Zoé Maltet : Bonjour à toutes et tous. Je suis Zoé Maltet. Je suis doctorante au sein du laboratoire GERiiCO [Groupe d’Études et de Recherche Interdisciplinaire en Information et COmmunication], à l’université de Lille. Le laboratoire GERiiCO est un laboratoire en sciences de l’information et de la communication.
Je vais profiter de la journée d’aujourd’hui pour revenir avec vous sur comment cette question du genre peut se poser dans l’informatique, que ce soit comme discipline ou comme secteur professionnel.
Pour commencer, voici une infographie, qui résume bien la situation, issue du rapport [1] 2018 du Collectif Femmes@Numérique. De nombreuses études statistiques, scientifiques, soulignent bien le fait que les femmes restent minoritaires dans les métiers du numérique tout comme dans les formations qui permettent d’y accéder et cela partout en Europe. Par exemple, d’après les derniers chiffres du Syntec Numérique, les femmes ne représenteraient que 33 % des salariés du numérique. Si on regarde un peu plus en détail ces chiffres, on s’aperçoit qu’elles ne sont, en fait, que 15 % dans les métiers véritablement de la technique, elles sont plus présentes dans les emplois de marketing et de communication. Donc vraiment, plus on se rapproche de la technique, moins il y a de femmes.
Pourquoi si peu de femmes ? Plusieurs facteurs entrent en jeu.
Tout d’abord, cette absence de mixité n’est pas propre au secteur du numérique. On a une ségrégation sexuée dans l’ensemble du monde du travail, tout comme dans les formations, on le constate tous les jours. Il y a des professions, des secteurs qui sont plus occupés par des hommes ou d’autres qui vont être occupés majoritairement par des femmes au point qu’il y a des métiers qu’on a du mal à mettre au féminin, par exemple pompier ou, à l’inverse, des métiers qu’on va tout de suite penser au féminin comme assistante sociale.
En fait, on a encore aujourd’hui ce qu’on appelle une division sexuée de l’orientation. Bien qu’aujourd’hui, en France, tout le monde a le droit d’acquérir tout type de savoir il va rester que selon son sexe d’assignation, selon le fait qu’on soit homme ou femme, il va y avoir des savoirs qui vont être considérés comme plus naturels ou alors comme plus transgressifs.
Filles et garçons vivent dès le plus jeune âge des socialisations différentes, c’est-à-dire qu’ils vont apprendre à se comporter, à sentir, à penser selon les formes socialement associées à leur sexe, ils vont intérioriser les stéréotypes de sexe du moment, qui vont être en vigueur dans notre société. L’intériorisation, la mobilisation de ces stéréotypes de sexe est le plus souvent inconsciente, automatique. Même si on conteste explicitement le contenu des stéréotypes de sexe, on les mobilise tout de même et on les partage tous, pour la plupart.
Cette socialisation genrée aboutit à ce que filles et garçons développent des compétences, des aptitudes, des intérêts différents et une des conséquences c’est que, dès qu’il y a un choix d’orientation scolaire ou professionnel à faire, eh bien hommes et femmes ne vont pas faire les mêmes choix.
Pourtant, à ses débuts, l’informatique et ses différents métiers étaient plutôt considérés comme féminins. C’étaient des métiers peu qualifiés, qu’on voyait aussi comme la prolongation des métiers de secrétariat. J’ai sélectionné un graphique issu des travaux de la chercheuse Isabelle Collet [2] , qui a beaucoup travaillé sur cette question de la disparition des femmes dans les études d’informatique, qui montre que dans les écoles d’ingénieur, jusque dans les années 80, les femmes sont plutôt nombreuses à choisir la spécialité informatique. Il va y avoir, en fait, un basculement à partir des années 80/90 où, comme on le voit sur le graphique, d’un seul coup les hommes vont arriver un peu en masse dans les études d’informatique donc dans les métiers.
Pourquoi ? Pourquoi ça devient intéressant pour les hommes, d’un seul coup, d’aller faire de l’informatique ? Il y a plusieurs choses qui entrent en jeu.
Tout d’abord c’est un moment où l’industrie de l’informatique se développe, donc elle a besoin de main d’œuvre. Il faut attirer du monde, donc on va revaloriser les métiers de l’informatique qui vont devenir mieux rémunérés, plus prestigieux, donc ça va devenir intéressant pour les hommes pour y aller, ça ne va plus seulement être des petits métiers de secrétariat.
Dans les années 80 c’est aussi le moment où se développe toute une culture masculine de l’informatique avec plusieurs choses qui jouent : l’arrivée du micro-ordinateur dans les foyers qui va modifier les représentations de l’informatique, de l’informaticien, qui va permettre à l’informatique de devenir plus connue auprès du grand public et ce micro-ordinateur, comme on le voit sur cette publicité, on va le vendre en priorité aux hommes. Aujourd’hui encore, dès qu’il y a une nouveauté technologique, peu importe son niveau de technicité, ce sont les hommes qui sont équipés en premier dans les foyers.
Les années 80 c’est aussi le moment où il y a la sortie de nombreux films de science-fiction qui mettent en scène l’informatique et ça aurait participé à susciter l’intérêt des garçons pour cette discipline. C’est aussi le moment où l’industrie du jeu vidéo relance sa production en se mettant à cibler principalement les garçons, que ce soit dans son marketing ou dans le type de jeux qu’elle propose. Ce n’est pas anodin si c’est le moment où sort la fameuse Game Boy. On verra que les jeux vidéo constituent encore, pour beaucoup de personnes, une porte d’entrée vers l’informatique.
Avec l’arrivée du micro-ordinateur va se généraliser une représentation de l’informaticien auprès du grand public qui va être incarnée par le stéréotype du hacker qui vient de la science-fiction et qu’on retrouve aujourd’hui, de manière générale, dans la fiction, beaucoup dans les films et les séries. Vous avez une petite sélection. Ce stéréotype du hacker va avoir un impact au moment de l’orientation.
En fait, quand on réfléchit à son orientation, on se représente les filières, les professions, à travers des personnes types qui vont exercer ces professions. On prête à ces personnes types des compétences, des valeurs, un style de vie, voire des caractéristiques physiques et on va faire, de manière plus ou moins consciente, une comparaison entre l’image qu’on a de soi-même et l’image qu’on se fait de ces personnes types. Pour qu’on puisse envisager une orientation, il faut qu’il y ait une ressemblance assez importante entre ces deux images. Or, les travaux d’Isabelle Collet ont bien fait ressortir que la figure de l’expert en informatique est incarnée par ce stéréotype du hacker, donc un homme, le plus souvent jeune mais pas forcément, passionné de programmation, autodidacte, souvent décrit comme asocial, laid, célibataire et qui se moque de la réussite professionnelle parce que tout ce qui compte c‘est la reconnaissance de ses capacités en programmation par ses pairs. On a parfois une version féminine de ce hacker dans la fiction, déjà elle est assez rare ; là aussi on va être sur des personnages excentriques ou asociaux. Donc ce modèle du hacker est culturellement familier aux garçons, il est possiblement déjà là pour les garçons. À l’inverse, les filles ont du mal à se projeter dans cette image de l’informaticien incarnée par le hacker, notamment parce qu’il est très éloigné des stéréotypes de la réalité. Que ce stéréotype ait peu à voir avec la réalité du métier n’a pas vraiment beaucoup d’influence au moment de l’orientation, surtout parce qu’il y a une très grande méconnaissance du grand public de la réalité du métier.
Donc, si c’est atypique pour les femmes de s’orienter vers des formations purement informatiques, je vois que, parmi les hommes que j’ai suivis, ce choix d’orientation scolaire, professionnel, est beaucoup plus évident. Aujourd’hui l’enseignement de l’informatique est encore assez limité dans le secondaire. Les choses sont en train de changer, il faudra voir l’impact, mais pour les personnes que j’ai pu suivre c’est surtout en dehors de l’école, du cadre scolaire qu’elles découvrent l’informatique, dans le cadre familial, par le biais de leurs loisirs, or ce sont plus souvent des loisirs investis par les hommes qui permettent de découvrir l’informatique, comme les jeux vidéo. La très grande majorité des hommes que j’ai interrogés déclarent avoir découvert l’informatique via les jeux vidéo qu’ils ont pratiqués jeunes. C’est parce qu’ils ont voulu améliorer leurs compétences, les fonctionnalités de leur jeu, voire créer leurs propres jeux, qu’ils ont commencé à s’intéresser à ce qui se passait dans l’ordinateur et, de là, serait né leur intérêt pour l’informatique. C’est le cas de quelques femmes, mais ça concerne surtout les hommes interrogés, étudiants comme professionnels.
Association de l’informatique aux mathématiques.
Sa découverte via des pratiques ludiques plutôt considérées comme masculines, son supposé manque de créativité, tout ça fait que ce choix d’orientation est beaucoup moins évident pour les femmes que pour les hommes. Souvent elles découvrent l’informatique à un âge plus avancé que celui des garçons et par hasard, par le biais d’une option dans un cursus de licence générale en sciences ou par le biais d’un proche qui va travailler dans ce domaine. Elles vont alors souvent faire le choix de se réorienter, de se spécialiser dans ce secteur.
Je vois que même parmi des étudiantes qui s’orientent directement après le bac en DUT informatique, elles avouent qu’en fait ce n’est pas leur premier choix. Elles ont d’abord envisagé de faire autre chose, de faire médecine, une école de vétérinaire, une école d’art. Elles ont dû renoncer à ce projet pour différentes raisons, elles n’avaient pas le niveau scolaire suffisant ou en raison du coût des écoles. Arrivées à un moment où elles étaient un peu perdues, un proche leur a soufflé la possibilité de l’informatique, une discipline à laquelle elles n’avaient pas du tout pensé auparavant. Le choix est beaucoup plus évident pour les garçons qui pratiquent déjà l’informatique, en tout cas estiment pratiquer l’informatique, depuis plusieurs années déjà dans le cadre de leurs loisirs.
Si les hommes découvrent plus tôt l’informatique que les femmes, ils estiment qu’ils la pratiquent bien avant leur entrée en formation. Ils disent s’être formés tout seuls, sur leur temps libre, parce qu’ils adorent ça, ils sont passionnés, ils se disent autodidactes. Ils apprennent seuls, avec des tutoriels sur Internet ou en manipulant la machine et ils suivent, par la suite, des cours en informatique pour obtenir un diplôme qui va valider leurs compétences, mais, en entretien, ils vont avoir tendance à négliger les apports de la formation académique qu’ils vont limiter à un ou deux cours.
Ce rapport insiste sur cette représentation que pour faire une formation en informatique il faudrait déjà posséder des connaissances préalables, qu’il faudrait déjà savoir faire de l’informatique pour pouvoir se former en informatique et surtout il faudrait être passionné par ça.
De nombreuses femmes avouent avoir hésité à se lancer dans une formation en informatique non pas parce qu’elles redoutaient de se retrouver toutes seules au milieu d’hommes, chose dont elles avaient très bien conscience, mais parce qu’elles estimaient qu’elles n’avaient pas assez de connaissances préalables dans le domaine et qu’elles n’étaient pas passionnées par ça. Si elles ont sauté le pas c’est parce qu’elles ont pu rencontrer la bonne personne qui les a détrompées sur ce point, souvent un enseignant ou encore un proche qui va travailler dans le domaine.
Cela fait que dès le début de la formation les étudiants hommes se retrouvent autour d’une passion commune, qu’ils vont donner à voir en affichant vraiment le fait qu’ils ont des compétences techniques, ils vont mettre en avant le fait qu’ils maîtrisent ces compétences. Ça peut se voir notamment lors des cours de travaux pratiques où les garçons instaurent une véritable compétition entre eux : c’est au premier binôme qui terminera l’exercice. Ils s’interpellent à travers la salle pour savoir où en est chaque groupe, insultent ceux qui sont en avance, se dépêchent de les rattraper ; quand ils ont terminé tout le monde le sait, ils se tapent dans les mains, se congratulent, se vantent auprès des autres. Quand il y a des remises de notes qui concernent des disciplines liées à l’informatique là aussi chacun compare sa note, on se vante, on se moque de ceux qui ont échoué. Il faut savoir que la popularité au sein du groupe de formation passe beaucoup par le fait d’être doué en informatique. C’est aussi important pour les garçons de mettre en avant leur réussite en informatique, de le faire savoir aux autres.
Les enseignants constatent aussi une importante différence de niveau entre les personnes qui ont déjà pratiqué l’informatique et ceux et celles qui la découvrent. Bien qu’ils affirment que ces différences de niveau se gomment au fur et à mesure de la formation, en début d’année il y a des étudiantes qui se disent angoissées par ce constat. Elles doutent de leurs compétences, elles disent devoir travailler plus. Il y en même qui vont jusqu’à revoir leurs ambitions à la baisse. Il y a l’exemple de Léna, seule étudiante dans sa classe qui, en voyant les réussites de ses camarades en TP, en entendant leurs notes, se dit « finalement l’informatique ça ne va pas être pour moi, je n’ai pas le niveau ». C’est en discutant avec une enseignante qu’elle a appris qu’elle se situait, dans l‘ensemble de la promotion, parmi les dix premiers étudiants et que, si les garçons de sa classe avaient de bons résultats, ce n’est que dans certaines matières bien spécifiques ou pour certaines activités bien précises.
Pour terminer.
S’il y a peu de femmes qui s’orientent dans les métiers du numérique, dans les filières qui y préparent, il faut savoir que celles qui y vont, qui se forment, qui trouvent un emploi, sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à sortir en cours de carrière. J’ai sélectionné une citation qui est issue d’une étude qui avait été faite à l’échelle européenne : « Parmi les femmes ayant des diplômes dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, 20 % de celles âgées de 30 ans travaillent dans ce secteur, elles ne sont plus que 9 % passé l’âge de 45 ans ». Cela témoigne bien des difficultés des femmes à se maintenir dans une activité du secteur, c’est un phénomène qu’on désigne souvent sous le nom de « tuyau percé ». Les principaux obstacles, les principales difficultés que relèvent plusieurs études sur cette question de l’abandon des femmes, ça va être le plafond de verre, les inégalités de traitement et cette grande difficulté à se faire reconnaître par des pairs majoritairement masculins.
Je vous remercie.
Animateur : Je vous remercie aussi. On va faire accueillir nos intervenantes.
[Applaudissements]
Animateur : On va commencer, comme on avait dit, par Sophie, puis Zineb et enfin Constance que je vais vous présenter
Le défi qu’on s’est donné c’est que toutes les trois, avec vos profils différents, vous répondiez à la question comment est-ce que vous en êtes venues à vos premières contributions dans l’open source et quel a été votre parcours. Bien sûr, vous pouvez intervenir sur ce qu’on vient de voir, sur ce dont on a discuté avant et puis les choses dont on a discuté pendant la préparation de cette table ronde.
Sophie Gautier est Foundation coordinator à The Document Foundation. Elle a rejoint la communauté openoffice.org en octobre 2000 où elle a participé à différents projets notamment en QA [Quality assurance] et en localization. Elle est un des membres fondateurs de The Document Foundation et elle participe à la communauté francophone de LibreOffice.
À toi Sophie. Tu as plusieurs minutes pour exposer.
Sophie Gautier : Bonjour à tous.
J’ai commencé tout au début du projet openoffice.org, quand Sun a libéré le code de Star Office. J’ai d’abord commencé par de la documentation pour rentrer petit à petit dans le projet. Après j’ai continué avec de la localisation et puis, en même temps, de l’assurance qualité, pas mal d’assurance qualité sur les patchs qui étaient soumis.
De 2000 à 2010, j’ai contribué petit à petit et de plus en plus, au projet. Ensuite on a forké le projet openoffice.org pour fonder The Document Foundation [3] et LibreOffice. J’ai continué à m’occuper surtout des équipes de localisation et d’assurance qualité et j’ai été embauchée par la fondation comme release manager et maintenant comme Foundation coordinator.
J’ai eu la chance de tomber, dès le début, sur un environnement qui était très ouvert et très accueillant. J’ai rencontré d’autres personnes à ce moment-là – je crois, Fred, que je te connaissais peut-être déjà dans ces années-là –, l’équipe Mozilla. J’ai aussi beaucoup travaillé avec l’équipe de localisation francophone de Debian qui m’a beaucoup appris et c’étaient aussi des gens qui étaient très bienveillants. Dans mon parcours j‘ai eu la chance de ne tomber que sur des gens qui étaient accueillants et bienveillants et c’est vraiment une chance parce que je sais ça n’arrive pas à tout le monde de la même façon. Voilà pour mon parcours.
Animateur : Merci. N’hésitez pas à être plus longues, on a le temps, de toute faon on aura un peu le temps pour des questions.
Zineb Bendhiba est Senior Software Engineer chez Red Hat [4]. Elle est contributrice reconnue sur le projet open source Apache Camel. Actuellement elle contribue principalement au sous-projet Camel Quarkus. Avant de rejoindre Red Hat, en 2020, elle a travaillé pendant 12 ans dans différentes entreprises. Elle a participé à la conception, au développement et à la gestion de différents projets principalement dans la technologie Java. Par ailleurs, elle est membre actif de l’association Duchess France.
Zineb Bendhiba : Bonjour tout le monde.
Par rapport à la présentation, je voudrais juste rajouter un petit contexte par rapport à moi. Je suis arrivée en France il y a dix ans. J’ai grandi au Maroc, j’ai étudié au Maroc et j’ai commencé ma carrière au Maroc. Je voudrais juste dire qu’entre le Maroc et la France on n’a pas cette si grande disparité dans les études. Je suis allée au collège et au lycée fin des années 90, début années 2000. La tendance était d’être scientifique, d’aller principalement sur des études d’ingénierie. Quand on est ingénieur ou dans l’informatique on va avoir à peu près 30/40 % de femmes, en tout cas sur la période où j’ai étudié. Donc j’ai connu un peu tardivement, quand je suis arrivée par France, par hasard, qu’il n’y avait pas beaucoup de femmes dans l’informatique, je m’en suis déjà rendu compte déjà en partant à ma première conférence et c’est là où j’avais rencontré les Duchess France [5].
Par contre, par rapport à l’open source, en fait il y avait le monde d’avant et le monde d’après. Dans le monde d’avant j’étais un peu comme beaucoup de gens, j’aimais l’open source, j’ai toujours voulu être dans l’open source, mais, dans ma tête, c’était un monde qui n’était pas pour moi, c’était pour une élite à laquelle je ne m’identifiais pas et je pense que j’avais des stéréotypes très forts par rapport à la typologie de personnes qui sont dans l’open source. C’est vrai qu’il y a même des hommes dans l’informatique qui ont cette vision-là, mais vu que nous, les femmes, sommes minoritaires, nous avons beaucoup plus le syndrome de l’imposteur ; le fait de me dire « je ne suis pas légitime dans l’open source » c’était vachement lié au syndrome de l’imposteur. Il y a plein de présentations sur ça, plus de pourcentages, c’est vrai qu’in fine il n’y a pas beaucoup de femmes dans la tech, donc dans l’open source on en voit encore moins.
Aujourd’hui je suis dans l’open source, c’est mon travail de tous les jours. La question de la légitimité dans l’open source ne se pose même pas. Je côtoie les gens au jour le jour, je ne les vois plus comme je les voyais avant, inaccessibles. Dans le monde d’avant, même quand j’allais dans les conférences, je n’arrivais pas à leur parler.
Entre-temps il y a eu une période de transition. J’ai rencontré les Duchess France il y a des années dans la conférence DevoX France. J’ai eu un espace d’échanges, j’ai pu savoir que le syndrome de l’imposteur existe, avant je ne savais pas, donc tout ce que je pensais était forcément vrai. J’ai rencontré beaucoup de femmes modèles dans lesquelles j’ai commencé à me visualiser, à me dire « eh bien oui, c’est possible, je peux l’être aussi ». J’ai eu aussi cet espace d’échanges entre femmes où d’autres femmes m’ont soutenues, qui m’ont dit « tu peux le faire » et ça m’a changée petit à petit avec le temps.
Le jour où je me suis dit « il faut que je travaille sur le syndrome de l’imposteur », que j’ai mis un nom dessus, ça n’a pas été magique, ce n’est pas du jour au lendemain « je travaille sur le syndrome de l’imposteur, je fais ma première contribution ». Du coup, j’ai cherché plusieurs moyens. Le premier c’est via le site Meetup [6] où j’ai trouvé un meetup où on pouvait faire ses contributions en groupe. Ça m’a beaucoup aidée parce que, du coup, on est ensemble, donc on va faire la revue de code ensemble, on va contribuer ensemble et ça permet de ne pas se sentir seule pour sa première contribution. Par la suite j’ai été mentorée par une autre Duchess France et après j’ai fait ma première contribution toute seule.
C’est un peu mon histoire avec l’open source, je ne sais pas si ça peut aider quelques personnes.
Animateur : Je pense qu’après on pourra aussi parler de ton expérience à Red Hat, dans la partie questions réponses.
La troisième intervenante, Constance de Quatrebarbes, est une programmeuse indépendante, militante libriste et data artisan depuis une dizaine d’années. Elle est spécialisée dans la science des données ainsi que dans le développement de méthodes et outils numériques principalement à destination des chercheurs mais qu’elle a pu mettre aussi au service des bibliothécaires et des analystes en cybercriminalité.
Entrepreneure d’intérêt général pour la Bibliothèque nationale de France en 2018, elle s’engage à nouveau dan ce programme en 2021 pour le défit Green Data for Health auprès du ministère de la Transition écologique.
Constance de Quatrebarbes : Bonjour. Donc tout ça !
Pour revenir sur pourquoi de l’open source. Il se trouve que je suis autodidacte, avec toute cette belle présentation ça vous a fait un peu perdre le fil, mais j’ai appris à peu près toute seule. Il se trouve qu’il y a une conjonction de deux choses, ce que la présentation d’avant m’a rappelée. Il se trouve que j’avais besoin d’un ordinateur qui ne soit pas trop lourd et c’était le premier IPC. Le premier IPC était, si je ne dis pas dit pas de bêtises, sous une Debian [7], c’était le seul qui était disponible, donc j’ai commencé à découvrir tant bien que mal ce que c’était que le logiciel libre et toutes les difficultés qu’on pouvait avoir. En gros, c’est pour dire que j’ai vécu avec de l’open source parce que j’ai appris à peu toute seule, avec de l’aide évidemment, mais sans l’open source et sans le logiciel libre, ça m’aurait été impossible.
Je me suis aussi posé la question de la légitimité que j’avais à venir parler de contribution puisque je me suis demandé si, en réalité, j’avais déjà contribué à un logiciel open source. En vrai je ne crois pas que j’ai déjà fait des pull-requests corrects, si j’ai dû en faire, j’ai dû faire des questions et des réponses. Je pense que ce serait intéressant de revenir sur ce que c‘est que de contribuer à l’open source, pas forcément seulement dans l’intervention sur le code source lui-même. Il se trouve que comme j’étais autodidacte, j’ai voulu aussi passer le flambeau en disant il faut que je donne aux autres ce qu’on m‘a donné. J’ai fait pas mal de formations, j’ai aussi travaillé pas mal sur certaines documentations. Un truc important à rappeler c’est que la contribution à l’open source ce n’est pas seulement intervenir sur le code, sachant qu’il y a toujours cette question de la légitimité technique de dire peut-être que finalement je n’ai pas une grande vue globale du projet, donc je ne suis peut-être pas forcément autorisée à agir.
J’aurais bien aimé rencontrer les Duchess parce que je ne les ai jamais croisées, du coup ça m’aurait peut-être aidée à ne pas sentir toute seule dans mon coin. Sachant que dans les métiers, dans les entreprises et les labos dans lesquels j’ai travaillé on fait évidemment beaucoup d’open source et j’avais quand même l’impression d’être assez isolée sur les sujets que je touchais.
Voilà pour ma part.
Animateur : Merci à toutes les trois.
Avant d’ouvrir à vos questions, une des raisons aussi de refaire cette table ronde à l’Open Source Experience c’est qu’il y a trois ans, en 2018, il y avait eu cette intervention des Open Heroines [8], dont tu fais partie Sophie, qui mettaient en avant à la fois le problème et proposaient huit pistes concrètes – je ne vais pas toutes les rappeler, vous pouvez trouver la présentation en ligne. Il y avait effectivement des pistes très faciles, une que je cite parce qu’elle me concerne et je la trouve hyper-facile à mettre en œuvre, c’est pas de manel, pas de panel où il n’y a que des hommes, et n‘importe qui peut faire ça indépendamment de tout soutien de l’institution.
Pour revenir sur ces huit propositions ou d’autres, je vous pose la question : qu’est-ce que vous trouvez de plus prometteur pour promouvoir la diversité et la place des femmes dans l’open source, notamment vis-à-vis de vos expériences dans vos différentes associations et institutions ? On en avait parlé, Red Hat et d’autres mettent en place des choses. Qu’est-ce qui aide notamment pour nous aider, dans nos propres institutions, petites et grandes, à mettre des choses en place ?
Zineb Bendhiba : Je ne suis pas tout ce que fait ma société. C’est d’abord avoir un espace qui aide à la diversité et où tout le monde se trouve quel que soit son genre et son ethnie. Par exemple moi, en tant que femme dans la tech, j’ai envie d’être dans un espace safe. J’ai travaillé 12 ans avant d’arriver chez Red Hat, je côtoie des gens qui sont super bien et, de temps en temps, je côtoie des gens qui ne sont pas très accueillants envers une femme. C’est très important pour moi, aujourd’hui dans mon travail, d’être dans un espace safe.
On a plusieurs groupes pour des communautés de diversité différente ; du coup, si jamais il y a un problème, nous avons notre espace pour pouvoir discuter et échanger.
Red Hat fait beaucoup de choses. Chez Red Hat on est libre d’être sur plusieurs projets, mais on ne peut pas être partout en même temps. Il y a des programmes destinés aux jeunes, par exemple pour des jeunes filles en primaire ou ados pour leur montrer l’informatique, la robotique, pour les inciter. Il y a des programmes pour avoir plus de diversité dans les études à l’université, des programmes pour accueillir des stagiaires, par exemple un programme comme Outreachy pour accueillir des stagiaires dans l’open source qui sont à 90 % issus de minorités au sens large. Cette semaine une communauté de Women In Tech vient de se créer et on pourrait, à priori via cette communauté, faire du coaching code. En fait il y a beaucoup de choses et je suis sûre que je ne connais pas tout
J’ai cet aspect-là et j’ai aussi l’aspect de Duchess France. Par exemple, le mois dernier, il y a eu Hacktoberfest et Angélique Jard, de CloudBees, a aidé des femmes à faire leurs premières contributions sur Jenkins. D’ailleurs un blog-post [9] est paru hier sur le site des Duchess France, si cela vous intéresse. Je pense qu’on va refaire cette initiative les années prochaines.
Pour moi, comme j’ai dit, il y a eu du mentoring. Le mentoring va permettre aussi à des gens d’intégrer.
Sophie Gautier : Pour revenir sur l’action d’Open Heroines, un site a été mis en place qui s’appelle Les Expertes [10] sur lequel les femmes peuvent s’inscrire dans leur domaine d’expertise ou de compétence. Ça permet justement d’éviter les manels, c’est une ressource qui est importante.
Sinon, plus dans The Document Foundation pour le coup, je pense que la mise en place d’un code de conduite est quelque chose qui est très important avec des personnes que l’on puisse contacter en cas de problème, qu’elles puissent écouter et aider les personnes qui auraient été blessées, violentées ou insultées, peu importe. C’est vraiment quelque chose auquel il faut penser tout le temps quand on organise ces évènements et même quand on a, tout simplement, une communauté parce qu’il y a toujours des gens qui sont toxiques, il y a toujours des gens qui sont difficiles à aborder et il faut absolument pouvoir s’adresser à quelqu’un qui apporte de l’aide dans ces communautés.
Constance de Quatrebarbes : Je pense qu’il y a une partie qui est importante aussi, c’est de bien flécher, de bien montrer aux gens comment on peut contribuer, pas forcément seulement sur du code. Il y a une barrière à l’entrée qui est assez haute. Je ne sais pas pour les autres, en tout cas, en général, on évalue la difficulté à faire, par exemple, une première pull-request ou un premier commit assez haut. Peut-être que juste flécher les projets sur lesquels on peut intervenir, la facile première first issue pour savoir comment rentrer dedans et, une fois qu’on est rentré dedans, il y a peut-être toute la partie peur de l‘inconnu et de comment ça va se passer qui peut disparaître. Je pense que c’est une bonne pratique qui est facile, parce que vraiment la barrière à l’entrée est souvent assez terrifiante pour les gens.
Je reviens sur le mentorat, c’est bien. Après, peut-être que nous avons les biais des survivants : nous sommes des femmes, nous sommes restées là et nous sommes encore là. Il y a aussi la question à se poser qui est comment est-ce qu’on accompagne des femmes pour la suite de leur carrière. On a beaucoup de programmes pour former, pour accompagner, pour mentorer les jeunes qui arrivent, mais comment est-ce qu’on fait pour maintenir les femmes dans la tech en disant qu’il y a forcément des moments dans la vie professionnelle avec des ruptures de carrière et ce n’est pas forcément encore très adressé aujourd’hui.
Animateur : Merci à vous.
Peut-être que je peux t’inviter pour répondre aussi, vu qu’on n’a pas eu le temps de faire des questions/réponses pour ton intervention, tu seras le quatrième du panel. On va faire un panel avec un homme. Du coup les questions sont maintenant ouvertes.
Avez-vous de questions ? Je pense que je peux faire passer un micro si besoin.
Public : Bonsoir. Il y a quelques années il y avait eu une étude, je crois qu’elle n’était pas strictement française, sur les effectifs et la part féminine, qui montrait que dans les entreprises open source, la part de femmes dans les fonctions techniques était encore plus réduite que dans l’ensemble de l’informatique tout confondu, propriétaire, open source, etc. Est-ce que vous avez l’impression, depuis plusieurs années que vous êtes dans ce secteur, que ça a progressé et qu’est-ce qui a pu faire que ça a progressé selon vous ? Ou est-ce que c’est toujours le cas sur cet écart avec encore moins de femmes dans l’open source alors qu’on pourrait s’attendre à ce que ce soit égal voire que ce soit mieux ?
Animateur : Très bonne question. Quand on a fait le comité de programme de cette conférence on a eu le retour d’intervenantes qui ne voulaient pas venir parce que c’est une conférence open source et qu’on était trop mal reçu en tant que femmes.
Au panel, à vous.
Zineb Bendhiba : Je ne suis pas là depuis très longtemps pour répondre à la question. J’ai juste remarqué que souvent, quand je m’intéressais aux offres d’emploi open source, pour des profils seniors comme moi par exemple, il y en a beaucoup qui continuent à mettre que s’il n’y a pas des contributions significatives s’abstenir de postuler. Du coup je me demande, c’est une question, si ce genre de société, qui continue à faire ça, ne reste pas finalement fermée sur les mêmes personnes qui existent déjà au lieu de ramener plus de diversité, de prendre, par exemple, des postes plus juniors ou bien d’intégrer des personnes qui ont de l’expérience et qui peuvent ramener autre chose, une autre une vision des choses dans l’équipe et s’embarquer aussi dans l’open source, pourquoi pas.
Constance de Quatrebarbes : Je ne travaille pas dans une entreprise open source. Ma réponse va être très bête et très simple, peut-être que je me trompe complètement, c’est de dire qu’il y a, en fait, un effet entonnoir ; l’open source est une partie, à l’intérieur il y a une autre partie, c’est juste l’effet d’entonnoir, mais c’est peut-être juste une mauvaise réponse ! C’était juste pour faire une réponse !
Lancelot Pecquet : Je crois que j’ai dû citer effectivement l’étude en question au début, si je ne dis pas de bêtises, à ma connaissance il n’y en a pas d’autre. Par contre, si je devais expliquer les choses, je trouve que ce que disait Constance tout à l’heure sur la barrière à l’entrée pourrait expliquer le fait que c’est très difficile de faire progresser les choses si on n’adopte pas une stratégie vraiment bien pensée et que, justement, on essaye de faire les choses d’une manière construite, scientifique ; scientifique ne veut pas dire théorique, ça veut dire en s’appuyant sur des choses très concrètes, qui fonctionnent bien, et en étant persévérants et persévérantes sur la question.
Animateur : Quelque chose qui était intéressant, qu’a redit Constance tout à l’heure, qui était revenu quand on avait préparé cette table ronde, c’est que baisser la barrière à l’entrée pour tout le monde ça favorise la diversité et les femmes notamment parce que ce sont elles qui vont être le plus bloquées, qui vont plus avoir le sentiment de l’imposteur. Ça vaut vraiment le coup, pour tous les projets, de baisser cette barrière à l’entrée, de flécher les PR faciles, d’accueillir les gens quel que soit leur sexe et ça profitera aux femmes.
Public : Juste une question. Je me demandais si le woman instant paradox avait été observé sur les contributions open source ou pas. C’est la corrélation inverse entre l’égalité de genre et l’inclusion des femmes dans les formations en informatique, en ingénierie de manière générale. Plus l’égalité de genre est prononcée, moins il y a de femmes en écoles d’ingénieurs ; ça a été observé par plusieurs études, etc. On ne sait pas trop pourquoi, ça fait un ou deux ans que je n’ai pas regardé, mais il n’y avait pas d’interprétation sérieuse de ce résultat. Je me demandais si on avait observé la même chose en open source parce que ce serait intéressant de savoir si ça s’inverse quand on parle de contribution ou ce genre de chose.
Lancelot Pecquet : C’est une contribution scientifique ?
À vrai dire je ne sais pas pour ce qui est de l’open source. Par contre, c’est vrai qu’il y a des choses qui sont quand même assez frappantes. Par exemple, il y a des femmes qui ont de meilleurs résultats et on observe que, finalement, elles laissent tomber leur parcours alors que, sur un certain nombre de critères, elles réussissent mieux que les hommes, pour un certain nombre de raisons qui, d’après ce que j’en sais, mériteraient encore beaucoup d’exploration pour pouvoir les comprendre. C’est effectivement très multifactoriel et on ne sait pas forcément très bien analyser le pourquoi du comment. Et le risque, par rapport à ça, c’est peut-être d’arriver trop vite à une conclusion qui n’est pas la bonne et de foncer dans quelque chose qui peut être contre-productif. J’imagine qu’il y a encore pas mal de travail à faire sur le sujet.
Constance de Quatrebarbes : Je me permets. N’y avait-il pas un critère explicatif qui consistait à dire que dans les pays où justement l’inégalité hommes/femmes est assez forte, l’ingénierie informatique était conçue comme un endroit plus safe que d’autres métiers. Typiquement ingénieur sur les chantiers, c’est beaucoup plus risqué pour une femme, du coup il vaut mieux trouver des métiers pour lesquels on est dans un bureau parce qu’on est moins exposée aux risques, je me souviens avoir lu ça.
Animateur : C’est vrai. En particulier l’exposé long de Zoé Maltet, que vous pouvez trouver en ligne, comparait l’état de la France avec l’état, peut-être, des Philippines, un pays asiatique, où il y avait une forte proportion de femmes parce que c’était un métier sûr, protégé, propre, c’est vrai. Ça peut être une cause.
Est-ce que quelqu’un d’autre veut répondre, faire une hypothèse ? Est-ce qu’on a d’autres questions dans la salle ?
Public : Bonjour à tous et à toutes. J’aimerais savoir si vous pensez que l’évolution des mœurs peut faire le taf, c’est-à-dire par l’éducation à l’école, le fait qu’il y ait de plus en plus de filles, de jeunes filles, qui se mettent à apprendre le code et à se tourner vers l’informatique, par la pédagogie, par l’évolution des attitudes au sein des communautés ? Ou est-ce que vous pensez qu’il faut nécessairement appliquer des codes de conduite ?
Zineb Bendhiba : Je dirais les deux. Je suis mère, ma fille va avoir quatre ans et c’est vrai que c’est un combat de tous les jours contre les stéréotypes. On essaye d’avoir une éducation où on ne lui passe pas de stéréotypes, pourtant elle revient de maternelle avec des idéologies. L’autre fois avec une idée : quelqu’un lui a dit que les femmes ne conduisent pas. Il y a pas mal de stéréotypes qui reviennent.
Sinon, par rapport aux métiers d’ingénierie en global, il faudrait aussi inverser cette tendance pour leur donner envie dès le début. Aujourd’hui je vois déjà de l’amélioration, en tout cas dans les maternelles, parce que, en fait, les jeux ne sont pas genrés. J’ai une fille et, par les activités qu’elle a en maternelle, elle aime bien tout ce que sont les jeux où il y a de la réflexion, de la construction. Ils font des activités qui, aujourd’hui, ne sont pas genrées, mais il reste qu’il faut que les adultes changent pour qu’il n’y ait pas de stéréotypes. C’est la première des choses.
Bien sûr aujourd’hui pour moi, en 2021, il devrait y avoir un code of conduct un peu partout ou bien il faut travailler dessus et s’assurer qu’il soit respecté. Ce n’est pas évident parce qu’on a tous des biais et les gens ne savent pas forcément que, des fois, leur comportement peut être toxique par rapport à une femme. Quand on veut en parler aux collègues, aux contributeurs ou à la personne qui a parlé dans une communauté, dans un chat ou dans un forum, si on n’a pas un code of conduct qui existe déjà, en fait on se retrouve avec la problématique de comment on lui explique ou les limites n’étaient pas claires pour pouvoir commencer à parler de la problématique et aussi, au préalable, penser à ce qu’il faut faire quand ça arrive. Dans les sociétés, il va falloir, comme on disait, avoir une personne à contacter. Si on est dans un forum ou un chat dans une communauté, il faudrait aussi pouvoir se tourner vers quelqu’un, donc c’est très important d’avoir déjà un code of conduct quand il y a un problème.
Animateur : Une dernière petite question.
Public : Je voudrais poser une question par rapport à vos collègues contributeurs ou salariés mâles. Est-ce que vous constatez que depuis quelques années, on va dire trois/quatre ans, il y a une vraie prise de conscience de l’enjeu ? Première question. Et la deuxième : est-ce que vous pensez que ces personnes ont pris à ce point conscience de l’enjeu, qu’ils, en l’occurrence, consultent des ressources féministes, liées au genre ? On ne va pas la citer, mais récemment une fondation a montré qu’elle n’avait visiblement rien compris à ces enjeux-là. La question : est-ce que vos collègues masculins se renseignent sur ces questions-là notamment en lisant, en écoutant des podcasts de ressources féminines, de ressources liées au genre, etc., c’est-à-dire qu’ils vous écoutent, vous, expliquer ces problématiques ? Ou est-ce que vous n’avez pas noté d’évolution à de niveau-là ?
Constance de Quatrebarbes : Ma réponse va être très courte. En l’état, à part quelques personnes éclairées, je n’ai pas noté de différences particulières.
Public : La réponse de Zineb m’intéresse.
Zineb Bendhiba : Ça fait un peu plus d’un an que j’y suis et je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer mes vrais collègues en réel pour en discuter. Je pense que, comme pour tout sujet, ça va doucement. Notre société n’arrête pas d’en parler, d’en parler… Par certaines réflexions on peut voir que certains collègues s’intéressent, peut-être que d’autres pas encore. Il y a un travail, en interne, qui essaye de se faire pour avoir plus de sensibilité. Comme je dis, on a tous des biais et il faut réussir à faire passer le message. Par exemple, depuis Black Lives Matter, il y a eu beaucoup d’articles, beaucoup de choses qui sont sorties. Quand on travaille dans le monde de la tech on parle en anglais, la tendance c’est maintenant de ne plus dire Hello Guys, mais tout le monde dit encore Hello Guys. Une fois j’étais dans une réunion, quelqu’un a dit Hello Guys, un autre collègue lui a fait comprendre vu que Zineb est là il ne faut pas dire Hello Guys. Aujourd’hui on dit folks, on dit ceci, on dit cela. Ça commence à arriver, surtout depuis Black Lives Matter.
Maintenant, dans le monde de l’open source, beaucoup se pensent déjà ouverts et qu’ils n’ont pas besoin de changer. C’est là où certains témoignages, comme le mien, peuvent peut-être aider à se dire que ce n’est pas juste parce que n’importe qui peut faire une PR. Peut-être, qu’en fait, les gens pensent qu’ils ne peuvent pas ou ils ne sont pas légitimes à venir sur le projet et c’est le plus grand problème.
Animateur : Merci. Et toi Sophie ?
Sophie Gautier : Je voulais juste ajouter que s’il y a effectivement une prise de conscience en Europe, parce que le problème est très européen, il y a d’autres pays où ça ne se passe pas du tout comme ça, notamment en Albanie par exemple, et puis d’autres pays où la prise de conscience est très compliquée.
Constance de Quatrebarbes : Je voulais préciser ma réponse, je pense que c’est un point intéressant. Si j’ai noté un changement c‘est plutôt une plus grande crispation. C’est-à-dire que les gens qui sont alertés sur le sujet, mais ils sont beaucoup plus crispés sur le sujet, sur la question de la diversité. Parfois on nous demande presque « comment faut-il faire ? Dis-moi comment est-ce qu’il faut que je fasse. »
Public : D’où ma question. Il me semble que c’est aussi à ces personnes-là de dire que des ressources existent déjà, parce qu’il y en a plein en fait.
Constance de Quatrebarbes : C’est ça, mais ça finit comme des blagues. Je prends un exemple très concret, les gens qui râlent parce que sur GitHub on a changé le master en main, du coup ils disent « c‘est incroyable quand même ! ». C’est ce genre de crispation-là qu’on note.
Lancelot Pecquet : Je voudrais juste préciser qu’en fait il n’y a pas toujours de consensus sur la manière faire, il y a encore beaucoup de travail à faire pour essayer de comprendre ce qui peut marcher, ce qui peut ne pas marcher. Du coup, peut-être que par rapport à ça, il y a des gens qui vont plus se reconnaître dans certaines manières d’avancer, d’autres dans d’autres manières d’avancer. C’est une démarche qui est quand même très complexe. Zineb disait qu’on a des biais, il y a des stéréotypes, etc., j’allais dire qu’il y en aura toujours, c’est inhérent à notre cerveau, c’est inhérent à notre manière de fonctionner. En fait, on peut être dans la civilisation la plus égalitaire qu’on puisse imaginer, la plus mixte et la plus tout ce qu’on veut, on aura toujours des biais cognitifs, il y aura toujours des stéréotypes, parce qu’un stéréotype c’est juste une croyance en un fait. Par exemple, quand on dit « les hommes sont plus grands que les femmes », il y a une statistique, il suffit de mesurer la taille moyenne des hommes et la taille moyenne des femmes et, en moyenne, c’est vrai que les hommes sont plus grands que les femmes. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des femmes plus grandes que certains hommes, ça ne veut pas dire qu’il y a plein de choses qui peuvent être faites, etc. Il faut bien distinguer ce qu’est une statistique – et encore, selon les statistiques, il y a plein de choses à dire –, ce qu’est un stéréotype, ce qu’est un préjugé, etc. En fait, finalement, même s’il y a des stéréotypes, même s’il y a des biais, ils ne sont pas toujours forcément catastrophiques. C’est-à-dire que même si on opère un traitement, si notre cerveau opère un traitement différencié, qu’on soit un homme vis-à-vis d’une femme, une femme vis-à-vis d’un homme, une femme vis-à-vis d’une femme ou un homme vis-à-vis d’un homme, ça ne débouche pas forcément sur quelque chose d’inégalitaire et de révoltant, parfois oui et parfois non. Par exemple, dans les deux études que j’ai montrées, il me semble que la conclusion c’est qu’en fin de compte, même s’il y a des biais, ça ne semble pas extrêmement grave dans cet exemple-là. Évidemment qu’il y a des situations qui sont révoltantes, évidemment qu’il y a des choses contre lesquelles il faut lutter, il y a plein de manières d’essayer de le faire, de la manière la plus judicieuse et efficace possible, mais en soi, le fait qu’il puisse y avoir des traitements différenciés, je ne sais même pas si les êtres humains seraient capables d’y renoncer parce qu’ils sont câblés comme ça en fin de compte et ce n’est pas si grave.
Animateur : J’espère que vous avez tous retenu des idées, des choses à faire dans vos institutions pour faire changer les choses. Si vous étiez dans cette salle c’est justement parce que c’est un sujet qui peut vous toucher, pour lequel vous êtes prêts à vous engager. En tout cas moi j’ai retenu plein d’idées et, pour notre exemple, on est une PME et justement, de façon interne, il y a un projet qui se monte par les salariés de mettre en avant la diversité, de mieux accueillir la diversité. Donc même une PME peut faire des choses, pas forcément de la taille de Red Hat, mais on voit qu’on peut tous progresser.
Remercions nos intervenantes et notre intervenant surprise.
[Applaudissements]