Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Nous recevons aujourd’hui Simon Popy, membre du CESER Occitanie et président de France Nature Environnement Languedoc-Roussillon. Ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Également au programme « Une goutte de rhum pour un océan de données » et en fin d’émission Luk nous enseignera une incantation aussi utile aux professionnels de l’informatique qu’aux passionnés de jeux de rôle, TGCM.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 26 avril, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission, ma talentueuse collègue Isabella. Salut Isa.
Isabella Vanni : Salut Étienne et bonne émission.
Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
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Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy, intitulée : « Une goutte de rhum pour un océan de données »
Étienne Gonnu : Nous allons commencer avec la chronique de Laurent et Lorette Costy, « À cœur vaillant, la voie est libre », en direct de leur cuisine.
Lorette Costy : Tiens Paparobase, je profite de te croiser dans la cuisine pour t’informer que je me suis permis d’emprunter un ouvrage qui m’avait tapé dans l’œil dans ta chambre.
Laurent Costy : Un ouvrage ? Sur la table de nuit ?
Lorette Costy : Oui, sur la table de nuit. Il y en avait un qui dépassait du matelas mais ça me semblait moins intéressant pour la chronique !
Laurent Costy : Je ne sais pas pourquoi mon copain Zen oublie systématiquement ses magazines chez moi. Je vais le tancer sévèrement la prochaine fois pour ça. Du coup, le livre, c’est L’enfer numérique de Guillaume Pitron ? Tu l’as lu ? Je trouve qu’il n’y a pas beaucoup d’images. Je préfère Rahan, fils des âges farouches.
Lorette Costy : Et bien justement, détrompe-toi !, j’y ai trouvé une image incroyable pour appréhender la quantité de données brassées par les êtres humains sur cette planète, planète qui doit assumer chaque jour la matérialité pesante de l’informatique en nuage et en réseau. Je vais te raconter si tu veux.
Laurent Costy : Ouiiiii !, ça va m’éviter de lire le livre. Je prends ! Je pourrai une nouvelle fois usurper pour la chronique. Attends, je prends mon doudou, un petit verre de rhum et tu peux y aller !
Lorette Costy : OK. Faisons l’exercice de pensée que l’octet, multiplet de 8 bits pour mémoire, représente une goutte d’eau. Tu me suis jusque-là ?
Laurent Costy : Jusqu’à « faisons », ça allait à peu près. À partir du mot « exercice » et « pensée », j’ai décroché. Mais vas-y, continue.
Lorette Costy : Pour mieux comprendre, tu peux considérer une goutte de rhum plutôt qu’une goutte d’eau !
Laurent Costy : Ben voilà, c’est tout de suite plus clair ! Un octet équivaut à une goutte de rhum.
Lorette Costy : Parfait. Prenons alors un court e-mail genre « Bonjour papa, comment tu vas ? ». Il pèse autour de 1 000 octets et correspond approximativement à 100 ml, autrement dit un demi-verre.
Laurent Costy : Un demi-verre de rhum c’est limite, mais ça se boit. La modération étant de mise, je subodore que la suite de l’analogie ne va pas permettre de tout boire au fur et à mesure.
Lorette Costy : Tu subodores bien Papapotam. Si tu recommences cette opération 1 000 fois, tu as, sur la table, 1 000 verres de rhum à moitié pleins. Et, avec notre analogie, ça représente un mégaoctet, c’est-à-dire l’équivalent d’une minute de fichier audio au format OGG.
Laurent Costy : Fais attention quand même ! Tu es parfois un peu trop dans ton monde libriste et tu oublies d’expliquer aux personnes qui ne connaissent pas que OGG est un format de fichier audio nativement libre, alternatif et plus performant que le format mp3.
Lorette Costy : Tout le monde sait ça Paparobase, tu n’es plus à la page !
Laurent Costy : HTML !
Lorette Costy : Mais arrête de m’interrompre, c’est déjà assez difficile comme ça père lipopette ! On continue. Donc, un mégaoctet représente 100 litres de rhum.
Laurent Costy : Ça prend de la place ! Ça va être compliqué que ces 100 bouteilles de rhum, à ranger dans le placard !
Lorette Costy : Rhum arrangé si tu veux, mais plus question de tout boire d’un coup. Et puis, tu n’as encore rien vu. L’étape d’après c’est l’équivalent d’une grosse citerne de récupération des eaux de pluie remplie de rhum, soit 100 000 litres. C’est le gigaoctet et c’est comme une vidéo de deux heures !
Laurent Costy : Je vais de ce pas calculer le nombre nécessaire de citrons verts pour les ti-punchs correspondants. Je dirais environ 500 000 si on considère qu’il en faut 1/2 pour dix centilitres.
Lorette Costy : 20/20 pour toi, mais je continue à filer l’analogie éthylique. Six millions de livres, soit pratiquement la moitié du catalogue de la Bibliothèque nationale de France, représentent 1 000 gigaoctets que l’on appelle le téraoctet. Ça correspond à 100 millions de litres de rhum soit environ 27 piscines olympiques !
Laurent Costy : Waouh ! Des piscines de rhum ! Tu sais faire rêver les gens toi ! Regarde, j’ai fait une recherche rapide et j’ai trouvé une tranche de citron vert gonflable en forme de fauteuil. Il ne me reste plus qu’à trouver des cigares en chocolat, des lunettes de soleil et me voilà le roi du nouvel or noir : la donnée !
Lorette Costy : Attends, ce n’est pas fini. Tu vas pouvoir acheter un yacht, d’autant que des oligarques russes font des promos en ce moment !
Après le téraoctet, passons au pétaoctet soit, mille fois plus encore une fois. Là, c’est 100 millions de m3 et l’équivalent de deux milliards de photos numériques de qualité moyenne. Je t’avais dit que tu faisais trop de selfies pendant tes vacances !
Laurent Costy : Oui, je suis en mode selfie, mais je n’arrive pas à le désactiver ! Je retourne l’appareil pour prendre des photos ! Donc, 100 millions de mètres cubes, c’est 58 fois le volume du Grand Canal de Venise. Parfait pour mon yacht !
Lorette Costy : Allez, plus que trois unités à considérer après ça. Il y a d’abord l’exaoctet. Il faut savoir que cinq exaoctets correspondent à la quantité de données accumulées sur le réseau jusqu’à l’année 2003 qui se trouve être, d’ailleurs, l’année de naissance d’une vraie génie, ta fille préférée.
Laurent Costy : Pas le choix ! Je n’en ai pas d’autre !
Lorette Costy : Et ces cinq exaoctets ça fait 100 km3 soit 11 km3 de plus que le volume du lac Léman.
Laurent Costy : Oh là, là !, ça commence à me soûler cette mise en abysses de gouttes de rhum !
Lorette Costy : Mais voilà déjà le zettaoctet, soit, un million de milliards de livres numérisés. C’est le golfe de Californie.
Laurent Costy : Tu sais comment on dit « or », le métal précieux, en latin ? On dit aurum.
Lorette Costy : Je conclus, car je sens que les vapeurs d’alcool t’empêchent de te concentrer. Pour l’instant on en reste au yottaoctet. Soit 1 000 zettaoctets. C’est 100 millions de km3 soit 1/3 de l’océan Indien occupé par du rhum.
Laurent Costy : Je suis baba… aurum !
Lorette Costy : Tout à l’heure, je t’ai dit que cinq exaoctets avaient été accumulés en 2003. Il faut savoir qu’en 2010 le cumul est passé à deux zettaoctets. Si on en croit les prévisions, on sera à 2142 zettaoctets en 2035 !
Laurent Costy : Comme j’ai quand même retenu la table de conversion, malgré mon tiers d’océan Indien de rhum dans le sang – je te fais grâce du lac Léman et de tout le reste puisque ça devient négligeable pour un coma éthylique –, ça fera plus de deux yottaoctets ! D’ailleurs, je te recommande l’acronyme PEZY pour Peta, Exa, Zetta, Yotta. Il permet de retenir plus facilement les unités au-delà du Tera !
Lorette Costy : D’accord Pezy-Papa. Mais c’est quand même incommensurable de telles quantités de données malgré cette belle analogie filée et toutes ces unités adaptées !
Laurent Costy : Comme disent les chimistes « techniquement, l’alcool est une solution ». On se demande si on ne ferait pas mieux d’adopter cette solution quand on voit les conséquences énergétiques, environnementales, matérielles et géopolitiques d’une telle accumulation et d’un tel accroissement de données. 3,8 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde seraient dues au numérique et, en France, 6 % de l’énergie serait consommée pour les usages numériques.
Lorette Costy : Et avec les perspectives de développement de l’Internet des objets, comme les WC connectés dont on a déjà parlé toi et moi, de l’intelligence artificielle, de la qualité des vidéos, ou même de la voiture autonome qui promet, selon les plus euphoriques, jusqu’à un gigaoctet de données par seconde, on voit bien que la perspective de 2 142 zettaoctets cumulés en 2035 est un horizon crédible.
Laurent Costy : Et tu imagines, en plus, quand les voitures connectées embarqueront des toilettes connectées ! Dans cette perspective, on prépare les techniques comme la 5G ou les câbles de fibre optique sous-marins pour absorber cette explosion du trafic. On développe les usages, donc on a besoin de développer les tuyaux pour anticiper. Et comme on met en place de nouveaux tuyaux, on ouvre la voie à des usages qui débitent toujours plus de data comme les chutes d’Iguazú après un orage !
Lorette Costy : Comment faire pour limiter les effets néfastes de cette augmentation de création et de stockage de données ? On n’arrête pas de me dire que je dois vider ma boîte mail, mais ça me semble un peu tarte à la crème à la vanille ce truc. À quoi ça sert d’éviter de remplir un demi-verre de rhum quand 4,7 millions de vidéos sont visionnées chaque minute sur Internet et que ça remplit des centaines de citernes de rhum ?
Laurent Costy : Pas simple de répondre à ta question. J’aurais tendance à dire que si tu peux agir, agis ! Mais sois lucide sur les effets et sur les mesures qui sont plus efficaces que d’autres. Priorise en conséquence tes actions car souvent, dans tous les calculs d’énergie consommée, la fabrication de l’appareil est purement et simplement oubliée.
Lorette Costy : On se demande parfois si ce n’est pas volontaire de parler en priorité de boîte mail à vider. Ça évite d’aborder l’épineuse question du matériel trop souvent renouvelé et de tous les efforts qui sont faits en marketing et en publicité pour faire acheter à gogo !
Laurent Costy : Exactement. Quand on sait que certaines évaluations ont montré que pour l’envoi d’un mail 70 % environ de l’émission de carbone est due à l’amortissement de la fabrication de l’ordinateur qui sert à écrire ce mail, 23 % est affectée à l’ordinateur qui sert à le lire et enfin, qu’il est estimé que seul 1 % de l’émission de carbone est à attribuer au transport et au stockage du mail, ça remet en perspective les priorités que l’on doit se donner.
Lorette Costy : Garder le plus longtemps possible ses appareils, les faire réparer plutôt que les changer et acheter du matériel reconditionné, sont donc des mesures très importantes pour limiter l’énergie consommée.
Laurent Costy : Longtemps, l’argument d’une consommation énergétique moindre était mis en avant avec l’achat d’un nouvel appareil. C’est désormais terminé ! On sait définitivement que fabriquer un nouvel appareil sera toujours bien plus énergivore et avide de ressources. Donc non seulement il faut prolonger la vie des appareils mais, en plus, il faut systématiquement contredire les marketeux qui utilisent cet argument pour faire racheter de nouveaux appareils.
Lorette Costy : Et en plus, un des moyens de faire durer un ordinateur plus longtemps, c’est de lui installer un système d’exploitation GNU/Linux adapté à sa configuration. J’ai bon ?
Laurent Costy : Ma fille, on fera de toi quelqu’un de bien, je n’en doute pas un seul instant. Et là, un peu de rhum m’attend et ce n’est pas parce qu’on en a beaucoup parlé que je ne sais pas le consommer avec modération. Je te poutoute et te souhaite longue vie ainsi qu’à tes appareils ma fille !
Lorette Costy : Longue vie aussi aux tiens ! Bises Pezy-Papa !
Étienne Gonnu : C’était la chronique « À cœur vaillant la voie est libre » joliment intitulée « Une goutte de rhum pour un océan de données » et exceptionnellement réalisée en direct depuis le studio.
Merci à Lorette et merci à Laurent pour cette chronique d’utilité publique à réécouter sans modération et on se dit au mois prochain pour une nouvelle chronique.
Laurent Costy : Au mois prochain. Merci.
Étienne Gonnu : Toi, Laurent, tu restes avec nous car, après la pause, c’ets toi qui vas prendre les manettes du sujet long de l’émission.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Avant ça nous allons écouter K For Kool par Kuromaru. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : K For Kool par Kuromaru.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter K For Kool par Kuromaru, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By, un artiste dont je vous invite à retrouver une présentation sur le superbe site auboutdufil.com.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.
[Virgule musicale]
Échange avec Simon Popy, membre de la commission du conseil économique, social et environnemental régional CESER Occitanie « Aménagement du Territoire – Politiques environnementales et énergétiques Transport – Infrastructures – Numérique – Logement », président de France Nature Environnement Languedoc-Roussillon
Étienne Gonnu : Comme je vous l’annonçais avant la pause musicale, j’ai le plaisir de laisser la main à Laurent Costy, chroniqueur de Libre à vous ! et vice-président de l’April, qui va interviewer Simon Popy, membre du CESER Occitanie et président de…
Laurent Costy : France Nature Environnement Languedoc-Roussillon.
Étienne Gonnu : Merci Laurent. Je me perdais dans mes notes.
N’hésitez pas à participer à l’échange sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ». Je pourrai relayer à Laurent vos éventuelles questions. Laurent, je te laisse la parole.
Laurent Costy : Merci Étienne. Je pense que Simon nous a rejoints.
Simon Popy : Oui. Bonjour.
Laurent Costy : Bonjour Simon. Très bien parfait.
Étienne a dressé un petit peu ton profil. On va revenir dessus et on va te présenter. Tu es membre de la commission du CESER Occitanie. On va expliquer aux gens ce qu’est le CESER parce que ce n’est pas forcément très connu. C’est une commission, en plus, un peu large, puisque c’est « Aménagement du Territoire – Politiques environnementales et énergétiques Transport – Infrastructures – Numérique – Logement », si j’ai bien résumé. Tu es par ailleurs président de France Nature Environnement Languedoc-Roussillon.
Tu peux peut-être éclaircir un peu ces deux facettes, s’il te plaît ?
Simon Popy : France Nature Environnement Languedoc-Roussillon est une fédération d’associations de protection de la nature et de l’environnement, au niveau régional, qui regroupe à peu près une cinquantaine d’associations et qui fait elle-même partie du mouvement national France Nature Environnement, plus connu sous le nom de FNE.
Professionnellement je me définis comme écologue, je suis docteur en écologie avec à la base une formation d’ingénieur forestier, donc je ne suis pas du tout issu du domaine de l’informatique ou du numérique, si ce n’est comme utilisateur. La question des libertés numériques est importante pour moi et je suis notamment adhérent de l’April.
Je suis donc membre du conseil économique, social et environnemental régional d’Occitanie, le CESER, en tant que représentant de France Nature Environnement. C’est dans ce cadre-là que j’ai participé récemment à la production d’un avis sur le numérique, comme vous l’avez dit, par la commission qui s’occupe notamment de l’aménagement du territoire et qui a beaucoup de compétences, notamment le numérique.
Laurent Costy : Est-ce qu’on peut éventuellement expliquer ce qu’est un CESER et le lien éventuel avec le CESE ?
Simon Popy : Il faut comprendre que le CESER est la seconde assemblée régionale, beaucoup de gens l’ignorent. Il faut savoir qu’il en existe un dans chaque région française. Les CESER sont des institutions qui ne sont pas toutes jeunes puisque ça a commencé en 1954. Elles ont évolué au fil du temps et au fil de l’évolution des préoccupations politiques. Au début c’était juste des conseils d’expansion économique qui, en 1964, sont devenus des commissions de développement économique régional, on était toujours vraiment centrés sur l’économie et puis, à partir de 1972, on a accolé à l’économique le terme « social » et c’est seulement en 2010 qu’on a ajouté le terme « environnemental ».
À quoi servent les CESER ? Ce sont des assemblées consultatives. Elles sont censées représenter les forces vives des régions, autrement dit c’est une assemblée de représentants d’un certain nombre d’organisations de la société civile qui sont choisis par l’État. Il faut savoir que les CESER ne prennent aucune décision, ils rendent uniquement des avis motivés sur des sujets qui sont censés être de compétence régionale.
Il y a trois manières de saisir les CESER.
Soit les CESER sont saisis par la région si elle veut avoir un avis extérieur sur un sujet donné. Il faut quand même reconnaître qu’aujourd’hui c’est devenu assez rare que la région se serve de cet outil-là.
Soit ils sont saisis par la région par obligation réglementaire. C’est, par exemple, systématique sur le budget régional, sur tout ce qui est Contrat de Plan Etat-Région sur un certain nombre de schémas régionaux.
Ils peuvent aussi s’auto-saisir spontanément sur des sujets qui intéressent le CESER, ce qui rend les choses quand même un peu plus intéressantes puisque ça donne aux CESER une possibilité d’initiatives et d’interpellations d’assemblées régionales.
Tu parlais du CESE. Il faut savoir qu’il y a aussi un CESE au niveau national, Conseil économique social et environnemental, qui est la troisième assemblée du pays avec l’Assemblée nationale et le Sénat. Là aussi c’est assez peu connu. On en a quand même un peu entendu parler l’an dernier, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, c’est le CESE qui a organisé et encadré la Convention citoyenne pour le climat. À l’instar des CESER, il rend des avis sur les politiques, mais, du coup, de compétence nationale.
Laurent Costy : Je te peux te poser une question : le fait que ce soit si peu connu c’est parce que, justement, ce n’est que consultatif ? C’est pour cette raison-là qu’on pourrait expliquer le peu de reconnaissance de cet organe-là qui me semble quand même important ?
Simon Popy : Oui, je suppose. En plus ce n’est pas une assemblée élue, donc les citoyens sont un peu tenus à l’écart puisque les membres sont nommés par le préfet de région pour six ans, ils ne sont pas élus, donc, quelque part, les citoyens sont peu impliqués dans l’histoire. C’est effectivement une institution qui est un peu ancienne et qui passe un peu inaperçue. C’est dommage parce qu’elle produit des avis qui sont quand même intéressants et surtout, la différence avec les assemblées délibératives, décisionnaires, c’est qu’on est un peu moins pressé par l’urgence. Disons que le CESER peut se permettre d’avoir des réflexions un peu plus sur le long terme, prendre le temps de réfléchir, de poser des avis, de consulter, de faire tout un tas d’auditions, etc., donc ça a un intérêt pour ça.
Laurent Costy : Merci beaucoup pour ces éclaircissements, ça me semble extrêmement important.
Étienne Gonnu : Une question très rapide : en termes de participation, les cessions sont-elles accessibles au public ? Le public peut-il venir écouter comme on le ferait pour un conseil municipal ? Ou c’est fermé ?
Simon Popy : Non. Le public ne peut pas participer. Les gens qu’il y a dans un CESER sont nommés par le préfet. Par contre, le préfet est quand même un peu contraint, il doit respecter une composition qui est définie par un décret. Par exemple, pour l’Occitanie, on a 170 membres qui sont répartis en trois collèges de 54 membres.
Le premier, c’est le monde des entreprises, ça va être l’industrie, les services, commerçants, artisans, agriculteurs.
Le deuxième collège, qui a exactement la même taille, ce sont les syndicats avec un nombre de sièges qui correspond, en gros, à leur représentativité.
Le troisième grand collège, ce sont les organisations et associations qui concourent à la vie collective. Ce sont beaucoup d’associations à vocation sociale, associations caritatives, les jeunes, les personnes âgées, la santé, le handicap, l’enseignement, la culture, les femmes, le logement et, là-dedans, il y a l’environnement qui occupe une toute petite place puisqu’on n’a que neuf sièges sur 170 ; ce qui fait moins de 5 % des conseillers. J’en fais partie. L’environnement est affiché en gros dans le nom des CESER, mais au final, dans la réalité, sa représentation est quand même très minoritaire. Ce n’est pas le sujet ici.
Laurent Costy : Non, mais je pense que c’est très important d’éclairer un peu comment ça fonctionne.
Simon Popy : C’est important de dire qui est dedans, qui est dans ces CESER.
Laurent Costy : Effectivement les personnes ne sont pas élues, mais ce sont quand même des personnes issues de la société civile. Du coup, quand on voit qu’il y a France Environnement dedans on peut quand même se dire que des éléments qui vont dans le bon sens sont portés à la connaissance des autres secteurs.
Ce qui nous amène ici c’est plutôt le rapport qui a été produit, sur une autosaisine si j’ai bien compris, une des trois possibilités de consulter le CESER, « Comment mettre le numérique au service de l’humain et des territoires ? ». Pourquoi a-t-on décidé d’organiser un petit temps d’échange sur Cause Commune dans Libre à vous ! ? C’est parce que, finalement, il y a eu une induction forte de tout ce qui était libertés numériques et logiciel libre. Donc c’est sujet-là, évidemment, qu’on voulait aborder.
Simon Popy : C’est ça. C’est vrai que la commission une, plutôt chargée de l’aménagement du territoire, a travaillé sur un grand nombre de sujets depuis 2018. Là, en fait, comme il y a eu le déploiement de la 5G, de la fibre, on a beaucoup parlé du numérique l’année dernière et, comme cette commission est chargée du numérique, elle a souhaité s’auto-saisir de ce sujet en 2021, mais plutôt avec l’angle de l’utilité sociale. C’est pour ça que l’avis s’intitule « Comment mettre le numérique au service de l’humain et des territoires ? ». Il traite vraiment de beaucoup de thèmes qu’on ne va pas tous évoquer évidemment ici, il parle d’inégalités d’accès au numérique, inégalités sociales, mais aussi inégalités territoriales, l’exclusion qui peut résulter de ces problèmes d’accès au numérique, la diminution des relations humaines que provoque le tout numérique, les dangers de la cybercriminalité, la violence sur Internet, la désinformation, l’uberisation du travail, les risques et aussi les bénéfices du télétravail. Il parle de la souveraineté numérique et de l’impact environnemental et aussi des questions de respect de vie privée et de libertés numériques. Ça fait vraiment beaucoup de sujets. On a fait de très nombreuses auditions d’acteurs et d’échanges. J’invite tout le monde à aller lire l’avis sur le site du CESER Occitanie, il est accessible. Il fait effectivement un focus sur le numérique libre.
Laurent Costy : On mettra le lien sur le site, Étienne s’en chargera, je le remercie d’avance.
Je n’ai pas pu lire dans sa totalité, de manière très fine, le rapport, mais j’ai évidemment repéré les paragraphes qui traitent du logiciel libre.
On a échangé préalablement à cet entretien. Tu me disais que si des personnes n’avaient pas eu cette sensibilité-là, ce type de sujet aurait difficilement été porté au sein du CESER. Pour être tout à fait transparent avec les auditeurs et les auditrices, c’est toi.
Simon Popy : C’est clair. C’est moi qui ai impulsé cette thématique dans l’avis, sinon, clairement, je pense qu’elle n’aurait pas été abordée par la commission, ce n’est pas quelque chose qui ressortait spontanément. Ce sujet-là n’est pas spécifiquement dans mes attributions, je suis d’abord un militant écologiste, mais je suis aussi militant du Libre, y compris dans ma structure. Vous savez, comme moi, que quand on veut défendre les libertés numériques, c’est un combat au quotidien. Le sujet n’est jamais prioritaire, on est toujours un peu face à des blocages psychologiques, des habitudes professionnelles ou juste la recherche de la facilité et c’est souvent assez frustrant. Quand on a parlé de cet avis, c’était pour moi une occasion qu’il ne fallait pas manquer pour exprimer un certain nombre de choses. J’ai proposé qu’on ajoute ce chapitre sur la souveraineté numérique qui parle, d’une part, de l’emprise des GAFAM et de toutes les conséquences que ça peut avoir et il fait un focus particulier sur le logiciel libre.
Laurent Costy : Justement, concernant la perception des autres membres de la commission par rapport à ce sujet-là, peux-tu en dire un petit peu plus ? Ce sont finalement des sujets qui sont très éloignés de leur prise de conscience. Il y a un lien qui est fait avec la question de la souveraineté ? Ça commence à émerger ?
Simon Popy : Clairement, ce ne sont pas des questions qu’ils maîtrisent très bien, c’est pour ça que le chapitre sur le logiciel libre commence d’abord par faire de la pédagogie évidemment pour les lecteurs de l’avis mais aussi pour le CESER lui-même. On a fait des auditions, on a essayé d’éclaircir les choses, on a notamment expliqué ce que sont les grandes libertés numériques, comment est-ce qu’on peut transcrire l’idéal de liberté, égalité, fraternité dans un monde numérique. On a aussi essayé d’expliquer le modèle économique qui est associé au Libre parce que c’est souvent la première objection qui est faite, en plus, dans le CESER, il y a quand même une grande partie de gens qui se préoccupent beaucoup d’économie. On a essayé de montrer qu’il existe un modèle économique associé au Libre. L’avis rappelle aussi que l’histoire du logiciel libre est ancienne, que c’est solide, que ça persiste malgré tout et qu’il y a quand même aussi de nombreux succès. On a essayé de lister un certain nombre d’exemples qui montrent que ça marche parce que, souvent, on fait face à des gens qui sont assez dubitatifs sur la question. Et puis on a fait un bilan des politiques publiques en faveur du Libre, que ce soit au niveau national ou dans certaines régions qui peuvent être exemplaires. Au final, on a constaté que la région Occitanie n’est pas très en avance, il y a plutôt une lacune par rapport à d’autres régions.
Laurent Costy : Je vais me permettre de citer le rapport : « Comparé à ces régions, la Région Occitanie n’a pas investi la question du logiciel libre, si ce n’est de manière très indirecte par son soutien au développement des tiers-lieux et FabLabs – ce qui est déjà une bonne chose. Bien qu’il y ait sur le territoire de la région Occitanie un certain nombre de collectivités en avance sur la question (voir carte des adhérents de l’ADULLACT par exemple), le CESER constate un manque d’initiative mutualisante de la part de la Région Occitanie. » Cet avis transcrit exactement ce que tu étais en train de dire. Comment pourrait-on faire pour essayer de faciliter justement la mutualisation outre, évidemment, un rapport du CESER ? Comment fait-on pour aller au-delà du rapport du CESER ? Comment engage-t-on concrètement une mutualisation ?
Simon Popy : Le CESER essaie de faire des préconisations qui sont plus ou moins concrètes, parfois ce sont un peu des grands principes. Là, déjà, le CESER mentionne l’intérêt du logiciel libre, notamment comme un moyen pour lutter contre la précarité numérique, c’est un des points forts du numérique libre. Le thème sur lequel il a fait beaucoup de préconisations c’est la question de la souveraineté numérique dont on parlait tout à l’heure. En fait il fait plusieurs préconisations intéressantes.
Déjà il y en a une sur la gestion des fichiers numériques qui comportent des données sensibles sur les citoyens, par exemple des données de santé, etc. Le CESER demande à la région d’être vigilante sur la localisation des serveurs sur le territoire européen si elle doit gérer des fichiers de ce type-là.
Il incite aussi la région à utiliser les logiciels libres comme le recommande l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information]. Il y a en particulier un projet très concret de la région Occitanie : elle fournit un ordinateur aux lycéens, ça s’appelle loRdi, et aujourd’hui, cet ordinateur fourni aux lycéens, a un BIOS qui est verrouillé et il est fourni avec Windows 10. Le CESER suggère que la région pourrait envisager de passer à un système d’exploitation libre.
Le CESER a aussi remarqué que la région Nouvelle-Aquitaine est très en avance, qu’elle a même nommé un expert en logiciel libre à sa délégation au numérique. Elle a créé un pôle de compétences qui s’appelle le cluster NAOS [Nouvelle-Aquitaine Open Source] et aussi un incubateur pour accompagner les entreprises qui développent des logiciels libres. Le CESER Occitanie préconise à la région Occitanie de s’en inspirer, voire de s’associer à ces initiatives-là.
Il y a aussi une préconisation qui incite à favoriser le passage des administrations au logiciel libre, à sortir de la dépendance aux GAFAM. Ça va de pair avec une autre préconisation qui incite la région à faire un bilan de sa propre dépendance aux GAFAM. D’ailleurs, si vous allez voir l’avis du CESER en ligne, on voit tout de suite qu’il a été produit sous un logiciel Microsoft puisque c’est affiché. Donc il y a beaucoup de progrès à faire y compris dans l’administration régionale qui doit se montrer exemplaire.
Par ailleurs, la région distribue pas mal d’aides financières et le CESER préconise à la région de soutenir plus fortement les associations et entreprises du logiciel libre et aussi de privilégier l’utilisation des logiciels libres à l’école, l’équipement en matériel informatique reconditionné et des choses comme ça.
Laurent Costy : J’avais raté le petit clin d’œil à Microsoft dans le dossier, néanmoins j’avais noté quelques préconisations où les GAFAM sont mentionnés comme des choses à essayer d’éviter à l’avenir. J’avais relevé « favoriser l’intégration du numérique libre et de la maîtrise du code dans l’éducation dès l’enfance et de limiter l’emprise des GAFAM ». Là on retrouve bien ce que tu disais à l’instant. « Dans les marchés publics de donner la priorité aux entreprises du logiciel libre mais pas de l’imposer et de laisser le choix », ça c’est toujours une discussion qu’on peut avoir, en tout cas il est important de faire prendre conscience de la pertinence de regarder d’abord ce qui existe en logiciel libre et comment on peut mutualiser. « De développer des initiatives mutualisantes à l’échelle régionale pour favoriser le passage des administrations au logiciel libre et la sortie de leur dépendance aux GAFAM, de soutenir plus fortement les associations et entreprises du logiciel libre régionales. »
Je voulais avoir quelques éclaircissements : est-ce qu’il y a des entreprises ou, justement, des associations qui sont un peu reconnues sur l’Occitanie par rapport à cette thématique ?
Simon Popy : Je pense à l’ADULLACT [Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les Collectivités Territoriales], à l’April. Je n’ai pas une connaissance très fine de ce secteur-là, ce sont celles que j’ai repérées.
Tu parlais du fait de ne pas obliger à utiliser du logiciel libre. Il y a eu un débat au sein de la commission. Il faut savoir que dans la commission on a des représentants d’entreprises qui font du développement logiciel ou des choses comme ça, des entreprises du numérique mais qui ne font pas forcément dans le Libre et ce sont elles qui ont insisté pour qu’il n’y ait pas ce genre de préconisation un peu trop forte en faveur du logiciel libre. Ce sont des gens qui représentent le secteur informatique qui ont obtenu ça.
Le problème de ces avis-là c’est que les uns obtiennent un peu quelque chose, les autres obtiennent autre chose. Il y a un effet moyennant quand on débat avec une telle diversité d’acteurs et qu’on essaye de rédiger un avis. On arrive des fois à quelques petites incohérences ou, parfois, ça réduit un peu les ambitions de certains.
Laurent Costy : Bien sûr. De toute façon on sait très bien qu’imposer aurait presque plus d’effets néfastes, à long terme, qu’essayer de montrer la pertinence au quotidien et l’usage qui fonctionne avec une transition accompagnée, par exemple.
Simon Popy : Ça montre quand même qu’on a été capables, malgré cette diversité d’acteurs au sein du CESER, de tomber d’accord sur ces préconisations-là qui ne sont quand même pas si anodines que ça. je regrette un peu qu’on n’ait pas fait des libertés numériques un axe central de tout l’avis, là on en a fait un chapitre à part. Je pense que c’est une question fondamentale qui aurait dû cadrer toute la réflexion sur le numérique, sur cet avis sur le numérique, au même titre que le respect des limites planétaires. Je pense que tout ça aurait pu être un peu plus saillant dans l’avis, mais on a réussi à en parler, ce n’est déjà pas mal puisqu‘on partait vraiment de rien !
Laurent Costy : J’avais relevé aussi, dans le sommaire de l’avis, l’empreinte écologique du numérique. En lien avec France Nature Environnement, peux-tu nous détailler un petit peu ce qui a motivé l’écriture de cette partie-là ?
Simon Popy : Oui. Pour le coup c’est plus dans l’objet de mon association. Dans l’avis il y a tout un chapitre sur l’empreinte écologique du numérique qui est importante. On a commencé, là aussi, par faire un peu de pédagogie et des rappels parce que tout le monde ne se rend pas compte du fait que, derrière le numérique, il y a des infrastructures concrètes très importantes qu’on a tendance à oublier puisqu’on ne les voit pas. Et, d’après les estimations, en plus des infrastructures, on serait même aujourd’hui à 34 milliards d’équipements connectés et on pense que d’ici 2025 ça va être multiplié par trois à cinq à cause de la 5G. Derrière tout ce matériel concret, le plus gros impact du numérique c’est l’exploitation minière. On n’y pense pas forcément mais c’est le plus gros impact du numérique. Les mines sont extrêmement destructrices, énergivores et polluantes. Elles sont souvent loin des endroits où on consomme, elles ne se voient pas trop, il y en a beaucoup dans des pays moins développés que les nôtres.
Le deuxième impact c’est la consommation d’énergie, évidemment, avec, entre autres impacts, les émissions de gaz à effet de serre qui en découlent et puis aussi, à la fin, en fin de vie, ce sont 50 millions de tonnes par an de déchets électriques et électroniques.
L’empreinte écologique du numérique est vraiment énorme et elle est croissante. Il n’y a pas 36 solutions, ça passe forcément par la sobriété. C’est quelque chose que pointe l’avis du CESER. La sobriété est un grand mot, qui signifie, en creux, qu’aujourd’hui on est dans une sorte d’ébriété consumériste. La sobriété ça veut dire apprendre à s’auto-limiter, acheter des équipements qui ne soient pas forcément les plus puissants qui existent, les changer le moins souvent possible, réduire les usages superflus, ça veut dire réguler un peu les usages. Ça veut dire aussi lutter contre l’obsolescence matérielle et l’obsolescence logicielle qui passe, notamment, par l’open source et ça passe aussi par le recyclage, l’éco-conception, etc. Là-dedans, en fait, l’avis souligne que les logiciels libres ont aussi un rôle à jouer dans cette sobriété numérique. Il y a trois grandes raisons :
- la première c’est que le modèle économique des entreprises du logiciel libre n’est pas basé sur la vente de matériel et de licences. Il ne pousse pas à l’hyper-consommation. Il est basé sur la vente de services, c’est quelque chose qui va dans le bon sens ;
- ensuite, les systèmes libres consomment généralement moins d’énergie parce qu’ils répondent uniquement aux besoins des utilisateurs, ils n’imposent pas tout un tas de choses non souhaitées par l’utilisateur et inutiles. Ce sont des systèmes qui sont sobres en énergie ;
- et puis en plus, dernier point, il existe aussi des systèmes libres qui sont très légers, qui sont encore maintenus à jour et qui sont adaptés à des matériels de toutes les époques. C’est la base de l’économie du réemploi, c’est-à-dire que pour pouvoir réemployer des matériels un peu anciens, il faut avoir des logiciels et dans le monde du Libre on trouve ça.
Laurent Costy : C’est très éclairant et ça fait fortement lien avec la chronique que j’ai présentée juste avant notre sujet puisqu’on s’est servi du livre de Guillaume Pitron.
On va devoir faire une pause, Simon. Je vais repasser la parole à Étienne et on reprendra la suite sur la question de l’empreinte écologique et des risques du numérique pour la santé. On enchaînera.
Étienne Gonnu : Merci Laurent. C’est vraiment passionnant de vous écouter.
Avant de lancer la pause musicale, je vais juste évoquer notre émission numéro 125. Nous avions reçu notamment Agnès Crepet, de Fairphone, qui revenait sur un point que vous avez évoqué, Simon Popy, l’enjeu de l’exploitation minière. Elle expliquait justement l’engagement de Fairphone par rapport à cet enjeu. Je vous invite à retrouver le podcast sur libreavous/125.
Je vous propose, pour se reposer un peu les méninges, de faire une courte pause musicale. Nous allons écouter Allons voir par Demi-sel. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Allons voir par Demi-sel.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Allons voir par Demi-sel, disponible sous licence Art libre.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Nous écoutons un échange animé par Laurent Costy, vice-président de l’April, avec Simon Popy, membre du CESER Occitanie, qui a notamment rendu un rapport très intéressant sur la place du numérique dans nos vies.
Je te rends la parole Laurent.
Laurent Costy : « Comment mettre le numérique au service de l’humain et des territoires ? », c’est le rapport qu’a produit le CESER Occitanie.
Nous étions en train de parler de l’empreinte écologique du numérique qui, effectivement, n’est pas du tout éthéré comme on pourrait le penser, comme on aime à nous le faire croire. Les conséquences pour la planète sont d’ailleurs de plus en plus avérées et de plus en plus lourdes.
Je repasse la parole à Simon Popy qui était membre de la commission, qui va peut-être compléter, et enchaîner sur la question des risques du numérique sur la santé qui ont été évoqués dans le rapport.
Simon Popy : Pour finir sur la sobriété dont on était en train de parler, on a parlé de l’importance du choix des consommateurs, des citoyens consommateurs, mais la sobriété ne peut pas reposer uniquement sur le libre choix des consommateurs, surtout si le consommateur en question se fait matraquer de publicités toute la journée qui le poussent à faire exactement l’inverse de ce qu’il faudrait faire. Il faut évidemment aussi des politiques publiques qui aillent dans le sens de la sobriété à grande échelle.
Le problème c’est que quand on sort des discours sur les petits gestes individuels, des choix individuels de consommation, on se heurte très vite à un mur, dans le monde politique, dès qu’on commence à remettre en question le modèle de société dans lequel on vit, notamment les dogmes économiques en vigueur. J’ai pu le constater aussi au sein du CESER. C’est pour ça que dans l’avis du CESER, on constate qu’il y a à la fois un discours qui est très « développementiste », c’est-à-dire que le CESER demande à ce qu’on déploie la fibre et la 5G partout, le plus rapidement possible, au nom du droit d’accès universel, de l’équité territoriale, il y a tout un tas de raisons, évidemment, à ça, mais, d’un autre côté, on a aussi cette réflexion pour un numérique plus sobre. Donc quelque part, à un moment donné, on peut s’interroger sur le fait qu’il y a peut-être des incohérences, en tout cas ça se heurte et l’avis lui-même est quand même dans une espèce de schizophrénie entre cette volonté affichée de développer le numérique le plus possible partout, le plus vite possible et, en même temps, limiter les impacts environnementaux. Le pire c’est qu’il en a conscience puisqu’il y a une préconisation qui m’a fait un peu sourire : le CESER incite à dénoncer le double langage qui consiste à inciter les gens à faire des efforts de sobriété et, dans le même temps, les pousser à consommer au maximum.
Laurent Costy : Je l’avais relevé.
Simon Popy : C’est très bien que le CESER en ait conscience mais c’est vrai que quand je lis l’avis je reste quand même un petit peu sur ma faim. Par exemple j’aurais bien aimé qu’il soit clairement dit que le déploiement de la fibre est aujourd’hui contraire à la sobriété si les usages ne sont pas régulés. Le niveau de besoin n’est pas le même pour faire de la chirurgie à distance, pour faire simplement du télétravail ou pour regarder des vidéos en ultra HD, mais c’est politiquement incorrect de le dire aujourd’hui.
Laurent Costy : Je me permets de t’interrompre Simon. Le problème de cette question-là, que je trouve tout à fait légitime, c’est la question de la neutralité du Net. C’est-à-dire qu’on va rentrer en questionnement vis-à-vis de cette « sacro-sainte », entre guillemets, question de la neutralité du Net. Pour certaines communautés, c’est compliqué d’aborder ce sujet-là. On est aussi pris en sandwich.
Simon Popy : Bien sûr, il y a une question de liberté derrière, mais il y a un moment où la question des limites planétaires impose forcément des limites à nos libertés. La question, c’est comment elles sont gérées, comment elles sont décidées collectivement. Est-ce qu’il y a de la justice sociale dans les limites qui sont posées ? Est-ce que les uns ont des privilèges et les autres subissent ? Je trouve qu’on n’est pas encore allés loin sur cette réflexion-là dans cet avis, elle est complexe et peut-être que ce n’est pas au niveau régional qu’elle doit avoir lieu. En tout cas, c’est un peu le regret que j’ai.
Laurent Costy : Tout à fait. On sent bien ce contraste dans le rapport. On parle, à un moment donné, d’éteindre les appareils la nuit, de ne pas les laisser en veille. Est-ce que c’est la première des mesures à mettre en œuvre ? Je ne dis pas qu’il ne faut pas la mettre en œuvre, mais est-ce que c’est la première des mesures à mettre en œuvre face à ce que tu disais ?, la force, la puissance des GAFAM qui nous encouragent à acheter toujours plus, toujours plus vite, changer d’appareil encore plus rapidement. On le retrouve effectivement dans le rapport.
Simon Popy : Tu parlais de la santé. Très rapidement parce que, finalement, on n’a pas dit énormément de choses. Sur la question des ondes qui est le sujet un peu clivant, le CESER constate que la question n’est pas tranchée scientifiquement et que ça reste une question clivante ; même nous, au sein de notre commission, nous avons constaté que c’est un sujet sensible. À France Nature Environnement c’est un peu pareil. Nous sommes très critiques par rapport aux messages alarmistes sans fondement scientifique solide ; clairement, aujourd’hui, il n’y a pas de fondement scientifique solide. Nous sommes aussi assez critiques face à tous les discours qui diabolisent la technologie en elle-même, par exemple, pour nous, ce n’est pas la 5G qui est mauvaise, il faudrait plutôt s’interroger sur l’usage qu’on en fait. Ce sont les usages qu’on en fait qui peuvent être mauvais.
Concernant les ondes, étant donné qu’aujourd’hui la question n’est pas tranchée scientifiquement, de manière solide, ça veut dire que peut-être il y a un problème, donc on demande d’appliquer le principe de précaution.
Par ailleurs, en termes de santé, l’avis du CESER rappelle aussi qu’il ne faut pas oublier que le numérique a bien d’autres répercussions sur la santé qui sont beaucoup plus documentées et avérées, tous les impacts sur les troubles visuels, sur les troubles liés à la sédentarité, donc tous les troubles musculo-squelettiques, etc., qui sont liés à un mode de vie où on est devant son ordinateur toute la journée et aussi des troubles psychologiques dans certains cas, même de l’addiction aux jeux, etc. Ce sont des choses importantes sur lesquelles il faut absolument qu’il y ait de la sensibilisation. Le CESER constate, il ne fait pas vraiment de préconisations particulières à part faire de la sensibilisation au maximum, mais il n’a pas de solutions clefs en main.
Il faut rappeler qu’il y a quand même, au total, 52 préconisations dans l’avis du CESER sur le numérique, sur tout un tas de sujets autres : la fracture numérique, les aides sociales, la formation, le télétravail, la cybersécurité, etc. J’incite tout le monde à aller regarder cet avis.
Laurent Costy : J’avais relevé aussi page 131 justement, je continue dans les recommandations, j’en avais relevé quelques-unes : « Inciter la Région à faire un bilan de sa dépendance au GAFAM concernant ses outils numériques (ordinateurs, tablettes, système d’exploitation, logiciels de bureautique…). » Je trouve que cette démarche-là est extrêmement intéressante parce que ça peut permettre de mesurer l’ampleur de l’entrisme de ces structures-là, par contre ce n’est peut-être pas simple à mettre en œuvre.
Simon Popy : C’est le type de préconisation qui est assez classique venant du CESER. Quand on a un phénomène comme ça, la première chose à faire pour prendre des bonnes décisions politiques c’est de bien observer et de bien mesurer le phénomène. C’est classique. On peut créer un observatoire, ce sont des choses qui se font, ça pourrait très bien se faire ou faire un audit de toute l’administration régionale avec cet angle-là. Derrière, une fois qu’on a des bonnes données, qu’on sait où on en est, normalement les décisions peuvent être prises de manière un peu mieux étayées.
Laurent Costy : Est-ce qu’on sait si d’autres régions ont déjà fait ce travail-là, si l’Occitanie ne l’a pas encore fait ?
Simon Popy : Je l’ignore. Par contre on a remarqué que cette question-là était quand même un peu plus prise en compte dans un certain nombre de régions puisqu’il y a pas mal de régions qui ont notamment des GIP, groupements d’intérêt public, pour promouvoir auprès des administrations des solutions en Libre. C’est, par exemple, quelque chose qui manque en Occitanie. On voit bien que dans certaines régions il y a une prise de conscience un peu plus forte que dans notre région.
Laurent Costy : D’accord. On essaiera de voir si, dans d’autres régions, il y a eu ce genre de recherche.
J’ai retrouvé la préconisation 45, « dénoncer le double langage qui consiste à inciter les gens à faire des efforts de sobriété et, dans le même temps, les pousser à consommer un maximum. » Ce n’est pas toujours évident d’avoir cette prise de conscience-là. Le fait de l’écrire montre qu’il y a déjà une prise de conscience et, effectivement, l’ambiguïté qu’on peut avoir au quotidien, qu’on retrouve dans nos quotidiens, à notre échelle, et évidemment à des échelles régionale ou nationale. Même si, évidemment, il faudrait aller beaucoup plus loin, je pense qu’il faut passer par cette prise de conscience-là pour pouvoir, après, aller au-delà et se poser les questions qu’on se posait tout à l’heure : est-ce qu’il n’est pas temps de se reposer la question de la neutralité du Net, évidemment avec la précaution de savoir qui décide, qui décide quoi, comme le disait Shoshana Zuboff dans Le capitalisme de surveillance, être très vigilant sur qui décide.
Très bien. En tout cas merci pour tous ces éclaircissements.
J’avais aussi relevé en annexe, page 113 du rapport, quelque chose qui me tient beaucoup à cœur sur la question du numérique. Évidemment qu’on essaye de nous dire que la société va être complètement numérisée, on ne va plus avoir d’options. Finalement il y a une référence au Défenseur des droits qui préconise – il est lui aussi dans la préconisation, je ne pense pas qu’il y ait valeur de décision –, en tout cas qui préconise d’avoir toujours plusieurs modalités d’accès aux services publics en dehors du numérique. Peux-tu éclairer un peu ça si tu maîtrises un peu la question ?
Simon Popy : Je ne maîtrise pas suffisamment cette question-là. Très franchement ça sort un peu de mes compétences. Nous nous sommes effectivement intéressés à ce que préconise le Défenseur des droits et nous avons repris à notre compte cette préconisation-là. Ça sort un peu de mes compétences.
J’ai vu aussi, récemment, quelque chose qui est très intéressant, la loi Reen. Que veut dire Reen ?
Étienne Gonnu : Réduction de l’empreinte environnementale du numérique.
Laurent Costy : Merci Étienne.
Étienne Gonnu : L’April s’était un peu mobilisée sur cette question justement pour contribuer au fait que le logiciel libre doit être un des vecteurs d’une informatique plus durable.
Simon Popy : J’ai vu qu’elle a été adoptée en novembre 2021, c’est vraiment tout récent. Je me dis que ça va peut-être changer un peu la donne. Il y a plein de choses intéressantes. Il y a un article qui dit que « toute technique, y compris logicielle, dont l’objet est de restreindre la liberté du consommateur d’installer les logiciels ou les systèmes d’exploitation de son choix sur son terminal serait interdite à l’issue d’un délai prévu par le code de la consommation », je n’ai pas regardé quel est le délai, mais il me semble avoir lu que c’est deux ans. J’ai l’impression que cette loi aura pour impact, par exemple, d’empêcher la région Occitanie de fournir des ordinateurs aux lycéens qui soient totalement verrouillés, en tout cas peut-être momentanément, mais à partir d’un certain temps, ils devraient être déverrouillés, si j’ai bien compris l’esprit de cette nouvelle loi.
Laurent Costy : D’accord. C’est un éclairage que je n’avais pas perçu, mais ça peut effectivement aider à prolonger la durée de vie des ordinateurs, des tablettes, etc.
On a échangé un peu préalablement, j’avais une question sur comment fonctionnent les avis qui sont produits en région par rapport aux autres régions ? Est-ce qu’il y a des interactions, des échanges entre les différents CESER ? Par exemple, avant de commencer à produire un avis, vous regardez ce qui est produit dans les autres régions sur le même sujet ? Est-ce que c’est fédéré – ce n’est peut-être pas le bon mot –, mais comment le CESER s’empare-t-il de toute la matière qui est produite ? Peux-tu nous éclairer un peu ? La question, évidemment sous-jacente, c’est quel effet un avis comme celui qui vient d’être produit peut avoir à court, moyen, long terme ?
Simon Popy : D’abord sur les relations entre les différents CESER, les CESE, il n’y en a pas énormément. C’est déjà compliqué de travailler en interne dans chaque CESER, il y a déjà toutes les relations entre les différentes commissions à mettre en œuvre, c’est quand même complexe.
Sur ce sujet du numérique je n’ai pas connaissance qu’il y ait des interactions entre les CESER, mais ça arrive. Sur la pollution de la mer par les plastiques, par exemple, qui est un peu l’urgence maritime, il va y avoir un événement mutualisé qui est en construction pour l’automne 2022, qui va d’ailleurs se passer à Montpellier. Ça arrive parfois qu’il y ait des actions communes entre CESER.
Après, les conseillers des CESER font partie de structures nationales, d’associations, je fais partie d’une association nationale, les syndicats, pareil, ils font partie d’organisations nationales, donc on peut avoir des liens informels avec nos homologues d’autres CESER, ce qui crée pas mal de liens transversaux entre les CESER, c’est par exemple mon cas : il y a d’autres membres de FNE dans la plupart des CESER, et aussi avec le CESE puisqu’on a aussi des membres dans les CESE.
Après, qu’est-ce qu’on peut espérer ? J’espère que la région Occitanie va suivre certaines de ces préconisations. Si on reste à la question du Libre, il y a quand même de quoi faire si on compare avec les politiques d’autres régions. On a clairement mis en évidence qu’en Occitanie il y a un petit effort à faire. Après, le CESER a pour vocation d’aiguillonner la majorité régionale, mais ses avis sont juste consultatifs. On espère qu’il va en rester quelque chose.
Laurent Costy : Il faut quand même un peu d’espoir sinon !
Simon Popy : Voilà ! Et il faut faire vivre ses avis. C’est un peu pour ça que j’interviens à la radio pour le faire connaître, pour que d’autres gens le reprennent, pour que la région ait bien conscience qu’il existe, qu’elle s’intéresse à ce qu’on dit dedans, que ça ne reste pas juste un texte publié qui finit dans un coin. Il faut que les gens s’en saisissent.
Laurent Costy : Comment, en tant qu’association ou citoyen, peut-on aider les CESER, peut-être, à promouvoir des avis ? Relayer ?
Simon Popy : Je pense qu’il faut déjà lire les avis des CESER.
Laurent Costy : C’est une première étape.
Simon Popy : Oui. Vous verrez. C’est vraiment très riche. Et puis il ne faut pas hésiter à les utiliser dans vos plaidoyers, il faut les citer, il faut s’y référer. C’est vrai que quand un CESER a préconisé telle ou telle chose, ça a quand même un certain poids, quand on s’y réfère dans unargumentaire.
En dehors de ça, pour ce qui nous occupe c’est-à-dire l’essor du logiciel libre, il y a déjà à faire soi-même l’effort de passer au Libre dans un cadre personnel, professionnel, associatif. Je pense que c’est important et après, il faut que chacun s’implique dans les débats publics quand il en a l’occasion. Ça a été mon cas. En tant qu’écologue je n’avais pas forcément vocation à promouvoir le logiciel libre au CESER, mais voilà ! L’occasion s’est présentée, je l’ai fait. Il faut aussi que chacun prenne ses responsabilités. Il y a une autre chose qui est très importante, c’est aussi vrai dans le domaine de l’écologie que dans le domaine du numérique, il faut se structurer collectivement et, pour ça, je pense que des associations comme l’April ont toute leur place. Il faut soutenir les associations qui permettent d’amplifier le mouvement.
Laurent Costy : Je ne peux qu’acquiescer. Il nous reste une dizaine de minutes. J’aurais encore deux questions. Peut-être la question de l’école, on l’a un peu évoquée avec le matériel fourni aux élèves. Finalement, il y a plusieurs échelons, il y a les collèges, les écoles, on sait que les décideurs ne se situent pas au même niveau. Évidemment le CESER a fait un avis un peu global, mais est-ce qu’il y a des moyens d’agir un peu plus concrètement qu’un avis un peu global ? C’est peut-être une première question. Et après je te laisserai conclure, peut-être répéter le message le plus important de cet échange que nous avons pu avoir, dans les dix minutes qui nous restent.
Simon Popy : Pour l’école dans les compétences du CESER et dans les compétences régionales il y a quand même les lycées. Je pense que la région a des moyens d’agir, en tout cas au moins au niveau des lycées, c’est-à-dire, quand on équipe un lycée en matériel informatique, essayer de ne pas l’équiper forcément avec du matériel neuf, il peut y avoir de la mutualisation, et surtout avec des logiciels libres. Faire de la formation des étudiants dès le départ à la programmation, enfin à la maîtrise des outils, qu’ils ne soient pas d’emblée dans une situation de consommateurs primaires de numérique.
Il y a d’autres niveaux, je pense que le niveau universitaire est aussi très important. En tant que dirigeant associatif je suis assez désespéré d’accueillir des étudiants stagiaires qui ont été formés sur des logiciels propriétaires et qui sont incapables d’en sortir, vraiment !, qui nous rendent parfois des travaux qui sont non réutilisables si on n’achète pas leur logiciel, le logiciel que leur formation leur a imposé, sans compter qu’eux-mêmes, souvent, n’ont pas les moyens de se payer ces logiciels-là, qu’ils utilisent des versions piratées alors que des équivalents en Libre existent. Je pense que dans le secteur de l’enseignement supérieur il y a vraiment beaucoup à faire. Voilà pour l’école. Je pense que ça se passe peut-être un peu au niveau régional, mais ça se passe surtout au niveau réglementaire. Je sais qu’il y avait eu plusieurs tentatives de faire passer des textes qui soient un peu plus contraignants et je sais qu’à chaque fois ça a été un peu détricoté, amendé et affaibli. C’est un combat qu’il faut continuer à mener.
Après que retenir ? Une chose qui me frappe un peu dans le monde du militantisme qui est quand même très présent au CESER au travers des syndicats, des associations sociales, c’est aussi un peu pareil dans les partis politiques on va dire de gauche, je trouve qu’il y a une faible prise de conscience de l’importance des questions de liberté numérique. Vraiment ! On a parfois des militants qui se sont battus toute leur vie pour les libertés en général, dans la société, et quand on passe dans le monde numérique d’un coup c’est comme ça, il n’y a pas d’alternatives et je trouve que c’est regrettable. Il y a peut-être un effet générationnel, c’est sûr, en tout cas dans des instances comme le CESER. J’espère que ça va changer. Si on ne s’intéresse pas aux libertés numériques dans un monde qui devient complètement numérique, je pense que l’avenir est très sombre !
Laurent Costy : Je converge avec ce constat. C’est vrai que ce n’est pas toujours simple de faire comprendre les enjeux qui sont liés aux libertés informatiques. Je découvre aussi des associations qui sont très sensibles à la question de l’aval, c’est-à-dire comment soigner, quelque part, comment essayer de faire comprendre aux jeunes, leur faire prendre conscience de leurs usages, etc., donc qui sont plutôt dans l’aval, mais elles ne se posent pas du tout la question de l’amont. Cette mise en cohérence de se préoccuper de l’aval et de l’amont me semble vitale. Effectivement, on n’a pas encore abouti sur cette mise en cohérence. On avance, mais je dirais qu’on n’a pas encore abouti à tous les échelons associatifs.
Simon Popy : C’est pareil pour nous à France Nature Environnement, nous sommes traversés par ces réflexions et ce n’est pas toujours évident. Nous sommes très divers et ce n’est pas toujours la priorité de se préoccuper des logiciels libres. Il y a quand même eu un certain nombre d’expérimentations intéressantes, par exemple quasiment tout le mouvement FNE est passé sous CiviCRM, qui est un système libre de gestion de tout ce qui est base de données et contacts. Donc il y a des expérimentations, il y a des réflexions en cours. C’est vrai que nous aussi nous avons pas mal de progrès à faire.
Laurent Costy : On pourra peut-être te réinviter ultérieurement pour que tu nous expliques justement comment s’est engagée et comment se poursuit la migration, peut-être, vers le logiciel libre à France Nature Environnement Occitanie ou peut-être à l’échelon national parce que ce sont des questions de réseau, c’est ce que tu disais tout à l’heure, on est obligé de se mettre en réseau pour peser plus. Comment on travaille en réseau toutes ces questions. On a déjà eu des sujets comme ça avec certaines associations. Je trouve qu’avoir une perspective et une diversité de vision est toujours extrêmement riche et extrêmement intéressant. On te réinvitera.
Je vais peut-être devoir clore le sujet. On va en rester là pour cette fois, sauf, Simon, si tu as un dernier mot, une dernière minute.
Simon Popy : Pour la prochaine invitation peut-être qu’il faudra faire appel à un technicien plus compétent que moi sur les arcanes informatiques de la fédération. En tout cas je vous remercie vraiment de m’avoir invité pour m’exprimer sur cet avis du CESER. Je vous encourage à nouveau à le lire et vive le logiciel libre !
Laurent Costy : Merci beaucoup, Simon, et je répète, lisez cet avis !
Étienne Gonnu : Merci beaucoup pour ce témoignage et pour ces belles paroles de conclusion.
Juste le temps de faire ce petit aparté. Vous mentionnez la loi pour une réduction de l’empreinte environnementale du numérique. On sait qu’un facteur important c’est l’obsolescence logicielle qui consiste, notamment, à des systèmes de restriction d’installation de logiciels, des restrictions qui rendent difficile, voire impossible l’installation de systèmes d’exploitation libres sur un ordinateur souvent sous des prétextes de sécurité, on sait que c’est un gros enjeu pour la durabilité des systèmes. L’April avait poussé un amendement pour rendre ce genre de restrictions illicite. Malheureusement un amendement a conditionné cette interdiction à l’expiration de la période de conformité légale de deux ans, ce qui, à notre sens, réduit quand même assez fortement l’impact positif de l’amendement. Mais bon !, ça avance tout de même dans la bonne direction. Vous retrouverez l’analyse de l’April, je mettrai le lien sur la page des références de l’émission.
En tout cas un grand merci pour ce temps d’échange que j’ai trouvé vraiment très intéressant. Justement on n’a pas forcément toujours besoin d’une lecture technique. C’est important aussi de savoir prendre ce temps d’une lecture politique des enjeux. Je pense que ce rapport permet cela et cet échange aussi.
Merci beaucoup Simon. Merci Laurent.
Laurent Costy : Merci Étienne. Merci Simon.
Simon Popy : Merci beaucoup.
Étienne Gonnu : Je vous propose à présent de faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après la pause musicale nous retrouverons une nouvelle pituite de Luk.
En attendant je vous propose d’écouter Room 208 par Aerocity. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Room 208 par Aerocity.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Room 208 par Aerocity, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April. Nous allons passer à notre dernier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique la « Pituite de Luk », intitulée « TGCM »
Étienne Gonnu : Savez-vous ce que signifie « TGCM » ? Une incantation aussi utile aux professionnels de l’informatique qu’aux passionnés de jeux de rôle. Non ? Luk va nous donner sa réponse. On écoute sa nouvelle pituite et on se retrouve juste après toujours sur Cause Commune, la voix des possibles.
[Virgule sonore]
Luk : Pendant le débat que j’ai pris bien soin de ne pas regarder, Macron a fait le buzz avec son « c’est pas Gérard Majax ce soir ». En 2018, il avait affirmé qu’il n’y a pas d’argent magique. Faut croire que Macron n’est pas un fan d’Harry Potter, c’est pas demain la veille qu’on le verra se dandiner avec un manche à balai coincé entre les cuisses dans un championnat de Quidditch. Dommage !
Je peux comprendre ça, je fais moi-même partie de la secte des rationalistes, mais je dois bien admettre que la pensée magique a ses vertus, chez les développeurs par exemple. Pour situer les développeurs, ce sont ces créatures dans lesquelles on verse du café d’un côté et qui pissent du code de l’autre. Les développeurs, donc, ont leurs incantations et leurs pratiques ésotériques. Combien de fois ai-je entendu que leur machin était tombé en marche ? Ils chérissent la méthode agile qui commence par des rituels. L’informatique est peuplée de fanatiques qui s’étripent pour savoir quel est le meilleur langage, la meilleure techno. Faire un mauvais choix et c’est le malheur qui s’abattra sur son projet.
L’informatique c’est aussi les superstitions consistant à ne pas faire de mise en prod le vendredi et ce doute mystique sur son propre code qui impose de tout constamment tester, mais pas en prod. Tout ça pour continuer à produire des bugs au final ! L’informatique a même ses rebouteux dont l’adage est « dans le doute reboote, si ça rate formate ».
La pensée magique, ça rend la vie plus simple, mais encore faut-il que ça tienne debout. Par exemple, dans le dernier Spider-Man au cinéma, le Docteur Strange utilise ses pouvoirs non pas pour altérer le cours du temps, mais pour faire oublier qui est Peter Parker à la terre entière. Oui mais… Au début du film l’information est partout à la télé et sur les réseaux sociaux. Donc même si tout le monde oublie cette info, il ne faudrait pas longtemps avant qu’ils retombent massivement dessus, donc ça ne peut pas marcher. Or, il y a en jeu de rôle une notion qu’on appelle le TGCM pour « Ta gueule, c’est magique ! ». Le scénario de Spider-Man ne tient pas debout ? Ta gueule, c’est magique !
Et quand on observe notre réalité, on s’aperçoit que la notion y est utile également. Amazon, avec sa rentabilité hors pair, ne paye pas d’impôts chez nous pour l’année 2021 parce qu’elle est en déficit sur le territoire national. Elle y a pourtant accumulé plus de 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Comment c’est possible ? Oh ! Ta gueule, c’est magique !
Et puis Amazon est loin d’être le seul ! Même McKinsey, le fer de lance des cabinets de conseil, qui a bénéficié de contrats publics juteux pour refaire le boulot de nos hauts fonctionnaires, n’en paye pas non plus. Par contre, pour livrer des rapports anémiques et des diaporamas réchauffés, il y a du monde. Mais comment… Oh ta gueule, c’est magique !
On dit que les cabinets de conseil sont pros, neutres et cantonnés à des sujets techniques, mais il y a quand même des hauts cadres français de McKinsey qui ont fait campagne pour Macron. Et, de l’autre côté de l’océan Indien et Pacifique réunis, leur branche américaine est mouillée dans le scandale des opioïdes. Elle travaillait à la fois pour la FDA [Food and Drug Administration] et Purdue Pharma et se vantait auprès de ses clients privés de son influence sur l’autorité publique. Pourquoi ça serait différent chez nous ? Ta gueule, c’est magique !
Bon ! Autre sujet. J’ai le privilège de travailler dans une boîte qui a vendu son âme à Microsoft. Une collègue inspirée a renommé un truc dans l’abominable Teams et depuis les fichiers du groupe ne s’affichent plus. J’ai fait appels aux experts de la hotline et après des interventions multiples et des escalades de support suffisantes pour se retrouver au sommet de l’Everest, l’expert a émis un avis technique et circonstancié : « Il s’est passé des trucs bizarres et ça ne marche plus ». Ça, plus les synchros foireuses, les fichiers Office qui peuvent s’ouvrir dans trois environnements différents avec à chaque fois un périmètre fonctionnel particulier, qui sont enregistrés on ne sait pas où dans un cloud nébuleux, les liens qui pètent spontanément, font que les gens se posent des questions. Quelqu’un m’a demandé, je reformule un petit peu, « comment ça se fait qu’on dépense un pognon de dingue dans une telle usine à gaz buguée et fonctionnellement conçue avec le cul, alors que la GED Alfresco [Plateforme open source de gestion électronique de documents, NdT] qu’elle avait juste avant marchait au poil ? ». « Ta gueule, c’est magique », que je lui ai répondu !
Dimanche dernier, j’ai encore une fois mon devoir de castor électoral. Mais comment ça se fait que notre régime politique mette au pouvoir un candidat que ne désire vraiment que 20 % max de la population en âge de voter ? Magique aussi sans doute ! Mais cette fois, j’ai décidé de tenter des exorcismes. Je vais m’astreindre à appliquer une compensation Macron. Un peu comme la compensation carbone, ça consiste à financer des initiatives qui révèlent et combattent ses turpitudes, militent pour ce qui devrait être nos priorités. Ce ne sera certainement pas magique, mais, au moins, j’aurai tenté un truc !
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter la pituite de Luk sur le sujet TGCM.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Nous approchons de la fin de l’émission et nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Étienne Gonnu : Lors du sujet long il a été effectivement question de l’intérêt de faire un état des lieux des logiciels utilisés au sein de l’administration. L’April soutient justement une proposition réalisée dans le cadre d’une consultation menée par la Cour des comptes, une proposition d’évaluation des dépenses en logiciels et en services en ligne des administrations centrales. Une telle évaluation semble en effet très pertinente pour mieux appréhender la réalité des dépendances de l’État à certaines solutions privatrices et, en tout état de cause, un prérequis pour la mise en œuvre d’une politique un tant soit peu ambitieuse pour un plus grand usage du logiciel libre au sein des administrations publiques. Nous vous invitons donc à soutenir cette proposition. L’inscription à la plateforme, basée sur le logiciel libre Decidim, ne nécessite qu’une adresse courriel et peut être faite sous pseudonyme.
L’April organise un April Camp les 18 et 19 juin 2022 en présentiel dans le 11e arrondissement de Paris. Il est aussi possible de participer à distance. L’idée d’un April Camp est de se réunir entre membres et soutiens de l’April pour faire avancer des projets en cours, lancer de nouveaux projets, se rencontrer. Les projets peuvent être de nature technique, sur des outils de communication, etc. Tout le monde, membre ou pas de l’association, peut participer en fonction de son temps disponible, de ses compétences, de ses envies. Donc n’hésitez pas à nous y retrouver.
La 11e édition des Geek Faëries aura lieu du vendredi 3 au dimanche 5 juin au château de Selles-sur-Cher dans le Loir-et-Cher. C’est une annonce de service pour nos membres, car nous cherchons des bénévoles pour animer notre stand. Si vous êtes disponible vous pouvez vous inscrire sur la page wiki et nous vous demandons de le faire avant le 29 avril à 9 heures. Vous retrouverez bien sûr le lien sur la page des références de l’émission.
Nous avons aussi appris aujourd’hui que le milliardaire Elon Musk avait tout simplement, dans le plus grand calme, acheté Twitter. Si vous utilisez cette plateforme et avant de voir ce que cette personne va décider de faire avec son nouveau jouet, nous vous invitons à venir découvrir le réseau libre de microblogging Mastodon. Pour rejoindre Mastodon il faut s’inscrire à l’une des instances parmi toutes celles qui composent ce réseau fédéré. Vous pouvez, par exemple, vous inscrire à l’instance du Chapril, la contribution de l’April au Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires, le Collectif CHATONS. Venez nombreux et nombreuses, c’est super sympa. J’en profite pour faire un très grand merci à l’ensemble des bénévoles qui font vivre le Chapril.
Comme d’habitude retrouvez l’ensemble des événements et des organisations libristes près de chez vous sur agendadulibre.org.
Il nous reste encore un peu de temps, occasion de rappeler que l’April diffuse sur la radio Cause Commune qui repose essentiellement sur la contribution bénévole et qui dit bénévole dit aussi besoin d’aide financière. N’hésitez pas à soutenir la radio par un don. Si vous voulez contribuer avec d’autres choses, n’hésitez pas à prendre contact avec la radio ce sera toujours bienvenu. Vous pouvez aussi laisser des messages sur la page de la radio pour partager vos retours et porter votre amour à la radio Cause Commune qui est une superbe radio. C’est un vrai plaisir de partager à ce projet avec notre émission Libre à vous !
Notre émission se termine.
Je vais remercier les personnes qui ont participé à l’émission : Laurent et lorette Costy, Simon Popy, l’incroyable luk.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Isabella Vanni.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, toutes et tous bénévoles à l’April, Quentin Gibeaux qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet. Et merci à Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Vous trouverez sur notre site, libreavous.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu mais aussi les points d’amélioration. Nous accueillons vraiment avec beaucoup de plaisir ces différentes contributions car quand on parle ainsi à la radio, on ne voit pas à qui on parle, on ne sait pas qui nous écoute. Ces retours nous font vraiment plaisir. Vous pouvez aussi nous poser toute question et nous y répondons en direct ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct le mardi 3 mai 2022 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur la reconversion professionnelle vers les métiers de l’informatique. Ce sujet long a été enregistré la semaine dernière par ma collègue Isabella Vanni, un échange vraiment passionnant avec des profils atypiques. Nous avions déjà fait un tel sujet sur la reconversion professionnelle. La diversité de ces profils, la diversité des parcours montre justement tout ce qu’il est possible de faire en informatique. C’est un échange passionnant.
Isabella Vanni : Il reste une minute pour préciser qu’on a déjà fait une émission sur la reconversion professionnelle vers les métiers de l’informatique. On a enregistré un échange avec deux personnes qui se sont reconverties dans des métiers en lien avec le Libre, une chargée de communication pour une association en lien avec le Libre et un médiateur numérique. Juste pour la précision.
Étienne Gonnu : Parfait. Merci beaucoup Isa.
Laurent Costy : Je veux juste dire à ma décharge que l’horloge murale a deux minutes d’avance ce qui m’a un peu perturbé pour le sujet tout à l’heure. Ça meuble ?
Étienne Gonnu : L’échange était vraiment intéressant, ce n’était pas la peine de se presser, c’est la vie du direct, je pense que personne ne nous en tiendra trop rigueur. On va bientôt entendre le superbe générique, occasion de rappeler ce qu’est ce générique. Il s’agit de Wesh Tone réalisé par Realaze. Un morceau qui fait partie de l’identité de Libre à vous ! et qu’on a toujours plaisir à rediffuser, un morceau, bien sûr, sous licence libre.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. Comme je vous le disais, on se retrouve en direct le 3 mai et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.