Ce que copier veut dire - Copy Party, Communs, Domaine public, Culture libre - 1/3 - Lionel Maurel

Titre :
Ce que copier veut dire (1/3) - Copy Party, Communs, Domaine public, Culture libre
Intervenant :
Lionel Maurel
Lieu :
Conférence [lire+écrire] numérique - Médiathèque de Rezé
Date :
Mars 2013
Durée :
28 min 51
Licence :
Verbatim
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Description

Un cycle de rencontres et de formation à la culture numérique conçu et animé par Guénäel Boutouillet et Catherine Lenoble.

Transcription

Ce matin, je voulais essayer de remettre en contexte cet événement de la Copy Party en parlant tout simplement de l’acte de copier et ce qu’il signifie en général et ce qu’il signifie en particulier, aujourd’hui, dans cette période de développement du numérique qui en change profondément la signification. J’ai appelé ça Ce que copier veut dire, parce que le fait de copier est devenu quelque chose qui n’est plus du tout anodin, qui soulève beaucoup de questions, qui peut poser des problèmes très sérieux, et qui doit nous amener à nous questionner sur la signification de ce geste que nous allons faire tout à l’heure. Et je pense que ce sera intéressant, justement, d’aller copier des documents dans la bibliothèque en ayant cet arrière-plan en tête, pour bien mesurer les enjeux de ces gestes.
Je suis bibliothécaire et juriste. Je suis blogueur sur un blog qui s’appelle Silex [1]. Je m’intéresse à ces questions depuis plusieurs années et j’essaye aussi de réfléchir à la place du savoir et de la connaissance dans la société aujourd’hui, autour notamment d’un collectif que j’ai cofondé avec un autre bibliothécaire qui s’appelle Silvère Mercier, sur les biens communs de la connaissance qui s’appelle Savoirs Com1 [2]. Voilà, c’est de ce point de vue-là que j’aborde ces questions.
Nous allons faire une Copy Party, donc j’ai mis cette image en introduction. C’est un site qui s’appelle Bibliogobelin [3] qui publie ce genre d’images, qui jette un regard un peu décalé sur l’activité des bibliothèques et qui en avait fait un sur la Copy Party justement et qui avait mis cette image de moine dans un scriptorium, qui est une image qui n’est pas du tout anodine, si vous voulez, parce que vous allez voir que la bibliothèque est fondamentalement reliée à l’acte de copier. Les bibliothèques, à la base, n’étaient pas tellement des endroits où on prêtait mais des endroits où on copiait. La bibliothèque d’Alexandrie, son principe de fonctionnement, c’était quand les bateaux arrivaient dans le port, ils avaient obligation de remettre tous les rouleaux qui étaient dans les bateaux, ils faisaient une copie, ils gardaient l’original et ils rendaient la copie aux bateaux. C’est comme ça, fondamentalement, que la bibliothèque s’est constituée par l’acte de copie. Et en plus, on est dans une ancienne église, donc tout ça est un arrière-plan assez intéressant.
La question c’est de se demander qu’est-ce que fondamentalement cela veut dire copier aujourd’hui ? Vous allez voir, qu’en fait, il y a beaucoup de sens, le mot copier charrie beaucoup de sens cachés. Copier, ça peut vouloir dire tricher, par exemple. Copier, certains l’assimilent à l’acte de voler. D’autres vont dire copier c’est aimer. D’autres vont dire copier c’est créer. Tous ces sens-là sont encapsulés, si vous voulez, dans le terme copier et c’est ce qui en fait une sorte de nœud assez complexe à démêler. Moi ce que je voudrais, aujourd’hui, c’est essayer de démêler un petit peu ce nœud.
Je vous ai mis, au début, quelques paradoxes et on va aller en Suède qui est un pays qui est assez concerné par ces questions. Et vous allez voir qu’on arrive à une situation, quelque part, un peu délirante sur ce qui tourne autour de l’acte de copier. Ça c’est en Suède. Il faut savoir qu’en Suède, en 2012, il y a une église, qui a été reconnue comme religion officielle, qui est l’église du Kopimisme [4] qui s’est montée. Cette église est un groupe qui considère que « l’information est sacrée et la copie est un sacrement. L’information a une valeur en soi et cette valeur se multiplie grâce à la copie. » Leur geste sacré c’est le Ctrl+C, Ctrl+V, c’est l’acte du copier-coller. C’est une église. Là par exemple j’ai une vidéo sur Internet où on voit un mariage célébré par un prêtre de l’église du Kopimisme qui a donc marié deux personnes. Donc c’est un groupe religieux qui a élevé la copie au rang de geste sacré. Ça peut paraître quand même assez surprenant d’aller jusque là.
Il faut savoir, en fait, que l’arrière-plan de la Suède est assez complexe. Vous savez aussi que la Suède, peut-être, j’en parlerai tout à l’heure, c’est le pays du Parti Pirate. C’est aussi le pays où est né le plus grand site de partage de fichiers qui s’appelle The Pirate Bay, le Pirate Bay. Et, en fait, ces gens ont fait ça parce que, en ayant la protection du statut de religion officielle, ils espèrent pouvoir copier sans être empêchés par les entraves légales que peuvent être le droit d’auteur, etc. Un peu comme les Rastafari, à une époque, avaient élevé la consommation de cannabis au rang de pratique légale pour pouvoir le faire sans être empêchés par une forme de prohibition. Vous voyez, quand même, que c’est assez représentatif, je trouve, d’une situation un peu embrouillée autour de la notion de copie. Comme je vous le disais la Suède c’est aussi le pays de The Pirate Bay qui est le plus grand site d’échange de fichiers Torrent au monde. Donc là on est sur du partage de fichiers qui sont, en général, des œuvres protégées par le droit d’auteur, et ce site suscite des réactions assez virulentes de la part de ce qu’on appelle les industries culturelles qui l’ont attaqué dans plusieurs endroits dans le monde, en Suède, en Finlande, aux Pays-Bas, en Belgique et qui ont obtenu son blocage. Les trois fondateurs du site, vous voyez en photo, ont été condamnés par la justice suédoise et on a appris, juste hier en fait, que la Cour européenne des droits de l’homme avait rejeté leur dernier recours et donc ils sont passibles de peines de prison et d’amendes assez importantes. L’un d’entre eux a aussi de gros ennuis judiciaires en Thaïlande. Voilà. On est dans une situation où ces personnes, pour avoir mis en place ce site, ont des soucis très importants.
Mais la Suède c’est aussi donc, comme je vous l’ai dit, le pays du Parti Pirate qui est un parti politique, qui a envoyé des représentants au Parlement européen. Il y a deux représentants suédois qui ont été élus comme députés européens et qui siègent au Parlement européen, qui prônent des réformes très importantes du droit d’auteur ainsi que des réformes du fonctionnement de la démocratie elle-même. C’est là où c’est paradoxal, la Suède est aussi le pays où est né un site de streaming légal, là cette fois-ci, qui s’appelle Spotify et c’est le pays, la Suède, où ce service se porte le mieux, avec des croissances de l’ordre de 50 % cette année par exemple.
Si vous ajoutez tout ça, vous avez donc un pays qui a une église reconnue officiellement autour de la copie, qui, d’un autre côté, a le site qui est le plus dans le collimateur des tribunaux, qui est le siège du Parti Pirate, mais qui est le pays où l’offre légale de musique en streaming se porte le mieux. Je trouve que c’est un très bon résumé du paradoxe de la situation actuelle autour de la copie et des contradictions que ça peut soulever. Évidemment je dirais que c’est un peu paroxystique en Suède, mais dans tous les pays du monde on retrouve ces contractions autour de l’acte de copier.
Au cœur de la question on a le droit d’auteur. Pourquoi est-ce que la copie soulève des questions ? C’est parce que cet acte de copie est saisi par un arrière-plan juridique qui est celui du droit d’auteur. Le droit d’auteur appréhende la copie comme un acte de reproduction. La reproduction fait partie de ce qu’on appelle les droits patrimoniaux, qui appartiennent aux auteurs, aux créateurs et à leurs ayants droit qui peuvent être des éditeurs, des producteurs, et le droit d’auteur leur donne un monopole sur cette action. C’est-à-dire que quand vous avez créé une œuvre, vous avez le droit, un droit exclusif, de faire des reproductions de cette œuvre ou d’autoriser des tiers à reproduire votre œuvre. Et pour la loi française, la reproduction c’est « la fixation matérielle de l’œuvre par tout procédé qui permette de communiquer cette œuvre au public de manière indirecte. » C’est une définition très large qui couvre toutes les formes de copie que ce soit le fait d’éditer un livre, vous êtes obligé de reproduire des exemplaires, que ce soit le fait de faire des copies numériques aussi. On le verra tout à l’heure, la loi s’applique aussi à l’environnement numérique. Donc, si vous faites une reproduction d’une œuvre protégée sans autorisation, vous tombez sous le coup d’un délit qui s’appelle la contrefaçon du droit d’auteur, et on verra que c’est un délit qui est assez sévèrement réprimé. Donc voila comment le droit d’auteur appréhende l’acte de copie.
Pour illustrer cette image je vous ai mis des œuvres de street art. Là, en haut, c’est Banksy qui est assez connu, un graffeur qui est assez connu, et là c’est Rero. J’ai mis ça parce que ce sont des gens qui ont un rapport, de toutes façons, à la légalité un peu complexe, parce qu’en général, quand on fait des œuvres de street art c’est illégal en soi de peindre sur des murs et qui ont une réflexion assez intéressante sur le droit d’auteur, aussi bien Bansky que Rero sont assez critiques. Par exemple Rero autorise librement la copie de ses œuvres, ce qui permet de mettre son œuvre sur un support sans aucun souci. Il a fait des choses comme ça assez intéressantes.
Le droit d’auteur a quand même un rapport assez ambivalent avec l’acte de copier. C’est-à-dire que, par exemple, quand vous faites une copie à l’identique, imaginons une personne qui refait un tableau à l’identique, ça va être une reproduction et une contrefaçon si l’œuvre est protégée. Là, pour copier ce tableau-là, vous avez le droit de le faire parce que ce tableau est ancien, on dit il est dans le domaine public et n’est plus protégé par le droit d’auteur.
Il y a une autre notion qui est importante quand on parle de copie, celle de plagiat qui, étrangement, n’est pas dans le code de propriété intellectuelle, mais qui correspond à une condamnation morale de l’acte de copier : c’est le fait de s’attribuer l’œuvre d’un autre, en remplaçant le nom de l’auteur par le sien, et donc en lui déniant ce qu’on appelle le droit de paternité qui est une composante du droit moral de l’auteur, qui est très fortement protégé en France. Ça c’est le plagiat, mais étonnement la notion de plagiat n’est pas dans le code de propriété intellectuelle elle-même.
Il y a aussi une chose qui est importante dans le droit d’auteur c’est que, quand vous faites une création, on ne va vous donner un droit sur cette œuvre que si vous faites un apport original. C’est-à-dire que si vous vous contentez de faire une simple copie comme cette peintre, elle n’aura pas le droit de signer de son propre nom le tableau qu’elle aura reproduit. Ce ne sera pas considéré comme son œuvre. Et ça pose des soucis par rapport à certaines formes de création. Par exemple je vous ai mis trois images-là. Vous avez une photo de livre de cuisine qui représente les ingrédients de la bouillabaisse, ici un tableau de Spoerri, vous savez ce sont les fameux tableaux, les dîners capturés qu’il recouvrait de colle et qu’il mettait à la verticale. Et vous avez une autre œuvre d’art contemporain qui a consisté par le créateur à inscrire la phrase « Paradis » en doré au-dessus d’une porte dans un asile. Alors je vous pose la question, d’après vous, il n’y en a qu’une seule qui est protégée par le droit d’auteur, laquelle ? Spoerri ? Eh bien non ! La seule qui a été reconnue par les juges comme protégée par le droit d’auteur, c’est la troisième. Celle-là a été considérée comme une reproduction trop fidèle de la réalité qui n’était pas originale. Les tableaux de Spoerri n’ont pas été considérés par la Cour de cassation comme « protégeables » par le droit d’auteur ou, au moins, le concept de coller des objets, ça ce n’est pas « protégeable ». Par contre, le fait d’inscrire en lettres dorées « Paradis » au-dessus d’une porte, ça c’est une œuvre de l’esprit pour les juges. Vous voyez, c’est assez complexe.
Alors on est aussi dans une période que moi je considère assez « rapprochable » de celle de la prohibition dans les années 30, de la prohibition de la consommation d’alcool. Pourquoi ? Parce que vous avez un décalage patent entre l’état du droit et l’état des pratiques. C’est-à-dire que sous la prohibition vous aviez une interdiction de la consommation de l’alcool et de la commercialisation de l’alcool, mais c’est notoire qu’une partie énorme de la population s’adonnait à ce genre de pratiques et que les sanctions étaient très dures contre ces pratiques qui étaient pourtant socialement répandues. Et on a, à peu près, la même situation aujourd’hui entre les interdictions du droit d’auteur, qui sont extrêmement fermes et catégoriques sur presque toute forme de copie, et la pratique culturelle. J’aime bien citer cette phrase de Lawrence Lessig [5], qui est un juriste américain, qui a réfléchi beaucoup à ces questions de droit d’auteur dans l’environnement numérique et qui est à l’origine de certaines licences libres dont je vous parlerai tout à l’heure qui s’appellent les Creative Commons et qui dit ceci. À la fin d’une de ses interventions, une conférence, il disait : « Je veux finir avec une chose bien plus importante que l’aspect économique : comment tout cela touche nos enfants. Il faut bien admettre qu’ils sont différents. Nous avions les K7, ils ont les remix, nous regardions la télé, ils font la télé. C’est la technologie qui les a rendus différents et en la voyant évoluer nous devons bien admettre qu’on ne peut tuer sa logique. Nous ne pouvons que la criminaliser, nous ne pouvons en priver nos enfants, seulement la cacher. Nous ne pouvons pas rendre nos enfants passifs, seulement en faire des pirates. Est-ce le bon choix ? Nous vivons en cette époque étrange une prohibition où des pans entiers de nos vies sont en désaccord avec la loi. Des gens normaux le vivent, nous l’infligeons à nos enfants. Ils vivent en sachant que c’est à l’encontre de la loi. C’est extraordinairement corruptif, extraordinairement corrupteur. Dans une démocratie nous devrions pouvoir faire mieux. Faire mieux au moins pour eux et à défaut pour l’opportunité économique ». Et je dois avouer que cette citation m’a beaucoup guidé dans ma réflexion sur ces questions parce que je trouve que ça pose des questions assez graves sur qu’est-ce que ça signifie dans un pays d’avoir une loi posée de manière très dure alors que la pratique, elle, est très largement différente.
La loi est dure et vous savez on a dit « dura lex, sed lex », ce n’est pas un vain mot, la contrefaçon est punie théoriquement en France de trois ans de prison et 300 000 euros d’amende. Et sur le site Numerama, donc Guillaume Champeau qui est là, avait fait une comparaison entre ces peines, trois ans de prison, 300 000 euros d’amende, c’est très puni. Par exemple, en copiant illégalement, vous prenez le même risque que de frapper quelqu’un en lui provoquant un arrêt de travail d’une semaine, d’envoyer par écrit des menaces de mort, de faire des tests biologiques sur des cobayes humains non consentants. Et vous prenez plus de risques que de harceler sexuellement quelqu’un, de profaner un cimetière ou de ne pas payer son hôtel ou son taxi ou son restaurant. Donc on voit quand même, dans l’échelle symbolique, si vous voulez, la contrefaçon est très sévèrement punie.
Alors évidemment, ces peines ne sont pas appliquées par les tribunaux. On n’a pas d’exemple de personne, de simple on va dire citoyen, qui ait fait une copie, qui ait été attaqué en justice et qui risque trois ans de prison ou 300 000 euros d’amende. De la même façon que vous avez le dispositif mis en place par la loi HADOPI de déconnexion de citoyens, a abouti à l’envoi de centaines de milliers, de millions même d’avertissements, mais que pour l’instant en justice, on a juste eu un cas de condamnation avéré.
Mais qu’est-ce que ça signifie de condamner une chose aussi fermement et de ne pas appliquer ces peines ? Symboliquement, qu’est-ce que ça nous dit ? Il y a un auteur de science-fiction qui s’appelle Cory Doctorow qui a écrit un roman, qui s’appelle Pirate Cinema, où il imagine une société qui appliquerait vraiment ces peines. Qu’est-ce qui se passerait si tous les foyers où du téléchargement illégal était opéré, se faisaient vraiment déconnecter d’Internet ? Qu’est-ce qui se passerait si on envoyait vraiment les gens trois ans en prison pour de la contrefaçon ? Et ça donne un roman qui est assez intéressant à lire parce que ça tourne vite à quelque chose de très dystopique qui finit par une forme de rébellion et de révolution violente assez flagrante.
Et puis on est dans une période de confusion aussi. On voit ça beaucoup dans les chiffres qui circulent sur cette question. J’aime beaucoup cette vidéo qui s’appelle Copyright Math, qui a été faite par un humoriste américain, qui a pris si vous voulez, les chiffres avancés par les industries culturelles pour expliquer le préjudice que leur cause la piraterie. Et les industries américaines du cinéma estiment que les pertes dues au piratage équivalent à 58 millions de dollars et 350 000 emplois perdus. Et lui, en fait, il a tout simplement comparé ça à la réalité des emplois et il s’est rendu compte que l’industrie du cinéma, par exemple, n’a jamais eu plus de 250 000 emplois aux États-Unis. Voilà ! Que 58 milliards de dollars c’est plus que l’ensemble de toute la production agricole américaine, qui est quand même la première puissance américaine au monde. Et les industries du cinéma, estiment, quand elles attaquent quelqu’un, qu’une copie leur cause 150 000 dollars de perte. Il en a déduit que sur un iPod, un iPod rempli de contenus piratés vaut 8 milliards. Lui il en déduit que certainement, pour expliquer ces pertes, il faut envisager une piraterie extraterrestre et il a fait un roman où il envisage qu’il y ait une piraterie extraterrestre. C’est assez drôle. Ça paraît drôle mais c’est vrai, en fait, c’est ce qu’ils demandent en justice. Là récemment quelqu’un a été arrêté pour avoir uploadé, c’est-à-dire mis en ligne le dernier album de Beyoncé, et Sony lui réclame 180 000 euros de dommages et intérêts, alors que cet album s’est vendu à un million d’exemplaires et qu’il est disque de platine.
La question c’est comment est-ce qu’on en est arrivé là ? Comment est-ce qu’on a pu arriver à ce que l’acte de copie devienne une chose aussi problématique d’un point de vue légal, d’un point de vue économique, d’un point de vue politique ?
Quand on est dans ce genre de situation, je pense que le mieux c’est de se plonger un peu dans l’histoire, parce qu’en général ça nous dit beaucoup, et de se demander qu’est-ce que ça a signifié dans l’histoire de copier ; vous allez voir que l’histoire a des choses à nous dire là-dessus. Dans ces cas-là, moi j’aime bien aller vraiment aller au fond des choses. Revenons au tout début de la création, allons à l’âge des cavernes qu’est-ce que ça signifiait de créer à cette époque ? Je vous conseille vraiment beaucoup ce livre [6] qui vient de paraître sur la création dans les cavernes et la manière dont les grottes de Lascaux ou la grotte Chauvet ont été peintes. Pendant longtemps c’est resté une très grande énigme de savoir comment ces personnes, enfin nos ancêtres, ont pu peindre de cette façon sur les murs et finalement l’hypothèse qu’avance ce livre, et qui est assez intéressante, c’est que pour peindre ces animaux, les hommes préhistoriques ont certainement utilisé des petites sculptures qu’ils mettaient au bout de bâtons et, avec un feu en arrière-plan, qui projetaient l’ombre sur le mur et qui leur permettaient de détourer, simplement, les contours pour peindre sur les murs. Et si vous voulez, moi quand j’ai vu ça, je me suis dit, en fait, que ce que ça montre c’est que les premières créations humaines ont peut-être été, à la base, des copies. Parce que si la création se faisait de cette manière, ça veut dire que la création se faisait directement par un acte de recopie de contours d’une autre chose déjà, etc. Je trouve ça assez intéressant dans le processus. Je ne sais pas si vous savez, mais la mythologie a peut-être gardé une trace de ça, parce qu’il y a un mythe grec qui dit que l’origine de la peinture ce serait une femme qui, son amant allant partir à la guerre, aurait peint son profil sur un mur avec un morceau de charbon, pour garder sa trace sur le mur alors qu’il n’était plus là ensuite.
Peut-être que dès l’origine, entre la copie et la création, il y a un rapport qui est très profond. Et si vous voulez, l’étymologie aussi a gardé une trace de ça. Quand on regarde, en fait, les mots « œuvre » et les mots « copie » on se rend compte qu’ils ont la même origine en sanskrit, ça vient d’une racine sanskrite qui est OP, O, P, et on le retrouve, œuvre en latin c’est Opus, Opera et copie c’est cOPiare, cOPia. Donc on retrouve ce OP dans les deux mots, et quand on étudie l’origine de ces mots, on se rend compte que ça remonte à cette racine sanskrite qui est l’activité productrice, le fait de produire des choses. Et c’est aussi le même mot qui a donné ensuite « abondance », par le biais d’une autre racine qui est opulencia, OP encore une fois. C’est le même mot aussi qui a donné usine. Donc voilà. On a cette origine et ça, ça nous dit quelque chose de très profond, le rapport entre la création et la copie. Et pendant longtemps, dans l’histoire, créer était absolument indissociable du fait de copier. Dans la statuaire antique, par exemple, les Romains ne faisaient que copier leurs prédécesseurs grecs et c’était un processus à part entière de l’acte de copie. L’Apollon du Belvédère est une copie romaine d’un sculpteur grec qui s’appelait Léocharès, et c’est comme ça dans tous les domaines. Au Moyen-âge, les livres ne se concevaient que par la copie. On recopiait les livres de l’Antiquité et on copiait en ajoutant des choses qui pouvaient être des annotations ou des enluminures, mais toute production était fondamentalement copie.
Pendant longtemps aussi, la notion d’auteur était absente. Les œuvres étaient anonymes, la création était collective. La pyramide de Khéops porte le nom de son commanditaire : c’est celui qui finançait la création qui laissait son nom sur l’œuvre et Notre Dame de Paris, on ne sait pas les noms des personnes qui l’ont faite. Parfois sur les pierres il y a des poinçons, mais en fait c’est beaucoup plus des marques d’artisans qui voulaient être rétribués au nombre de pierres qu’ils avaient faites, qu’une vraie signature. Et en fait, la signature apparaît à la Renaissance, à partir du moment où vous avez des personnes comme Dürer, Albrecht Dürer, qui peut être considéré comme le premier à avoir signé ses toiles, avec le monogramme qu’on retrouve dans ses tableaux, le AD et Albrecht Dürer, dès qu’il rentre dans cette logique de signature et d’affirmation de lui-même comme auteur, on tombe dans un problème avec la copie. Là je vous ai mis un petit texte qu’il avait inséré en préambule d’un recueil de gravures qui dit : « Malheur à toi voleur du travail et du talent d’autrui. Garde-toi de poser ta main téméraire sur cette œuvre. Ne sais-tu pas que le très glorieux empereur romain Maximilien nous a accordé que personne ne soit autorisé à imprimer à nouveau ces images à partir de faux bois, ni à les vendre sur tout le territoire de l’empire ? Si tu fais cela par dépit ou par convoitise, sache que non seulement tes biens seraient confisqués, mais tu te mettrais également, toi-même, en grand danger ». C’est la première mention de copyright attestée, si vous voulez, qui était quand même assez vindicative. Donc il a inséré son monogramme sur toutes ses œuvres et il a attaqué en procès un autre graveur qui s’appelait Marcantonio Raimondi, qui, pendant ce temps-là était en Italie, et qui recopiait ses gravures, d’une manière très fidèle en ajoutant même son monogramme. C’est-à-dire que Raimondi signait lui aussi AD. Et il y a un jugement d’un tribunal à Florence qui a condamné Raimondi, pas pour avoir fait des copies, mais pour avoir utilisé le monogramme AD. Raimondi a pu continuer à faire des copies, sans mettre le monogramme, et sa signature est devenue un cartouche vide. Raimondi signait avec le cartouche mais sans rien à l’intérieur. Donc vous voyez, dès la Renaissance on a cette tension.
Après, forcément, c’est l’imprimerie qui nous a plongé dans une rupture fondamentale parce que ça a permis de multiplier les copies, et un petit peu plus tard, on a les premières législations qui arrivent sur le droit d’auteur, le statut de la reine Anne, en Angleterre, en 1710, et finalement, en France, c’est à la Révolution, après les actions de Beaumarchais, qu’on a le droit d’auteur qui est consacré dans la loi comme un droit.
Pendant tout le 19ème, ce qui se passe c’est qu’on a un phénomène qui est l’augmentation de la durée du droit d’auteur, qui explose. À la base c’était seulement dix ans après la création de l’œuvre. Aujourd’hui on en est à soixante-dix ans après la mort de l’auteur, ce qui équivaut à des durées de cent quarante, cent cinquante ans après la publication de l’œuvre. On a tout ce phénomène avec des gens comme Victor Hugo qui se sont battus pour le droit d’auteur.
Plus tard, on a aussi, à la fin du 19ème siècle, au début du 20ème siècle, une explosion des moyens techniques qui permettent la diffusion et la copie des œuvres : la photographie, le phonographe, le gramophone, le cinéma, la radio, la télé, le magnétoscope. Et ce qui est intéressant c’est que, à chaque fois, il y a eu une peur panique d’une catégorie professionnelle qui s’est sentie terriblement menacée. Par exemple, quand Edison a fait son invention, les orchestres se sont sentis terriblement menacés. La photo, les peintres se sont sentis terriblement menacés, etc. La radio, les théâtres se sont sentis extrêmement menacés. Il y a toujours eu une réaction assez virulente, mais le droit d’auteur, et ça c’est quand même assez exceptionnel, s’est toujours adapté, jusqu’au magnétoscope là, qui a suscité des débats très importants, qui a donné naissance à un mécanisme spécial qui va s’appeler la copie privée, qui va nous permettre, légalement, de faire des copies avec des appareils de type magnétoscope, et c’est cet élément-là qui va nous permettre, tout à l’heure, de faire des copies dans la bibliothèque ; c’est le même élément, ce qu’on appelle l’exception de copie privée, une exception au droit d’auteur qui nous permettra, tout à l’heure, de faire des copies dans la bibliothèque.
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Références

[1Silex

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.