- Titre :
- Du logiciel libre aux communs
- Intervenant :
- Simon Sarazin
- Lieu :
- Capitole du libre - Toulouse
- Date :
- novembre 2016
- Durée :
- 50 min 50
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
- transcription réalisée par nos soins.
Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l’April.
Transcription
Bernard Brunet : Deuxième séquence de la thématique des communs, après une introduction générale ce matin. je ne sais pas si tout le monde était là ce matin. Il y en a qui nous rejoignent cet après-midi. On va parler aujourd’hui, avec Simon Sarazin, des communs au niveau du logiciel libre. Il va vous présenter ça mieux que je ne puis le faire, là, maintenant. Je vais simplement présenter Simon en deux mots. Simon qui arrive de Lille, Lille où il anime, entre autres choses, un tiers lieu qui s’appelle La Coroutine [1] et qui fonctionne vraiment comme un commun, à tous les niveaux, avec une gouvernance très originale. Simon est vraiment ce qu’on appelle un communeur, donc quelqu’un qui contribue, le plus clair de son temps, aux communs, par sa réflexion, par ses propositions, par son action quotidienne aussi où il expérimente au quotidien notamment la question de l’enjeu de la rétribution des communeurs. C’est un sujet qu’il abordera demain après midi, ici même. Aujourd’hui, il va nous parler du logiciel libre et des communs. Voilà. À toi Simon.
Simon Sarazin : Bonjour à tous. Le micro, je ne sais pas s’il enregistre. C’est bon ? Parfait. Juste pour démarrer un petit point de méthodologie : il y a un framapad pour prendre des notes si vous le souhaitez. Le raccourci c’est Framapad librecommuns. Je mettrai aussi le lien vers la présentation] [2] que je fais actuellement. Si vous-même vous avez des notes ou des questions pendant la présentation, n’hésitez pas à les mettre dessus. Pour la petite présentation, je vais montrer quelques sites internet et puis un schéma global qu’on va découvrir petit à petit, qui est un schéma que j’utilise de plus en plus pour essayer de comprendre les enjeux autour des communs.
La thématique, en fait que je n’avais pas vraiment choisie, mais que je trouvais vraiment intéressante – c’est Manuel qui avait mis ça comme intitulé, finalement je l’ai gardé : Du logiciel libre aux communs – vise, un petit peu, à réfléchir à ce qu’apporte le logiciel libre dans la culture des communs, puisque les communs ont un historique bien antécédent au logiciel libre. Qui était là, à la présentation ce matin, de Bernard, sur les communs ? Ouais, trois/quatre personnes. Qui connaît la notion de communs, qui est à l’aise avec cette notion-là ? Ou plutôt qui n’est pas du tout à l’aise avec la notion de communs ? D’accord, Et qui est à l’aise avec la notion du logiciel libre ? Et qui ne connaît rien du tout au logiciel libre ? Il y en a qui ne connaissent pas du tout ? Si, si, tout le monde. OK ! Bon, eh bien ça va être plus simple !
La notion de communs, très rapidement, ce serait l’extension du logiciel libre, de l’approche du logiciel libre, à tous les domaines. Sauf que ce n’est peut-être pas bon de dire ça, parce que les communs ont un historique bien plus ancien que le logiciel libre. Et puis le logiciel libre se contente à un commun immatériel, donc qui peut être facilement diffusé, là où la création de communs de type des lieux ou des champs ou des terrains, ou la nature comme l’air ou l’eau, sont des communs qui sont beaucoup plus difficiles à gérer puisque c’est physique, donc ça nécessite des gouvernances un peu différentes.
On résume les communs très rapidement - mais je ne vais pas refaire une présentation de manière générale sur les communs - par une ressource qui va être partagée, avec une communauté qui arrive à la gérer et des règles qui vont être mises en place par cette communauté-là. Dans le logiciel libre, la ressource c’est le logiciel et vous avez une communauté qui apprend à la gérer, à mettre en place des règles, une gouvernance. Mais bon, voilà !
Le domaine des communs s’étend très largement à plein d’autres espaces. Quasiment tous les éléments de la société peuvent être pensés comme des communs. Vous avez les communs historiques, tout là-haut. Si vous avez besoin d’exemples, je peux m’amuser à résumer, mais il y a, à chaque fois, quelques exemples. Je pense que pour les communs historiques, c’est assez intéressant : les fours à pain, les pêcheries, les bois communaux, les prés communaux. Ça existe encore les bois communaux ou les prés communaux, il y a encore des villages qui utilisent le pré communal pour aller trouver du foin ou pour récupérer du bois. Les CUMA [Coopérative d’utilisation de matériel agricole, NdT], il y en a 12 000 en France, ce sont des regroupements d’agriculteurs qui mutualisent les machines agricoles. Les AMAP [Association pour le maintien d’une agriculture paysanne, NdT], il y en a plus de 1 200 ; en 2012 ça s’est accéléré. Les habitats partagés, c’est pareil. Les cinémas associatifs, on en trouve encore énormément, je crois qu’en Bretagne il y en a au moins une vingtaine, une trentaine. Les menuiseries associatives : à Grenoble, par exemple, il y en a une dizaine de menuiseries associatives. Mais chaque ville, en général, compte une menuiserie associative qu’il faut aller dénicher parce qu’elles ne sont pas souvent très visibles, mais ça va être des passionnés de menuiserie qui vont, en général, gérer ça et vous allez avoir plein de matos à disposition pour faire des choses.
Les nombreuses associations sportives, culturelles, même si beaucoup se sont professionnalisées et du coup, eh bien la notion d’une communauté qui gère la ressource ça s’est un peu amenuisé, parce que c’est plus un salarié qui gère ou un conseil d’administration qui va décider et, des fois, rentrer dans l’association ça met du temps. Pouvoir faire des choses, ça met du temps. Mais il y a encore beaucoup d’associations qui fonctionnent vraiment comme des communs au sens où c’est vraiment une communauté qui met en place des règles.
Les chemins, les systèmes d’irrigation, les épiceries participatives. Ça c’est, on va dire, historique, parce que ce sont des communs qui existent depuis des dizaines voire des centaines d’années ou des milliers d’années.
Les ressources naturelles, donc l’air, l’eau, tout ce qui nous environne dans la nature et qui a besoin d’être géré en logique de communs si on ne veut pas un épuisement de ces ressources.
Et puis, plus récemment, énormément on va dire, de nouveaux enjeux autour des communs puisqu’il y a des places de marché qu’on savait très bien gérer en logique commune, comme les places de marché du village qui sont gérées, certes, par la mairie, mais il est assez simple de pouvoir prendre une place dans la place de marché du village. Sauf qu’aujourd’hui, on a des places de marché qui sont en train de complètement se bouleverser avec, en particulier, le numérique qui sert de mise en lien bien plus puissante que celle d’aller sur la place de marché de la ville ou du village puisqu’on est en lien avec le monde entier. Là vous avez des places de marché comme la place de marché de Amazon, Airbnb, toutes ces plateformes-là, mais qui sont aujourd’hui pas du tout pensées comme des communs. C’est plutôt une société qui prend le marché, avec d’ailleurs des choses assez amusantes. On se rend compte que le terme « covoiturage » est en train de disparaître et qu’il y a de plus en plus une grande utilisation du terme « blablacar ». En fait, c’est même une culture qui, petit à petit, se fait accaparer. Peut-être que demain on n’appellera plus des librairies, on appellera des boutiques Amazon, parce qu’il y a Amazon qui est en train, maintenant, de mettre en place des magasins de vente de livres. Donc il y a un enjeu autour d’appendre à gérer ensemble les places de marché.
Le matériel libre est en pleine explosion. Vous avez de plus en plus de gens qui créent des ressources communes matérielles. Ce sont quand même beaucoup plus les plans, la connaissance autour du matériel, donc ça va être des plans, mais ça va être aussi des gens qui aident des agriculteurs, comme l’Atelier Paysan, à produire leur propre matériel, donc à fabriquer leur matériel et qui, derrière, diffusent tous les plans pour que les autres agriculteurs puissent aussi s’inspirer du matériel qui a été construit par un autre. Donc il y a énormément de communs dans le monde du matériel.
Dans le monde de la santé, par exemple, vous avez des projets assez hallucinants d’échographies open source qui vont avoir des coûts 10 à 100 fois moins chers que le système échographique classique et que, en plus, on peut presque les fabriquer soi-même.
Projets spatiaux. Voitures open source. Dans le monde du matériel, il y a de plus en plus de ressources qui sont mises en partage, qui sont gérées par des communautés. Il y a des lieux, le développement des tiers-lieux, des coworking, même si beaucoup ne sont peut-être pas vraiment pensés communs, parce que, peut-être, très entrepreneuriaux ou très institutionnels. Il y en a aussi une intéressante partie des espaces qui sont en train de se créer, je parle des fab labs, des coworking, des makerspaces, enfin tous ces espaces un peu hybrides qui sont en train de se développer un peu partout. Les ateliers d’artisans, d’artistes. Même des brasseries collectives qui sont en train de se monter. Tous ces espaces-là, il y en a une bonne partie qui est pensée comme des communs, c’est-à-dire que ça va être des logiques associatives mais très inclusives, où il est très simple de prendre parti et de contribuer au fonctionnement de l’espace.
Moi je suis à Lille, à La Coroutine, qui est un tout petit espace de travail partagé. On essaie vraiment de le gérer dans une culture collaborative. Par exemple, on a neutralisé le CA. Il n’y a pas un CA, mais c’est une démocratie directe : tous les membres actifs ont le pouvoir.
L’enjeu des monnaies aussi. Il commence à y avoir des communs autour de la création monétaire puisque, aujourd’hui, la création monétaire n’est pas du tout un commun ; c’est un modèle qui date de, je ne sais pas combien de centaines ou de milliers d’années, de création monétaire par la dette. Il y a plein d’autres mécanismes. Il y a des protocoles de monnaie.
Et puis les protocoles de l’Internet sont vraiment des ressources qui ont été mises en partage, donc là qui sont plus proches de la culture du logiciel libre.
Et les communautés apprenantes. Vous avez énormément de communautés apprenantes. Je pense au monde des enseignants, le monde des bibliothécaires, par exemple, qui sont des communautés qui ont une forte capacité à partager. Et puis tous les réseaux, les collectifs qu’on retrouve sur le Web ou maintenant dans les groupes Facebook, qui ensemble apprennent et développent des connaissances. Ce sont finalement des communs, ce sont des communautés. Leur commun, on va dire, c’est leur capacité à apprendre ensemble et c’est tout ce qu’ils diffusent comme connaissances.
Ça c’est juste une petite présentation très large sur ce que sont les communs avant de repartir sur cet enjeu qui nous intéresse, cet après-midi, qui est : qu’est-ce que la culture libre ? Qu’est-ce que le logiciel libre apporte dans tous ces communs ? Et pourquoi c’est intéressant de se creuser un peu la question sur ça ?
Donc je vais passer à une slide un peu plus compliquée qui est essayer de réfléchir à qu’est-ce que la culture du libre et surtout ce que nous amène le logiciel libre. En quoi ça peut être intéressant dans le monde des communs ?
C’est un peu un contre-pied à un article que j’avais lu il y a peu de temps par des anti-technologistes qui ont peut-être raison, un peu, de critiquer l’arrivée de la techno et tout ça, mais qui en venaient à jeter le bébé avec l’eau du bain. Qui en venaient à dire que le logiciel libre et toute la culture qui est associée au logiciel libre n’était pas intéressante pour le mouvement des communs, parce que je pense qu’il y a la peur du trop numérique. Sauf que, certes, le trop numérique est un danger, est un risque écologique dans notre société, et l’enjeu ce n’est pas tant de mettre du numérique partout. L’extension du logiciel libre à tous les domaines, ça ne veut pas dire qu’on va mettre du numérique partout. Mais ça veut peut-être dire qu’il y a une culture dans le Libre qui a réussi à faire que le logiciel libre s’est développé, qui peut intéresser le monde des communs et aussi le monde, plus historique, du développement des communs.
Je vais essayer de rendre ça un peu sympa, parce que c’est vrai que ça peut paraître un peu effrayant comme ça.
En fait, depuis un petit moment, on s’amuse à analyser les communs qui se développent vis-à-vis de cinq/six éléments qui sont comment le commun, comment la ressource est travaillée vis-à-vis de ses dispositifs de financement, de sa gouvernance, des aspects juridiques. Enfin voilà, quelques éléments. On va essayer de les balayer assez rapidement et, pour chaque élément, réfléchir à, en fait, qu’est-ce que nous apporte – en tout cas, moi c’est un peu une expérience personnelle mais je vous laisserai aussi exprimer des éléments que le logiciel libre amène et qui peuvent être intéressants – dans l’univers des communs, et je vais commencer juste par la contribution qui est, peut-être, le plus gros pavé.
Finalement, dans le monde du logiciel libre, il y a une vraie capacité à faire que les gens contribuent ensemble sur du code. Donc des gens du monde entier qui réussissent, à un moment donné, à mutualiser sur du logiciel. Et, finalement, qu’est-ce qui fait que tout ça fonctionne ? Pourquoi il y a une telle capacité à organiser la contribution ? Alors que dans plein d’autres espaces, je pense typiquement les bibliothèques, non peut-être pas les bibliothèques mais les librairies, n’ont pas su créer de ressources communes ou de places de marché concurrentes à Amazon. Je pense qu’il y a pas mal d’éléments intéressants. J’en ai listé une petite dizaine que moi j’ai découverte, assez étonnamment, en participant à la création de notre espace de travail à Lille, parce que j’étais à côté de libristes. Au tout départ, le lieu qui a été créé, c’était des gens qui venaient du logiciel libre, qui ont lancé l’espace, et ils nous amenaient des éléments culturels qui m’ont surpris au début. En fait, petit à petit, j’ai compris l’enjeu de ces éléments culturels que moi je n’avais pas du tout, qu’on ne m’avait jamais appris à l’école, mais que eux avaient développés parce que depuis l’âge de quinze ans ils participaient à des communautés du logiciel libre.
Donc on va retrouver des éléments qui sont assez intéressants. Par exemple la contribution libre à tous, dans la plupart des logiciels libres : tout le monde a le droit de contribuer et tout le monde a le droit de contribuer là où il le souhaite. Vous remarquerez que c’est assez peu fréquent. Il n’y a pas tant de structures qui permettent ça. Il y a une sorte de mantra aussi. Là, pour le coup, c’était Guillaume qui vient un peu de cet univers du Libre, qui avait mis des affiches dans la salle de réunion plannig is wasting et meeting is toxic. Ça peut être un peu étonnant. Quand moi j’avais suivi trois formations dans mon école sur le management et l’accompagnement de projet, on avait fait du Gant à chaque fois, dans chacune de mes formations et puis tout se crée à partir de réunions. Il faut toujours faire des réunions pour faire des choses et là, lui, il affichait ça dans la salle de réunions ; ça peut-être un peu choquant.
En fait, c’est cette idée que, en fait, quand on planifie, on n’a pas les éléments, alors que quand on est dans l’action, eh bien il y a plein d’éléments qui arrivent et, du coup, bien souvent, la planification ne fonctionne pas. Surtout dans des contextes où les choses sont complexes et agiles et, en fait, des fois c’est juste se compliquer la vie que d’essayer de planifier les choses, alors que dans l’action on peut avoir beaucoup d’éléments qui nous permettent de prendre des décisions. Et vous allez voir ça dans le logiciel libre : il n’y a pas vraiment de planification hyper forte. Il y en a, mais on ne va pas avoir d’énormes planifications, ça va se faire sur deux à trois semaines et, limite, pas plus. Ou, des fois, il va quand même y avoir des visions, mais on n’est pas dans les planifications fortes et on laisse, du coup, de la place à plein de choses qui peuvent arriver. Meeting is toxic, c’est cette idée que, eh bien, finalement, est-ce qu’il faut se réunir à trente pour prendre des décisions ou est-ce qu’on peut laisser des gens agir et, limite, prendre les décisions a posteriori. Ça c’est quelque chose de très fort où, dans la culture libre, on laisse les gens agir d’abord et ensuite on va plutôt décider a posteriori, vis-à-vis de plein d’éléments qui nous arrivent. Ou alors on va tester, expérimenter, et après on peut en discuter. Mais il y a cet aspect autour de l’action qui est assez intéressant quand même.
Du coup, on a un peu appliqué ça dans notre espace où on a annulé, par exemple, nos assemblées générales. On a enlevé ça de nos statuts associatifs, parce qu’en fait, les assemblées générales c’est un espace où on se retrouvait tous pour prendre des décisions mais qui étaient forcées, qui n’étaient pas adaptées vraiment à notre fonctionnement. On a enlevé ça et aujourd’hui on n’a des réunions que quand il y a des conflits ou des désaccords sur des sujets. À ce moment-là, on fait une réunion avec les intéressés seulement, mais on évite juste de se réunir pour discuter sans vraiment avoir de motif.
Voilà, je vais essayer d’aller un petit plus vite sur tous ces éléments parce que sur chaque point on pourrait donner plein d’exemples.
Le fun - ça c’est un truc assez marrant - c’était d’essayer de transformer, finalement, les contraintes en opportunités. Par exemple le ménage dans notre espace de travail. Plutôt que d’embaucher quelqu’un qui ferait le ménage de six à huit heures avant que les travailleurs viennent, il y a eu cette idée de faire un apéro toutes les deux semaines et, du coup, le ménage est devenu un moment sympa : faire un apéro ménage. Du coup le ménage est devenu un moment sympa parce qu’il y a un apéro derrière. Pareil pour le bois quand il arrive. On reçoit deux stères de bois et si on avait quelqu’un qui était salarié, eh bien il devrait se taper tout le rangement du bois. Alors que là, c’est pareil, on fait une chaîne humaine. Et en fait, petit à petit c’est comment on transforme les contraintes en opportunités. C’est-à-dire les choses compliquées comment on les rend fun, comment on les rend amusantes et d’un coup ça devient agréable de gérer ça collectivement.
Je ne sais pas si c’est vraiment de la culture du libre que ça vient, ça, mais en tout cas, c’est Guillaume qui est très libriste, qui avait vraiment ça dans les veines et qui a insufflé ce mode de faire. Ce qui fait que, dans notre espace, il n’y a presque plus de contraintes parce que la plupart des choses un peu casse-pieds on les a automatisées et les choses qu’on peut rendre fun, on les a rendues fun. Donc il n’y a plus trop de problèmes à gérer l’espace.
L’idée de commencer petit, d’y aller pas à pas. L’idée de se doter d’outils. C’est vrai que dans la plupart des logiciels vous avez tout de suite des listes de discussion, pas spécialement pour parler du code, mais aussi pour s’organiser, pour l’administration, pour le juridique. Et en fait, ça ce sont des choses qu’on ne retrouve pas facilement alors même que ce sont des outils qui ont vingt ans d’âge et que toutes les assos utilisent le mail. Pour autant, même si elles utilisent le mail, elles ne vont pas utiliser des listes qui permettent d’avoir des archives, d’avoir une communication transparente vis-à-vis de tout le monde. Et là, typiquement à La Coroutine, depuis six ans, on a une liste de discussion avec six ans d’archives. et moi, c’est d’ailleurs comme ça que j’ai trouvé l’espace, parce que j’ai pu m’inscrire, suivre ce qui se passait et puis, du coup, rejoindre l’espace.
Pareil, vous avez des IRC, ce sont des systèmes de chat, pour discuter en synchrone, donc pouvoir communiquer en direct. Sans ça, c’est vrai que c’est difficile d’avancer. La plupart des logiciels libres ont l’IRC depuis quinze ans, vingt ans, et nous, on commence à le faire avec des outils qui démocratisent ça, comme Slack et Rocket Chat. Mais c’est toute une culture, je pense, qui vient vraiment du logiciel libre.
L’approche des wikis : comment on peut documenter ce qu’on fait en temps réel et, en fait, c’est hyper utile. Là pareil, du coup, depuis six ans, on a un wiki dans notre espace de travail et ça nous aide énormément : les nouveaux venus voient ce qui se passe. Ceux qui veulent, à l’extérieur, copier le modèle le peuvent : ils vont sur le wiki, il y a toute l’information.
C’est clairement un élément culturel qui est hyper intéressant pour le mouvement des communs élargi, comme je le montrais tout à l’heure. Les kanbans c’est le système de gestion de tâches, mais qui vont être beaucoup plus agiles et on n’a pas besoin d’attendre de planifier comme avec des Gantt à six mois. C’est super intéressant. Enfin bon !
Je vais aller un peu plus vite.
Finalement dans le monde du Libre il y a une vraie capacité à auto gérer les événements. Je pense au FOSDEM [Free and Open Source Software Developers’ European Meeting, NdT] qui est une énorme rencontre – c’est une rencontre physique – on est vraiment en dehors du logiciel et pourtant, ça reste des événements très autogérés, avec très peu de hiérarchie.
Je passe un peu, mais il y a plein d’autres éléments dans cette culture. Ça, c’est vraiment sur l’élément de contribution. Si on continue dans la capacité, dans le logiciel libre il y a une vraie capacité à partager, c’est-à-dire à faire que les gens puissent copier, répliquer les ressources, voire à faire qu’on essaie d’identifier les concurrents qui sont en train de développer la même chose pour s’associer avec eux ou bien distinguer nos différences. À chaque fois que je vois des communs j’essaie de me poser la question, justement : quels sont les communs qui sont proches ou similaires ? Est-ce qu’on les a contactés ? Et comment on produit une ressource pour qu’elle soit facilement réplicable ou diffusable ? Et, dans beaucoup des projets logiciels, j’ai vu des pratiques hyper intéressantes. Je prends un exemple ici de Snow Drift qui s’est amusé à faire un benchmark public. Ce n’est pas souvent qu’on voit des benchmarks publics, de toutes les plateformes de crowdfunding qui étaient dans la logique open source.
Justement, du coup, j’avais vu ça sur ton site. Toi-même…
Public : Inaudible.
Simon Sarazin : Et du coup, vous vous la récupérez. Le commun on pourrait dire que c’est le benchmark, là. Mais cette capacité à se dire on va la mettre publique et comme ça les autres pourront l’utiliser. Donc vous-même sur votre site de crowdfunding vous mentionnez ce benchmarking-là. C’est juste génial. C’est vraiment impressionnant que tout ça vienne de cette culture du Libre. Moi je suis en train de faire une ode au logiciel libre.
Qu’est-que j’avais vu aussi qui était hyper intéressant ? Typiquement, dans votre projet quand vous avez forké le projet Gratipay [3], donc vous avez bien copié toute la ressource Gratipay et vous avez lancé votre plateforme, ce n’est pas pour autant que vous avez arrêté de communiquer avec celui que vous avez forké. Au contraire, vous continuez à collaborer et moi, ça m’a vraiment impressionné quand j’ai vu que les deux projets continuaient à échanger alors qu’ils sont potentiellement concurrents ou, en tout cas, il y des fortes similitudes dans les deux approches.
Voilà. Le fait, aussi, d’être dans une logique ouverte, ça fait que ce n’est pas grave s’il y a un concurrent puisque, de toutes manières, ce qu’il produit ça peut m’intéresser, moi, pour dépasser mes propres problèmes.
Il y a une vraie capacité aussi dans le logiciel, dans cette culture-là, de démarrer tout de suite en communicant au niveau mondial : beaucoup des projets sont tout de suite en anglais. Alors que c’est vrai, nous-mêmes, moi dans beaucoup de projets, à chaque fois on va démarrer français avec un fort marquage et, du coup, c’est très difficile, après, de les internationaliser. Il y a aussi, maintenant, ce fait d’autoriser par défaut le fork, la copie du projet, donc ce sont des éléments hyper intéressants.
Je pourrais en lister encore plein des choses comme ça. Dans les modèles de financement vous avez aussi énormément d’innovations super inspirantes. Le modèle du don je pense que ça c’est hyper développé dans le monde du Libre avec plein d’innovations comme Flattr [4] qui permet de faire des micro-dons, même si, bien sûr, le modèle du don est historiquement utilisé dans plein d’autres domaines. Mais on l’a vu être testé dans plein de dispositifs assez divers et variés, par le monde du Libre, pour réussir à avoir des dons.
Et puis il y a cette découverte, il y peu de temps, par, justement, les gens de Gratipay et Liberapay [5], de réussir à mettre en place des mécanismes de rémunération libre qui est une sorte d’innovation, aussi, qui provient du monde de cette culture de libriste.
Je vous laisserai poser des questions si après vous voulez rentrer dans le détail de certains éléments.
L’inclusion même des investisseurs, cette capacité à dire : « OK, vous voulez être investisseur, mais en même temps il faudra rentrer dans nos modèles. » Il y a beaucoup de projets libres qui arrivent à rester dans leur direction et à ne pas se faire détourner par les financeurs. Ce n’est pas pour tout le monde, mais il y a une forte résistance, il y a une forte capacité à comprendre l’enjeu de rester neutre.
Sur les aspects de gouvernance, vous allez aussi avoir beaucoup d’éléments à découvrir. Je pense au processus des décisions super avancé de Wikipédia où vous avez une vraie capacité à prendre des décisions sur beaucoup d’éléments.
Là je prends juste un exemple : typiquement c’est le Parti pirate qui est vraiment en train de tester, en ce moment, la démocratie liquide qui est un dispositif pour prendre des décisions en donnant sa voix à quelqu’un d’expert ou à quelqu’un de confiance autour de soi et, du coup, on arrive à créer une sorte de démocratie liquide. Mais, en termes de gouvernance, vous avez Debian, ils ont tout un système de gouvernance hyper intéressant où leur structure organisationnelle, par exemple, est très transparente, on peut contacter chaque personne alors même qu’on n’est pas dans le projet. Il y a des listes de discussion pour chaque cercle qui travaille sur le projet. Vous avez des codes de conduite. Ce que j’avais vu aussi chez Gratipay, c’était un système même de résolution des conflits où on pouvait envoyer un mail et les gens, du coup, pouvaient vous aider à résoudre les conflits.
Et puis, je voulais montrer les prises de décision chez Wikipédia qui sont assez impressionnantes : ils ne vont pas faire une AG, ils ne vont pas attendre six mois ou un an de faire une AG pour prendre des décisions importantes. Dès qu’il y a un élément important, eh bien il y a un espace de discussion qui se créée et chacun donne son avis. À la fin il y a un vote, sachant qu’ils utilisent plusieurs dispositifs de vote. Ils ont exploré plein d’outillages pour prendre des décisions, qu’on voit très rarement. Du coup, c’est assez impressionnant quand on commence à creuser ça, de se dire « mais, en fait, il y a des dizaines de manières de voter ». Ils utilisent le vote Condorcet, ils utilisent plein de choses différentes. Ils ont un peu tout testé et, des fois, ce sont des décisions qui se prennent avec des centaines de personnes et des avis dans tous les sens et, à la fin, ils arrivent quand même à se mettre d’accord ou, en tout cas, à faire sortir un avis. Ça c’est juste la page, ce n’est pas Wikipédia, c’est Wikiversité [6] qui est un des projets annexes de Wikipédia où vous avez une décision pour savoir si on installe un outil de discussion, une mise à jour de l’outil de discussion de wiki.
[Où est-ce qu’elle la fin de cette petite présentation ?]
Donc, sur la gouvernance, il y a plein d’éléments intéressants. Aussi cette capacité à penser les choses de manière très séparée, ce qu’ils appellent la separation of concerns, c’est de dire vraiment une approche modulaire : de dire cet élément-là je le travaille d’un côté, cet élément-là je le travaille d’un autre côté, mais pas de tout mettre dans le même sac, ce qui fait qu’il n’y a plein de petits modules qui sont, limite, autonomes et indépendants et qui peuvent après être réutilisés par d’autres et ça c’est assez fort.
Au niveau juridique il y a énormément d’innovations. Il y a toutes les innovations autour des licences libres, avec les licences Creative Commons, la GPL [GNU General Public License, NdT] et tout ça. Je ne vais pas rentrer dans le détail parce que chaque élément il faudrait presque une demi-heure pour l’expliquer. L’utilisation de structures comme la SPI-Inc, Software in the Public Interest, où, en fait, ils se sont dit plutôt que chaque projet open source crée sa propre structure juridique, nous, ce qu’on va faire, c’est qu’on va en créer une commune – alors je vais essayer de retrouver juste le site [7] pour vous montrer – on va en créer une commune qui va porter tous les projets. Ça c’est une association en tout cas, qui détient les marques, les noms de domaines de tous ces projets-là et qui est, en fait, une sorte de structure de portage associative. Vous avez des projets comme LibreOffice, comme Debian, c’est assez impressionnant, qui sont portés par cette structure associative et ça évite, à chaque fois, de recréer une asso, une structure juridique par projet, ce que nous, on a tendance à faire quand on porte des projets dans les communs : c’est à chaque fois recréer une nouvelle asso, en plus se prendre tous les pièges des statuts associatifs classiques. On a à peine démarré qu’on est en train d’élire un président ! C’est assez intéressant.
Ça c’est l’affiche [8] qu’avait mise Guillaume Meeting are toxics. Ce n’est pas à prendre à la lettre. C’est aussi bien, des fois, de se réunir et travailler ensemble.
Et je termine par un élément majeur dans le monde des communs, c’est leur capacité, finalement, à travailler avec l’acteur public et privé, c’est-à-dire avec ceux qui vont développer du marchand autour des communs et puis l’institution publique qui a, quand même, un rôle à jouer dans tout ça, qui a son mot à dire, qui est elle-même utilisatrice des communs. En fait, on se rend qu’il y a des mécanismes qui sont mis en place pour réussir à faire en sorte que les acteurs publics ou les acteurs marchands, eh bien nourrissent, quand même, les communs. Je prends un exemple classique : ce sont des développeurs de logiciel libre, quand ils ont conçu un logiciel, à un moment donné il y a des sociétés qui se créent pour faire du service ou de la formation autour de ce logiciel. Typiquement, la Gendarmerie nationale a utilisé Linux dans son système et, du coup, ce sont des entreprises françaises qui ont dû installer Linux et qui sont, sans doute, celles qui devaient être assez compétentes pour travailler sur le noyau. Donc, à priori, il y a tout un modèle économique, aussi, qui se crée autour des communs qui fait que ceux qui contribuent se retrouvent souvent à pouvoir développer aussi des services, de la formation autour, qui permet, à la fois, de financer ces gens-là, mais aussi d’amener des contributions en nature. Parce que, typiquement, la Gendarmerie nationale, j’imagine qu’en mettant en place Linux, ils ont dû améliorer le système Linux pour des questions de sécurité et tout ça. Ça ce sont les contributions en nature, mais c’est permis parce que aussi, dans le monde du Libre, ils ont accepté le fait qu’il y ait un usage commercial des ressources logicielles. Donc ça pose plein de problèmes puisqu’il y a aussi énormément d’abus et, du coup, on en parlera tout à l’heure avec Lionel parce que c’est vraiment une question qui va être approfondie : comment on peut faire en sorte qu’il y ait des réciprocités de la part des institutions et des acteurs marchands autour de ces communs-là ? Mais il y a des expériences vraiment intéressantes dans le monde du Libre. Je pense à MusicBrainz [9], tu en parleras peut-être tout à l’heure, je ne sais pas.
MusicBrainz, c’est une sorte d’énorme base de données autour de la musique. Ce n’est pas les musiques en tant que telles, c’est toute la connaissance autour de la musique, les métadonnées, et vous avez une fondation, du coup, qui gère ces données-là qui sont utilisées par plein de gens, autant des assos que des grosses entreprises et ce qu’ils font, ce qu’ils affichent, ils affichent, en fait, les supporters, c’est-à-dire les entreprises ou les assos qui soutiennent cette fondation et ils expliquent bien, sur leur site : « Si vous trouvez des gens qui utilisent notre ressource, notre donnée eh bien dites-le nous et on les contactera pour qu’ils essaient de nous soutenir ou nous faire un don. On sait aussi qu’il y en a qui ne nous feront jamais de don, mais ce n’est pas grave ! » Il y a un peu cette démarche d’essayer d’afficher, de rendre visible la possibilité de reverser, de contribuer aux communs quand on est un acteur marchand ou un acteur public qui utilise les communs.
Il y a d’autres exemples. J’entendais hier que Blender [10], qui est un logiciel libre de graphisme, il y a de plus en plus, en fait, des entreprises qui mettent carrément à disposition des développeurs non pas dans leur entreprise, mais au sein de la fondation. C’est-à-dire que c’est une entreprise qui paye quelqu’un pour qu’il aille bosser à la fondation sur le cœur du développement du logiciel libre. Je trouve que ce sont des démarches qui commencent à être intéressantes puisque, du coup, on a vraiment des équipes cœur qui peuvent être dédiées au logiciel, mais qui ne sont pas juste dans les mains de la société mais qui sont même pilotées par la fondation. Ça ce sont des mécanismes intéressants.
D’ailleurs un autre élément majeur et je pense que c’est peut-être sur ça qu’il faut vraiment réfléchir, c’est la capacité du monde du logiciel libre à avoir réussi à prendre la place dans beaucoup de domaines et dans de plus en plus de domaines. Avoir réussi à prendre la place des gros : par exemple Linux est en train, petit à petit, de grappiller sur Microsoft. En termes d’efficacité, on le sait tous, c’est devenu bien plus puissant. En tout cas, dans le monde des serveurs, c’est Linux qui a remporté la place. Mais typiquement Blender, dont je parlais à l’instant, qui est un logiciel libre de vidéo, pour créer de la 3D et de la vidéo, Blender est utilisé maintenant - c’est un logiciel libre - est utilisé par les plus gros : par Pixar, par Disney. Les équipes, maintenant, travaillent avec Blender, alors qu’il y avait des logiciels propriétaires qui coûtaient une fortune, c’est Blender qui a pris la place. Et on commence à le voir dans de plus en plus de domaines où, finalement, le logiciel libre est en train de prendre les positions, la place dans de plus en plus d’espaces.
On espère que c’est ce qui va se passer dans tous les communs que je vous ai montrés tout à l’heure, par exemple dans les places de marché. Aujourd’hui, il y a vraiment très peu de places de marché, de nouvelles places de marché, qui sont pensées comme des communs. La plupart sont en train de devenir la propriété de grosses sociétés ; je prends l’exemple d’Amazon. On espère qu’on va réussir à créer, exactement comme le logiciel libre a su le faire, à créer tout ce mouvement qui permet de construire des communs dans d’autres domaines. Là je reprends, du coup, la citation d’André Gortz qui était dans l’intitulé de cette petite présentation, qui est de dire « est-ce que le logiciel libre ce n’est pas, justement, le mouvement qui nous trace une voie pour trouver une sortie de course, une sortie au modèle capitaliste ? » C’est peut-être un peu pour conclure.
Le schéma ne s’arrête pas là puisqu’il y a deux gros blocs : institutions publiques et acteurs marchands. Je ne vais pas trop détailler, mais l’idée globale c’est de dire les communs peuvent difficilement marcher, fonctionner, en dehors de l’institution publique et du monde marchand. Parce que l’institution publique elle vient légiférer, elle vient quand même donner des accès, et le monde marchand vient développer aussi une économie autour, qui n’aurait sans doute pas permis à certains logiciels de se développer. Le tout c’est juste de réussir à coordonner l’institution publique et le monde marchand avec les communs là où, aujourd’hui, en gros, le travail se fait juste entre les deux. Et nous, ce qu’on voudrait, c’est mettre au milieu le mouvement des communs pour qu’il puisse, par exemple, inciter l’État à n’utiliser que du Libre, plutôt que de financer du propriétaire, ou soutenir des places de marché qui seraient communes. En tout cas, qu’il y ait vraiment une capacité à repositionner le monde des communs comme troisième acteur et acteur majeur vis-à-vis du monde marchand et des institutions publiques et de reléguer l’institution publique et le monde marchand à sa place qui serait bien réduite à celle qu’elle prend aujourd’hui.
Il y a tout un travail à faire. Il y a une réflexion pour construire des institutions qui viendraient aider à, justement, repositionner les communs, déjà à renforcer les communeurs, tous les gens qui contribuent aux communs. Donc qu’il y ait une alliance entre les développeurs du Libre, mais aussi les contributeurs aux anciens communs qui sont les bois communaux, mais aussi les nouveaux communeurs qui travaillent dans des lieux ou qui montent des espaces de travail ou qui contribuent à Wikipédia. Qu’il y ait une vraie alliance. C’est pour ça qu’il y a une volonté de créer des sortes d’assemblées des communs – on les a appelées comme ça, mais peut-être que ça s’appellera autrement demain – c’est l’idée d’avoir des espaces où tous ceux qui contribuent à ces ressources partagées puissent se relier. Que la culture libre aussi influence, même s’il ne faut pas non plus qu’on prenne la culture libre à la lettre, je pense qu’il y a aussi énormément à apprendre de la culture historique de la gestion des communs. Il y a un enjeu à construire ces assemblées des communs, à construire plein de petites structures de soutien. [Si on zoome.] Il y a ces idées de créer des structures juridiques exactement comme celles dans le logiciel libre, mais adaptées aux communs. Parce que ce que vous avez vu tout à l’heure, la SPI-Inc qui détient, pas qui détient, mais qui soutient des projets libres, on pourrait imaginer la même chose dans le monde des communs. Nous, on est en train de créer à Lille la Legal Service For Commons – L1, pour dire que c’est à Lille, mais c’est l’idée de créer des assos qui viennent soutenir juridiquement les communs pour éviter qu’ils ne se prennent tous les pièges de création d’assos et tout ça.
La Contributive Service For Commons, ce n’est pas encore construit, mais c’est l’idée d’avoir une structure qui puisse aider à rémunérer les contributeurs aux communs, donc avoir un statut juridique quand on contribue à des communs pour se rémunérer.
Je passe parce que c’est encore très exploratoire, mais ça ne suffira pas. Il nous faudra une structure aussi qui fasse vraiment le pont entre le monde des communs et l’institution publique et marchande. C’est-à-dire qu’il faut une structure de gouvernance, en fait, qui viendrait aider, un peu, à dire stop quand le monde marchand prend trop de place ou quand l’institution publique ne respecte pas les communs.
Typiquement l’exemple : en ce moment l’État est de plus en plus intéressé par OpenStreetMap qui est une cartographie participative libre, qui est de plus en plus puissante, un peu comme ce que j’expliquais tout à l’heure, qui est en train de prendre beaucoup de place et qui, d’ailleurs, remplace du coup des institutions qui faisaient ce travail-là avant. Et donc l’État est en train d’utiliser ça, mais pour autant il n’est pas en train de financer directement ce commun-là, il n’est pas en train de trouver des mécanismes pour le financer. Alors il va y contribuer parce qu’il va améliorer les données, mais en même temps, pour l’instant, il n’y a pas une pensée de l’institution pour reverser des financements. C’est là où on se dit qu’il y aurait peut-être besoin d’une sorte d’institution intermédiaire qui peut aider à organiser des réciprocités, par exemple inciter l’État, je ne sais pas par quel mécanisme, mais à reverser à un moment donné un financement ou en tout cas faire un lobby pour qu’il y ait des règles plus saines de réciprocité.
Là on est en train de réfléchir à différents outils. Mais tu en parleras beaucoup mieux, Lionel, tout à l’heure, avec toutes les licences à réciprocité. J’ai mis le terme Contributive Commons, mais derrière il y a plein d’outils de réciprocité qui sont à créer.
Et puis la General Politic license, c’était un délire pour copier la General Public License qui est une licence utilisée dans le logiciel libre, pour créer une licence qui empêche les politiques de s’octroyer le bénéfice des communs, mais tout en leur permettant quand même de le faire, puisqu’il y a un truc assez emmerdant dans le monde des communs. C’est qu’à la fois il y a des politiques qui s’octroient la création de certains communs.Par exemple à Lille Martine Aubry, pour ne pas la citer, avait mis dans son bilan qu’elle avait soutenu notre espace de travail. Sauf, qu’en fait, elle a soutenu un autre lieu, mais elle ne nous a jamais soutenus, nous. Mais voilà ! Du coup, elle a englobé dans son bilan notre production à nous. À la limite, nous on n’en a pas trop tenu rigueur, mais on pourrait peut-être, avec une sorte de licence comme ça, revenir vers elle ou, en tout cas, s’autoriser à faire de la com’ pour dire « non, ce n’est pas vrai. » Il y aurait peut-être besoin d’un outil.
L’autre mécanisme qui nous embête aujourd’hui c’est qu’un politique à qui on voudrait donner le droit d’utiliser le fait qu’il y ait des communs, on ne peut pas, enfin on ne le fait pas. C’est peut-être pour ça qu’à chaque fois ils recréent leur propre projet pour avoir un temps pour l’inaugurer, pour pouvoir se vanter d’avoir inauguré un nouveau projet. Peut-être qu’un mécanisme intéressant ce serait de faire en sorte qu’on autorise un politique à venir inaugurer un commun qui existe depuis dix ans, mais au moins ça éviterait qu’il en crée un nouveau à côté, qui nous concurrence, puisque c’est ce qu’ils ont tendance à faire. Enfin, c’est typiquement l’État français qui veut relancer un système d’exploitation français alors qu’il existe déjà Linux. On pourrait peut-être lui dire : « Écoute, Hollande on t’autorise à inaugurer la création de Linux fr, Linux français, en échange tu donnes beaucoup de sous au modèle », ou je ne sais pas. En tout cas, il y a un truc à imaginer, même si c’est hyper périlleux, pour éviter qu’à chaque fois ils dépensent notre argent à recréer des ressources qui sont concurrentes aux nôtres, qui sont fermées. Je n’en dis pas plus.
Ça c’était une ouverture sur le futur politique de ce mouvement-là, il y a plein de choses à faire. Voilà, si vous avez des questions ou des points d’approfondissement sur certains sujets, n’hésitez pas.
Applaudissements
Je peux passer le micro, peut-être. Oui, je les répète au micro.
Public : Vous avez parlé de sortir du monde capitaliste avec le logiciel libre, avec l’implémentation du logiciel libre partout. Mais si on n’était plus dans un modèle capitaliste, quelle serait la motivation des développeurs pour améliorer leurs plateformes libres ?
Simon Sarazin : Du coup, est-ce que quelqu’un veut répondre ? Tu veux peut-être répondre. Toi tu as une solution, quand même, intéressante ?
Public : C’est une discussion, le capitalisme. Je pense que c’est trop vaste comme question.
Simon Sarazin : Je pense que, après, la question est sur, finalement, comment les contributeurs se rémunèrent dans ce monde-là. Il y a plusieurs pistes. Il y a cette histoire de revenu de base. Il y a le travail sur la création monétaire aussi, pour avoir un système de monnaie qui serait plus juste et, du coup, où l’argent serait moins difficile à donner. Aujourd’hui y a très peu de dons qui sont faits au logiciel libre. Une fois qu’il y aurait plus de dons, même avant ça, il y a une autre problématique qui n’est pas mentionnée, mais qui est en train d’essayer d’être résolue, c’est de dire, en fait il est plus facile de recevoir des dons quand on est dans le logiciel libre que de savoir comment les redistribuer. Aujourd’hui, la plupart des modèles de contribution, même s’ils reçoivent de l’argent, je pense à OpenStreetmap ou Wikipédia, pour autant ils ne le redistribuent pas aux contributeurs. Donc c’est sûr que ça crée une certaine limite : il n’y a que des contributeurs qui peuvent trouver du temps ou qui bossent dans des boîtes, du coup plutôt capitalistes, qui peuvent travailler sur le commun. Ça pose en effet un problème et donc il y a justement ce que tu vas présenter demain, je crois. Il y a une présentation et ensuite il y a un débat sur les modèles de rémunération dans les communs pour dire, à un moment donné, comment on peut rémunérer les contributeurs là où, aujourd’hui, le modèle qui va être choisi c’est soit on ne demande pas de dons, du coup on n’a pas d’argent, soit on demande des dons, mais après on va salarier des gens et on se retrouve dans un mécanisme assez classique. Ça, c’est le cas de Wikipédia et Wikimedia où, en fait, les dons vont à une asso où il y a des salariés et l’asso grossit de plus en plus, mais il n’y a toujours pas de contributeurs qui sont rémunérés. En même temps, c’est hyper périlleux de commencer à rémunérer les contributeurs Wikipédia parce que ça peut créer plein de problèmes.
Un des modèles explorés c’est le modèle de la rémunération libre, comme le prix libre, mais c’est de laisser les gens décider eux-mêmes leur rémunération. Ça évite d’instaurer tout un mécanisme de calcul, mais ça on en parle demain parce qu’il y a plein de débats autour de ça.
Public : Je voudrais poser une question, tu l’as mis dans contribution, mais pour moi ça touche la gouvernance, c’est le fait que vous ayez supprimé le conseil d’administration. Du coup, comment vous faites ? Parce que nous, réglementairement, il y a un règlement d’administration même si on est sous forme collective. Mais c’est vrai que ça complique les décisions ça, je suis d’accord.
Simon Sarazin : Pour être en démocratie directe dans l’association, on a juste mis dans les statuts qu’il y avait un conseil d’administration, mais on lui a enlevé tous les pouvoirs. En fait c’est un collège, mais il n’a plus de pouvoirs, tous les pouvoirs sont en démocratie directe de par les membres de l’association. Après, c’est passé au niveau de la préfecture, il n’y a pas l’air d’avoir de souci. Et après, on a enlevé l’assemblée générale, on a dit que c’était une assemblée générale permanente et dont les prises de décision sont validées sur Loomio [11] qui est un outil de prise de décision en ligne. Donc il n’y a plus d’assemblée générale annuelle, mais une assemblée générale permanente et dans les statuts on a mis le lien vers le Loomio et c’est là où les décisions prennent, normalement, leur valeur juridique. Mais il faudrait vraiment qu’on vérifie ça, juridiquement.
Public : Tout le monde peut poser des questions sur Loomio et lancer… ?
Simon Sarazin : Oui, c’est ça. Tout le monde. Après, on a quand même un mécanisme qui fait que ce sont les membres actifs. Ce ne sont pas les membres élus qui ont le pouvoir, ce sont les membres actifs. On a déterminé quelques règles. Chez nous c’est assez facile, ce sont ceux qui sont sur la liste de discussion du code, du lieu, donc ce sont ceux qui reçoivent la mise à jour du nouveau code quand on le change, qui sont les membres actifs du lieu. En fait, ce sont les gens de confiance qui sont membres actifs et ce sont eux qui – toutes les décisions se font au consentement – mais si on a un problème de prise de décision et qu’on doit passer au vote à majorité – alors c’est majorité des deux tiers chez nous – à ce moment-là, seuls les membres actifs peuvent voter. Mais en deux ou trois ans, on n’a jamais eu besoin de passer au vote, donc en fait, on n’a jamais eu besoin de savoir qui était membre actif ou pas.
Public : Un complément de réponse par rapport aux associations. Une association ça peut être organisé à peu près n’importe comment, du moment que vous ne voulez pas qu’elle soit reconnue d’utilité publique. C’est à partir de là où L’État met des exigences pour qu’il y ait un conseil d’administration, ou un machin et des commissaires aux comptes, etc. Mais sinon, une association, par exemple Liberapay, c’est une association collégiale, il n’y a pas de conseil d’administration, rien du tout, tous les membres sont égaux.
Lionel Maurel : Merci beaucoup pour ta présentation. Je me disais, en t’écoutant, qu’un des points que le logiciel libre peut apporter à d’autres types de communs, c’est la question du passage à l’échelle. Parce qu’en fait, quand on regarde les travaux d’Elinor Ostrom [12], par exemple, elle, elle est sur la question de l’efficacité de la gestion en commun et dans ses principes – elle a étudié surtout des communs naturels ou des communs matériels – et un des constats qu’elle fait, c’est que ça ne marche qu’à des échelles réduites, en fait. Dans tous les communs qu’elle a documentés, il y en a très peu qui réunissent plus de cent personnes, en fait. Une sorte de barrière qui fait qu’au-delà de ce nombre, on ne peut plus gérer un commun matériel ou un commun naturel, en commun. Et elle dit elle-même, d’ailleurs, que si on sort de cette échelle, la gestion en commun n’est pas forcément la bonne solution et, à ce moment-là, on doit envisager d’autres modes de gestion. Mais ce que le logiciel libre a montré c’est qu’on pouvait le faire pour des communs immatériels à des échelles qui ne sont plus du tout des échelles d’une centaine de personnes. C’est-à-dire que Wikipédia, Wikimedia c’est 80 000 ou 90 000 personnes. Linux, ce sont des milliers de personnes. Du coup, ce que je trouve intéressant dans ce que tu as montré, ce sont justement ces points qui viennent du numérique, en fait, parce que tous les points que tu as montrés, il y a quand même besoin d’un outillage numérique, je pense, pour les réaliser. Mais du coup, est-ce que tu penses qu’on peut, avec ces stratégies-là ou ces modes de gouvernance-là, aussi dépasser le seuil de la gouvernance dans des communs qui ne sont pas immatériels ? Est-ce qu’on pourrait faire du passage à l’échelle sur des communs physiques en utilisant ce genre de stratégie ?
Simon Sarazin : Je pense que, en tout cas, on peut vachement s’améliorer. On peut vraiment améliorer les process. Après, jusqu’où on arrivera, je ne sais pas, mais on peut vraiment aller beaucoup plus loin. Maintenant c’est vrai qu’il y a une bonne partie d’outils numériques, mais il y a aussi beaucoup de culture non numérique ou alors qu’on peut utiliser sans numérique. Je pense au principe de rémunération libre qui utilisait un outil de transparence. Je l’avais utilisé avec une coopérative de jeunes avec un tableau veleda. Du coup, ce sont des petits outils qui peuvent aider. Mais oui, je pense que là on voit, il y a énormément d’éléments sur lesquels on peut améliorer le travail. On pourra sans doute aller beaucoup plus loin dans la gestion de certains communs.
Bernard Brunet : Je complète juste la réponse à Lionel, par une expérience moi, qui m’a beaucoup inspiré, qui date maintenant d’il y a bien une vingtaine d’années. Ce sont ce qu’on appelle les coopératives sociales en Italie, ce sont des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Eux, depuis très longtemps, ils ont fait ce constat qu’au-delà d’un certain nombre de personnes, le fonctionnement coopératif devient compliqué. C’est un peu l’histoire des communs. La forme coopérative est intéressante, aussi, parce qu’elle est assez proche d’un mode de gestion des communs et notamment, c’est de l’image des coopératives sociales qu’on a tiré le statut de coopérative d’intérêt collectif en France. Et donc eux, ils ont fixé deux règles et un principe. Le principe c’est le principe du rhizome, comme le fraisier quand il veut se reproduire : il fait une racine souterraine, il va faire un fraisier plus loin, c’est la stratégie du fraisier. À partir du moment où une coopérative atteint un certain nombre de personnes, 50 personnes ou 100 personnes, l’idée c’est qu’elle se démultiplie, elle fasse un rhizome, elle aille faire une nouvelle coopérative. Et l’idée c’est que les personnes qui ont fondé, créé la coopérative et qui ont cette expérience, quittent la coopérative à ce moment-là pour aller en créer une autre, de façon à maintenir une dynamique de création. Et après, effectivement, ça fait une constellation, ça fait un réseau de coopératives, donc un réseau de communs. Et là, justement avec le numérique, c’est assez facile de créer un deuxième niveau, un niveau d’interconnexion, un niveau de mutualisation de services et si les communs, pour moi, passent à l’échelle, ce ne sera pas en devenant des communs – sauf Wikipédia où effectivement on peut avoir 90 000 contributeurs et plusieurs centaines de millions d’utilisateurs – mais c’est plutôt en ayant ce système de petits communs locaux et qui passent à l’échelle par la mutualisation, en documentant leurs pratiques, etc. Et c’est toute l’idée des assemblées des communs dont on parlera demain matin avec la table ronde.
Simon Sarazin : Peut-être aussi il y a une vraie exploration à faire sur la question de la propriété. Une fois qu’on a neutralisé la propriété, il devient vraiment plus simple de gérer collectivement un espace puisqu’il y a beaucoup moins de conflits, de savoir si la valeur va baisser, ou pas, du bien et je pense que, pour beaucoup de communs matériels, ce qui nous manque, c’est la capacité d’investir ensemble et en même temps de neutraliser la propriété qui fait qu’après on est léger, c’est-à-dire on peut quitter l’espace sans s’inquiéter de perdre la valeur des parts qu’on a mises dedans ; ça demanderait des foncières d’achats de lieux, un peu comme Terre de Liens pour le monde agricole.
Public : Je pense qu’il falloir arrêter parce que les organisateurs ont demandé de laisser cinq minutes de battement.
Simon Sarazin : OK.