Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Ça ne vous aura pas échappé, on parle beaucoup d’élections en ce moment. On entend aussi souvent parler de vote électronique. Une bonne idée ? Pas si sûr. Ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique de Jean-Christophe Becquet sur le bateau des humeurs et également, en début d’émission, la chronique d’Antanak sur la sobriété numérique.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Le site web de l’émission c’est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 12 avril 2022, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Derrière mon micro, je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
De l’autre côté de la vitre, elle va réaliser l’émission avec précision, c’est ma collègue Isabella Vanni. Bonjour Isa.
Isabella Vanni : Bonjour. On va voir ça ! Bonne émission.
Frédéric Couchet : On a confiance. Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » avec Antanak sur la sobriété numérique
Frédéric Couchet : « Que libérer d’autre que du logiciel », la chronique d’Antanak. Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées, mises en acte et en pratique au sein du collectif : le reconditionnement, la baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par tous et toutes.
Bonjour Isabelle.
Isabelle Carrère : Bonjour.
Frédéric Couchet : Le thème du jour, la sobriété numérique.
Isabelle Carrère : Absolument. Merci Fred. Bonjour Isa.
Je suis contente d’être ici avec vous, l’April, pour cette chronique du mois d’avril.
On a déjà parlé ici de ce que le numérique, au sens large, avait ajouté dans la précarisation des personnes, de combien, dans plusieurs situations, il participait à l’isolement de celles-ci et était pour beaucoup une barrière, voire un empêchement, alors même qu’il était censé être un outil de liberté et d’émancipation. Mais l’émancipation ne vient pas avec l’accaparement par des multinationales pour leur seul profit, l’émancipation ne fait pas bon ménage avec l’accumulation des données personnelles et du commerce fait avec elles, l’émancipation, on le voit tous les jours, n’est pas non plus synonyme de déversement d’opinions qui en viennent à remplacer les idées, et la liberté elle-même on ne peut vraiment la véhiculer – liberté des savoirs, des pratiques, des échanges de pensées et d’idées – si elle se confronte en permanence à des surveillances de masse. Et bien sûr pas non plus si les gros acteurs du numérique, dans ce monde très américanisé, jouent avec leurs algorithmes — à moins d’ailleurs que ce ne soient maintenant les algorithmes qui se jouent d’eux !
En tout cas la toute première des libertés, c’est évidemment ici qu’on peut le dire et le répéter et tant mieux !, devrait être, devrait pouvoir être encore d’utiliser, ou pas, telle ou telle partie du numérique, tel ou tel outil, tel ou tel logiciel, telle ou telle application.
On a dit ici les entraves à un fonctionnement réellement respectueux des personnes et des collectifs, par exemple, de ce côté-ci du monde, occidental, le service public démantelé depuis des décennies et les entraves à la liberté de faire qui continuent avec des objets tels que l’espace santé – on en a parlé, je crois, le mois dernier – et les e-photos que je viens de découvrir ; je n’avais pas compris que c’est un machin qui devient petit à petit également obligatoire pour les pièces d’identité, pour les papiers de circulation des mineurs étrangers, etc. Ailleurs ce sont d’autres utilisations forcées qui sont à l’œuvre pour continuer d’exister, d’être reconnu·e , et aussi l’obligation, pour certains actes ou activités, d’utiliser des outils propriétaires.
Toutes ces injonctions de toute nature, qu’elles soient administratives, juridiques ou sociales, dans les modes de relations qui sont promus un peu partout et encore plus avec la gestion de la crise dite sanitaire, est-ce que l’on n’est pas, en les acceptant, en train de participer à la construction d’un monde humain obligatoirement connecté ?
Je vais arriver à mon sujet de la sobriété numérique.
J’entends ici ou là, même d’ailleurs dans des discours de programmes de partis, on en parlait tout à l’heure, je pense qu’il y a quelques partis qui ont dit des choses sur le numérique, notamment La France insoumise, mais pas qu’elle. En tout cas ils proposaient que le numérique soit reconnu comme un bien commun, ils disaient un bien commun au même titre que l’eau, l’air, le logement, etc. Est-ce vraiment cela que l’on veut ? Est-ce qu’on veut vraiment que le numérique nous soit radicalement aussi nécessaire que de l’eau ? Qu’il devienne objet de toute la place ?
Je voulais ici remettre en cause cette idée, l’interroger en tout cas. L’informatique, le numérique est-il un bien ? Est-ce que c’est un bien commun à partager réellement partout dans le monde de la même manière ? Donc que l’on devrait encore plus pousser à son utilisation ? Qu’on devrait augmenter toujours plus les fonctionnalités connectées pour pouvoir vivre ? Est-ce vraiment indispensable ?
Je ne sais pas ce que vous en pensez, auditeurs et auditrices notamment de l’émission Libre à vous !, ici. Mais moi, plus j’y réfléchis plus je me dis que ce qui est indispensable serait au contraire une sobriété numérique. Pour moi, la question des biens communs est vraiment ailleurs !
Qu’est-ce que serait une sobriété numérique ? Eh bien, par exemple :
- de revenir sur la surconsommation – consommation de matériel mais aussi d’octets transportés ;
- de réfléchir sur la pollution induite par le numérique, à l’heure où tous et toutes se prévalent d’une soi-disant écologie ;
- de réformer les centres de stockages et d’hébergement qui sont désormais dans un gigantisme finalement assez idiot et qui participent à l’artificialisation des sols, y compris des sols marins ;
- de réfléchir à une éco-construction des matériels, de la pousser, la forcer, en boycottant tout appareil qui ne serait pas inventé et construit ainsi ;
- de se pencher sur la conformité des équipements informatiques, matériels et logiciels, avec les réels besoins ou utilités pour les gens. Encore une fois revenons à des choses réellement utiles et nécessaires ;
- et aussi de revisiter l’éducation au numérique, dans les écoles et même avant, avant l’école.
À ce sujet, je voulais vous parler – je ne sais pas, peut-être quelqu’un, quelqu’une, l’a déjà fait ici au sein de l’April, tant pis, pardon, si c’est le cas je radoterai, je répète – d’un collectif qui s’est constitué en 2020, le collectif Attention – Antanak va d’ailleurs y adhérer – pour penser ensemble, agir contre la surexposition aux écrans et la captation organisée.
Ce collectif propose que ce soit l’attention qui soit désormais considérée comme un bien, un bien commun, et qu’elle soit protégée, comme devraient l’être l’eau, l’air, le sol, le vivant, les vivants.
Je ne sais pas si ça va marcher et si l’attention va être considérée par tout le monde comme un bien commun, en tout cas je trouve l’idée tout à fait intéressante. Au-delà de cette reconnaissance, du respect de l’attention dans tous les sens du terme, il faut comprendre l’attention comme arriver à se concentrer sur quelque chose, mais aussi l’attention qu’on porte à l’autre, à quelqu’un, pour de vrai, et pas juste en passant, entre deux clics, sur autre chose.
Les structures membres du collectif ont émis des propositions répondant aux enjeux qu’elles ont identifiés comme majeurs : la dépendance aux écrans, bien sûr, qui est une figure du numérique mais surtout un outil de captation du regard, captation des émotions, captation des relations. Cette dépendance, on le voit bien, on le sait, pose des soucis énormes, sanitaires, éducatifs, politiques, écologiques.
Ce collectif a fait des propositions d’un part dans des axes de prévention. Il parle, par exemple, d’un 5-10-15 : pas d’écran avant 5 ans ; pas plus d’une heure par jour avant 10 ans et pas de smartphone avant 15 ans.
Il est également sur des axes de protection tel que l’arrêt de la promulgation des tablettes et des écrans à l’école – si on revenait au livre !, ça existe, c’est un outil vachement bien ! Incluant également le fait que tout ceci ne peut pas être édicté quelque part par des technocrates influencés sans doute par les aspects financiers des lobbyismes patentés, sans discussion avec toutes les parties prenantes. Ce n’est pas possible que l’Éducation nationale puisse imposer de son côté, sans qu’on en discute tous et toutes, non seulement les parents, les jeunes, les enfants, les familles, les éducateurs, les éducatrices, les profs, etc., mais même nous autres, citoyens et citoyennes. On doit pouvoir retrouver un droit de regard, un droit de parole et un droit de pensée sur ces sujets plutôt que se voir juste imposer des trucs.
Il parle aussi des axes de remise en cause du droit, le droit à la non-connexion que j’évoquais tout à l’heure, qu’il s’agisse des droits administratifs, mais aussi, pour les parents et les enseignants, avec les ENT [Espace numérique de travail] et tous les autres gadgets ainsi mis en ligne.
Et puis encore et encore des axes qui paraissent pourtant basiques en démocratie, que les choses soient discutées, débattues , toujours, collectivement, et non pas imposées ou juste testées, parce que là, actuellement, c’est ce qui est en train de se faire : on teste pour voir si ça marche ou bien pour mesurer la résistance des individus là-dessus et, s’il n’y en a pas trop, c’est bon, on y va !
Nous étions sans doute une centaine de présents aux assises de ce collectif le 19 mars dernier, mais vous avez de la chance ! Baptiste Martin était présent à la technique pour la radio Cause Commune, moi j’étais dans la salle avec d’autres personnes de la radio. Lui était là aux manettes, il a pu faire une captation, sonore celle-là, des tables rondes et il s’est aussi occupé pour la post-production. Olivier [Grieco] a pu mettre en ligne les trois émissions dans la rubrique Comme si vous y étiez. Vous les trouverez toutes les trois, je vous recommande leur écoute et on pourrait ensuite, à un autre moment, reparler, dans cette chronique ou ailleurs, de ces idées et de la sobriété numérique aussi qui me tient, qui nous tient à cœur à Antanak.
Merci.
Frédéric Couchet : Merci Isabelle. Je vais préciser que pour retrouver les podcasts de ces trois émissions, vous allez sur le site causecommune.fm dans la partie Comme si vous y étiez. Le site web du collectif Attention dont tu viens de parler est collectifattention.com. Au-delà de l’attention ça me fait penser que c’est aussi aujourd’hui le droit, à un moment, de ne rien faire, pas de ne faire rien, de ne rien faire, rêvasser, flâner dans sa tête, rêver. Aujourd’hui avec tous les écrans partout, toutes les sollicitations, on n’a plus cette possibilité-là. J’encourage toutes et tous à le faire.
N’hésitez pas à écouter les podcasts des trois émissions, des captations audio qu’Isabelle a citées et si vous avez des réactions n’hésitez pas à nous contacter soit sur le salon web sur causecommune.fm, soit par les adresses de contact sur le site de la radio.
Isabelle, je te remercie et je te souhaite une belle fin de journée.
Isabelle Carrère : Merci. Bonne suite à vous.
Frédéric Couchet : On va faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale nous parlerons de vote électronique. Ce sera la rediffusion d’un sujet long déjà diffusé en janvier 2022, mais l’actualité des élections fait que c’est encore pertinent.
En attendant nous allons écouter un artiste malheureusement décédé il y a quelques années, que nous regrettons. Nous allons écouter Women Thoughts par CyberSDF. On se retrouve dans environ trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Women Thoughts par CyberSDF.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Women Thoughts par le regretté CyberSDF, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By, qui permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage de cette musique pour toute utilisation, y compris commerciale, à condition de créditer l’artiste, d’indiquer la licence et d’indiquer si des modifications ont été effectuées.
Juste avant la pause musicale Isabelle Carrère nous parlait du collectif Attention et de trois podcasts à écouter. Je viens de rajouter les références sur le site de l’émission, sur libreavous.org/139. Vous pourrez retrouver les trois podcasts.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Les enjeux du vote électronique, avec Chantal Enguehard, enseignante-chercheuse en informatique à l’Université de Nantes et directrice de recherche à l’Observatoire du vote, et François Poulain, trésorier de l’April et artisan du logiciel libre chez Cliss XXI. Rediffusion d’un sujet diffusé initialement le 25 janvier 2022
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur le vote électronique. C’est une rediffusion d’un sujet diffusé en janvier 2022, mais qui est toujours d’actualité. Le sujet était animé par mon collègue Étienne Gonnu. On se retrouve dans une heure.
[Virgule sonore]
NB : Par courrier du 30 mars 2022, madame Enguehard nous demande de bien vouloir préciser qu’elle n’a pas eu le temps de relire et d’amender cette transcription
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par une discussion sur les enjeux du vote électronique. Pour cela, nous avons la chance d’avoir avec nous en studio aujourd’hui, pour en parler, Chantal Enguehard, enseignante-chercheuse en informatique à l’Université de Nantes et directrice de recherche à l’Observatoire du vote, une spécialiste du sujet qu’elle étudie depuis plus de 15 ans je crois.
Chantal Enguehard : Exactement.
Étienne Gonnu : Bonjour Chantal.
François Poulain est également avec nous, membre du conseil d’administration et trésorier de l’April, artisan du logiciel libre chez Cliss XXI où il a notamment participé au développement d’un logiciel libre de vote GvoT.
N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Je vais vous proposer de commencer, somme toute de manière classique, par vous présenter. François si tu veux bien.
François Poulain : Bonjour Étienne. Je suis informaticien de métier. Je suis impliqué à l’April depuis pas mal de temps et administrateur. Aujourd’hui je suis dans les Hauts-de-France, je travaille dans une coopérative qui s’appelle Cliss XXI. Nous faisons de l’informatique généraliste uniquement en logiciel libre, nous sommes hébergeurs en cœur de métier. Nous faisons un petit peu de développement, un petit peu de sites web, etc. Nous sommes très polyvalents.
Étienne Gonnu : Entendu. Chantal Enguehard.
Chantal Enguehard : Bonjour à tous. J’ai été formée comme ingénieure en informatique à l’Université de technologie de Compiègne. Après une thèse en informatique au Commissariat à l’énergie atomique j’ai eu un poste de maître de conférences à l’Université de Nantes. J’exerce mon métier à l’Université de Nantes et je fais partie du Laboratoire CNRS d’informatique, le LS2N.
Étienne Gonnu : Vous êtes directrice de recherche à l’Observatoire du vote. Du coup ça va intéresser étant donné le sujet. Est-ce que vous pouvez nous décrire ce qu’est cet Observatoire du vote ?
Chantal Enguehard : L’Observatoire du vote observe des élections, c’est-à-dire recueille des données, fait des mesures, etc., et publie des rapports régulièrement. Depuis 2007 un rapport est publié après toutes les élections politiques en France et ces rapports sont librement accessibles sur le site web de l’Observatoire du vote.
Étienne Gonnu : Qui, du coup, n’est pas spécifiquement centré sur le vote électronique mais, plus largement, sur la question du vote, si je comprends bien.
Chantal Enguehard : Oui. Il y a une expertise sur les élections d’une manière générale, mais il y a quand même beaucoup de rapports qui portent sur le vote électronique parce que c’est là où se situent la majorité des problèmes.
Étienne Gonnu : Ah ! Eh bien ça va nous occuper le temps de cet échange et, plus globalement je pense, sur le long terme.
D’abord merci à tous les deux d’avoir accepté notre invitation pour discuter de cet enjeu important. Je vous propose déjà de poser comme contexte ce qu’est le vote. Il faut se souvenir que ce n’est qu’une méthode de prise de décision collective pour trancher sur un choix, même entre amis pour choisir un restaurant mais, plus important, pour valider le budget d’une association, désigner un ou une représentante du personnel, élire un député, un président ou une présidente. Effectivement, en fonction de l’objet du vote, les enjeux ne sont pas les mêmes, on pourra l’aborder à travers la question sur le vote électronique.
C’est aussi une méthode de prise de décision qui va exister sous plusieurs formes. Celle qu’on connaît bien c’est l’uninominale à deux tours comme, justement, les élections présidentielles et législatives en France. La primaire populaire, dont on parle beaucoup en ce moment, a recours, elle, à une forme de vote électronique, elle s’appuie sur le scrutin majoritaire. On pourrait en citer d’autres, par exemple la méthode Condorcet, etc. Bref ! Ce n’est pas directement le sujet même s’il en fait partie, mais il me semblait utile de replacer ce contexte dans lequel nous allons parler du vote électronique. Le vote ce n’est pas que les élections institutionnelles ; les élections ce n’est pas que le vote uninominal à deux tours. D’ailleurs la démocratie ne s’exprime pas que dans le vote. Il faut, peut-être aussi, éviter ce genre de raccourci pour mieux, je pense, saisir les enjeux.
Quoi qu’il en soit les élections institutionnelles, politiques, occupent une place importante dans la vie politique française, en 2022 en particulier, donc la question du vote électronique apparaît d’autant plus essentielle, en comprendre les enjeux et ainsi de suite. On va essayer d’y consacrer un temps d’échange.
Je pense qu’il serait déjà intéressant de comprendre un peu, de manière plus générale, ce qu’est le vote électronique ; il a une multiplicité de formes, je pense qu’il ne recouvre pas une réalité unique, on peut penser au vote par correspondance en ligne, les machines à voter, etc.
Chantal, vous qui êtes une spécialiste, à moins que vous ne souhaitiez réagir aux quelques propos préliminaires que j’ai eus, est-ce que vous pouvez déjà nous donner un aperçu de ce que signifie vote électronique ?
Chantal Enguehard : Il n’y a pas de définition de « vote électronique » qui vienne du monde académique. C’est un objet qui s’est auto-créé par le fait que des entreprises privées ont proposé et vendu des services de vote électronique, des machines à voter, du vote par Internet. Il y a aussi d’autres moyens, dépouillement avec un stylo, etc. Bref ! Le plus utilisé ce sont les machines à voter qu’on peut appeler aussi des ordinateurs de vote parce qu’il s’agit bien d’ordinateurs, ou bien le vote dématérialisé en ligne, c’est-à-dire le vote par Internet.
Pour simplifier, on a deux grandes familles de vote électronique.
Dans la case du vote électronique finalement on peut ajouter, parce que ce sont exactement les mêmes caractéristiques, tout ce qui est sondages en ligne avec contrôle de l’unicité des réponses et promesse d’anonymat, qui sont régulièrement utilisés. À partir du moment où on vous propose un sondage en ligne, que vous pouvez n’y répondre qu’une fois, qu’on vous dit que c’est anonyme, c’est qu’il y a un petit problème. On est exactement dans les caractéristiques d’un vote électronique.
Étienne Gonnu : On voit que ça touche beaucoup aussi aux enjeux sur les données personnelles, la protection de la vie privée de fait, surtout pour le vote en ligne, j’imagine que c’est moins le cas pour les machines à voter et que ça va poser beaucoup de questions.
François, comment définirais-tu ça puisque, après tout, tu as travaillé sur le développement d’un tel outil ?
François Poulain : Chantal m’a coupé l’herbe sous le pied. Si je devais présenter un logiciel de vote en ligne à quelqu’un qui connaît un petit peu l’informatique je dirais que c’est à peu près une application de sondage, avec des petites modifications ergonomiques qui vont faire que les choses ne se déroulent pas forcément de la même façon, mais les fondements sont les mêmes.
Étienne Gonnu : OK. On s’arrêtera plus en détail plus tard sur les élections du personnel politique, mais je pense qu’il est déjà intéressant, peut-être, de voir le premier enjeu, de voir les enjeux sous-jacents qui doivent ensuite être traduits techniquement. Je pense que c’est un peu toute la difficulté, est-ce que c’est possible de traduire techniquement ces enjeux-là ?
Vous avez parlé d’anonymat. J’ai l’impression qu’un des premiers enjeux, du moins pour le vote, c’est l’acceptabilité du résultat par les personnes qui vont y participer. Si, par défaut, il y a une défiance vis-à-vis du résultat qui va venir, on a quand même un premier problème. Il me semble que ça s’appuie sur deux critères qui me paraissent essentiels quand on aborde la question du vote, ce sont ceux de la transparence et de la liberté du vote. Est-ce que vous allez dans ce sens-là ?
Chantal Enguehard : D’abord il faudrait définir. La liberté de vote c’est vraiment assurer à un électeur qu’il peut voter en toute liberté. Et pour qu’il puisse voter en toute liberté, il faut qu’il puisse trahir sa famille et sa famille politique : on doit pouvoir voter à droite quand on est issu d’une famille communiste ; on doit pouvoir voter pour le candidat communiste même si, par exemple, on est affilié aux républicains.
Pour pouvoir voter en toute liberté, il faut être absolument certain que son vote reste secret et dans une perspective d’autonomie, c’est-à-dire avoir la promesse. D’ailleurs, dans les sondages en ligne par exemple, c’est beaucoup répété, « on vous promet », les promesses s‘allongent mais ça ne reste que des promesses, c’est-à-dire qu’on ne peut pas, à l’heure actuelle, garantir que l’expression va rester secrète avec le système par lequel va s’exprimer l’électeur, en particulier lors du vote en ligne. La personne va voter depuis une tablette, depuis son téléphone, depuis son ordinateur, ces dispositifs échappent à tout contrôle, en particulier de l’organisateur des élections. Il est impossible de contrôler qu’il n’y a pas un petit virus ou quelque chose qui va, peut-être pas modifier le vote, en tout cas l’envoyer à une tierce personne.
Grâce aux travaux de l’Observatoire du vote je regarde aussi ce qui se passe dans le vote en ligne, dans les publications scientifiques aussi, on constate depuis plus de dix ans, on voit que le taux de votes blancs augmente quand il y a du vote par correspondance par Internet, ce qui n’est pas le cas du vote par correspondance postal. Ça veut dire qu’un certain nombre de personnes, d’électeurs ne sont pas tellement sûrs que ça va rester secret, donc ils ne votent pas en toute liberté, donc ils changent leur vote. Ils votent blanc ou peut-être aussi qu’ils ne votent pas pour le candidat de leur choix, en tout cas les taux de votes blancs augmentent, c’est-à-dire doublent, triplent, etc.
Étienne Gonnu : Donc l’outil choisi influe sur le vote en lui-même et, finalement, aussi sur le résultat que va produire ce vote.
Chantal Enguehard : À partir du moment où l’expression du vote est dématérialisée ça veut dire que la personne qui vote, vote en faisant un geste pour appuyer sur un bouton par exemple. Ce geste donne une petite impulsion électrique. Cette impulsion électrique est transformée en un codage informatique. Ce codage informatique va être transformé à plusieurs reprises et, à la fin, des résultats électoraux sont proclamés. Toutes ces transformations ne sont pas observables. Là on est en train de mettre le pied sur les histoires de transparence que je n’ai pas encore définie. Finalement on ne peut pas savoir ce qui se passe.
Lors d’un vote par correspondance postal – c’est un mode de vote qui n’est vraiment pas très bon par rapport au vote à l’urne –, on a quand même l’idée que s’il y a des gens qui ouvrent les enveloppes pour voir ce qu’il y a dedans et qu’ils les referment ou si le dépouillement ne se passe pas comme il se doit, si ces atteintes concernent un nombre important de votes, ça va finir par se voir, il va y avoir des témoignages, il va y avoir des papiers qui traînent, etc. Avec une expression dématérialisée, il n’y a rien à voir, donc rien ne peut être vu !
Étienne Gonnu : On ne peut le voir parce que c’est techniquement impossible ou parce que ce sont juste des boîtes noires et qu’il suffirait de pouvoir rendre observable ?
Chantal Enguehard : Moi je ne sais pas voir les électrons qui se déplacent ! Je ne sais pas voir si le codage a modifié le sens du vote. Il me semble qu’on ne peut pas le voir, effectivement. Peut-être Superman et la Crypto-nique, je ne sais pas.
Étienne Gonnu : François, tu souhaites réagir.
François Poulain : Les passants qui regardent une urne transparente peuvent voir tout au long du scrutin quelles sont les manipulations faites autour de l’urne ou dans l’urne. Tous les gens qui ne sont pas des passants, qui restent au niveau du bureau de vote, peuvent suivre ce qui se passe.
En quoi doivent-ils avoir confiance pour s’assurer que l’issue du vote ne leur cache rien ? Ils doivent avoir confiance en leurs yeux, ils doivent avoir confiance dans la transparence de l’urne, ils doivent avoir confiance dans l’encre des bulletins, ils doivent avoir confiance dans le fait que les enveloppes n’aient pas de double face, etc. Là je tire un peu la caricature, c’est quand même un certain nombre d’éléments en lesquels la confiance est facilement acquise. À la fin du scrutin les assesseurs vont brasser un peu les urnes, ils vont les retourner. Dans les grands bureaux on va faire des paquets de 100, on va les distribuer pour le dépouillement. Dans les petits bureaux on ne va même pas faire des paquets de 100, on va directement dépouiller devant un public donné ou organiser avec un public donné, ça dépend des organisations.
Pour les gens qui n’ont jamais vu une machine de vote, ça ressemble un petit peu à un distributeur de billets sauf que ça ne fait pas pareil. Dans quelle situation est-on face à une machine de vote comme ça ? On est dans une situation où on demande à la machine de nous donner le résultat du dépouillement. On voudrait tous croire que ce résultat du dépouillement dépend de la procédure et du vote de chacun, mais, en fait, on n’a aucun moyen de le vérifier. La seule chose qu’on nous donne à voir, ce n’est pas l’urne parce qu’elle n’existe pas, c’est, en fait, un artefact qu’on veut bien nous montrer. La situation est encore pire dans la situation du vote par exemple par Internet parce qu’on peut montrer à chacun un artefact qui va être différent, éventuellement, et qui va le conforter dans l’idée que tout s’est bien passé.
Ce n’est pas de la science-fiction. Par exemple si vous faites une recherche Google chez vous, en fonction de où vous faites la recherche, en fonction du compte que vous utilisez, vous aurez des résultats différents. Si vous allez sur votre page Facebook, en fonction de qui vous êtes vous aurez un résultat différent. Là je donne des exemples très connus, mais ce n’est pas le problème de Google et de Facebook. Si vous allez sur impots.gouv.fr, en fonction de qui vous êtes vous aurez un résultat différent. Bref ! Présenter des résultats différents en fonction de qui se connecte ou en fonction de ce qu’on imagine de qui se connecte, c’est la façon normale de faire des choses sur Internet. À partir de ce moment-là ça crée quand même de vraies interrogations sur ce qui est donné à voir aux scrutateurs qui voudraient surveiller le scrutin. Aujourd’hui on n’a pas de magie technologique, de magie cryptographique ou de n’importe quoi qui donne des garanties suffisantes et encore moins compréhensibles par tous. C’est vraiment le nœud du problème à ce sujet.
Étienne Gonnu : Chantal.
Chantal Enguehard : François a dit quelque chose de très juste, il a dit qu’il n’y a pas d’urne. Effectivement, il n’y a pas d’urne quand il y a du vote électronique, il y a la représentation électronique d’une urne ce qui est complètement différent. Cette différence entre la réalité et la représentation est fondamentale. Ça a déjà été pensé dans le passé. Peut-être que vous connaissez le célèbre tableau de Magritte qui s’appelle Ceci n’est pas une pipe. Quand j’avais 12 ans je ne comprenais pas ce tableau. II représente une pipe, avec tous ses détails, et en dessous est écrit, en caractères d’écolier, Ceci n’est pas une pipe>. J’ai compris plus tard. Eh bien oui, ce n’est pas une pipe, je ne peux pas fumer de tabac avec. En revanche, je peux rouler le tableau alors que si je roule une pipe elle va être cassée. Là on a une espèce de tour de passe-passe qui est faite dans notre cerveau puisqu’on a des documents, y compris des documents officiels, des lois, etc., qui parlent d’une urne électronique. Par exemple : « Les membres du bureau de vote doivent vérifier que l’urne électronique est vide. ». En fait, cette phrase n’a aucun sens puisqu‘il n’y a pas d’urne, il y a une représentation d’une urne. Ce n’est pas du tout la même chose. Effectivement, dans une urne on ne peut pas ajouter des bulletins ou changer les bulletins des électeurs sans que ça se voie. Alors que par l’électronique tous les votes, toutes les expressions des votes sont transformées à plusieurs reprises sans que quiconque puisse s’assurer qu’à la fin ça retombe sur ses pieds. C’est tellement énorme, finalement, qu’on n’arrive plus à le voir et les mots, quelque part, nous trahissent. D’ailleurs le tableau de Magritte Ceci n’est pas une pipe, s’appelle La Trahison des images. Les artistes sont quand même forts pour nous faire comprendre des choses, donc on peut entendre cette leçon de Magritte : la représentation d’une urne électronique n’a absolument pas les propriétés d’une urne physique puisque ce qui est dedans peut être modifié sans qu’on le voie. On peut lire la définition d’une urne, d’une vraie urne, dans le dictionnaire : c’est une boîte dans laquelle il y a une seule ouverture. On n’a pas du tout ça avec ce qui est appelé urne électronique.
Étienne Gonnu : Du coup, si j’essaie de mettre des mots de non informaticien pour bien comprendre, vous avez d’ailleurs dit que cette question de la représentation est importante. Une urne, effectivement, va contenir un certain nombre unique de votes, alors qu’une machine, un ordinateur, va stocker et nous transmettre une information. Cette information peut-être « il n’y a pas de vote ». Ensuite des informations vont passer et elle va, non pas contenir des votes, mais simplement une information sur un nombre qu’il y aurait dedans, sur quel serait le résultat, mais il n’y a pas d’intérieur. Finalement, elle ne fait que reproduire une information qui peut être « il y a x votes pour x personnes », mais, effectivement, il n’y a pas de votes physiques, il n’y a pas réellement de votes quantifiables.
Chantal Enguehard : On n’a pas du tout les garanties que l’objet physique urne apporte. On a la même chose sur le bulletin. François l’a très bien dit, les bulletins qui sont comptés le soir lors du dépouillement ce sont les mêmes, exactement les mêmes qui ont été mis par les électeurs dans leur enveloppe et ensuite dans une vraie urne. Avec le vote électronique, ils ont juste fait un geste qui a été transformé, retransformé, encore retransformé. À la fin on peut dire aux électeurs « soyez confiants, c’est bien votre vote qui est arrivé chez nous et on va bien le compter », mais, quelque part, on a une infantilisation, finalement, des électeurs. Les électeurs qui sont en position de contrôler la régularité des élections lorsqu’il y a des vrais bulletins, des urnes, etc., qui peuvent voir les atteintes, qui peuvent les dénoncer, qui peuvent les compter, qui peuvent en apporter témoignage, eh bien là ils ne peuvent qu’acquiescer puisque, finalement, toutes ces transformations qui sont générales – tout est transformé tout le temps – ne peuvent pas être observées, donc il est impossible de s’en plaindre.
Étienne Gonnu : En fait, par la technicité on est finalement dépossédé de cet outil de décision collective. Moi je n’ai pas de formation, mais on m’a appris à lire. J’ai cette formation-là qu’a la majorité de la population, savoir lire, donc je peux lire, je peux comprendre une enveloppe qui tombe dans une urne, qui en sort, je peux comprendre ce mécanisme-là, mais, d’un point de vue informatique, ça va m’échapper.
Dans ce que tu pouvais décrire, François, on a l’impression qu’il ne s’agirait que d’envisager des questions de fraude. Il y a forcément des risques de fraude, mais de ce que je comprends, notamment sur cette idée que l’information se transforme en électrons et qu’on ne peut pas l’observer, c’est qu’on peut, tout simplement aussi, imaginer des bugs. C’est-à-dire qu’on a entré une information dans la machine, il s’est passé ce qui peut se passer au niveau des électrons, l’information est transformée sans que personne ne s’en rende compte. On peut difficilement, en plus j’imagine, quantifier quel résultat ça peut avoir. Juste sur ce critère-là, il me semble que ça peut poser un problème fondamental.
François Poulain : Chantal sera plus experte que moi là-dessus, mais il me semble qu’il y a des taux d’erreurs plus élevés, qui ont été mesurés plus élevés sur des machines de vote que sur des bureaux classiques avec urne papier.
Pour revenir un petit peu au tout début de ce que tu disais, présenter le vote et tout, je ne suis pas expert du sujet, mais je vois un peu deux fonctions essentielles qu’on a autour du vote.
D’un côté on a le côté « agréger des préférences », c’est-à-dire qu’on a un groupe de personnes qui s’expriment et on veut essayer de voir comment on peut obtenir une expression commune de ce groupe à partir des expressions individuelles. C‘est de l’agrégation de préférences.
La deuxième chose qui est très importante, on va dire, surtout dans les élections à scrutins nationaux, c’est la légitimation de la décision qui émerge de ce groupe. À partir du moment où on a une légitimation qui est forte et qui donne beaucoup de pouvoirs à la décision ou à la personne qui est élue, en l’occurrence pour ce dont on parle, le fait que ça engendre ce pouvoir fait qu’on s’intéresse forcément aux questions de fraude parce que la tentation est grande. Dans le monde du vote électronique, on peut imaginer beaucoup plus de possibilités bien sûr d’erreurs, mais aussi de possibilités de fraudes, bien au-delà de ce qu’on connaît déjà avec le vote physique qui n’est pas dénué de défauts.
Étienne Gonnu : Chantal, vous parliez de l’Observatoire du vote, il me semble que vous avez pu observer un petit peu, depuis cette instance, l’usage notamment de ces machines à voter, parce que c’est plutôt sur les machines à voter que la question s’est posée, les résultats que ça a pu produire, notamment en termes de points positifs.
Chantal Enguehard : Avec les ordinateurs de vote on peut faire des mesures qu’on ne peut plus faire avec le vote par Internet, sinon on les ferait pour le vote par Internet. Mesurer c’est formidable ! Je suis scientifique, il ne faut pas oublier qu’une mesure précise vaut l’avis de 1000 experts. Donc j’ai mesuré, j’ai regardé les différences entre les nombres d’émargements et les nombres de votes. Il y a, en France, un million de personnes qui votent sur des ordinateurs de vote, depuis une vingtaine d’années pour certains, il y a beaucoup d’auditeurs qui ne le savent probablement pas. Théoriquement, dans les bureaux de vote, ça devrait tomber juste, on devrait avoir le même nombre de votes que le nombre de signatures sur la liste d’émargement. En fait, il y a des fois des petites erreurs, quelqu’un qui oublie de signer, quelqu’un qui arrive à mettre deux bulletins dans l’urne, c’est limité mais ça arrive quand même.
Avec mon équipe, après chaque élection je recueille des résultats électoraux très détaillés dans plusieurs centaines de communes en France, à peu près 60 communes où il y a des ordinateurs de vote et 300 communes où il y a du vote papier, comme ça j’ai des ensembles qui sont tout à fait comparables et représentatifs de données. Ce que je vois c’est que les différences entre les votes et émargements, qui sont petites, ça ne va pas faire basculer les élections, mais ça peut se mesurer, on est de l’ordre de 1 pour 1000 votes, eh bien elles sont deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois plus importantes en moyenne lorsqu’il y a utilisation d’un ordinateur de vote.
Ce qui est intéressant c’est qu’on est, à titre expérimental, quasiment dans un monde clos. On a un bureau de vote, on a des assesseurs, normalement une urne, des bulletins, des électeurs qui passent. Là on a retiré l’isoloir, on a retiré l’urne, on a retiré les bulletins et, à la place, on a mis un ordinateur. Tout le reste est resté pareil, c’est-à-dire que les gens signent sur un registre des émargements, etc. On voit que l’introduction de cet ordinateur produit des désordres et, en tout cas, ça produit une baisse de précision. Maintenant d’où ça vient ? Eh bien on ne peut pas le savoir puisqu’on ne peut pas observer ce qui se passe dans la transformation des informations au sein de l’ordinateur qui recueille les intentions de vote des électeurs. Donc ceci interroge.
Et puis effectivement il y a, d’une manière générale, une forte pression quant à la fraude sur les élections, là je reviens un peu sur le vote par Internet. On a quand même des pressions extrêmement fortes de puissances étrangères qui ont des moyens de cybercriminalité extrêmement importants, qui sont d’ailleurs signalés régulièrement par l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, mais il y a aussi, en plus, et vous avez raison, la question des bugs. La question des bugs s’est invitée à table il y a déjà quelques années, en 2003. Un cas très célèbre s’est déroulé à Schaerbeek où, à la surprise générale, un candidat a obtenu beaucoup plus de voix qu’il y a d’électeurs. Une enquête a été faite, etc., et, à l’époque, on ne connaît pas depuis très longtemps la possibilité du rayonnement solaire d’aller modifier spontanément la position d’un bit d’information. L’enquête a conclu qu’il y a eu inversion de la valeur du 11e bit d’information qui donnait les résultats d’un candidat à l’élection. On a donc un électron, c’est tout petit, c’est fragile, à qui il peut arriver des aventures en chemin. Maintenant que tout le monde a des ordinateurs – je généralise et ce n’est pas bien ! –, beaucoup de gens ont des ordinateurs sous la forme d’un téléphone qu’ils ont avec eux mais qui est, en fait, un ordinateur, on voit bien que des fois ça marche et puis ça ne marche plus et puis ça se remet à marcher, et on ne sait pas toujours bien pourquoi, on ne sait pas toujours ce qui se passe. Ces problèmes de bugs dus, par exemple, à des rayonnements solaires sont en plus accrus avec la miniaturisation des composants électroniques. C’est un vrai problème qui est pris très au sérieux. En aéronautique, par exemple dans les avions, il y a des paires de process qui se mettent en panne au fur et à mesure si jamais elles ne donnent pas le bon résultat, il y a jusqu’à huit ou dix ordinateurs pour une seule tâche par exemple sur les Airbus. Donc il y a en deux qui ne donnent pas le même résultat, elles se mettent en panne, il y en a deux autres qui prennent le relais et, pendant que les relais sont pris, ça permet aux ordinateurs qui ont peut-être été détectés en panne de rebooter, ça leur permet d’avoir le temps de redémarrer. Sur les Airbus il y a jusqu’à dix paires qui prennent un relais ; comme les avions volent en hauteur, il y a plus de rayonnement, il y a effectivement plus d’erreurs. Je suis partie un petit peu loin, mais c’est bien aussi de voyager.
Quand on compare l’information portée par des électrons avec un bulletin en papier, si jamais, par exemple, le bulletin en papier était détruit on verrait qu’il a été détruit.
Étienne Gonnu : C’est important. Ça me permet de relever ce qui me semble un point essentiel qui, en fait, rejoint ce que François évoquait sur la confiance. Il y a des risques, il y a des questions de confiance. La question c’est quel niveau de risque est-on prêt à accepter ? Pour quoi faire ? Quelle confiance est-on capable de déléguer et sur quelles bases ? Ce qui fait qu’il y a peut-être des situations pour lesquelles les outils de vote vont pouvoir s’avérer intéressants, sinon j’imagine que Cliss XXI n’en aurait pas développé. La question va être de savoir comment on intègre ces risques et comment on développe la confiance.
On pourra peut-être revenir sur ces points après. Je vous propose qu’on fasse une courte pause musicale, pour s’aérer un peu l’esprit.
Nous allons écouter Dreamer par Johny Grimes. On se retrouve dans environ deux minutes. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Dreamer par Johny Grimes.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Dreamer par Johny Grimes, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April et nous discutons de vote électronique avec Chantal Enguehard, enseignante-chercheuse en informatique à l’Université de Nantes et directrice de recherche à l’Observatoire du vote, et François Poulain, trésorier de l’April et artisan du logiciel libre chez Cliss XXI.
N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Avant la pause on a évoqué un peu les bugs et, François, tu souhaitais réagir sur cette question.
François Poulain : Ce que je vais dire va peut-être faire un peu bondir certains chercheurs ou des gens qui sont dans l’informatique certifiée. Ce que le public doit bien comprendre c’est que dans la très grande majorité des cas, mettre de l’informatique ça veut aussi dire mettre des bugs. Il y a des bugs à tous les niveaux, il y a des bugs dans la machine, il y a des bugs dans le code, il y a des bugs dans la façon dont les gens pensent les systèmes, il y a des bugs partout. On pourrait se dire qu’on va faire intervenir des experts pour essayer d’éplucher tout ça, qu’on va faire confiance à un travail méticuleux d’experts pour essayer de trouver les bugs. Ce sont des choses qu’on fait dans des domaines, on parle d’aéronautique, on parle de choses comme ça. Malgré ça les bugs subsistent. On a des bugs qui, parfois, coûtent très cher à des gens. On a déjà fait exploser Ariane avec des bugs, on a déjà raté des envois de robots sur Mars avec des bugs, etc. Malgré tous les efforts très méticuleux qu’on peut déployer et à des niveaux très élevés, les bugs subsistent. On pourrait se dire qu’on va demander à une machine, qui est très méticuleuse, d’éplucher un peu ce qu’il y a dans la machine pour vérifier s’il n’y a pas de problèmes. En fait, en général, ça ne marche pas, c’est-à-dire que les machines ne savent pas se comprendre elles-mêmes, pour le dire vite. Donc voilà un petit peu la problématique des bugs. Ce qui fait que sauf cas très particulier — il y a des domaines où des gens font des choses géniales — mettre de l’informatique c’est rajouter des bugs dans les systèmes et ça s’applique à tout : ça s’applique à la fermeture des guichets pour les remplacer par des robots, ça s’applique à la fermeture des bureaux de vote pour les remplacer des par robots, ça s’applique à tous les domaines où on veut mettre des robots à la place des gens.
Étienne Gonnu : Même avec la meilleure volonté de transparence, finalement on ne pourra jamais répondre complètement à ça.
François Poulain : Même les meilleurs experts de l’ANSSI, etc., n’auront pas forcément toujours accès à tous les détails qui font que, dans certaines circonstances, on arrive à produire des comportements inattendus.
Étienne Gonnu : L’entropie quoi !
Chantal, vous évoquiez deux piliers, deux enjeux fondamentaux, notamment celui de la transparence qui, finalement, ne peut pas répondre à tout. Vous souhaitiez la définir. Je vous rends la parole sur ce point.
Chantal Enguehard : Souvent on dit qu’il faut des élections transparentes, mais on ne dit jamais ce que ça veut dire vraiment.
En fait, des élections transparentes ça signifie qu’il faut être à peu près certain que les résultats électoraux qui sont proclamés correspondent à ce qui a été voté par les électeurs, que les électeurs ont voté librement, que l’anonymat a été respecté, etc., en fait que toutes les caractéristiques d’un vote démocratique soient respectées.
Ceci veut dire qu’il faut aller jusqu’au bout, c’est-à-dire qu’au cas où ce n’est pas respecté il faut pouvoir aller s’en plaindre devant un juge et que le juge puisse annuler l’élection s’il le juge nécessaire. Pour cela, il y a tout un tas de conditions à respecter.
D’abord il faut voir les atteintes, que ce soit des atteintes à la sincérité, c’est-à-dire des bulletins qui seraient modifiés, le sens du bulletin serait modifié, des atteintes à la liberté de vote, des atteintes à l’anonymat, etc.
Il faut pouvoir estimer le nombre de voix qui sont impactées. S’il y a 3 voix qui sont impactées sur 1000 alors qu’il y a un grand écart entre les candidats, eh bien ça ne change rien. S’il y a 300 voix qui sont impactées, c’est complètement différent. Le juge a besoin de savoir exactement combien il y a de voix impactées. Le juge ne fait pas de statistiques, il ne fait pas d’estimation. Le juge veut avoir des preuves et des témoignages concernant des voix, précisément. Une fois que ces preuves et témoignages sont entre ses mains, qu’il a une estimation du nombre de voix impactées, il va pouvoir, éventuellement, décider d’annuler une partie ou bien toute l’élection.
C’est ça la transparence. Il y a des essais, il y a par exemple des développements de systèmes de vote électronique qui sont dits vérifiables. Mais, en fait, il n’y a pas d’opérance juridique, donc ça ne sert à rien que l’électeur puisse aller vérifier si son bulletin a été changé ou pas. D’abord il ne pourra pas vraiment le faire, en plus, si jamais son vote a été modifié, il ne pourra pas prouver que ce n’était pas ça qu’il avait joué, donc ça ne fonctionne pas.
En revanche, avec l’électronique on pourrait améliorer la transparence d’une manière extrêmement facile, peu coûteuse, et pourtant ce n’est pas fait. Par exemple, je suis toujours étonnée de la difficulté que rencontre l’Observatoire du vote pour aller chercher des résultats électoraux détaillés avec le nombre d’émargements, avec le nombre de votes, etc., après les élections. Il y a un certain nombre de mairies qui les publient sur leur site web, qui le font très bien, mais c’est l’exception. Même quand la demande de communication des procès-verbaux de résultats électoraux est faite pendant la durée du contentieux électoral, où les mairies devraient les fournir, neuf mois après on court toujours après pour certaines. C’est quand même un vrai problème de dire qu’on va améliorer les élections avec du vote électronique, et en fait ça n’améliore rien du tout, ça ouvre sur des bugs, ce n’est pas transparent, et d’avoir quelque chose de facile à faire, qu’on pourrait faire sans beaucoup de frais, mais ce n’est pas un marché, donc ça n’intéresse pas grand monde de le faire. Donc quelque chose qui pourrait être facile à faire par les mairies n’est absolument pas fait.
On sent qu’il y a des tensions et, derrière ce mouvement vers le vote électrique, il y a, en fait, des entreprises qui cherchent à placer leurs produits.
Étienne Gonnu : Vous devancez ma question suivante : pourquoi s’est-on lancé dans cette aventure de mettre du vote électronique un peu partout ? Il y a des explications, notamment pour le vote à distance, on parle de pandémie, on peut nous expliquer des choses alors qu’on a bien vu toutes les problématiques que ça peut avoir, mais pourquoi, déjà, avoir installé des machines à voter partout ?
Chantal Enguehard : Le vote électronique apparaît bien avant la pandémie, il apparaît en 2000. Au départ les machines à voter ce sont des machines mécaniques qui apparaissent en France par une loi de 1969, juste après 1968. D’abord il y a un marché qui s’ouvre, c’est-à-dire qu’il y a de l’argent à faire pour les élections, en plus c’est de l’argent public. Il y a peut-être l’idée que les électeurs, finalement, sont perçus comme un danger parce que, pour le vote électronique, finalement les électeurs sont écartés du dépouillement, sont écartés du contrôle des élections. Quand on regarde quels sont les cas de fraude ce ne sont généralement pas les électeurs qui fraudent, ce sont plutôt les candidats ou bien les amis des candidats. Donc on a une espèce de défiance, comme ça, et puis, en même temps, on a un énorme problème, on a un corps législatif qui ne comprend rien à l’informatique, qui n’est pas formé à l’informatique et qui, donc, entérine des textes, par exemple « le bureau de vote doit vérifier que l’urne électronique est vide », qui n’ont aucun sens. Donc c’est difficile parce qu’on a des textes, maintenant, qui sont des espèces de textes de fiction ; on est sur une fiction, sur des montages qui n‘ont pas de réalité concrète. Comment aller se plaindre que quelque chose qui n’existe pas était vide ou pas ? Ça commence à être compliqué ! Donc vous voyez bien qu’on ne peut plus faire annuler les élections et c’est un argument de vente des industriels du vote électronique. Ils disent « ça marche bien, la preuve, il n’y a pas contentieux électoraux ». Oui, il n’y a pas de contentieux électoraux parce qu’il est impossible d’apporter quoi que ce soit devant un juge. En fait, le vote électronique a invisibilisé un certain nombre d’atteintes possibles à l’anonymat, au secret du vote, à la sincérité des élections, etc.
Étienne Gonnu : Ça m’évoque ce que François disait sur ce qui est censé être l’intérêt du vote qui est de créer de la légitimité, de la légitimation dans les projets politiques. Là on voit justement comment ça se heurte aussi à ça, parce qu’on infantilise, pour reprendre votre terme, les électeurs et les électrices, les citoyens et les citoyennes qui sont dépossédés de ce qui déjà censé, et c’est discutable, être leur expression politique unique.
François tu souhaites réagir.
François Poulain : J’ai fait mes études à Brest au début années 2000, commune qui a très tôt adopté, en fait, les machines de vote. À l’époque je ne votais pas à Brest, j’habitais la campagne avoisinante, il y avait toute une publicité qui était faite autour de ça, il y avait donc tout un tas d’arguments que je juge un peu naïfs avec le recul. Le jeune adulte que j’étais, pareil, était naïf vis-à-vis de la question donc ça ne m’a pas semblé exotique. On disait « c’est plus moderne, ça va coûter moins cher » ; il y a une énorme logistique de papier pour organiser les élections nationales, donc on disait « ça va coûter moins cher ». On peut souvent aussi penser à l’argument écologique qui est apporté, on supprime le papier donc c’est écologique parce que tout le monde sait que le papier pollue !
Il y avait aussi la question qui demeure pas mal qui est la question de la rapidité des résultats. On est dans une société qui veut de l’immanence, qui veut que tout aille vite, on ne tolère pas qu’on s’accorde une heure pour savoir qui sera le prochain président de la République pendant sept ans ou pendant cinq ans.
En fait ce qui est un peu impressionnant sur ce sujet-là, mais malheureusement ce n’est pas unique au niveau des débats législatifs, au niveau des débats publics, c’est que la plupart des arguments qui peuvent être de bonne foi sont assez rapidement battus en brèche par l’examen. C’est-à-dire que quand on demande à des gens qui n’ont pas d’intérêt à déployer des machines de vote ce qu’ils en pensent – on peut prendre des chercheurs, on peut prendre des citoyens, on peut prendre tout un tas de personnes qui vont s’intéresser au sujet, le regarder de près –, ils disent que ça n’a aucun intérêt ou alors tellement à la marge que les risques sont bien trop grands. Malgré ça, la plupart des endroits où des élus ont voulu imposer des machines de vote, ils ont continué à imposer leur point de vue. C’est le cas, je pense, à Brest, c’est le cas à Issy-les-Moulineaux en banlieue de Paris, c’est le cas dans un certain nombre de villes avec des gens qui ont maintenu le cap. Et puis, sous le gouvernement de Sarkozy, entre 2007 et 2012, il y a eu, à ma connaissance, pas mal de soutien du ministère de l’Intérieur sur ces questions-là.
Étienne Gonnu : Et on sait qu’en politique ce n’est pas toujours facile de se désavouer. On laisse les habitudes se mettre en place, on ne les questionne plus.
Chantal, je vais vous laisser réagir, mais j’aimerais aussi qu’on s’arrête aussi un temps. C’est vrai qu’on critique beaucoup, et je pense à juste titre, mais il y a des cas où le vote en ligne peut s’avérer utile sinon Cliss XXI ne développerait pas ces outils-là. Je trouverais intéressant de voir comment vous avez pu adresser la question du bulletin secret, la question, éventuellement, de comment on fait pour changer d’avis. Je pense qu’il y a des questions techniques qui sont importantes à trancher, qu’on a pu voir notamment puisqu’on les mentionnait. Il y a une primaire populaire qui va commencer dans deux trois jours, il y a eu la primaire d’Europe Écologie Les Verts, les deux sont sur des plateformes en ligne, il y a eu des problématiques. Je pense que ça peut être intéressant d’avoir ton regard là-dessus, mais je vais laisser Chantal réagir si elle le souhaite.
Chantal Enguehard : Pour organiser des élections papier il faut effectivement mobiliser un certain nombre de savoir-faire, il faut mobiliser des gens, etc. J’ai le souvenir, je ne le date pas mais il n’y a pas si longtemps, le parti socialiste avait organisé des grandes primaires papier. Là il y a un passage au vote électronique. Le premier parti politique à avoir fait des élections politiques internes par vote électronique c’est le RPR ou UMP, je ne sais plus exactement à quelle époque c’était, c’est comme ça que monsieur Sarkozy prend la tête du parti, et on voit qu’ils ne sont jamais revenus au vote papier. C’est-à-dire qu’il y a une perte de compétence, on a privatisé cela et on ne sait plus faire. En plus, derrière, il y a peut-être un discours disant « c’est mieux de passer par le vote électronique parce qu’un vote papier c’est tellement compliqué !, etc. ». Donc il y a une perte de compétence et c’est grave ! J’ai vu, en particulier, du vote électronique se mettre en place dans plus d’une vingtaine d’universités en France. Or, je le sais pour avoir tenu les bureaux de vote à de nombreuses reprises dans les universités, c’est souvent la première fois que des étudiants votent, donc des jeunes électeurs. Je suis quand même gênée que, dans une université, finalement on leur enseigne par l’exemple qu’il ne faut surtout pas essayer de contrôler ce qui se passe quand ils votent et, de nouveau, de les infantiliser alors que les étudiants sont tout à fait capables de dépouiller un vote, etc. Et c’est leur premier vote, c’est comme ça que beaucoup apprenaient à voter dans les universités et, malheureusement, nous sommes en train de perdre cela. Vu le mouvement qu’il y a eu dans les partis politiques et l’impossibilité de revenir en arrière, j’ai bien peur que dans les universités on se mette à suivre le même chemin, alors qu’on a tout a fait des compétences, etc. C’est un lourd travail pour les services. On sent bien du côté des services que ne pas avoir à les organiser c’est probablement un soulagement, je le sens bien. Mais cela ne me semble pas un bon enseignement à donner aux jeunes qui deviennent des potentiels électeurs et on sait que les jeunes votent de moins en moins. Au contraire, il faut non pas essayer de bâtir un mur pour se défier des électeurs, mais, au contraire, impliquer les électeurs dans l’organisation des élections, dans la campagne, dans le dépouillement, etc. C’est comme ça qu’on peut avoir une vie politique assez riche.
Étienne Gonnu : Je pense même que, plus globalement, on est en ce moment dans une logique, peut-être ancienne, où on délègue à des experts un peu en permanence. Je pense qu’au-delà même du vote tout l’enjeu est de réapprendre – je pense que les universités sont un endroit extrêmement important pour ça – aux personnes leur capacité à agir politiquement directement. Elles n’ont pas besoin d’experts pour agir à leur place et elles doivent pouvoir comprendre ce en quoi elles agissent. D’abord comprendre le processus pour en faire partie, dans ce cas-là un processus de vote. Si on appuie sur un bouton, qu’on agit à distance, on ne comprend pas ce qui se passe, on est un peu dépossédé de cet acte politique.
Chantal Enguehard : On fait confiance à des gens qu’on ne connaît même pas ! Vous parlez d’experts, mais il faut bien comprendre que sur le vote électronique personne ne peut savoir si les votes ont été modifiés ou pas, experts ou pas ! C’est pour tout le monde pareil, il y a une impossibilité scientifique démontrée.
Étienne Gonnu : Tout à fait, mais les gens se vantent d’être experts sur un marché que vous décriviez comme intéressant. François.
François Poulain : À contrario, une urne transparente est compréhensible par un enfant de 10/12 ans sans problème. L’enfant ne va pas maîtriser ce que sont les caractéristiques d’un vote bien réglé, mais il va bien comprendre ce qui se passe, que les bulletins comptés correspondent aux bulletins qui ont été mis toute la journée.
Étienne Gonnu : Je te questionnais parce qu’il y a des situations, par exemple l’April, pour la désignation de son conseil d’administration, recourt à du vote en ligne ; là on choisit en fonction des enjeux. Les enjeux au niveau de l’assemblée générale d’une association ne sont évidemment pas les mêmes, donc il y a des situations où le recourt à des logiciels de vote, dans notre cas d’un logiciel à distance, enfin par correspondance sur Internet, fait sens, du moins c’est pour ça que Cliss XXI en développe.
François Poulain : En fait l’April a développé la prise de conscience et la critique des machines de vote au moment où c’est apparu, je dirais entre 2000 et 2007, au moment où ça c’est vraiment mis en place en France, parce que ça a pu apparaître avant. Une position a émergé, je ne me souviens plus bien, je pense qu’elle a émergé entre 2005 et 2007, sur les machines de vote et sur le vote électronique en France. Effectivement, on considère que pour des scrutins on va dire d’envergure nationale c’est une très mauvaise idée pour toutes les raisons dont discute depuis le début de l’échange. Néanmoins l’April est aussi une association qui, à cette même période, a pris une envergure on va dire nationale, voire internationale, avec des membres répartis maintenant sur quasiment tous les continents. On s’est dit que pour faciliter la participation aux AG des membres, notamment pour donner quitus sur la bonne gestion de l’asso, on s’est mis à organiser nous-mêmes du vote en ligne, du vote électronique par Internet avec des garanties dont on sait qu’elles sont bien moindres. On a déjà essayé de clarifier entre nous ce qui faisait qu’il nous semblait illégitime de faire du vote en ligne pour des scrutins nationaux et ce qui faisait qu’il nous semblait utile et pratique, ce qui faisait qu’on était séduits par le vote électronique pour nos enjeux internes. Des discussions nous ont menés à une position. Effectivement, une grosse question centrale c’est la question des enjeux de pouvoir qui sont derrière. Souvent on met derrière les enjeux de pouvoir, mais il y a quelque chose qui accompagne ça, de mon point de vue, c’est aussi la question du clivage qu’il peut y avoir. Quand vous avez une élection qui se joue à 48 points contre 52 points ce n’est pas la même chose qu’une élection qui se joue à 90 points contre 10 points ou à 98 points contre 2 points. Donc la force de preuve d’un scrutin est aussi liée un petit peu à son résultat.
Si on fait un scrutin à main levée chacun peut voir ce qui se passe, donc ça pose d’autres problèmes au niveau l’anonymat, etc., en tout cas d’un point de vue de la confiance de ce qui se passe ce n’est pas mal. On pourrait imaginer, par exemple en visio, de faire un vote à main levée. Jusqu’à récemment on ne savait pas faire de la fake visio, je pense que dans un avenir proche on saura très bien en faire. Ça reste des avatars technologiques, Ceci n’est pas une pipe est une très bonne image. Néanmoins, on peut quand même avoir un petit peu confiance dans ce qui se passe parce que c’est dynamique, parce qu’on connaît les gens, parce qu’ils parlent, parce qu’ils bougent, parce qu’on voit lever la main, etc. C’est une chose qui aide un petit peu à construire la confiance.
Si on fait un formulaire, qu’on recueille les votes que, derrière quelque chose d’opaque, on annonce le nombre, c’est quelque chose envers lequel on peut avoir beaucoup moins confiance, mais on peut quand même avoir suffisamment confiance dans les organisateurs pour dire « je n’ai pas l’impression que le résultat soit truqué », en particulier si le résultat dit qu’il y a 90 % d’opinions favorables dans un sens, parce que, pour obtenir un résultat contraire il faudrait extrêmement truquer la situation. En fait, une bonne fraude est une fraude qui ne se voit pas. Une fraude qui se voit n’est pas une très bonne fraude. C’est pour ça que le score final influe un peu. Du coup, on s’est mis à faire ça à l’April.
C’est vrai qu’à titre personnel, comme on avait quelques défauts sur des technologies qu’on employait, j’avais réfléchi à la création d’un logiciel qui nous aide à ça et c’est un peu de là qu’est venu GvoT. C’est un projet que j’ai imaginé un peu sur mon temps libre et qui est resté dans les cartons jusqu’en 2020. Qu’est-ce qui arrive en 2020 ? Il arrive une pandémie. Avant 2020 il y avait très peu d’associations qui faisaient du vote en ligne. Les membres d’une association locale ont envie de se regrouper. Une AG est un moment où on a envie de se voir, on a envie de se regrouper, on partage un moment ensemble, c’est sympa. Ce n’est pas forcément le cas des très grosses organisations parce qu’on peut avoir des gens sur différents continents et se voir n’est pas toujours simple ou alors c’est très coûteux, etc.
Avant 2020 le vote en ligne intéressait assez peu de gens sauf des très grosses organisations. À partir de 2020 il y a eu une grosse demande de plein de collectifs pour s’organiser. C’est dans ce contexte-là que nous, Cliss XXI, comme on travaille habituellement avec beaucoup d’organisations du monde associatif, nous avons été sollicités par différentes organisations pour organiser ce genre de vote. À ce moment-là, avec Cliss XXI, nous nous sommes posés en tiers de confiance. Nous avons bien expliqué aux gens quelles étaient les limites du système, on n’a pas essayé de mettre des gadgets technologiques qui opacifient encore plus le système. On a dit aux gens « vous nous faites confiance et, s’il y a une perte de confiance à un moment, on discute et on vous livre tous les détails, vous pourrez soit examiner ce qui se passe, soit enterrer le résultat et dire on recommence avec une autre procédure ». C’est un petit comme ça que ça s’est développé.
GvoT est utilisé par différentes organisations type Ligue de l’enseignement, type CEMEA pour les gens qui connaissent, une fédération d’éducation populaire.
Étienne Gonnu : Qu’on avait reçue en fin d’année dernière dans Libre à vous !
François Poulain : Et bien sûr l’April.
Étienne Gonnu : Je vois le temps qui avance. Il y a un point qui me semble quand même important à préciser. Ça faisait partie de la position de l’April que tu évoquais. Pour résumer en deux mots ce que tu viens de dire, GvoT est un logiciel libre qui va s’inscrire finalement aussi dans le processus de confiance qui ne se limite pas à l’outil lui-même mais qui s’inscrit dans un contexte plus large qui est, bien sûr, à prendre en compte. Dans le contexte d’associations, tu as donné les raisons de ce qui a pu rendre acceptable le recours au vote en ligne. De ce que je comprends, vous pourrez me contredire, l’une comme l’autre vous considérez que pour des élections d’envergure comme celles de députés ou du président ce genre d’outil n’est pas acceptable, n’est pas souhaitable. Finalement le fait que ce soit du logiciel libre n’y changerait pas grand-chose puisque ça ne permettrait pas d’adresser les critiques que vous avez pu exprimer.
François Poulain : Mon point de vue en trois mots : quand il y a un enjeu fort c’est inimaginable de recourir à des machines de vote ou à du vote en ligne ; quand il y a un enjeu nul c’est imaginable avec les limites qu’on sait. Entre les deux, puisque l’enjeu n’est jamais nul, il y a une zone grise que chacun peut apprécier en fonction de ses contraintes et de ses moyens du moment.
Étienne Gonnu : Avant de vous donner la parole, Chantal, je vais juste lire un court extrait de la position de l’April qui, je pense, résume bien aussi le propos : « Si nous sommes bien évidemment favorables au recours au logiciel libre dans les gouvernements, les administrations et les collectivités, nous rejetons l’idée que le logiciel libre soit une condition suffisante au vote électronique, uniquement une condition nécessaire. Il faut en effet garantir cinq principes : transparence, confidentialité, anonymat, sincérité, unicité et, de manière générale, obtenir la confiance des électeurs dans le système électoral en permettant une vérification du scrutin par chaque citoyen. » Ce sont, en fait, les enjeux que nous avons pu discuter précédemment. Chantal Enguehard.
Chantal Enguehard : Effectivement les problèmes sont inhérents au fonctionnement de l’informatique, que ce soit libre ou pas n’y change rien. Toute la difficulté, maintenant, c’est d’évaluer s’il y a un enjeu ou pas. On a vu des gens s’entre-tuer pour décider de l’endroit du terrain de pétanque dans le village. C’est ça la vraie difficulté. Dans le cadre associatif, par exemple, ce sont les associations qui peuvent en décider. Il peut y avoir des clashs et des gens qui quittent des associations en disant « ça a été fraudé ». C’est aussi comme ça qu’il y a eu des clashs dans des partis politiques, etc. C’est en fait ça la difficulté. Je dirais bien, mais je suis peut-être un peu radicale là-dessus, s’il n’y a pas d’enjeu faisons un vote révélé ; s’il n’y a pas d’enjeu, il n’y a pas besoin du secret du vote ! C’est ma position sur le sujet. À partir du moment où il y a quelqu’un qui demande à ce qu’il y ait le secret du vote c’est qu’il y a un enjeu et ça s’appelle un test crucial. On demande s’il y a quelqu’un qui veut le secret du vote, ou pas, et si quelqu’un répond oui c’est qu’il y a un enjeu, donc il faut faire autrement. Sinon faisons du vote révélé, il n’y a pas de problème à faire du vote révélé, c’est d’ailleurs ce qui se passe lorsqu’il y a du vote à main levée.
Étienne Gonnu : Ça me permet de rebondir sur une question de Fred sur le salon chat, qui me semble une question intéressante pour ouvrir aussi ce débat. Il réagit à la notion d’anonymat en disant, je le cite « le vote électronique est problématique lorsque l’anonymat des personnes doit être préservé. Il peut y avoir des votes pour lesquels le vote peut être public, le vote à main levée par exemple. Le vote électronique ne permet-il pas de faciliter des formes de vote différentes de celles qu’on connaît habituellement, par exemple le vote de Condorcet, sans bulletin secret et ainsi de suite ? »
Chantal Enguehard : Je vais répondre sur l’anonymat mais pas sur les différentes formes de vote. Il y a, par exemple, un cas très intéressant c’est à l’Assemblée nationale. À l’Assemblée nationale le vote n’est pas secret, il est révélé, il n’est pas anonyme. Il y a un système de vote électronique, il y a eu des cas de bugs et des parlementaires se sont plaints qu’il y avait des bugs. Ce qui est très intéressant c’est que ce n’est pas prévu. Il n’est pas prévu de pouvoir changer un vote suite à un bug, donc les votes enregistrés en erreur sont restés enregistrés en erreur. Ça donne une idée de l’image que les parlementaires peuvent avoir de l’électronique qui est que c’est clairement un objet magique, il ne se trompe jamais, il va vite, etc., tout un tas de poncifs qui se révèlent d’ailleurs souvent faux. Par exemple j’attends souvent devant de mon ordinateur, c’est quand même curieux pour des objets extrêmement rapides, on n’arrête pas de me dire que c’est rapide et pourtant j’arrive à aller plus vite ! Je me dis que finalement ce n’est peut-être pas si rapide que ça. En tout cas il y a des moments où c’est très lent. Je n’ai jamais vu un livre buguer quand on tourne une page. Peut-être que je n’ai pas un super ordinateur, il héberge probablement des virus, je n’ai probablement pas un système d’exploitation de compétition, etc., mais il y a des fois où je veux tourner la page d’un document dans un éditeur de texte, ça se met à prendre du temps et, des fois, il faut même que je redémarre l’ordinateur. Encore une fois ça ne veut pas dire que j’ai un super ordinateur.
Après, concernant la mise en place de systèmes de vote plus complexes, type vote de Condorcet, etc., je n’ai pas beaucoup étudié ces questions-là, mais c’est clair que c’est plus compliqué à dépouiller. Ça s’est fait, je ne sais plus où malheureusement, il y a des endroits où on fait des systèmes de vote assez compliqués et avec un dépouillement manuel, donc ça peut aussi se faire.
François Poulain : Il y a, par exemple, une initiative qui s’appelle le jugement majoritaire, qui est peut-être un peu plus compliquée à dépouiller en papier, qui a été organisée en électronique. Dans le monde du logiciel libre, le cas de Debian est souvent cité puisque Debian fait du vote Condorcet.
Étienne Gonnu : Je pense que l’uninominal à deux tours est souvent critiqué pour, finalement, proposer des résultats qui ne sont pas forcément représentatifs par rapport à ce qu’aurait pu produire des méthodes plus simples.
Il nous reste très peu de temps. Est-ce que l’un ou les deux souhaitez poser une dernière idée, souligner un point fort qu’il ne faudrait pas oublier. Il nous reste à peu près 1 minute 30.
François Poulain : Les votes ont tous des petits défauts ; ils peuvent avoir des qualités, ils peuvent avoir des défauts. Ce qui fait progresser c’est l’appropriation de chacun de tous ces enjeux. Par exemple, quand on dit qu’il faut demander aux membres si on veut faire un vote ouvert, eh bien il faut que les gens comprennent les enjeux qui sont derrière, comprennent les compromis à faire. Donc l’appropriation par chacun des méthodes, des contraintes des méthodes, des avantages et des inconvénients, fait progresser le sujet. Discuter un peu de tout cela c’est l’intérêt d’une émission comme celle d’aujourd’hui. Il y a beaucoup à dire sur les qualités et les défauts du vote, en dehors du fait qu’il soit électronique ou pas.
Étienne Gonnu : Bien sûr.
Chantal Enguehard : Je rajouterais, par exemple, que j’ai déjà vu des campagnes du ministère de l’Intérieur pour inciter les gens à voter, je n’ai jamais vu de campagne pour inciter les gens à dépouiller dans les bureaux de vote. Il y a plein de gens qui ne savent pas, qui disent « c’est vrai, on se demandait qui étaient ces gens qui dépouillent ». Plein de gens ne savent pas qu’ils ont le droit de dépouiller. Tout le monde ne passe pas son temps à regarder le code électoral, comme je peux le faire sur mes week-ends !, ce que je peux comprendre. J’attends une vraie campagne d’éducation au vote. En France, on n’apprend pas aux gens à voter, on n’apprend pas aux gens à contrôler le vote, c’est un petit peu fait dans les écoles, d’ailleurs heureusement et les enfants le comprennent très bien. Il y a des pays où c’est fait.
Étienne Gonnu : Très intéressant effectivement et d’autant plus intéressant que votre conclusion ne parle pas de vote électronique mais, plus généralement, du vote, de la place du vote et de ce contrôle du vote.
Un grand merci à vous deux pour ce temps d’échange que j’ai pris beaucoup de plaisir à avoir avec vous. Je vous souhaite une bonne fin de journée.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Nous sommes de retour le 12 avril 2022. Le sujet long que nous venons d’écouter a été enregistré en janvier 2022.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale nous entendrons la chronique de Jean-Christophe Becquet sur le thème le bateau des humeurs.
En attendant nous allons écouter 2012 par Kellee Maize. On se retrouve dans environ 3 minutes 30. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : 2012 par Kellee Maize.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : J’ai coupé un petit peu pour laisser à Jean-Christophe le temps de faire sa chronique. On a donc écouté 2012 par Kellee Maize, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, sur le thème du bateau des humeurs
Frédéric Couchet : Nous allons passer à la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April. Bonjour Jean-Christophe.
Jean-Christophe Becquet : Bonjour à tous. Bonjour à toutes.
Frédéric Couchet : Le thème du jour, le bateau des humeurs.
Jean-Christophe Becquet : Le bateau des humeurs est un outil graphique d’animation de réunion. Il s’agit d’un dessin qui représente un bateau peuplé avec des personnages dans toutes sortes de situations : profitant du paysage, hissant une voile, faisant la vigie ou la sieste dans un hamac, rêvant d’une île déserte ou terrassé par le mal de mer, plongeant, nageant ou se noyant dans l’océan autour. Le bateau des humeurs sert de support pour permettre à chacun d’exprimer sa météo intérieure. On peut l’utiliser comme brise-glace en ouverture de réunion ou pour apprécier le positionnement de chacun après une séance de travail. Je pense qu’il peut être intéressant également dans une démarche de conduite du changement comme la migration d’une organisation vers le logiciel libre par exemple. En effet, il est important d’évaluer à chaque étape le positionnement de chacun afin de proposer un accompagnement adapté.
Le bateau des humeurs a été imaginé et testé par Vincent Chaillou, fondateur de l’agence de programmation, facilitation et innovation sociale, Histoires de ville à Nantes. Le dessin a ensuite été amélioré et enrichi par Mathilde Riou, ingénieure urbaniste et facilitatrice graphique indépendante à Copenhague. Tous deux ont choisi de partager leur travail sous licence libre Creative Commons By SA. Ils mettent à disposition le document en haute qualité, imprimable jusqu’au format A1.
La démarche de ces auteurs illustre plusieurs mécanismes importants autour des licences libres. Elle montre, pour commencer, qu’il est tout à fait possible de partager librement une ressource réalisée dans un cadre professionnel. En faisant cela, Vincent Chaillou et Mathilde Riou affichent sur les réseaux leurs compétences dans l’animation, l’accompagnement et la facilitation graphique. Ils pourront en retirer de la notoriété et même être cités dans Libre à vous !. Cela ne les prive pas d’opportunités commerciales car, disons-le franchement, la valeur ajoutée de ce type d’activité se réalise dans l’intervention de la personne avec ses compétences, son expérience, sa posture et sa manière d’animer.
Une autre leçon intéressante s’illustre dans l’histoire du bateau des humeurs. Les auteurs indiquent que leur démarche est inspirée de l’arbre aux personnages. J’ai fait des recherches sur le web et j’ai trouvé une multitude d’images reproduisant l’arbre aux personnages dans des versions plus ou moins dégradées mais jamais sous licence libre. L’outil qui semble aussi connu sous le nom d’« Arbre d’ostende » fonctionne exactement sur le même principe mais les personnages sont positionnés autour d’un arbre, certains grimpent, se balancent ou tombent, d’autres font la sieste à l’ombre. Cet outil serait l’œuvre au départ d’un psychologue britannique, Pip Wilson, mais il est rarement cité.
Dans les commentaires d’un des sites, j’ai trouvé le dialogue suivant :
« — Est-ce que l’Arbre d’ostende mis en format PDF est libre de droit d’auteur ? Sinon, quel auteur faut-il citer ?
— Nous n’avions pas réussi à identifier l’auteur ou l’autrice du dessin lors de la publication de cet article. »
Je voudrais rappeler ici qu’une œuvre « libre de droit d’auteur » n’existe pas. Le droit d’auteur s’applique par défaut et sans aucune formalité à accomplir pour toute création originale. Le droit moral n’expire jamais. Il faut donc toujours citer l’auteur. Enfin, si l’auteur n’a pas donné explicitement son accord, il est tout simplement interdit de reproduire l’image jusqu’à 70 ans après sa mort.
C’est donc une vertu supplémentaire de la licence libre. Elle donne les informations nécessaires pour créditer le document, c’est-à-dire citer correctement l’auteur. Elle permet de reproduire l’œuvre en toute légalité. Il faut rappeler qu’Internet est une gigantesque machine à copier et que publier ou télécharger un fichier sur le Web consiste tout simplement à en faire une copie.
Ces réflexions me rappellent un échange que j’ai eu avec un copain enseignant, membre de l’April, au sujet du choix de la licence pour des ressources pédagogiques. Avec son équipe, ils ont porté leur choix sur une licence Creative Commons avec la clause NC, c’est-à-dire excluant les réutilisations commerciales, ce qui en fait une licence non libre. L’argument était une peur des collègues que leur travail soit repris et publié sans les citer. Avec ou sans licence, il est toujours obligatoire de citer l’auteur. Et la clause SA, Share-alike, qui exige le partage à l’identique, me semble bien plus puissante. Elle permet les usages commerciaux, mais elle exige que toutes les versions dérivées soient à leur tour partagées sous licence libre. En faisant le choix d’une licence Creative Commons By SA, ces enseignants pourraient afficher clairement comment ils souhaitent être cités et s’assurer que leurs ressources pédagogiques resteront toujours librement accessibles. C’est pourquoi je voudrais relancer ici un appel : libérez vos créations et offrez-nous encore de nouvelles pépites !
Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe. J’en profite pour rappeler, on ne le dit pas assez souvent, que nos podcasts, nos émissions, les transcriptions, sont sous licence libre, sous triple licence, et l’une de ces licences est la licence Creative Commons CC By SA, c’est-à-dire Partage à l’identique, comme tu viens de l’expliquer dans ta chronique.
Jean-Christophe Becquet : Absolument. Cette publication sous licence libre ne prive en rien les auteurs de leurs droits sur leurs œuvres. C’est important de le répéter.
Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe. Je te souhaite une belle fin de journée et au mois prochain pour ta prochaine pépite libre.
Jean-Christophe Becquet : Belle fin de journée également. Au revoir et à bientôt.
Frédéric Couchet : Nous approchons de la fin de l’émission. Je vais terminer par une petite annonce.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Frédéric Couchet : Comme le temps file simplement une annonce.
À Beauvais, le vendredi 15 avril et le samedi 16 avril 2022 il y aura les Primtux-Days. Primtux est une distribution logicielle libre qui est utilisable pour les trois cycles de l’école primaire. Venez découvrir, essayer, installer, rencontrer l’équipe de développement de Primtux lors de ces Primtux-Days à Beauvais, le 15 avril et le 16 avril. Vous retrouverez tout, vous pourrez à la fois essayer, vous retrouverez des gens qui développent PrimTux, vous pourrez échanger. Les informations sont sur le site consacré à l’émission libreavous.org.
Plein d’autres événements ont évidement lieu en ce moment avec le beau temps qui revient. On peut découvrir plein d’événements en allant sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec les logiciels libres ou la culture libre près de chez vous.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Isabelle Carrère, François Poulain, Chantal Enguehard, Jean-Christophe Becquet, Étienne Gonnu.
Cette 139e émission a été mise en ondes par Isabella Vanni. Merci Isa.
Cette émission sera prochainement disponible en réécoute sur causecommune.fm et libreavous.org grâce aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, bénévoles à l’April, Olivier Grieco le directeur d’antenne de la radio. Merci à elles et eux.
Merci aussi à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
Vous trouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont donc les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et faites également connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles. Vous pouvez notamment écouter les trois podcasts sur la problématique de l’attention et les écrans cités par Isabelle Carrère, c’est sur causecommune.fm dans la partie Comme si vous y étiez.
La prochaine émission Libre à vous ! aura lieu en direct mardi 19 avril 2022 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur deux projets libres : GIMP qui est un outil d’édition et de retouche d’image et Inskape qui fait du dessin vectoriel. On parlera des logiciels, mais également du fonctionnement des deux projets.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 19 avril et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.