- Titre :
- Arthur dans le journal de 22H du 20 juin sur France Culture à propos de la loi Avia
- Intervenants :
- Arthur Messaud - Journaliste
- Lieu :
- Journal de 22 heures - France Culture
- Date :
- 20 juin 2019
- Durée :
- 9 min 07
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- Logo de La Quadrature du Net - Licence Creative Commoms CC-BY-SA
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Arthur Messaud : D’abord il faut dénoncer son inutilité. Ce délai de 24 heures sera imposé seulement aux très grandes plates-formes à priori comme Facebook, Twitter, YouTube, et pas à tout le reste du Web et aujourd’hui Facebook ou YouTube emploient déjà des milliers de personnes dans des conditions d’ailleurs assez terribles pour retirer le plus vite possible des contenus et on ne comprend pas quel est le besoin qu’ils aillent plus vite. Ils font déjà beaucoup de retraits en 24 heures. Aujourd’hui on a l’impression d’avoir une loi [1] qui vient faire une proposition inutile parce qu’en fait elle vient exiger des choses qui sont déjà là.
Tout le reste de la loi, juste pour ce délai, c’est vraiment une imposture politique très grave pour faire croire que le gouvernement agit pour nous protéger sur Internet alors qu’en fait pas du tout.
Le risque c’est que derrière cette inutilité viennent se glisser, en fait, des vraies ouvertures de nouveaux pouvoirs pour la police et la police, depuis plusieurs années en France, a de plus en plus de pouvoir pour pouvoir censurer Internet sans autorisation du juge. Et là on voit apparaître encore une multiplication de ces cas-ci.
Journaliste : Pour vous c’est le fait que l’on ne recourt pas à un juge qui pose le problème ?
Arthur Messaud : Bien sûr. Par exemple en janvier dernier il y a eu une affaire qui a fait un peu de bruit. C’est la police qui a contacté Google pour censurer une caricature de Macron. Macron était caricaturé en Pinochet et la police, ni une ni deux, dans la journée, a fait un signalement enregistré en tant qu’insulte et discrimination raciste, alors que c’est juste une caricature de Macron qui n’avait rien de raciste. Et là c’est ce qu’on voit, c’est que la police veut abuser de ses pouvoirs, soi-disant de lutte contre le racisme, en fait pour lutter contre des adversaires politiques.
Journaliste : Donc selon vous il faut l’intervention de l’autorité judiciaire pour statuer sur les contenus litigieux en ligne ?
Arthur Messaud : Bien sûr ! Évidemment, c’est le seul contre-pouvoir raisonnable en l’état pour éviter le dévoiement de la loi par la police à des fins de censure politique. Ça la police l’a fait, on a plusieurs exemples réguliers. Il n’y a que le juge qui peut être une garantie à peu près raisonnable.
Journaliste : Oui, mais on peut aussi considérer qu’il faut agir vite pour éviter que ces contenus haineux se propagent.
Arthur Messaud : C’est vrai, il faut agir vite, mais en fait c’est déjà dans la pratique. Les problèmes qui sont posés ne sont pas ceux résolus par la loi. Par exemple si la question c’est : est-ce qu’il faut que Facebook censure plus vite ? Ça Facebook le fait déjà, censure très vite. Par contre il y a un vrai problème qui n’est absolument pas traité par la loi, c’est la responsabilité du modèle économique de Facebook, de YouTube, de Twitter, qui, pour nous faire rester plus longtemps, pour nous faire buzzer le plus, pour mieux vendre leurs publicités, vont, en fait, organiser la culture du buzz ou l’économie de l’attention qui vont favoriser les conflits, les contenus anxiogènes. Sur Twitter, par exemple, c’est impossible de débattre tellement les messages sont courts. Par contre, les messages virulents vont beaucoup plus facilement être diffusés. Sur YouTube, si vous regardez à droite les vidéos qui sont recommandées, en fait les études, enfin l’expérience montre que ce sont plutôt des vidéos conflictuelles, des vidéos aux spectres politiques les plus extrêmes ou des vidéos sur la Terre plate, des choses qui, en fait, sidèrent le public, font qu’on reste plus longtemps sur la vidéo et toutes les choses plus subtiles, tous les contenus et les messages plus subtils d’entraide, d’écoute, sont en fait enterrés, sont censurés par enterrement sur ces plates-formes qui ne mettent en avant que les choses les plus simples et souvent les plus violentes. Ce problème-là n’est absolument pas traité par la loi. Le problème de la responsabilité du modèle économique des géants qui, aujourd’hui, ont réussi à aspirer la plupart des utilisateurs, pour ça la loi ne fait rien parce que c’est s’attaquer aux géants du Web, ça fait trop peur au gouvernement aujourd’hui.
Journaliste : Oui, mais la loi n’est pas là pour sanctionner, contrôler la culture du buzz !
Arthur Messaud : Elle pourrait le faire, si elle voulait faire quelque d’utile, ça serait ça. En fait, cette culture du buzz n’est pas du tout arrivée naturellement telle qu’on la voit aujourd’hui. Les buzz sont entretenus par les modèles économiques, parce que ça sert l’intérêt des vendeurs de publicité que sont Facebook, YouTube et Twitter et si vous vous souvenez de avant, comment était Internet avant ces grandes plates-formes, il y avait des logiques de buzz mais qui étaient beaucoup moins entretenues et surtout qui ne venaient pas favoriser un type de contenu très particulier. Par exemple sur Facebook ce sont les vidéos les plus courtes qui vont être mises en avant. Sur Twitter, de toute façon, vous êtes obligé de faire des vidéos courtes. Et ça, ça ne permet pas de faire buzzer tout et n’importe quoi ; ça va surtout faire buzzer les conflits, les invectives et ça la loi peut l’encadrer. C’est précisément ce qu’elle devrait faire.
Journaliste : Arthur Messaud, pourquoi faudrait-il faire confiance aux plates-formes type Facebook pour modérer les contenus ?
Arthur Messaud : Aujourd’hui Facebook dépense énormément d’argent et d’énergie pour modérer les contenus. Elle le fait de deux façons.
Une première façon c’est embaucher des milliers et des milliers de personnes en Asie du Sud, en Afrique, en Amérique du Sud, qui travaillent dans des conditions terribles, qui passent leurs journées à voir des choses très anxiogènes, et j’imagine que bientôt on découvrira un nombre de suicides ou de dépressions terribles chez elles. Ça c’est leur première façon de faire qu’il faut critiquer.
Leur seconde façon de faire : elles prétendent utiliser de l’intelligence artificielle, des machines qui seraient capables de détecter la violence ou les vidéos haineuses. Ça c’est un peu de la magie, aujourd’hui on ne sait rien du tout sur comment ça marche. Tout ce qu’on constate c’est que ça n’a aucun effet notable sur leurs plates-formes parce que leurs plates-formes restent des endroits extrêmement anxiogènes, mais c’est le petit atout qu’ils agitent comme par magie ; en fait, leur intelligence artificielle n’a démontré aujourd’hui aucune efficacité particulière.
On en peut pas faire confiance.
Journaliste : Oui. Justement. D’où l’intérêt, peut-être, qu’une loi modère ces contenus ?
Arthur Messaud : En fait, la loi ne vient pas modérer les contenus en confiant la modération à un juge, ce qu’elle fait, elle vient dire à Facebook « faites mieux que ce que vous faites aujourd’hui ». Seulement Facebook, en termes d’embaucher des modérateurs dans les pays les plus pauvres ou de développer une intelligence artificielle inutile, ça elle le fait déjà autant qu’elle peut, au maximum, c’est juste que ce sera toujours inutile. Facebook ne peut pas être corrigée.
On peut demander à Facebook par une loi ou pour par des sanctions d’abriter moins de violence, c’est impossible. Son modèle économique même, la taille de Facebook — deux milliards de personnes ensemble —, c’est impossible que les gens soient en paix et calmes avec autant de personnes. Ça c’est impossible à corriger. La seule façon, la seule solution, c’est juste de forcer Facebook à renoncer à ce modèle économique et ça, Facebook le refuserait. Donc la solution c’est soit détruire Facebook et pour ça on a beaucoup d’armes, on a beaucoup de lois, notamment les lois en matière de protection des données personnelles qui peuvent le permettre et c’est ce qu’on essaye de faire, nous, à La Quadrature du Net [2].
Ce serait aussi de permettre aux gens de pouvoir enfin quitter Facebook, de pouvoir quitter Twitter, de pouvoir quitter YouTube. Aujourd’hui ce n’est pas trop possible, il y a plein de gens, on pense que la plupart des gens ne peuvent pas partir de Facebook, ils voudraient mais ça aurait un coût social énorme, ce serait perdre leurs liens avec leur famille, avec leurs collègues, avec leurs amis. Sur Twitter aussi ça serait perdre des liens avec des personnes qui nous aident parce qu’on est dans une situation difficile.
Nous, ce qu’on dit, c’est que la loi doit permettre aux individus de partir de ces plates-formes en forçant ces plates-formes à devenir interopérables. C’est un terme technique qui veut dire qu’on peut partir de Facebook pour aller sur une alternative, tout en pouvant continuer, depuis notre nouvelle plate-forme, à communiquer avec nos amis qui sont restés sur Facebook. Ça ce sont des choses très simples qu’on fait en matière de mails : par exemple si aujourd’hui vous partez de Gmail pour aller sur La Poste, vous pouvez continuer, depuis La Poste, à parler avec vos amis qui sont restés sur Gmail, c’est tout à fait normal. Nous, on dit qu’il faut imposer ça aux grandes plates-formes, aux grands réseaux sociaux, parce que c’est la seule solution crédible à court terme pour nous protéger, pour protéger les victimes de la violence intrinsèque à leur modèle économique.
Journaliste : Mais vous pensez mettre en place de nouvelles plates-formes plus vertueuses ?
Arthur Messaud : Il en existe déjà des milliers en fait. Aujourd’hui YouTube, Facebook, Twitter, Instagram, ces quelques entreprises ont complètement rendu beaucoup moins visible ce qui existe sur Internet depuis dix ans, vingt ans. Internet ce sont des milliers et des milliers de sites de communautés qui existent indépendamment de Facebook, Google, qui se modèrent elles-mêmes très bien. Si vous allez sur Wikipédia, Wikipédia ce sont énormément d’utilisateurs et c’est, en plus, un des sites les plus lus au monde hormis les contributeurs et ça se régule tout seul de façon très intéressante, beaucoup plus efficacement que Facebook ou YouTube. Sur Wikipédia vous n’avez pas de salariés qui sont payés à modérer, c’est la communauté qui se modère. Et ça, ce modèle, c’est ce qu’on trouve partout sur Internet depuis longtemps.
Depuis quelques années, spécifiquement en matière de réseaux sociaux, le monde du logiciel libre a fait des avancées vraiment pertinentes pour développer des réseaux sociaux décentralisés, c’est comme Facebook ou Twitter, seulement ce sont des réseaux sociaux qui sont hébergés par des milliers d’acteurs différents qui collaborent pour partager les coûts de l’infrastructure, de la bande passante, et qui vont, comme ça, permettre d’offrir des services gratuits, qui n’ont pas besoin d’être financés par la publicité ciblée ou par quoi ce que ce soit, mais en répartissant les coûts entre plein de personnes ; chacun peut un peu financer ça. Ça, aujourd’hui, ça marche bien, ça existe, ce sont des alternatives qui sont là, face à Twitter par exemple, et il faut que les personnes puissent venir sur ces alternatives-là et pour ça il faut réduire, il faut annuler le coût social extrêmement fort que ça a aujourd’hui de quitter Facebook ou Twitter.