Changer le monde, un ego à la fois - Pouhiou - PSES2019

Titre :
Changer le monde, un ego à la fois
Intervenant :
Pouhiou
Lieu :
Pas Sage en Seine - Choisy-le-Roi
Date :
juin 2019
Durée :
59 min
Visualiser ou télécharger la conférence
Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
Pouhiou copie d’écran de la vidéo

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Je suis entré dans le librisme en m’intéressant aux auteur·ices et leurs droits. J’ai travaillé des années sur l’hégémonie des géants du web.

Je peux résumer le deal qui est proposé à chaque fois en trois mots : Confort Contre Contrôle. Ma liberté résumée à un choix illusoire entre X et Y. Le libre arbitre comme un morceau de sucre pour faire passer le contrôle sur nos actions.

Et si « je » sortais de ma petite individualité pour imaginer ce qu’on pourra faire lorsqu’on sera « nous » ?

Transcription

Bonjour. Bienvenue dans cette conférence qui s’appelle « Changer le monde un ego à la fois ». Je ne sais pas exactement ce dont je vais parler, je ne suis pas sûr de moi, mais je sais que j’en avais très envie. Pour vous prévenir aussi un petit peu en préambule, je déteste les slides donc j’ai essayé de me démerder quand même à faire quelque chose qui me plaisait, mais je ne sais pas si c’est ce qu’il faut faire et, à la limite, je m’en fiche un peu !
Mon employeur c’est donc Framasoft [1], c’est une association d’éducation populaire aux enjeux du numérique et le mode d’action c’est principalement de créer des outils pratiques, concrets, pour apporter plus de logiciels et de culture libre dans la vie de « les gens » et « les gens » c’est défini de différentes manières au fil du temps. Sauf que cette conférence est inspirée de tout ce que j’ai vécu en tant que salarié au sein de l’association Framasoft et bénévole auparavant ces cinq-sept dernières années, mais il y a aussi des choses très personnelles. Donc on va dire que mon employeur tient à garder l’anonymat. Imaginez que si je dis des trucs vachement bien, eh bien c’est grâce à l’expérience que j’ai vécue au sein de Framasoupe, on va dire, pour garder l’anonymat. Si je dis des conneries ce sont probablement les miennes et si c’est du génie, aller, je vais le prendre pour moi ! On a dit qu’on parlait d’ego, non ? Donc voilà c’est parti.

En effet, je vais vous parler de moi. Je vais vous parler de moi puisqu’on va parler d’ego et je me dis que j’en ai un gros, donc tout va bien et puis ce n’est pas pour rien que je vais vous parler de moi. Je vais vous dire que les religions qui ont façonné le monde dans lequel j’ai grandi, dans lequel je me suis éduqué, m’ont dit que j’étais important, m’ont dit que j’avais raison d’avoir un gros ego. Il y en a une qui m’a dit que c’est « parce que je le vaux bien ». Attention je ne parle pas juste de l’auréole, je parle plus exactement du capitalisme qui m’a dit que j’étais très important et que je devais avoir un gros ego, être individuel et acheter des choses uniques comme tout le monde. Et puis il y a une autre religion qui m’a dit qu’il m’a fait à son image. Je déterre des super vieilles photos, là c’est un vieux dossier et j’embrasse très fort Noëlle Ballestrero qui est une photographe et une amie qui me manque. Du coup, s’il m’a fait à son image, ça veut que j’ai quelque chose de divin en moi. J’ai bien raison d’avoir mon gros ego.
Je suis rentré dans le Libre, je suis tombé dans le Libre pas du tout en codant, mais en écrivant des romans. À l’époque c’était un roman blog sur le site noenaute.fr et je bloguais comme ça un épisode par jour, quatre jours par semaine, et le cinquième jour, du coup, c’était plutôt un article de discussion, de coulisses, de choses comme ça et très vite je me suis vraiment rendu compte que le principe de création, diffusion et retour du lectorat, tout ça était extrêmement fluide, extrêmement libre et que si j’y mettais des barrières telles que le droit d’auteur, eh bien ça ne me parlait pas. Du coup j’ai mis tout ça dans le domaine public vivant.

À un moment donné, je suis allé voir Framasoft en leur disant « dites, vous avez un gros blog qui s’appelle Framablog. Je viens de finir mon roman qui est dans le domaine public, si vous voulez en parler ça fera quelques lecteurs, quelques lectrices de plus. » Ils m’ont dit : « On a une maison d’édition qui s’appelle Framabook [2]. Jusqu’à présent on a fait principalement des manuels, une biographie sur Richard Stallman, des BD, on avait envie de faire du roman, ça te dit qu’on te passe en comité de lecture ? » J’ai fait « banco ». Donc on a sorti le premier roman du domaine public vivant édité par une maison d’édition française. Je suis juste pas peu fier de la chose !

Évidemment, quand on commence à faire des choses comme ça, on met le doigt et puis on se fait bouffer totalement parce qu’on plonge dedans avec délices. J’ai commencé à prendre un peu tous les savoirs que j’avais pris sur le droit d’auteur et à faire des conférences avec et j’avais fait une conférence qui s’appelait « Les droits-d’auteuroliques anonymes » - vous remarquerez l’aspect écolo du recyclage de slides vieilles de cinq ans - aux RMLL 2014, parce que je considérais vraiment le concept du droit d’auteur, le principe, les fondamentaux du droit d’auteur comme une addiction, un peu comme une addiction. C’est qu’il y a un vrai problème et il faut admettre qu’il y a un problème. Tout le monde veut du droit d’auteur, c’est le droit d’auteur qui nourrit la création, les auteurs, les artistes, ouh là, là, il faut les protéger, il faut les nourrir, etc. Donc tout le monde en veut, veut mettre partout du droit d’auteur et, en même temps, ça ne nourrit pas, voire ça affame les artistes qui sont le maillon le moins payé de la chaîne de production et de vente des œuvres culturelles. Je me suis dit faisons les 12 étapes des alcooliques anonymes ou des addictes anonymes et appliquons-les au droit d’auteur, voir ce que ça donne. Admettre qu’on a un problème, comme je vous l’ai dit ce n’est pas nourrissant alors qu’on croit que c’est nourrissant - c’est un vieille publicité très problématique [La bière est nourrissante, NdT] - et la douzième étape - je ne ne vais pas vous faire les 12 étapes, rassurez-vous - la douzième étape, s’avouer qu’on est dépassé, s’avouer qu’il y a quelque chose, qu’il y a un problème qui est fondamental là-dedans.

La figure qu’on a d’habitude sur le droit d’auteur c’est Beaumarchais. Beaumarchais qui a inventé les concepts du droit d’auteur en 1780, qui les a fait accepter avec la création de la SACD [Société des auteurs et compositeurs dramatique] par le gouvernement républicain de 1790 et cette image romantique de Beaumarchais, auteur défendant les auteurs et inventant le droit d’auteur ! C’est cool !

Maintenant, quand on se penche un peu dessus et ça m’est arrivé, Beaumarchais c’est un homme d’affaires. Il a vendu des armes au général Lafayette pour le compte du roi de France. Beaumarchais était auteur, certes, il voulait défendre les auteurs notamment contre des théâtres peu scrupuleux, certes, mais il était aussi éditeur. Il a d’ailleurs arnaqué les ayants droit de Voltaire sur ses droits d’auteur ; c’est assez croquignolet ! Il était aussi imprimeur-libraire - à l’époque on imprimait dans l’arrière-boutique et on vendait les livres en boutique - et il avait même une papeterie en Normandie, le garçon. Donc c’était un peu la chaîne du livre à lui tout seul. Il avait tout compris. Beaumarchais a réfléchi non pas seulement en auteur mais aussi en commerçant, en commerçant homme, bourgeois, bien né de l’époque, lettré de l’époque, il faut remettre ces circonstances-là, et il a créé le droit d’auteur comme un contrat où on dit à l’auteur : « Je t’invente des droits, paf ! ex nihilo, je t’invente des droits pour que tu puisses les céder à un éditeur et l’éditeur fera tout le boulot de production, de commercialisation, etc. C’est un petit peu le « TU s’occupe de rien, JE s’occupe de tout », c’est-à-dire vraiment dire « voilà, écoute, c’est chiant de voir avec les graphistes, de faire la maquette, de se faire chier avec l’imprimeur, de passer du RGB au CMJN, c’est super chiant ! Je vais m’en occuper, promis. Je vais faire des trucs vachement bien, il n’y a pas de souci. Juste te me signes le papier, tu me files tous tes droits, tu me cèdes exclusivement tes droits, je m’occupe de tout et je te reverse quelques sous ». Voilà !

Du coup on a un concept simple qui est « confort contre contrôle » : je te donne tout ton confort, donne-moi le contrôle sur tes droits. Et franchement, quand on est auteur, quand on est artiste, quand on veut se faire chier à se laisser habiter par une œuvre pour arriver à la sortir et tout ça mais c’est trop cool ! J’ai envie de dire que c’est un peu comme de la magie, c’est ma reine la bonne fée qui arrive avec sa baguette magique et qui exhausse tous mes vœux. Donc moi j’avais envie d’y croire. Mais voilà ! Je veux bien croire aux fées, je sais que j’en suis une, sauf que je ne crois plus trop en ma reine. Bref ! J’ai commencé à faire des choses comme ça et je me suis fait embaucher par mon employeur qui souhaite rester anonyme pour des raisons que vous comprendrez.
Du coup on a travaillé sur une petite chose, avec Framasoupe, qui s’appelle Dégooglisons Internet. Dégooglisons Internet [3] c’est connu aujourd’hui comme une proposition de 34 services alternatifs aux services des géants du Web. Une alternative à Doodle, à Skype, à Minecraft, à Google Docs, à ceci, à cela. Et des alternatives qui sont éthiques. Donc ça c’est la contre-proposition dans Dégooglisons Internet. Mais dans Dégooglisons, il y avait aussi tout un volet extrêmement important et sur lequel j’ai travaillé en tant que communiquant qui a été d’informer, d’éduquer aux enjeux. C’est passé évidemment par la production d’articles de blogs, de prints, de flyers, de choses comme ça, mais aussi de conférences où on expliquait un peu pourquoi c’était problématique que des grands géants centralisent nos données, nos attentions et des informations sur nous.
Comme j’adore les moments de conférence, puisque mon ego aime bien être au-dessus de vous et que vous vous taisez, du coup j’ai prévu un moment de démocratie participative, juste pour faire le lien avec la conférence d’avant qui était super bien, il faut la regarder si vous ne l’avez pas vue, c’est un petit peu comme chez l’ophtalmo, il va falloir lire les lettres, donc donnez moi les noms de la première ligne.

Google, OK. Ensuite ? Ouais, Oui, ouais… OK. [Apple, Facebook. Amazon, Microsoft, NdT]

Attention, plus on avance dans les lignes, plus c’est compliqué. Ensuite ? Netflix, oui. Airbnb, Ouais. Uber, ouais. Uber un peu moins déjà. Donc GAFAM [Google, Amazon, Facebok, Apple, Microsoft], NATU [Netflix, AirBnb, Tesla et Uber]. Attention l’occidental n’aime pas trop la Chine bizarrement, on ne sait pas trop ce qui se passe en Chine, on est chez les Chinois, Baidu, ouais. Alibaba. Tencent, ouais et Xiaomi, donc les BATX [Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi].
Comme quoi, en fait, Google c’est juste un symbole et même si on démantèle les GAFAM, il y en aura d’autres qui naîtront. Le problème c’est plus un problème mécanique, un problème systémique. Ça travaille en fait, là-dessus, sur cette envie de baguette magique « tu ne t’occupes de rien, je m’occupe de tout ». L’e-mail c’est compliqué. Je vais te faire un Gmail magnifique, ça va être trop beau, en plus tu pourras cliquer partout, tu auras un espace de stockage absolument incroyable et à chaque fois on en rajoute et tout ça. « Tu ne t’occupes de rien, je m’occupe de tout » et là, encore une fois, on est sur le fameux « confort contre contrôle ». Et vraiment encore une fois, on est sur ma reine la bonne fée qui est en train de nous offrir comme ça quelque chose d’absolument magique.
Moi je commence à me poser la question de quand est-ce que le carrosse redevient citrouille, parce qu’il y a peut-être un petit problème. Mais bon, je ne fais pas que bosser dans ma vie, je ne fais pas que aller sur du numérique, il y a des moments où je mange. Je mange plutôt végétarien, cuisine-libre.fr c’est vachement cool comme site si vous ne connaissez pas. Ce n’est pas tous les soirs comme ça chez moi ! J’adore les lasagnes aux champignons, c’est un super recette, je vous la recommande, c’est super cool, mais il y a des moments où j’ai juste la flemme, nous sommes bien d’accord, je ne fais pas tous les soirs un plat de lasagnes.

Le problème c’est que quand je me lâche en mode confort et tout ça, eh bien les lasagnes préparées, il y a quelque chose d’un peu dangereux avec. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce scandale chez Findus où la viande de bœuf dans les lasagnes pré-préparées se retrouvait être de la viande de cheval. Sauf qu’en fait on est sur la même chose au niveau de la bouf industrialisée, de l’agroalimentaire et tout ça, on est en fait sur la même mécanique. Et là on se dit que si la magie ça revient à bouffer du petit poney, il y a peut-être un problème, quand même, à un moment donné !

Finalement c’est quelque chose, c’est une mécanique que je commence à retrouver un peu partout. C’est-à-dire que quand on me demande de choisir entre deux têtes d’affiche, parce que, sérieusement, j’ai bien écouté toutes les discussions politiques de toutes les élections de ces dix dernières années et autour de moi, les gens me parlent extrêmement rarement d’idées ou de programmes, par contre c’est « lui je n’ai pas confiance, il a l’air d’avoir un peu un trop gros ego ; elle, elle a un peu l’air d’une connasse ». On parle de gens, on ne vote pas pour des idées ou des personnes, techniquement je n’ai pas vu de personnes faire ça ou alors à la marge. En fait, on est encore une fois sur ce même truc de « tu sais quoi, donne-moi ton bulletin, donne-moi ton mandat ; pendant cinq ans tu ne t’occupes de rien, je m’occupe de tout. Donne-moi le contrôle et tu auras le confort de ne pas t’emmerder avec les questions politiques ».

Et là, à un moment donné, on se dit que la magie ! Il y a quelque chose de foireux dans ce délire-là ! Parce que finalement, si on parle de liberté, on parle souvent de reprendre le contrôle. Mais reprendre le contrôle, eh bien ça signifie, du coup, quand on est dans cette vision-là, perdre du confort. Et là on est sur une problématique qui n’est pas facile, parce que ce n’est pas facile de perdre du confort ou même, en tant que militants qui veulent inciter les personnes ou en tout cas leur proposer une possibilité d’avoir une meilleure hygiène numérique, de faire un autre monde, de vivre un peu autrement que ce qui nous est proposé, le fait de dire « c’est cool ce qu’on propose, il y a des valeurs, c’est chou et tout ça, par contre vous allez perdre du confort ».
C’est ce qu’on a essayé de faire avec la feuille de route de Framasoft après Dégooglisons Internet, on a parlé de Contributopia [4]. Il y a plusieurs notions dans cette feuille de route et il y a une notion d’effort, il y a une notion où on dit « on va essayer d’outiller la société de contribution. Ça demande de la contribution, ça demande un effort, ça ne va pas être facile ou pratique tout le temps, pas aussi facile ou aussi pratique que les entreprises les plus riches du monde, par exemple, qui peuvent offrir un contrôle qu’on n’a pas. »
Comme la conférence c’est toujours un truc vachement bien parce que c’est vertical et que, du coup, vous êtes anesthésiés, je vous propose de bouger. Imaginons que nous avons une ligne, là au milieu, paf ! comme ça, que ici, sur ce mur-là, vous avez le confort et ici, sur ce mur-là, vous avez le contrôle. Levez-vous, s’il vous plaît, je vous le demande. C’est adorable, merci beaucoup de le faire. Ça n’est pas une obligation ; s’il y a des personnes qui ne veulent pas le faire vous avez le droit, évidemment, de ne pas le faire. Levez-vous et positionnez-vous ; le mur confort est là, le mur contrôle est là et moi je trace une ligne d’ici à la technique qui fait un boulot formidable et je fais des bisous à la technique.

Positionnez-vous dans la salle. Où est-ce que vous allez si vous devez choisir, si vous devez vous positionner « confort contre contrôle » ?
Public : Inaudible.
Pouhiou : Eh bien choisis un domaine si tu veux, en effet, mais on va dire de manière plutôt générale, dans ta vie numérique ; on va faire un domaine vie numérique.

Du coup il y a plein de personnes qui sont prêtes à perdre du confort. Ici, vous êtes sur le contrôle, on est bien d’accord.

Qu’est-ce que vous avez à leur dire, vous qui cherchez à avoir du confort, du coup ? Très bien confort du ventilateur. Important, bien sûr. Bien sûr. En effet quand il fait hyper-chaud ! Vous avez le droit de bouger s’il y a des arguments que vous entendez qui vous parlent, vous avez le droit de changer de position et de changer d’avis. C’est même ça être humain, c’est évoluer et changer d’avis, souvent.

Est-ce que vous voyez à quel point c’est difficile ce positionnement ? J’ai une question là-bas, dis-moi, je la répéterai.
Public : Inaudible.
Pouhiou : On ne peut pas avoir le contrôle sur tout.
Public : Inaudible.
Pouhiou : Confort sur tout, informatique, alimentaire. Bon bref ! En effet c’est compliqué. Vous pouvez vous rasseoir si vous le désirez. Je vous remercie, je vous donne mon positionnement si vous le voulez. Mon positionnement est très clair, je fais partie de la #TeamFeignasse [Photo de chat allongé, NdT] avec fierté et je vais vraiment vers le confort. Dis-moi.
Public : Inaudible.
Pouhiou : Est-ce que confort et contrôle ce sont deux extrêmes ? Je pense que aujourd’hui, malheureusement, c’est le cas notamment dans le monde numérique, mais pas que. Je vais t’expliquer pourquoi. C’est justement la suite de mes slides, donc ça tombe bien merci, mais je pense qu’aujourd’hui on est malheureusement dans cette situation-là. Ça n‘est pas une obligation, ça n’est pas une fatalité, mais circonstanciellement je pense qu’on en est là aujourd’hui.

Typiquement, moi honnêtement j’essaye de gagner du contrôle et de faire des trucs. J’essaye, par exemple, de faire mon tricot, là c’est le moment où je me la pète, ce châle-là c’est moi qui l’ai fait.
[Applaudissements]
Pouhiou : Merci. J’avais dit que j’avais un gros ego mais je ne m’attendais pas à celle-là.

J’essaye de faire des trucs, j’essaye de gérer mon propre serveur, et vous n’aller pas me demander de taper une ligne de Bash [5], c’est sans moi, par contre YunoHost [6] c’est vachement bien, il faut les soutenir, ils font un super boulot et ça me permet de maintenir mon petit serveur à jour.

J’essaye aussi de créer ma propre monnaie. Je vous recommande de vous intéresser au logiciel Duniter et à la monnaie June qui s’écrit Ğ1 [7] ou J, u, n, e, au choix ; j’essaie de créer ma propre monnaie, c’est plutôt cool. J’essaie même de faire ma propre pâte à tartiner avec des étiquettes un peu bizarres. OK, j’essaye de reprendre le contrôle sur certaines choses que je mange, mais en même temps c’est compliqué parce qu’on me demande de trier pour l’avenir, on me demande de d’effacer mes e-mails. Je vous fais une parenthèse sur ça, parce que nous ça nous pète les couilles chez quelques membres de Framasoft, et je fais un gros bisou à Pyg au passage. Orange avec ses e-cleaning days, « effacez vos e-mails et tout ça », il n’y a pas d’écologie derrière ! Il y a un impact écologique ridicule, parce que tu peux effacer 500 e-mails, si tu écoutes de la musique en laissant tourner YouTube, c’est-à-dire télécharger de la vidéo – le streaming c’est du téléchargement – si tu télécharges de la vidéo juste pour écouter de la musique et que tu la télécharges à nouveau à chaque visionnage, mais ça équivaut à combien d’e-mails, une vidéo ? Donc finalement c’est juste Orange qui se fait de la pub en mode « regardez on a des initiatives écolos », d’accord ? C’est cool pour eux, je suis ravi, mais du coup qui font travailler les gens, il faut voir ce que dit Antonio Casilli sur le travail du clic, tout ça en utilisant nos envies d’humains éthiques, en utilisant notre énergie d’humains éthiques et en la canalisant pour leur propre agenda.

Donc je dois trier pour l’avenir, je dois effacer mes e-mails, je dois bien sûr mangerbouger.fr, c’est très important, je dois avoir le réflexe Cyclamed et en plus je dois voter. C’est fatigant, ça prend du temps. Donc moi j’ai du mal à abandonner mon confort pour reprendre le contrôle parce que, je suis désolé, je suis toujours #TeamFeignasse et Bianca, tu peux me juger, je n’en ai rien à foutre. Voilà ! C’est comme ça !
Je vous parlais d’Orange tout à l’heure. J’ai envie de vous raconter une petite histoire parce que je l’ai entendue récemment deux fois, dans un Cash Investigation et après dans Le Monde diplomatique, je crois qu’ils en ont parlé, c’est l’histoire de Keep America Beautiful. Est-ce que vous en avez entendu parler ? Keep America Beautiful c’était une publicité dans les années 70 où un mec dans une Cadillac jette une bouteille en plastique de Coca dans la nature, dans le désert du Nevada, donc il jette par la fenêtre, il s’en va et là tu as le cliché de l’Amérindien en gros plan avec une larme sur son visage. Donc Keep America Beautiful, jetez vos déchets, triez vos déchets. Voilà ! In the fight against litter and pollution, « Dans le combat contre les ordures et la pollution nous avons encore du chemin à faire ».

Keep America Beautiful est un groupe lobbyiste payé par The Coca-Cola Company et tout un tas de gens qui ont fait le choix - je ne suis pas très bon dans les dates, mais je crois que c’est dans les années 60 - d’abandonner le système de la consigne, les bouteilles en verre qu’on ramenait exactement comme cette bouteille de boisson à base de plantes [Pouhiou montre la bouteille en verre, NdT], il y a une consigne et je dois la ramener en bas, c’était le principe qu’ils utilisaient puis ils se sont rendu compte que le plastique leur augmenterait vraiment leurs marges, donc qu’on allait produire des bouteilles jetables, donc produire des futures ordures et, du coup, plutôt que les gens à un moment donné commencent à se rassembler, à nous engueuler à nous dire « vous nous pourrissez un peu la planète », on va dire aux gens « non, non, c’est vous qui pourrissez la planète parce que vous ne mettez pas vos ordures dans les poubelles ». Que les ordures soient dans les poubelles ou pas, en fait quand elles existent c’est un problème. Ce n’est pas parce qu’on le cache qu’il n’y a pas de problème !

Il y une notion derrière de l’homo ethicus, c’est-à-dire que nous aurions toutes et tous en nous des envies d’éthique, un humain éthique à l’intérieur de nous, une humaine éthique, et cette envie d’éthique va être canalisée notamment par les entreprises capitalistes pour qu’elles ne soient pas remises en question dans leur système de production.

Dans le Cash Investigation il y a notamment ce document qui est un document interne à Coca-Cola, chez les lobbyistes de Cola-Cola, qui montre tous les trucs sur lesquels il faut se battre et tout ça, donc la possibilité que cela arrive et l’impact sur notre business : on se prépare à gérer ces points-là, on va surveiller ces points-là et ceux-là il faut se battre contre et ici il y a le fait du retour à la consigne sur lequel il faut vraiment se battre parce que, à la fois ça a une grosse possibilité d’arriver et en plus ça aurait un gros impact sur leur business.

Donc on a ce lobbying qui fait que notre culture est influencée pour canaliser nos énergies et notre comportement.

OK ! Là je vous parle de Coca-Cola. Dis-moi.
Public : Inaudible.
Pouhiou : Avocat du diable, ouais. Attends une seconde il y a un micro qui arrive vers toi.
Public : Est-ce que tu penses vraiment que la consigne c’est une bonne chose sachant que derrière la consigne, pour récupérer les bouteilles, il faut aller les chercher avec un camion qui finalement pollue lui aussi ?
Pouhiou : Je ne suis pas spécialiste de la consigne donc je vais répondre très brièvement que d’après ce que j’ai lu et entendu le système des consignes permettait aussi d’avoir des usines locales de lavage, recyclage et remplissage. Donc ça permettait aussi de relocaliser l’industrie, du coup c’était intéressant parce que, en effet, l’essence coûtant cher, le capitalisme va essayer de faire des économies. Maintenant je m’en fiche fondamentalement ! Ici, dans mon propos, la consigne n’est pas le plus essentiel. Enfin, je ne m’en fiche pas, c’est hyper-important, mais mon propos c’est de montrer que nos comportements sont manipulés par du lobbyisme et par des biais culturels de la publicité, des choses comme ça, afin de canaliser nos énergies. Du coup c’est la perte de liberté, la perte de contrôle social que nous perdons en tant que citoyennes et citoyens qui m’intéresse dans cet exemple-là. Et finalement que la consigne ce soit intéressant ou pas, c’est peut-être secondaire à ce propos-là. Par contre je pense sincèrement que oui la consigne serait un gain au niveau pollution.
Public : D’accord !
Pouhiou : On parle de lobbyisme écologique, ce n’est pas domaine, je vais revenir vers mon domaine, on peut parler de lobbyisme numérique. D’accord ?

Ceci est un tweet, d’ailleurs je l’ai mis deux fois ! Bonjour, ceci est une slide mal faite, je vous ai dit que je n’aimais pas les slides ! Un tweet de @jcfrog parce qu’il a mis en relation l’accord Microsoft/Éducation nationale signé entre Microsoft et la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, madame Najat Vallaud-Belkacem, qui arrivait juste après le projet de loi numérique, la grande concertation populaire dans laquelle il y a eu une question « utiliser le logiciel libre et GNU/Linux dans les écoles et les universités », sur laquelle la population avait voté à 93,3 % pour. Et juste après on nous balance du Microsoft à l’école avec des grands sourires et tout ça. D’ailleurs les bulles qui ont été rajoutées à cette photo c’est « elle est con pourquoi pas la démocratie ! » Donc là on est vraiment sur des questions de lobbyisme, encore une fois.

Quel est notre espace de liberté quand il y a des décisions politiques et culturelles qui sont prises à notre place ?

Quel est notre espace de liberté quand on voit que les usages d’Internet vont dépendre énormément de notre classe sociale ? L’internet des familles modestes de Dominique Pasquier est un super bouquin à lire parce qu’on voit bien que les usages ne sont les mêmes partout, c’est hyper-essentiel comme bouquin. À votre avis quelle possibilité vous avez de prendre soin de votre hygiène numérique ou de vous éduquer aux pratiques numériques quand vous vivez à quatre dans un studio en banlieue ou quand vous avez quasiment zéro Internet et un milieu associatif très pauvre en zone rurale ? Personnellement je viens d’un village où il y avait plus de vaches que d’habitants, littéralement, on était 500 habitants, je vous assure que l’accès à la culture, l’accès à toutes ces éducations et à tous ces savoirs-là n’est pas facile dans ce village-là. Déjà pour se déplacer il faut avoir une mobylette !


Quel espace de liberté avons-nous quand les choix individuels, finalement, impactent la société et notre entourage ? Magnifique article de Aral Balkan, de toute façon si vous voyez du Aral Balkan passer devant vos yeux lisez-le, cette personne est formidable et je l’aime. Aral Balkan qui parle : « Google, c’est comme la cigarette : c’est votre choix mais il impacte les autres ». Aujourd’hui je n’ai pas d’e-mail chez Google, il m’en reste un vieux qui renvoie vers mes vrais e-mails, je n’ai pas d’e-mail chez Google, mais si 80 % des personnes à qui je m’adresse, et encore, c’est en-dessous de la moyenne française, sont chez Gmail, eh bien 80 % de mes conversations sont captées par Google. Donc finalement mes données personnelles, ou « c’est mon choix personnel d’aller chez Gmail », OK, mais ça m’impacte aussi. Finalement quelle liberté individuelle ou quelles données personnelles existent dans ce cadre-là ?

Quel espace de liberté avons-nous quand finalement les neurobiologies, l’agronomie, le design d’utilisation, le design d’interface sont utilisés pour manipuler nos comportements à très large échelle ? Okhin, de La Quadrature du Net [8], parlait hier dans sa conférence de cette expérience que Facebook a publiée en 2012, qui était une expérience de 2010. C’était un test : en manipulant ce qui apparaissait sur le fil d’actualité, en haut du fil d’actualité des utilisateurs et des utilisatrices, permettait de voir si ça modifiait leur humeur. Et bizarrement, quand on ne te met que des nouvelles pourries genre « Ah, non, j’ai raté mon bac ! Fait chier ma mère me gonfle ! Mon patron est un con ! Et merde encore un prune ! », eh bien bizarrement tu vas commencer à déprimer et accessoirement, quand tu déprimes tu cliques sur les pubs et tu achètes plus : ça ça les intéressait pas mal. Par contre, quand on ne te met que des bonnes nouvelles tu vas avoir tendance à moins déprimer. Évidemment cette expérience a été faite sans prévenir les utilisateurs et les utilisatrices qui ont été des cobayes pour Facebook.

Quelle espace de liberté là-dedans ? On est ici sur un article de Tristan Harris pour comment la technologie pirate l’esprit des gens. Tristan Harris, ancien philosophe produit chez Google, il se définit aussi comme magicien, qui s’est complètement barré parce qu’il s’est rendu compte de l’aspect hautement grave de ce qu’il faisait chez Google.

Enfin quel espace de liberté quand il est possible avec à peu près 100 000 dollars, je crois, de faire des publicités extrêmement ciblées auprès de personnes étasuniennes, plutôt noires, qui auraient tendance à voter Hillary mais qui ne la trouvent peut-être pas assez à gauche ou pas assez au point sur les questions de couleur de peau, de choses comme ça, donc d’inciter ces personnes à force de leur montrer des titres et des titres d’articles de blog à ne pas aller voter, parce que c‘est bon, ça ne sert à rien, de toute façon elle va passer et, du coup, à faire élire le candidat Trump ? On ne sait pas si le scandale Cambridge Analytica [9] a réussi à faire élire Trump, il n’y a pas vraiment de moyen de le savoir exactement, mais il y a quand même de grosses suspicions que ça a influencé et que ça aurait coûté 100 000 dollars. Ce n’est pas cher pour une grande démocratie choisir un dirigeant.

Ce n’est pas cool ce que je dis ; ça va ? Franchement ce n’est pas super cool, je ne vous annonce pas des bonnes nouvelles !
On va se faire une petite pause câlin à un moment donné, je vous l’assure, je veux juste vous parler en fait de ce système qui nous prive de liberté, en tout cas dans le monde numérique, qui s’appelle le capitalisme de surveillance, qui est un terme qui a été popularisé par Shoshana Zuboff, qui vient de réécrire un livre dessus récemment.
Shoshana Zuboff [10], je suis désolé, je crois qu’elle est économiste au MIT, mais corrigez-moi et fact-checkez ce que je viens dire, en tout cas c’est une très grande universitaire étasunienne. Dans sa fiche de lecture, Sébastien Broca a fait un super article sur ce bouquin et donne une définition super intelligente du capitalisme de surveillance qui « est ainsi le processus qui transforme nos comportements présents en prédictions monnayées de nos comportements futurs ». En fait, le capitalisme de surveillance outrepasse notre volonté, outrepasse le fait que le client est roi, puisque nous ne sommes plus le client, et encore une fois réduit notre espace de liberté surtout de liberté individuelle, parce que finalement ça outrepasse totalement notre capacité de liberté individuelle.
Attention, capitalisme de surveillance selon Shoshana Zuboff est critiquable et critiqué. Je vous incite à aller vous renseigner sur les articles de Christophe Masutti qui va bientôt sortir un livre sur le capitalisme de surveillance en septembre chez C&f Editions, et qui explique que le problème dans le capitalisme de surveillance ce n’est pas uniquement l’aspect surveillance, ce n’est pas le capitalisme qui a dérapé à cause du numérique et qu’il faudrait réguler pour faire rentrer dans le droit chemin. Le problème du capitalisme de surveillance c’est peut-être aussi un problème de capitalisme qui fait juste ce que fait le capitalisme.

D’ailleurs, en parlant de capitalisme, le bouquin de Shoshana Zuboff est vendu par un éditeur. Et-ce que vous voyez où je veux en venir ? Confort contre contrôle, tout ça ! Je n’ai pas résisté à vous montrer la page de l’éditeur avec ce superbe slogan They’re watching you… with your full consent. La fabrique du consentement est juste là sur ce petit bandeau qui vous dit « acceptez les cookies s’il vous plaît », en bleu. Donc je trouve hyper-intéressant de mettre en valeur le consentement et de le foirer totalement parce qu’on sait très bien que ces techniques-là sont aujourd’huides techniques de fabrique du consentement qui outrepassent le consentement.
Ce qui me permet de faire une petite parenthèse. Si vous êtes libriste, si vous vous définissez comme libriste ou si vous vous intéressez aux enjeux du numérique, aux enjeux de la surveillance et tout ça, j’aimerais que vous preniez un temps pour remercier les militantes féministes qui, pendant des années et des années, des décennies, se sont battues, génération après génération de féministes, pour faire rentrer des notions de consentement dans la loi ; évidemment les féministes se sont battues par rapport à des notions de viol et d’agression sexuelle. Ces notions-là étant rentrées dans la loi, étant rentrées dans tout un tas de choses, ça nous a permis par exemple une définition claire du consentement dans le RGPD [Règlement général de protection des données] [11] . Mine de rien, les luttes des autres permettent d’aider nos luttes et peut-être que nos luttes pourraient permettre d’aider les luttes des autres. Si vous ne connaissez pas la notion de consentement, je vous recommande cette vidéo, vous cherchez « consentement tasse de thé » tout simplement : ce n’est pas parce que la semaine dernière j’ai accepté de boire du thé que tu as le droit de venir chez moi cette semaine et de me forcer du thé à l’intérieur de la gorge. En gros, si je n’ai pas envie d’une tasse de thé, même si tu me la proposes, même si tu l’as préparée, si je n’en ai plus envie, tu n’es pas obligé de me faire boire du thé. Pour comprendre le consentement, cette vidéo est juste essentielle.
Comment ça va ? Si vous voulez vous faire des câlins, si vous voulez qu’on se fasse des câlins, c’est maintenant. Les câlins n’existent que s’ils sont consentis sinon ça s’appelle une agression et pas un câlin. Est-ce que ça va bien parce que ce n’est pas cool quand même tout ce dont je parle ? C’est bon ! En général quand on annonce des mauvaises nouvelles comme ça il y a l’esprit, l’ego qui va faire son boulot d’ego, qui va se mettre sur la défensive : « non mais moi je ne suis pas vraiment touché, je n’ai rien à cacher ; ouais mais moi je fais attention, etc. » Parce qu’on se sent attaqué par des informations désagréables et l’ego est là pour protéger notre esprit, c’est son boulot.

C’est peut-être le moment de faire un petit câlin au moins à l’intérieur de soi. Oui, câlin !
[Une jeune femme vient embrasser Pouhiou]
Pouhiou : Merci à toi. C’est peut-être le moment de se faire un petit câlin au moins à l’intérieur de soi pour dire « OK, oui c’est agressif cette vision-là du monde, ces informations-là sont peut-être agressives. Je pensais peut-être être en sécurité et que mes pratiques étaient saines et non, ça n’est pas le cas, mais en même temps ce n’est pas grave parce qu’on peut faire des choses et on peut réfléchir. »
Comme je vous l’ai dit je viens de la campagne. Du coup moi je me suis dit « ce truc sur nos libertés, ce poids sur nos libertés, je le vois comme un joug. Ce que je vois des géants du Web c’est qu’ils nous posent un joug ». Le joug c’est ce qu’on met sur le dos des bœufs à la fois pour les diriger, diriger l’attelage, donc on nous dirige et c’est vraiment ce que font les GAFAM, Facebook et compagnie, ils dirigent nos comportements, et bien sûr pour profiter de notre traction, pour profiter de notre labeur et de notre labour. Donc on est vraiment sous le joug.

En voyant ce rétrécissement de l’espace de nos libertés individuelles, je me suis demandé quel était le joug, quel était le mécanisme qui permettait de nous asservir comme ça et de nous diriger. Eh bien la réponse était dans le titre : moi j’ai l’impression que c’est lié à notre ego et j’ai trouvé ma réponse en lisant - au départ j’ai lu une traduction espagnole dans El País et je ne parle pas du tout espagnol, j’ai galéré, grave, mais c’était tellement passionnant - Yuval Noah Harari, qui est critiquable sur d’autres visions mais qui et un historien israélo-étasunien, me semble-t-il, je ne veux pas dire de conneries, auteur de Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, Homo Deus : Une brève histoire de l’avenir et 21 leçons pour le XXIe siècle. Il a fait un article [12] sur le big data Google et la fin du libre arbitre, il parle notamment du Dataïsme dedans. C’est un historien, il remet en perspective avec l’invention du libre arbitre qui, dans nos cultures du livre, daterait du Moyen Âge au moment où les religions monothéistes essaieraient de mettre dans notre culture des notions de faute, de péché, de vertu, de vice ; si j’ai un libre arbitre je suis responsable de mes péchés, de mes vices, donc je peux aller au paradis ou en enfer. Culturellement cela viendrait de là selon Yuval Noah Harari. Encore une fois je ne suis pas historien, j’ai juste lu ce qu’il a écrit. Et cette espèce de libre arbitre, de « j’ai le choix », si je regarde à l’intérieur de moi, ce libre arbitre flatte mon ego parce que JE suis en contrôle, J’AI le choix et je vois bien que le capitalisme me fait ça : « Regarde, tu as le choix entre un baril de ceci et un baril de telle autre lessive ». Hé ! Je suis libre. D’accord ? Souvent c’est la même poudre à l’intérieur des deux barils, mais bon, on s’en fout !

Donc je me dis « est-ce qu’il n’est pas temps d’enterrer le libre arbitre ? De dire, finalement OK ! Nous n’avons pas de libre arbitre ». Parce que quel libre arbitre avons-nous quand il y a une omniprésence monopolistique et hégémonique des géants du Web ?

La journaliste Kashmir Hill a essayé pendant une semaine de bloquer chacun des GAFAM et à la sixième semaine de bloquer les six GAFAM dans sa vie numérique. Il faut lire ses articles ; elle n’a juste plus de vie de numérique, c’est d’un inconfort absolu, c’est extrêmement difficile.

Quel libre arbitre avons-nous quand finalement nous sommes du bétail, nous ne sommes plus le consommateur roi ; à une époque, le capitalisme nous mettait dans l’idée que le client est roi. Aujourd’hui c’est Tristan Nitot avec une superbe illustration de Geek and poke qui raconte souvent cette anecdote de deux cochons dans la ferme à bacon qui disent : « Hé, c’est génial, on ne nous ne demande même pas de payer le loyer de la porcherie. En plus la nourriture est gratuite ! » C’est vrai, Facebook c’est gratuit, mais on travaille pour eux. Google c’est gratuit, mais on bosse pour eux et finalement nous sommes leur bétail.

Quel libre arbitre avons-nous quand on gamifie nos comportements et on manipule nos comportements. Le principal modèle économique de Pokémon Go aujourd’hui c’est je m’appelle McDonald’s et je veux que des gens gens viennent dans mon resto, je vais demander à Niantic, la compagnie qui produit Pokémon Go, de faire un raid Pokemon chez moi et il va y avoir plein de dresseurs pokémons qui vont arriver. Je vous signale que Niantic vient de sortir, il y a moins d’une semaine, le petit frère de Pokémon Go qui s’appelle Wizards Unite, qui est Pokémon Go version Harry Potter et qui, évidemment, est encode mieux.

Quel libre arbitre avons nous là-dedans ?

Quel libre arbitre avons-nous quand finalement nos comportements sont unifiés parce que nous sommes fondus dans la masse et qu’on ne voit pas ce qui arrive derrière ? J’aime beaucoup cette illustration de la masse qui a un comportement uniformisé, qui ne voit pas que Zuckerberg arrive en plein milieu de la conférence Samsung.
Finalement est-ce qu’on ne pourrait pas abandonner le libre arbitre ? Je sais que ça fait peur parce que ça veut dire redéfinir les notions de responsabilité, redéfinir les notions de contrôle, redéfinir toutes ces choses-là. Mais est-ce que finalement abandonner le libre arbitre et l’énergie qu’on met à nourrir cette croyance ça ne nous ferait pas du bien parce qu’on récupère de l’énergie ? Et là, d’un coup d’un seul, ah ! on a de la magie qui revient en nous, on a de l’énergie qui revient en nous qu’on peut essayer de mettre ailleurs.
Je vous parlais des luttes autres que les luttes du numérique. Finalement cette énergie, on peut prendre exemple, et plutôt que de se battre pour les données personnelles, les libertés individuelles, on pourrait peut-être se battre de manière collective. Je pense que vous connaissez l’image d’Épinal des petits poissons qui forment un très gros poisson pour manger le gros poisson. Cette image est de David Revoy, tirée de de sa BD Pepper&Carrot, Pepper c’est la sorcière, Carrot c’est le petit chat. Je la préfère à celle de tous les petits poissons uniformes qui forment le grand poisson parce que la bouche est formée par une raie, un fugu, vous avez une tortue, vous avez plein de poissons dans toute leur diversité et ça, bizarrement, ça me parle.

On pourrait peut-être prendre exemple là-dessus et plutôt que penser perso penser collectif.

On pourrait prendre exemple là-dessus et essayer, en tout cas je pense que c’est l’intention qu’on a eue en lançant Contributopia, d’outiller la société de contribution, créer des outils numériques pour ces personnes-là, pour les gens qui, finalement, vont faire des luttes, qui vont défendre nos droits, donc apporter notre pierre à leurs luttes de la manière dont on sait le faire, par exemple en faisant des outils numériques. Ça veut dire qu’on pense moins à nous ! Quand mes potes dev pensent à eux, ils ne vont certainement pas faire une interface graphique par exemple. Parfois, quand on pense aux autres, on va se dire « tiens quelle va être l’expérience d’utilisation des gens à qui je m’adresse et du coup quelle interface je peux faire pour leur faciliter la vie ? » D’accord ?

Du coup faciliter ces luttes ça veut dire se rassembler, ça veut dire s’organiser, ça veut dire se mobiliser et ceux qui connaissent Framasoft - je trouve que je suis un arnaqueur parce que je retombe sur mes pattes à la fin de ma conférence - voient peut-être là où je veux en venir. Typiquement on essaye d’appliquer ça aujourd’hui, en tout cas j’ai envie que nous allions dans ce sens-là, par exemple avec un projet comme Mobilizon [13], sur lequel nous avons fait un crowdfunding. On avait envie de le faire mais on n’était pas sûrs de pouvoir mettre de l’énergie dedans alors qu’on est déjà débordés de partout et de plein de choses et on a demandé aux gens : « Est-ce que vous pensez qu’on doit le faire ? Du coup on a besoin de sous. Donc si vous pensez que vous pouvez, mettez des sous, ça nous donnera un signal de jusqu’où on doit aller ». Voilà ! On a atteint l’objectif de 50 000 euros de financement 12 jours avant la fin de la campagne.

Mobilizon va être un outil vraiment fait pour les militantes, les militants, les activistes, les assos, les gens de l’ESS [Économie sociale et solidaire], les gens de l’écologie, les gens des luttes sociales, des luttes d’identité et de la diversité. Ça a été fait avec des « designeuses » et des designers qui sont allés interroger ces personnes en amont pour leur demander « qu’est-ce qu’il vous faut pour vous sortir de Facebook Events ? »

Nous, on a bien vu les marches pour le climat qui étaient sur les événements Facebook et on s’est sentis merdeux parce que OK, c’est catastrophique que les marches pour le climat soient sur les événements Facebook. Si vous lisez Olivier Ertzscheid sur son blog affordance.info [14], il parle des Gilets jaunes qui se sont organisés sur Facebook et de la bombe démocratique à venir que c’est puisque maintenant Facebook sait pour tout un tas de personnes quels sont les sujets politiques qui sont capables de les faire sortir de chez elles ou pas, qui sont capables de les faire cliquer sur « je me mobilise » ou pas, etc. Donc on a la possibilité d’un Cambridge Analytica aujourd’hui en France. Facebook a suffisamment d’informations politiques sur une grande partie de la population française. Donc c’est assez catastrophique !
Du coup on propose ce logiciel. Il est financé. Si vous voulez mettre des sous c’est gentil, merci et ça servira, évidemment, mais on n’ira pas plus vite, on n’en fera pas plus que ce qu’on a promis c’est-à-dire une version bêta pour cet automne et une version 1 avec les premières fonctionnalités pour début 2020 et après on continuera d’avancer, de nourrir en fonctionnalités. Si vous donnez des sous ça nous permettra juste d’aller plus loin, plus longtemps, d’être sûrs plus longtemps de faire ça.

Le besoin qu’on a aujourd’hui à Framasoft ce n’est pas tant que vous donniez des sous. Si vous voulez participer, si vous voulez contribuer, on a un vrai besoin de faire connaître ce projet-là, ce futur logiciel aux communautés activistes, alters, je ne sais pas quelle grande étiquette mettre derrière ça, en fait aux gens qui changent le monde, qui se rassemblent pour changer le monde et notamment hors de la frontière francophone. Parce que c’est un logiciel qui pourra être utilisé par le monde entier, qui sera fédéré via le protocole ActivityPub, qui a des fonctionnalités qui sont vraiment pensées pour les gens, typiquement une fonctionnalité que j’adore : quand on se créera un compte, on pourra se créer plusieurs identités comme plusieurs avatars. Ce qui veut dire que quand je m’inscris à l’anniversaire de ma nièce, quand je m’inscris à la Pride ou quand je m’inscris à mon club de tricot ou de Krav-Maga, eh bien je ne suis pas obligé de donner la même identité à chaque fois. Je veux bien que ma famille sache que je vais à la Pride, mais est-ce que je veux bien que ma famille sache que je fais du Krav-Maga ? Eh bien non, c’est peut-être intime et personnel. OK ?
Je pense que si on laisse tomber un peu son ego peut-être que ça peut nous donner plus d’énergie pour créer du lien et que nos luttes personnelles sont peut-être plus efficaces en luttes collectives. On va expérimenter tout ça et on va bien voir ce que ça donne. En tout cas je vous remercie.
[Applaudissements]
Pouhiou : Merci pour vos applaudissements, ça flatte mon ego. Est-ce qu’il y a des questions ? On a un peu de temps il me semble pour les questions ? Largement. Aller !
Public : Merci beaucoup pour cette heure passée. C’est super chouette. J’aimerais juste que tu reviennes sur ta proposition de laisser tomber la possibilité d’avoir un libre arbitre qui nous fait bouffer beaucoup d’énergie.
Pouhiou : La croyance, pour moi le libre arbitre c’est une croyance. Vas-y.
Public : Peut-être revenir sur cette idée-là et passer plus de temps, au contraire, à faire du collectif. J’aimerais savoir… Je n’ai pas bien compris en quoi c’est intéressant d’abandonner ce libre arbitre.
Pouhiou : En fait, pour moi, c’est le mécanisme de manipulation. C’est-à-dire qu’à chaque fois qu’on dit : « Attention, il y a un danger là-dessus. – Non, non, moi c’est mon choix, c’est mon libre arbitre, c’est mon machin. » Quand j’ai imaginé cette conférence, je m’imaginais même un moment Frank Lepage et puis je n’ai pas osé, je ne vais pas aller jusque-là. Frank Lepage dans une de ses conférences : « Là, je vais vous parler de notre ennemi à tous, celui qu’on va devoir traquer dans les prochaines années » et là il te sort le mot « projet ». Et en effet, le projet a été un des outils principaux, le concept principal du management qui donne aujourd’hui la start-up nation et tous ces concepts-là.

Pour moi c’est la notion de libre arbitre. Le libre arbitre c’est vraiment le joug, cette image du joug. C’est par ce mécanisme-là qu’on dit : « Vous êtes responsable. Regardez, vous êtes responsable de la pollution avec les bouteilles puisque vous ne les mettez pas dans la bonne poubelle. Finalement vous avez du pouvoir contre la pollution en mettant les bouteilles dans la bonne poubelle » et pendant qu’on fait ça, quelle énergie on met à dire « arrêtez de faire des fucking bouteilles en plastique. On n’en veut pas et c’est notre planète, pas juste la vôtre, industriels. Nous, on n’en veut pas. »

Attention, abandonner ou en tout cas traquer cette notion de libre arbitre, de « c’est votre choix, c’est votre responsabilité, etc. », qu’on nous bassine à longueur de temps et qui, pour moi, nous individualise donc nous isole, traquer ça, ça me semble important, ça peut aller très loin puisque le libre arbitre induit ce sur quoi est bâti notre système judiciaire avec la responsabilité du crime. Finalement, est-ce que la personne qui a volé l’autre personne ou la personne qui a agressé l’autre personne est responsable unique de son crime ou est-ce que nous ne sommes pas responsables d’avoir créé une société où cette personne a fait un crime ? Est-ce que, à un moment donné, nous n’aurions pas à interroger cette responsabilité collective et dire « on a créé cette société, comment est-ce qu’on fait ? Comment est-ce qu’on gère ça ? » Du coup, ça peut peut-être aussi être un traitement différent de la criminalité : plutôt que de dire « tu as été méchant, pan-pan cul-cul », moi je connais ça dans ma culture judéo-chrétienne - j’ai du mal à ne pas dire judéo-crétine, je suis désolé, j’ai cette blague qui me vient tout le temps, je ne veux pas mépriser la chrétienté - dans ma culture il y a le fameux « j’ai péché, j’expie », tu sais.

Pour moi ça n’est pas juste ça, parce que si on fait juste « tu as fait une erreur, pan-pan cul-cul et puis retourne dans la société », on voit bien que les prisons sont de la fabrique à criminalité, de la fabrique à exclusion de notre société. Alors que quand on voit des modèles, je ne sais plus, c’étaient des modèles scandinaves de prisons qui étaient des espèces de grandes fermes à réinsertion où on apprenait aux gens des activités vraiment productrices, faire des carottes, s’occuper des poules, tout ça ; quand on voit - je ne suis pas spécialiste de ces choses-là mais ce sont juste des choses que j’aperçois dans le monde – que le Portugal traite les addictions comme une maladie et non plus comme un crime, donc toute la problématique de la drogue en société est traitée comme une maladie et qu’il y a un véritable effet bénéfique sur la société, on voit une baisse des consommations de drogue et des problèmes liés aux consommations de drogue, on se dit qu’en pensant en responsabilité sociale plus qu’en responsabilité individuelle, sans forcément l’éteindre totalement, on peut peut-être arriver à des choses. C’est l’intuition que j’ai en ce moment. Je ne sais pas si j’ai juste. Je suis juste sur une scène, ça ne veut pas dire que j’ai raison.

D’autres questions ? Est-ce que j’ai répondu ? Ça te va ?
Public : Inaudible.
Pouhiou : Grave et j’adorerais ça en plus.
Public : J’ai une question. Je crois qu’aux États-Unis il y a un projet qui s’appelle Pursuance Project qui vise justement à permettre la mise contact des collectivités d’activistes, qui était en cours de développement. Le projet a été porté par Barrett Brown. Est-ce que votre projet est coordonné avec d’autres projets de ce type ?
Pouhiou : Je n’ai pas entendu parler de celui-là, je ne sais pas si c’est le même. Mobilizon est vraiment une alternative à Meetup ou à Facebook Events. On n’est pas sur la mise en contact de communautés activistes entre elles, on va plutôt être sur un outil à l’intérieur de chaque communauté pour s’organiser sur des actions. Il y aura aussi la capacité dans un groupe de mettre, d’afficher les outils externes. Les outils externes ça peut être des pads d’écriture collaborative ou du Google Docs, on s’en cogne, parce qu’on ne va pas dire aux gens « on sait mieux que vous ce que vous devez utiliser » ; on va peut-être leur donner des conseils, mais on ne va pas les obliger. Donc il faut pouvoir intégrer les outils que les personnes utilisent déjà, mais du coup avoir un endroit où on rassemble les liens vers ces outils externes. Il y a tout un tas de choses comme ça, donc ce n’est pas la même chose.

Évidemment, avant de créer Mobilizon, on est allé voir d’autres communautés. Typiquement le plus similaire, on va parler du projet Get Together qui, pareil, est là vraiment une alternative, limite un clone de Meetup, pour le protocole ActivityPub qui est un protocole de fédération. L’avantage de la fédération - là-dessus je ne me suis pas trop attardé, c’est un concept complexe - c’est que tu peux installer ton serveur Mobilizon, je peux installer le mien. Imagine, toi tu es la faculté et moi je suis Framasoft ; quelqu’un inscrit sur Framasoft peut aller oser l’événement de ta faculté parce que nous sommes interconnectés et synchronisés ; ça c’est le principe de la fédération.

Et Get Together il y a quelque chose d’assez similaire mais eux il y a vraiment une adresse, je ne vais pas dire corporate parce que ça pourrait sembler péjoratif et ce n’est pas le cas, mais en tout cas un clone de Meetup, donc beaucoup plus dans l’organisation de réunions, de trucs vraiment très productifs, etc., et qui est une adresse qui me semble plus vers les travailleuses et les travailleurs, notamment dans les milieux des services ou les cadres et moins vers les milieux activistes. Donc ce sont juste deux logiciels différents et complémentaires, qui pourront interagir puisqu’ils parleront la même langue, le même protocole.

S’il y a d’autres questions. On va pouvoir boire un coup mais je risque de partir assez tôt. Surtout n’hésitez pas à nous contacter, il n’y a pas de tête d’affiche chez Framasoft donc on a une adresse unique de contact et ça peut aller vers tout le monde.
Public : Merci pour la conférence. Je ne sais pas si ma question va être très claire : est-ce le fait d’abandonner le concept de libre arbitre ce n’est pas, vis-à-vis de l‘ego, encore plus le sacraliser ? C’est-à-dire que l’ego n’est plus responsable, la personne n’est plus responsable de ce qu’elle fait, mais elle peut quand même bénéficier de tout ce qu’elle peut faire. Du coup elle perd la responsabilité tout en gardant le pouvoir de faire.
Pouhiou : Je n’en sais rien. Honnêtement je n’en sais rien. Je me pose encore cette question. Moi je pense qu’on est dans un déséquilibre total et vraiment ce que j’observe c’est que l’outil que le capitalisme de surveillance utilise pour justifier toutes les horreurs qu’il fait dans notre société c’est le libre arbitre. Pour moi il y a un déséquilibre, c’est-à-dire qu’on est dans une société du total libre arbitre, de tout n’est que tout libre arbitre, etc. Alors que si tu lis ne serait-ce que la sociologie et tout ça, Bourdieu, je n’ai rien inventé, il y a tout un tas, comment ça s’appelle socialement, les prédicats, les influences sociales ou de classe, etc., qui font que tout ne dépend pas de ton libre arbitre. Si tu t’intéresses au design et tout ça, tu vois bien qu’on peut outrepasser le libre arbitre des gens.

Pour moi, on est dans une croyance totale du libre arbitre et dans une notion du libre arbitre qui est complètement déformée et sur-utilisée. Je demande au moins un rééquilibrage. Attention ! En effet, si on fait zéro libre arbitre, est-ce qu’on ne tombe dans un abandon de la responsabilité et, du coup, dans un égotisme total ? Pour l’instant je n’en sais rien, mais au moins commençons à rééquilibrer parce que le déséquilibre est pour moi flagrant.
Oriane : Coucou Pouhiou.
Pouhiou : Coucou Oriane.
Oriane : Je bondis dans cette discussion. Vous n’êtes pas obligés de vous retourner. Je suis juste un pokémon au fond la salle, tout va bien.

Je rebondis dans cette discussion parce qu‘à mon avis, là, on est à un moment où il serait profitable, justement, de relire la pensée du libre arbitre des Lumières, je ne dis pas celle d’aujourd’hui, mais revenir à celle qu’on a pensée au 18e siècle quand on a commencé à penser le libre arbitre, dans cette articulation avec notamment des notions de droit, avec la séparation des pouvoirs, la responsabilité, toute cette articulation qu’on a pensée à ce moment-là. Ce sont des questions qu’évidemment les penseurs du 18e se sont posées : quel est l’équilibre entre le libre arbitre personnel et la responsabilité que j’ai vis-à-vis de la société ? Est-ce qu’agir sans responsabilité — ça c’est Sartre, c’est un peu après, enfin, beaucoup après — est-ce qu’agir sans responsabilité c’est grave ? Qu’est-ce que ça fait ? D’une part c’est hyper-utile, à mon avis, de relire typiquement la manière dont Kant pense le libre arbitre ; on n’est pas du tout dans du libre arbitre total. La loi morale est à l’intérieur de moi et je ne peux pas faire n’importe quoi avec la loi morale. C’est un libre arbitre extrêmement rigide, en fait, qui a des limites extrêmement claires et extrêmement bornées, qui sont des limites qui sont notamment imposées par une forme de société ; la loi morale c’est en fait une loi sociale.

Je pense qu’on profiterait à relire ça et on profiterait aussi, pour l’équilibre, à relire des choses comme ce que développe notamment Sartre, qui est une pensée difficile, parce que c’est justement une pensée de la liberté dans l’action et uniquement dans l’action, avec cette espèce de vide. Sartre pense après 1945, donc après le grand vide que crée la Deuxième Guerre. Penser aussi un peu au bord du précipice : qu’est-ce que ça veut dire d’être uniquement dans l’action ? Mon intuition est qu’en fait on a fait dériver du libre arbitre quelque chose qui n’en est pas ou qui l’a rendu excessif.

Revenir à ces notions-là, revenir à ces penseurs-là et les relire à la lumière d’aujourd’hui, les relire avec un peu de temps long et de se dire « qu’est-ce que ça veut dire en fait ? C’est quoi la pensée qu’il y a derrière ? Qu’est-ce que ça veut dire en termes de droit à la base ? Comment on a articulé ça jusqu’ici ? Comment on peut le à nouveau l’articuler ?

En fait je pense, et là je rejoins mon petit camarade de l’autre fond de la salle, ça ne voudrait pas forcément dire complètement jeter le libre arbitre, par contre le repenser typiquement à l’aune de la donnée. Il faut repenser le libre arbitre à l’aune des traces qu’on laisse derrière nous. Tout ça, à mon avis, ça doit passer par la relecture de la manière dont on l’a articulé au 17e et au 18e. Je pense aussi qu’on se fait une idée très fausse de ce qu’est le libre arbitre.
Pouhiou : D’accord. Totalement.
Oriane : C’est l’amie de philo quoi !
Pouhiou : Merci. Du coup je me permets de rebondir sur ce que tu dis parce que moi j’ai une envie, en tout cas personnelle, pour mon ego et mon libre arbitre, j’aimerais que ce soit ma dernière conférence dans le milieu libriste, parce que j’ai l’impression d’en avoir fait pas mal et j’ai envie d’entendre des personnes en faire plutôt que de les faire et je me dis qu’il y a plein de diversités qui pourraient s’exprimer donc ce serait cool. N’hésitez pas à reprendre la balle au bond et ce que dit Oriane est vraiment, à mon avis, une belle piste à explorer. Donc n’hésitez pas à prendre ce qui a été fait et à le faire vôtre, à le digérer, à l’adapter et à l’avancer ensuite. C’est ça aussi une des belles qualités du Libre.

On est bons dans le temps ? Merci tout le monde.
[Applaudissements]