Du local à l’échelle européenne, comment l’OS contribue à un numérique plus responsable

Tour de France et tour d’Europe des initiatives, des retours d’expérience concrets et des solutions open source contribuant à réduire l’obsolescence des équipements numériques.

Richard Hanna : Bonjour à toutes et tous.
Richard Hanna de la Direction interministérielle du numérique [1]. Je suis chargé de mission interministérielle numérique écoresponsable [2], on travaille sur la réduction de l’empreinte environnementale de l’administration publique. Je ne suis pas là pour vous parler de moi. On a quatre intervenants, on va parler de l’open source comme contributeur à un monde un peu plus soutenable à l’échelle locale mais aussi à l’échelle européenne.
Sandrine Elmi Hersi est chargée des affaires européennes à l’Arcep [Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse] et aussi coprésidente du groupe de travail sur la soutenabilité du numérique au BEREC [Body of European Regulators for Electronic Communications] qui regroupe l’ensemble des régulateurs télécoms européens.
Mauna Traikia est consultante Transformation numérique et élue conseillère territoriale à Plaine Commune au nord de Paris.
Agnès Crepet qu’on ne présente peut-être plus, mais que je présente quand même, responsable de la longévité des logiciels chez Fairphone [6].
Jean-Christophe Elineau dirige NAOS, Nouvelle-Aquitaine Open Source, un pôle de compétences régional en logiciels et technologies libres et open source et également scénariste du documentaire Responsables du Numérique [3] qui a été diffusé à 12 heures 30 tout à l’heure et qui est disponible en ligne.

On a 45 minutes, je propose de démarrer ce tour de France et d’Europe des initiatives.

Mauna, quelle est la place du logiciel libre et comment le logiciel libre contribue-t-il à un numérique plus responsable dans votre collectivité, à Plaine Commune ?

Mauna Traikia : Plaine Commune ce sont neuf villes de Seine-Saint-Denis, comme vous l’avez effectivement cité, et 440 000 habitants. C’est la plus ancienne communauté d’agglomération avec des villes qui vont de 9000 âmes à 120 000 âmes pour Saint-Denis, qui est la plus connue puisque c’est une des plus grandes villes d’Île-de-France.
Comment est entré l’open source quand on enlève la partie idéologie de l’open source et je vais effectivement m’attacher uniquement à notre capacité à avoir des démarches collectives de partage, notamment de sources, comment c’est entré dans les collectivités ? Historiquement, c’est entré sur les sites web parce qu’il y avait des freins qui étaient incontournables et qui demeurent encore avec la triste actualité de la cybersécurité. Il y avait des freins qui étaient de dire « attention, plus on partage les codes sources, plus on donne un petit peu les clefs de notre maison et de nos systèmes d’information ». Quand on a dit ça c’est bien mais que fait-on ? Nous nous sommes appuyés sur l’ANSSI qui est l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information pour se pencher sur le volet cybersécurité, pour pouvoir, justement, aborder des solutions open source de manière sécurisée, en tout cas, même si le risque zéro n’existe pas, anticiper au maximum ce risque.

L’idée de l’open source au sein des collectivités, c’est tout simplement une opportunité de se dire, quand on a un sujet qui ne va pas, qu’on peut faire appel à toute une communauté, vous l’avez dit, nationale, européenne, même mondiale sur des sujets fonctionnels, mais c’est aussi, pour les collectivités, une opportunité de se réapproprier leur patrimoine informationnel.
Aujourd’hui on demande systématiquement, quand on a, par exemple, un renouvellement de solution propriétaire, de regarder s’il n’existe pas une solution open source disponible en intégrant, je dirais, la cybersécurité by design. Ça nous permet surtout de prendre de la hauteur, de nous demander quelles sont les solutions qui existent en open source, comment on va pouvoir faire une phase de réappropriation du système d’information tout en envisageant une phase de décommissionnement pour les changements.

C’est une véritable opportunité. On travaille de manière très active sur ces sujets-là, sur des aspects fonctionnels pur métier, je dirais, en impliquant les agents, les services et les directions sur ces nouveaux choix, avec un duo expertise métier et aussi expertise SI [Système d’information], en mettant le point fort sur la cybersécurité qui est un enjeu majeur pour les collectivités.

Richard Hanna : Merci. On va prendre le train, on va aller à La Rochelle. Jean-Christophe, vous avez participé à une feuille de route numérique responsable pour la région Nouvelle-Aquitaine. Quelle est la place du logiciel libre dans cette feuille de route ?

Jean-Christophe Elineau : Bonjour à tous.
Comme l’a dit Richard, j’arrive effectivement d’une belle région, la Région Nouvelle-Aquitaine où on mange bien et où on a du bon vin. Une fois qu’on a dit ça, on fait aussi du numérique responsable, on en fait depuis octobre 2020, notamment à travers cette feuille de route qui a été votée et qui avait une durée de mise en place de deux ans. On arrive en fin de feuille de route [4], on va donc pouvoir faire le bilan au début de l’année 2023. Sur cette feuille de route avec quatre objectifs et 27 actions, sur ces 27 actions on avait trois actions autour du logiciel libre et des communs numériques :

  • un enjeu, effectivement, de développer et valoriser un patrimoine de communs numériques régionaux ;
  • un enjeu de pouvoir financer des projets autour du logiciel libre. La région Nouvelle-Aquitaine a lancé un appel à manifestation d’intérêt doté d’à peu près 700 000 euros par an pour, justement, financer des projets innovants en logiciel libre et financer de l’ouverture de codes sources. Ce projet est en cours, il tourne. La région Nouvelle-Aquitaine est sans doute la seule région aujourd’hui à avoir un chargé de mission [Jean-Paul Chiron] logiciels libres spécifiquement dédié à ces aspects-là, certains d’entre vous le connaissent ;
  • parmi ces actions, il y avait aussi une action qui était liée à la réutilisabilité du code, donc favoriser cette réutilisabilité au travers d’une forge régionale.

Richard Hanna : Merci.
On va prendre un peu de hauteur. Sandrine, quel état des lieux faites-vous à l’échelle européenne sur les impacts environnementaux du numérique ?

Sandrine Elmi Hersi : Merci Richard. Bonjour à tous.
Comme ça a été dit, je travaille à l’Arcep et au BEREC, donc j’ai une perspective plus réglementaire du sujet.
Pour commencer, ça peut surprendre, mais la réduction de l’empreinte environnementale du numérique est un sujet très nouveau au niveau européen et pour les pouvoirs publics impliqués dans la conception du cadre réglementaire européen. Pendant une longue période, le numérique a d’abord été considéré comme une solution au changement climatique et aux crises environnementales. Cette perception, cette doctrine, s’est concrétisée de façon réglementaire, de telle sorte que jusqu’à très récemment il y avait peu d’obligations réglementaires environnementales qui s’appliquaient au secteur du numérique, en dehors de quelques exceptions, par exemple concernant les déchets électriques et électroniques. Il y a eu un vrai changement de paradigme avec le European Green Deal, le pacte vert pour l’Europe [5] en 2019 où, pour la première fois, on a vu des objectifs ambitieux centrés sur le numérique, pour un numérique responsable, par exemple pour appliquer une logique d’économie circulaire au secteur ou, évidemment, pour atteindre la neutralité climatique pour les infrastructures du numérique. C’est dans ce contexte qu’au BEREC on a créé un groupe de travail dédié à la soutenabilité du secteur numérique.
Depuis ce European Green Deal, plusieurs initiatives sont en cours de discussion au niveau européen ou en cours de préparation, qui montrent que ces enjeux sont désormais vraiment au cœur de l’agenda des pouvoirs publics européens. Il y a des initiatives sur les terminaux, téléphones portables et tablettes, je laisserai Agnès Crepet nous en dire un mot. Il y a aussi des initiatives qui sont en cours de discussion sur les infrastructures du numérique, évidemment sur les centres de données, mais aussi sur la partie réseau qui est un peu moins mise au centre de la scène dans le débat public européen, mais qui est vraiment importante et sur laquelle nous contribuons particulièrement au niveau du BEREC et de l’Arcep.

Un dernier point. On peut noter que la partie services numériques est la partie où on a le moins d’initiatives pour le moment, le moins de données, le moins de travaux. Au regard de notre sujet ça sera intéressant de voir ce qui va sortir. On note quand même que la lutte contre l’obsolescence programmée, logicielle et aussi matérielle, fait partie des objectifs à l’agenda de la Commission actuelle.

Pour conclure, on avance sur le sujet au niveau des pouvoirs publics, des autorités publiques européennes, mais il faudra bien veiller à ce que tous les acteurs de la chaîne de valeur du numérique soient effectivement responsabilisés d’un point de vue environnemental.

Richard Hanna : Merci Sandrine.
Agnès, justement on en parlait. Vous travaillez chez Fairphone [6]. Quelles sont les avancées en termes réglementaires qui permettent d’avancer sur les aspects soutenabilité du numérique, notamment des mobiles ?

Agnès Crepet : J’ai eu la question ce matin, j’ai fait un talk sur comment l’open source nous a aidés à faire, en tout cas nous, à faire des produits plus responsables, j’ai parlé de longévité, etc., et j’ai eu une question après mon talk où on me disait « oui, mais concrètement qu’est-ce que vous avez observé sur ces dernières années au niveau législatif et comment avez-vous poussé d’autres industries à changer ? ».
Je pense qu’on a une influence directe et indirecte.
Directe parfois sur le sourcing : pour information, au-delà de la longévité logicielle et matérielle, on a aussi, chez Fairphone [6], un axe sur sourcer des matériaux plus éthiques, que ce soit dans les mines de déchets industriels ou dans les mines dans la terre. Donc là, oui, des partenaires industriels nous ont rejoints sur ces mines équitables.
Par contre, sur tout ce qui est longévité, matérielle ou logicielle, je pense qu’on a plus une influence indirecte en ce moment parce qu’on fait partie, justement, de ces groupes de travail pour définir un nouvel arsenal législatif. Je fais partie des groupes de travail, avec le gouvernement français, sur l’indice de réparabilité et de durabilité et c’est cool qu’ils invitent FairPhone [6], un homme/une femme/une voix, au même titre qu’ils invitent Apple ou Samsung. Je trouve ça classe, disclaimer : c’est quand même super pour des acteurs comme nous ! Nous sommes 100 employés, nous vendons 5000 téléphones par an, ce n’est déjà pas mal, mais ce ne sont pas les volumes des concurrents que j’ai cités juste avant.

Grâce à notre présence dans ces groupes de travail, évidemment qu’on montre que c’est possible de faire les choses différemment. Même s’il y a plein de limites – je suis plutôt à dire qu’il faut aller encore plus loin –, sur les dix dernières années, ça a quand même vraiment tout changé. La directive dont vous parliez sur l’éco-design, qui arrive maintenant sur les tablettes et les téléphones, oui il y a des limites, il y a des trucs qui sont perfectibles. Par exemple, je ne suis pas vraiment d’accord sur le fait que le draft sur les batteries dit qu’il faudrait choisir entre une batterie qui dure et une batterie qui soit removable. Je pense que par défaut, de toute façon, il faut qu’on puisse la changer, mais ça va quand même dans le bon sens. Les acteurs comme nous sont intégrés. Pour l’indice de durabilité et de réparabilité, on a le même « poids », entre guillemets, qu’Apple et que Samsung, comme je l’ai dit, et on nous écoute, c’est-à-dire qu’on présente ce qu’on fait concrètement et on montre que c’est possible de faire un support logiciel non pas sur deux à trois ans, ce qui est la moyenne des téléphones Android, mais plutôt sur cinq/six ou sept ans et je pense que ça va dans le bon sens.

Pour répondre concrètement à la question, l’indice de réparabilité [7] est sorti en 2021, je pense qu’on en a tous entendu parler, c’est un peu comme les diagnostics énergétiques : on veut acheter un appartement, une note nous dit si l’appartement est correct en termes d’émission de gaz à effet de serre et de consommation énergétique, eh bien c’est la même chose sur les téléphones et les tablettes. Vous pouvez avoir une idée sur la réparabilité de votre produit. Les gens se sont dit « ce n’est pas parce que je mets 1200 balles dans un smartphone qu’il va être réparable », eh bien oui, ça fait réfléchir les consommateurs, les consommatrices sur leur acte d’achat. Et l’indice de durabilité [8] va être encore plus global. On ne va pas s’intéresser uniquement à la réparabilité mais vraiment à la robustesse des appareils et à leur longévité. C’est super. Je vois plutôt des choses qui poussent à croire que ça peut changer dans le bon sens. Le fait que des acteurs comme nous soient dans ce groupe de travail — on n’est pas les seuls, il y a Commown [9], une coopérative d’électronique durable qui est à Strasbourg, qui fait partie de ça ; il y a HOP, Halte à l’Obsolescence Programmée [10] — ça va plutôt dans le bon sens.

La limite que je verrais juste à ça, c’est que nous sommes souvent des acteurs de taille moyenne, voire petite, donc on n’a pas 20 lobbyistes à plein temps qui peuvent participer à ces groupes de travail. Ce n’est pas tout le temps facile au quotidien, en tout cas c’est bien qu’on ait une place.

Richard Hanna : Mauna, quel pourrait être le rôle de la commande publique pour justement soutenir de telles initiatives comme Fairphone [6], Commown [9] ou autres ? Comment intégrer l’open source dans la commande publique pour les enjeux environnementaux, et tu citais d’autres enjeux de cybersécurité, de souveraineté, un peu les mots à la mode ?

Mauna Traikia : Je me méfie justement des mots à la mode quand j’entends numérique responsable.
Je suis élue depuis 2014 et, dans la stratégie numérique, le numérique responsable est présent, prégnant, dans toutes nos politiques publiques depuis 2015 avec une vraie volonté des collectivités, donc des neuf villes, mais aussi du territoire pour aller vers ces sujets-là.
Vous l’avez évoqué, le numérique est clairement un outil indispensable et ça peut accélérer la transition écologique, la transition énergétique, notamment toutes ces stratégies de numérique responsable et, quand on nomme les choses, ça a aussi un impact environnemental très fort, donc on s’est posé cette question très rapidement.

Je suis vice-présidente du GIP [Groupement d’intérêt public] Maximilien [11], qui est la première plateforme de la commande publique francilienne, ce sont quelques dizaines de millions d’euros de commande publique. La commande publique est un levier majeur pour les collectivités locales, à la fois en Île-de-France et au niveau national, pour accélérer cette transition écologique, accélérer cette transition énergétique, répondre aux défis qui nous sont assignés, notamment le fait d’intégrer dans nos dispositifs d’achat des critères d’achat responsable, d’achat éthique – vous avez utilisé ces termes-là, c’est un terme qui me tient beaucoup à cœur parce qu’il est essentiel de donner du sens à ce que l’on fait. La notion de numérique responsable est au cœur de cela.
On a voté une charte des achats publics éthiques et responsables et, à l’intérieur, on a mis un volet numérique très fort avec toutes les solutions. Depuis 2015, je peux en témoigner, des projets qui seraient très consommateurs, énergivores et qui seraient à fort impact, ne sont pas, pour moi, des projets acceptables.

Je pense que la commande publique est au cœur de toutes ces transitions-là. C’est un levier parce que, quand vous lancez un appel d’offres avec des critères très forts de numérique responsable et d’open source, on a effectivement un impact et un levier tout de suite auprès des écosystèmes.

Je travaille aussi avec le contrat de confiance de la filière « Industries de sécurité défense » – vous avez parlé de la donnée et de son impact – je pilote un groupe de travail sur la donnée et sur le citoyen, deux choses essentielles : comment peut-on impliquer le citoyen dans tout cet impact du numérique pour aller vers un numérique plus sobre et un numérique responsable, aussi dans l’open source, et comment peut-on emmener avec nous des écosystèmes ? Vous parliez de l’indice de réparabilité. J’ai donné une conférence sur ce sujet-là auprès de la filière « Industries et sécurité » et on travaille sur la mutualisation avec des nouvelles formes de collaboration entre collectivités, État et acteurs des filières, des écosystèmes, pour pouvoir mutualiser à la fois les dépenses mais aussi avoir des critères d’exigence très forts sur la réalisation de solutions sobres et qui répondent à tous ces critères.

La commande publique est effectivement essentielle. La loi Reen [loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France] [12] a été votée fin juillet 2021, de mémoire, sur la stratégie d’un numérique responsable intégrant aussi le volet cyber, etc. Pour faire évoluer de manière très forte nos dispositifs de commande publique je pense qu’il va falloir, à un moment, qu’on se dote d’indicateurs mesurables, quantifiables, des indicateurs pragmatiques et concrets qui permettent aux décideurs de la commande publique de faire les bons choix et d’aller à un niveau, je dirais supérieur, sur cette notion d’achat.

En préparant cette intervention, j’ai échangé récemment avec la direction générale du ministère de l’Intérieur et j’ai appris que le ministère de l’Intérieur est déjà passé, depuis 15 ans, sur des outils open source.

Juste pour revenir sur l’aspect citoyen. On a aujourd’hui installé toutes et tous des solutions sur nos ordinateurs. Est-ce qu’on utilise toutes les fonctionnalités ? Oui ou non ? Une solution open source n’existerait-elle pas qui répondrait juste à nos besoins et qui permettrait à chacune et à chacun de nous de transformer nos usages et de contribuer à réduire notre empreinte écologique, en tout cas sur les aspects numériques ?

Richard Hanna : Ça passera peut-être par la formation. Jean-Christophe, est-ce qu’il y a un manque de formation à la fois des citoyens et des agents publics pour intégrer justement l’open source dans leur quotidien, que ce soit au travail ou à la maison ?

Jean-Christophe Elineau : Il y a deux aspects. Il y a la formation sur le numérique responsable. On a la chance d’avoir en Nouvelle-Aquitaine, et tu citais La Rochelle tout à l’heure, un think tank qui s’appelle l’Institut du Numérique Responsable [13] et qui, aujourd’hui, propose un cursus de formation sur le numérique responsable en trois étapes.
Il y a le niveau padawan. Le niveau padawan est un MOOC [Massive Open Online Course] accessible sur Internet qui vous permet de vous sensibiliser sur le sujet. À l’issue de ce MOOC vous pouvez passer un certificat de connaissance sur le numérique responsable. Derrière on a, effectivement, la dernière étape qui est plutôt le niveau de Jedi, donc une formation d’ambassadeur du numérique responsable qui vous permet d’intervenir dans des DSI [Direction des systèmes d’information] de collectivités ou d’entreprises pour apporter un certain nombre d’éléments et pour essayer de convaincre.

Une fois qu’on a parlé du numérique responsable, il y a effectivement la partie logiciel libre, la partie numérique ouvert en lien avec le numérique responsable. On va essayer, côté NAOS, de s’engager dans cette démarche de formation. On vient d’être certifié Qualiopi [14] très récemment et on ouvre un centre de formation sur ces sujets numérique responsable, numérique ouvert, dans les prochains jours et je parle bien des prochains jours.

Richard Hanna : Sandrine, quel est le potentiel de collaboration entre la société civile et les régulateurs pour mieux lutter contre l’obsolescence des matériels puisque c’est vraiment ça le nerf de la guerre, ce n’est pas le tri des mails, c’est vraiment l’obsolescence des matériels ?

Sandrine Elmi Hersi : De façon générale, pour agir pour un numérique responsable, y compris en agissant sur la partie matérielle et en allongeant la durée de vie des terminaux, il faut d’abord comprendre les différents impacts environnementaux pour identifier les leviers à actionner et où il faut agir en priorité.

En tant que régulateur, nous avons une expertise sur le secteur télécoms, le secteur du numérique. L’une de nos actions principales c’est de réaliser des études et de publier de la donnée pour pouvoir éclairer le débat public et permettre aux parties prenantes intéressées de se saisir de ces données et de pouvoir agir en faveur d’un numérique plus responsable.
À titre d’exemple, en 2021 on a publié un rapport sur l’impact des pratiques commerciales des opérateurs télécoms sur la durée de vie des téléphones portables [15]. On a notamment pu voir qu’il y a une perception du fait qu’avoir une offre subventionnée, c’est-à-dire avoir un téléphone portable et un abonnement, avec potentiellement une réduction, pouvait accélérer la fréquence de renouvellement du parc mobile. En analysant la donnée, en utilisant notre expertise technique, on s’est rendu qu’il n’y a pas de corrélation avérée et que les leviers actionnés sont potentiellement autre part : donc en agissant sur le reconditionnement, enfin en augmentant l’offre et la distribution de téléphones reconditionnés, la réutilisation et en investissant, par exemple, dans l’écoconception.

Côté société civile, ça a été soulevé par Agnès Crepet. Nous sommes persuadés, que ce soit à l’Arcep ou au BEREC, que la société civile et aussi, dans une certaine mesure, les acteurs économiques doivent vraiment être des acteurs de la mise à l’agenda des enjeux environnementaux du numérique pour la feuille de route des pouvoirs publics et des régulateurs sur le sujet.
Un exemple très concret. Comme je l’ai dit juste avant, on a commencé, au BEREC, à s’intéresser à la question du numérique responsable en 2019/2020 et on a publié un premier rapport pour identifier les pistes de travail pour agir plus vite pour un numérique responsable. On a soumis ce rapport à une consultation publique pour pouvoir l’alimenter de contributions extérieures. Une association que vous connaissez peut-être, qui s’appelle la Free Software Foundation Europe [16] , a participé à cette contribution. C’est grâce à son analyse qu’on a inclus, dans nos pistes de travail futures, la question des solutions ouvertes, des données ouvertes et de l’open source comme potentiels contributeurs à la réduction de l’empreinte environnementale du numérique.

Enfin, sur les potentielles pistes de collaboration société civile et régulateur, on parle d’open source, mais je pense que c’est important aussi de parler d’open data, parce que, à l’Arcep comme au BEREC, nous sommes persuadés que la possibilité d’avoir accès à un plus grand nombre de données, de publier, en tant que régulateur, de la donnée y compris en open data peut avoir un impact positif sur le marché et créer des incitations positives pour que les acteurs aient une performance environnementale plus importante. En ce sens-là, on publie notamment une enquête annuelle pour un numérique soutenable où on publie des indicateurs clés sur la performance environnementale des acteurs télécoms et numériques. Une première étude a été publiée cette année. On travaille actuellement à une seconde étude et aux prochaines études qui intégreront un plus grand nombre d’acteurs dans le cadre de nouvelles compétences législatives qui nous ont été confiées.

Pour résumer, les trois pistes sont donc le régulateur pour éclairer le débat public avec des données robustes ; la société civile comme contributrice de l’agenda des pouvoirs publics pour un numérique soutenable et enfin l’open data comme levier de collaboration.

Richard Hanna : Merci beaucoup.
Agnès, peut-être pour compléter, comment pourrait-on inscrire l’open source comme élément clé pour réduire l’empreinte environnementale du numérique ? Peut-être donner quelques exemples, notamment de chez Fairphone [6].

Agnès Crepet : Il y a plusieurs aspects, c’est une question dont je viens de discuter avec Matthieu Faure de l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales] et ses collègues. Un collègue de Matthieu me posait exactement la question que tu poses.
C’est vrai que j’ai beaucoup focalisé sur la longévité, sur le fait de dire typiquement « voilà l’exemple de Fairphone : on fait un OS, un système d’exploitation sur les téléphones qu’on rend open source, du coup ça permet aux communautés open source de s’approprier ça, de contribuer et, du coup, ça nous permet aussi de récupérer ces contributions pour faire un support logiciel plus long, notamment quand le support de la puce n’est plus présent ». C’est bien, il y a un vrai allongement. Mais en plus de ça, et c’est un argument que je réutilise, que Matthieu a mentionné avec son collègue, il y a la multiplication, l’aspect multiplication des acteurs en fait. Grosso modo, nous, en tant que fabricants du téléphone, on drope le support du Fairphone 2 à sept ans et demi, ce qui n’est déjà pas mal parce que la plupart des téléphones Android, comme je l’ai dit, c’est deux à trois ans. Du coup, le fait de faire de l’open source, d’avoir fait de l’open source tout au long de la vie de ce produit, Fairphone 2, sorti en 2015, fait en sorte que des communautés open source puissent continuer le support.
Typiquement Commown [9], la coopérative d’électronique durable à Strasbourg dont j’ai parlé juste avant, a sorti pour Halloween le FrankenPhone [17], c’est le Fairphone 2 qui va arriver à huit ans et demi de support grâce à un système d’exploitation qui est basé sur LineageOS [18] qui s’appelle /e/OS [19]. Je vais citer iodé, parce qu’on a le fondateur d’iodé [20] qui est dans la salle, juste ici.
iodé, /e/OS, LineageOS, on est sur des solutions concrètes. iodé et /e/, vous avez en plus des solutions commerciales qui peuvent être utilisées, vous avez la possibilité d’avoir ces systèmes directement flashés sur votre téléphone si jamais vous ne vous sentez pas de le faire. Grosso modo, on est sur des solutions concrètes qui montrent que l’open source est un levier pour la longévité, et le côté multiplication des acteurs est aussi vachement important. En gros, ça dépasse le cadre du fabricant de téléphones, d’autres personnes peuvent se réapproprier l’outil.
Il y a aussi, dans ce que font iodé [20] et /e/OS [19], un fort aspect dans le fait qu’ils proposent un système d’exploitation alternatif à ce que propose le fabricant de téléphones. On fait du certifié Android, on a un partenariat avec /e/ qui permet d’avoir un système alternatif ; iodé fait aussi tourner son système d’exploitation sur nos téléphones. Du coup, on n’est plus sur le côté écologique mais sur le côté responsable du point de vue vie privée, on a aussi une solution concrète pour permettre à des utilisatrices/utilisateurs de ne pas avoir à se soucier d’où vont leurs data, disons qu’on a une solution un peu plus éthique d’un point de vue privée, puisque les data ne vont pas partir, par défaut, chez Google.
Ce sont différents leviers qu’on maintient.

Après il y a aussi un aspect ressources. Plusieurs études ont montré que quand on fait tourner une version open source d’un système d’exploitation sur un téléphone portable, il y a moins de ressources consommées que sur un iOS ou un Android certifié. Pourquoi ? Parce qu’il y a moins de data qui partent dans le cloud de Google, donc moins de transactions sur le réseau, moins de consommation de ressources. C’est aussi un aspect important.

Je crois vraiment plus à la longévité, parce que, encore une fois, le coût écologique des smartphones c’est la production des téléphones, entre 70 et 75 %. Pour faire moins de production, il faut que les téléphones durent, il n’y a pas de secret, donc il faut moins en fabriquer. Pour moins en fabriquer, si vos téléphones ne durent pas, on ne va pas y arriver.

Je pense avoir fait le tour de ce en quoi l’open source peut servir. Avec les acteurs que j’ai précités tout à l’heure, Commown [9], HOP [10], nous sommes vraiment à pousser, justement, la présence de l’open source dans ces groupes de travail et je pense que c’est important que ces critères-là soient clairement mentionnés pour montrer – et là il y a plein d’acteurs aujourd’hui dans cette conférence Open Source Experience – que c’est essentiel pour que les produits qu’on achète durent.

Richard Hanna : Merci beaucoup.
On va déjà passer un peu à la conclusion. On va faire un tour de table sur les perspectives : qu’est-ce que vous aimeriez voir arriver ? On commence par vous, Sandrine. Quelles perspectives et pistes de travail à l’échelle européenne sur l’open source, l’open data, tout de qui peut aider à réduire l’obsolescence, à réduire l’empreinte environnementale du numérique ? Quelles sont les futures actions ?

Sandrine Elmi Hersi : De façon générale, j’en ai déjà parlé, il faudra continuer à améliorer la mesure et agrandir le pool de données disponibles sur l’empreinte environnementale du numérique. Je passe vite sur ce point.
Il faudra aussi veiller, comme j’ai pu le dire au début, à responsabiliser tous les acteurs de l’écosystème du numérique et ne pas s’intéresser qu’aux fabricants de terminaux parce que les terminaux représentent 80 % de l’empreinte carbone. En fait, il y a des interdépendances très fortes entre les différentes couches de l’écosystème du numérique, il faut vraiment veiller à avoir une approche holistique. Ça c’est pour la perspective générale.

Sur l’open source, de mon point de vue, de mon expérience, ce qui manque à l’heure actuelle ce sont des études permettant d’objectiver les bonnes pratiques et l’impact positif de l’open source en matière de soutenabilité environnementale, pour permettre d’alimenter les initiatives réglementaires en cours de discussion au niveau européen sur le droit à la réparation ou sur la lutte contre l’obsolescence programmée.

Pour finir, pour que ce soit adapté au public de la salle, ce serait de veiller à ce que les développeurs de logiciels libres adoptent effectivement des critères d’écoconception, comme tous les développeurs, parce que, à ce stade, il est clair que les logiciels libres contribuent évidemment à allonger la durée de vie des équipements et sont favorables à la réduction de l’empreinte environnementale du numérique.
On peut aussi noter qu’ils sont plus modulables, plus facilement configurables, c’est donc plus facile de désactiver les fonctions inutiles, donc de réduire la consommation énergétique de ces logiciels. En revanche, on ne peut pas dire que par défaut un logiciel libre est plus efficace du point de vue de la consommation énergétique vis-à-vis d’un logiciel propriétaire qui aurait adopté des critères d’écoconception. Pour que le rapport soit favorable et pour être sûrs que l’open source participe à 100 % à réduire l’empreinte environnementale du numérique, il faut aussi veiller à un haut niveau de standard d’écoconception dans la communauté.

Richard Hanna : Faire attention à l’effet rebond peut-être.
Jean-Christophe, en Nouvelle-Aquitaine peut-on espérer que les collectivités passent à large échelle au Libre ? Qu’on réduise l’obsolescence des équipements ? Qu’on ait des ordinateurs qui durent 10/15 ans ?

Jean-Christophe Elineau : Le chargé de mission logiciels libres, le fameux dont on parlait tout à l’heure, vient de rentrer dans la salle, donc je ne vais pas dire de bêtises.
Mais oui, on espère effectivement que le Libre continue à se déployer. Il y avait hier soir la remise des TNL, des labels Territoire Numérique Libre. Trois collectivités de Nouvelle-Aquitaine ont été récompensées, en l’occurrence la ville de Boé, la ville de Périgueux et la ville de Saint-Loubès dans la banlieue bordelaise. Donc oui ça doit se développer, oui, le numérique responsable doit se développer. Il va, et on l’espère, se développer.
On a répondu à la candidature pour la labellisation Pôle de compétitivité sur la thématique numérique responsable en Nouvelle-Aquitaine, réponse en décembre 2022 ou en janvier 2023, si je ne m’abuse, avec un certain nombre de clusters partenaires. Ce futur pôle, s’il est labellisé, s’appellera peut-être ENTER, Excellence Numérique pour la Transition Écologique Responsable, j’espère que je n’ai pas dit de bêtise ! On fera en sorte que l’open source soit au centre du fonctionnement de ce futur pôle, notamment dans toute cette logique de réutilisabilité de code et de développement du numérique responsable.

Richard Hanna : Mauna, pareil, même question : est-ce qu’on peut espérer à large échelle, à Plaine Commune en Seine-Saint-Denis, que le logiciel libre détrône le logiciel propriétaire, qu’on ait des ordinateurs, des smartphones qui durent 10 ans, 20 ans, j’exagère un peu !

Mauna Traikia : Dans un monde idéal, ça serait mon souhait le plus vif.
Je crois qu’il faut rester très pragmatique, je pense qu’on a encore un chemin à construire tous ensemble. Autant on ne construit pas une ville comme on la construisait avant, autant on doit construire, en tout cas coconstruire des solutions logicielles de manière différente. On a parlé d’écoconception. Je pense qu’il y a aujourd’hui deux documents de référence : celui de la DINUM [1] et celui de l’Afnor [Association française de normalisation], en tout cas sur la partie responsable, je le dis sans rougir parce que ce sont les guides de référence. On n’a pas vraiment de normes, aujourd’hui, pour le numérique responsable et je crois que c’est ce qui nous manque vivement.
Je pense qu’on a effectivement besoin de travailler avec l’ensemble des acteurs des écosystèmes numériques et pas qu’eux, c’est-à-dire les clients aussi, les citoyens. Il y a le SIDO [Salon de l’Internet des Objets], qui n’est pas très loin, sur l’IoT [Internet des objets], mais il y a des milliards d’IoT qui sont déjà là et d’autres qui sont en train d’arriver. Au-delà de l’obsolescence, on a un vrai sujet autour de la maîtrise de nos usages et de notre destin, en tout cas numérique. Il faut y penser.

Les enjeux sont tellement forts en termes de souveraineté numérique. Vous parliez de data, on ne construit pas aujourd’hui un datacenter comme on le construisait il y a cinq ans, il y a dix ans. Un exemple simple : à Plaine Commune on a construit un des plus grands datacenters européens, un projet de plus d’un milliard d’investissement, sur un plan d’investissement, et tout de suite on s’est posé la question de l’écoconception, comment on va récupérer la chaleur, la donnée utile.
Je pense qu’il faut que ça soit intégré directement, dès le design de la solution applicative et qu’elle réponde aussi, de manière pragmatique, à des besoins fonctionnels précis ; je pense que c’est ce dont a besoin l’Europe, il ne faut pas en rougir.

Il y a aussi un aspect développement économique, développement sociétal que j’ai évoqué avec les nouveaux usages, mais on est aussi sur un secteur qui est porteur de beaucoup de création d’emplois. Tout à l’heure vous parliez de formation, il y a certainement de nouveaux métiers qui vont apparaître. C’est aussi un vecteur d’accélération de développement économique, de souveraineté économique, j’en ai parlé tout à l’heure.

Et puis je crois que les enjeux sont tellement prégnants pour préparer, je dirais, la société de demain qu’il n’y a pas de petits gestes : aussi bien les écosystèmes, les collectivités, le levier de la commande publique, mais aussi chacune et chacun de nous, nous devons nous interroger et nous adapter, il suffit d’une petite recherche open source sur son moteur de recherche préféré, je ne citerai pas de nom. Et je crois aussi, plus largement, qu’il y a un enjeu qui est de dire « soyons tous innovateurs, et non les followers d’une hégémonie je dirais étrangère ». Nous avons tous notre part à prendre.

Richard Hanna : Tous Responsables du Numérique, comme le titre du documentaire de Jean-Christophe.
Pour finir, Agnès, sur quel sujet vous battez-vous à l’échelle européenne, où avez-vous envie de vous battre pour aller un peu plus loin ? Peut-être citer notamment l’extraction, la traçabilité des matériaux, je ne sais pas si c’est un sujet.

Agnès Crepet : C’était le premier sujet que je voulais effectivement citer, ça tombe bien.
J’étais assez optimiste, il y a plein de choses qui se passent, on est en plein dedans, super ! Mais ce n’est pas encore délivré ! Cette directive éco-design est encore à l’état de draft et j’espère bien que l’ensemble législatif européen va mettre l’accent sur une traçabilité des ressources sur le téléphone.
Typiquement, chez Fairphone [6], on prône que le LCA, Life Cycle Assessment, l’analyse du cycle de vie, soit disponible pour tous les fabricants de téléphones, librement, sur notre site web. Personne ne le fait ! Apple fait quelque chose au niveau du recyclage, au moins ça, mais il n’y a rien sur l’analyse globale du cycle de vie : qu’est-ce que ça coûte de faire un téléphone, de sa production jusqu’à sa fin de vie, son recyclage, en passant par l’usage ?
On prône ce côté open data. On espère que ça passera, que ça fera partie des obligations. Si on le fait, on paye un organisme indépendant qui s’appelle le Fraunhofer, un institut qui fait référence dans les analyses de cycle de vie, qui est germanique. On le paye pour qu’il y ait une certaine transparence, une certaine indépendance, on le fait, pourquoi les autres ne le font-ils pas ? On espère que ça, ça passe.

Je rejoins que ce que tu disais, Sandrine, je pense qu’il manque effectivement des rapports un peu objectifs. Là on est tous plus ou moins entre convaincus, personnes convaincues, oui l’open source c’est super. Je suis sûre que quand on est en discussion dans des tables rondes, dans des groupes de travail au niveau Europe, au niveau national, on n’est pas du tout face à des convaincus. Arriver à pousser l’open source sur l’indice de durabilité, etc., c’est encore beaucoup de travail. Mon rêve serait d’avoir des organismes un peu indépendants, l’Arcep, voire la DINUM [1] qui intervient, qui produisent des rapports pour nous aider, justement, à objectiver un peu cet aspect-là. Face à des lobbyistes un peu plus agressifs dont je ne citerai pas les noms, eh bien oui, forcément, ce n’est pas évident !, c’est toujours sur la tangente. C’est super que des gens comme nous soient dans ces trucs-là, mais ce n’est pas gagné.
Typiquement j’ai eu le coronavirus il y a deux semaines, j’ai failli rater un groupe de travail, eh bien voilà ! Je ne dis pas que tout repose sur moi, mais si les trois/quatre acteurs que je vous ai cités ne sont pas là, ça peut passer. On en est là ! Donc j’espère bien que plus de rapports seront disponibles pour prouver pourquoi l’open source peut aider des projets responsables.

Et puis, bien évidemment, j’espère que le consommateur, la consommatrice sera aussi plus informée ; l’indice de réparabilité est une bonne chose, mais que l’acte d’achat soit beaucoup plus éclairé. Ça va dans le bon sens mais ce n’est pas encore suffisant.

Vous avez parlé de la commande publique, néanmoins on est en test au niveau de la métropole de Rennes, la métropole de Lyon a aussi fait l’effort d’avoir des téléphones Fairphone, mais à chaque fois qu’on bosse avec la commande publique, c’est l’enfer ! Toujours ! Il faut aussi disrupter ce truc-là ! En fait, toutes les cases à cocher, eh bien mettons un gros hack sur l’environnement, sur le côté responsabilité et essayons de minimiser peut-être d’autres facteurs, je ne sais pas. En tout cas, on a passé toutes les certifications Orange, Bouygues, SFR, on est compatible avec tous les opérateurs et ce n’est pas la faute des personnes dans les métropoles, on a souvent des gens qui sont motivés, mais qui nous disent « je suis désolé, ça ne passe pas », donc il faut assouplir ces réglages. Je suis d’accord que la commande publique est un vrai levier, mais l’arsenal en place, le process d’achat est tellement lourd que ça ne bouge pas beaucoup.

Tout à l’heure j’avais la question à la fin de mon talk sur les tablettes, le système open source sur les tablettes. Aujourd’hui, dans toutes les écoles, il y a des tablettes qui sont dans des valises parce qu’il n’y a pas d’OS libre disponible pour ces tablettes, les profs n’arrivent pas à les maintenir. Bref ! J’en suis arrivée à dire comme réponse à la question qu’on m’a posée à la fin de mon talk, qu’il vaut mieux mettre du chauffage dans les écoles, limite il ne faut plus faire du numérique, parce que si c’est pour faire ça, autant ne pas le faire !

Ça c’est pour être un peu pessimiste. Le côté optimiste, eh bien si on le fait il faut mieux le faire, et assouplissons justement ces commandes publiques, le process d’achat, etc.

Mauna Traikia : On y travaille et on espère vraiment que la loi Reen [8] va évoluer.
On s’est doté de cette fameuse charte et je pense que c’est dans cet état d’esprit-là. L’idée c’est vraiment d’essaimer des retours d’expérience, plus que des rapports, même si les rapports sont essentiels. Je pense qu’en travaillant en démarche d’amélioration progressive sur ces questions-là, on a des vrais retours d’expérience terrain et c’est ce qui est proof of concept.

Richard Hanna : Merci beaucoup. On a deux minutes pour une question et demie. Quelqu’un a une question et demie ?

Public : Pascal Kuczynski, le collègue de Matthieu qui pose la question embêtante à Agnès, je n’ai pas entendu la réponse concrètement, je vais reposer la question. J’ai bien entendu l’aspect matériel, c’est là où on peut gagner plus. Je veux revenir sur l’aspect purement logiciel. Il me semble qu’il y a à gagner avec le logiciel libre, ne serait-ce que sur le mode développement, parce qu’il est reprenable, parce que ça s’échange, parce ça se partage, parce que ça va plus ou moins vers l’évolution ; ça n’est pas une seule structure qui a la mainmise sur son logiciel propriétaire. Et je n’entend pas grand-chose là-dessus. Je cherche un argumentaire sur ce côté-là pour mettre en avant le logiciel libre, autrement que sur la durabilité des matériels, qui est respectable, je veux bien, je veux rajouter un autre composant qui est purement logiciel.

Agnès Crepet : Je pense que, comme tout à l’heure, vous n’avez pas entendu la réponse, je suis désolée, mais c’est vrai. J’ai cité l’exemple du FrankenPhone de Commown, de /e/ et de iodé [20]. Pour moi, ce sont des exemples qui montrent concrètement que l’open source c’est justement fait pour que d’autres acteurs se réapproprient ces produits-là. On ne parle plus de Fairphone, on a dropé le support sur le Fairphone 2 : grâce à iodé, grâce à /e/OS, grâce à LineageOS [18], les produits vont continuer d’exister et c’est chouette.
Je présente des excuses, j’ai été un peu agressive, mais ça fait deux fois.
C’est vrai, il n’y a pas que le côté longévité, vous avez raison, il y a aussi ce côté multiplication des acteurs et le modèle qui peut se faire approprier par des personnes différentes.

Mauna Traikia :Je vais juste me permettre. En fait, je pense que vous avez entièrement raison, Monsieur. Il y a effectivement cet aspect longévité, obsolescence, etc., des produits, c’est une certitude. Il y a le côté logiciel qui est essentiel. Je prends toujours cet exemple : je suis tombée sur un documentaire où des agriculteurs n’arrivaient plus à réparer leur tracteur parce qu’ils n’avaient pas accès au code source de leur solution logicielle, on ne leur donnait même plus le monde d’emploi. Vous êtes typiquement dans ce que vous venez de citer, sur un exemple qui n’est pas du tout du secteur du numérique, et on peut l’appliquer dans plein d’autres domaines et dans plein d’autres solutions logicielles.
Vous avez entièrement raison, il n’y a pas que l’indice de réparabilité. C’est essentiel parce qu’il faut qu’on ait une longévité des objets liée au manque de ressources qui est évident sur la planète. L’open source c’est la solution logicielle, l’écoconception, le partage des sources et faire évoluer nos systèmes.

Agnès Crepet : Je citerais L’Atelier paysan [21], très important à citer, je pense que c’est connu, une communauté d’acteurs dans le monde de l’agriculture qui essayent de promouvoir l’open source.

Richard Hanna : Une demi-question.

Public : Demi-question. La Commission européenne dépense pas mal d’argent, malheureusement. Comment pourrait-on faire pour qu’à chaque fois qu’elle demande une production logicielle sans même tellement réfléchir à si c’est ou non une bonne idée, cette production logicielle soit mise en open source ?

Sandrine Elmi Hersi : Je peux donner quelques éléments. Je pense que ça rejoint ce qu’avait souligné Mauna, le fait que la commande publique est un levier important. Il faudrait prévoir des obligations réglementaires en ce sens. Le problème qu’on rencontre, en tant que régulateur, lorsqu’on réfléchit à des initiatives législatives, qu’on participe à des groupes de travail avec la Commission, c’est le manque d’analyses objectives pour objectiver ces propositions et montrer l’intérêt d’un point de vue environnemental. Après, est-ce que, par exemple, ce type d’obligation pourrait passer par d’autres argumentaires, notamment en matière d’éthique, de vie privée, de souveraineté du numérique, c’est une question ouverte. Je pense que c’est une question à approfondir, mais j’entends bien votre point.

Mauna Traikia : Dans un monde idéal, je serais pour un open source business Act européen. Aujourd’hui on a des business Acts qui sont autour de l’industrie, personnellement je suis pour pousser ce type d’investissement en disant on nous objective sur l’intégration de l’open source, tous les volets j’entends.
Je trouve que quand on regarde un petit peu ce que font les autres acteurs internationaux, les GAFAM, etc., en fait ils sont beaucoup appuyés au travers de leur commande publique. Je le fais à l’échelle de mon territoire, même à l’échelle de quelques métropoles puisque j’interviens aussi au niveau national sur les sujets numériques. Je pense sincèrement qu’on a besoin d’un message fort et je le vois à l’échelle de mon territoire. Quand on a une forte impulsion politique on arrive à faire bouger les lignes. Je pense qu’on est là dans un véritable tournant au niveau de l’open source et qu’il ne faut pas qu’on le rate pour les enjeux que j’ai cités tout à l’heure.

Richard Hanna : Merci beaucoup. Merci de faire bouger les lignes. Je vous propose de les applaudir.
Bonne après-midi. Bonne fin de salon.

[Applaudissements]