Gaëlle Laborie : Monsieur Latombe, bonjour.
Philippe Latombe : Bonjour.
Gaëlle Laborie : Merci d’avoir accepté mon invitation.
Philippe Latombe : C’est normal.
Gaëlle Laborie : Personnellement je milite, parce qu’il n’y a pas d’autre terme, pour une souveraineté numérique et je désire m’adresser maintenant aux utilisateurs finaux, c’est-à-dire aux citoyens. Je voudrais, dans une première question, que l’on revienne sur la question [1]que vous avez posée au gouvernement concernant les brevets.
Philippe Latombe : C’est une question très technique. Je vais essayer de faire simple.
Depuis 2005, l’Union européenne considère que les logiciels ne peuvent pas être brevetés comme on brevetterait, comme on obtiendrait un brevet pour une solution industrielle, un moteur, quelque chose comme ça. On considère que pour le logiciel, étant des lignes de code donc, en fait, une sorte de langage, ce n’est pas le brevet qui est applicable, mais du droit d’auteur et que l’on peut parfaitement sous-traiter, en tout cas louer son droit d’auteur, c’est le principe de la licence telle qu’on la connaît aujourd’hui.
Le droit américain considère que les logiciels doivent être comme les moteurs de voiture, d’avion, doivent être soumis à des brevets. Les GAFAM ont déposé énormément des brevets aux États-Unis sur différents sujets. Je vous en donne un exemple qui va bien montrer ce que c’est. Microsoft a déposé le brevet du double-clic.
Gaëlle Laborie : D’accord.
Philippe Latombe : Le fait que l’Europe rentre dans cette logique-là veut dire que dorénavant, à chaque fois qu’un logiciel sera – serait, parce que ce n’est pas encore fait –, serait breveté, chaque fois qu’on utilisera une partie de ce logiciel ou quelque chose dans la construction du logiciel qui est déjà breveté, il faudra payer des redevances au propriétaire du brevet.
Je prends encore mon exemple du double-clic. Je suis un éditeur en logiciel libre, je crée un logiciel dans lequel je demande à l’utilisateur de double-cliquer quand il a besoin de faire une commande. Si les brevets logiciels sont reconnus en Europe, ça veut donc que l’éditeur du logiciel devra payer à Microsoft une redevance à chaque fois qu’il va vendre le logiciel.
Je ne prends que cet exemple-là mais aux États-Unis on voit bien qu’il y a ce qu’on appelle des spécialistes, donc des fonds de brevets, des gens qui achètent tous les brevets qui traînent et, à chaque fois qu’il y a une opération logicielle qui arrive sur le marché, ils vérifient s’il y a utilisation de leurs brevets ou pas dedans et s’il y a utilisation de brevets ils débarquent avec des avocats et ils entament des procédures juridiques. C‘est quelque chose qui est très connu aux États-Unis, coûte très cher en termes de protection. Il faut être très clair, la plupart de nos startups en Europe seraient totalement asphyxiées sous des procédures juridiques qu’elles n’auraient pas les moyens de pouvoir supporter.
C’est une façon de faire très américaine, très anglo-saxonne, qui n‘est pas du tout appropriée au fonctionnement européen du brevet. Simplement, un certain nombre de pays sont quand même assez atlantistes, sont très proches de cet état d’esprit, donc il y a une forte poussée pour que ça puisse être adopté.
La France avait fait le choix, en 2005, de s’opposer à ce qu’on appelle les brevets logiciels, je demande donc au gouvernement de confirmer cette opposition et de faire en sorte qu’on ne puisse pas accepter les brevets logiciels, en plus sans passer par la case démocratique d’un vote au Parlement, ce qui avait été le cas en 2005 ; la directive avait été votée au Parlement et rejetée par le Parlement ce qui montre bien la force du vote de 2005. Aujourd’hui, d’après ce que j’ai entendu dire, et je me ferai confirmer ça par le secrétaire d’État en charge des Affaires européennes ce week-end, ça ne passerait pas par les canaux démocratiques que sont le Parlement européen et les parlements nationaux qui devraient normalement donner leur accord pour négocier sur ce type de sujet.
J’espère avoir été clair et simple. C’est un sujet très compliqué. Dit comme ça, je pense que les gens comprennent pourquoi.
Très clairement, c’est ce qui se passe, en gros, sur d’autres sujets, ce sont des procédures juridiques dans tous les sens, à l’américaine, avec des montants faramineux, donc des entreprises qui ne seraient plus capables de faire de l’innovation, qui seraient obligées de consacrer les fonds qu’elles ont prévus pour le développement à du juridique, ce qui n’est pas du tout l’objet des sociétés en forte croissance comme les startups.
Gaëlle Laborie : D’accord. Pour l’instant je veille et vous n’avez toujours pas reçu de réponse.
Philippe Latombe : Je n’ai pas de réponse. J’ai un rendez-vous avec le secrétaire d’État aux Affaires européennes dans le week-end, j’en saurai plus en début de semaine.
Gaëlle Laborie : Si j’ai bien compris c’est un contrat, c’est ça, qu’ils sont censés signer avec l’Europe ?
Philippe Latombe : Ce n’est pas un contrat, c’est le fait qu’on bascule sur la jurisprudence classique des brevets logiciels avec un organisme de réglementation qui devienne l’organisme de référence en Europe, donc de facto ça veut dire qu’on serait sous l’égide des brevets logiciels.
Gaëlle Laborie : Ce qui voudrait dire, si c’est accordé, que les GAFAM vont prendre encore plus de place chez nous ?
Philippe Latombe : C’est la crainte, parce que c’est leur mode de fonctionnement et c’est d’ailleurs la façon dont ils ont, en partie, tué l’innovation aux États-Unis. Il faut être très clair, quand on parle d’innovation aux États-Unis elle est aujourd’hui beaucoup dans des toutes petites entreprises qui ensuite se font racheter par des fonds ou par les GAFAM. Il y a une sorte de prédation assez forte des GAFAM envers les startups et ils utilisent notamment ces procédés-là.
Gaëlle Laborie : Bien. Vous nous tiendrez au courant ?
Philippe Latombe : Évidemment !
Gaëlle Laborie : Dès lundi ?
Philippe Latombe : Dès lundi.
Gaëlle Laborie : Ça marche.