- Titre :
- Décryptualité du 5 mars 2018
- Intervenants :
- Isolde, Attac - Luc - Nicolas - Magali - Manu
- Lieu :
- Studio d’enregistrement April
- Date :
- mars 2018
- Durée :
- 14 min
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Revue de presse pour la semaine 9 de l’année 2018
- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- Attac - Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne
, militante au sein du groupe actions, c’est ça ?
Isolde : Oui. Le groupe actions est un groupe qui est assez récent dans l’histoire d’Attac puisque ça fait même pas deux ans, je pense, qu’il existe ou peut-être deux ans qu’il existe. Attac était quand même une association essentiellement intellectuelle au départ. Elle reste intellectuelle avec un travail de fond, avec des recherches, des pensées, des propositions. Et, à côté de ça, il y a un petit groupe qui s’est formé et qui propose des actions un peu d’éducation populaire, des actions de visibilité.
Luc : Des trucs de terroristes tu veux dire ! C’est ça, puisque vous avez été attaqués par Apple. Est-ce que tu peux expliquer ce que vous avez fait ? Vous avez fait plein d’autres actions dans d’autres domaines également, mais pour Apple qu’est-ce que vous avez fait en particulier ?
Isolde : En fait, le but c’était, par la désobéissance civile, de frapper un petit peu les attentions, d’interpeller des personnes. Donc c’est toujours un petit peu le même principe au niveau d’Attac actions. On est à visage découvert. On essaye de mettre en scène de façon humoristique et drôle des éléments qui vont quand même donner des éléments de réflexion aux personnes qui vont nous regarder. Par exemple là, on est allés dans un magasin, donc l’Apple Store d’Opéra, un samedi, juste au moment des fêtes de Noël et au moment de la sortie de l’iPhone X. Donc c’était un moment qui était choisi pour. On est rentrés dans le magasin, un petit peu en force, mais sans violence. Il y avait une partie des militants qui était déjà à l’intérieur et qui détournait l’attention des personnels de sécurité au moment où le gros du groupe est entré. Et ensuite on a fait un jeu qui s’appelle Qui veut gagner des millions ?
Luc : Moi, moi je veux !
Isolde : C’était un peu le principe, donc il y avait des gens qui disaient : « Moi, moi, moi », qui participaient au jeu et on leur posait des questions. Et par ces questions et par les réponses aussi, ça permettait de transmettre un certain nombre d’informations de façon ludique.
Luc : Du genre ?
Isolde : Tout ce que fait Apple ou plutôt ne fait pas, donc notamment ils ont été condamnés par l’Union européenne à payer leurs impôts, ce qui est quand même assez difficile de se faire condamner par l’Union européenne et donc ils ne le font pas. Il y a aussi des éléments qui sont par rapport à des questions écologiques qui ont été mises en avant. Des questions aussi de respect de la scolarité d’adolescents qui ont participé.
Luc : Des trucs qui sont à la limite du travail forcé également.
Isolde : Voilà. C’est ça. C’est-à-dire des stagiaires qui n’avaient pas trop le choix de leur stage et qui ont participé à faire l’iPhone X pour qu’on puisse en avoir au bon moment, au bon endroit.
Luc : Des profs qui, en gros, touchaient de l’argent de la part du constructeur qui s’appelle Foxconn, je crois.
Isolde : C’était plus les écoles je crois.
Luc : Oui, en gros ils disaient c’est un stage obligatoire qui consiste à monter des téléphones et si vous ne le faites pas, on vous vire. Voilà !
Isolde : Tout à fait. Donc du coup, on a aussi fait la chenille parce que Apple c’est la pomme, donc on a fait la chenille.
[Rires]
Luc : Le ver dans le fruit.
Isolde : Le ver dans le fruit ! On fait des choses comme ça qui sont aussi, parfois, uniquement pour attirer l’attention et ensuite on va avec des petits tracts, des autocollants, au-devant des personnes, discuter avec elles, leur expliquer des choses. Il n’y a jamais d’agressivité, ni vis-à-vis des vendeurs, ni vis-à-vis des acheteurs ; ce n’est pas du tout le but. Le but c’est, au contraire, d’être bienveillants, sympathiques, drôles, et d’attirer l’attention de façon agréable.
Luc : On rappelle que l’évasion fiscale et d’une façon générale tous les gens qui ne payent pas leurs impôts et tout ça, il y a eu des chiffres qui disaient qu’en gros si tout cet argent de la fraude fiscale, de l’évasion fiscale, etc., rentrait dans les caisses, nous n’aurions plus de déficit de tous nos systèmes : que ce soit le chômage, les hôpitaux, les écoles, tout ça serait financé s’il n’y avait pas d’évasion fiscale et pas de fraude !
Mag : En gros, on parle souvent d’allocations, de gens qui touchent le RSA et ainsi de suite, ça, ça se compte en millions ; l’évasion fiscale, ça se compte en milliards ! Il n’y a pas photo quoi ! Si on fait payer aux entreprises ce qu’elles doivent, effectivement, on pourra subvenir aux besoins de tous.
Luc : Les entreprises et aussi les gens gagnent beaucoup d’argent et qui esquivent les impôts quoi ! C’est un peu logique !
Isolde : L’idée c’était de toucher Apple à ce qui fait mal, c’est-à-dire l’image. Parce que c’est une entreprise qui est quand même très attentive à l’image qu’elle diffuse et du coup, là, on touche à son image et ça, ça ne plaisait pas trop.
Mag : Et là, on touche à l’image en France, mais Apple fait pareil partout. Donc ils touchent des sous en France, en Italie, en Espagne, en Angleterre et ils ne payent d’impôts nulle part !
Isolde : Oui.
Nico : Si ! Ils payent des impôts en Irlande où ils payent 0 % d’impôts.
Luc : Ce n’est pas de leur faute s’il n’y a pas d’impôts là-bas !
Nico : Mais ils font exprès d’aller se placer là-bas avec des montages financiers ou des prête-noms et autres et, effectivement, ils arrivent comme ça à évader et à ne payer d’impôts à peu près nulle part.
Luc : Je rappelle que l’Europe avait dit à l’Irlande : « Il faut appliquer maintenant les barèmes d’imposition légaux, etc. », et l’Irlande a dit : « Non, non ! On ne veut pas toucher d’argent, surtout pas », parce que ça fait partie de sa stratégie d’avoir un contexte fiscal extrêmement favorable pour attirer, justement, toutes ces grosses entreprises et ils se disent on préfère prendre un petit pourcentage, en étant plus favorable et avoir beaucoup d’entreprises chez nous et ça, c’est la stratégie du parasite.
Manu : Juste pour compléter, parce que moi je trouve ça toujours très drôle. La technique pour aller en Irlande c’est le double irlandais : il faut deux sociétés irlandaises qui se font transiter des biens et ensuite on complète ça avec le sandwich hollandais qui permet aussi de sortir l’argent d’Europe et de l’envoyer aux Bermudes ou ailleurs. Donc c’est de la cuisine. C’est une belle tambouille !
Luc : Vous, chez Attac, vous êtes une bande de terroristes qui êtes là pour faire peur.
Isolde : Non mais ça va, oui !
Luc : Si, si.
Nico : J’aime bien les terroristes, moi !
Isolde : On n’est pas des terroristes, parce qu’on ne s’en prend à personne.
Mag : Ils ne sont pas là pour faire peur !
Isolde : On est à visage découvert. Il faut quand même dire qu’on n’était pas juste à l’Apple Store d’Opéra. Il y avait des actions qui étaient dans l’ensemble de la France. C’est celle-ci qui a été la plus médiatisée, parce que c’est un endroit assez médiatique et on est tellement pas des terroristes que la justice française a dit qu’on était quand même d’intérêt public.
Nico : Il faut quand même rappeler que Apple a porté plainte contre vous en disant que vous n’aviez pas le droit, en essayant de vous empêcher.
Isolde : Oui. En fait ce qu’ils ont cherché à faire, ils nous ont dit que si on faisait une nouvelle, parce que c’est ce qu’ils cherchaient à obtenir, si on faisait une nouvelle action dans un de leurs magasins, là, on devrait payer, je crois que c’était 150 000 euros ; ce qui évidemment, pour Attac, est une somme absolument énorme et qui devait être complètement dissuasive. Là où ils se sont trompés c’est, qu’en fait, ils nous ont accusés de tout un tas de maux et de choses qu’on était censés avoir faites dans ce magasin.
Luc : Terroristes !
Isolde : Et il était assez simple de prouver que non, nous n’avions été ni agressifs, ni menaçants, ni quoi que ce soit puisque c’est pas du tout dans la mentalité d’Attac.
Luc : Et donc une affaire qui a fait du bruit ; ça a été pas mal relayé, ça c’est vraiment très sympa.
Isolde : Oui, ça a été bien relayé.
Luc : Attac n’a pas vraiment de prise de position sur la question des libertés numériques, des libertés informatiques des utilisateurs.
Isolde : Pas encore.
Luc : Sachant que chez Apple, ils sont loin d’être les seuls, mais ils ont quelques belles casseroles derrière eux. Cette question de l’évasion fiscale, il n’y a pas qu’Apple. Je rappelle, qu’en gros, toutes les sociétés informatiques déclarent leurs impôts en Irlande, je pense qu’il y a d’autres sociétés, en dehors de l’informatique, qui le font également. On rappelle qu’en France on a certains ministères, comme le ministère de la Défense qui a fait un accord Open Bar avec Microsoft et directement avec Microsoft Irlande. C’est-à-dire qu’un ministère français participe à ce système d’évasion fiscale en contractualisant, pour acheter du logiciel et des services en France, en contractualisant en Irlande.
Mag : Il n’y a pas que le ministère que tu cites. Il y a aussi la Santé et l’Éducation.
Nico : Il y en a partout. Après, la mentalité est peut-être en train de changer puisqu’il y a quelques projets de lois qui sont en cours de réflexion où ils envisageraient de taxer, éventuellement, à 2 ou 3 %, les bénéfices des GAFAM sur la France.
Luc : Il y a une volonté quand même de redresser le tir depuis maintenant quelques années, et l’État ce n’est pas un monolithe. Donc effectivement, on a d’un côté des gens qui vont dans ce sens-là avec les décisions européennes et des tas de choses qui poussent en disant maintenant il faut arrêter ce système-là, et d’autres qui marchent à fond dans la combine quoi !
Nico : Après, il y a tellement de lobbying sur ces marchés-là ! On l’a vu avec Munich où Microsoft a dit : « Si vous ne nous filez pas le marché, on va partir ailleurs et du coup, vous allez perdre des emplois ». Ils ont mis leur siège social en jeu, en fait, dans la ville de Munich.
Luc : Ils l’ont déplacé.
Nico : Ils l’ont déplacé. Et voilà. Quand un politique tombe face à ça, c’est un peu de la corruption grise. Ce n’est pas de la corruption tout à fait comme on l’entend.
Luc : Le nouveau maire de Munich — il y a eu un changement de majorité — était assez volontaire puisqu’il avait commencé par faire des déclarations en disant « je préférerais du Microsoft mais bon là on est partis sur du Libre donc ce ne serait pas raisonnable de faire marche arrière. » Et c’était un peu l’appel, je pense, vu de l’extérieur, l’appel du pied à Microsoft en disant « faites un geste et on sera plutôt coopératifs ! » Donc cette question de l’évasion fiscale est assez générale, toutes les grosses boîtes de l’informatique le font. Il y a également la question des données qui sont derrière, parce qu’on parle des sous, la quantité d’argent, le marché publicitaire est absolument colossal, ce sont des milliards. Il y a aussi les données qui nous échappent, puisqu’elles ne sont pas stockées en France ou en Europe.
Nico : Ça dépend. Après Apple est un peu, quand même, le bon élève dans ce domaine-là. Les pires sont quand même Google, Facebook, Microsoft et les autres. Apple, on paye suffisamment cher le matériel pour qu’ils n’aient pas à revendre nos données pour se financer. Mais c’est vrai que les autres entreprises, en plus de faire de l’évasion fiscale, exfiltrent les données à l’extérieur et vous ne savez pas trop qui va avoir accès à vos données, qu’est-ce qu’ils vont en faire, est-ce qu’ils vont s’en servir pour faire de la pub, du ciblage ou autre. Donc c’est assez nébuleux. Et on sait, en tout cas, que c’est tout sauf éthique.
Luc : Et ils sont hors-la-loi. J’avais lu notamment, il y a quelques temps, que l’équivalent de la CNIL en Belgique avait dit : « Facebook ne respecte pas le droit européen ». Donc ce ne sont pas des allégations sorties de nulle part.
Nico : Ils ont déjà eu des condamnations. Même la CNIL française a tapé sur Google et Microsoft, mais les amendes étaient tellement ridicules : ça se comptait en centaines de milliers d’euros, c’est le budget apéritif pour le prochain apéro de Microsoft. Forcément, c’était tout sauf dissuasif.
Isolde : Ce qu’il y a de bien c’est que les médias traditionnels commencent aussi à se bouger et puis à mettre en lumière un certain nombre d’exactions. Il y a eu quand même les Panama Papers [1] qui ont permis d’éveiller les consciences et ça, c’est quand même une très bonne nouvelle.
Luc : Oui. Tout à fait. Ça bouge, ça va dans le bon sens. Après, il y a toute cette problématique-là. Nous, on est sur du logiciel libre, mais combien de gens chez Attac avaient un iPhone dans leur poche en allant embêter Apple, tu vois ?
Isolde : Pas beaucoup !
Luc : Pas beaucoup ?
Isolde : Pas beaucoup.
Manu : On peut espérer qu’il va y avoir d’autres fuites, d’autres lanceurs d’alerte qui vont révéler un petit peu ce qui se passe. J’aimerais bien voir les comptes notamment, parce que tout cet argent qui est en évasion fiscale on sait qu’il se retrouve sur des comptes offshore et qu’il y a des centaines de milliards de dollars qui traînent, qui ne sont pas utilisés, si ce n’est pour acheter, éventuellement, des entreprises ; et là, en ce moment, c’est en négociation avec Donald Trump pour les ramener, les rapatrier aux États-Unis. Et lui, il veut récupérer des grosses sommes d’argent qui vont être injectées dans l’économie, en leur fournissant des avantages fiscaux ; parce qu’aujourd’hui, si tu rapatries tout cet argent aux États-Unis, ces centaines de milliards, il faut payer les taxes américaines, donc les entreprises refusent et là, elles risquent d’avoir un accord assez privilégié pour favoriser ce rapatriement d’argent.
Luc : En fait, on se retrouve dans une situation où ces grosses boîtes ont des avantages énormes, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, etc., parce qu’elles ont des capacités de lobbying importantes, des services pléthoriques fiscalistes et autres, qui mettent tout ça en place. Et, à côté de ça, on essaye de nous vendre la French Tech et c’était quoi le truc ?
Manu : La Start-up Nation.
Luc : La Start-up Nation ! Et tous ces gens-là qui développent des tas de choses, qui ont plein de talent, ce n’est pas la question, mais ils vont utiliser massivement des services Google, des services Amazon et des choses comme ça et on se retrouve, finalement, à être des satellites informatiques de ces grosses boîtes qui sont taxées bien moins que ces start-ups françaises qui vont avoir plein d’avantages, je pense, mais, à un moment ou à un autre, l’État français voudra toucher les sous. Et je trouve ça bien dommage, parce qu’à partir du moment où on va être un peu dans cette envie de développer une économie locale et qui soit solide et ce genre de choses, eh bien on n’a pas envie qu’elle soit entièrement dépendante des services structurants de ces grosses boîtes.
Nico : Et puis, il y a un énorme biais de concurrence. Effectivement, comme ils ont beaucoup de moyens, qu’ils sont exonérés de partout et qu’ils ne payent pas d’impôts, ils peuvent avoir des services beaucoup moins chers ; ils font de la sous-traitance en Chine alors que nous, on va avoir tous les coûts de main-d’œuvre française ou autres. Donc un service français qui voudrait être l’équivalent d’un Amazon ou d’un Google n’est juste complètement pas compétitif sur le marché. Forcément les gros, plus ils sont gros, eh bien plus ils sont gros ! C’est l’effet boule de neige du système.
Luc : Surtout que dans l’informatique, l’effet d’échelle joue très peu. En fait, plus on est gros moins on est cher, contrairement à d’autres domaines où on s’empâte et où on est de moins en moins efficace. Isolde, merci beaucoup pour nous avoir raconté tout ça, c’était très intéressant.
Isolde : Merci de m’avoir invitée.
Luc : Et on se retrouve la semaine prochaine les autres.
Manu : À la semaine prochaine.
Mag : Salut
Nico : Bonne semaine à tous.