Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Numérique et transition écologique, c’est le sujet principal de l’émission du jour avec Agnès Crepet et Tristan Nitot. Également au programme une nouvelle humeur de Gee, « Les fracturés du numérique » et Isabella fera un point avec Guillaume Gasnier sur l’édition 2022 du Capitole du Libre qui a lieu ce week-end, les 19 et 20 novembre, à Toulouse.
Soyez les bienvenu·e·s pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour, avec tous les liens et références utiles, et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toutes questions.
Nous sommes mardi 15 novembre, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Ravi de vous retrouver sur les ondes après deux semaines d’absence du fait d’un jour férié puis de notre présence au salon Open Source Experience la semaine dernière.
À la réalisation de l’émission Fred assisté de Thierry qui continue sa formation régie. Salut Fred. Salut Thierry.
Frédéric Couchet : Salut à vous. Belle émission.
Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Les humeurs de Gee » intitulée « Les fracturés du numérique »
Étienne Gonnu : Nous allons commencer par une nouvelle humeur de Gee que nous sommes ravis de retrouver avec nous en studio. Salut Gee.
Gee : Salut Étienne. Salut à toi, public de Libre à vous !
Aujourd’hui, je vais commencer par te raconter une anecdote palpitante : il y a quelques jours, c’était la fin du mois d’octobre, donc la date limite pour faire ma déclaration URSSAF trimestrielle d’autoentrepreneur. Je sais, palpitant et URSSAF dans la même phrase, tu sens venir l’embrouille !
C’est vrai que j’ai un poil exagéré, parce qu’en fait il n’y avait rien de palpitant dans cette expérience : j’ai renseigné les quelque 1 003 euros que j’avais gagné ce trimestre, j’ai validé le calcul des cotisations et j’ai payé. Oui, 1 003 euros sur trois mois, je sais ! Quel requin de la finance ! Prenez garde Bernard Arnault et autre Xavier Niel, j’arrive ! Je plaisante, bien sûr, j’essaie de ne pas laisser tant de succès me monter à la tête.
Pour en revenir au sujet, il n’y avait, je le répète, rien de franchement reversant dans cette déclaration URSSAF. Ça m’a pris 10 minutes à tout casser, puis j’ai quitté le site et j’ai repris le cours de ma vie. Parce que je fais partie de cette catégorie de gens pour qui la numérisation des services publics et des démarches administratives est une bénédiction.
Quand je pense à la génération de mes parents ! Ils devaient se fader leurs feuilles d’impôts à la main, puis les mettre dans une enveloppe, lécher le timbre pour joindre un échantillon de leur grippe saisonnière – ils n’avaient pas encore le covid à l’époque, les has-been –, envoyer le tout en prenant en compte les délais de la poste pour être sûrs de ne pas dépasser la date limite et croiser les doigts pour que le courrier ne se perde pas en route… Non, vraiment !, vive la numérisation des démarches administratives. Enfin pour moi. Et pour les gens comme moi. Les gens à l’aise avec l’informatique et pour qui utiliser l’ordinateur est une tâche aussi courante que marcher dans la rue, voire plus, pour certaines personnes.
Sauf que contrairement aux adeptes de la Start-up Nation, moi j’ai bien conscience qu’une bonne partie de la population n’a pas cette facilité avec l’informatique, ou n’a pas le temps pour ça, ou s’en fout, parce qu’on a bien le droit de s’en foutre, après tout.
Le souci, c’est que cette numérisation des services publics s’accompagne, en général, d’une réduction drastique de leurs équivalents physiques, voire de leur suppression. Et autant je suis bien content de pouvoir faire mes démarches administratives en ligne, autant je déteste l’idée qu’on ne laisse aucune alternative. Pourquoi ? Eh bien parce qu’on laisse alors pas mal de personnes sur le carreau. On appelle ça « la fracture numérique ». Une enquête sur l’illectronisme en France concluait, en 2018, que 23 % de la population française déclarait ne pas être à l’aise avec le numérique. Et selon le Baromètre du numérique, 2018 toujours, 36 % des sondés déclaraient être inquiets à l’idée d’accomplir des démarches administratives en ligne. 36 % !
Qu’on soit bien clair. Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas juste « les vieux ». Ça fait un sacré paquet de monde en fait, 36 %. Bon, et puis pardon, même si c’était juste « les vieux », est-ce que ce serait une raison pour s’en foutre ? Oui, je sais, ils ont voté à 35 % dès le premier tour pour le type qui va flinguer nos retraites alors qu’eux en profitent depuis leurs 60 ans, mais pensons aux autres : les vieux, y’en a des biens !
Et puis je dois dire que même moi qui suis relativement jeune, ingénieur et docteur en informatique de formation, je suis parfois atterré par les extrémités auxquelles cette numérisation à marche forcée nous pousse. Ainsi, récemment, j’étais à la gare de Nice pour prendre un train pour Cannes. Comme les automates étaient pris d’assaut par de longues files de voyageurs, qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai fait au plus « simple », entre guillemets, j’ai téléchargé l’appli SNCF Connect sur mon smartphone, j’ai passé des plombes à entrer mes infos personnelles, ma carte bancaire, à chercher le train avec le bon horaire puis, enfin, à réussir à réserver un billet. Le tout debout, comme un con, dans une gare bondée où aucun guichet n’était ouvert, là où il y a quelques années encore, j’aurais pu tout simplement tendre un bifton au guichet et sauter dans le premier TER venu.
Est-ce que là, on n’aurait quand même pas un peu vrillé sur la numérisation ? Encore une fois, télécharger une app et entrer des infos dedans, ça m’a un peu gonflé vu le côté ubuesque de la situation, enfin ça va, je gère. Mais vous imaginez les gens qui galèrent ?
Eh bien, pour les gens qui galèrent, la dernière extrémité s’appelle « l’abandonnisme ». En gros, face à un numérique que tu n’arrives pas à utiliser, tu lâches l’affaire. Dans mon exemple, tu ne prends pas le train, mais tu peux aussi laisser tomber des démarches à la CAF ou t’abstenir de faire une réclamation quand EDF se plante sur ta facture d’électricité. Et ça, ça concerne 19 % de la population française ! 19 % qui a déjà renoncé à quelque chose parce que ça impliquait l’utilisation d’Internet ! Une personne sur cinq ! Une personne sur cinq, c’est énorme ! Vous imaginez les Spice Girls sans Geri Halliwell ? Ou les Beatles sans Pete Best ? Non, ça n’est pas un bon exemple !
Bon, je me répète, mais ça concerne toute la population, y compris la jeune génération. Vous savez, celle qu’on dénomme par cette expression débile de digital native. Digital native and my ass is chicken ! Sous prétexte que les mômes sont nés avec un iPhone dans les mains, sous prétexte qu’ils passent des heures sur YouTube quand nous on passait des heures devant Les Minikeums, ça leur donnerait automatiquement des compétences en administration numérique ? Comme ça, par magie ! Pouf, tu fais trois vidéos TikTok et, spontanément, tu sais demander des APL [Aide personnalisée au logement] en ligne ou t’inscrire sur les listes électorales ?
Eh bien non, ça marche pas comme ça ! Le numérique ça s’apprend, et apprendre des choses, ça demande du temps et de l’argent. Le problème c’est que le temps et l’argent c’est précisément ce que les administrations publiques cherchent à économiser en remplaçant à tour de bras des services physiques par du dématérialisé. Résultat, on remplace ton guichetier par une boîte vocale qui ne pige jamais rien à ce que tu lui dis, ou par un site web abscons pour qui n’a pas bac + 2 en informatique, et démerdenzizich.
Le coût, comme d’hab, est assumé par le péquin moyen qui aura le choix entre rejoindre les abandonnistes dont je parlais ou subir l’humiliation d’aller se faire aider ou assister dans les Maisons de services au public ouvertes par France services. Oui, parce que l’État a quand même fini par mettre en place des endroits où tu peux te faire aider pour tes démarches. Sauf que, là, tu n’es plus dans le rôle du citoyen qui se rend dans une administration pour y faire ses démarches, tu deviens l’inadapté, l’enfant qui a besoin de papa/maman pour lui montrer comment on utilise un ordinateur, parce qu’il est trop nul pour le faire tout seul ! Bouh !
France services c’est mieux que rien, mais enfin c’est une béquille qu’on file aux services publics après leur avoir pété les deux genoux.
Moi, en tant que geek, en tant qu’utilisateur enthousiaste du numérique, tout ça, ça me déprime. Parce qu’avec ce genre de méthode, on braque en fait encore plus toute une population qui n’était déjà pas très favorable au numérique. Et comment lui en vouloir quand cette numérisation devient un outil de plus d’aliénation, là où, avec l’April par exemple, nous militons pour que le numérique soit au contraire un vecteur d’émancipation, en permettant aux gens une plus grande maîtrise de leur vie !
Si l’on veut que le numérique soit émancipateur, commençons par rouvrir les services publics et les administrations physiques pour arrêter immédiatement de laisser tant de personnes sur le carreau, puis, prenons le temps de démocratiser réellement l’usage du numérique, avec des investissements conséquents dans l’éducation populaire.
Aliénation, émancipation, démocratiser, éducation populaire, c’est bon !, je crois que j’ai coché toutes les cases sur mon bingo de gauchiste du Web, alors je vais m’arrêter là. J’envoie toute ma compassion et ma solidarité aux fracturé⋅es du numérique, je souhaite bon courage à celles et ceux qui galèrent avec la numérisation forcée et je vous dis salut !
Étienne Gonnu : Merci Gee. Merci de nous rappeler que l’éthique du logiciel libre est effectivement avant tout une question d’émancipation et que tout usage de l’informatique qui oublie une classe de population, toute informatique qui aliène, doit être combattue. Merci aussi d’avoir rappelé à mon souvenir Les Minikeums, petite madeleine de Proust.
Gee : Je t’en prie.
Étienne Gonnu : J’en profite aussi pour rappeler que si tu interviens bénévolement sur Libre à vous !, tu es un auteur, autoentrepreneur comme tu viens de nous l’expliquer, qui a fait le choix de publier l’ensemble de ses œuvres sous licence libre. Tu fais ça à plein temps, tu n’as pas d’autre activité dite professionnelle. Ta rémunération provient quasi essentiellement du don de tes lecteurs et de tes lectrices ou, dit autrement, du paiement d’un prix libre par celles-ci et ceux-ci en contrepartie de la libre disposition de tes œuvres. Je vous invite donc chaudement à soutenir Gee si vous appréciez son travail, notamment sa chronique mensuelle. Vous trouverez le lien pour le faire sur la page web de l’émission.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après cette pause musicale, nous parlerons numérique et transition écologique avec, comme d’habitude, deux invités aussi passionnants l’un et l’une que l’autre.
Avant cela et pour se mettre dans le bain, nous allons écouter 2012 par Kellee Maize. On se retrouve dans un peu plus de trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : 2012 par Kellee Maize.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter 2012 par Kellee Maize, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.
[Virgule musicale]
Numérique et transition écologique, avec Agnès Crepet, responsable de l’équipe informatique et de la longévité logicielle de Fairphone, et Tristan Nitot, responsable du développement durable chez Scaleway
Étienne Gonnu : Pour notre sujet principal, je vais passer la parole à Laurent Costy, chargé de mission Éducation et Communs numériques aux Ceméa, qui a préparé et va animer ce sujet sur le numérique et la transition écologique avec ses deux invités Agnès Crepet, responsable de l’équipe informatique et de la longévité logicielle de Fairphone, et Tristan Nitot, responsable du développement durable chez Scaleway.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Laurent, je te laisse la parole.
Laurent Costy : Merci Étienne pour cette introduction.
J’avais intitulé ce sujet long « Numérique et transition écologique y a-t-il un hic ? » Il y a évidemment un « ique » dans écologique, mais vous aurez peut-être noté que ça ne s’écrit pas pareil.
On a choisi d’inviter Agnès Crepet et Tristan Nitot, que tu as présentés succinctement mais qui vont se présenter plus longuement, pour échanger sur ce sujet-là qui est loin d’être anodin en cette période où, disons, l’énergie coûte de plus en plus cher et où chacun se crispe par rapport à ces questions-là.
Je vais passer la parole à Agnès Crepet qui va pouvoir se présenter. Elle est responsable de l’équipe informatique et de la longévité logicielle de Fairphone. Il va falloir qu’elle nous explique un peu ce qu’est Fairphone, puisque tout le monde ne connaît pas, et on passera ensuite la parole à Tristan.
Agnès, tu nous entends ?
Agnès Crepet : Oui. Bonjour. Vous m’entendez bien, c’est bon ?
Laurent Costy : On t’entend très bien. Tu es à distance et Tristan est dans le studio. On va essayer de se coordonner, ce ne sera pas toujours évident. Excusez-nous s’il y a des petits ratés. Agnès.
Agnès Crepet : Pas de souci. Merci pour l’invitation. Je m’appelle Agnès, je travaille chez Fairphone depuis quatre ans et demi. Fairphone est une entreprise néerlandaise qui fait un téléphone responsable, éthique, dont les principales caractéristiques sont le fait qu’on respecte les personnes qui fabriquent le téléphone, aussi bien les mineurs au sens des gens qui bossent dans les mines jusqu’à celles et ceux qui assemblent le téléphone. On fait aussi des téléphones qui durent. Avoir des téléphones qui durent n’est pas forcément la norme aujourd’hui, actuellement ; nous voulons faire en sorte que ces téléphones aient une longue vie, un peu comme nos machines à laver ou ce genre d’appareils.
Chez Fairphone je suis responsable de la longévité logicielle, donc on lutte contre l’obsolescence logicielle des téléphones dans mon équipe et je m’occupe aussi de l’IT, donc de choses autour de l’informatique mais beaucoup moins exotiques.
Laurent Costy : D’accord. Peut-être que, pour les « p·auditeurs » et « p·auditeuses », il serait intéressant d’expliquer pourquoi il faut faire durer du matériel puisque, souvent, on a tendance à penser qu’il faudrait remplacer très vite son appareil parce que le nouvel appareil est mieux conçu et qu’il consommerait moins.
Agnès Crepet : Les études qu’on appelle des études d’analyse du cycle de vie montrent toutes — et ce n’est pas vrai que pour les Fairphone, c’est vrai pour n’importe quel téléphone — que le principal coût environnemental est lié à la production des appareils. En gros, on est entre 75 et 80 % du coût environnemental, coût en CO2, ressources abiotiques, écotoxicité, human toxicity. Sur plein d’aspects, le plus coûteux c’est la production des téléphones, donc la clé c’est de moins en produire. Et comment fait-on pour moins produire de téléphones ? Eh bien il faut qu’ils durent, il faut que ceux qui existent durent. Il faut faire en sorte que les personnes puissent garder leur téléphone sept ou huit ans alors que la norme actuellement, pour un téléphone Android, c’est plutôt deux ou trois ans. L’étude menée en interne chez Fairphone, quand nous avons fait notre analyse de cycle de vie, a montré que quand on porte à sept ans la longévité de notre téléphone, on réduit de 44 % l’empreinte carbone par rapport à la moyenne des deux à trois ans que je viens de citer. Il y a donc une vraie preuve par le chiffre : il est important de faire des téléphones qui durent.
Laurent Costy : Donc c’est vraiment une idée reçue. Je ne sais pas si ça va au-delà du téléphone, mais j’aurais tendance à penser que oui, que c’est finalement la fabrication qui consomme le plus d’énergie, qui a le plus d’impact environnemental.
Tu as utilisé plein de termes. Je te laisse un tout petit de temps pour les lister et nous les expliquer, après que Tristan aura parlé, si tu veux bien. Merci à toi. Tristan.
Tristan Nitot : Bonjour.
Laurent Costy : Bonjour Tristan.
Tristan Nitot : Bonjour à tous et toutes.
Laurent Costy : Est-ce que tu peux te présenter, dire ce que tu fais professionnellement et même personnellement, en lien avec le logiciel libre éventuellement, et ce que tu as fait par le passé aussi, on te connaît aussi pour d’autres activités précédemment à Scaleway ?
Tristan Nitot : Absolument. Je m’appelle Tristan Nitot. J’ai 56 ans. Je suis informaticien de formation, je suis tombé dans le numérique quand j’étais tout petit puisque j’ai appris à programmer tout seul à 14 ans ; ça m’a donné envie de faire carrière dans ce métier.
Aujourd’hui je suis responsable du développement durable chez Scaleway. Scaleway est une filiale de Iliad, la maison-mère de Free. Nous sommes hébergeur de services cloud, cloud service provider comme on dit in English. Si vous utilisez des services, sans que vous vous en rendiez compte, ils tournent en bonne partie dans le cloud, pas simplement dans votre smartphone ou dans votre PC. Si vous utilisez un e-mail, vous utilisez indirectement des serveurs dans le cloud. Si vous utilisez, par exemple, l’application Geovelo que j’ai utilisée pour venir, c’est quelque chose qui tourne chez Scaleway. Ce n’est pas Scaleway qui le fait, mais Scaleway loue des serveurs à cette entreprise pour faire tourner ses serveurs, pour que votre téléphone ait une réponse, quand il se connecte, pour avoir un itinéraire vélo pour venir, par exemple, jusqu’au studio.
Ce qui m’a plutôt fait connaître, c’est mon travail chez Mozilla. J’ai eu la chance de travailler chez Netscape – là, normalement, les vieux versent une petite larme – qui était l’entreprise qui a fait le premier navigateur commercial qui a eu vraiment du succès, qui a lancé la révolution du Web. Netscape a lancé le projet Mozilla qui a donné Firefox.
J’ai eu la chance d’être dans l’équipe qui était là au départ pour lancer Mozilla et ensuite Firefox. J’ai présidé longtemps Mozilla Europe qui était une association toute modeste, dans mon salon à l’époque, qui a fait Firefox dans toute l’Europe, dans toutes les langues. On a amené tout ce qui était nouvelle langue pour Firefox, parce que, quand mes collègues américains avaient fait une version en anglais, ils étaient contents, ils pensaient que c’était fini et nous leur disions « et en catalan, en français, en espagnol, en italien, en hollandais, en polonais, en allemand, etc. » On a lancé Firefox en Europe.
Laurent Costy : Très bien. On avait eu un petit échange téléphonique au sujet de Firefox, qui est un navigateur, pour ceux qui font bien la distinction entre navigateur et moteur de recherche. Tu m’avais un peu raconté l’histoire avec le moteur de recherche Google, comment ça s’était articulé avec Firefox. Peut-être peux-tu nous le refaire en trois/quatre minutes maximum ?
Tristan Nitot : Un navigateur web, c’est ce qui affiche les pages web dans ton terminal – ton smartphone ou ton ordinateur – et un moteur de recherche c’est la partie qui, quand tu tapes un mot clef, va te dire sur quelle page web tu peux trouver l’information, pour faire très simple. Si tu fais un parallèle avec la télévision, le navigateur c’est ce qui affiche les pages web — je vais faire attention, ça va être une référence de vieux —, alors que le moteur de recherche c’est un peu le guide télévisé, c’est un peu Télé 7 jours, ça n’existe plus Télé 7 jours ? Je ne sais pas, je ne regarde plus la télé.
Laurent Costy : Si, si. Frédéric Couchet nous précise que, à priori, ça existe encore. Frédéric l’achète !
Tristan Nitot : Ça existe encore, visiblement il est toujours abonné, il a l’air surexcité par cette perspective. Très bien ! Fred le lit, lisez Télé 7 jours. Moi je n’ai plus de télé, le problème ne se pose pas. Ça vous donne des informations.
Quand vous fournissez un navigateur, l’internaute ne sait pas forcément où il veut aller, il a besoin d’un moteur de recherche pour s’orienter. Nous nous sommes dit qu’on allait en mettre un qui est bon, parce que, en plus, les gens ne font pas bien la différence entre le navigateur et le moteur de recherche, parce que le navigateur affiche le moteur de recherche, on a l’impression que c’est un peu le même gloubi-boulga ! Même si, techniquement, ce sont deux choses très différentes, dans l’esprit de l’utilisateur ce n’est pas forcément différent. On avait pris ce qui, à l’époque, était le meilleur moteur de recherche, peut-être que c’est toujours le cas. On avait fait un deal avec Google, d’ailleurs on n’avait même pas fait de deal, on avait mis Google comme page d’accueil par défaut. Google a dit « cette chose-là nous apporte beaucoup de visites, c’est vachement pratique, c’est vachement bien ». À ce moment Google a proposés à Mozilla de faire un chèque tous les trimestres pour que ça reste comme ça et c’est toujours le cas aujourd’hui.
Étienne Gonnu : On précisera juste, je crois que ça n’a pas été fait, que Firefox est un logiciel libre. Je pense que c’est essentiel de le rappeler.
Tristan Nitot : C’est essentiel de le rappeler, effectivement.
Laurent Costy : Merci Étienne pour cette précision qui, pour nous, coule de source mais qu’il est toujours bon de rappeler.
Tristan Nitot : Ce qu’il y avait de sympa à l’époque, c’était presque la première fois qu’on avait un logiciel libre qui s’adressait vraiment au très grand public, qui était super facile à utiliser. Ça a un petit peu aidé le Libre à sortir de son image de geek, au point, d’ailleurs, qu’on oublie de dire que c’est un logiciel libre, mais c’était et c’est toujours un logiciel libre. Il est fait pour être super convivial. C’était un peu une révolution à l’époque, même pour nous développeurs de Mozilla, c’était « ah bon ! Il faut vraiment dire qu’il faut l’installer sous Windows ? — Oui, les gens sont sous Windows, donc il faut d’abord parler de Windows avant de parler de Linux », ce n’était pas évident.
Laurent Costy : Ça a quand même été un bel étendard pour le Libre, pour promouvoir le Libre à l’époque.
Tristan Nitot : Et il vient de fêter ces 18 ans, donc cette affaire-là ne nous rajeunit pas !
Laurent Costy : Effectivement, merci.
Je vais revenir vers Agnès. Je ne sais pas si elle a fait la liste de tous les mots difficiles qu’elle a utilisés tout à l’heure. Je veux bien, si possible, que tu nous les expliques et tout ce que ça sous-tend derrière. Je n’ai pas eu le temps de les noter, j’en suis désolé, mais il y avait plein de termes intéressants qui parlaient d’humain.
Tristan Nitot : De ressources abiotiques, par exemple, on a entendu ça tout à l’heure.
Laurent Costy : Oui, j’ai entendu ça aussi.
Agnès Crepet : Rapidement. En gros, quand on s’interroge sur le coût environnemental du numérique, c’est vrai qu’il faut sortir de la simple empreinte carbone qui est un indicateur, mais ce n’est pas le seul. Là ce n’est pas Fairphone qui parle, c’est vraiment toute personne un peu sérieuse qui fait ces fameuses analyses du cycle de vie. Il faut s’intéresser à d’autres facteurs, typiquement à l’écotoxicité : en quoi, par exemple, la production d’un téléphone va avoir des conséquences dues à l’exploitation minière dans certains pays africains, ce genre de choses. Ce sont tous ces éléments-là qui sont pris en compte. Les ressources abiotiques ce sont typiquement les ressources minérales, donc les ressources non vivantes. Je pense que maintenant les personnes qui nous écoutent sont peut-être un peu plus conscientes de ces problématiques-là. C’est vrai qu’on parle, depuis quelques années, des problématiques de minerais. Guillaume Pitron a sorti, il y a cinq ans, son fameux livre La guerre des métaux rares. Les gens commencent à comprendre qu’il y a des soucis avec les minerais, eh bien ce sont ces fameuses ressources abiotiques.
Quand on fait ces analyses du cycle de vie, on ne s’intéresse pas uniquement aux émissions de gaz à effet de serre, donc l’empreinte carbone, mais aussi à la consommation de ces ressources, aussi à l’énergie primaire, je ne vais pas rentrer dans le détail. Tous ces éléments-là sont des choses à regarder et à regarder non pas sur l’usage, uniquement sur l’usage du produit, du téléphone, du laptop, de ce que vous voulez, mais sur sa vie totale. La vie du téléphone, si je ne parle que des téléphones, commence au moment où on va sourcer les fameux minerais et la vie du téléphone termine à l’étape où on va essayer, par exemple, de recycler le téléphone, on va essayer de le démanteler pour pouvoir réutiliser certaines parties, dans le meilleur des cas. L’analyse du cycle de vie est essentielle pour avoir une vision globale du coût du produit.
Pourquoi je dis de ne pas se fixer uniquement sur l’usage ? Aujourd’hui, on est un peu baigné dans des discours très marketing qui nous poussent à utiliser de l’électrique à tout-va, disant que c’est quand même vachement mieux, par exemple, d’avoir une voiture électrique, je prends l’exemple de la voiture électrique, parce que c’est beaucoup mieux quand on utilise sa voiture pour faire Saint-Étienne Paris — j’habite à Saint-Étienne. Le coût environnemental du trajet sera évidemment moins important que si on utilisait du gasoil, certes, mais si on regarde l’intégralité de la vie de cette voiture, le coût environnemental de la production d’une voiture électrique est assez élevé, beaucoup plus que celui d’une voiture thermique par exemple. Si je parle des grosses voitures avec des grosses batteries qui consomment beaucoup de lithium, beaucoup de cobalt, etc., eh bien le coût d’extraction des minerais que je viens de citer est assez important.
J’ai été un petit peu longue mais c’est pour essayer d’expliquer ces termes un peu obscurs que j’ai précités dans mon introduction.
Très important de faire l’analyse du cycle de vie, de mesurer ces différents facteurs – ressources abiotiques, gaz à effet de serre, écotoxicité, human toxicity, etc., human toxicity c’est l’impact sur les hommes et les femmes des problèmes environnementaux. Très important aussi de ne pas se focaliser uniquement sur l’usage, mais de s’intéresser à toutes les étapes du cycle de vie du produit.
Laurent Costy : J’imagine. Deux choses peut-être. De fait, quand on met des offres pour racheter plus facilement une nouvelle voiture électrique, c’est juste pour pousser le commerce, finalement on ne se soucie pas de la question environnementale ? C’est une vraie question que je pose, en tout cas ça a l’air similaire à la problématique des téléphones, de la durée de vie des téléphones, c’est ma première question. J’ai oublié ma deuxième question, elle reviendra tout à l’heure, ce n’est pas grave.
Agnès Crepet : L’histoire du rachat s’applique aussi aux téléphones. En gros, quand on te pousse à changer ton téléphone parce qu’il peut avoir une deuxième vie pour finir en téléphone reconditionné, etc., il n’y a pas une seule réponse, mais une des réponses est potentiellement oui, c’est toujours mieux de pouvoir réutiliser ce fameux produit et de lui allonger un peu son cycle de vie. Mais il y a aussi une problématique dans ce focus qui est justement uniquement sur le recyclage ou le reconditionnement on va dire, c’est qu’il ne faut pas que ça devienne une excuse pour une surconsommation des produits, que ce soit la voiture, le téléphone ou le laptop.
Typiquement quand j’entends, et récemment j’ai entendu une conférence où il y avait des gens qui disaient, des speakers sur scène, « on s’en fout un peu, les gars vous pouvez acheter un téléphone chaque année, vous le remettez sur Back Market et on n’en parle plus. » Eh bien, non ! Non ! Ce n’est pas comme ça que ça marche. Il peut aller sur Back Market et il sera peut-être racheté. Là n’est pas le problème ! Il faut arriver, toutes et tous, à garder plus longtemps nos produits. Le fait d’allonger la vie de son téléphone oui, ça va pouvoir servir, mais il faut vraiment qu’on change toutes et tous de mode de consommation ; l’idée est là.
Beaucoup de boîtes aussi, beaucoup de concurrents à Fairphone misent justement aussi là-dessus, incitent les consommateurs/consommatrices à vouloir changer leur téléphone ; on parle aussi des opérateurs, il n’y a pas que les fabricants de téléphones, les opérateurs poussent aussi. Maintenant ils sont un peu plus réglementés, mais vous avez tous connu ces périodes où on vous proposait d’avoir un nouveau téléphone tous les deux ans. Maintenant c’est un peu plus réglementé, ça devrait justement être un peu plus cher de faire ça, mais, pendant longtemps, vous pouviez avoir un téléphone tout neuf juste parce que vous alliez renouveler votre contrat chez un opérateur quelconque français. Ça, ça pousse justement les personnes, les consommateurs/consommatrices, à changer de téléphone ou de produit électronique.
Tristan Nitot : Oui. Il y a un côté normalisation. C’est-à-dire que si tout le monde autour de soi change son téléphone, eh bien je n’ai qu’à foutre le mien sur Back Market et puis je vais le changer aussi. Il y a un peu une perméabilité, les gens sont sensibles à ce que fait leur entourage et si leur entourage montre le mauvais exemple, ils vont le reproduire et changer aussi. Alors que si on décide de garder son téléphone plus longtemps, « tu vois, mon smartphone a quatre ans et je n’ai pas prévu de le changer », eh bien en fait, autour de soi ça va faire tache d’huile dans le bon sens et ça va pousser les gens à ne pas renouveler leur téléphone.
Agnès Crepet : Et à le garder.
Tristan Nitot : Pour revenir rapidement sur la voiture. Est-ce que la voiture électrique va nous sauver ? Il faut juste rappeler que la voiture électrique n’est pas là pour sauver la planète, elle est là pour sauver l’industrie automobile, c’est essentiellement ça, ne perdons pas ça de vue.
Laurent Costy : C’était une question perverse de ma part, bien sûr Tristan.
Tristan Nitot : Il fallait que ça soit dit ! C’est fait !
Laurent Costy : C’est fait, je te remercie. Entre-temps j’ai retrouvé ma question, Agnès. Par rapport à l’analyse du cycle de vie complet d’un appareil, j’imagine que ce n’est pas facile de mesurer l’énergie consommée tout au long du cycle de vie de l’appareil.
Agnès Crepet : Disons que ce n’est pas une tâche que tu peux faire en un week-end, mais ce sont des choses qui se font. Nous faisons appel aux services d’un institut germanique qui fait référence, qui s’appelle l’institut Fraunhofer. Tu utilises une tierce partie, tu payes cet institut qui vient enquêter sur ce que tu fais pendant plusieurs semaines pour pouvoir sortir un audit. En fait il n’y a rien de compliqué. Nous pourrions le faire en interne, mais on conseille de le faire faire à un organisme indépendant pour qu’il y ait justement cette impartialité, on va dire. Dans toutes les interviews qu’on a avec l’Arcep [Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse], qu’on a avec le gouvernement français sur ce qui pourrait être une norme pour essayer de comparer un peu les fabricants, on pousse pour ça. On pousse pour qu’il y ait des instituts indépendants, comme Fraunhofer, qui puissent faire ce genre d’étude d’analyse du cycle de vie des produits électroniques ; qu’il y ait, en gros, une obligation pour le fabricant de téléphones, lorsqu’il sort son nouveau produit, à fournir cette analyse du cycle de vie. Il n’y a rien de compliqué. Même Fairphone arrive à payer ce genre d’institut. Si Fairphone y arrive, ça montre aussi que d’autres peuvent y arriver.
L’anecdote, qui n’en est pas vraiment une au final, les fondatrices et les fondateurs de la boîte disent souvent que la raison d’être de Fairphone c’est vraiment d’être le poil à gratter, le moustique dans la chambre, quelle que soit la manière dont vous l’appelez, d’être la structure qui embête un peu les autres et qui veut montrer qu’on peut agir de manière plus responsable dans l’industrie électronique. Est-ce que c’est compliqué ? Non, ce n’est pas compliqué. Est-ce que c’est compliqué de faire un support logiciel long sur un téléphone Android ? Ce n’est pas simple, mais c’est possible.
Toute la démarche qu’on a chez Fairphone c’est vraiment de montrer un exemple pour pousser l’industrie à agir de manière plus responsable.
Laurent Costy : Merci beaucoup pour cet éclairage.
Je vous avais proposé de parler de vos missions professionnelles, mais vous pouvez aussi parler de vos missions personnelles. Peut-être que tu peux évoquer l’Octet Vert, Tristan ?
Tristan Nitot : Ça fait un bout de temps que je voulais parler de climat. En fait, je suis une grosse feignasse, je n’aime pas travailler ! Comme il faut bien quand même croûter et nourrir ses enfants, j’ai trouvé la solution, je m’attaque à des problèmes compliqués qui m’inspirent, qui m’excitent. Ça a été le Web ouvert, ça a été le logiciel libre et puis, lors de la démission de Nicolas Hulot, j’ai eu comme un électrochoc et c’est devenu « et si je m’occupais du climat ! » J’ai compris — ça a vraiment été une nouvelle prise de conscience à ce moment-là — qu’au niveau du climat on était quand même sacrément mal barrés. Du coup je me suis orienté vers le développement durable. Chez Scaleway on parle anglais, donc on dit sustainability, c’est le développement durable.
Avant d’arriver chez Scaleway je me suis demandé comment est-ce que je peux montrer tout ce que j’ai appris personnellement et montrer que je suis compétent sur le sujet. Ça m’a décidé à lancer un podcast qui s’appelle l’Octet Vert. Ce n’était pas tant pour parler de moi, c’était pour aller à la rencontre de tas de gens que j’avais trouvés super intéressants dans mes conversations. J’ai commencé à interroger des gens, dont une certaine Agnès Crepet qui, je dois le dire, je peux le dévoiler, Agnès, tu es mon épisode préféré d’Octet Vert.
Ça donné un podcast qui s’appelle l’Octet Vert, dans lequel j’ai eu 35 invités, autant d’hommes que de femmes, à peu près parce qu’ils sont 35, il y en a forcément un qui est plus nombreux que l’autre, mais j’ai essayé de respecter la parité. Ce sont des gens qui agissent dans leur métier. L’Octet Vert, comme son nom l’indique – comme un kilooctet, un mégaoctet – ça parle de numérique ; Vert, de climat et de changements climatiques. Et puis de bonne humeur aussi ; comme le sujet peut être plombant, j’avais envie qu’on ait des moments légers et, finalement, on rigole bien en discutant de choses graves avec ces 35 invités.
J’ai fait deux saisons. Là, comme j’ai commencé un nouveau job, j’ai un peu la tête sous l’eau, l’Octet Vert est en pause, mais je ne désespère pas de recommencer une troisième saison prochainement.
Laurent Costy : Merci. On mettra la référence sur la page de l’émission, il n’y a pas de souci.
Tristan Nitot : Si vous avez envie de rigoler, d’apprendre des trucs et d’être inspirés par des gens sympas qui font des choses super cool comme Agnès Crepet, eh bien c’est l’Octet Vert.
Laurent Costy : Merci Tristan.
J’avais prévu de vous poser la question de savoir comment vous aviez vu évoluer la question énergétique dans le numérique ces dernières années. Vous avez du recul, c’est intéressant que vous puissiez exprimer un peu cette vision-là. On va commencer par Tristan et après, Agnès, je te passerai la parole, ça te laisse un peu plus de temps pour réfléchir à la réponse.
Tristan Nitot : J’ai trouvé, et je pense que c’est toujours le cas, que c’était un sujet auquel personne ne comprenait rien, sur lequel personne ne savait rien. On a tous commencé avec la réflexion par défaut en se disant « ça va, ça ne consomme pas trop ! »
Laurent Costy : C’est le cloud !
Tristan Nitot : Et, en fait, à ne pas se rendre compte des choses, à ne pas du tout être dans une optique ACV, analyse du cycle de vie comme disait Agnès. L’ACV c’est prendre toute la vie du produit, depuis sa production, sa création, son utilisation, sa réparation, son recyclage, mais aussi multicritère et ce mot multicritère est essentiel. Ce n’est pas juste un problème de climat, de CO2, de gaz à effet de serre, c’est aussi l’épuisement des ressources abiotiques, la toxicité de la fabrication, etc., c’est vraiment très important.
Au début on n’y connaissait rien et je dois reconnaître qu’encore aujourd’hui il y a des débats qui sont compliqués, sur lesquels on n’a pas complètement tranché. Il n’y a pas de manière claire d’expliquer à quel point le streaming est un problème, à quel point supprimer ses e-mails est important. En fait, il y a eu beaucoup de mauvais débats ou des débats faussés et j’espère, au fur et à mesure que la recherche scientifique évolue et que les idées sont plus claires, qu’on arrivera à avoir des débats plus sereins. J’ai des souvenirs de débats sur la 5G qui sont très compliqués, où certains te disaient « oui, mais attendez, la 5G va consommer moins. » La réalité c’est qu’en fait ça va pousser les gens à consommer de la data et qu’il va quand même falloir refabriquer et redéployer des antennes. Le sujet est finalement beaucoup plus compliqué que ce qu’on pourrait penser : peut-être qu’à un instant t la 5G va consommer moins que de la 4G et les gens vont dire « oui, mais attendez, en même temps la consommation de data augmente », parce qu’en fait on l’a permise, mais, de fait, elle augmente donc il faut changer les infrastructures.
C’est juste un exemple que le sujet est hyper-complexe et que, jusqu’à présent, on se basait sur des informations qui étaient pas mal biaisées. Évidemment, on a tous plus ou moins un intérêt dans un sens ou dans l’autre à ne pas dire la vérité ou à la présenter de la façon la plus flatteuse possible.
Ça s’est pas mal amélioré et on se rend compte, comme le disait Agnès tout à l’heure, que le principal problème c’est le coût dans tous les sens du terme, c’est-à-dire le carbone mais pas seulement, de la fabrication des terminaux. Après, il y a toute une phase utilisation qui n’est pas simple, avec des problématiques qui sont très différentes suivant les endroits où on se trouve.
Le smartphone consomme très peu, le gros problème du smartphone c’est vraiment sa fabrication parce que c’est un concentré de technologie avec une très faible consommation. Le poids du smartphone c’est évidemment sa fabrication versus son utilisation.
Dans un datacenter ce n’est pas la même chose. Si tu mets ce datacenter en France et que tu l’alimentes avec de l’électricité nucléaire et des barrages hydroélectriques, ton électricité est peu carbonée, c’est-à-dire qu’elle émet peu de gaz à effet de serre au moment où tu la produis. Pour donner un exemple aux gens, si ma mémoire est bonne et elle ne l’est pas forcément, un kilowatt-heure d’électricité nucléaire c’est, en gros, six grammes de CO2 émis, c’est très peu. Si tu fabriques le même kilowatt-heure en Pologne, à base d’une centrale qui marche au charbon, qui est donc un vrai cauchemar, là tu brûles du carbone qui s’en va dans l’atmosphère et là tu es plutôt dans les 700 grammes versus les six grammes, donc plus de 100, 120 fois plus en Pologne qu’en France.
Laurent Costy : Comment intègres-tu après, dans tous ces calculs-là, les accidents potentiels comme Fukushima ?
Tristan Nitot : C’est sûr que le nucléaire n’a pas que des avantages, mais ce ne sont pas des problèmes de réchauffement climatique.
Laurent Costy : D’accord. Ce n’est pas intégré dans le calcul des émissions de CO2, c’est autre chose. C’est du risque.
Tristan Nitot : C’est complètement autre chose. C’est du risque, ça n’est pas du gaz à effet de serre. Je ne suis pas en train de faire un chèque en blanc pour le nucléaire. En tout cas, sur les émissions de CO2, ça fait partie de la solution avec d’énormes défauts derrière et c’est pour ça qu’avoir ces débats c’est super compliqué. Il y a des tas de gens qui ont très peur du nucléaire, c’est de la peur, c’est de l’émotion. Il y a des gens qui ont structuré leur pensée autour de « le nucléaire c’est mal », je pense en particulier aux écolos ; je ne suis pas en train d’en dire du mal, Greenpeace et compagnie sont des gens qui, factuellement, ont construit leur mouvement contre le nucléaire, ça les a structurés. Si, tout d’un coup, on commence à dire que le nucléaire fait partie de la solution, c’est une chose qui n’est pas entendable pour eux et ça ne simplifie le débat autour de tout ça.
Globalement ça s’améliore, mais le débat reste hyper-technique, hyper-compliqué, avec effectivement des problématiques politiques autour.
Laurent Costy : Avant la pause je laisse la parole à Agnès sur la même question et j’en rajoute une deuxième : est-ce que la gratuité offerte par les GAFAM n’est pas venue, justement, rajouter une couche de complexité dans les débats ? Peut-être que tu peux aussi répondre à ça, Agnès, par rapport à ce que tu comptais répondre.
Agnès Crepet : Sur la question énergétique dans le numérique sur ces dernières années, si on regarde un petit peu, certes il y a eu différents rapports et des chiffres qui n’étaient pas forcément justes, mais, quand même, la plupart des rapports s’accordent à dire qu’aujourd’hui le numérique représente à peu près 4 % des émissions de gaz à effet de serre et on doit s’attendre à un doublement d’ici quelques années, trois, quatre, cinq ans. Je pense sincèrement que l’efficacité énergétique qui peut être due au progrès technologique ne va pas suffire à compenser l’augmentation des usages.
Pour toujours revenir à mon cheval de bataille, que peut-on faire face à cette situation-là, quelles sont les solutions ?
Première solution, je l’ai déjà dit longuement, arriver à faire des appareils et des solutions qui durent.
Arriver à réduire la quantité de toutes les ressources numériques qu’on peut utiliser, que ce soit individuellement mais aussi au sein des organisations. La loi REEN, dont on pourra reparler, qui est passée en novembre 2021 pour inciter au moins les infrastructures publiques à favoriser l’usage des produits numériques sur le long terme, éventuellement du reconditionné, etc., couvre aussi l’écoconception des services numériques.
Si je pense aux solutions, il y a aussi le fait de redonner le contrôle aux utilisateurs, ça rejoint ta question sur les GAFAM. Si on permet aux utilisateurs et utilisatrices de choisir leurs mises à jour logicielles, par exemple de choisir leur système d’exploitation, eh bien on peut arriver à des choses plus durables. Je crois que c’est dans la loi REEN, si je ne me trompe pas, on a quelque chose qui est passé un petit peu inaperçu, en tout cas peu de médias l’ont noté : le texte dit que les techniques qui empêchent le consommateur d’installer les logiciels ou les systèmes d’exploitation de son choix sur son matériel au bout de deux ans sont proscrites, sont interdites. C’est chouette. Ça veut dire que ça va inciter la plupart des fabricants à avoir un bootloader unlockable.
Laurent Costy : Je me permets de préciser, le bootloader c’est le programme de démarrage de l’appareil électronique.
Agnès Crepet : Exactement, ce qui permet de booter l’appareil, de booter le système d’exploitation. Imagine que cette solution technique a une porte, une solution by design qui permet d’installer quelque chose d’autre, je vais le tourner comme ça, plus simplement, eh bien ça veut dire que plutôt que d’avoir un Android certifié, tu vas pouvoir faire tourner un Android alternatif sans trop de trackers Google ou bien tu pourrais installer Ubuntu Touch, postmarketOS ou je ne sais quelle solution basée uniquement sur Linux. Il y a aussi des systèmes comme ça qui existent.
Laurent Costy : Et qui sont souvent plus légers. Certains constatent quand même une différence de consommation de l’appareil lorsque c’est un système alternatif, alors que quand c’est l’Android natif qui envoie de la donnée sans cesse, etc., ça consomme beaucoup plus rapidement, ça vide beaucoup plus rapidement la batterie.
Agnès Crepet : Ça vient aussi des quantités de data qui sont échangées, qui transitent. C’est un peu triste, mais c’est ça.
Tristan Nitot : Il faut ajouter, et je ne mets pas Fairphone dans le sac, que si tu es un grand constructeur de smartphones, tu as tout intérêt à ce que ta machine tombe en panne ou soit un peu moins excitante pour le consommateur au bout deux ans parce que comme ça il va en racheter une nouvelle. Maintenir du logiciel longtemps, ça ne les intéresse pas forcément. Permettre la réutilisation et l’installation de systèmes alternatifs, ça ne les intéresse pas vraiment. Bref ! Il faut qu’ils soient contraints parce que sinon ils sont très contents que tu balances ton smartphone au bout de deux ans pour en racheter un nouveau.
Il faut quand même rappeler qu’en Occident un smartphone dure en moyenne 23 mois et, dans 80 % des cas, quand il est balancé, il fonctionne encore. C’est vous dire qu’on marche complètement sur la tête parce que ce n’est pas la tendance. Pour rappel l’accord de Paris, en gros pour sauver la civilisation sur cette planète, il faut diviser par cinq les émissions des gaz à effet de serre en France. On émet dix tonnes par Français, il faut descendre à deux tonnes d’ici 2050, donc il faut vraiment réduire, il faut appuyer très fort sur le frein. À côté de ça, on continuerait à jeter des téléphones, qui ont coûté une énergie dingue, tous les deux ans ! On marche sur la tête ! Pareil au niveau du numérique. Ça produit 4 % des gaz à effet de serre et ça risque de doubler ! Il faut arrêter, il faut freiner, il faut trouver des solutions. L’urgence est là !
Agnès Crepet : J’ai lu un rapport d’il y a quelques semaines du WEEE [Waste Electrical and Electronic Equipment Regulation], qui donnait des chiffres qui rejoignent ce que tu dis, Tristan. On est aujourd’hui à 16 milliards de téléphones possédés dans le monde et il y en a cinq milliards qui vont devenir de l’e-waste, donc des déchets électroniques en 2022. Ça parle aussi en termes de chiffres. Imaginez ce qu’on est en train de vous dire ! Cette surconsommation devient complètement dingue. C’est pour ça que quand j’entends « allez les gars, achetez un nouveau téléphone chaque année, on s’en fout, on est riches et mettez vos téléphones en vent sur Back Market ! » Non ! Non ! Non ! On garde son téléphone, on essaye d’allonger la durée de vie de ses appareils. Ce sont les clés.
Pour répondre à la question et avec le lien sur les GAFAM, je pense que quand on donne le contrôle à l’utilisateur, à l’utilisatrice, on peut arriver à quelque chose d’intéressant sur le côté privacy mais aussi sur le côté longévité. Tous les OS alternatifs ont une durée de vie plus longue. Si je pense à LineageOS, qui est un des plus gros systèmes alternatifs Android, ça tourne sur plus de 100 devices et ce sont des mises à jour qui durent sur non pas deux à trois ans mais plutôt cinq, six, sept, huit ans.
Laurent Costy : Ça tourne sur plus de 100 appareils différents, pour traduire devices pour les gens.
Agnès Crepet : Ça tourne sur plusieurs appareils, exactement, et ça permet surtout, si tu as un vieux Samsung qui traîne chez toi, qui n’a plus de mise à jour logicielle parce que Samsung a dropé le support donc tu as plein d’apps qui ne vont plus marcher, du coup tu peux débloquer ton téléphone et installer un système alternatif. C’est quand même vachement intéressant parce que ça allonge. On dit souvent que les systèmes alternatifs c’est super pour le côté privacy, bien sûr, mais c’est aussi bien pour le côté longévité. Je suis très contente de voir qu’il y a quand même un arsenal législatif qui commence à se mettre en place pour essayer de bannir du marché des pratiques non responsables, typiquement le fameux bootloader, dont je parlais, qui devrait être unlockable. On peut le unlocker pour pouvoir installer ce qu’on a envie sur son téléphone.
Étienne Gonnu : Comme l’échange est vivant et passionnant, exceptionnellement on ne va pas faire de pause musicale. On va laisser l’échange continuer.
C’est intéressant que tu parles de ce bootloader, de cette loi REEN, loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. À la base c’était une proposition de l’April pour les interdire, tout bonnement. Ce délai de deux ans a été ajouté par un député de la majorité, en gros ça correspond au délai légal de conformité. C’est aussi un ralentissement de la démarche. On porte cette idée qu’un pilier pour une informatique plus durable doit être le respect de la liberté des utilisateurs et des utilisatrices qui a tendance, malheureusement j’ai l’impression, à être perçu comme un frein à la durabilité ; c’est une forme d’infantilisation de ces personnes, alors que la liberté informatique est vraiment un vecteur de durabilité.
Je vous laisse poursuivre.
Tristan Nitot : Je vais enfoncer le clou et on va peut-être parler des PC. Quelle est la nouvelle version de Windows ?, Windows 11, c’est ça ?
Laurent Costy : Je crois qu’on en est là.
Tristan Nitot : C’est dramatique parce que en fait, aujourd’hui, elle n’est compatible qu’avec la moitié du parc. Elle exige des fonctionnalités qui sont matériellement dans le PC et, si elles n’y sont pas, ça refuse de fonctionner, ça pourrait, mais ça refuse. Ça veut dire que la mise sur le marché de Windows 11 rend obsolète la moitié du parc de PC installés aujourd’hui alors que, justement, il faudrait les faire durer le plus longtemps possible. Et c’est là que Linux, je devrais plutôt dire GNU/Linux, entre en jeu et permet de faire durer du matériel et utiliser très longtemps du matériel pour ne pas avoir à le jeter, donc du matériel ancien mais qui fonctionne encore, parce que le silicium s’use très peu quand on s’en sert ; c’est juste qu’il est rendu obsolète par la loi de Moore, par le progrès des puces. C’est juste que c’est démodé et qu’on fait des logiciels qui vont tirer parti des nouvelles puces plus puissantes et, en comparaison, ce nouveau logiciel va se traîner sur du matériel qui a quelques années et les gens vont remplacer ce matériel, qui fonctionne parfaitement, juste parce que le logiciel se traîne. En fait c’est le logiciel qui rend obsolète le matériel, alors que le matériel fonctionne très bien.
Donc des solutions comme GNU/Linux, qu’on installe, qui sont plus légères, vont permettre de faire durer le matériel. C’est ainsi qu’on se retrouve à pouvoir faire durer du matériel très longtemps grâce à GNU/Linux et du logiciel libre. C’est la classe !
Laurent Costy : Les logiciels libres contribuent à faire durer le matériel.
Tristan Nitot : Donc à sauver la planète. Il faut que ce soit dit !
Laurent Costy : Entre autres !
Je me permets de passer à la question suivante. Tristan tu y as un peu répondu tout à l’heure, je vais plutôt passer la parole à Agnès. Quels ont été les éléments déclencheurs, d’ailleurs peut-être un cheminement plus long, qui vous ont fait vous intéresser aux questions énergétiques et de transition dans le numérique. Agnès.
Agnès Crepet : Me concernant, on va dire que c’est un break professionnel. Il y a 10/12 ans j’ai arrêté de bosser pendant un an. Avec mon conjoint nous avons fait une espèce de tour de certains pays, un peu éloignés de chez nous, pour voir ce qu’était le métier de développeuse ou de développeur, lui aussi est développeur. Nous avons rencontré des gens en Indonésie, en Afrique, on a bossé un petit peu en Afrique. Bref ! Tout cela nous a fait nous poser beaucoup de questions. Ce n’était pas forcément que sur l’angle numérique responsable du point de vue écologique, mais plus d’un point de vue éthique, plus large. On s’est dit qu’en tant qu’ingénieur/développeur, on avait peut-être tout intérêt à bifurquer, ce n’est peut-être pas un mot qu’on employait encore beaucoup à l’époque, mais qu’on pouvait passer nos 40 heures par semaine ailleurs en fait.
Je ne pense pas que la tech sauve le monde, ni d’un point de vue environnemental, ni d’un point de vue sociétal, mais je pense que le monde a besoin d’une tech plus responsable. Si des gens comme nous pouvaient contribuer à ça, ce ne serait pas mal. Quand nous sommes revenus de ce break d’un an, en ayant rencontré des gens très inspirants, aujourd’hui je suis plus inspirée par des personnes africaines ou indonésiennes que par des gens de la Silicon Valley.
Laurent Costy : Comment ça ! Tu n’es pas fan d’Elon Musk !
Agnès Crepet : Même des petites boîtes, même des plus petites startups, je ne regarde plus du tout, je m’intéresse vraiment très peu à ce qui se passe aux États-Unis, par contre il y a des choses vraiment incroyables à suivre au Togo, en Indonésie ; il y a vraiment des gens qui font des choses de dingue. Avec toutes ces inspirations que j’ai rapportées de mon voyage, eh bien j’ai voulu faire des choses différentes.
J’ai commencé par monter ma boîte, qui s’appelle Ninja Squad, en essayant de bosser avec des copains, pour essayer de bosser pour des gens, pas toutes les boîtes on va dire, et puis j’ai rejoint Fairphone. Pour moi c’était un cheminement logique d’arriver à rejoindre une boîte qui produit, qui agit pour faire une tech plus éthique ; je l’ai vu plus sur le côté éthique que sur le côté écologique. C’est d’ailleurs un peu plus large chez Fairphone : oui, on est sur le côté écologique, mais on défend aussi un projet décolonial. On essaye aussi de montrer qu’il y a des personnes qui souffrent, qui sont dans des conditions de travail qui ne sont pas du tout acceptables derrière les fabrications d’objets électroniques et qu’on ne parle pas assez de ça. Le nombre de fois que je suis invitée à des tables rondes pour parler du problème environnemental du numérique et où on me dit « par contre tu ne parles pas trop côté social, ça va ! ». Eh bien si, il faut en parler, en plus c’est complètement lié. Si je parle de déchets électroniques, des cinq milliards de téléphones qui vont finir en déchets électroniques en 2022, où vont-ils finir ces déchets électroniques ? Ils vont finir au Ghana, à Agbogbloshie qui est une des plus grandes décharges de déchets électroniques au monde. La plupart des personnes qui vont traiter ces déchets sont des gamins, des enfants.
Ce sont des choses que le monde occidental ne veut pas voir. On ferme vraiment les yeux là-dessus. Si, en fermant les yeux, on accepte que des gens soient exploités loin de chez nous, dans les pays du Sud, eh bien on accepte forcément les problématiques sociales et environnementales qui vont derrière, les deux choses étant liées. Les décharges de déchets électroniques sont aussi un gros scandale environnemental, donc tout est lié.
Une des choses qui m’a bien marquée, il y a une dizaine d’années, et qui m’a poussée à bifurquer, c’est la prise de conscience de tout ça. Quand j’ai passé quelque temps en Indonésie j’ai vu à quel point, même les gens dans mon domaine, parce qu’on rencontrait principalement des développeuses et des développeurs, avaient peut-être des boulots pas forcément très simples et très inspirants, mais, en tout cas, œuvraient énormément pour des associations locales qui agissent éthiquement pour un numérique plus responsable. En Indonésie je me souviens avoir rencontré des jeunes filles développeuses qui finissaient leurs études, montaient une boîte pour vivre du développement d’un e-commerce, peu importe lequel, et à côté de ça, un week-end sur deux, elles prenaient leur scooter, faisaient le tour de l’île de Java pour donner des cours de code aux gamins en disant « il faut qu’on initie les mômes des campagnes parce qu’il n’y a que les riches des villes qui font des études d’informatique. Il faut que ce soit plus large, etc. » Je dirais que ce sont vraiment des choses inspirantes qui m’ont poussée à bifurquer.
Laurent Costy : Merci pour cet éclairage. J’ai lu La pensée selon la tech : Le paysage intellectuel de la Silicon Valley chez C&F Éditions, ça ne vend pas du rêve comme tu viens de nous en vendre là, en tout cas comme tu viens de le présenter là. Moi non plus je ne suis pas très attiré par ce qui se passe là-bas. C’est vrai que ce sont des reproductions de techniques et de concepts qui ne sont pas très intéressants selon moi, en tout cas qui ne vont pas dans le bon sens pour le numérique.
Pour l’Afrique, effectivement. J’étais récemment à la Biennale internationale de l’éducation nouvelle à Bruxelles qui réunit pas mal de personnes qui, évidemment, promeuvent l’éducation nouvelle. Il y avait des personnes représentant des pays africains qui disaient qu’elles avaient l’impression de vivre une deuxième colonisation par les GAFAM, en Afrique, qui essayent de les accoutumer à des solutions privatrices comme ils l’ont fait avec le Coca-Cola, pour que, après, ils gardent ces solutions. En plus, ils ont bien conscience qu’on leur envoie nos poubelles numériques. C’est vrai que ça commence à faire beaucoup pour ces pays-là. Je te rejoins vraiment sur constat-là, même si je n’ai pas eu cette chance d’aller constater sur place tout ce qu’ils subissent.
Agnès Crepet : Si vous écoutez, sur France Inter, Le code a changé qui est un podcast ; on est dans un podcast, on pourrait faire de la pub pour un autre podcast. Le code a changé est un podcast que j’aime bien. Dans le dernier épisode, le journaliste [Xavier de La Porte] a invité Sénamé Koffi Agbodjinou, une personne qui vit actuellement au Togo, si je ne me trompe pas. L’intitulé de ce podcast est « Quand le numérique colonise la ville africaine » et Sénamé parle exactement du sujet qu’on aborde maintenant et du fait aussi que, dans certains pays africains, il y a une vraie culture du Libre, beaucoup plus que chez nous bizarrement, ce n’est pas forcément vrai en Europe, mais beaucoup plus qu’aux États-Unis par exemple. Il parle de l’aberration de ce qui peut se passer là-bas. J’invite chacune et chacun à écouter de dernier numéro du Code a changé.
Laurent Costy : Merci pour ces précisions. On essaiera de mettre la référence, encore une fois, dans la page de l’émission.
Étienne Gonnu : Peut-être préciser que nous sommes une émission de FM avant d’être un podcast, je pense que c’est important aussi.
Tristan Nitot : On diffuse en direct quand même, respect !
Laurent Costy : Merci Étienne, en plus ce n’est pas simple de gérer ce genre de chose.
On a à peu près jusqu’à 16 heures 42, je vous le dis avant parce que ce n’est pas forcément évident de vous couper, Agnès et Tristan. On essaye de garder ça en cap.
La prochaine question concerne un peu de prospective : comment voyez-vous l’évolution du numérique dans le contexte de crispation énergique ? Je peux prendre l’exemple d’un chaton. Vous avez peut-être déjà entendu parler de chaton dans l’émission, c’est une structure qui fait partie du Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires, initié par Framasoft. Parmi les chatons, je connais RésiLien qui réfléchit, par exemple, à proposer des services aux structures en se posant vraiment des questions : est-ce que c’est utile de laisser le site web allumé la nuit ? Comment faire pour consommer moins d’énergie par rapport aux services qui sont proposés sur des clouds ?, des choses comme ça. C’était pour illustrer un peu le sens de ma question. Comment voyez-vous l’évolution du numérique dans le contexte de crispation énergétique ? Tristan.
Tristan Nitot : Là je mets ma casquette Scaleway si vous le permettez, c’est un sujet qui nous préoccupe, sur lequel on bosse. En gros nous sommes des industriels du cloud. On essaye de s’assurer que notre business tourne bien. Déjà on consomme le moins possible d’énergie. En fait on en consomme beaucoup, mais on consomme le minimum, mais on a beaucoup de clients ; en fait nous sommes gros, mais nous faisons très attention. On va innover, par exemple, pour avoir des datacenters qui sont refroidis avec de l’air ambiant. Un datacenter ce sont plein d’ordinateurs. Évidemment ça chauffe. Quand tu as ton ordinateur sur les genoux et que tu regardes une série Netflix, tu te rends bien compte qu’il chauffe et c’est juste ton petit ordinateur. Imagine des serveurs par milliers qui sont dans un hangar, ils chauffent monstrueusement. Jusqu’à présent la technique consistait historiquement essentiellement à les mettre dans un frigo. C’est un truc qui chauffe comme un radiateur, mais on le met dans un frigo ce qui est donc complètement con. Ça consomme évidemment beaucoup d’énergie : pour 100 watts qu’on pouvait mettre dans un ordinateur, on pouvait mettre jusqu’à 100 watts de climatisation pour refroidir ce même ordinateur !
On a une technologie qui est différente, in English on dit du free cooling, qui consiste essentiellement, en fait, à refroidir avec de l’air ambiant. Donc le hangar est un immense courant d’air où on fait circuler de l’air extérieur. Comme on est en île-de-France et que la température moyenne est de 12 degrés, l’essentiel du temps c’est suffisamment frais. On se débrouille pour que ça consomme beaucoup moins d’énergie. Déjà ça fait faire des économies d’argent à l’entreprise, mais ce n’est pas suffisant. Chez Scaleway, on veut faire durer le matériel très longtemps. Chez Facebook, par exemple, ils changent leurs serveurs tous les deux ans, ce qui est une totale aberration. Et c’est la méthode Back Market, ils les revendent en se disant « quelqu’un d’autre va acheter ce matériel d’occasion et nous on va s’en acheter du tout neuf, tout brillant ».
Chez Scaleway on achète du matériel haut de gamme et, au bout d’un moment, à peu près trois ans, on le transforme en offre milieu de gamme et ensuite en serveur de fichiers ou en offre d’entrée de gamme. Comme ça on fait durer le matériel pendant dix ans. L’énergie qui a été investie pour fabriquer le matériel est, en quelque sorte, amortie comptablement sur dix ans. Je pense que tout le monde devrait faire ça, tout le monde devrait utiliser du free cooling, tout le monde devrait autoriser aussi à refroidir les serveurs à une température qui n’est pas 20 degrés. D’habitude il fait 20 degrés dans un datacenter parce que c’est comme ça qu’on a toujours fait dans l’industrie, eh bien chez Scaleway, dans notre nouveau datacenter, on dit que la température est variable en fonction de l’air extérieur. Elle ne va pas dépasser 32 degrés parce que les serveurs sont certifiés pour fonctionner jusqu’à 32 degrés, donc on doit rester en dessous de ces 32 degrés, mais on s’autorise à monter, par exemple, jusqu’à 30 degrés. S’il fait 25 dehors, on met de l’air à 25 et, à l’intérieur, il fait évidemment plus chaud, il fera 30 degrés, mais on n’aura pas besoin de refroidir, donc il n’y a pas de climatisation dans le dernier datacenter de Scaleway, pas du tout. Les serveurs ne sont pas refroidis avec de la climatisation, juste avec de l’air ambiant qu’on va un peu humidifier pour refroidir cet air quand il fait vraiment très chaud.
Donc il y a de l’innovation à faire, aussi bien là-dessus que pour conserver le matériel, mais il y a un problème de fond : il faut en avoir la volonté et il faut avoir la capacité d’expliquer aux clients que ce n’est pas parce que le serveur a huit ans qu’il est pourri, il marche encore très bien, on vous le loue pas cher et il faut l’accepter.
Laurent Costy : Merci Tristan pour cette vision de ce que sont les datacenters chez Scaleway. Agnès.
Agnès Crepet : Avec tout ce qu’on a dit d’un peu dur pendant tout ce podcast, je pense qu’il faut des solutions qui soient plus sobres. Il faut que les consommatrices/consommateurs aient à disposition des solutions pour pouvoir garder leurs téléphones plus longtemps, leurs appareils plus longtemps, etc. Je pense à un truc qui pourrait être intéressant : en tant que techniciens et techniciennes il faut aussi qu’on se défocalise de notre propre angle technique et qu’on contribue à ne pas forcément pousser des solutions techniques quand il n’y a pas besoin de technique. Ce que je sors est un peu bizarre devant un auditoire qui doit être, à mon avis, très tech. Je défends, par exemple, beaucoup plus l’approche low-tech, qui n’est pas non plus anti-tech, qui va plutôt favoriser des approches où on va avoir des solutions, des technologies qui vont être plus robustes, plus simples, certes moins impactantes pour l’environnement mais aussi plus partagées, plus pensées par des communautés d’utilisateurs et d’utilisatrices plus larges, etc. Ce sont des approches qui m’intéressent beaucoup, parce que, si je reviens à la problématique environnementale, je pense que ça va passer aussi par moins de tech. Qu’est-ce que c’est que la sobriété énergétique ? C’est aussi, potentiellement, arriver à des consommations moins effrénées et, du coup, potentiellement vers des solutions qui ne passent pas par de la tech.
Il n’y a pas longtemps j’étais à des rassemblements autour du numérique à l’Éducation nationale, etc. Quel désastre de voir des tablettes qui sont dans toutes les écoles primaires ou les collèges de France et qui ne sont pas maintenues parce que les profs ne sont pas formés, etc. Et pourtant, il y avait aussi cette promesse que le numérique allait être quelque chose qui allait pouvoir résoudre des problématiques sociétales, arriver à faciliter l’apprentissage dans certains milieux, etc. Bon ! Je dis qu’au bout d’un moment il faut aussi renoncer à certaines techs et, plutôt que d’aller mettre des tablettes dans toutes les écoles sans vraiment être sûr de l’impact immédiat que ça va avoir, eh bien on paye mieux les profs et on met du chauffage dans les écoles. Je caricature un peu, mais vous voyez ce que je veux dire. Ce qui m’intéresse aujourd’hui c’est de me défocaliser de mon angle tech, même si j’ai un background de 25 ans de pure développeuse.
Tristan Nitot : Je voudrais juste ajouter que ça me fait penser à cette citation que je cite systématiquement quand je fais une présentation sur le sujet, une citation de Upton Sinclair, un penseur américain, qui dit : « Il est très difficile d’expliquer quelque chose à quelqu’un quand il est payé pour ne pas le comprendre », malheureusement ! Quand je m’adresse à des informaticiens, des gens qui, en plus, ont été formatés par 50 ans de loi de Moore, on balance le matériel tous les deux ans parce que, de toute façon, il y en a du nouveau qui est sorti, qui est vachement bien, plus rapide et tout, et qu’en plus ils sont payés pour cette fuite en avant, mais cette fuite en avant nous mène droit dans un mur qui est le mur du climat, le mur aussi social, le mur de l’épuisement des ressources abiotiques, le mur de l’effondrement de la biodiversité. À un moment, il va falloir prendre un virage, il va falloir ralentir, il va falloir lever le pied. On ne peut pas continuer comme ça, ça fait 50 ans qu’on fait comme ça, mais on ne peut pas continuer comme ça ! « Oui, mais ça me paye et puis j’ai un emprunt, ce serait bien que ça continue jusqu’à ce que j’aie fini de rembourser mon emprunt. » C’est très difficile d’expliquer des choses à des gens qui sont effectivement payés pour ne pas les comprendre.
Laurent Costy : Merci Tristan.
Cette question de systématiquement numériser les choses, je reboucle avec la chronique de Gee de tout à l’heure, il faut qu’on se la pose. Je me souviens que dans le réseau dans lequel je travaillais avant, le réseau des MJC, se posait la question du numérique. Au sein d’une MJC, où les gens se côtoient de manière physique, on voulait instaurer des choses numériques alors que c’était absolument inutile. Les gens se côtoyaient physiquement. Pourquoi remettre une couche de numérique ? Il faut effectivement se poser systématiquement cette question et elle n’est plus posée : est-ce qu’on a vraiment besoin du numérique à cet endroit-là ? Il faut systématiquement se reposer cette question.
Il nous reste quelques secondes. Je laisse chacun dire la dernière chose que vous vouliez éventuellement dire aujourd’hui, que vous auriez oublié de dire, même si on a dit beaucoup de choses extrêmement intéressantes. Si vous avez encore un mot ou deux à nous dire.
Tristan Nitot : Il y a un mot qu’on n’a pas posé : pour les informaticiens, ça va être la notion d’écoconception et ça peut passer par de la low-tech. C’est-à-dire, quand on veut faire une nouvelle fonctionnalité ou une nouvelle application, si on se posait la question : est-ce que je suis vraiment obligé de demander aux gens d’avoir un smartphone, une liaison 5G, etc. ? Ou bien je peux peut-être informer mon client juste en lui envoyant un texto comme ça ça va marcher sur un vieux Nokia 3310 sans me poser de questions. Ce Nokia 3310 aura peut-être 15 ans d’existence et il va fonctionner encore longtemps. C’est peut-être ça et c’est un peu une révolution intellectuelle à faire, mais si le numérique est notre avenir, il faut l’économiser, un peu comme l’énergie. C’est peut-être ça.
Laurent Costy : Merci Tristan. Agnès, le mot de la fin.
Agnès Crepet : Un petit mot de la fin. Là on vient de dire, on vient de mettre un peu en perspective le fait que la tech n’est pas forcément la solution. Là, je vais chatouiller un peu nos auditeurs et auditrices pour l’open source. Pareil pour l’open source. Je pense que l’open source ne rend pas un projet responsable, mais l’open source peut être un vrai levier pour les projets responsables. Il faut aussi avoir ce techno-discernement sur l’open source parce que tout ce qu’on vient de dire sur la tech, du coup, ne serait plus valable. Merci en tout cas pour l’invitation.
Laurent Costy : Merci à vous deux. Merci pour ces contributions. Je pense que ça nous éclaire beaucoup. C’est un sujet qu’on n’avait pas encore beaucoup abordé. Il y avait eu quelques sujets abordés, mais je pense que c’est extrêmement important d’éclairer cette question énergétique au sein du numérique. Les mentalités évoluent, mais on voit bien que ça évolue très lentement.
Peut-être, pour compléter ce que disait Tristan sur les technos. J’ai eu la chance d’être en Allemagne récemment, j’ai visité un hackerspace. Une personne s’occupait d’abeilles ; elle avait mis en place toute une communication avec le cœur de la ruche, mais, plutôt que d’utiliser du wifi surdimensionné par rapport à son besoin, elle avait pris une technologie qui était beaucoup moins consommatrice en énergie. Je pense que ça illustre un peu ce que tu disais : se questionner sur la bonne technologie pour consommer un peu moins d’énergie.
Je vais repasser la parole à Étienne et on va clore le sujet long qui était extrêmement intéressant.
Étienne Gonnu : Merci beaucoup Laurent d’avoir organisé et animé ce sujet. Merci beaucoup à Tristan et à Agnès d’y avoir contribué.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après la pause musicale nous entendrons la chronique « Le libre fait sa com’ » d’Isabella qui reçoit aujourd’hui Guillaume Gasnier, membre de l’équipe d’organisation du Capitole du Libre.
Pour rester dans le thème de l’échange qu’on vient d’avoir, je vous propose d’écouter Le musée d’air contemporain de notre ami KTPN. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Le musée d’air contemporain par KTPN.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Le musée d’air contemporain par KTPN, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. KPTN, informaticien libriste par ailleurs, nous avait fait le plaisir d’une interview dans Libre à vous !, épisode 96, du 2 mars 2021.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.
Chronique « Le libre fait sa com’ » d’Isabella Vanni reçoit Guillaume Gasnier, de l’équipe d’organisation du Capitole du libre
Étienne Gonnu : « Le Libre fait sa comm’ », la chronique de ma collègue Isabella Vanni sur les actions de sensibilisation au logiciel libre. Je précise que suite, malheureusement, à un problème technique lors du direct, nous enregistrons cette chronique dans les conditions du direct. Il est 17 heures 09, et nous sommes toujours mardi 15 novembre. Salut Isa, je te laisse la parole.
Isabella Vanni : Bonjour à toutes et à tous.
Nous avons avec nous Guillaume Gasnier, de l’équipe d’organisation du Capitole du Libre, pour cette chronique « Le libre fait sa comm’ ». Le Capitole du Libre est un événement libriste majeur qui aura lieu le week-end des 19 et 20 novembre à Toulouse, dans les locaux de l’ENSEEIHT [École nationale supérieure d’électrotechnique, d’électronique, d’informatique, d’hydraulique et des télécommunications], l’école d’ingénieur à Toulouse.
Après une césure de deux ans, qu’est-ce que ça fait de pouvoir organiser à nouveau cet événement, Guillaume ?
Guillaume Gasnier : Bonjour à tous et à toutes. Je pense que ça a été, pour toute l’équipe, une satisfaction de pouvoir se dire qu’on se remet un petit peu « au travail », entre guillemets puisque tout le monde est bénévole sur cette organisation, et on essaie de refaire cet événement qui était là en 2019, et on essaye de revenir sur un événement du même acabit que celui de 2019. J’espère que tout le monde sera satisfait.
Isabella Vanni : En tout cas nous sommes ravis de savoir qu’il y a à nouveau cet événement, un événement libriste majeur parce que, déjà, c’est sur deux jours. Deux jours très intenses, avec plein d’activités prévues, des conférences, des ateliers. Peux-tu nous raconter un petit peu comment est né le Capitole du Libre ?
Guillaume Gasnier : Le Capitole du Libre est né d’une association, l’association Toulibre qui a été créée dans les années 2000. L’association Toulibre avait été créée pour vraiment organiser des actions, pour promouvoir, développer et démocratiser le logiciel libre sur Toulouse et la région Occitanie. Au fil du temps, avec des personnes qui s’agglutinaient, l’événement est né et a pris l’ampleur que l’on connaît aujourd’hui.
Isabella Vanni : Pourquoi se déroule-t-il dans les locaux de l’ENSEEIHT ? Est-ce que ça a toujours été le cas ?
Guillaume Gasnier : Auparavant ça s’appelait une Ubuntu Party. On avait sur une journée, c’était le samedi, une install-partie pour installer Ubuntu sur l’ordinateur des personnes qui venaient visiter. Les bénévoles les aidaient à passer leur ordinateur sur un système Ubuntu.
Isabella Vanni : Rappelons qu’Ubuntu est un système libre d’exploitation. C’est une distribution basée sur GNU/Linux, il y en a plein d’autres. Les Ubuntu Party, comme on les appelle, sont effectivement assez connues. Je t’en prie.
Guillaume Gasnier : Oui, et ensuite ça s’est transformé en Capitole du Libre. L’intéressant, c’est que l’ENSEEIHT, de par ses clubs, nous permet d’avoir l’enregistrement des conférences, l’accès au réseau. Tous les clubs techniques qui sont sur l’ENSEEIHT apportent une aide incroyable pour que l’événement ait la qualité qu’il a actuellement.
Isabella Vanni : Les conférences sont donc toutes captées, c’est bien ça ?
Guillaume Gasnier : Dès que vous voyez une caméra dans la salle, c’est capté et normalement, ensuite, la conférence sera mise en ligne pour pouvoir la visualiser.
Isabella Vanni : Est-ce qu’il sera possible d’assister à des conférences en direct, à distance, ou faut-il être sur place ?
Guillaume Gasnier : Nous sommes en train d’essayer de mettre en place pour le plus grand amphithéâtre, le B00, un flux Matrix. On a la chance, cette année, d’accueillir Amandine Le Pape et un évangéliste qui vont présenter Matrix, le protocole sécurisé, et Element, le client, qui permet de faire des échanges sécurisés de messages. De par leur soutien et grâce aux équipes techniques de l’ENSEEIHT, on espère pouvoir avoir un flux dans cet amphi.
Isabella Vanni : Quels types de conférences sont proposés ? Des conférences plutôt techniques, plutôt pointues ?
Guillaume Gasnier : Ça reste un peu un public de techniciens, par forcément puisque l’April propose au moins une conférence.
Isabella Vanni : Deux !
Guillaume Gasnier : Oui, il y en a deux, une le samedi et une le dimanche.
Isabella Vanni : On précisera en détail plus tard.
Guillaume Gasnier : On trouvera, par exemple, une conférence de Sandrine Mathon, de Toulouse Métropole, pour l’utilisation de l’intelligence artificielle. Toutes les données qu’ils recueillent vont être utilisées pour avoir des indicateurs qui seront utiles pour les politiques publiques. On a quelques conférences de ce type.
On a des fournisseurs d’accès associatif. French Data Network sera là pour présenter un état des lieux et son historique depuis 30 ans, c’est l’âge actuel de ce fournisseur d’accès à Internet associatif.
Localement nous avons tetaneutral.net qui sera présent sur un stand pour abonder dans les chatons. Je ne sais plus combien nous avons d’associations et de représentants de chatons dans le village associatif ce week-end, mais ils seront très nombreux.
Isabella Vanni : Il y aura un village associatif, le public pourra donc discuter avec de nombreuses associations dont l’April et il y aura beaucoup de chatons, on en a parlé lors du sujet principal. Ce sont des hébergeurs qui font partie du Collectif des Hébergeurs, Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires, donc alternatifs aux géants du numérique, qui proposent des services libres et décentralisés. Il y aura aussi, je crois, une conférence d’Angie, de Framasoft, justement pour en savoir plus sur les chatons et sur les nouveautés.
Les conférences sont quand même assez variées. Il y a moyen, pour des personnes qui ne sont pas forcément hyper-geeks, d’en apprendre un peu plus.
Est-ce que vous allez proposer d’autres activités qui peuvent intéresser le grand public ?
Guillaume Gasnier : Il y a évidemment la fameuse install-partie, l’atelier pour l’installation d’un système GNU/Linux.
On a un espace LAN Party pour essayer des jeux vidéo libres, soit seul, soit à plusieurs.
On aura, à priori, un espace pour des dédicaces, logiquement il sera au niveau du village associatif.
Et évidemment le fameux village associatif où on pourra venir discuter avec toutes les personnes des associations du logiciel libre de la région, mais pas que.
Isabella Vanni : On a parlé de la diversité de sujets traités lors des conférences, de diversité des activités proposées. Il n’y a pas beaucoup de diversité, hélas, pour ce qui est des personnes intervenantes. Suite à la publication de votre programme, il y a eu pas mal de réactions sur Mastodon, parce que moins de 10 % des personnes intervenantes sont des femmes. Vous avez décrit, suite à cela, comment s’était faite la construction du programme et on a vu que très peu de femmes avaient proposé des conférences. Est-ce que le critère de la diversité a été un critère pris en compte lors de l’organisation ? Comment souhaitez-vous vous y prendre pour avoir peut-être plus d’intervenantes l’année prochaine ?
Guillaume Gasnier : Oui, l’année prochaine. Ça fait partie de notre point d’interrogation, comment contacter des intervenantes.
Globalement on connaît les intervenants, ils ont un peu pignon sur rue, généralement on les contacte et ils disent oui ou non.
Nous avons contacté Agnès Crepet, qui intervenait tout à l’heure ; elle faisait partie des personnes qui pouvaient être très intéressantes à intervenir sur le Capitole du Libre, mais elle ne pouvait pas venir. Deux autres personnes, Ophélie Coelho et Aurélie Vache n’ont pas pu non plus être présentes.
J’ai discuté avec Numahell, de Framasoft, qui m’a orienté vers le site expertes.fr [Les Expertes], donc on a essayé de cibler des intervenantes qui pourraient avoir une fibre logiciel libre. Je ne sais plus combien de mails ont été envoyés, mais on n’a pas eu beaucoup de retours et j’en suis un peu désolé.
Il est vrai qu’on reprend après deux ans d’interruption, on a peut-être démarré un peu trop tard l’appel à participation et on n’a être pas eu suffisamment de temps pour trouver plus d’intervenantes. Je pense que, là-dessus, on ne peut que s’améliorer. Je pense qu’on est à peu près au même niveau qu’en 2019 sur le pourcentage d’intervenantes.
Isabella Vanni : Nous espérons, bien sûr, qu’il y aura plus de diversité dans les prochaines éditions. À noter que nous consacrerons prochainement un sujet principal de notre émission justement au thème : comment avoir un événement libriste inclusif.
Guillaume, je te remercie beaucoup pour avoir participé à notre émission.
Je voulais juste rappeler à nouveau les dates : ça a lieu les 19 et 20 novembre à Toulouse, dans les locaux de l’école d’ingénieur ENSEEIHT. C’est ouvert à tout public. Il ne faut pas s’inscrire, c’est gratuit et vous trouvez le programme complet avec toutes les activités, les animations proposées, sur capitoledulibre.org.
Nous sommes super ravis de participer au Capitole du Libre, nous avons hâte de vous rejoindre à Toulouse. Je te souhaite une bonne suite d’organisation.
Guillaume Gasnier : Merci. C’est toujours un plaisir de vous avoir. je pense que ce sera un week-end super sympa.
Étienne Gonnu : Je joins mes remerciements à ceux d’Isa. Merci beaucoup Guillaume, merci beaucoup Isa, et nous allons terminer maintenant cette émission par quelques annonces.
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Étienne Gonnu : Parmi les annonces à venir, il y a effectivement le Capitole du Libre auquel l’April sera présent. Isa, puisque tu es venue, autant rentabiliser ta présence, peux-tu nous dire quelle sera la présence de l’April au Capitole du Libre ?
Isabella Vanni : L’April sera présente avec un stand sur le village associatif.
L’Expolibre, le jeu de panneaux expliquant la philosophie des logiciels libres, sera également affichée, ça a été confirmé par l’organisation.
Avec Étienne, nous donnerons deux conférences : « Le logiciel libre, un enjeu politique et social : comment agir avec l’April pour le promouvoir et le défendre ? », le samedi 19 novembre de 16 heures 30 à 17 heures 20, et « Promouvoir le libre à la radio, Libre à vous ! », une conférence spécifique sur notre émission, dimanche 20 novembre à partir de 11 heures.
Étienne Gonnu : Merci, Isa. Puisque nous avons différents libristes parmi nous, Gee, est-ce que tu seras présent ?
Gee : Oui, j’y serai. Je serai principalement sur le stand de Framasoft avec mes camarades de Framasoft. Je suis à l’April depuis cette année, mais je suis à Framasoft depuis très longtemps. Je passerai vous voir aussi au stand de l’April, bien entendu.
Étienne Gonnu : De toute façon, nous sommes tous des camarades les uns et les autres. Laurent, aura-t-on le plaisir de te croiser si on se rend à Toulouse ?
Laurent Costy : Pas du tout, c’est trop loin pour moi.
Étienne Gonnu : D’accord. Et Tristan, tu peux me faire un signe ou squatter le micro de Laurent.
Tristan Nitot : Non, je ne serai pas là. J’ai été invité, mais comme ça se passe le week-end et que je me fais vieux, j’ai décidé de rester chez moi me reposer, sinon je vais droit au burn-out.
Étienne Gonnu : Il faut prendre soin de soi, c’est essentiel.
Autre actualité de l’April, cette fois-ci le 25 novembre, donc on a le temps mais préparez-vous, bloquez la date sur votre agenda. Isa, que se passe-t-il le 25 novembre ?
Isabella Vanni : Il y aura un apéro April dans nos locaux à Paris, tout près de Montparnasse. Vous êtes invités à participer, que vous soyez membre de l’April ou pas. Si vous avez envie de mieux connaître l’association, nos actions, échanger avec nous, vous êtes les bienvenus.
Étienne Gonnu : Merci, Isa.
Cet apéro est bien sûr référencé dans l’agendadulibre.org. Dans l’Agenda du libre vous pouvez trouver beaucoup d’autres événements en lien avec le logiciel libre ou la culture libre près de chez vous, ainsi que des groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels vers lesquels vous pourrez vous tourner, notamment pour qu’ils vous aident, par exemple, à installer des logiciels libres sur vos matériels.
Notre émission se termine comme vous pouvez l’entendre au générique de fin qui a été lancé.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Gee, Laurent Costy, Agnès Crepet, Tristan Nitot, Isabella Vanni. On remercie bien sûr chaudement Guillaume Gasnier de s’être rendu disponible pour l’émission et puis on le remercie, lui et toute l’équipe, pour l’organisation de ce super événement qu’est le Capitole du Libre.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Frédéric Couchet avec Thierry Holleville en formation.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman qui a rejoint l’équipe récemment, tous et toutes bénévoles à l’April, Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpera le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
Vous trouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration.
Vous pouvez également nous poser toute question et nous vous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.
Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez aussi nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 22 novembre 2022 à 15 heures 30. Notre sujet principal devrait porter sur Mastodon, le réseau libre et fédéré de microblogging qui a le vent en poupe.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 22 novembre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.