de questions techniques. Là, comme je travaille moins de questions techniques, c’est un peu plus léger. Avec l’enregistrement, le traitement, c’est entre six et sept heures.
Isabella Vanni : Je confirme : au début, il y avait une grosse différence dans la capacité de jeu entre Laurent et Lorette, Lorette a été extraordinaire dès le départ, mais, franchement, je trouve que tu t’es vachement amélioré. Magali, en régie, est d’accord.
À propos d’humour, tu aimes bien l’humour subtil et confidentiel, les blagues de deuxième, voire de troisième écoute. Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Laurent Costy : C’est issu d’un podcast que j’ai écouté il y a très longtemps, qui n’existe plus,qui est très difficilement trouvable sur Internet, même sur Internet Archive on ne le retrouve pas forcément, on ne peut pas charger les épisodes, ça s’appelait L’improbable podcast. Ils faisaient des blagues et ils disaient : « Si vous n’avez pas compris, ce sera à la deuxième ou à la troisième écoute, réécoutez », donc ça encourageait à réécouter, à re-télécharger. Je trouvais ça plutôt malin, même si, effectivement, parfois on ne comprenait pas, on était un peu comme deux ronds de flan.
Isabella Vanni : Parfois, si on écoute seulement la chronique, sans lire la transcription qui existe grâce au groupe Transcriptions animé par notre merveilleuse Marie-Odile Morandi, on ne comprendrait peut-être pas toutes les blagues. Il y a des choses qui se cachent !
Laurent Costy : Même moi, en me relisant, parfois je ne les comprends pas ! Ce qui est très drôle c’est que des fois Lorette, à la chronique d’après, me dit « j’ai compris la blague ! » C’est très drôle, en général ça me fait bien rigoler.
Isabella Vanni : Mon collègue Étienne dit qu’il est très fan de la chronique des Costy, père et fille, je pense que beaucoup pensent comme lui, au point que cette chronique reçoit une consécration incroyable, une invitation à « performer », entre guillemets, en clôture de la Journée du Libre Éducatif.
La Journée du Libre Éducatif est une journée organisée chaque année, depuis trois ans, par le ministère de l’Éducation nationale, notamment par Alexis Kauffmann qui a une mission logiciels libres au ministère de l’Éducation [Chef de projet logiciels et ressources éducatives libres et mixité dans les filières du numérique au sein de la Direction du numérique pour l’éducation du ministère de l’Éducation nationale]. Vous avez été surpris quand vous avez reçu cette invitation ? Comment ça s’est passé ?
Laurent Costy : Ça ne sera pas tout à fait en clôture, finalement ce sera en fin de matinée après les interventions flash. Je savais qu’Alexis Kauffmann écoutait la chronique, il nous avait déjà fait un retour très positif. Je pense que ça lui a donné l’idée de nous faire intervenir à Créteil, je crois que c’est le 29 mars, en fin de matinée.
Isabella Vanni : C’est déjà prêt ? La chronique est déjà prête ? Tu y travailles.
Laurent Costy : On va parler de logiciel libre et d’éducation. On ne l’a pas encore écrite.
Isabella Vanni : Ça paraît pertinent ! En fait, tu es l’auteur ou est-ce que Lorette contribue aussi à l’écriture ?
Laurent Costy : C’est vrai que j’en écris la majorité, mais quand on fait le premier enregistrement, qui n’est jamais le bon en général, c’est à cette occasion-là qu’elle me corrige un peu le vocabulaire, qu’elle met dans sa bouche des mots de vocabulaire un peu plus jeunes, pour justement, qu’on contraste. Elle apporte un peu sa touche, heureusement.
Isabella Vanni : Parce que certains mots, comme « souvenance », j’aime bien les mots les mots littéraires.
Laurent Costy : Les vieux mots et les vieilles publicités.
Isabella Vanni : J’ai mis comme point, que j’aimerais aborder, l’éthique du Do it yourself. Au bout d’un moment tu as essayé d’héberger toi-même avec Yunohost. Tu as même fait une émission, tu as préparé et animé une émission Libre à vous ! sur cela, mais pas que, tu as aussi fait une cotte de mailles, du fait main, pour participer aux Geek Faëries, un festival de l’imaginaire qui a lieu lui aussi chaque année à Selles-sur-Cher, en mai/juin. Est-ce que tu veux parler de cette envie que tu as de faire par toi-même et utilises-tu encore Yunohost ?
Laurent Costy : Faire le lien entre Yunohost et la cotte de mailles, ça ne va pas être simple !
Isabella Vanni : Je me suis dit que tu en est capable !
Laurent Costy : Je ne fais pas vraiment par moi-même : Yunohost est justement une distribution qui est faite pour faciliter l’installation et la gestion d’un serveur. Je remercie toute la communauté qui développe ça. Je pense d’ailleurs qu’il y a beaucoup de Français, je pense, qu’au départ, c’est une initiative qui est française.
C’est un projet qui est extraordinaire, parce que, finalement, on gère son serveur avec des petites briques en disant « j’ai besoin de telle application, j’ai besoin d’un cloud, donc j’installe Nextcloud » ; après j’ai une petite brique, je clique sur la brique et je suis sur mon Nextcloud. Nextcloud est un cloud alternatif à ce que les gens connaissent sur Google : je peux déposer des fichiers, partager des fichiers, avoir un mail, etc. Il y a un catalogue de plus en plus important d’applications qu’on peut installer avec une interface graphique, c’est donc extrêmement bien et pertinent pour des gens comme moi.
Isabella Vanni : Tu n’es pas informaticien.
Laurent Costy : Non, je ne suis pas informaticien à la base. Évidemment, à force, on finit par devenir un peu geek et à avoir, quand même, quelques compétences. Néanmoins, je trouve que ce projet-là est à souligner, il est extrêmement intéressant.
J’ai demandé à une association belge, qui fait aussi de l’hébergement, de me donner une box, ils appellent ça la Brique Internet qui permet justement d’héberger cette instance de Yunohost. Du coup, j’ai mes petits services à moi. Pour l’instant, je ne vais pas dire qu’ils sont en production parce que, de temps en temps, je rencontre quand même des petits soucis, je suis un peu obligé de les appeler pour savoir comment on fait pour remettre en route. Ils sont réactifs et on finit toujours par arriver à une solution. Il faut effectivement connaître certaines techniques. Par exemple, quand ça bloque, les logs s’accumulent, du coup ça sature la carte, du coup ça ne redémarre pas. On acquiert tout ça par l’expérience. Ils ont évidemment des forums, mais, avec leur appui, c’est beaucoup plus facile d’apprendre et de s’améliorer sur ces sujets.
Isabella Vanni : Difficile, comme tu le dis, de trouver un lien avec la cotte de mailles. Combien pèse ta cotte de mailles pour te déguiser en chevalier qui vient du passé ?
Laurent Costy : Entre dix et onze kilos, je pense, il y a à peu près 15 000 anneaux. C’est vrai qu’un jour ça m’a pris. J’ai toujours été un peu intéressé par le médiéval fantastique. Il y a déjà eu une émission sur le jeu de rôle, j’ai aussi fait du jeu drôle quand j’étais jeune et le médiéval-fantastique m’intéressait pas mal. Un jour je me suis dit « tiens si je faisais une cotte de mailles ». Il a fallu faire des anneaux, donc prendre du fil de fer, entourer le fil de fer autour d’une tige, couper « les ressorts », entre guillemets, obtenus pour faire des anneaux, puis assembler les anneaux pour pouvoir faire une cotte de mailles. Ça prend un an, un an et demi, une tendinite parce que, à force de couper, ça force un peu sur certains muscles, mais, après, on est fier. On ne la sort pas souvent, c’est sûr, en soirée ce n’est pas évident, pour chercher un emploi ce n’est pas évident non plus !
Isabella Vanni : C’est pour cela que tu participes, quand tu peux, aux Geek Faëries, ce festival de l’imaginaire dont j’ai parlé et tu avais aussi imaginé une conférence, une intervention en tant que chevalier.
Laurent Costy : Oui. Je suis intervenu une fois, en cotte de mailles, au Bar commun, dans le 18e à Paris. Ça marque les esprits, du coup, on peut jouer un peu l’étonnement sur le partage, les communs. J’avais monté un petit truc, c’était très modeste, mais c’est rigolo.
Isabella Vanni : Notre vice-président intervient aussi à différents évènements, c’est l’une des façons qu’il a de contribuer à l’April, en plus de faire toutes les actions qu’on vient d’énumérer.
Quels sont tes projets professionnels à venir ? Je crois qu’en ce moment tu es en formation.
Laurent Costy : En transition, on va dire. J’ai fini une formation en cybersécurité de 399 heures, qui a commencé fin novembre et qui s’est terminée vendredi. C’est extrêmement intéressant pour appréhender, pour consolider des savoirs autodidactes, des savoirs techniques dont je parlais tout à l’heure ; c’était extrêmement intéressant. Appréhender aussi que la question de la cybersécurité est quand même pensée pour des grosses structures et que la question du Libre n’est pas complètement appréhendée non plus. C’était vraiment intéressant, aussi, de confronter un peu ces savoirs-là.
Je me suis incrusté pour intervenir auprès de mes camarades pour parler de logiciel libre, parce qu’il leur manque quand même une cette culture-là. De bonne grâce, ils ont bien voulu m’accorder un petit créneau, ce qui était plutôt intéressant.
C’est très cohérent. On trouve aussi des cohérences, de mon point de vue, à aller vers le logiciel libre quand on parle de cybersécurité. On a eu des débats avec des formateurs qui n’étaient pas complètement en phase avec cette pensée-là, mais ça ouvrait des discussions extrêmement riches et intéressantes.
Depuis vendredi, j’ai terminé cette formation. Mon projet c’est de rejoindre une coopérative, Coopaname à priori, pour faire de l’accompagnement et de la formation d’associations dans leur transition vers un numérique plus éthique,. Donc transition vers les logiciels libres et puis un système d’information émancipé des GAFAM, pour toutes les raisons qu’on a un peu évoquées dans l’émission et qu’on peut retrouver, pour beaucoup, sur le site de l’April.
Isabella Vanni : Pourquoi veux-tu rejoindre cette coopérative et pas, par exemple, être indépendant ?
Laurent Costy : D’abord, parce que le travail en équipe, le commun m’importe. Être seul me fait un peu peur, en tout cas ça ne m’intéresse pas. Même si, évidemment, dans la coopérative on est quand même en partie seul, il y a des choses à échanger. On est sur un projet commun, une coopérative.
Isabella Vanni : Toutes les personnes qui font partie de cette coopérative sont dans le domaine de l’accompagnement de l’informatique, du numérique, ou il y a peu de tout ?
Laurent Costy : Non. Pour l’instant, je ne les connais encore pas tous et toutes. Les premières réunions seront en mars. Il y a, à mon avis, beaucoup de projets divers. Je tiens juste à souligner que Coopaname était présente à la première réunion pour Bénévalibre, à la Fondation pour le Progrès humain, en 2016 je crois. La question du Libre et du numérique libre est présente au sein de cette coopérative.
Isabella Vanni : Des oreilles vont t’écouter.
Laurent Costy : J’espère. Il y a déjà des gens qui militent sur ces sujets-là.
Isabella Vanni : Très bien. Je pense qu’on a abordé tous les sujets que je voulais mettre à l’honneur. Est-ce qu’il y a des messages que tu voulais faire passer, qui te tiennent à cœur ? Tu pourrais profiter de ce temps pour les exprimer.
Laurent Costy : J’ai pris deux citations.
Isabella Vanni : Très bien. Beaucoup de citations aujourd’hui, mais c’est bien, j’adore !
Laurent Costy : En général, les gens parlent mieux que moi donc je préfère les citer.
e-Rabelais disait : « Numérique sans conscience n’est que ruine de l’âme », facile, mais assez efficace. Et e-Louise Michel disait : « Le logiciel libre est au numérique ce que le syndicalisme est au monde du travail, une conscience. »
Isabella Vanni : eLouise Michel.
Laurent Costy : Oui, bien sûr, notez bien le « e », sinon on va m’alpaguer.
Isabella Vanni : Ça me paraît une bonne conclusion. Il nous reste encore quelques minutes, c’est très bien parce que, comme ça, tu peux partager avec nous des conseils de lectures, de podcasts, ce que tu veux.
Laurent Costy : Je ne vais pas conseiller des choses sérieuses. Je peux, les gens peuvent me contacter, je peux leur conseiller des livres sérieux, Shoshana Zuboff, L’Âge du capitalisme de surveillance, on a déjà parlé de tout cela à maintes reprises, j’ai plein d’autres références, pas que celles-là, bien sûr.
Tout ce qui sur le Framablog est excellent.
Hubert Guillaud était venu, on l’avait interviewé dans une émission, tous ses articles sont un éclairage extrêmement pertinent, intéressant sur le numérique.
Donc plutôt des trucs sympas.
En ce moment, je suis en train d’écouter un podcast sur Arte Radio qui s’appelle La Chute de Lapinville, je vous le recommande, il n’est pas encore complètement fini. Ce sont quatre/cinq minutes par jour, ils postent un épisode par jour.
Isabella Vanni : De quoi ça parle ?
Laurent Costy : C’est un type qui perd son allocation de pervers narcissique, qui doit, du coup, se bouger un peu, donc c’est un peu compliqué pour lui, pour sa vie. Il est obligé de retourner à Lapinville, chez ses parents et ce n’est pas simple. Du coup, il propose un programme de podcast thérapie
Isabella Vanni : Ça a l’air pas mal !
Laurent Costy : Franchement je vous le recommande, j’ai beaucoup rigolé debout dans le train en revenant de Dijon, hier, parce que le TER était plein. Ça a un peu atténué la pénibilité du voyage. Franchement, je vous le recommande, ils en sont à 16 épisodes.
Isabella Vanni : Tu l’as tellement bien vendu que mon collègue Étienne, sur le webchat, dit : « J’ai pris de l’avance, j’ai commencé à écouter La Chute de Lapinville. Excellent ! » Donc très bien. Ensuite ?
Laurent Costy : Une BD que François Poulain avait beaucoup aimée, qu’il avait apportée en passant chez moi.
Isabella Vanni : François Poulain, lui aussi administrateur de l’April.
Laurent Costy : Trésorier de l’April. C’est Jean Doux et le mystère de la disquette molle de Philippe Valette.
Isabella Vanni : Peux-tu en dire plus ?
Laurent Costy : Je ne l’ai pas relu récemment. Déjà le dessin est très particulier, c’est un format de BD plutôt en long.
Isabella Vanni : On est à la radio, on ne voit pas les gestes !
Laurent Costy : Je sais qu’il y a une disquette molle dans l’histoire. À un moment donné, il décolle la moquette de son bureau, il tombe dans un trou. Je ne veux pas spoiler non plus, il faut que les gens regardent.
Et puis, en termes de BD, pour moi c’est toute l’œuvre de Bill Watterson, mais c’est plutôt plus ancien, tout ce qui est Calvin et Hobbes.
Isabella Vanni : Quand j’ai lu ça j’avais les larmes aux yeux, moi aussi j’adorais cette bande-dessinée.
Laurent Costy : L’auteur de cette bande dessinée est quelqu’un de modeste, qui n’a pas cédé au star system, c’est quelqu’un d’admirable aussi pour sa pensée philosophique.
Isabella Vanni : Calvin est un enfant autour de dix/onze ans, on va dire, et Hobbes est son ami imaginaire, c’est aussi une peluche en forme de tigre, sauf que quand ils sont seuls, c’est un vrai tigre.
Laurent Costy : Le tigre prend vie et ils ont des aventures extraordinaires.
Isabella Vanni : Tu disais qu’il n’est pas tombé dans le star system.
Laurent Costy : C’est quelqu’un qui est resté modeste dans sa façon de faire.
Isabella Vanni : Et il a su aussi arrêter. Au bout d’un moment il a dit « je préfère arrêter là parce que je sens que je ne vais plus avoir de bonnes idées, donc je préfère finir quand la BD est encore de bonne qualité. »
Je pense qu’on a fait le tour. En réalité, on pourrait faire plusieurs épisodes avec Laurent Costy. On a on essayé de trouver les gros morceaux, les dossiers, les sujets les plus importants, notamment en lien avec le Libre.
Merci beaucoup d’avoir accepté de parler de ton parcours personnel et professionnel à la radio. Merci pour ce que tu fais pour l’April et pour le Libre en général. Vous avez eu beaucoup d’exemples des actions de Laurent. Du coup à une prochaine, avec probablement une chronique.
Laurent Costy : Merci à tous. J’espère qu’il n’y a pas eu trop de Costy ! Il faudra quand même qu’on répartisse un peu mieux.
Isabella Vanni : C’est vrai, c’était le cas !
Nous allons maintenant faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous entendrons un nouvel épisode de la chronique « La pituite de Luk ».
Nous allons écouter Bug par Les bretons de l’est. On se retrouve dans environ une minute trente. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Bug par Les bretons de l’est.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Bug par Les bretons de l’est, disponible sous licence libre Art Libre.
[Jingle]
Isabella Vanni : Je suis Isabella Vanni de l’April. Nous allons maintenant passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « La pituite de Luk »
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre avec la chronique « La pituite de Luk », chronique rafraîchissante au bon goût exemplaire qui éveille l’esprit et développe la libido. Il a été prouvé scientifiquement qu’écouter la pituite de Luk augmente le pouvoir de séduction, augmente le succès dans les affaires ou aux examens et décuple le sex-appeal. Retour de l’être aimé, il reviendra manger dans votre main comme un petit chien.
Je crois que ça vous donne le ton de la chronique qui, aujourd’hui, va encore plus loin que d’habitude.
Cette chronique a été enregistrée il y a quelques jours. Je vous propose de l’écouter et on se retrouve juste après.
[Virgule sonore]
Luk : Les IA génératives commencent à changer le monde comme on l’avait prévu, notamment en rendant certains métiers obsolètes. Or, il semblerait que les jolies filles, plus ou moins court-vêtues, soient en première ligne. Le sujet est définitivement glissant, j’aurais pu opter pour le terme de « femmes sexualisées » pour les nommer, mais je ne suis même pas certain que cette définition soit pertinente pour tout le monde. Alors, autant mettre les pieds dans le plat et choisir le terme un poil grossier et péjoratif de « bombasses », dont je suis certain qu’il n’est pas pertinent.
Dans l’économie de l’attention, les bombasses sont en compétition directe avec les bébés et les chatons. Elles ont le gros avantage sur eux d’aller titiller la libido de la grosse majorité des hommes, contrairement aux bébés et aux chatons qui n’excitent que très peu de gens.
Accoler une bombasse a à peu près n’importe quoi capte l’attention. C’est particulièrement vrai dans les domaines à forte concentration de testostérone, mais c’est également vrai dans les médias à destination des femmes. Ce n’est juste pas le même genre de bombasse qui est affiché.
J’avais évoqué, dans une précédente chronique, ce motard cinquantenaire qui utilisait l’application FaceApp pour se faire passer pour une jeune femme. Ses virées, partagées sur Twitter, recueillaient tous les suffrages jusqu’à ce qu’un fan découvre la supercherie en examinant un reflet. Boomer ou bombasse, c’est ça qui fait la différence, les virées à moto, elles-mêmes, sont secondaires !
Taylor Swift, dont la presse parle beaucoup ces temps-ci, est un exemple inverse. Je suis convaincu qu’elle n’aurait pas pu connaître le succès stratosphérique qui est le sien sans avoir des qualités et des talents exceptionnels. J’ai regardé des photos et les clips et je suis également convaincu qu’avec les mêmes qualités, mais sans un physique avenant, ni mini-shorts qui brillent, sa carrière aurait été tout au plus troposphérique.
De mon point de vue peu pertinent de boomer mâle, être une bombasse, c’est avant tout une question de contrôle de soi-même, que ce soit de son apparence, mais aussi de son comportement. C’est un réel choix de carrière qui demande énormément de travail, de connaissances et d’autodiscipline.
Malgré cela, les bombasses sont en train de se faire disrupter par les IA génératives qui leur opposent des concurrentes virtuelles. Une bombasse générée atteint un niveau de perfection tel qu’une bombasse naturelle, même lissée par le fitness, l’épilation, le maquillage, l’éclairage, les filtres photo et tout le reste, ne peut pas lutter.
Une bombasse virtuelle ne demande pas de salaire, ne présente pas le risque de faire tache avec des trucs aussi inutiles qu’une personnalité et des aspirations.
La bombasse virtuelle est plus lisse que n’importe quelle humaine. Et peut-être aussi que, contrairement à la bombasse humaine qui peut maîtriser plus ou moins son image et surfer sur la vague d’attention générée par sa propre sexualisation, la bombasse virtuelle est entièrement contrôlée par son créateur. Je dis créateur, car, dans les articles publiés sur le sujet, ce sont bien des hommes qui les génèrent.
Il y en a pour tous les goûts. Du bon, avec, par exemple, Anne Kerdi qui fait la promo de la Bretagne ou Kenza Layli au Maroc ; du tendancieux avec des influenceuses sexy comme Aitana Lopez qui place des produits à la con et du mauvais avec une myriade de bombasses pornographiques à l’anatomie improbable.
Mais comment se fait-il que le public adhère ? Ça fait un bail que des personnages fictifs sont mis en avant par les marques, mais c’étaient essentiellement des mascottes ; cela ne les a pas empêchées de générer des émotions profondes et intenses. La haine inextinguible que l’humanité utilisatrice de Windows 95 à 2003 voue à Clippy en est la preuve, mais là, ce n’est pas pareil. Les bombasses virtuelles sont des personnages. Elles ont un état civil et jouent un rôle de personne réelle.
Pourquoi ça marche ?
Première hypothèse : pour une partie de la population, c’est un réflexe atavique. Puisque ça a l’air féminin, on doit pouvoir introduire un pénis dedans. Une blogueuse explique que le bot qu’elle utilise pour gérer son agenda reçoit régulièrement des propositions de rendez-vous galants.
Seconde hypothèse : à force de faux cils, de faux ongles, de faux cheveux, de faux seins, de fausses lèvres, le pas à faire entre une créature entièrement synthétique et une qui ne l’est que partiellement n’est pas si important. Une bombasse doit rester inaccessible pour conserver son pouvoir d’attraction, donc, vraie ou fausse !
Troisième hypothèse : l’authenticité n’est plus une vertu. Se lier à de vraies personnes, c’est compliqué, ça demande de faire des compromis, d’évoluer au contact de l’autre. Dans des sociétés de masse telles que les nôtres, on peut bien se satisfaire de l’illusion tant qu’elle est confortable. Les bombasses virtuelles ne seraient alors qu’un perfectionnement du système.
[Virgule sonore]
Isabella Vanni : Vous êtes de retour en direct sur radio Cause Commune. Je suis Isabella Vanni de l’April. Nous venons d’écouter un nouvel épisode de la chronique « La pituite de luk » qui a été enregistré il y a quelques jours.
Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Isabella Vanni : Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial, chaque premier vendredi du mois, à partir de 19 heures 30, dans ses locaux, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement. Une réunion d’équipe ouverte au public avec apéro participatif à la clé. Occasion de découvrir le studio, de rencontrer les personnes qui animent les émissions. La prochaine soirée-rencontre aura lieu vendredi 1er mars et l’April sera présente à cet apéro.
Chaque premier samedi de chaque mois, de 14 heures à 18 heures, des bénévoles passionnés de logiciels libres se retrouvent au Carrefour numérique2 de la Cité des sciences pour une install-partie de distributions GNU/Linux. Le prochain rendez-vous du Premier samedi du Libre aura lieu samedi 2 mars 2024 à la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris, dans le 19e arrondissement.
Il est encore temps de proposer des événements de découverte logiciels libres pour le Libre en Fête, du 9 mars au 7 avril 2024, partout en France.
Une nouvelle édition des Journées des libertés numériques aura lieu du 11 au 30 mars 2024 aura lieu à Nantes, Angers, La Roche-sur-Yon et certaines animations seront accessibles en ligne.
Je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements lien avec le logiciel libre ou la culture libre près de chez vous.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Laurent Costy, Lorette Costy, Luk.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Magali Garnero.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.
Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques sont les bienvenues à l’adresse à contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et faites également connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 5 mars 2024 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur l’IGN, l’Institut national de l’information géographique et forestière, et les géo-communs. Notre invité sera Sébastien Soriano, directeur de l’IGN.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 5 mars 2024. D’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.