Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Œuvres libres et libérés, un échange avec une autrice et un gérant de maison d’éditions publiant sous licence libre, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Également au programme une nouvelle « humeur de Gee », « Ça y est, je suis fracturé du numérique » et aussi la deuxième partie des « Lectures buissonnières » de Vincent Calame sur « Semences, une histoire politique »
Soyez les bienvenu·e·s pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours et à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 24 octobre 2023, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission, pour sa toute première réalisation en solo, Magali Garnero alias Bookynette. Salut Booky.
Magali GarneroSalut à tous.
Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
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Chronique « Les humeurs de Gee » - « Ça y est, je suis fracturé du numérique »
Étienne Gonnu : Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille, nous expose son humeur du jour : des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique.
Il y a presque un an, Gee nous proposait une chronique sur « Les fracturés du numérique ». Serait-il, lui aussi, tombé dans les affres de la fracture numérique ?
Gee : Salut Étienne, est-ce que tu m’entends ?
Étienne Gonnu : Je t’entends. D’habitude tu es avec nous en studio et aujourd’hui, exceptionnellement, tu participes à distance.
Gee, on t’écoute.
Gee : Salut à toi public de Libre à vous !.
Effectivement, comme Étienne le disait, il y a un an, presque jour pour jour, notamment si j’avais fait ma chronique la semaine dernière, comme c’était prévu, malgré le Covid, du coup. Le 15 novembre 2022, je donnais sur ce plateau ma troisième chronique de l’émission qui s’appelait « Les fracturés du numérique ».
Je ne vais pas vous la refaire, mais, si je résume, je commençais par une petite anecdote sur la déclaration Urssaf que je venais de remplir en ligne, en expliquant que je trouvais ça génial de pouvoir faire ses démarches par Internet, tranquillement installé chez soi. Ensuite je relativisais en disant que c’était, par contre, une très mauvaise idée de rendre le numérique obligatoire et d’en profiter pour supprimer toutes les alternatives : courrier papier, téléphone ou guichet physique. Je vous parlais notamment de la fameuse fracture numérique en rappelant quelques chiffres de 2018 assez parlants : 23 % de la population française déclarait ne pas être à l’aise avec le numérique, 36 % déclarait être inquiète à l’idée d’accomplir des démarches administratives en ligne, 19 % déclarait avoir déjà renoncé à une démarche parce qu’elle impliquait l’utilisation d’Internet.
Évidemment je me plaçais dans la position du geek, très à l’aise avec le numérique, pour qui la numérisation des services était fort pratique, mais qui avait bien conscience que l’intégralité de la population française ne se compose pas uniquement de geeks très à l’aise avec le numérique. Bref, j’étais dans la position d’un mec privilégié, qui offre sa compassion à ses camarades fracturés du numérique, en expliquant l’importance fondamentale d’alternatives non numériques.
Eh bien un an après, ça y est, je vous l’annonce, moi aussi je suis désormais un fracturé du numérique ! Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que je refuse d’associer mon petit ordiphone à un compte Google. Ça a l’air tout con ! Et pourtant, être dégooglisé vous rend la vie de plus en plus difficile de nos jours. Je vous explique.
Le hasard fait que ça concerne encore une fois l’Urssaf.
Il se trouve qu’ayant récemment déménagé de mon ancien logement à Nice pour rejoindre l’Île-de-France, j’ai évidemment cherché comment changer la domiciliation de ma micro-entreprise, celle avec laquelle je déclare mes activités de blogueur, de vendeur de livres et de jeux vidéo.
Je regarde donc sur Internet comment changer d’adresse et l’Urssaf me renvoie vers l’INPI, Institut national de la propriété industrielle qui présente fièrement son tout nouveau guichet unique. Je remplis donc mon petit formulaire de changement d’adresse – petit formulaire de sept pages, OK, c’est un peu long, mais on me dit de remplir, je remplis, je suis plutôt arrangeant – et, ensuite, on me demande de le signer électroniquement. Comment ? Eh bien en passant par FranceConnect + et j’insiste sur le « + » ; si vous avez déjà utilisé FranceConnect tout court, sachez que ça n’est pas du tout la même chose ; FranceConnect c’est sympa je m’en suis déjà servi sans problème. Non ! FranceConnect + c’est différent. C’est un système qui permet donc une signature électronique avancée, reposant sur un certificat qualifié, et FranceConnect + plus vous demande deux choses : un, être majeur, bon, ça OK ; deux, disposer d’un smartphone Android ou iPhone.
Ah ! Déjà là pardon, moi je tique, parce que dans les chiffres que j’ai cités sur la fracture du numérique j’en ai oublié un : 13 % de la population française ne dispose pas d’un tel smartphone, ce qui fait quand même huit millions de personnes. OK, tu peux retirer les mineurs qui ne sont pas concernés, mais le taux sera alors probablement pire vu que les personnes âgées sont statistiquement moins équipées que les jeunes.
Là je commence à être un peu agacé, pour ne rien te cacher, parce que c’est typiquement le genre de chose que je dénonçais dans ma fameuse chronique de l’année dernière : des démarches censées devenir simplifiées – là on nous parle de guichet unique, on sent bien le côté « c’est plus simple » –, mais qui, en fait, compliquent énormément la vie à tout un tas de gens. Tout un tas de gens mais pas moi, évidemment, moi le numérique, encore une fois, ça va ! D’ailleurs j’ai un smartphone Android, donc je me dis que c’est bon, je vais télécharger leur appli, l’« Identité Numérique La Poste ». Je ne sais pas pourquoi c’est la poste qui gère ça, les desseins de l’administration française sont impénétrables.
Étant moi-même dégooglisé, mon téléphone, évidemment, ne possède pas les fameuses applications Google, notamment le Play Store, le magasin d’applications. J’utilise Aurora, un logiciel libre qui permet de télécharger les applications du Play Store sans passer par Google Play et, en général, ça marche plutôt bien.
Eh bien surprise, pas là ! Une fois l’application installée je la lance et je tombe sur ce petit message « Erreur, vous devez installer l’application depuis Google Play ». Je ne vous mens pas, à ce moment-là j’étais à deux doigts de balancer mon téléphone par la fenêtre.
Obliger les gens à passer par Internet pour faire leurs démarches, c’est une chose ; les obliger à avoir un smartphone, c’est encore autre chose ; les obliger à installer leurs applis depuis Google Play ça veut dire les obliger à posséder un compte Google associé à leur téléphone et ça, c’est vraiment autre chose !
Quand je mets bout à bout cette expérience, le résumé tient en une phrase : pour changer l’adresse d’une micro-entreprise en France, il est obligatoire d’avoir un compte Google ! Je vais la répéter parce que j’hallucine que cette phrase soit vraie en 2023, dix ans après les révélations d’Edward Snowden sur le système de surveillance mondiale des États-Unis, système de surveillance qui repose largement sur la collaboration des GAFAM : pour changer l’adresse d’une micro-entreprise en France, il est obligatoire d’avoir un compte Google ! Mais on est où, là, sans déconner ? II y a des trucs qui me mettent en colère, mais ce truc-là ça me fait enrager, ce truc me rend dingue, j’en ai même fait une BD qui a pas mal tourné et maintenant cette chronique.
J’évacue tout de suite les remarques techniques « c’est le SafetyNet de Google, c’est le seul moyen de certifier que c’est l’utilisateur qui blablabla », je m’en tape en fait, ce n’est pas une question technique c’est une question politique ! Si vous n’êtes pas capables de mettre en place des démarches sécurisées, en ligne, sans reposer entièrement sur une entreprise d’un pays qui se torche avec la vie privée de tout le monde à grands coups de Patriot Act eh bien ne le faites pas ! Et puis, au moins, ne rendez pas ça obligatoire !
Dans ma BD, je disais que j’avais trouvé une alternative en envoyant un bon vieux formulaire Cerfa, papier, à mon Urssaf. Pas du tout ! Mon Cerfa est parti à la corbeille, direct, et j’ai eu une réponse automatique de l’Urssaf qui me répète de passer par le guichet unique de l’INPI.
Du coup j’ai envoyé un mail à l’INPI pour leur demander s’ils avaient une solution pour signer mes documents sans passer par FranceConnect +, enfin Google Connect + ; au moment où j’écris cette chronique j’attends toujours la réponse. Comme ça fait déjà deux semaines, j’imagine que la réponse tient en cinq lettres : M, E, R, D, E. Donc, maintenant, je fais quoi ? Ça pique un de se retrouver du côté des fracturés et du numérique, des pestiférés qui ne sont pas suffisamment connectés pour faire leurs démarches administratives !
Évidemment, en bon gros geek, je suis assez tenté d’essayer des petites techniques alternatives, comme installer l’appli dans un émulateur Android sur mon PC, avec un compte Google dédié qui ne servira qu’à ça, ou bien passer par des utilitaires qui cachent le fait que l’appli n’a pas été installée par Google Play, en routant le téléphone au préalable, mais je ne devrais pas avoir à me lancer dans ce genre de truc ! Ça me donne limite envie de faire le contraire, de balancer mon smartphone, prendre un bon vieux Dumbphone, un Nokia qui fait SMS, coups de fil et basta, comme ça, au moins, j’arrêterai de me poser des questions et je passerai directement à l’étape : je n’ai pas de smartphone, il me faut une autre solution, démerdez-vous !
Je suis désolé si la chronique est un peu vénère et un peu vulgaire, mais faut que ça sorte. Je me dis que, peut-être, si on est suffisamment à les enquiquiner et à résister à ce genre de pratique, on finira par avoir de nouveau des solutions qui ne dépendent pas des GAFAM, voire des solutions non numériques, rêvons un peu.
En attendant, ma micro-entreprise reste domiciliée à Nice jusqu’à quand ? Je n’en sais rien, jusqu’à ce qu’on me trouve une solution sans Google. J’ai fait une redirection de courrier, disons que ça va. D’ailleurs, pour la redirection de courrier, la poste ne demande pas encore d’avoir un compte Google, c’est déjà ça ! Mais, au train où vont les choses, je me demande si ça va durer.
Allez, salut.
Étienne Gonnu : Merci Gee. Je pense que nous sommes nombreux et nombreuses à partager ton énervement. Merci de défricher ce chemin et de nous partager ça. Comme tu le dis, si on est suffisamment nombreux et nombreuses à râler et à s’organiser, c’est aussi comme ça qu’on pourra renverser ces rapports de force.
J’en profite pour rappeler que ton blog-BD Grise Bouille, qu’on peut retrouver, on pourra lire, rire et râler avec le billet que tu as mentionné, qui a donc inspiré cette chronique.
Je vais aussi en profiter pour rappeler que tu es un auteur qui a fait le choix de publier son travail sous licence libre, à l’unique exception, on peut le dire, de ton jeu vidéo Superflu, il n’en reste pas moins que c’est un excellent jeu vidéo qu’on vous invite à découvrir. Tes œuvres sont donc quasi intégralement gratuites ou, plutôt, à prix libre. On peut donc soutenir ton travail et contribuer financièrement par des dons ponctuels ou récurrents. J’invite les personnes qui souhaitent le faire à retrouver les informations sur ta page ptilouk.net.
Gee : Merci. Du coup, sachez que les dons en question seront déclarés à Nice, même si j’habite en Île-de-France.
Étienne Gonnu : Ça peut poser des problèmes pour d’autres raisons, mais on va pas rentrer dans ce sujet.
Merci encore Gee, je te dis au mois prochain pour une nouvelle chronique et à la semaine prochaine pour ta participation à un sujet long consacré à l’actualité du Libre, j’en dirai plus en fin d’émission.
Gee : Super. Salut.
Étienne Gonnu : Je te souhaite bonne fin de journée. On va passer à la pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : On parlait de publication sous licence libre. Après la pause musicale, nous aurons le plaisir d’entendre une autrice et le responsable d’une maison d’éditions qui font le choix de publier sous licence libre. Nous allons écouter Cold Burn par Lemon Knife. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Cold Burn par Lemon Knife.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Cold Burn par Lemon Knife, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.
[Virgule musicale]
Œuvres littéraires libres et libérées, un échange avec une autrice et un gérant de maison d’éditions publiant sous licence libre
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur les œuvres littéraires libres et libérées. Pour ce sujet, je vais laisser la parole à Laurent Costy, vice-président de l’April et contributeur régulier de l’émission, qui va animer cette discussion.
N’hésitez pas à participer à la conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Laurent, je te passe la parole et le micro.
Laurent Costy : Merci pour le micro qui se balade. Aujourd’hui, nous sommes quatre en studio, ce qui est plutôt rare.
Nous allons effectivement, aujourd’hui, aborder un sujet autour de la culture libre, on va aller au-delà du logiciel libre et évoquer, globalement, la culture libre. Plus précisément, nous allons échanger avec nos deux invités, Aquilegia Nox et Lionel Jeannerat, respectivement autrice et éditeur. Nos invités expliqueront pourquoi et comment ils se sont engagés dans une démarche d’écriture et d’édition sous licence libre, à contre-courant, quand même, des modèles standards. Nous leur poserons quelques questions autour de leur cheminement pour en arriver là, voir un peu les écueils qu’ils ont pu traverser et puis, surtout, les perspectives qui s’ouvrent à eux dans ces démarches-là.
Je vais vous laisser vous présenter tous les deux, je ne sais pas qui veut commencer, Aquilegia ?
Aquilegia Nox : D’accord. Merci. Bonjour.
Laurent Costy : Bonjour.
Aquilegia Nox : En fait, je suis entrée dans le monde du Libre par l’informatique, c’est-à-dire que je connaissais le principe des licences libres parce que j’ai connu le principe des logiciels libres et puis, quand j’ai commencé à vouloir publier mes premières nouvelles, à les partager sur Internet, je suis allée sur un site dont certains se souviennent peut-être, qui s’appelait, à l’époque, InLibroVeritas, et c’est là que j’ai déposé mes premières nouvelles, ravie de pouvoir choisir de les diffuser sous licence libre ou sous licence ouverte. J’ai fait mes petites expérimentations, c’était un milieu en pleine effervescence, il y avait beaucoup de gens avec qui partager, des gens aussi très motivés par le Libre. Comme ça, j’ai pu me lancer dans mon premier roman en auto-édition, coécrit avec mon compagnon, Léo Sigrann. On avait choisi une licence, si mes souvenirs sont bons c’était juste une CC By NC ND, il me semble, mais j’avais des nouvelles sous diverses licences, aussi bien Art Libre que d’autres parce que j’avais envie d’essayer.
Laurent Costy : Est-ce qu’on peut expliquer les termes de la licence pour les gens qui ne connaissent pas, s’il te plaît ?
Aquilegia Nox : Bien sûr. Dans la licence Creative Commons By veut dire qu’il faut toujours citer l’auteur original ainsi que tous les auteurs éventuels qui ont pu contribuer ; NC, pas d’usage commercial autorisé sans accord des auteurs ; et puis ND pas d’utilisation dérivée sans l’accord des auteurs, donc, si on veut faire une traduction, par exemple, il faut d’abord demander l’accord des auteurs.
Laurent Costy : Merci, c’est important de le préciser.
Aquilegia Nox : J’ai pu, comme ça, essayer, avec des nouvelles sous diverses licences. C’était très chouette !
Lionel Jeannerat : Je suis Lionel Jeannerat, je suis gérant de la maison d’éditions PVH Éditions basée en Suisse. Je suis libriste, c’est-à-dire que moi-même, dans la mesure du possible, à titre privé, j’essaye d’utiliser des logiciels libres et puis, il y a neuf ans, quand j’ai lancé la maison d’éditions, c’était avant tout parce que j’avais vraiment envie de créer une maison d’éditions, mais c’est compliqué de monter une maison d’éditions : il y a des questions de contrats, il y a des questions de plein de choses et, pour me simplifier la vie, je n’avais pas imaginé réinventer la manière d’éditer, il y a des outils, des modèles de contrats, etc. Et puis petit à petit, notamment l’année dernière, ma réflexion est venue sur le fait, alors que je défends le logiciel libre et la culture libre, c’est quelque chose qui m’intéresse, pourquoi ma maison d’éditions ne ferait pas elle-même le pas, mais je ne voulais pas le faire, disons, dans le vide. J’ai donc pris le temps de la réflexion : si je libérais les œuvres de la collection, qu’est-ce que cela signifierait, qu’est-ce que cela aurait comme impact sur mon activité d’éditeur.
Et là, en fait, comme j’étais déjà proche du Libre, il se trouvait qu’une partie de mes auteurs étaient des gens déjà convaincus, comme Aquilegia, mais aussi Ploum/Lionel Dricot, ou Thierry Crouzet qui avait aussi pas mal expérimenté dans ce domaine-là. Je leur en ai parlé, il n’y a pas eu beaucoup à discuter, mais il fallait aussi avoir l’autorisation des auteurs, même si, théoriquement j’en avais le droit, ce n’est pas ma manière de fonctionner, donc je voulais avoir l’accord des auteurs. Il a fallu leur expliquer tout ça, ça a pris un peu de temps et, en janvier dernier, on a libéré toute la collection principale de la maison d’éditions, qui est la collection Ludomire spécialisée dans la science-fiction, la fantasy et le fantastique. Voilà.
Laurent Costy : Merci beaucoup. Je précise, tu l’as un peu dit : vous êtes venu de Suisse pour l’émission, je tenais à le souligner parce que c’est quand même un long trajet et nous sommes honorés de vous recevoir aujourd’hui.
Je fais une toute petite précision, Étienne me faisait remarquer qu’on a parlé des licences Creative Commons avec la clause ND, NC. Effectivement, elles ne sont pas considérées comme libres mais ça permet peut être, à un moment donné, des transitions pour aller plus vers des licences libres, ça permet de passer des étapes, de convaincre les gens et puis d’aller, après, plus vers des licences libres.
Vous avez tous les deux, je crois, un passé dans le jeu de rôle, c’est quand même un dénominateur commun. Est-ce que ça a orienté un peu vos logiques d’écriture, vos logiques par rapport au Libre, que ce soit en éditeur ou en autrice ?
Lionel Jeannerat : Je te laisserai la parole ensuite. Nous nous sommes connus grâce au jeu de rôle.
Au niveau de ma manière de voir le droit d’auteur, en fait le jeu de rôle est un média très collaboratif et, avant d’être éditeur, j’ai aussi été auteur et cette conception de s’attribuer une création de manière absolue m’a toujours semblé un peu bizarre, parce qu’on réalise à quel point on prend des influences. Le jeu de rôle est un média qui pioche ses influences dans les œuvres, de toutes parts et, en réalité, je pense que cet ADN-là c’est aussi ce qui m’a nourri et qui m’a fait sauter le pas.
Aquilegia Nox : C’est marrant, je n’avais pas fait le lien, mais, en y réfléchissant, c’est vrai que le jeu de rôle c’est collaboratif et j’ai écrit beaucoup de choses autour du jeu de rôle, que ce soit le roman qui est publié maintenant chez PVH Éditions ou même plein de nouvelles et de petits textes qui ne sont plus, maintenant, chez InLibroVeritas mais chez Atramenta, toujours en lecture libre. Ce sont beaucoup de textes qui ont été, en fait, conceptualisés à plusieurs puisqu’ils sont souvent dérivés de parties de jeu de rôle, c’est toujours de la collaboration, c’était donc naturel de les mettre sous licence au moins ouverte, mais il y en a pas mal qui sont sous licence libre et, comme ça, si d’autres collaborations pourraient voir le jour ça pourrait être sympa.
Laurent Costy : Dans l’échange qu’on a eu avant l’émission, tu m’as dit « les communs de l’imagination font avancer l’histoire », j’ai trouvé ça très beau, je l’ai relevé quand on a échangé, j’ai trouvé que ça illustrait bien la démarche, la logique ; ça explique bien la logique.
Et puis, alors qu’une licence libre permettrait d’éditer l’histoire, tu dis bien que le premier réflexe c’est finalement d’aller vers les gens, donc la licence libre a tendance à faire du lien. On se sent l’envie d’aller vers les gens qui ont écrit ça.
Lionel Jeannerat : Je ne la vois pas tant comme ça. Juste pour parler deux secondes de la licence qu’on a choisie : on a créé notre propre licence qui s’appelle « œuvre libérée », mais, en réalité, c’est un copier-coller de la Creative Commons By SA ; By c’est le fait d’être obligé de citer l’auteur et aussi l’éditeur qui a travaillé dessus, l’illustrateur également ; SA c’est le copyleft, c’est l’obligation, quand on reprend une œuvre, de repartager dans les mêmes conditions et c’est compatible aussi avec la licence Art Libre. On avait vraiment envie de montrer cette diversité qui existe, en tout cas, dans le copyleft.
Je suis un grand fan du copyleft. Avec le copyleft on est obligé de reprendre la même licence lorsqu’on partage l’œuvre. Je n’aurais pas édité sous une licence qui ne serait pas copyleft parce que, en fait, le copyleft permet aussi de protéger l’œuvre de manière à ce que, au niveau commercial, quelqu’un qui reprend le texte, le retravaille, l’adapte en livre audio, en bande dessinée ou autre, il y a plein de formats, eh bien la personne est totalement libre de le faire, les gens n’ont pas besoin de signer un contrat avec nous. En fait, ça permet d’éviter de la paperasse et puis la personne a la garantie que si elle a fait du travail, elle peut partager son travail. En réalité, ça permet une collaboration : elle a tout intérêt à venir me voir et puis dire « j’ai fait un beau travail, qu’est-ce que vous en pensez ? ». Si on veut faire une collaboration, on peut signer un contrat, peut-être trouver les manières que nous aurons pour promouvoir son travail, etc.
En fait, la licence libre permet une collaboration frictionless, c’est-à-dire sans friction. Il n’y a pas besoin d’aller sonner chez Disney, pour prendre ceux qui défendent très fort leur copyright, pour avoir le droit de se l’approprier et de partager. Une des raisons de cette expérimentation c’est de rendre possible une collaboration sans friction.
Laurent Costy : On sait que quand on va chercher quelqu’un qui a publié avec une licence libre, finalement on va être dans le même état d’esprit et ça va couler de source. On va avoir envie de collaborer, ça va être beaucoup plus fluide.
Lionel Jeannerat : Pas forcément, la réalité dans le monde, ce sont les fanfictions de Harry Potter ou de Twilight. Quand les gens prennent un livre, qu’ils l’apprécient, on se rend compte que ce n’est pas la licence qui va le leur faire apprécier ou pas et s’ils ont envie de se l’approprier, ils le feront. Les barrières mentales qu’on fait sur le copyright sont surtout des barrières légales. En fait, les gens qui se le réapproprient n’ont pas honte de l’avoir fait, ils peuvent donc venir vers nous en disant « je l’ai fait », c’est ce que j’espère ; c’est vraiment le but de l’ouverture de cette collection et, pour le moment, je l’expérimente déjà à petite échelle. On verra, il est encore un peu tôt pour faire un bilan.
Laurent Costy : Vous reviendrez dans un an ou dans deux ans.
Lionel Jeannerat : Ou dans deux ans. Quand on aura adapté en film !
Laurent Costy : Dans cinq ans alors !
Peut-être une dernière question sur le jeu de rôle. Je crois qu’on avait aussi évoqué une expérience malheureuse de volonté d’édition d’une histoire de jeu de rôle avec un éditeur qui, finalement, avait mis la clé sous la porte. Est-ce que vous pouvez raconter ce passage-là ?, si ça a une pertinence.
Lionel Jeannerat : EDans mon histoire, quand j’ai commencé à écrire et à travailler un peu dans quelque chose qui touchait à de l’édition — de la relecture, des choses comme ça —, c’était pour le jeu Agone, édité par une maison d’éditions qui s’appelait Multisim, qui avait mis la clé sous la porte et toute la communauté autour de ce jeu s’est retrouvée à ne plus pouvoir avoir de nouveaux livres parce que les ayants-droit n’arrivaient pas à se mettre d’accord. On continuait à écrire mais c’était au bord de la légalité.
Laurent Costy : Ça rejoint, finalement, ce qu’on défend quand on dit « le logiciel libre a quelque chose de pérenne » : quand l’éditeur qui a développé le logiciel met, justement, la clé sous la porte, le code étant ouvert, un autre éditeur peut prendre à bras-le-corps la suite du logiciel. On se retrouve finalement exactement dans la même situation, c’est assez similaire.
Lionel Jeannerat : Aquilegia a aussi une expérience avec un autre éditeur, je te laisse la parole.
Aquilegia Nox : Oui, tout à fait. Mon roman Adjaï aux mille visages, qui est une série, dont le premier tome, Ceux qui changent, a commencé par être publié en ligne sur atramenta.net et, ensuite, j’ai fait la démarche d’essayer de trouver un éditeur. Dans mon esprit, j’aurais aimé trouver un éditeur qui puisse éditer sous licence libre et, en même temps, qui édite de la fantasy. C’était impossible ! Déjà, trouver un éditeur en soi c’était très compliqué. J’ai trouvé une maison d’éditions qui était une maison d’éditions à compte d’éditeur, on ne m’a rien demandé de débourser, mais qui éditait à la demande et qui ne faisait aucune promotion. Ça plus d’autres choses qui se sont moyennement bien passées ont fait que j’ai rompu le contrat au bout des deux ans qui m’étaient impartis, c’étaient des contrats renouvelables et je ne voulais pas m’engager pour une durée supérieure. J’aurais pu continuer, mais il fallait que je signe un contrat pour la durée, maintenant standard, qui est la durée totale de notre vie plus 70 ans. Je n’avais pas envie de faire ça avec eux donc je me suis mise à la recherche d’un nouvel éditeur. C’est là, au cours d’un salon justement d’une convention de jeux de rôle, que je rencontre Lionel. Je lui raconte mes malheurs et il me dit « tu te rappelles que je suis éditeur ! »
Il se trouve que j’ai eu la très grande chance que ce livre lui plaise, qu’on puisse le reprendre ensemble, faire un vrai travail éditorial dessus et puis l’éditer.
Je ne savais pas, évidemment, que le projet de libérer pouvait être dans les tuyaux mais, quand ça a été proposé, je ne pouvais pas imaginer être mieux tombée !
Laurent Costy : Très bien. Merci pour ce témoignage, je trouve que c’est intéressant. Là aussi on met le doigt sur le rôle de l’éditeur, on y reviendra tout à l’heure dans la discussion, je pense que ce sera intéressant de l’évoquer.
On a évoqué, tout à l’heure, InLibroVeritas. Je veux bien votre point de vue sur l’évolution de l’édition indépendante. C’est vrai que j’avais écrit « édition alternative » parce que je ne sais pas comment on intègre les licences libres dans le terme « édition indépendante » ou dans « édition alternative ». Éclairez un peu tout ça.
Lionel Jeannerat : Pour tout cet historique, je vais plutôt laisser la parole à Aquilegia.
Déjà, en Suisse, le monde de l’édition est quand même un peu différent par rapport à celui de la France. En France, on constate surtout l’hégémonie des gros éditeurs qui sont contrôlés par des milliardaires. On fait souvent la différence avec l’édition indépendante qui sont des éditeurs indépendants des gros groupes d’édition française. C’est très dynamique, mais en réalité, en termes de ventes, en termes de visibilité aussi – ces gros groupes contrôlent aussi une bonne partie de la diffusion, possèdent aussi les chaînes de magasins de libraires –, on fait souvent la différence pas tant sur la licence ou la manière d’éditer mais sur l’indépendance, notamment économique, des éditeurs.
Je me considère comme un éditeur indépendant, c’est plutôt la règle en Suisse, mais, dans le monde francophone, ce sont des gros éditeurs.
Laurent Costy : En tout cas, ta maison d’éditions est indépendante et même alternative, puisque, justement, elle explore toute la logique des licences libres.
Lionel Jeannerat : Elle expérimente !
Laurent Costy : D’accord !
Lionel Jeannerat : Quand on me demande, j’essaye déjà de ne pas présenter ma maison d’éditions comme une maison d’éditions suisse. En fait, j’aimerais me présenter comme un éditeur de SFFF, science-fiction fantasy fantastique. En réalité, je fais un travail d’éditeur. J’expérimente, mais j’aimerais convaincre sur la qualité de mes livres et pas forcément sur les spécialités d’expérimentation que je fais.
Laurent Costy : De toute façon, comme tu le disais, les gens ne vont pas chercher un livre d’abord pour la licence, on est d’accord.
Lionel Jeannerat : Disons que je ne suis pas très punk. Quand on dit « édition alternative » !
Le fait est que pour être visible et pour avoir des partenaires, etc., il faut aussi rassurer. Je viens avec les spécialités un petit peu au compte-goutte pour ne pas effrayer ou pour ne pas coller une image que je n’aimerais pas avoir.
Laurent Costy : Ce n’est pas le langage qu’ils parlent, ils ne vont pas comprendre. En tout cas, ce n’est pas la bonne entrée pour entrer dans la matière, ça me semble évident.
Tu peux compléter, éventuellement, par rapport un peu à cette histoire de l’édition indépendante ?
Aquilegia Nox : De ce que je connais de l’édition indépendante libriste ?
Laurent Costy : Plutôt libriste, on parlait d’InLibroVeritas. C’est vrai que j’avais croisé ça dans mon parcours libriste, je l’ai vu disparaître à un moment donné ; c’était mes débuts donc je n’appréhendais pas tout ça.
Aquilegia Nox : En fait, il y a eu une scission au moment de la création de Atramenta. InLibroVeritas avait une spécificité : c’était aussi une maison d’éditions. Elle ne proposait pas que du compte d’auteur, c’est-à-dire de pouvoir éditer son livre à ses frais puis de se charger soi-même de la diffusion, etc., mais elle proposait vraiment une édition ce qu’on appelle à compte d’éditeur, c’est-à-dire que c’est l’éditeur qui prend tout en charge et se charge aussi de la promotion, de la diffusion. Malheureusement la diffusion c’était effectivement quelque chose qui ne se faisait pas, on ne retrouvait pas les livres de InLibroVeritas, de Bibliotheca ou de la collection Science libre dans les librairies. Je pense que c’est quelque chose qui a coûté puisque la diffusion ne se faisait pas facilement.
En tout cas, ça a été une époque extrêmement effervescente, il y avait énormément d’idées, il y avait énormément d’auteurs qui voulaient se lancer, des recueils ont été publiés sous licence Art Libre, des choses vraiment très intéressantes, mais pas ce côté diffusion !
Laurent Costy : Ça n’avait pas été pensé ? Ça n’avait pas été expérimenté ? C’est pareil, toi, Lionel, tu construis ton réseau et ça prend un temps colossal finalement.
Lionel Jeannerat : Je pense que je suis un des premiers éditeurs francophones de littérature diffusée en France, en Belgique et en Suisse et comment on y parvient ? Eh bien il a fallu construire toute cette collection : maintenant ce sont 20 livres, au moment où j’avais démarché les diffuseurs, on était peut-être à une dizaine. Il faut montrer que c’est beau, on doit montrer une régularité dans les sorties. En fait, c’est véritablement un coût en travail. Maintenant plein de gens nous proposent leurs manuscrits, certains aimeraient spécifiquement être édités par nous à cause de la licence libre. Le truc c’est que pendant longtemps on n’était pas connu, on ne nous proposait pas les manuscrits. Il a fallu travailler là-dessus. Maintenant on a cette chance de pouvoir être dans les librairies, d’être connus aussi, tout ce gros travail a été fait, je me suis dit « j’ai un peu de temps, j’ai un petit peu de temps de cerveau disponible, maintenant on va essayer autre chose » et l’autre chose c’était de libérer la collection.
Laurent Costy : Merci pour cet éclairage. Avant la pause musicale un dernier point peut-être par rapport, justement, à cette édition indépendante et alternative. Framabook a existé, s’est transformé récemment. Est-ce que vous pouvez juste en dire deux mots parce que c’est une expérience.
Lionel Jeannerat : J’ai suivi, j’ai surtout échangé beaucoup avec, maintenant, Des Livres en Commun. Framabook était aussi une maison d’éditions qui éditait à compte d’éditeur, mais, comme les autres que Aquilegia a citées, en réalité ils n’avaient pas de diffusion. Ils faisaient un super travail éditorial de relecture, de mise en page et tout ça. On pense souvent que le travail d’éditeur c’est juste...
Laurent Costy : On reviendra après la pause musicale sur le travail d’éditeur.
Lionel Jeannerat : Maintenant ils ont vu que ça marche. Ils étaient déçus par les ventes, ils ont vu aussi que ça ne rapportait pas grand-chose aux auteurs. En fait il n’y a pas de miracle, pour pouvoir rémunérer au mieux les auteurs il faut vendre. Ils ont transformé tout ça en Des Livres en Commun et ils ont décidé de subventionner la création de livres sous licence libre sur la base de projets qui sont soumis. Ils sont maintenant plus dans le soutien/subvention à la création.
Laurent Costy : C’est le CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée] du livre en France, du livre libre.
Lionel Jeannerat : Du livre libre, sauf qu’ils n’ont pas les mêmes moyens.
Laurent Costy : Je vais repasser la parole à Étienne pour la pause musicale.
Étienne Gonnu : Merci Laurent.
Je vais en profiter pour relayer deux petits propos qui nous viennent sur le webchat, notamment de Booky qui est en régie qui, au-delà de ses activités de régisseuse de l’émission Libre à vous ! est également libraire, je pense que c’est une conversation qu’elle peut suivre aussi avec expérience. Elle nous dit, d’une part, que c’est compliqué pour les libraires d’avoir des livres qui viennent de InLibroVeritas. Le site n’existe plus, on vous fera une redirection vers le superbe outil archive.org qui permet d’explorer d’anciens sites web, on vous mettra le lien, comme ça vous pourrez vous faire une idée. Booky nous disait également que c’est effectivement important d’être diffusé mais que ça peut coûter cher.
Je vais partager, moi aussi, une réflexion que je me suis faite pendant les échanges : ça m’évoquait une émission que tu avais aussi animée sur les BD et la culture libre. Certaines choses que vous avez pu dire m’ont évoqué des propos que tenait David Revoy qui publie ses bandes dessinées sous licence libre. Peut-être que je devance des propos qui seront tenus par la suite ? Non, me fait Laurent. Entendu.
Nous allons donc passer à une pause musicale. Nous allons écouter Balcarabic Chicken par Quantum Jazz. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Balcarabic Chicken par Quantum Jazz.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Balcarabic Chicken par Quantum Jazz, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Nous sommes de retour sur la radio Cause Commune.
Je suis Étienne Gonnu de l’April pour Libre à vous !. Je vais rendre la parole à Laurent Costy, Lionel Jeannerat et Aquilegia qui échangent sur les œuvres libres et libérées.
Je vous rappelle que vous pouvez participer à notre conversation sur le salonweb dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Je rends la parole et le micro à Laurent.
Laurent Costy : Merci Étienne.
On va enchaîner un peu sur, justement, le métier d’éditeur.
Il faut se rappeler que la communauté libriste s’est quand même cristallisée contre un éditeur de logiciels, Microsoft à l’époque. Il y a peut-être toujours, dans l’inconscient collectif, une pensée un peu anti-éditeur qui est ancrée, tu vas nous l’expliquer un peu. Et puis, un des rôles de l’éditeur, c’est quand même de stimuler pour générer des suites à l’œuvre par exemple. Est-ce qu’il n’y a pas un raccourci qui est opéré en pensant que passer par les plateformes d’impression à la demande va libérer les auteurs et les autrices ? Est-ce qu’il y a un lien ?
Lionel Jeannerat : Cette question est super intéressante. D’une part, je vais certainement l’apprendre à personne, il y a les bons et les mauvais éditeurs. Certains sont plus ou moins honnêtes, je ne vais pas donner de noms. Et la réalité, comme je l’ai dit aussi avant, c’est que les gros éditeurs, enfin la masse d’éditions en France mais aussi dans le monde, ce sont des grosses boîtes un peu impersonnelles. La réalité c’est que de plus en plus de gens écrivent, ils aimeraient être édités, ils sont prêts un peu à tout pour pouvoir le faire. C’est comme ça que d’abord Lulu et ensuite Amazon se sont engouffrés dans la brèche. Lulu est un prestataire en ligne pour faire de l’impression à la demande : vous mettez votre livre, après vous pouvez commander, c’est comme Amazon print on demand.
Laurent Costy : On peut en imprimer un, deux, dix, cent.
Lionel Jeannerat : Exactement et puis n’importe qui peut en commander, ils sont livrés à la maison. La réalité c’est que ces gens-là ne font pas tout le travail d’éditeur. Les gens se disent « on peut se passer d’éditeur : demain je mets en ligne, les gens commandent, ont un livre chez eux, donc je suis édité ». En fait, le travail d’éditeur va bien plus loin que ça. Je vais reprendre l’expression Ploum qui dit : « PVH Éditions c’est un peu comme une écurie d’auteurs », dans le sens où on prend les œuvres, on accompagne les auteurs, on crée comme une équipe et, en fait, on va travailler sur la mise en valeur du livre.
Par exemple, dans notre cas, la collection Ludomire a un parti pris graphique très fort qui va créer une unité pour tous les livres, au final, ils vont pouvoir être mis en valeur et, pour de beaux livres, avoir une identité forte, c’est aussi la seule manière de pouvoir être en librairie.
On va aussi travailler avec les auteurs pour améliorer les textes parce que la plupart du temps, à part quelques exceptions, un regard extérieur est toujours bien.
Après on va le faire imprimer, on va faire tout le travail de promotion auprès des médias éventuellement, le travail aussi auprès du diffuseur qui, lui-même, va faire le travail auprès des libraires et tout ça ce n’est pas encore fini.
Actuellement pour vivre, pour vraiment pouvoir faire tourner une maison d’éditions, il faut aussi avoir des subventions et, pour cela, en fait, il faut respecter des règles de contrat, d’auteurs, etc., et après il y a tout le travail d’accompagnement des œuvres : tout d’un coup, je vais à un salon pour présenter les livres pour éventuellement des adaptations cinématographiques ou audio et c’est un travail qu’on fait un petit peu, qu’on ne peut pas faire que pour un bouquin et qu’un auteur ne peut pas faire lui-même. Les auteurs n’ont pas accès à ce type de salon et, surtout, le fait d’avoir été sélectionné et d’être défendu par un éditeur qui a mis son temps, son argent, est un gage de sélection.
Tout cela est très important, c’est un socle, qu’un auteur tout seul, je ne dis pas que c’est impossible, va difficilement pouvoir mettre en place.
Laurent Costy : Je retiens de notre discussion qu’il y a les bons et les mauvais éditeurs. C’est peut-être ça la conclusion !
Lionel Jeannerat : Je vais défendre Gallimard, je ne voulais pas les nommer, mais ces grosses maisons d’éditions, quand elles accompagnent des auteurs généralement elles le font bien. C’est juste qu’elles ne le font pas tout à fait de la même manière, ce sont des salariés, ils éditent aussi beaucoup de livres.
Je pense que notre maison d’éditions se caractérise par la qualité des textes. Ce n’est pas parce qu’on est des génies, c’est juste qu’on n’a pas le même modèle d’affaires. On n’a pas les moyens de sortir 50 bouquins dans l’année dans une collection, parce qu’on n’a pas les forces vives, on n’a pas non plus forcément les manuscrits. C’est nous qui faisons la sélection. On a une ligne éditoriale alors que d’autres éditeurs de collections SFFF, il y en a, vont en sortir plein et c’est le public qui va faire la sélection. Pour eux ce n’est pas un problème d’avoir un livre qui se vend à 50/100 exemplaires, ils se disent « on ne va pas sortir le suivant », ça veut dire qu’il n’y a pas de public. C’est une autre manière.
Laurent Costy : Merci. Je pense que c’est important de réexpliquer. Quand on n’est pas du métier, quand on ne connaît pas, on se fait une image de l’éditeur qui serait une couche dont on se demande à quoi elle sert. Je pense que tu as quand même éclairé toutes les fonctions.
Lionel Jeannerat : On pourra peut-être mettre, sur le site de l’émission, une explication que j’ai faite : en quoi le print on demand est une voie de garage. En fait c’est ultra-cher et c’est Lulu ou Amazon qui prennent toutes les marges et les marges c’est ce qui permet au libraire de vivre, au diffuseur, à l’éditeur.
Laurent Costy : J’étais tombé sur l’article, j’ai mis le lien, le lien est sur le site. Je trouve que c’est un éclairage extrêmement intéressant.
Aquilegia Nox : Je voulais préciser qu’il y a aussi des petites structures qui font du print on demand et qui essayent de fournir aux auteurs un maximum d’outils, sans chercher du tout à leur mentir sur ce qu’elles vont pouvoir en tirer : elles ne vont pas dire « vous allez avoir le même le même travail d’édition que chez un éditeur à compte d’éditeur ou quoi », mais elles vont proposer des outils pour essayer de donner aux auteurs le meilleur moyen de s’en tirer, c’est notamment le cas d’Artramenta que j’utilise, qui fait du print on demand aussi et qui va essayer de donner, comme ça, ces outils au maximum.
Il y a aussi, effectivement, des éditeurs à compte d’éditeur qui vont publier plus d’une centaine d’auteurs par an. Si les auteurs vendent dix bouquins, ils vont quand même publier éventuellement la suite, en fait ils vont se reposer sur très peu de livres vendus par beaucoup d’auteurs. Je ne sais pas exactement comment ils arrivent à tirer leur épingle du jeu, mais, disons que ce n’est pas parce qu’on est édité par un éditeur qu’il va se passer quoi que ce soit.
Lionel Jeannerat : Si j’ai une recommandation à faire pour un auteur qui a du mal à trouver un éditeur, plutôt que de passer par du print on demand, allez vers un imprimeur local, il y en a même en ligne ; il ne faut pas faire du print on demand parce que, de toute façon, vous allez pouvoir en vendre quelques dizaines auprès de vos proches, vous allez les passer comme ça. Et, surtout, ne signez pas de contrat qui cède vos droits à n’importe qui. Des auteurs qui viennent me voir et me disent : « Je me suis fait éditer par..., il ne veut pas faire la suite » ou « je ’aime pas comment il travaille, etc. », je leur dis « je ne peux rien faire, je n’ai pas les droits sur le tome 1, c’est mort ! ». En fait, ils auraient mieux fait de venir vers moi et je les aurais édités.
Par exemple pour mes auteurs, si ça ne fonctionne pas bien ou si je mets la clé sous la porte, tout est sous licence libre, ils peuvent parfaitement récupérer et éditer soit eux-mêmes soit auprès d’un autre éditeur.
Laurent Costy : Dans ton article, on évoque quand même la question de la problématique du stock, parce que le print on demand pourrait résoudre ça.
Lionel Jeannerat : Les gens disent souvent : « Je n’ai pas de place chez moi ». La réalité, si on imprime 100 bouquins, si on ne choisit pas de faire un format A3, ça ne prend pas tant de place que ça et rapidement vous allez en vendre.
Après, il existe des prestataires, des libraires peut-être près de chez vous, qui ont aussi une boutique en ligne. Vous pouvez discuter, dire « j’ai fait des bouquins, pouvez-vous les vendre en ligne ? ». Je pense que c’est beaucoup plus constructif pour vous, pour votre réseau, qu’un libraire vous soutienne.
J’ai donné l’exemple d’un prestataire belge qui, avant qu’on soit diffusé en Belgique, nous le faisait, il prenait une partie du stock et il le vendait.
Surtout si vous avez un seul bouquin, ce n’est pas un stock qui déborde. On a près de 30 titres à notre catalogue ! Si vous n’avez qu’un seul bouquin ça va, ça devrait passer pour le stockage, ce sont deux/trois cartons.
Laurent Costy : Aquilegia ?
Aquilegia Nox : S’il y a des auteurs qui nous écoutent, qui ont envie de chercher un éditeur, il y a aussi une chose dont il faut, je pense, parler : quelques maisons se présentent comme des maisons d’éditions, à qui on peut envoyer son manuscrit, qui vous répondent très rapidement « c’est super, vous avez été sélectionné, on est d’accord pour vous éditer, ça fera tant d’euros ! ». Pour une édition à compte d’éditeur on ne débourse rien, sinon on est dans un format intermédiaire et c’est malhonnête d’essayer de faire croire l’inverse. Mais il y en a quand même pas mal qui se font avoir régulièrement.
Laurent Costy : Merci pour ces éclairages, c’est intéressant et on vous renvoie vers l’article qui est effectivement sur le site, parce que ça apporte pas mal d’éléments justement par rapport à la question du stockage, par rapport à la question des coûts, tu as fait des comparaisons de coûts, etc. Je trouve ça extrêmement intéressant, extrêmement pertinent.
Je voulais revenir sur la question de la licence. J’imagine que vous avez plusieurs publics de personnes qui écrivent : vous avez des gens qui ont déjà entendu parler des licences libres, qui veulent publier en licence libre, et puis il y a ceux qu’il faut convaincre. Avez-vous une expérience par rapport à ça ?
Lionel Jeannerat : Pour la collection Ludomire, la collection qui est libérée, au moment où je l’ai libérée, une bonne partie des auteurs n’avaient pas signé pour être libérés, donc il a fallu leur en parler. Il y a eu des discussions. Maintenant c’est assez simple : au moment où je dis oui à un manuscrit, je dis « j’édite sous licence libre, vous acceptez ou vous n’acceptez pas ». Certains demandent « c’est quoi ? », alors je prends le temps de leur expliquer. Mais, quelqu’un qui serait complètement allergique à ça, « pourquoi veux-tu te faire éditer par nous ? ».
Il y a eu des discussions, il y a eu aussi beaucoup de discussions entre auteurs.
Aquilegia Nox : C’est vrai que j’ai pas mal d’expérience à ce niveau-là, déjà sur les forums de InLibroVeritas à l’époque, de Atramenta, les auteurs en parlent entre eux et c’est vrai que ces licences, surtout les licences libres, font un peu peur et avec les auteurs de PVH on a eu exactement les mêmes discussions. La première chose qui va revenir c’est « d’accord, mais ça veut dire que quelqu’un peut prendre mon travail, l’éditer et que je ne touche pas un centime ; il va le vendre et moi je toucherai rien ». Les gens voient ça comme un manque à gagner direct. Je leur explique ma démarche qui est de réfléchir : déjà si quelqu’un trouve mon travail, veut l’éditer, c’est qu’il en a entendu parler, ça veut dire que ça marche déjà pas mal. S’il fait ça, on va en parler encore plus. Je pourrai dire aussi que je préfère que les gens achètent tel ou tel, de toute façon il y aura toujours mon nom sur la couverture, la personne sera obligée d’utiliser la même licence, ça veut dire qu’elle le fera en pensant bien que d’autres pourront, exactement de la même manière, éditer à leur compte. Tout ça va surtout agir à faire connaître ce livre et, du coup, on va parler aussi de la version sur laquelle je vais éventuellement toucher de l’argent.
Laurent Costy : Merci. Tu évoquais ton expérience avec Atramenta, justement ces licences avec la clause NC, ND, je ne sais pas si tu veux compléter ce que tu viens de dire. De toute façon ce sont des arguments qu’on entend aussi avec le logiciel libre, qu’il faut systématiquement contrer, prendre le temps d’expliquer et ça prend du temps.
Aquilegia Nox : Oui, exactement, ce sont les mêmes arguments. Quand j’explique le principe d’un logiciel libre ou le principe de l’Art Libre, les gens me posent les mêmes questions.
Je discutais avec le fondateur de Atramenta, Thomas Boitel, il n’y a pas très longtemps, en fait les gens vont avoir tendance à utiliser les licences les plus restrictives, probablement aussi parce qu’avec la licence la plus libre, plus on ouvre les droits aux utilisateurs, aux lecteurs, eh bien plus l’auteur va avoir peur parce que ce n’est pas du tout dans l’air du temps de penser comme ça. Il y a une espèce de rouleau compresseur derrière qui nous formate à penser d’une certaine manière et, pour sortir de ça, c’est toute une démarche qui nécessite un effort. Il y a vraiment des explications à donner, de la pédagogie à faire, des sources à donner, des exemples aussi et puis, seulement alors, on peut sortir des schémas qui nous sont assez imposés par la vision sociétale actuelle.
Lionel Jeannerat : J’ajouterai sur le parallèle avec le logiciel libre qu’en fait, en français, on n’a pas ce problème parce que libre et gratuit ce n’est pas la même chose alors qu’en anglais free software crée une confusion et, dans l’art, il y a une confusion en français qui est celle de confondre droit d’auteur et royalties. Quand je leur dis « on va libérer votre œuvre, vous renoncez au copyright » qu’ils associent de manière abusive – on ne va pas entrer dans les détails – avec le droit d’auteur, ils disent « mon travail n’est pas gratuit ». Je dis : « Il n’est pas gratuit, ce n’est pas free beer.
Les auteurs qui éditent chez moi gagnent autant que s’ils étaient édités ailleurs, les royalties sont toujours là, on signe un contrat qui définit qu’ils ont tel pourcentage sur les ventes. Ça n’empêche pas qu’ils ont peur de ça.
Tu parlais de leur expliquer. Déjà aucun autre éditeur ne va reprendre mes bouquins à part s’il y a un Harry Potter bis, je n’en sais rien, et encore, l’auteur va pouvoir dire après, comme elle l’a bien expliqué : si vous voulez me soutenir, soutenir mon travail, la vraie version c’est celle-là. Après, il y aura peut-être des contrefaçons, peut-être que des gens qui n’ont pas l’argent se le partageront et c’est tant mieux. En réalité, on sait très bien qu’on peut télécharger les livres d’Harry Potter en ligne même si c’est illégal.
Quand j’ai libéré, dans la réflexion, ce que je savais, en ayant comme auteur Ploum/Lionel Dricot, toute la collection était partagée et moi j’ai toujours été OK avec ça. Je me suis dit « quitte à être partagée, autant que tout le monde ait le droit de le faire. »
Aquilegia Nox : Une chose que les auteurs craignent aussi c’est que leurs livres en PDF se retrouvent à être diffusés hors de contrôle, hors de leur contrôle, c’est-à-dire qu’on se partage des e-books sur lesquels ils ne vont rien toucher, alors qu’ils préféreraient vendre des e-books. La réalité des choses c’est que, de toute façon, on trouve n’importe quel livre en e-book sur Internet, si quelqu’un a envie de lire un livre gratuitement il va le trouver. Ma philosophie c’est, plutôt que de pleurer après ça, réjouissons-nous en parce que plus mon livre est diffusé, même gratuitement sur Internet, plus les gens vont en parler, plus il va être connu et plus ceux à qui ça va plaire vont pouvoir en prendre connaissance et acheter des versions papier ou des e-books pour soutenir. Ce qui compte, c’est qu’il soit lu !
Lionel Jeannerat : Quand ils signent et qu’ils cèdent leurs droits d’auteur à un éditeur de manière normale, en fait ils perdent déjà le contrôle, sauf qu’ils perdent complètement le contrôle ! Alors qu’en éditant sous licence libre, s’ils ne m’aiment plus ou s’ils aimeraient faire à leur manière, ils peuvent.
Laurent Costy : C’est peut-être le moment d’expliquer la différence entre droits patrimoniaux et droits moraux. Je trouve que ça peut éclairer aussi.
Lionel Jeannerat : Dans le droit d’auteur européen, il y a un droit qui est inaliénable, le droit moral qui ne peut pas être cédé, mais en réalité, quand on signe un contrat classiquement avec un éditeur, en fait on cède tout le reste : le droit de faire des suites, le droit d’adapter, d’éditer, de vendre, etc.
Laurent Costy : Je pense que c’est important de préciser.
Lionel Jeannerat : En fait, quand on n’a plus que le droit moral on n’a plus que ses yeux pour pleurer !
Laurent Costy : On renvoie vers l’émission avec David Revoy où, justement, il aurait envie d’invoquer le droit moral par rapport à des problématiques liées à des NFT. On vous renvoie à ce sujet-là. Du coup, ça met bien en relief ces deux dimensions-là : une fois que les droits patrimoniaux sont cédés, effectivement on ne peut plus rien faire, alors que quand on est en licence libre, ce qu’on expliquait tout à l’heure, l’éditeur va pouvoir envisager des suites, des films dans l’idéal quand ça devient vraiment très connu. Il y a finalement toute cette logique-là qui peut découler naturellement.
Il nous reste à peu près cinq minutes, ça va être l’occasion de nous dire ce que vous avez oublié de nous dire et puis, peut-être, de nous recommander… C’est peut-être difficile pour l’éditeur de choisir particulièrement un bouquin de sa collection, de privilégier un de ses auteurs ou une de ses autrices.
Lionel Jeannerat : Déjà les œuvres d’Aquilegia.
Je pense que si vous êtes amateur de science-fiction, dans toute la collection il y a vraiment ces quatre livres, One Minute de Thierry Crouzet, qui est vraiment quelque chose qui sort de l’ordinaire. C’est un roman en quatre parties, sous forme de saisons, et chaque chapitre c’est une minute, mais c’est tout le temps la même minute, vu chaque fois par une personne différente autour du globe. On découvre petit à petit, un peu comme un tableau impressionniste : chaque minute est un point et la fresque globale apparaît au fur et à mesure. C’est vraiment, dans toute la collection, celui qui sort le plus des standards.
Laurent Costy : Ce sera donc mon cadeau de Noël. Aquilegia ?
Aquilegia Nox : En termes de recommandations de lecture ? Je ne lis plus beaucoup depuis la maternité, c’est quelque chose de terrible ! J’ai lu effectivement les One Minute et plusieurs livres de la collection et franchement, ce que j’aime, c’est que c’est une collection qui est très diverse, c’est-à-dire qu’il y a des choses qui vont se passer vraiment dans de la fantaisie médiévale la plus, pas classique, parce que rien n’est classique, en fait, dans cette collection, mais une fantaisie médiévale avec ses codes et puis il va y avoir de la SF, il va y avoir de la fantasy contemporaine. En fait, quand on aime la science-fiction, la fantasy, le fantastique, il y a forcément des livres qui vont nous plaire dans cette collection, tellement chaque livre est spécial.
Laurent Costy : D’accord. Donc pas un titre en particulier. Tu fais la promotion de la collection ?
Aquilegia Nox : J’ai beaucoup aimé, par exemple, Projet Idaho de Pascal Lovis. Ça commence, quelqu’un attend des copains à la plage, attend, attend, finit par ronchonner que ses copains ont dû oublier, retourne à l’hôtel pour aller les chercher et puis, surprise, personne ne le connaît, personne ne le reconnaît, les copains ne sont pas là, sa chambre est en travaux depuis des semaines. Que s’est-il passé ?
Laurent Costy : Projet Idaho, c’est ça ?
Aquilegia Nox : Oui, c’est ça.
Lionel Jeannerat : Et puis quand même recommander l’œuvre d’Aquilegia, Ceux qui changent et Ceux qui viennent, dans la série Adjaï aux mille visages, c’est de la fantaisie, c’est aussi de la fantaisie inclusive avec un personnage qui est un métamorphe, qui change de sexe, qui est genderfluid. C’est une histoire très prenante et qui aborde aussi des thématiques de genre, d’identité de genre, de maternité, de paternité.
Laurent Costy : D’actualité aussi, d’accord. Très bien. Est-ce que vous avez un dernier mot à dire ?
Lionel Jeannerat : J’aimerais dire merci de nous avoir donné le micro.
Une chose importante : nous sommes une entreprise commerciale, on a des salaires et tout ça et, l’achat d’un livre c’est notre modèle économique principal qu’on a, on est déjà vendu dans les librairies et tout ça.
On va essayer d’aller au bout de notre démarche, de l’idée de collection sous licence libre, mais le succès de cette expérience va dépendre aussi de la survie ou du développement des possibilités de pouvoir aussi servir de modèle. Tout comme quand j’avais commencé à être éditeur, j’avais repris des modèles de contrats qui étaient sous licence privative classique. Il manquait des modèles.
Il y a des maisons d’éditions : je pense notamment à Copie Gauche qui vient de terminer son crowdfunding, une maison d’éditions basée, je crois, en Normandie, qui édite aussi sous licence libre, ils font des recueils de nouvelles de science-fiction, solarpunk.
Je pense que la plupart de nos lecteurs se fichent de la licence, mais le fait qu’on puisse aussi intéresser les personnes des logiciels libres, qui soutiennent l’Art Libre, va nous aider à développer l’expérience et puis, surtout allez-y, partagez. Partagez, appropriez-vous les bouquins, faites-en ce que vous voulez, la licence est là pour ça.
Laurent Costy : Aquilegia pour conclure.
Aquilegia Nox : Si j’ai un conseil à donner à toutes les personnes qui écrivent, qui ont franchi le pas de l’écriture, c’est surtout « faites-vous lire, mettez vos textes en ligne, proposez-les, allez lire les autres, échangez ». C’est ce qui se passe sur Atramenta et ça fait vraiment des communautés très chouettes, on apprend beaucoup et avant de passer, justement, dans toute la démarche de la recherche d’une maison d’éditions, etc., c’est vraiment quelque chose d’extrêmement enrichissant pour soi et pour ses textes.
Laurent Costy : Merci beaucoup pour cette conclusion. Merci beaucoup à tous les deux. Je vais repasser la parole à Étienne qui va faire avancer l’émission.
Étienne Gonnu : Merci Laurent et merci à nos deux invités Aquilegia Nox et Lionel Jennerat, une autrice et la maison d’éditions PVH. Un échange vraiment passionnant. Tu parlais des cadeaux de Noël. Lionel a apporté des bouquins, ce sont vraiment de beaux objets. N’hésitez pas à aller découvrir ces livres, à les commander chez vos libraires.
Lionel Jeannerat : Libraires indépendants.
Étienne Gonnu : Libraires indépendants, bien sûr, et Booky, en régie, hoche de la tête.
Nous allons à présent faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après la pause musicale nous entendrons la chronique de Vincent Calame sur ses lectures buissonnières, la deuxième partie de Semences : une histoire politique. Avant cela nous allons écouter La marguerite par OZABRI. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : La marguerite par OZABRI.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter La marguerite par OZABRI, disponible sous licence Art Libre. Je remercie mon collègue Frédéric Couchet qui m’a proposé cette pépite libre.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu pour l’April. Nous allons passer à notre dernier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « Lectures buissonnières » de Vincent Calame - Semences : une histoire politique, deuxième partie
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec « Lectures buissonnières » de Vincent Calame, sa nouvelle chronique pour la saison 7 de Libre à vous !. Le mois dernier, Vincent nous avait proposé la première partie de sa lecture buissonnière de l’ouvrage Semences : une histoire politique. Il revient aujourd’hui pour une deuxième partie.
Vincent Calame : Bonjour Étienne. Effectivement, l’ouvrage Semences : une histoire politique est évidemment très riche et je dois me limiter à certains aspects plus susceptibles d’être mis en parallèle avec le thème de notre émission. C’est pourquoi je vais aujourd’hui, dans la partie 2, vous parler du catalogue des semences en faisant un peu d’histoire et de biologie. Prenez des notes, il y a une interro à la fin !
Pendant des millénaires, la sélection des plantes a été faite par les paysans eux-mêmes, conservant d’une année sur l’autre les graines de leurs meilleurs plants et s’échangeant leurs semences de manière informelle. C’est ce qu’on appelle, retenez le terme, la « sélection massale ». Celle-ci est la forme de sélection dominante jusqu’au milieu du 20e siècle. Les premiers sélectionneurs privés apparaissent en France au 18e siècle, mais leur activité reste limitée aux plantes potagères et aux grandes cultures, le blé notamment, des plaines du nord de la France. Ces sélectionneurs promeuvent la « sélection généalogique » – retenez aussi ce terme – où les grains de chaque plant, ou semis, sont semés séparément, contrairement aux mélanges de graines de la sélection massale.
C’est au tournant du 20e siècle que s’établissent les bases de la génétique, le terme lui-même date de 1905, et elles sont progressivement intégrées par ces sélectionneurs privés dans leurs pratiques de sélection généalogique. L’État, quant à lui, se contente d’un rôle de contrôle de la qualité des semences, la recherche publique est encore limitée et on commence par établir un inventaire des variétés existantes, premier pas du futur catalogue.
C’est avec le gouvernement de Vichy que se met en place un véritable « dirigisme semencier », selon l’expression des auteurs de l’ouvrage, et que sont créées les deux institutions qui régentent encore aujourd’hui le monde des semences : le Groupement national interprofessionnel des semences – le GNIS – et le Comité technique permanent de la sélection, CTPS.
Étienne Gonnu : Attends ! Je t’ai bien entendu ? Notre système actuel est un héritage de Vichy ?
Vincent Calame : Oui, ça fait bizarre de dire ça aujourd’hui quand on connaît la véritable nature du régime de Vichy, particulièrement sa participation active et volontaire à l’extermination des Juifs. Mais il faut aussi se pencher sur le contexte pour comprendre pourquoi ces institutions ont été non seulement maintenues, mais renforcées à la Libération. Pour la majorité de la population, ni résistante, ni collaborationniste, la guerre c’étaient d’abord les privations, le rationnement et la faim. Or, ces privations n’ont pas cessé du jour au lendemain à la Libération, la carte de rationnement a été maintenue jusqu’en 1949.
Pour l’État de l’après-guerre, la modernisation des campagnes devait être conduite à marche forcée, ce qui, au passage, libérerait des bras pour l’industrie. Dans cette période qui court de la fin de la guerre à la fin des années 60, nombreux sont les pans de l’économie pilotés par l’État qui crée de grands instituts de recherche, comme l’Institut national de recherche agronomique, Inra pour ce qui nous concerne, mais aussi structure les filières et favorise l’émergence de champions nationaux.
Dans le cas des semences, l’outil principal mis en place, c’est le catalogue des variétés cultivées : toute variété devait être inscrite au catalogue et seules les variétés inscrites pouvaient être commercialisées en tant que semences. Jusqu’ici, on pourrait dire pourquoi pas ! On peut aussi y voir une protection des consommateurs et une lutte contre la contrefaçon. Le problème, c’est que l’inscription au catalogue est conditionnée de critères très stricts.
Le premier critère est celui, je cite, « distinction, homogénéité et stabilité », son objectif est clairement de favoriser les variétés dites « variété ligne pure » issues de la sélection généalogique réalisée par les acteurs privés ou étatiques au détriment des variétés dites « variétés population » issues de la sélection massale des paysans.
Le second critère est celui de « valeur agronomique et technologique » qui, lui, va servir à orienter les pratiques agricoles, car la « valeur agronomique et technologique » de la variété va être évaluée suivant les principes de l’agriculture industrielle : engrais, pesticides, mécanisation. Les auteurs donnent un exemple éclairant pour le blé : dans un premier temps, la résistance aux maladies fait partie des critères d’évaluation. Mais, à l’apparition des fongicides, il est décidé que ce n’est plus un critère pour faire partie du catalogue. Autrement dit, l’obligation d’acheter des semences du catalogue se transforme en obligation d’acheter des fongicides.
On voit que ce n’est pas l’existence du catalogue qui pose problème, mais sa gouvernance, et celle-ci a été largement dominée par l’État dans les premières décennies de l’après-guerre. En appliquant le modèle fordiste de l’industrie à l’agriculture, ce dernier a transformé les paysans en maillons d’une chaîne qu’ils ne maîtrisent plus.
Étienne Gonnu : À ce stade, est-ce qu’on peut commencer à établir justement quelques parallèles avec le monde du Libre ?
Vincent Calame : Oui. Avec l’exemple du catalogue, j’aimerais évoquer la question des normes et des standards dont l’importance, en informatique, est évidente, d’ailleurs le combat pour des standards ouverts est un des volets importants du combat pour le Libre.
L’exemple du catalogue montre qu’une norme n’est pas neutre, elle peut être au service d’un objectif politique et, surtout, son évolution au cours du temps doit être surveillée de près. Une norme initialement ouverte peut se fermer de version en version, rendant notamment la barrière à l’entrée particulièrement élevée pour de nouveaux arrivants. Dans les premières années, par exemple, le catalogue de semences contenait des variétés population, celles issues de la sélection par les paysans, mais elles ont progressivement disparu au gré de la modification des critères.
Un exemple rapide, un peu équivalent, me vient à l’esprit en informatique, celui des normes de lutte contre les courriels indésirables. Sous un prétexte louable, la norme devient de plus en plus complexe et il devient de plus en plus difficile d’auto-héberger son courriel.
Pour conclure cette chronique et pour introduire la prochaine partie, parce que nous n’avons pas encore fait le tour de la question, l’intervention de l’État, jusqu’à la fin des années 60, avait un objectif clairement politique : la modernisation de l’agriculture. Son action n’était pas inféodée à des intérêts privés. Pour preuve, le dépôt de brevet n’était pas envisagé et la réutilisation par l’agriculteur des semences issues de ses propres cultures était autorisée. Les choses vont changer à partir des années 70 et nous aborderons ça dans la prochaine chronique.
Étienne Gonnu : Merci Vincent et quel sens de la transition et du suspense ! Je te dis au mois prochain pour une partie 3 de Semences : une histoire politique.
Vincent Calame : Tout à fait.
Étienne Gonnu : Merci beaucoup Vincent et nous allons passer aux annonces de fin.
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Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Étienne Gonnu : Dans les annonces, je vous rappelle que Cause Commune nous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois à partir de 19 heures dans ses locaux, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement. Une réunion d’équipe ouverte au public avec apéro participatif à la clé. Occasion de découvrir le studio et de rencontrer les personnes qui animent les émissions. La prochaine soirée-rencontre aura donc lieu le vendredi 3 novembre.
Que faites-vous la semaine prochaine à 15 heures 30 ? Nous vous donnons rendez-vous sur les ondes de la radio Cause Commune pour une première mondiale historique, le lancement d’un nouveau rendez-vous dans Libre à vous !, le « Café libre ». Une fois par mois, nous vous proposerons un temps de débat avec notre équipe de libristes de choc, issus d’une rigoureuse sélection, pour discuter avec elles et eux et débattre des sujets d’actualité autour du Libre et des libertés informatiques. On vous donne donc rendez-vous mardi 31 octobre à 15 heures 30, toujours en direct, pour ce premier « Café libre ». Et si vous n’êtes pas disponible, rassurez-vous, vous n’aurez peut-être pas l’intensité et le suspense du direct, mais vous pourrez, bien sûr, vous rattraper avec le podcast qui sera disponible quelques jours plus tard ou, bien sûr, la transcription réalisée par le groupe Transcriptions de l’April. J’en profite pour remercier, comme souvent, Marie-Odile et les autres personnes de ce groupe Transcriptions pour leur fantastique travail.
Et, comme d’habitude, vous pouvez trouver les évènements libristes ainsi que les associations libristes locales sur agendadulibre.org.
Notre émission se termine.
Je vais remercier les personnes qui ont participé à l’émission : Gee, Laurent Costy, Lionel Jeannerat, Aquilegia Nox et Vincent Calame.
Aujourd’hui, à la régie, Bookynette pour sa première régie en solo et ça a été une très belle régie, pas grave pour les petites bévues, ça fait partie de l’apprentissage, vraiment aucun souci.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, tous et toutes bénévoles à l’April, ainsi qu’Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.
Vous trouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons en direct ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et également à faire connaître la radio Cause Commune, la voix de possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 31 octobre 2023 à 15 heures 30. Comme je vous le disais, notre sujet principal portera sur l’actualité du Libre, dans un nouveau format d’émission, un « Café libre ».
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve mardi 31 et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.