Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : L’engagement de Télécom Saint-Étienne, école d’ingénieurs, pour le logiciel libre, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Également au programme la chronique de Marie-Odile Morandi sur la déontologie pour la filière électronique et Jean-Christophe Becquet nous présentera sa pépite libre, le livre de Jean-Michel Cornu La coopération, nouvelles approches. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.
Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Soyez les bienvenus pour cette 92e édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’April c’est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes le mardi 2 février 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui, pour sa première, Adrien Bourmault assisté de ma collègue Isabella Vanni. Salut à vous.
Adrien Bourmault : Salut.
Étienne Gonnu : Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.
Vous pouvez aussi participer à nos échanges en appelant le 09 72 51 55 46, vous retrouverez le numéro sur le site de la radio.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.
Tout de suite place au premier sujet.
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Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi, animatrice du groupe Transcriptions et administratrice de l’April, sur le thème de la déontologie pour la filière électronique
Étienne Gonnu : Nous allons commencer par « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi.
Aujourd’hui, Marie-Odile, je crois que tu vas nous parler du thème de la déontologie dans la filière électronique.
Marie-Odile Morandi : Oui, bonjour Étienne, tout à fait.
Récemment deux transcriptions ont particulièrement retenu mon attention dont les intitulés sont « Le numérique peut-il être écologique et responsable ? » et « Concevoir de manière responsable, l’exemple de Fairphone ». Vous trouverez les liens vers ces deux transcriptions sur la page des références concernant l’émission d’aujourd’hui, sur le site de l’April.
En 2018, on comptait 15 milliards d’équipements numériques – ordinateurs, consoles de jeu, smartphones. On en prédit 65 milliards en 2025. À l’heure actuelle il y aurait 8 milliards d’abonnements mobiles dans le monde, plus que d’êtres humains.
Certes, nous avons tous constaté récemment que ces formidables équipements sont devenus indispensables dans des secteurs comme le monde médical, le monde de l’éducation et bien d’autres. Mais ils sont aussi une source importante d’impacts environnementaux. Ces impacts sont concentrés principalement au moment de la fabrication des équipements, au moment de la production de l’électricité qui va les alimenter et au moment de leur fin de vie, quand ils deviennent des déchets qui sont mal ou pas recyclés.
Dans un téléphone portable on compte à peu près 200 composants fabriqués à partir d’environ 40 matériaux différents dont ce qu’on appelle les terres rares, utilisés aussi pour les éoliennes et les panneaux photovoltaïques, donc l’énergie dite renouvelable, l’électronique, les véhicules électriques. L’exemple des smartphones s’applique à la globalité de l’industrie électronique.
La phase de fabrication est celle qui concentre à elle seule trois quarts des impacts. Elle se déroule dans des pays émergents éloignés de la zone européenne, souvent sur des arrières-fonds de confits armés et de corruption. Les forêts primaires sont rasées, les écosystèmes détruits sur des hectares. Dans les mines, il faut déplacer de grandes quantités de matière pour récupérer des quantités relativement petites de produits utiles ; c’est le cas des terres rares dont les ressources s’épuisent.
La roche ou les minerais sont alors dissous à l’aide de produits toxiques pour récupérer ces métaux, phase très polluante, vorace en eau, avec détournement de l’utilisation de l’eau potable et contamination des sols et des fleuves.
Les conditions de travail sont très difficiles, voire dramatiques. Ce sont souvent, entre guillemets, « des auto-entrepreneurs » qui vont, avec leur propre matériel plus ou moins performant, creuser des tunnels, sans aucune régulation. Un million d’enfants travaillent dans ces mines pour un ou deux euros par jour.
L’assemblage du produit final a lieu principalement en Chine où la main-d’œuvre est un petit peu moins chère, même si c’est de moins en moins le cas.
On estime à 53 millions de tonnes la quantité annuelle de déchets électroniques dont moins de 20 % sont collectés, recyclés de manière efficace, sans polluer, dans une usine reconnue officiellement. On ne sait pas ce qu’il advient des 80 % restant.
Le constat étant fait, il faut maintenant réveiller les consciences et c’est ce que font les intervenants et intervenantes dont les propos ont été transcrits : Agnès Crépet et Alix Dodu de Fairphone, Frédéric Bordage de GreenIT qui était intervenu dans l’émission Libre à vous ! du 17 septembre 2019, Vincent Courboulay, maître de conférences en informatique à La Rochelle Université et Sophie Comte, cofondatrice du magazine Chut !.
Devons-nous, utilisateurs et utilisatrices, suivre la mode pour nos outils technologiques sur lesquels sont développées des fonctions, avouons-le, pas très utiles, dont le modèle économique est basé sur la notion de désir ? Or nous Européens, occidentaux des pays riches, donnons des signaux de ce qui est fun, de ce qui est cool, quasiment au reste de la population. Est-ce raisonnable ?
L’équipement le plus vert c’est celui qu’on ne fabrique pas et nos usages numériques les plus respectueux de la planète sont ceux qu’on modère le plus possible. Prendre soin de son terminal, smartphone ou ordinateur, pour pouvoir l’utiliser longtemps permettra de réduire son empreinte numérique.
D’où la nécessité de prendre en considération le réemploi. Donner une seconde vie à nos équipements numériques, les reconditionner, les remettre à un état quasi neuf pour qu’ils puissent être réemployés, devient fondamental.
De plus en plus de Français sont intéressés par l’achat en reconditionné. Il y a donc bien envie d’une consommation plus responsable. La filière réemploi se développe principalement au travers de l’économie sociale et solidaire ; ce sont des emplois locaux, d’insertion ou liés au handicap, non délocalisables, un formidable terreau d’emplois.
Nous, utilisateurs, avons les cartes en main. Chacun d’entre nous peut agir à son humble niveau.
Les pouvoirs publics ont aussi leur rôle à jouer. Les intervenants se montrent optimistes et affirment qu’il y a une prise de conscience récente de la nécessité d’encadrer cette filière reconditionnement-réemploi avec quelques promesses pour l’année 2021.
Des standards internationaux existent depuis plus d’une dizaine d’années concernant la prise en compte des aspects environnementaux dans le cycle de vie des produits. Des dizaines d’entreprises éco-conçoivent concrètement des services numériques. Fairphone en fait partie et son approche est l’exemple à suivre : penser une écoconception qui consiste à inclure dès la fabrication les impacts environnementaux, sociaux et humains du produit.
Fairphone est une société néerlandaise qui fabrique un téléphone, mais ce téléphone est un moyen, absolument pas une finalité. Son objectif est de lever l’opacité, d’expliquer les chaînes d’approvisionnement et divulguer son savoir librement à d’autres, consommateurs ou fabricants de téléphones, mais aussi à l’industrie électronique au sens large. La fabrication d’un téléphone de façon éco-conçue donne aux militants de Fairphone légitimité et crédibilité afin d’influencer d’autres partenaires et favoriser la transition vers une industrie électronique plus vertueuse.
Certes le prix de ce téléphone durable et éthique est conséquent, mais sans doute plus juste : des contacts sont tissés avec les ONG et les gouvernements locaux pour s’assurer que les matériaux utilisés ne sont pas entachés de sang, pour permettre petit à petit de combattre le travail des enfants dans les mines, améliorer les conditions de travail des mineurs artisanaux ainsi que les conditions de vie des travailleuses et travailleurs au moment de l’assemblage dans les pays asiatiques. De plus, ce téléphone est constitué de modules indépendants. Il est facilement démontable. C’est un téléphone réparable.
Le sujet des logiciels est évoqué, mentionnant qu’il existe des solutions alternatives à Google et Apple. Chez Fairphone, on travaille à rendre disponibles des mises à jour durables dans le temps, nécessaires à la longévité du produit.
Certains et certaines d’entre vous connaissent peut-être Serge Latouche, un auteur dont j’ai particulièrement apprécié les ouvrages. Professeur d’économie, il a développé au début des années 2000 le concept de décroissance, une décroissance soutenable.
Actuellement on a forgé des expressions et des démarches comme « sobriété numérique » ou « numérique responsable ». L’objectif, derrière, est bien le même : aider au quotidien les citoyens à réduire leur impact environnemental en réfléchissant en amont à la réelle nécessité de l’acte d’achat – l’objet le plus durable reste celui que l’on possède déjà – en faisant un choix éclairé au moment de l’achat – l’objet est-il réparable ? – et en ayant un usage raisonné et raisonnable du numérique. Vous trouverez, en lisant les transcriptions, divers conseils utiles et faciles à mettre en œuvre par chacun d’entre nous.
Nous sommes toutes et tous concernés, individus, entreprises et pouvoirs publics. L’expérience de Fairphone, la remarquable démarche vertueuse de ses militants et militantes, est un modèle de déontologie à faire connaître au plus grand nombre. Oui, il est possible de rendre nos équipements plus durables. Oui, il est possible au moment de leur fabrication de prendre en compte non seulement les problématiques environnementales, mais aussi les problématiques sociales et humaines, c’est-à-dire penser aux hommes, aux femmes et hélas aux enfants qui sont derrière chaque appareil.
Étienne Gonnu : Merci Marie-Odile pour ce sujet ô combien important. D’ailleurs je trouve que tu fais intelligemment le lien entre les enjeux environnementaux et les enjeux sociaux qui sont justement inséparables, en réalité. Je vais profiter de ta chronique pour saluer Frédéric Bordage, que tu as mentionné, avec qui nous avions agi sur le projet de loi économie circulaire, pour lutter contre l’obsolescence logicielle. On va également en profiter pour saluer le travail d’Antanak, une association basée justement sur le don et le partage, qui fait de la récup de matériel informatique qui est reconfiguré avec des logiciels libres et qui nous propose chaque mois une chronique justement dans Libre à vous !, « Que libérer d’autre que du logiciel ».
Merci beaucoup Marie-Odile. Je vais te dire bonne journée et au mois prochain.
Marie-Odile Morandi : Peut-être au mois prochain. Merci à vous. Bonne émission.
Étienne Gonnu : Salut Marie-Odile.
Nous allons faire une pause musicale.
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Étienne Gonnu : Aujourd’hui notre programmateur musical, Éric Fraudain, du site auboutdufil.com, nous fait découvrir l’artiste Your Friend, Ghost, un duo formé par Matt et Jesse Chason, deux cousins originaires de la région de l’Hudson Valley dans l’État de New York. Le premier morceau s’intitule Nowhere Known. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Nowhere Known par Your Friend, Ghost.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Nowhere Known par Your Friend, Ghost, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By, qui permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage de cette musique pour toute utilisation y compris commerciale, à condition de créditer l’artiste, le nom, la source du fichier original, d’indiquer la licence et d’indiquer si des modifications ont été effectuées. Vous retrouverez les références sur causecommune.fm et april.org, ainsi qu’une présentation de l’artiste sur le site auboutdufil.com.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et en DAB+, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Passons maintenant à notre sujet suivant.
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L’engagement de Télécom Saint-Étienne, école d’ingénieurs, en faveur du logiciel libre avec Jacques Fayolle et Pierre-Yves Fraisse respectivement directeur et directeur des systèmes d’information de Télécom Saint-Étienne
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur l’engagement de Télécom Saint-Étienne, une école d’ingénieurs qui s’engage pour logiciel libre avec Jacques Fayolle directeur de l’école, justement, et Pierre-Yves Fraisse, directeur des systèmes d’information. Est-ce que vous êtes avec nous ?
Jacques Fayolle : Bonjour.
Pierre-Yves Fraisse : Oui. Bonjour.
Étienne Gonnu : Bonjour.
J’invite tous les auditeurs et les auditrices à nous rejoindre sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat », si vous avez des remarques à partager, des questions pour nos intervenants.
Je vais commencer par une question sans doute très classique : est-ce que vous pourriez, chacun à votre tour, vous présenter en quelques mots ?
Jacques Fayolle : Jacques Fayolle, je suis le directeur de l’école. Je suis par ailleurs enseignant-chercheur dans le domaine de l’informatique et je préside la conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs qui est une structure qui regroupe la totalité des écoles d’ingénieurs en France. J’ai le plaisir de diriger cette école depuis huit ans.
Pierre-Yves Fraisse : Pierre-Yves Fraisse. J’intervenais dans le privé en tant que conseil, essentiellement autour de l’intégration des logiciels libres, pendant une bonne vingtaine d’années et j’ai rejoint Télécom en tant que DSI il y a presque un an. J’intervenais déjà depuis une dizaine d’années autour des thématiques des réseaux et systèmes et de l’évolution des maquettes pédagogiques sur ces thématiques.
Je suis désolé. Vous devez peut-être entendre une sirène derrière nous. Il se trouve qu’on a une alarme incendie, mais j’espère que ça ne devrait pas trop durer.
Étienne Gonnu : D’accord. En tout cas, j’espère que vous êtes en sécurité.
Pierre-Yves Fraisse : À priori oui, on espère !
Étienne Gonnu : On croise les doigts. N’hésitez pas à nous dire, on ne voudrait être responsables de votre mise en danger.
Très bien. Pierre-Yves Fraisse, vous avez évoqué, du coup, votre parcours, vous avez déjà agi avec le logiciel libre.
Avant qu’on rentre dans le thème de l’émission, j’aimerais bien déjà savoir, en une minute, ce qu’est le logiciel libre pour vous, qu’est-ce que ça vous évoque spontanément ? Quand vous rencontrez quelqu’un et que vous parlez de logiciel libre, comment vous lui présentez ce que c’est ? Pierre-Yves Fraisse, directeur des services d’information de l’école.
Pierre-Yves Fraisse : Qu’est-ce qu’est ? En fait, il y a une grosse question : à qui on parle ? Si on parle à des gens qui ne sont pas particulièrement dans le monde informatique, c’est quelque chose d’assez flou et, quand ils connaissent, ils voient ça comme « ah, ce sont des logiciels gratuits » et « oui, mais c’est quand même souvent un petit peu du bricolage ». Quand on travaille plus avec des professionnels, ils connaissent un petit plus les choses. Là où c’est plus délicat de les convaincre c’est sur le fait que ce n’est pas parce c’est libre que ce n’est pas de qualité et, je dirais même, au contraire. Il suffit de regarder les statistiques d’utilisation, par exemple le nombre de serveurs web dans le monde qui fonctionnent, ils sont pratiquement à plus de 80 % sous Linux. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est la réalité. Aujourd’hui, si on enlève le logiciel libre, Internet ne marchera plus beaucoup. Il faut arriver à les convaincre de ça.
Étienne Gonnu : C’est sûr. Il n’y a pas d’informatique sans logiciel libre, c’est évident, et l’informatique de qualité sans logiciel libre n’est pas envisageable non plus, effectivement.
Merci pour ce regard. Jacques Fayolle, vous souhaitez intervenir, répondre à cette question ?
Pierre-Yves Fraisse : Jacques vient malheureusement de nous quitter quelques instants pour essayer quand même de voir, vu que si ça s’éternise, si on est réellement dans une problématique d’incendie ou pas. Je vais répondre aux questions tout seul, pendant quelques instants, le temps qu’il revienne. Le revoilà. Il n’y a pas de vrai problème.
Étienne Gonnu : C’est une bonne chose à entendre. Ce sont les aléas du direct.
Jacques Fayolle, Pierre-Yves Fraisse nous répondait sur son regard, quel regard il porte sur ce qu’est le logiciel libre, ce que ça évoque pour lui. Qu’est-ce que ça évoque pour vous le logiciel libre, en quelques mots ?
Jacques Fayolle : C’est à la fois un outil et un objectif. C’est-à-dire que pour des questions de souveraineté, de maîtrise de ses systèmes d’information et, quelque part, des données de nos utilisateurs, on s’aperçoit que c’est une approche qui a un certain nombre de vertus que je ne vais pas expliquer à vos auditeurs qui sont, sans doute, plus au fait de ces choses-là que moi-même. C’est à la fois un outil et un objectif. D’une part on s’aperçoit que pour nos étudiants ce sont, quelque part, des compétences qu’ils vont déployer demain dans leur vie professionnelle et que ça correspond aussi à une forme d’attente de donner du sens à leur formation. Quelque part c’est une approche j’allais dire presque philosophique du système d’information, qui correspond aujourd’hui à une attente de nos étudiants et demain des futurs professionnels qui vont les recruter.
Étienne Gonnu : Je pense qu’on peut parler d’approche philosophique, éthique, politique. En tout cas, à l’April, nous ne nous en privons pas, d’ailleurs la présidente de l’April est professeur de philosophie, pour tout vous dire.
Je pense que vous avez donné une belle entrée en matière sur les motivations qui vous ont portés à engager Télécom Saint-Étienne pour le logiciel libre. Il serait intéressant de connaître effectivement ces motivations, les stratégies que vous avez mises en place, comment vous les mettez en œuvre et ainsi de suite.
Je pense qu’il serait peut-être utile, avant cela, pour situer un petit peu aussi de quoi on parle, d’entrer un peu plus dans les détails de ce qu’est une école d’ingénieurs, les formations que vous proposez, d’où vous partez. Pour commencer, une question en fait très générale, c’est quoi Télécom Saint-Étienne ?
Jacques Fayolle : Télécom Saint-Étienne est une école d’ingénieurs publique qui est à la fois interne à l’université Jean Monnet et affiliée à l’institut Mines-Télécom, où au travers d’une structure universitaire classique on porte des formations et au travers de l’association à l’institut Mines-Télécom on affiche notre cœur de métier qui est celui du numérique.
Ce qui différencie peut-être un petit peu Télécom Saint-Étienne d’autres écoles d’ingénieurs c’est qu’on porte à la fois des diplômes d’ingénieur qui ont vocation à mettre sur le marché de l’emploi des jeunes diplômés professionnels qui seront demain des cadres d’entreprises dans leur secteur d’activité, en l’occurrence le numérique, mais on porte aussi à Télécom Saint-Étienne des diplômes, j’allais dire plus généraux, dans le domaine du numérique. On a des gens qui font du design de l’information numérique, qui sont des gens qui sont capables de présenter de l’information que ce soit sur de l’infographie, sur des plaquettes sur des réseaux sociaux de manière intelligible et compréhensible. Ce sont des gens qui travaillent dans un domaine qui s’appelle l’information et la communication, qui ne sont donc pas des technologues mais qui sont plutôt des communicants dans le domaine du numérique. Cette alliance-là entre des gens qui sont des technologues, typiquement des ingénieurs, et des gens qui sont des communicants autour d’un domaine qui est celui du numérique, fait sens pour nous dans la mesure où une entreprise qui est en train de chercher à déployer ses métiers, ses produits, etc., on est très rarement sur une approche qui est mono-thématique, mais on est sur une chaîne de valeurs qui intègre plusieurs dimensions.
Pour revenir sur le cœur du sujet qui nous occupe aujourd’hui, on le retrouve sur les questions du système d’information où on va avoir des gens qui vont avoir besoin de maîtriser la techno et être capables de l‘expliquer à leurs partenaires, à leurs clients, à leurs fournisseurs, pour valoriser, au-delà de la techno, les usages de la techno qu’ils maîtrisent.
Étienne Gonnu : Merci. C’est intéressant. D’ailleurs je pensais à une question à laquelle, en fait, vous étiez en train de répondre, j’aimerais quand même avoir votre point de vue. Souvent on pose la question du numérique, que cache le numérique par rapport à l’informatique ? On peut avoir une idée plus précise et le numérique semble un peu un mot attrape-tout. Vous faites une formation, vous éduquez, vous êtes une école qui forme au numérique. Ça parle des usages, de la technologie, etc. Pour vous qu’est-ce que c’est le numérique quand on parle du numérique ? Jacques Fayolle ou Pierre-Yves Fraisse. Jacques Fayolle.
Jacques Fayolle : Je commence et tu compléteras, Pierre-Yves.
Effectivement le numérique est un peu un mot-valise. On va retrouver dedans des aspects très techniques.
Si je le prends avec une approche réseau, en montant les couches des réseaux, on va partir de la science du photon qui va circuler dans des fibres optiques, donc des problématiques d’optique, d’optoélectronique, d’électromagnétisme, de physique des ondes. On va monter petit à petit sur des aspects réseaux, électronique embarquée, infrastructures matérielles diverses et variées et puis on va glisser vers le monde du software avec évidemment l’informatique, mais, par exemple, des domaines de l’informatique qui sont les technologies de l’image, les technologies du big data, et puis on va aller, effectivement, vers les usages de l’ensemble de ces outils-là et la communication par les vecteurs de l’informatique et du Web. Ça donne, quelque part, numérique, sciences et technologies de l’information et de la communication ; on peut le trouver sous différents aspects. Pour moi c’est un ensemble de disciplines académiques.
Étienne Gonnu : Merci. Pierre-Yves Fraisse.
Pierre-Yves Fraisse : Bien sûr je suis totalement d’accord avec ce que vient de dire Jacques. C’est très difficile aujourd’hui de définir le numérique parce que c’est quelque chose de tellement transverse et qu’on trouve partout, visible ou pas visible, que c’est très difficile de vraiment bien le décrire.
Si on prend ce qu’on appelle aujourd’hui l’industrie 4.0, là-dedans on voit plutôt des entrepôts un petit peu noirs. Aujourd’hui ce n’est plus du tout ça. Aujourd’hui, si vous voulez faire de la production industrielle, vous mettez des machines qui sont toutes reliées à des réseaux informatiques, qui ont besoin de cette ressource-là pour être capables de fonctionner de manière optimale. On a vraiment ça de partout. Aujourd’hui, coupez l’informatique dans n’importe quelle structure, il ne se passe plus rien. Les deux premières heures les gens rangent leur bureau, rangent les papiers et après c’est fini, ils rentrent chez eux.
Étienne Gonnu : Merci. OK pour ce point. Je pense que vous avez été très clairs.
Par rapport à tout ce que vous venez de dire, vous parliez des enjeux éthiques, philosophiques, je souhaiterais savoir comment vous avez mêlé à ces questions-là, à cette position, à votre engagement pour le logiciel libre.
D’où êtes-vous partis ? Quand est-ce qu’a commencé cet engagement, cette prise en compte des problématiques liées au logiciel libre ?
Jacques Fayolle : Plus qu’une date, je vais, en fait, expliciter la raison qui nous a poussés à bouger. On l’a presque évoquée en introduction.
On le sait tous, un système d’information est un objet vivant qui a besoin d’être questionné, requestionné, d’évoluer, etc. À un moment donné, pour une structure comme la nôtre, ça passe à la fois par une question de ressources humaines et aussi par une question d’investissement matériel : quels sont les moyens aussi bien humains et matériels que l’on met sur la table pour maîtriser ses données.
Quelque part on est une PME, on est une école de formation et de recherche, mais fondamentalement on est une PME donc avec des moyens limités. La question se pose, à un moment donné, d’une part d’être efficients par rapport au service qu’on propose à nos usagers que sont nos étudiants et nos enseignants et, d’autre part, de mettre ces moyens humains et financiers au bon endroit et au bon niveau.
Là-dessus deux ou trois grandes pistes se dégagent : soit on part sur une hypothèse où on maîtrise notre système d’information et quelques éléments dessus ; soit on dit qu’on achète quelque chose sur étagère et on sous-traite complètement ou alors on fait un partenariat avec d’autres types de structures avec lesquelles on cogère quelque chose.
En tant qu’école du numérique il nous a semblé pertinent de mêler à la fois le système d’information pour nos usages classiques et le fait qu’on fait de la formation sur ces domaines-là. Donc à la fois acquérir de la compétence et avoir, quelque part, un démonstrateur grandeur réelle pour former nos étudiants dessus. Donc au moment où on fait des investissements, il y a trois, quatre, cinq ans, on se dit peut-être qu’il faut aller vers ces dimensions-là parce que ça correspond à une attente de nos étudiants, ça permet aussi de répondre à des problématiques de souveraineté ; ça fait aussi partie des attentes de nos clients que sont les entreprises qui viennent recruter nos diplômés d’avoir des compétences de cet ordre-là, donc prenons le parti de maîtriser notre système d’information. À partir de là, effectivement, pour allier une approche quelque part citoyenne à ces choses-là, on fait le choix de se doter d’un DSI à temps complet, donc on recrute Pierre-Yves Fraisse qui, lui-même, a un passif, si je puis m’exprimer ainsi, plutôt dans le domaine du logiciel libre et qui apporte cette compétence-là.
Étienne Gonnu : Très bien. Si je comprends bien, c’est mêler à la fois l’approche pédagogique d’intégrer ces réflexions et, de manière très concrète, les outils utilisés par votre école.
Jacques Fayolle : Oui. C’est à la fois effectivement l’outil pour l’outil et l’outil comme vecteur de formation.
Étienne Gonnu : Super. Pierre-Yves Fraisse j’ai envie de vous passer la parole. Vous arrivez à Télécom Saint-Étienne et, pour dire les choses très basiquement, dans quel état se trouve le système d’information ? De quoi partez-vous et quel est votre objectif à ce moment-là ? Comment envisagez-vous la stratégie à mettre en place ?
Pierre-Yves Fraisse : Il faut quand même remettre un point important : ça fait quand même dix ans que j’interviens à Télécom en tant qu’enseignant. Je n’avais pas cette fonction de DSI, mais j’avais quand même une grosse connaissance et surtout j’avais beaucoup échangé avec les étudiants.
Il y a quand même un élément qui est vraiment fort, c’est que les étudiants ingénieurs ont un côté très paradoxal. On fait le test toutes les années : 100 % de nos élèves ont un compte Gmail, ont un compte chez Google ! Il n’y a pas de discussion, à tous les coups on gagne, quand on demande « qui n’en a pas ? », personne ne lève la main. À côté de ça, ils sont demandeurs, ils se rendent bien compte que Google, aujourd’hui dans le monde, donne des services gratuitement et que, quelque part Google exploite bien leurs données et ça, ça les dérange.
Il y a un autre paramètre qui entre en jeu, peut-être plus maintenant qu’avant, c’est que les ingénieurs ont besoin de donner du sens à leur démarche. Quand vous demandez à un futur ingénieur, à un de nos étudiants, ce qui le motive dans le fait de faire ces études-là, à 90 % il va vous dire « moi je veux résoudre des problèmes ». Avant, résoudre des problèmes, c’était essentiellement résoudre des problèmes techniques, ce qui avait déjà un intérêt intellectuel fort. Mais aujourd’hui ça ne suffit plus, ils veulent résoudre des problèmes mais résoudre des problèmes qui, pour eux, ont du sens et ont de la valeur. C’est ce qui fait aussi qu’ils sont difficiles dans le choix de leurs entreprises, c’est que, par la suite, ils veulent vraiment entrer dans des structures qui, pour eux, sont porteuses des valeurs auxquelles ils adhèrent.
On était un petit au milieu du gué, au milieu de tout ça. On utilisait le logiciel libre dans le cadre pédagogique, mais on n’allait pas, j’allais dire, jusqu’à la production, parce qu’on était dans un système qui reposait sur des logiciels propriétaires, parce que c’est l’habitude, parce que ça fait parfois un peu peur, c’est un saut qui n’est pas toujours simple technologiquement. Il y a aussi une image du logiciel libre qui n’est pas forcément toujours très objective maintenant, dans le sens où on voit les gens qui font du logiciel libre souvent comme des gros techniciens qui sont un peu dans leur petit monde techno et qui ne sont pas ouverts sur le reste.
Je crois que ce qui est important quand on veut bâtir, faire évoluer un système d’information pour prendre plus de logiciel libre, c’est qu’il ne faut pas, non plus, rentrer dans un système ultra-rigide dans lequel on veut tout changer tout de suite. Il y a des choses qui sont très bien faites. Aujourd’hui, si vous prenez des solutions propriétaires auxquelles tout le monde peut avoir accès, je pense à des solutions comme Trello, à ce genre de services qui sont offerts gratuitement dans leur version basique et qui, après, quand on veut monter dans une exploitation plus professionnelle ont un coût, on a, sur certaines de ces solutions très courantes, des solutions alternatives libres qui font le job largement aussi bien, mais pas tout le temps. Et c’est là où il faut, j’allais dire, raison garder, c’est qu’il ne faut pas vouloir mettre du Libre pour tout partout. Comme ça, je pense qu’on n’arrive pas à avoir l’adhésion des utilisateurs et si vous n’arrivez pas à faire adhérer les utilisateurs à la prise en main et à l’utilisation quotidienne de ces outils-là — et ça repose souvent sur peu de choses, ça repose sur de l’ergonomie, ça repose sur une esthétique, ça repose sur une facilité d’utilisation au quotidien — eh bien vous n’arrivez à mettre en place votre solution et les utilisateurs ne se posent pas beaucoup de questions, ils ne vous donnent pas de deuxième chance. Vous mettez en place une solution, ça leur va ou ça ne leur va pas. Si ça ne leur va pas, entre eux ils en discutent « ce n’est pas bien, je préférais l’autre truc qu’on avait avant » ou « moi j’utilise ça », parce qu’on a aussi la concurrence forte de ce qu’on fait chez soi. Les gens, chez eux aujourd’hui, ont tous accès à des outils et ils ont tendance à vouloir les rapporter dans le monde professionnel sans être conscients de tout ce que ça implique en termes de sécurité et alors là on va vite rentrer sur une problématique qui est extrêmement importante qui est qui détient les données. C’est très important et c’est encore plus important pour nous qui ne manipulons peut-être pas des données de nature très confidentielle, on ne fait de médical, par contre on se doit d’être irréprochables parce qu’on essaye de faire passer ces valeurs-là et ces informations à nos étudiants, donc la moindre des choses c’est qu’on soit quand même, quelque part, un exemple en disant on essaye d’aller vers ça le plus possible, y compris dans nos outils du quotidien.
Étienne Gonnu : Merci. C’est un tour d’horizon très large et très complet. Je pense que vous avez touché à peu près à tout ce que je souhaiterais qu’on creuse dans la mesure du temps qui nous est imparti.
Vous parliez des étudiants. On peut peut-être commencer par parler de leur formation, de leur envie d’avoir, de trouver du sens dans leur travail par la suite. À quel âge les étudiants arrivent-ils dans votre école ? J’ai une question sur le salon qui demande notamment la proportion garçons-filles. On sait qu’il y a aussi toute cette question d’un métier qui a tendance à être très genré masculin. Également des questions pour savoir s’il y a des cours de contribution au Libre, s’il y a des cours d’éthique prévus pour accompagner ces envies d’une prise en compte de sens dans la formation ? Jacques Fayolle.
Jacques Fayolle : Sur la question de la typologie de nos étudiants, on a différents niveaux de recrutement. On recrute des gens en post-bac et on recrute des gens après les classes préparatoires aux grandes écoles. On porte aussi des masters de pointe et, sur certains aspects, des gens viennent aussi de l’étranger au niveau bac+3 ou bac+4. Donc il y a des gens qui arrivent à l’école à des moments différents, avec des profils différents et c’est une des richesses, surtout pas un inconvénient, parce que la société est comme ça et que c’est important de savoir travailler avec des gens qui ne parlent pas le même langage ou qui n’ont pas la même culture ou qui n’ont pas eu la même formation en amont. On croit beaucoup au fait que c’est une forme de richesse.br/>
Vous soulignez le fait que les métiers du numérique et de l’informatique en particulier sont parmi les moins inclusifs aujourd’hui ; c’est vrai et on le constate. On fait des efforts là-dessus à la fois en termes d’explication de ce que sont nos métiers, ce que sont les carrières derrière, notamment auprès des jeunes filles et des jeunes femmes. Malgré tout, la marge de progression est importante, on a 27-28 % de jeunes femmes, toutes formations confondues. Le fait qu’on porte des diplômes plutôt dans le champ de la communication il y a, proportionnellement, plus de jeunes femmes dans ces champs-là que dans les métiers de pure technique et technos où elles sont encore moins nombreuses. Cela dit les choses évoluent doucement, positivement. Il faut accélérer et là, pour le coup, je vais prendre un exemple très concret. La réforme du bac peut nous aider, d’une certaine façon, parce qu’elle a un énorme avantage qui est de casser des circuits pré-établis où aujourd’hui, pour faire des études dans le domaine de l’ingénierie, il vaut mieux d’abord être bon en maths et bon en physique et après, le reste, on voit. Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas être bon en maths et bon en physique, loin de là, mais, par exemple, aujourd’hui quelqu’un qui va faire des études de maths au lycée et va prendre une mineure en économie, c’est demain un profil qui va nous intéresser pour faire du big data par exemple dans les banques.
Pierre-Yves le soulignait tout à l’heure, on retrouve le numérique partout, une boîte qui arrête son numérique, son activité s’arrête. Aujourd’hui on va trouver des aspects sur « numérique et santé » qui vont attirer les jeunes filles ; on va trouver la question des nouveaux usages multimédias – on porte un master sur la réalité augmentée ; on a des physiciens qui travaillent sur les écrans souples, donc on est sur le journal de Harry Potter quand on explicite ça auprès des gamins de collège et de lycée. C’est donc une façon d’attirer des profils beaucoup plus larges que ce qu’ils étaient précédemment. Ça évolue, mais c’est un travail de longue haleine et des émissions comme les vôtres contribuent aussi à passer ce type de message-là, le fait que ce n’est pas un métier de geek pour les geeks, loin de là.
Étienne Gonnu : On rappellera que la première personne qui a fait de l’informatique était une informaticienne, Ada Lovelace. Donc il n’y a aucune raison que ce soit plus pour les hommes que les femmes.
J’avais d’autres questions par rapport aux cours : est-ce que vous avez des cours dédiés au logiciel libre, notamment à la contribution, comment contribuer à des projets logiciel libre ? Est-ce que vous avez des cours d’éthique de l’informatique ?
Jacques Fayolle : Ça fait partie des obligations que nous impose la commission des titres d’ingénieur et on le fait avec beaucoup d’entrain. Effectivement, au-delà des aspects technos, avoir des aspects qui sont la sensibilisation du futur cadre à toutes ces dimensions-là, donc ça couvre l’éthique, ça couvre la responsabilité sociale des entreprises, ça couvre le développement durable, donc ça se met en œuvre par différents aspects. Il y a des aspects, j’allais dire, purement cours. Aujourd’hui on est plutôt dans l’idée de dire qu’il faut que ces dimensions-là transparaissent dans chacun des modules d’enseignement plutôt que d’avoir les trois heures de cours d’éthique et ensuite on referme le classeur, on oublie ça et on passe à autre chose. C’est plutôt l’éthique dans chacun des cours plutôt qu’un cours d’éthique et, de la même façon, pour le développement durable, etc. Ça passe par les cours mais ça passe aussi par les projets, donc questionner nos étudiants dans les projets qu’ils font avec des entreprises sur la dimension sociétale, sur la dimension développement durable, sur la dimension de souveraineté, ces questions-là.
Étienne Gonnu : Super. Est-ce que la contribution au logiciel libre fait partie de votre enseignement ?
Pierre-Yves Fraisse : Du point de vue des élèves, enfin des étudiants, aujourd’hui on n’en est pas encore là parce que, déjà qu’on trouve un petit peu court le temps qu’ils passent avec nous, on a tellement de choses à voir ! En fait, c’est assez difficile de trouver des sujets sur lesquels ils pourraient intervenir vraiment, des gros projets libres, soit parce qu’ils n’ont pas le niveau, soit parce que ça rentrerait aussi dans une notion de chronologie qui n’est pas forcément la nôtre.
Après, on a parfois des projets d’ingénierie ou des projets de recherche qui pourraient effectivement rentrer dans ce cadre-là, c’est vrai. Il faut qu’on soit plus proactifs sur ça.
Comme le disait Jacques, le but, maintenant, ce n’est pas que d’aller vers les cours qui vont leur faire passer un certain nombre de valeurs, de bonnes pratiques et d’informations autour de l’éthique, autour de toutes ces choses-là, mais c’est aussi d’arriver à inclure ça comme, je ne dirais pas une obligation parce qu’il ne faut pas que ce soit perçu comme ça, mais comme quelque chose qui fait partie du package de la formation de l’ingénieur. Si je réalise un projet, ça ne se borne pas à écrire du code et à donner ce code à mon prof qui le corrige. C’est aussi concevoir ce code dans une approche réutilisable, penser à celui qui va venir derrière, qui va éventuellement le reprendre, penser à celui qui va avoir à le mettre en place, qu’il ait les éléments pour pouvoir faire son travail. C’est ne plus être un développeur dans son coin qui fait son petit job devant son écran, mais c’est aussi être un développeur ou, tout du moins, quelqu’un qui va produire des éléments techniques dans un environnement, avec des gens autour et on pense aux gens qui sont autour. Je pense que c’est vraiment ça aussi, cette dimension qu’on essaye de pousser aujourd’hui.
On a certains contributeurs au logiciel libre à titre personnel, on les félicite, on les pousse et on les aide, mais c’est vrai qu’on a du mal à avoir une démarche aussi volontaire dans le cadre de la pédagogie de l’école.
Étienne Gonnu : Très bien. Je crois que vous avez très bien parlé de l’importance des communautés dans le logiciel libre et comment on fonctionne justement collectivement.
Je vous propose que nous fassions une courte pause musicale pour reposer un peu nos méninges.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Nous allons écouter Gaze par Your Friend, Ghost. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Gaze par Your Friend, Ghost.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Gaze par Your Friend, Ghost, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur la radio cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Nous discutons avec Jacques Fayolle et Pierre-Yves Fraisse, respectivement directeur et directeur des systèmes d’information de Télécom Saint-Étienne, une école d’ingénieurs qui s’engage pour le logiciel libre.
N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommne.fm, bouton « chat ».
Avant la pause nous parlions des étudiants et avant de rentrer dans le sujet de votre stratégie logiciel libre, j’aurais quand même une question relative à la période actuelle. Comment vous organisez-vous ? Comment s’organise-t-on dans une école d’ingénieurs, en plus du numérique, dans une période de crise sanitaire ? Est-ce que vous avez mis en place beaucoup de travail à distance ? Est-ce que vous avez du soutien pour vos élèves, etc. ? Comment appréhendez-vous cette période ?
Jacques Fayolle : C’est une très bonne question et, évidemment, ça nous occupe un temps non nul dans les journées actuelles.
En fait, la stratégie déployée depuis quelque temps nous a finalement beaucoup aidés à deux niveaux.
Si je reprends historiquement le schéma, quand le président de la République annonce le premier confinement, il faut, objectif premier, continuer la formation parce qu’on le doit à nos étudiants, c’est quelque part le service qu’on leur fournit et il n’était pas question, pour nous, d’arrêter ce dispositif, évidemment en passant par d’autres modalités, l’enseignement à distance, etc. Typiquement, 13 mars annonce du confinement. Le lundi qui suit, c’est-à-dire trois jours après, les systèmes tournent et on assure la formation. Derrière on a industrialisé les approches, justement en revenant sur des outils peut-être un peu plus réglos vis-à-vis du RGPD.
Étienne Gonnu : Le Réglement général sur la protection des données.
Jacques Fayolle : Oui. On reviendra après sur les questions d’accompagnement social, de prêt de machines, les questions d’accès au réseau lui-même qui est une question de citoyen et d’accompagnement social des étudiants qui est une autre dimension.
On est en capacité de le faire parce qu’on maîtrise notre système d’information et que les étudiants ont aussi, et c’est important, la maîtrise de leur système, de leur machine, etc. Il se trouve que ça faisait deux ans qu’on était engagés dans une démarche où on amenait les étudiants plutôt sur une approche bring your own device, donc les étudiants venaient en cours avec leurs propres machines et on déploie de la machine virtuelle dessus et des outils sur ces machines virtuelles qu’ils maîtrisent. Donc quelque part c’est beaucoup plus, j’ai le mot anglais compliance, conforme au fait de pouvoir passer à distance parce que les étudiants étaient déjà dans cette dynamique-là de maîtriser leurs outils de travail.
C’est effectivement là où on voit la différence entre maîtriser son système d’information et être client d’un dispositif où, quelque part, on va attendre qu’il s’adapte et, derrière, il y a le niveau d’adaptation pédagogique. Finalement, la stratégie de maîtrise de son système et d’open sourcer son système a été un élément extrêmement facilitateur pour être résilient à un changement de metodo pédagogique et même de metodo de travail avec ses collaborateurs, avec des outils de chat en ligne, etc.
Étienne Gonnu : Ce que vous dites est très intéressant. On voit bien qu’il est important de ne pas attendre. C’est important de très rapidement enclencher ce genre de stratégie parce que ce n’est pas en temps de crise qu’on va le faire, sinon on se retrouve coincé à devoir utiliser des logiciels privateurs et consommateurs de données comme Zoom a pu l’être ; c’est un peu l’archétype dans cette période. On voit l’importance de rapidement engager une stratégie vers le logiciel libre pour pouvoir répondre, en période de crise, de manière efficace.
Pierre-Yves Fraisse, vous souhaitiez peut-être ajouter quelque chose ?
Pierre-Yves Fraisse : Par rapport à ça, je vais plus voir les choses du côté de l’administration du système d’information. Il y a des réalités bêtement pratiques.
Le président de la République nous a annoncé le jeudi soir que le lundi matin nos portes seraient fermées, mais qu’il fallait que les cours continuent. Si je suis dans une politique purement propriétaire je vais appeler, donc le vendredi, le commercial de ma société de prestation de services ou qui me fournit des licences, tout comme toutes les écoles de France ainsi que plein d’entreprises et, dans le meilleur des cas, il m’aura rappelé dans la journée, dans le meilleur du meilleur des cas, j’aurai eu un devis dans la journée. On élimine toute cette inertie. Tous les coûts qu’on ne peut pas négocier dans ces situations-là parce que, quand on vous dit « très bien, vous avez une solution de visio qui est faite pour 30 personnes, vous voulez la faire passer à 1000, voilà le devis », quand on est dans cette situation-là, on ne négocie plus rien, on est déjà bien content d’avoir un devis. Donc on échappe à toute cette mécanique-là et on peut, comme ça, monter en puissance uniquement en prenant les solutions qu’on a et en donnant plus de ressources matérielles à des solutions qu’on a déjà exploitées et qu’on connaît, qui ont aussi l’avantage qu’on a du recul dessus, on sait comment elles fonctionnent, on sait là où elles sont bonnes, on sait parfois aussi où elles le sont un petit peu moins, mais on sait faire avec. On a une vision un petit peu plus claire et, surtout, les données qu’on se met à exploiter dans ces conditions-là, qu’on n’avait pas forcément prévu d’exploiter au démarrage, on sait qu’on les tient, on sait qu’on les a et on sait qu’on les maîtrise.
Étienne Gonnu : Dans un certain sens, vous répondez avec une très belle illustration concrète aux enjeux de souveraineté et d’indépendance des systèmes d’information.
Du coup, on va revenir finalement à ce qui est notre sujet de départ, votre stratégie logiciel libre : comment a-t-elle été mise en place et sur quelle base a-t-elle été mise en place ? Je pense que vous avez déjà répondu en partie. Une question sous-jacente à ça que je vous pose : quel niveau d’indépendance avez-vous eu ? Vous êtes notamment rattaché à l’université, votre ministère de tutelle est le ministère de l’Enseignement supérieur, quelle indépendance avez-vous eue pour la mise en place de votre stratégie vers le logiciel libre ? Jacques Fayolle.
Jacques Fayolle : En essayant de répondre objectivement à la question, il y a deux volets qui se complètent et qui permettent de construire un ensemble cohérent.
D’une part, évidemment, on est un objet parmi d’autres qui mutualise un certain nombre d’actions, au premier rang d’entre elles le fait que la fibre optique qui amène le réseau dans nos murs c’est Renater. Il y a un certain nombre d’aspects de sécurité dessus qui ne sont en aucun cas discutables et qui sont mutualisés à un niveau supra. De ce point de vue-là on travaille main dans la main avec la direction du système d’information de notre maison mère, la direction des services numériques de l’université Jean Monnet.
Après, il y a un certain nombre d’aspects sur des aspects plus métier, sur des aspects de service. En tant qu’école du numérique on veut et on se doit d’avoir une maîtrise d’un certain nombre d’outils, de plateformes pédagogiques, on ne va pas lister une liste d’outils. De ce point de vue-là, il y a aujourd’hui un accord bien compris par toutes les parties qui est qu’en tant qu’école du numérique on va déployer peut-être un petit peu en avance de phase, en forme un peu de poisson-pilote, tester des outils parce que ce qu’on fait sur une école d’ingénieurs où on est à peu près 700 à travailler, on ne va pas pouvoir le répliquer de manière aussi rapide sur un ensemble qui pèse 20 000 étudiants et où il y a 1000 employés. Les problématiques de passage à l’échelle ne sont pas toujours les mêmes. Très honnêtement, par définition d’un poisson-pilote, parfois on se prend des murs et on fait des mauvais choix. Sauf que quand on le fait pour 700 étudiants ce n’est pas la même chose que quand on le fait pour plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs.
Donc on est dans un cercle vertueux, quelque part, où ça permet de mettre en œuvre des solutions peut-être un petit peu en avance de phase, peut-être un peu moins classiques, je cherchais le mot, mais où c’est tout à fait intéressant pour l’ensemble de la communauté. De ce point de vue-là, par exemple, on en discute avec le ministère de l’Enseignement supérieur dans le cadre du SILL, le Socle Interministériel de Logiciels Libres, pour voir comment certains logiciels peuvent rentrer dans le socle ou pas, comment on peut bénéficier de ces logiciels-là, etc.
Étienne Gonnu : Le Socle Interministériel de Logiciels Libres qui est effectivement un outil très important à mentionner.
Pierre-Yves Fraisse, quand vous avez pris le poste de DSI c’était aussi dans cette optique de porter, de mettre en œuvre cette stratégie. Comment avez-vous mis en œuvre cette stratégie, du coup ? Vous parliez notamment de l’aspect RH, l’aspect humain et de l’aspect matériel. Je pense qu’il serait intéressant d’avoir votre perspective sur ces aspects.
Pierre-Yves Fraisse : Je me suis cadré les choses en me disant il faut idéalement que les solutions qu’on retienne soient dans le SILL et, dans le pire des cas, qu’elles apparaissent dans la base de données du Comptoir du Libre que vous devez connaître, qui référence un petit peu plus de solutions que celles du SILL.
On a fait une méthode très simple, c’est-à-dire qu’on a fait une enquête de ce qui était utilisé. Il y a des choses qu’on savait et, après, il y a tout ce qu’on ne sait pas parce qu’il y a les logiciels métiers, les grands logiciels métiers de l’enseignement supérieur qui, eux, ne sont pas à remettre en cause parce qu’on n’est pas là pour réinventer la roue ; c’est tout le reste et là on a fait une enquête : qu’est-ce qui est utilisé ? Qu’est-ce qui donne satisfaction ? Qu’est-ce qui ne donne pas satisfaction ? On a dressé une espèce de cartographie des usages et des besoins et, à partir de là, on a étudié point par point ce à quoi on pouvait apporter des réponses. On a priorisé en disant « on peut apporter une réponse rapidement à ça ; on peut apporter une réponse à ça mais moins rapidement parce que c’est plus complexe à mettre en œuvre, parce qu’il y aura plus de résistance au changement, parce que ça fait appel à une gestion de projet plus élaborée, parce qu’il va y avoir du travail collaboratif, ça va être plus complexe que juste mettre un nouveau service en route ». Et puis, une fois qu’on a cette cartographie cible, en la faisant matcher au maximum avec ce qui est référencé dans le SILL, eh bien c’est de voir tout l’aspect infra, voir, en fait, quelles solutions d’infrastructure on va retenir, parce que mettre en place des services c’est bien, mais il faut qu’ils fonctionnent sur quelque chose. Et là on entre dans une problématique de stratégie technique du système d’information. Là encore le fil conducteur c’était de rester dans le monde libre, avec des solutions qui soient cohérentes avec les ressources humaines du staff technique ici, par rapport aux attentes de nos utilisateurs, par rapport aux attentes en termes d’alignement de la stratégie du système d’information sur celles de l’école. Ce sont tous ces paramètres-là qui ont été analysés et on est arrivé à un schéma directeur qu’on a proposé en disant « on va aller sur telles et telles solutions qui apporteront à très court terme tels services et, à plus long terme, on mettra ça en place parce que c’est plus compliqué ». Sachant qu’on a quand même une problématique : étant donné qu’on est une école, le mois du septembre est, pour nous, une deadline très importante. Soit les choses sont prêtes pour cette période-là, si ça n’est pas prêt c’est rendez-vous l’année d’après !
Étienne Gonnu : Du coup, où en êtes-vous de cette mise en œuvre ? Quel bilan tirez-vous ? Où en êtes-vous de cette stratégie, tout simplement ?
Pierre-Yves Fraisse : L’infra est stable d’un point de vue technique parce qu’on a utilisé des solutions qu’on connaissait bien techniquement.
Vous connaissez certainement la mouvance « Dégooglisons Internet » qui est portée par l’association Framasoft, on est un peu en plein là-dedans et on a bien avancé. C’est-à-dire qu’aujourd’hui quasiment tous les services qui étaient utilisés, des services type Google, quasiment tous ces services-là sont opérationnels sauf qu’on les a récupérés en interne, donc on maîtrise totalement les données sur cette chaîne-là et on a un certain nombre d’autres services qui sont quasiment tous dans la cartographie du « Déglooglisons Internet », qu’on a réussis à remettre en place.
Aujourd’hui on a mis en place une quinzaine de serveurs qui assurent tout un tas de services opérationnels du quotidien.
Après, je l’évoquais tout à l’heure, il y a certaines choses sur lesquelles on a des solutions qu’on pourrait mettre en place, mais on sait qu’elles sont trop complexes ou pas assez ergonomiques ou pas assez finies par rapport à ce qui existe sur le marché et qu’on n’arrivera pas à imposer. Plutôt que d’aller dans le mur, eh bien tant pis !, on attend. On attend de voir ce qui va se passer, on suit des projets libres d’assez près pour pouvoir, dès qu’ils se mettent en œuvre, les installer, les mettre en situation de test. On participe pas mal sur des forums techniques d’assistance aux autres utilisateurs, on participe à des traductions, on participe à du debugging sur un certain nombre de solutions, pas sur toutes parce que vu le nombre qu’on a et qu’on a des ressources finies, ce sont des choses qui se font plutôt en temps masqué le soir. Du coup on s’est aussi investis au niveau du SILL, on participe aux ateliers Blue Hats. On essaye d’être le plus actifs dans cette communauté parce qu’on se rend compte que dans le monde de l’enseignement supérieur, mais pas que dans l’enseignement supérieur, dans les collectivités locales, dans tout un tas d’organismes publics, il y a une vraie volonté de faire se développer les logiciels libres et le fait qu’on ne soit pas dans une mécanique purement financière, ça facilite les échanges. On donne de l’info en n’attendant rien en retour et c’est très agréable. La première fois que j’ai participé à une réunion du SILL, j’ai eu une bouffée d’oxygène mentale d’être avec des gens qui n’étaient dans une logique de financiarisation de toute information.
Étienne Gonnu : Ils sont formidables. C’est vrai que Blue Hats, que vous mentionnez, est un projet absolument super, les hackers d’intérêt général.
On arrive vraiment sur la fin de notre échange. Jacques Fayolle, j’aimerais vous proposer le mot de la fin en une minute. Un point sur lequel vous voudriez revenir, un point que nous n’avons pas abordé et que vous aimeriez mettre en avant, en une minute, deux minutes grand maximum.
Jacques Fayolle : Si j’essaye de résumer notre échange, en fait c’est intéressant parce que ça permet aussi de faire un pas de recul sur le déploiement de sa stratégie. Avec ce pas de recul-là, on s’aperçoit que les choix qu’on a faits en amont il y a plusieurs mois, presque plusieurs années, qui étaient des choix stratégiques importants, qui amènent une charge de travail — c’est évidemment beaucoup plus facile de faire un chèque à la fin du mois et de dire j’achète un service clefs en main. Là on a fait le choix de maîtriser notre système, d’aller vers quelque chose qu’on maîtrise. Cet effort-là est un effort technique, un effort humain qui s’appuie sur des équipes en interne à l’école, mais aussi, plus globalement, en interne à notre autre établissement, et j’en profite ici pour les remercier, c’est un choix dont on recueille aujourd’hui les fruits parce qu’il nous donne de l’agilité, il nous donne du sens, il nous donne de l’attractivité par rapport à des étudiants, par rapport à des entreprises. Donc oui, c’est un effort, mais c’est un effort payant.
Étienne Gonnu : Super. Un grand merci. Sur le salon web, Marie-Odile nous dit :« Très intéressant. Grand merci aux deux intervenants. Compliments et bonne continuation à leur belle école ». Je ne pourrais pas mieux dire.
Merci à Jacques Fayolle. Merci à Pierre-Yves Fraisse. Je vous souhaite une très bonne fin de journée et bonne continuation.
Jacques Fayolle : Merci à vous.
Pierre-Yves Fraisse : Merci à vous.
Étienne Gonnu : Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Nous allons écouter à présent Coast par Your Friend, Ghost. On se retrouve juste après. Une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Coast (feat Rich Philips) par Your Friend, Ghost.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Coast par Your Friend, Ghost. Ce morceau musical est disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur causecommune.fm.
Je suis Étienne Gonnu chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Nous allons passer à notre dernier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, sur le livre La coopération, nouvelles approches, de Jean-Michel Cornu, sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec la nouvelle pépite libre de Jean-Christophe Becquet. Jean-Christophe, est-ce que tu es avec nous ?
Jean-Christophe Becquet : Oui. Bonjour à tous. Bonjour à toutes.
Étienne Gonnu : Si j’ai bien compris, tu souhaites nous parler d’un livre de Jean-Michel Cornu, La coopération, nouvelles approches.
Jean-Christophe Becquet : Oui, effectivement, la pépite du jour, La coopération, nouvelles approches est un livre partagé sous licence libre Creative Commons By-SA par Jean-Michel Cornu.
L’objectif du livre est de mettre ce texte librement à disposition de tous pour susciter la réflexion sur les principes de base de la coopération. Avec beaucoup d’humilité, Jean-Michel Cornu, spécialiste de la coopération et de l’intelligence collective, nous donne des clefs pour construire un environnement favorable à l’épanouissement d’une communauté de contributeurs.
Dès l’introduction, Jean-Michel indique qu’il puise son inspiration dans l’univers du logiciel libre. Il explique : « La production de logiciels libres est un excellent exemple des possibilités offertes par la coopération en réseau. De tels logiciels fournissent tous les moyens aux utilisateurs qui le souhaitent pour suggérer des modifications mais également pour les faire eux-mêmes et les apporter à la collectivité ». Dans ce livre, il propose de voir avec nous si les méthodes qui ont fait le succès du logiciel libre sont applicables à des domaines différents.
Je voudrais préciser, j’espère qu’il ne m’en voudra pas de l’exprimer ainsi, que Jean-Michel Cornu fait partie des dinosaures du Libre. D’ailleurs, j’ai retrouvé une vidéo, « Le temps du libre », datée de 2005, dans laquelle il répond aux questions de Lionel Allorge pour l’association Videon. Lionel est un ancien président de l’April. Je vous ai mis le lien vers la vidéo sur la page consacrée à l’émission. Vous y retrouverez aussi Frédéric Couchet qui est le délégué général de l’April et un des membres fondateurs.
Dans son livre, Jean-Michel Cornu identifie les leviers pour encourager la contribution. Son approche me rappelle mes cours de psychologie sociale : il est beaucoup plus efficace d’agir sur l’environnement que sur l’individu. En d’autres termes, plutôt que de vouloir impliquer les personnes par la contrainte – autorité ou dépendance économique par exemple –, il serait préférable de s’interroger sur les conditions qui peuvent renforcer la motivation et réduire les freins à cette implication. Un des principes de base c’est d’essayer de réduire l’effort nécessaire pour rejoindre le projet en privilégiant les outils et les règles les plus simples possible. Dans le même temps, il faut réduire les risques en donnant des règles claires et en veillant à proposer un cadre sécurisant et bienveillant.
L’économie des biens immatériels se caractérise par la non-rivalité, c’est-à-dire le fait que partager un savoir ne le diminue pas mais le multiplie. Comme nous l’avons vu avec Nina Paley dans une précédente « Pépite libre », pour un logiciel, une musique, un poème, Copier n’est pas voler. C’est dans ces environnements d’abondance que nous allons pouvoir proposer un fonctionnement basé sur la coopération.
Je propose à nos auditeurs et auditrices, comme exercice, d’analyser comment les principes décrits par Jean-Michel Cornu se retrouvent dans les projets libres comme Wikipédia, OpenStreetMap ou Open Food Facts.
Regardons ensemble le cas de l’émission Libre à vous !. L’April, grâce à la ressource partagée par la radio Cause Commune, a créé un environnement dans lequel chacun peut contribuer selon sa motivation. On peut participer à la régie, au choix des musiques, à la communication, aux transcriptions ; on peut proposer un thème d’émission, animer une chronique et le résultat est cette émission hebdomadaire que vous pouvez écouter en direct, « podcaster » ou lire chaque semaine. Il s’agit de créer des opportunités et d’ouvrir la porte aux contributeurs. Les motivations sont multiples : partager un moment de convivialité, apprendre de nouvelles choses, faire connaître son projet, valoriser ses connaissances. Libre à vous ! est un véritable projet collaboratif.
Jean-Michel donne tout un tas de conseils sous la forme de capsules vidéos aux titres évocateurs : Qu’est-ce qui nous motive ? Qu’est-ce qui motive les autres ? Passer à l’échelle de l’intelligence collective ou encore Trouvez votre modèle économique pour continuer de faire du bien commun. Au total plus d’une centaine de séquences vidéos truffées de conseils pour l’animation de vos projets. Ces vidéos sont actuellement publiées sur une plateforme centralisée bien connue mais, comme elles sont sous licence libre, un chaton pourrait contribuer à les libérer un peu plus en les partageant par exemple sur son instance PeerTube. Je rappelle que les chatons sont des hébergeurs alternatifs qui proposent des services libres et décentralisés. À l’April nous avons par exemple le Chapril. Et PeerTube est un logiciel libre pour fournir un service de partage de vidéos sur Internet.
Pour les personnes qui souhaitent approfondir et développer leurs compétences sur les outils numériques et les méthodes d’animation de projets collaboratifs, je recommande la formation Animacoop. Il s’agit d’un programme de formation, proposé en présentiel et à distance, par une dizaine de structures regroupées en archipel de la coopération. Les prochaines sessions démarrent entre le 15 février et le 29 mars 2021 sur Brest, Gap, Lyon, Nantes, Tours et Toulouse. Vous retrouverez toutes les informations sur la formation Animaccop sur le site animacoop.net.
Étienne Gonnu : Super. Merci beaucoup Jean-Christophe. Tu restes un petit peu avec nous pour les annonces ?
Jean-Christophe Becquet : Oui, avec plaisir, pour les actus.
Étienne Gonnu : Nous approchons de la fin de l’émission et nous allons finir par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Étienne Gonnu : Jean-Christophe, je t’ai demandé de rester avec nous, car tu participes demain à l’OpenDay. Est-ce que tu peux nous en dire quelques mots s’il te plaît ?
Jean-Christophe Becquet : OpenDay est une initiative organisée par des étudiants de l’université Lumière Lyon 2. Ils ont organisé une matinée de conférences en visioconférence, accessible à tous, ouverte et gratuite. Ça se déroule demain à partir de 9 heures en ligne. Il faut s’inscrire. Les liens vers le programme détaillé de la matinée et le formulaire d’inscription sont sur le site de l’April, april.org, dans la rubrique « Évènements ». On est déjà quelques dizaines d’inscrits, étudiants et autres publics. En ouverture de cet OpenDay, j’animerai une présentation du logiciel libre en trois quarts d’heure, une introduction sur les quatre libertés, le copyleft et les enjeux du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Parfait, tu as tout dit. On vous invite vraiment tous à écouter Jean-Christophe demain à 9 heures via le logiciel libre BigBlueButton. Toutes les informations sont sur le site, il suffit de s’inscrire, l’accès est libre et gratuit.
Très bonne fin de journée Jean-Christophe et au mois prochain.
Jean-Christophe Becquet : Merci. Bonne fin d’émission et à bientôt.
Étienne Gonnu : Merci à toi.
Autre annonce. L’April a le plaisir d’annoncer la mise en ligne, cette semaine, d’un tout nouveau site dédié à l’important travail du groupe Transcriptions, animé par Marie-Odile Morandi qui a partagé avec nous sa chronique en début d’émission, le site librealire.org. Le groupe Transcriptions de l’April transforme en texte des enregistrements audio et des vidéos traitant de logiciels libres et des libertés informatiques en général. La transcription a pour objectif de faciliter l’indexation, l’accessibilité et la réutilisation de contenus audio et vidéo. Nous espérons que grâce à ce magnifique site ce précieux travail sera encore mieux mis en valeur. En tout cas nous vous invitons à le découvrir sur librealire.org. Un grand merci à toutes les personnes qui ont contribué à ce projet, notamment Antoine Bardelli, François Poulain, Jean Galland et bien sûr Marie-Odile Morandi, mais aussi vraiment toutes les autres personnes qui ont pu participer à ce très beau projet.
Également, comme quasiment chaque jeudi, même tous les jeudis, de 17 heures 30 à 19 heures 30, à distance, vous pouvez rejoindre le groupe Sensibilisation de l’April, animé par collègue Isabella Vanni. Je pense qu’il continue à travailler sur le Jeu du Gnou – tout à fait me dit-elle d’un hochement de tête. C’est ouvert à tous, que vous soyez membre ou pas de l’April.
Tous les autres évènements liés au logiciel libre sont à retrouver sur agendadulibre.org.
Notre émission se termine.
Je vais remercier toutes les personnes qui ont participé à l’émission : Marie-Odile Morandi, Jacques Fayolle, Pierre-Yves Fraisse, Jean-Christophe Becquet.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Isabella Vanni et Adrien Bourmault que je vais féliciter pour sa première régie.
Merci également à l’équipe qui s’occupe de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Olivier Humbert, Lang1, Sylvain Kuntzmann, bénévoles à l’April ; Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
Vous retrouverez sur notre site web, april.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site web de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question, nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont donc les bienvenues à l’adresse contac chez libreavous.org.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous. Faites également connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct le 9 février 2021 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur un UFR de l’université de Paris 8, UFR Mathématiques, informatique, technologies, sciences de l’information et de la communication, MITSIC, avec Pablo Rauzy et Anna Pappa.
Nous vous souhaitons de passer une belle très fin de journée. On se retrouve en direct mardi 9 février et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.