Le thème retenu cette année est : Neutralité du Net, liberté d’expression sur Internet, le Paquet Télécom et la loi HADOPI.
Cette table ronde s’est déroulée le jeudi 9 juillet 2009 avec la participation de Benjamin Bayart, Alix Cazenave, Jérémie Zimmermann et Tangui Morlier.
Le fichier vidéo est ici : RMLL_18.m4v (Attention à la taille de 1,2 Go pour 3 heures de vidéo).
L’aide pour lire cette vidéo est sur cette page.
- Durée : 3 h 06 m 35 s
- Date : 9 juillet 2009
- Langue : Français
- Licence : ?
Transcription
Intervenants :
- Benjamin Bayart
- Alix Cazenave
- Tangui Morlier
- Jérémie Zimmermann
Benjamin Bayart : Le thème de la table ronde politique de cette année est la net-neutralité et la liberté d’expression sur internet. C’est au cœur de l’actualité politique en ce moment pour les différents combats qui nous concernent.
Dans la mesure où la neutralité du réseau n’est pas forcément limpide, on a décidé que je commencerai par vous expliquer ce que c’est. Donc je vais passer une bonne vingtaine de minutes à essayer de le faire et vous allez voir que ce n’est pas facile à définir.
Le premier morceau que je vais essayer de faire va être une définition de la neutralité du réseau ; je pense que vous ne serez pas satisfaits des bouts de définitions que j’apporte, qui pour nous informaticiens geeks-libristes parlent un peu, mais qui pour le grand public sont infernales à expliquer. Du coup, je prendrai quelques exemples qui seront plus simples à maîtriser et qui permettront de repérer où on va. S’il y a des gens qui voient des liens avec le minitel 2.0 dont je parlais il y a deux ans, ils ont bon.
Ensuite on essaiera de situer ce qu’est la neutralité du réseau, en particularité parce que ce n’est pas une liberté, c’est autre chose.
Alors, on va commencer par la définition. Je précise bien, c’est une tentative de définition. (les transparents ont été faits ce matin à l’arrache au milieu de la cafétéria avec les gens qui parlaient autour, donc s’il y a des fautes d’orthographe c’est de ma faute et j’assume. Je sais qu’il y a des fautes d’orthographe).
Alors une première façon de définir la neutralité du réseau c’est de dire : « on route le trafic sans tenir compte du contenu ». C’est à dire qu’on n’a pas à regarder les données qui sont dedans, on transporte les paquets en fonction de la source et de la destination. C’est une première façon de le définir qui est relativement satisfaisante car elle est facile à expliquer à un informaticien, elle est affreuse à expliquer à ma belle mère.
Et puis surtout, elle n’est pas vraie, je peux très bien router sans tenir compte du contenu et faire en sorte que quand c’est à destination de quelqu’un que je n’aime pas, je perde un paquet sur deux. Je n’ai pas regardé ce qu’il y a dedans.
Cette définition là n’est pas suffisante, elle ne donne qu’une première idée.
2) Une deuxième idée c’est de dire justement : « on ne peux pas privilégier une adresse ». Il n’y a pas un endroit vers lequel je route sans perdre de paquets et un autre endroit vers lequel je route en perdant des paquets. Dire je ne privilégie pas une adresse.
On peut penser que c’est une définition un peu plus convenable sauf que, on peut ne pas privilégier une adresse et privilégier un protocole , exemple : « Skype je n’aime pas ça, alors j’empêche skype de passer » ou « Jabber c’est pas bien, je laisse passer MSN et je ne laisse pas passer jabber ». Pourtant je n’ai pas privilégié une adresse, et je n’ai pas regardé le contenu, j’ai juste regardé les numéros de port.
3) Autre définition : « ne pas privilégier un protocole ». On sent bien que si on reste sur cette définition, je ne privilégie pas un protocole..je ne dis pas que pour faire du téléphone, il vaut mieux tel protocole que tel autre, pour faire du web il vaut mieux telle méthode que telle autre.
Il reste quand même qu’il faut les deux définitions précédentes sinon on ne s’en sort pas. Parce que si je ne privilégie aucun protocole mais que je regarde ce qu’il y a dans le contenu pour décider si on laisse passer ou pas, on n’a pas bon.
4) « Ne pas porter atteinte au contenu ». C’est presque la définition la plus évidente parce que si j’ai envoyé un message et qu’il arrive, il est prié d’arriver intact.
Essayer de définir la neutralité du réseau c’est un peu de ces quatre points là. C’est plus compliqué que ces quatre points là et tout mon problème quand je vous l’explique comme ça, c’est que je n’ai que des définitions négatives. C’est très compliqué d’essayer de vous dire en une phrase ce qu’est la neutralité du réseau en une définition positive.
La définition ce serait de dire que le réseau transporte les données. Point. Il n’a pas à faire plus que de les transporter. Il ne présente pas d’intelligence, il transporte des données. C’est dire que le réseau internet doit se comporter vis à vis des données qui s’échangent dessus exactement comme un tuyau se comporte vis à vis de l’eau. Il ne regarde pas de quelle couleur est l’eau, elle rentre, elle sort. Point.
Pourquoi est-ce que je vous embête avec cette question de neutralité du net, on y viendra plus loin, parce que c’est un point relativement central sur pas mal de sujets. On verra que ça touche à beaucoup de choses.
Il y a plusieurs endroits en matière de droit, où on en parle, mais toujours de manière très peu satisfaisante.
D’abord, historiquement, c’est quelque chose qui est toujours très vieux puisqu’on parlait déjà de neutralité du transporteur pour la poste. Si vous reprenez les quatre éléments que j’évoquais, ils s’y appliquent assez bien . Elle n’a pas le droit :
- de lire le courrier pour décider si elle va le distribuer.
- de distribuer en fonction de ce que raconte la lettre,
- de privilégier une adresse par rapport à une autre.
Donc c’est une notion qui est ancienne, la notion de neutralité du transporteur.
C’est cité dans les codes, en particulier en droit français dans le code des postes et communications électroniques autour de l’article L32.1, si ma mémoire est bonne. C’est super court, c’est en une demie ligne, il est dit que « les opérateurs sont contraints à une neutralité absolue sur le réseau ».
Cela ne dit pas ce que c’est, ça dit juste que les opérateurs doivent le respecter. Donc c’est une définition qui est faible et il n’y a bien évidemment pas de jurisprudence là-dessus.
Au niveau européen, à ma connaissance, dans les directives actuelles, il n’y a rien qui définisse ce qu’est la neutralité du réseau, et dans les directives en cours de discussions dont on aura l’occasion de parler, il y en a beaucoup qui essaient de la définir, qui essaient de dire que le réseau reste neutre même si on fait n’importe quoi.
C’est la partie du paquet télécom sur laquelle on s’est le plus battus. A l’international, car il faut comprendre que ce débat n’est pas que local : il a commencé aux États Unis. Basiquement les américains ne s’en sont pas sortis. Il n’y a toujours pas de textes aux États Unis qui définisse ce qu’est la neutralité du réseau et à quel point il faut la respecter. Ils ont très courageusement botté en touche en voyant que l’Europe travaillait dessus et se sont dit : « on va attendre patiemment qu’ils sortent des textes pour s’en inspirer. »
Donc pour le moment, une des raisons pour lesquelles il y a beaucoup d’enjeux sur ce sujet aux parlements européens et français c’est parce que les européens sont en train de définir un mode de fonctionnement politique et que s’il est défini de manière claire et forte, il prendra du poids au delà de l’Europe.
Quelques exemples qui vont aider à comprendre pourquoi c’est important. Le premier morceau c’est comprendre des choses qui ne sont pas complètement de l’altération de contenu, ce sont des cas de filtrage que l’on connaît et des cas de mensonge, de réseau menteur.
Le classique c’est l’anti-spam, vous n’y faites pas forcément beaucoup attention mais pour ceux d’entre vous qui y font gaffe la majorité des opérateurs grand public de nos jours commencent à filtrer le port 25. Je ne sais pas si ça parle à tout le monde : cela vous empêche d’avoir un serveur mail chez vous. Le but, il est très clair, c’est d’empêcher les windows, qui sont tous crevus de spyware, malware et autres choses bizarres, d’envoyer du spam sur la planète entière. Sauf que, du coup, le réseau n’est plus neutre, votre ordinateur, n’ayant pas le droit d’envoyer de mail, est moins égaux que les autres.
C’est une première atteinte. Elle est parfois bénigne puisque vous pouvez, chez certains opérateurs, désactiver ce filtrage, mais c’est une atteinte. Et quand on ne peut pas le désactiver, c’est une atteinte anormale.
L’autre exemple qui relève du mensonge et que j’appelle pro pub, c’est le fait de mettre des DNS menteurs. Mettre des serveurs de noms de domaine qui font que quand vous demandez un nom de domaine qui n’existe pas, ils renvoient une réponse. Le domaine n’existant pas, ils devraient répondre : n’existe pas. Pourtant on voit de plus en plus souvent chez les opérateurs des serveurs de noms de domaine qui quand on tape n’importe quoi répondent « ah ça existe, c’est là, c’est chez moi ». Ça, ça sert à diffuser de la pub, car vous tombez sur un portail qui en fonction de ce que vous avez demandé fait des bouts de recherches et vous refourgue de la pub. Bien évidemment on les contourne, quand on n’a pas envie de les avoir, en utilisant des DNS normaux.
On voit apparaître maintenant, pas encore en France, mais il y a quelques expérimentations aux Etats Unis, en particulier Comcast, qui fait des testes pour vous empêcher d’utiliser un autre DNS que le leur. Vous avez fait de l’anti-pub en sortant de ça, ils font de l’anti-anti-pub en filtrant et en vous empêchant de faire des requêtes ailleurs que chez eux.
Tout cela sont des atteintes à la neutralité des réseaux, car si vous regardez, ça viole un des quatre principes que j’ai cités tout à l’heure. Soit ça altère le contenu quand ça ment, soit ça vous empêche certaines communications, interdire un protocole c’est privilégier tous les autres, à chaque fois on tombe dedans. Tout ça ce sont des choses qui se pratiquent en France.
Le peer to peer, c’est l’exemple classique : les opérateurs s’arrangent sur les liaisons qui leur coûtent très cher. Par exemple ils câblent les liaisons ADSL non dégroupées pour filtrer le peer to peer de manière à sauvegarder un peu d’euros en payant un peu moins de bande passante. S’ils vous vendent des connections illimitées qui font en sorte que vous ne vous en serviez pas sur les protocoles qui leur coûtent cher, c’est une atteinte à la neutralité du réseau.
Je ne sais pas si vous avez déjà essayé d’utiliser les connexions réseau sans fil, typiquement connexion 3G pour faire de la téléphonie, y a pas de raison c’est de l’IP, ça devrait marcher. Si je lance skype, je devrais pouvoir téléphoner sur ma connexion illimitée 3G++, premium chère.
Et bien cela ne marche pas, c’est filtré. Ça c’est une atteinte très claire à la neutralité du réseau, et si on essaie de l’exprimer en terme non geek, c’est une atteinte très forte au principe de concurrence libre et non faussée, puisque skype est un concurrent de vos marchands de téléphonie habituelle et ils empêchent les concurrents de vivre. Même pour les plus farouches défenseurs de la concurrence libre et non faussée et du tout et n’importe quoi sur les réseaux, c’est assez curieux comme approche.
Là où on touche le fond, c’est très clairement sur tout ce qui se passe sur les abonnement GSM. Si vous regardez ce que l’on vous vend sous le nom d’internet chez les opérateurs de téléphonie mobile, ça ressemble à tout ce que vous voulez sauf à du réseau neutre. En fait, ils n’en sont plus à essayer d’empêcher deux ou trois protocoles qui ne leur plaisent pas, ils en sont à choisir une liste de sites web que vous avez le droit de visiter, à choisir une liste de protocoles et d’applications que vous avez le droit d’utiliser.
Si vous lisez toutes les petites lignes de l’internet illimité, vous allez voir que vous avez le droit à très peu de choses. A l’heure actuelle, si j’en crois le code des postes et communications électroniques en droit français, tout cela est illégal. C’est illégal sans que le code en question ne prévoit de sanction. Un opérateur qui fait ça, moi j’ai eu beau chercher, il n’y a pas de sanction pénale, il n’y a pas de sanction civile, il n’y a pas de sanction commerciale. C’est très vide. En fait, la seule sanction qui existe, c’est que l’autorité de régulation pourrait décider qu’ils ne sont plus opérateurs. Mais ça n’aura jamais lieu, jamais l’autorité de régulation va décider que SFR n’est plus un opérateur mobile sous prétexte qu’ils ont filtré Skype. Donc en fait, c’est un délit en droit français qui n’est pas sanctionné.
L’autre morceau assez classique, c’est celui que j’appelle la protection de revenus. Au départ, un fournisseur d’accès à internet, un opérateur de réseau, passe un accord de partenariat avec quelqu’un qui vend du contenu. Par exemple une société qui vend de la vidéo à la demande sur internet passe un accord de partenariat avec l’opérateur. Ils font des publicités communes. Puis comme dans tous les accords de partenariat, il y a de la revente, du reversement. A chaque fois que l’opérateur X aura réussi à envoyer certains de ses clients regarder des films chez son partenaire, celui-ci lui reversera 5% de commission en tant qu’apporteur d’affaires.
Et puis à force d’être un partenariat, il devient un partenariat privilégié. C’est à dire que finalement pour s’assurer que mes abonnés vont bien aller chez le marchand de vidéos avec qui j’ai un partenariat, je vais faire en sorte que ça marche mal chez les autres. Curieusement je vais perdre des paquets à ces endroits là.
Ça se pratique, ça ne se dit pas mais ça se pratique. Je l’ai vu chez différents opérateurs chez lesquels j’ai travaillé. En fait, on ne perd pas les paquets, on fait en sorte de ne pas optimiser les routes, on sait que cela passe par des liens qui sont un petit peu saturés mais comme ce sont des liens sur lesquels ça ne rapporte pas de business, on n’est pas pressé de les remplacer.
Il y a bien évidemment les questions d’entrave à la concurrence. Chez les libristes, la concurrence libre et non faussée n’est pas toujours quelque chose qui paraît positive. Mais la concurrence libre et non faussée, c’est une idée qu’on peut utiliser quand on se bat contre les gens du propriétaire : en disant qu’ils n’ont pas le droit de fermer les données des gens, parce que c’est une entrave à la concurrence, qu’ils n’ont pas le droit d’empêcher l’interopérabilité parce que c’est une entrave à la concurrence. Quelque part la liberté de choix, en termes politiques européens, ils appellent ça la concurrence.
Et c’est ça qu’on défend, nous. Typiquement quand SFR, orange ou bouygues empêchent skype de travailler sur le réseau IP mobile, c’est de l’entrave à la concurrence. Parce qu’ils n’empêchent pas que skype, ils empêchent FDN de le faire. Si nous, on a envie de monter un service de téléphonie, les gens peuvent utiliser ce service de téléphonie de FDN depuis n’importe quel accès sauf un accès mobile. Pourquoi ? On ne sait pas. Comment cela peut être légal ? Ben ça l’est pas et puis de toute façon on peut toujours aller faire un procès, on aura rien.
L’étape immédiatement après, c’est de rendre les clients captifs. C’est de faire en sorte que finalement plutôt que de s’emmerder à faire un partenariat avec un marchand de vidéos, on va monter un service de vidéos à la demande. Si vous voulez voir des mangas en japonais achetés directement sur un site qui vend ça au japon, on va vous en empêcher. Vous n’allez pouvoir acheter que les vidéos qu’on voudra bien vous diffuser sur votre chose-box. Ça c’est pas encore fait ,mais ça nous pend au nez. Quand il y a des négociations un peu musclées entre certains opérateurs et daily motion, l’idée sous-jacente c’est bien celle là. C’est dire, nous on vous vend de la vidéo, vous n’avez qu’à venir regarder ce qu’on veut bien vous vendre.
En droit, il y a aussi quelques exemples intéressants. Donc c’est interdit comme je l’ai dit, bien évidemment pas de sanction, c’est une interdiction qui est toute virtuelle. La net discrimination, c’est ce qu’on a croisé dans le paquet telecom pendant les négociations au parlement européen. Il y a des tentatives de faire passer des choses très malsaines, au niveau des directives, autorisant tous les filtrages et sous quelques conditions pas très contraignantes. En fait l’idée c’est que puisque tous les opérateurs ont envie de le faire, et le font, autant les y autoriser.
Il y a le problème de l’accès à l’information. En droit, la liberté d’accéder à l’information existe, cela a été rappelé récemment, on aura l’occasion d’en discuter. Le fait de porter atteinte à la neutralité du réseau, ça porte atteinte à la façon dont vous pouvez choisir l’information à laquelle vous accédez.
Tiens je ne sais plus ce que c’était ça... Pourquoi j’ai écrit ça dans mon transparent ? (blanche) Quand je vous ai dit que je ne l’avais pas préparé. Voilà, il y a quelqu’un qui suit à ma place.
La suite de ça, c’est la liste blanche. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce grand moment de rigolade dans le début des débats sur Hadopi, à l’assemblée. Christine Albanel qui proposait que le gouvernement sorte une liste blanche des sites web autorisés. Au XXIème siècle, en France, un ministre de la République qui propose que le gouvernement sorte une liste blanche des sites web qu’on a le droit de lire... ahurissant ! C’est pas un zozo, un directeur marketing, c’est un ministre de la République qui a proposé ça devant une commission parlementaire et qui s’est même pas fait lyncher. Dans la presse, si un peu, mais à la commission c’était plutôt calme.
Donc voilà, en droit pour le moment on en est là, c’est à dire qu’on en est à ce qu’officiellement c’est interdit et puis dans la pratique tout le monde le fait. Et il y a énormément de travail législatif fait pour l’autoriser.
Du coup, si on essaie de situer ce qu’est la neutralité du réseau,
- ce n’est pas la liberté d’expression mais on voit bien que ça y touche : si le réseau n’est plus neutre je ne peux plus héberger mes propres contenus. On est en train de commencer par le mail, mais il est évident que l’étape d’après, c’est qu’on aura plus le droit d’héberger nos serveurs web, donc on aura plus le droit de s’exprimer.
- ça n’est pas la liberté d’expression, mais il y a un gros bout de la liberté d’expression qui y est adossé.
- ça n’est pas la liberté d’information et la liberté d’accès à l’information, cependant là aussi il y a un gros bout qui est adossé dessus.
- ce n’est pas la libre concurrence, la libre concurrence existait avant le réseau. On sent bien qu’il y a quelque chose qui fait que la neutralité du réseau joue un rôle clé dans la libre concurrence, et donc dans le droit de choisir ce qu’on fait dans notre vie numérique. Cependant, c’est aussi adossé dessus.
Il y a un impact numérique colossal. Le numérique représente un poids économique très lourd. Les réseaux non neutres, on sait ce que cela donne en terme d’économie : des choses qui ne marchent pas ; cela donne des modèles économiques qui se sclérosent puis qui s’effondrent exactement sur le modèle du minitel. La neutralité d’internet est une des sources de croissance, c’est une des sources d’innovation. Sil y a de nouveaux services c’est parce que cinq gus dans un garage ont le droit de monter un service qui fait concurrence aux gros, que ce soit un service politique ou technique. Donc il y a un impact économique très fort.
Il y a un impact sociétal très fort, on sent très bien qu’internet est en train de tranquillement, petit à petit, remodeler la société dans laquelle on vit. Et on sent bien qu’un internet pas libre, cette espèce de minitel moderne qu’on essaie de nous vendre, ne modèlerait pas la société de la même manière.
Donc choisir la façon dont on traite le réseau, choisir si le réseau est neutre ou si le réseau est filtré, ne donne pas le même modèle de société à la sortie. En soi, ce n’est pas une liberté fondamentale et pourtant, on sent bien qu’il y a quelques très gros morceaux qui sont adossés dessus.
Je ne sais plus en discutant avec qui, c’est un peu comme la séparation des pouvoirs. En soi, la séparation des pouvoirs, le fait qu’on ne mélange pas l’exécutif, le législatif et le judiciaire, c’est pas une liberté, mais il se trouve que tous les endroits où on mélange les trois sont des endroits où on n’est pas libre. Et que tous les endroits où on arrive à préserver la séparation des trois, sont des endroits où il y a une certaine liberté, une certaine démocratie. Et donc c’est pas en soi une liberté fondamentale, mais c’est visiblement un principe sur lequel s’adosse un grand nombre de libertés. Et il semble qu’à l’époque du numérique, la neutralité du net joue un rôle de ce type là. Ça n’est pas en soi une liberté fondamentale, mais ça joue un rôle clé. Et donc c’est pour ça que j’ai souhaité qu’on prenne cet axe là pour organiser la table ronde politique.
On va pouvoir passer au sujet lui même maintenant.
Dans ce dont j’ai prévu qu’on puisse parler
On va parler essentiellement de cinq sujets qui s’articulent tous entre eux. Dans l’actualité politique, il y a eu beaucoup de morceaux cette année autour des questions de neutralité du réseau. Il y a un point sur lequel on est super mal préparé, on avait demandé, évidemment, et on a fait pas mal de forcing, à des politiques de venir, puisque c’est la tradition normalement sur les tables rondes politiques. Cette année, ils ne sont pas venus ; pour diverses raisons : pour certains d’entre eux parce qu’ils sont en train de s’occuper du travail du dimanche à l’assemblée ; pour d’autres, pour d’autres motifs. Il y a une députée, très particulière, Martine Billard, ceux qui ont suivi les débats, que ce soit sur DAVDSI ou sur Hadopi , la connaissent. On l’a rencontrée jeudi dernier et on est donc revenu avec ses réponses aux questions que l’on se posait. On va essayer de les diffuser au fur et à mesure des débats. Par contre, là où on a été moyennement brillant, c’est que j’ai des fichiers qui portent des numéros et pas les bonnes questions et donc je risque de cafouiller un petit peu. Mais bon on verra bien, au début de la vidéo, il y a la question, donc si on sent que c’est pas la bonne, il faudra zapper, ce sera la minutes ridicule.
Dans les cinq sujets que nous allons traiter, nous allons commencer par le premier. Je vais commencer par d’abord faire des choses polies. On va se présenter, on va faire ça de gauche à droite : Tangui Morlier, je te laisse te présenter tout seul.
Tangui Morlier : je représente ici l’initiative deputesgodillots.info. L’objectif de ce travail était l’étude de comportement de certains députés en hémicycle, que l’on a notamment remarqués durant Hadopi, mais aussi sur d’autres textes.
Jérémie Zimmermann : je suis co-fondateur et porte parole de la quadrature du net, qui est avant tout un garage et une manufacture d’adresses IP, dont vous avez peut-être entendu parler autour de la loi Hadopi ou du paquet télécom européen. Plus sérieusement nous sommes une caisse à outils pour permettre au citoyen de comprendre les processus législatifs, mais aussi de mettre un pied dans la porte de ce processus, en quelque sorte de remettre le citoyen au cœur du débat politique. C’est intéressant que cette année si riche en rebondissement, se trouve celle où il n’y a pas de politique à la table ronde politique mais des citoyens. Parce que c’est justement une année où des citoyens se sont bougés pour reprendre la politique. Pour refaire la politique à son sens initial, qui est celui de citoyens qui s’intéressent à la vie de la cité. Et c’est précisément ce qu’on a démontré au sein de la quadrature du net, et ce qu’on démontre tous les jours par notre action au réseau.
Benjamin Bayart : président du FDN (French Data Network, fournisseur d’accès internet)
Alix Cazenave : je suis chargée des affaires publiques à l’April. Pour ceux qui ne connaissent pas encore, l’April est la principale association pour la promotion et la défense du logiciel libre, la plus importante en France, la plus ancienne aussi. C’est nous qui sommes intervenus sur la loi Hadopi pour tout ce qui concernait les mouchards filtrants, dont on va inévitablement parler tout à l’heure, et on pourra faire également le parallèle avec d’autres problématiques comme l’informatique de confiance et les DRM (Digital Rights Management, verrous numériques) qui sont des sujets dont on parle depuis un peu plus longtemps.
Benjamin Bayart : Je propose que pour commencer, on laisse la parole à Martine Billard afin qu’elle aborde les conditions dans lesquelles se sont déroulés le débat sur Hadopi et ceux sur internet. Car à chaque fois que les députés touchent des sujets sur internet, il se passe des choses bizarres auxquelles ils ne sont pas habitués.
Martine Billard : Ce qu’il faut savoir, c’est que tous les textes de tous les projets de lois qui viennent en débat à l’assemblée nationale, n’entraînent pas autant de travail, ni de mobilisation. Il y en a qui passent un peu dans l’indifférence générale.
Les textes concernant internet ont cette spécificité qu’ils mobilisent effectivement ce qu’on appelle des internationale, ce qui est peu le cas sur d’autres textes. Et ça modifie de fait les conditions et les modes de travail des parlementaires. Concrètement, la grosse différence que j’ai vécue en tant que député, que ce soit pour DAVDSI ou Hadopi, c’est que les internautes nous envoient des textes, des argumentaires, des exemples, ce qui fait que le député qui le souhaite peut effectivement ensuite construire 1) ses amendements, les modifications qu’il propose au texte, de façon très précise et très concrète et 2) son argumentaire de façon aussi très précise et très concrète. Je dirai que c’est très satisfaisant en tant que député parce qu’il y a des fois où on fait des discours un petit peu généraux alors que là sur ces textes, on peut avoir à la fois une réflexion philosophique sur la culture, sur les droits d’auteur, une approche juridique sur la manière dont le texte est construit juridiquement ; et une approche sur internet en tant que tel, en tant qu’outil.
C’est vrai qu’on n’aurait pas cette possibilité d’expertise en tant que député s’il n’y avait pas toute cette aide extérieure qui nous est apportée, en plus en temps réel, tout en sachant que pour ce qui est du passage du texte Hadopi, nous avons maintenant le droit dans l’hémicycle de l’assemblée nationale d’avoir un ordinateur, mais nous n’avons pas le droit que cet ordinateur soit connecté au réseau. C’est assez peu utile finalement, c’est assez significatif, cela rejoint le débat internet : cette peur de l’intrusion de l’extérieur, cette peur que, finalement, les citoyens fassent pression sur leurs élus. Pourtant, en tant que parlementaire, nous n’avons pas de mandat impératif : nous sommes élus comme candidats de partis politiques, pratiquement personne n’arrive à se faire élire sur son nom. Heureusement d’ailleurs : il faut être élus sur des idées, sur des propositions.
Nous n’avons pas de mandat impératif dans ce sens où nous pouvons voter et défendre nos arguments en notre âme et conscience. Et c’est vrai que le fait d’avoir toute cette aide fait peur, puisque cela permet du coup, justement, de débattre, de voter en son âme et conscience, de ne plus être soumis à son groupe politique. Et je trouve que les débats sur internet sont significatifs de ce point de vue sur la peur de la transparence. Alors, peur de la transparence du fait que les députés, en étant interpellés par les citoyens par l’intermédiaire d’argumentaires, de contre-expertise, de réponses quasi-immédiates dans les débat. Là-bas (dans l’hémicycle) on n’est pas en ligne, donc cela suppose que les mails qui nous arrivent en bureau sont souvent ensuite ramenés lors des séances. Mais imaginez, quand on pourra être connectés pendant les séances en ligne, on pourra dans ces moments là recevoir directement dans l’hémicycle ,des exemples, des contre-expertises ,par rapport aux réponses des ministres ou du rapporteur. Ce sera, je pense,un travail démocratique fantastique, alors que certains ont très peur, parce le député pourrait devenir indépendant.
Je crois que c’est déjà une première leçon de ce type de débat, que l’on rencontre peu sur d’autres débats, en tous cas, pour le moment. Sur le contenu de la voix elle même, je crois que grâce, justement, à tous ceux qui nous ont apporté leur participation, que ce soit la quadrature du net, l’April ou d’autres associations, les revues en ligne, télérama, PC impact, qui nous ont aussi beaucoup aidés et les internautes individuels, je crois que par cette aide, nous avons pu finalement déstabiliser la majorité gouvernementale. Des députés qui venaient voter comme un seul homme, comme une seule femme, se retrouvent interpellés par les arguments qu’ils entendent, par le fait que eux aussi, ils reçoivent des mails, et tout d’un coup, se posent des questions. Ces questions sur le texte de loi, sont autour du fait qu’on puisse couper la connexion internet sans décision de justice, ce qui est quand même énorme. Ça a interpellé un certain nombre de parlementaires, au delà de ceux qui étaient opposés globalement sur la loi. Sur le fait aussi qu’il y a eu des expressions significatives de députés de la majorité : « si en plus on est obligé de comprendre la technique, c’est vraiment fatigant qu’on nous oblige à nous poser des questions à partir de la technique ». Parce que effectivement si on se pose ces questions sur la technique, qu’est-ce que permet la technique, du coup les certitudes tombent. Puisque, et c’est ce qu’on a essayé de faire dans l’opposition, démontrer que ce qui pouvait paraître simple sur la preuve du téléchargement, ne se tenait pas. Il n’y a aucun moyen de prouver qu’il y a téléchargement sauf enquête de police, avec saisie de matériel, à domicile, et dans un délai très rapproché du fait de téléchargement abusif commis.
Donc, pour les députés qui ne voulaient pas se poser de question, c’était très douloureux d’écouter cela. Parce que, qu’ils le veuillent ou non, ils n’avaient pas de contre-arguments pour démontrer que finalement, il n’y avait pas de problème technique. Et ces deux arguments qu’on a soulevé :
- le fait qu’il devait qu’il y ait une autorité judiciaire qui soit saisie pour une coupure internet,
- et qu’on ne pouvait pas partir de la présomption de la culpabilité d’un internaute, puisqu’il fallait qu’il y ait la preuve de ce téléchargement abusif pour pouvoir condamner.
Ce sont les deux éléments qu’a retenus le conseil constitutionnel, le fait que la coupure internet soit décidée par un juge, et le fait que la présomption d’innocence ne permette pas d’accuser à priori un internaute d’avoir téléchargé.
Je crois que finalement ce débat internet, et cette décision du conseil constitutionnel qui a suivie suite à la saisie par l’opposition constitutionnelle, est une grande avancée en terme de droit, parce qu’elle réaffirme la présomption d’innocence, la nécessité du passage par l’autorité judiciaire, et c’est très important, parce que la ministre et le rapporteur Frédéric Lefevre ont passé leur temps à expliquer qu’internet n’était pas un droit fondamental.
Aller au conseil constitutionnel en disant aujourd’hui qu’internet est devenu un droit fondamental, au regard du droit à l’information, du droit à l’éducation, du droit à la liberté d’information est, je crois, une décision vraiment très importante ,et cela va bien au delà, finalement, de la loi Hadopi elle même, puisque cela permet, par rapport à toute tentative à venir de vouloir corseter internet, de mettre des limites.
C’est vrai que dans le débat, on a beaucoup entendu aussi cette volonté de : « corseter internet, finalement internet c’est une liberté dangereuse par rapport à la culture, et dangereuse de manière générale ». C’est la façon de réfléchir, qui est portée par nombre de députés UMP, qui est une façon de réfléchir antédiluvienne parce qu’aujourd’hui, c’est un outil très spécifique, et vouloir mettre des barrières à internet est totalement absurde. Je crois qu’on a bien réussi dans ce débat à le démontrer.
Benjamin Bayart : Je propose que ce soit toi qui te charges de nous expliquer tout cela, Alix, vu que tu as beaucoup fréquenté le Parlement.
Alix Cazenave : Donc tu veux que j’explique un petit peu comment les débats se sont passés. Quelle était l’ambiance ? Comment les députés se sont saisis, ou pas, de la question ?
Benjamin Bayart : Je pense que dans la salle, il y a pas mal de gens qui ont eu l’occasion de suivre, soit par IRC, soit par les vidéos de l’Assemblée Nationale. Du coup savoir comment cela se passe de l’autre côté, comment on arrive à les mobiliser, comment on arrive au 9 avril [NdT : 2009, rejet du projet de loi Hadopi] ?
Alix Cazenave : C’est vrai que ce n’est pas évident. Comme l’a dit Martine Billard, les sujets du numérique sont des sujets sur lesquels on demande aux députés d’avoir une compétence technique au moins suffisante pour qu’ils comprennent de quoi on parle. Pour beaucoup, c’est souvent : « Oh le numérique, c’est gadget, c’est futile, c’est pas important, c’est les loisirs, c’est pas fondamental » ou alors : « le numérique, c’est une affaire de marché, de société privée, le politique n’a pas à s’en mêler ». Et puis, après il y a la dernière attitude qui consiste à considérer le numérique d’un point de vue politique, et là on a deux positions possibles :
- Soit la position que nous aimerions tous voir à une écrasante majorité représentée sur les bancs de l’Hémicycle, qui est de considérer le numérique comme une opportunité et une révolution à embrasser ;
- Soit la position qui consiste à considérer le numérique comme une menace, un danger, donc quelque chose à absolument contrôler, maîtriser, surveiller de manière centrale.
À partir de là, c’est vrai que ce n’est pas toujours facile d’arriver à parler à un député. Un sénateur, c’est encore autre chose : ceux-ci ont très peu d’intérêt pour ces sujets, en dehors de la fracture numérique. Les députés, c’est assez variable. Cela dépend de beaucoup de choses, ça dépend surtout de leur modernité. Est-ce des personnalités tournées vers l’avenir, vers le progrès de la société, ou est-ce des personnes qui sont encore sur des modèles du vingtième siècle, qui pensent monde industriel, qui ne voient pas tellement le progrès et ne comprennent pas ce qu’est la société de l’information.
Il nous faut identifier ceux qui vont pouvoir recevoir le message, et sur lesquels on va pouvoir compter pour défendre un certain nombre d’idées dans les débats. Puis essayer de sensibiliser ceux qui ont un rôle clé, par exemple les rapporteurs ou les porte-parole des groupes. Là, on a un succès mitigé, puisque tout dépend de qui on a en face. Lors des débats sur la loi Hadopi, cela a été clair. On avait une discipline de groupe qui était très forte du côté de l’UMP et beaucoup plus de mélanges du côté des centristes et du PS. On se souvient que la majorité a utilisé la position de Jack Lang, beaucoup, pour dire que le PS était divisé. Le groupe GDR était fièrement représenté par Martine Billard et Jean-Pierre Brard qui étaient les deux fers de lance sur ce débat. Ils avaient une position qui était homogène, c’était le seul groupe au sein duquel il n’y avait pas de dissension. Quelque part un clivage politique et aussi, quand on voit les exceptions comme Lionel Tardy, on se dit qu’on peut très bien arriver à toucher un député qui a conscience des enjeux qu’il y a derrière une question comme la loi Hadopi. Finalement, si on arrive à lui donner les bonnes clés pour intervenir dans le débat, il pourra faire quelques étincelles et alimenter un peu notre travail.
Les débats se sont déroulés de manière assez houleuse comme vous l’avez vus. Tu parlais tout à l’heure de l’audition de Christine Albanel.
Benjamin Bayart : Oui
Alix Cazenave : Un florilège...
Benjamin Bayart : Un florilège, un grand grand grand moment. Du comique comme on n’en avait pas vu depuis Coluche.
Alix Cazenave : Ce n’est pas encore là qu’on a eu droit au pare-feu d’OpenOffice.
Benjamin Bayart : Non, c’était dans l’Hémicycle.
Alix Cazenave : Voilà.
Benjamin Bayart : C’est important, pensez-y, OpenOffice, très bon pare-feu, recommandé par le ministère de la culture. Fabuleux.
Alix Cazenave : En tout cas, on a eu droit à une démonstration, de la part du ministère de la culture et des principaux représentants de la majorité, sur ce texte, une démonstration de méconnaissance, voir d’ignorance, volontaire ou non, des enjeux réels du numérique. Ils se consacraient uniquement à la poursuite d’un but précis, qui était de défendre le parti des industries culturelles, des industries du divertissement, et non pas de faire une loi dans l’intérêt général, qui aille vraiment vers le bien de la société. On a eu cette démonstration tout au long des débats. Également par l’intermédiaire des conseillers de la ministre, qui nous ont fait, eux aussi, un florilège sur l’internet. On se souvient d’un chat avec Jérémie, qui était particulièrement croustillant.
Ce qui était édifiant au final c’est que les députés, se saisissant vraiment du dossier, ont posé des questions qui étaient quand même sérieuses, qui étaient argumentées, qui ne pouvaient pas rester sans réponses, comme cela. Et pourtant, la ministre et la majorité, leur rapporteur, les rapporteurs...
Benjamin Bayart : La ministre était « anefé » défavorable (NdT : « anefé », prononciation « personnelle » de Christine Albanel signifiant : en effet)
Alix Cazenave : « Anefé » défavorable et systématiquement des non-réponses, « anefé » rejetées. Et voilà, c’était terminé. Du coup, heureusement que le Conseil Constitutionnel nous a donné des réponses parce qu’on aurait jamais pu s’en sortir sinon.
Benjamin Bayart : Il y a deux points qui m’intéressent beaucoup dans ce qu’évoque Martine Billard. Le fait que cela fait partie des rares sujets sur lesquels ils ont une quantité de conseillers techniques, qui est, grosso modo, supérieure à la quantité de conseillers techniques du ministre. Vu la qualité des arguments défendus par les députés - on ne peut pas se leurrer, c’est nous qui les avons envoyés, nous, les 30 000 qui ont suivi l’affaire - ils étaient de bien plus haute tenue que ceux des conseillers du ministre. Ce qui n’était pas dur. Ça, ça a l’air d’être quelque chose de très particulier pour les députés. Visiblement, il n’y a pas beaucoup de débats sur lesquels ils ont une foule de citoyens qui s’en mêlent, qui s’impliquent, qui écrivent, racontent... Ça, ça avait l’air d’être un point vraiment important et je pense que pour eux, cela a de la valeur. Moi ce que j’ai retenu de ce que raconte Martine Billard, c’est que le temps que l’on passe à envoyer des mails aux députés, c’est un temps utile. Le temps qu’on vous demande quand on beugle sur les listes April, sur La quadrature, sur tous les sites divers et variés : « téléphonez à vos députés, écrivez-leur, allez les voir en circonscription », ce que dit Martine, c’est que c’est du temps utile. Et moi quand c’est un député comme elle qui le dit, j’ai tendance à le croire.
Alix Cazenave : Oui le volume et la qualité des e-mails que les députés reçoivent, compte énormément pour leur préparation aux débats et pour leur motivation, le fait de se sentir soutenus. Martine a beaucoup dit aussi qu’elle recevait des messages d’encouragement. Patrick Bloche l’a également dit à son tour, en privé et également dans l’Hémicycle, il montrait les mails qu’il recevait des uns et des autres, et que son assistant lui apportait. Les encouragements qu’on envoie aux députés comptent beaucoup pour eux. Ils savent qu’ils sont regardés mais le fait de sentir que derrière il y a des citoyens qui voient qu’ils ont un rôle important à jouer, et bien ça n’a pas de prix. C’est vraiment essentiel. Donc il ne faut pas croire qu’envoyer un mail, c’est inutile parce que c’est redirigé vers /dev /null. Pour tous ceux qui ne sont pas impliqués dans les débats, c’est important qu’ils voient qu’il y a une mobilisation. Et pour les députés qui interviennent dans l’Hémicycle, c’est un support extrêmement important.
Tangui Morlier : L’exemple de Jérôme Bourreau-Guggenheim, l’employé de TF1, qui a envoyé un mail à Françoise de Panafieu, en est particulièrement éclairant, puisque c’est un citoyen qui envoie un mail à sa député, celle-ci manque d’argumentaires et l’envoie au ministère qui ne sait pas quoi répondre et tape sur TF1 en disant : « gardez vos troupes ! Et faites en sorte que vos cadres n’envoient pas de mails à leur député ». Il s’est fait virer mais cela démontre la force des citoyens et la pertinence qu’ils ont lorsqu’ils envoient des e-mails argumentés qui déconcertent totalement l’exécutif.
Alix Cazenave : Oui. Ça montre à quel point, ça dérange l’exécutif que les citoyens se saisissent d’une telle question.
Benjamin Bayart : Que les citoyens se permettent d’avoir une opinion, ça a l’air d’embêter.
Alix Cazenave : Une opinion argumentée et solide.
Tangui Morlier : Experte.
Alix Cazenave : Étayée.
Benjamin Bayart : Y a un point qui est intéressant là dedans, c’est que le mail a été envoyé à Françoise de Panafieu. C’est une députée qui a voté tout ce qu’on lui a demandé de voter. Sans souci, sans sourciller. À chaque fois qu’elle était dans l’Hémicycle. Elle était cependant embêtée par cet argumentaire auquel elle ne savait pas répondre. Donc ce mail, même s’il n’a pas permis de changer le vote de Françoise de Panafieu, il a quand même eu un intérêt. Il a mis de la pression, il a forcé - il n’a pas suffi mais il a forcé - à se poser des questions. Et ça a de la valeur, autant sur les députés qui nous soutiennent assez spontanément, que sur ceux qui voteront comme on leur a dit de voter. S’ils peuvent voter comme on leur a dit de voter mais avec mauvaise conscience, on aura fait un petit progrès.
Alix Cazenave : C’est comme ça qu’on arrive à faire voter les députés UMP avec leurs pieds.
Benjamin Bayart : Le deuxième gros bout qui a joué sur les débats, c’est la vidéo de Martine qui arrive et c’est ce qui a mené à deputesgodillots.info : le fait qu’il y ait du public dans l’Hémicycle. Je vais laisser Martine en parler un peu car c’était une caractéristique du débat qui était plus intéressante qu’elle n’en a l’air.
(Faut que je pense à rebrancher le son sinon vous n’entendrez rien.)
Martine Billard : C’est vrai que quand il y a du public, c’est quand même plus agréable. Car on est souvent dans des hémicycles vides, où on mène des batailles qui nous semblent fondamentales dans un certain nombre de cas. Et on a l’impression que finalement, ça ne mobilise que peu de citoyens. Même si ça n’est pas forcément vrai, on a cette impression. Donc, c’est vrai qu’en plus, ce type de textes sur lequel on travaille une semaine entière, avec des journées très lourdes et des nocturnes, il y a des moments où on a des baisses de régime. Il y a des moment où en plus, quand on se heurte à un mur, on pourrait avoir tendance à baisser les bras, et notamment sur l’argumentation, sur le fait de continuer à défendre ou pas nos amendements. Le fait qu’il y ait des personnes dans les tribunes, on se dit « ben non, on est là, on a brigué un mandat, on a été élu, on doit un certain nombre de choses à nos électeurs et en plus il y a des citoyens qui se déplacent, qui restent y compris une fois que le métro est fermé. » Moi ça m’a beaucoup frappé, qu’ils restent pour écouter, pour voir ce que font leur élus.
Nous, élus, nous leur devons quand même, le respect. Nous leur devons une explication. Nous leur devons notre travail. C’est vrai que cela nous porte, moi je me sens, quand il y a des gens en tribune qui sont là parce qu’ils veulent comprendre, parce qu’ils suivent avec beaucoup d’intérêts, je me sens beaucoup mieux portée dans les batailles que l’on peut mener. C’est peu le cas, c’est assez exceptionnel sur ce type de textes.
Alors ce qui fait peur ce n’est pas tellement que les gens soient là, c’est qu’ils rendent compte de ce qu’ils voient. Aujourd’hui on peut suivre les débats de l’Assemblée assez facilement entre la Chaîne parlementaire et la retransmission sur internet. Ce n’est pas tout à fait la même chose de suivre en rediffusion, en diffusion directe mais à distance, que d’être dans l’Hémicycle. J’ai l’impression que les personnes dans l’Hémicycle sentent mieux l’atmosphère, et voient les attitudes de ceux qui sont présents.
Benjamin Bayart : Vous n’avez jamais eu l’occasion de suivre une retransmission des débats de l’Hémicycle, que ce soit sur la Chaîne parlementaire ou sur internet, c’est le même flux vidéo, on n’entend QUE l’orateur. Typiquement, quelqu’un qui suit par internet, sur certaines des réponses de la ministre, n’aura entendu que le « ahaha » défavorable. Parce qu’elle ne parle pas dans le micro. Par exemple : le brouhaha dans l’Hémicycle autour de Patrick Roy, qui était à deux doigts du scandaleux, ne peut pas s’entendre sur internet. On n’entend que l’orateur et on se demande pourquoi il se tait. Il y a énormément de brouhaha dans l’Hémicycle, comme ici, et on se demande pourquoi il se tait parce que l’on n’entend pas ce qui se dit dans l’Hémicycle. Et donc le fait d’être en séance donne un point de vue très différent sur la séance. Ça permet déjà de repérer ce qu’explique deputesgodillots.info, le député godillot, qui par définition ne dira rien et ne prendra pas le micro, on ne le voit pas sur le net. On ne voit pas qu’il est en train de lire le journal ou en train de faire sa sieste.
Martine Billard : Oui, moi je trouve que c’est un exercice citoyen fantastique. Quand des gens me demandent des billets de séance, je leur dit : « Venez plutôt suivre une loi, c’est plus intéressant que les questions de gouvernement ». D’abord parce qu’il y a des moments de débat qui sont passionnants, et puis effectivement on voit l’ensemble. Donc ce n’est pas la caméra qui sélectionne les moments qu’elle transmet et les mimiques. Sinon vous ne voyez pas les même réactions que lorsque vous êtes dans l’Hémicycle. Moi je trouve que c’est très bien pour les citoyens de venir suivre des lois quand ils le peuvent.
Je voudrais quand même amoindrir un peu les critiques sur les députés godillots. Cela peut paraître bizarre mais c’est vrai que c’est compliqué. Quand on est dans une majorité, moi je suis à mon deuxième mandat, mais mandat d’opposition donc c’est plus facile, le gouvernement doit constamment assurer la majorité. Il doit faire en sorte que les amendements de l’opposition soient rejetés. Donc il doit toujours prévoir le nombre de députés nécessaire au rejet. Quand ça dure sur une semaine, il prévoit des tours de présence. Donc se retrouvent en séance des députés qui ne s’intéressent pas au sujet. On pourrait dire : « ils pourraient s’y intéresser », d’autant que ce n’est pas n’importe quel sujet, c’est un sujet très pointu en ce sens qu’il concerne l’ensemble des citoyens. Ce n’est pas seulement sur une catégorie. Ce qui ne veut pas dire que ce serait moins important de le suivre. Ce que je veux dire c’est que du coup, toute personne peut suivre puisque cela va la concerner de toute façon. Donc, voilà, c’est vrai que ce n’est pas toujours évident de passer deux heures dans l’Hémicycle, uniquement là pour lever la main.
Ce que je supporte moins, ce sont les gens qui viennent pour ça, ils n’ont pas le choix, et qui se permettent de faire des réflexions tout haut et des interpellations de l’opposition totalement caricaturales alors qu’ils ne connaissent pas le sujet, le texte, le débat.
Benjamin Bayart : Tangui, je suis sûr que tu as plein de choses à nous raconter sur comment et pourquoi vous avez décidé de faire deputesgodillots.info et les effets de bord que cela a eus.
Tangui Morlier : On a parlé tout à l’heure d’expertise citoyenne et on a été nombreux à envoyer des mails. C’est vrai qu’on a été aussi un certain nombre à venir en séance. Il se trouve qu’avec un ami, qui s’appelle Benjamin, que vous connaissez sous le pseudonyme de « roux » sur différentes canaux IRC. Étant tous les deux geeks, on a pour habitude, notamment lorsqu’un sujet nous intéresse, de le « dépiler », donc ça peut être le noyau Linux ou une loi Hadopi. Du coup, on se retrouve en Assemblée, on essaie de comprendre comment marchent la démocratie ou l’Assemblée nationale. Assez naturellement lors de la DAVDSI, on a commencé à se retrouver tous les deux en séance. Comme il y a des choses qui s’y passent, et que l’on a pas envie de l’oublier, on a commencé à prendre des notes. Puis on a continué notre travail d’expertise citoyenne en envoyant régulièrement des infos à nos députés et certains sénateurs.
Et puis la DAVDSI passe et la vie continue. Roux part aux États-Unis et on perd un peu contact. Et voilà Hadopi. Hadopi vient en Assemblée. Il se trouve que tous les deux, on a ce réflexe de se dire : « allons-y », sans ce concerter. Et un soir, on se retrouve dans les vestiaires de l’Assemblée (quand vous arrivez à l’Assemblée, il y a un portique de sécurité à passer, il faut montrer que l’on a été accrédité par un député, et après on va déposer nos manteaux, nos téléphones portables, nos ordinateurs. On a droit seulement à un papier, un crayon et des documents parlementaires). On s’était perdu de vue pendant trois ans, et se reforme le petit duo de prise de notes, à regarder ce qui se passe, se dit : ça, c’est intéressant. On essaie de voir si la majorité est majoritaire, si certains UMPistes ne viennent pas. On essaie de noter ce genre de petits détails sans vraiment savoir ce qu’on en ferait. Il se trouve qu’il y avait le wiki de La quadrature, c’était pratique, on y mettait ces petits rapports de séance, numérisés.
Donc, on voit, comme ça, Jean Dionis du Séjour, qui pendant l’article 5 parlant du filtrage, suppliait la ministre pour lui demander de ne pas voter le filtrage. Cela n’a pas été filmé, mais c’est quelque chose que l’on a vu et qui est assez choquant. Jean Dionis du Séjour, c’est un membre de la majorité, c’est un centriste, donc c’est quelqu’un qui est très consensuel, qui essaie d’avancer petits pas par petits pas, très tranquillement. Et là, il était hors de lui, il suppliait, il était à genoux, c’était fort. Un moment historique. L’amendement est mis aux voix, et il passe. On se dit qu’il y a quand même quelque chose d’assez injuste là dedans. Il y a des gens, dans la majorité, qui préviennent que c’est dangereux, qui, a priori, ne partagent pas forcément tous nos points de vue, et qui signalent ça, et ça passe malgré tout.
En fait, on s’aperçoit qu’il y a des députés qui sont là et qui n’ont pas écouté les supplications de Jean Dionis du Séjour. Or, encore une fois, c’est historique quand un centriste supplie comme ça sa ministre, c’est qu’il y a vraiment quelque chose d’important. On s’est aperçu que ces gens là, on les appelait les godillots. Les godillots sont des gens qui sont en Hémicycle. Normalement l’Hémicycle, c’est un lieu de débats, et a priori quand on veut débattre avec les gens, il faut les écouter. On a remarqué qu’il y avait des députés qui ne participaient pas à ce débat là, qui s’occupaient à autre chose, répondaient à leur courrier, jouaient à des solitaires, triaient leurs photos. Ils invectivaient aussi, Martine Billard en parle très bien, quand à certains moments, elle se fait couper la parole par des gens qui disent des choses absolument pas intéressantes. Vous avez aussi des députés qui sont là, qui passent leur nuit, de 21h30 à 2h du matin à ne rien faire. Sauf à invectiver, jouer et voter sans écouter, sans participer à ce travail de polissage de la loi, car tout le travail d’amendement de la loi, c’est ça.
On notait ça aussi, parce que c’était rigolo, croustillant. On était au dessus des bancs de la majorité, et on voyait Françoise Guégot jouer au solitaire (elle y est assez bonne). Vous en avez d’autres qui sont experts en sudoku. A priori, ce n’est pas quelque chose qui serait gênant. Jean Pierre Brard, que vous avez tous entendu parlé, il a une faculté très forte, il peut lire un article tout en étant attentif. En soi, ce n’est pas gênant d’avoir des députés qui lisent ou qui jouent, si ils écoutent et s’expriment, si ils font leur travail de députés qui est de participer à un débat, d’exprimer un point de vue, et de voter en conscience. Leur mandat étant non impératif, ils se doivent de voter sans aucune pression, et donc, a priori, aussi, sans la pression de leur groupe.
Alix Cazenave : En fait les députés dans l’Hémicycle, c’est un peu comme les geeks en conférence, il faut qu’ils...
Benjamin Bayart : ils ont un portable, un bidule à mâchouiller, pour s’occuper les mains
Alix Cazenave : les geeks ils ont un laptop, les députés, il faut qu’ils aient autre chose, c’est... voilà.
Benjamin Bayart : mais non François, tu peux continuer à lire ton mail.
Tangui Morlier : Y a pas de problème en soi, ce n’est pas une démonstration, on a le droit de lire et en même temps d’écouter. C’est juste que le travail du député, c’est de voter en conscience. On a capturé une vidéo où on voit très clairement que le député ne savait pas ce qu’il votait, il se réveillait un peu de sa sieste. Y en a même un qui dormait, on l’a vu, et qui était réveillé par ses collègues.
Benjamin Bayart : Dans les choses prodigieuses, tu as les scrutins publics, où les députés doivent aller à leur place à eux, pour appuyer sur le bouton électronique pour voter. Il y en a un dans la majorité qui gueule l’Hémicycle pour dire ce qu’il faut voter, qui gueule « pour » ou « contre », car ils ont tellement peu suivi qu’ils ne savent même pas ce que la ministre a dit qu’il fallait voter. Et comme ils sont trop cons pour écouter (pour dire ça crument), il y en a un qui doit leur expliquer sur quel bouton appuyer. Ce qui est quand même prodigieux.
Tangui Morlier : Effectivement.
Alix Cazenave : Cela fait penser au Parlement européen où on a les rapporteurs des commissions, les gens des groupes qui sont en bas ou à leur place qui lèvent le pouce, le baissent ou qui mettent abstention. C’est un peu la même chose quelque part. Ce sont des consigne de vote qui sont transmises par des collègues.
Tangui Morlier : Cela existe. Après on a l’épisode du 9 avril.
Tangui Morlier : Cela existe. Après, on a l’épisode du 9 avril. Et là, surprise, riposte de communication du Président du groupe UMP, M. Copé, qui dit dans une interview « Le parlement godillot, cela n’existe plus. Il n’existe plus de député godillot. » Je vois cela un matin et j’hallucine. C’est exactement tout ce qu’il raconte, exactement tout ce que nous n’avions pas remarqué, ce que nous aurions bien voulu voir en Hémicycle. Du coup, en quelques heures, j’appelle Benjamin et je lui dis : « Tiens, il faut qu’on monte un site. On va l’appeler Députés Godillots et on va publier chaque jour une page sur un député dont on a vu qu’il avait des attitudes godillotes. Comme cela, nous allons aider Jean-François Copé à faire en sorte que sa communication politique devienne une réalité démocratique. »
On commence comme cela, l’interview était le 16 avril et le 17 avril, le site est monté et le premier godillot, qui est Alain Marty, a la qualité d’adorer la littérature et de détester les communistes. Donc il lit pendant toute la séance et dès qu’il y a un communiste qui prend la parole, il l’invective en disant que c’est un salaud de communiste. Je porte pas particulièrement les communistes dans mon cœur, mais quand on a Brard qui intervient sur l’éthique d’HADOPI et qu’on entend qu’il se fait invectiver juste parce qu’il est communiste, ça me semble pas très pertinent dans la démocratie.
On continue, on a un petit peu de réserve. Et puis revient le texte, une deuxième fois puisqu’il avait été rejeté. On retourne en Hémicycle. Il se trouve qu’il y avait un certain nombre de personnes qui nous avaient lus. Notre travail est visiblement diversement apprécié en Hémicycle. Un soir, on vient, on se retrouve, vestiaire, on donne nos trucs, « vous n’avez pas de téléphone ? », « non, on n’a pas de téléphone », on prend notre papier, notre crayon, notre trombi. On monte en tribune et là, on nous dit « Ah non, vous n’allez pas par là, vous allez par là ». Grosso modo, pour faire un parallèle avec la Net neutralité, on a été victimes d’un problème de routage : on nous a déplacés de tribune, parce qu’ils estimaient que nous étions trop proches des bancs de la majorité ; donc ils nous ont mis au dessus des bancs de l’opposition. Chose qu’ils ne savaient pas, c’est qu’en fait, reconnaître un député de dos, ce n’est pas très facile. Donc on arrive à voir qu’ils jouent au Freecell, on arrive à voir qu’ils sont forts au Freecell, mais par contre, pour les reconnaître, c’est plus difficile. Cela ne nous empêche pas de faire notre travail, et on améliore notre connaissance des députés, puisqu’on arrive à mieux les reconnaître, grâce à ce petit outil qui est le trombinoscope. Donc on continue. Nous avions pris tous les deux des jours de congés pour pouvoir assister vraiment à tout, on était très motivés.
Et arrive l’épisode du filtrage. Un soir, on arrive et le personnel de séance nous dit : « Ce document parlementaire, qui est le trombinoscope, maintenant vous n’avez plus le droit de l’utiliser ». C’est contraire au règlement du bureau, qui est dans l’article 8, c’est marqué : papier, crayon et documents parlementaires. Ce trombi étant un document parlementaire, nous avions le droit. Mais ils nous ont interdit l’entrée si jamais on avait un trombi. Donc on a posé le trombi. Puis on en parle un petit peu autour de nous. Il se trouve qu’il y a des assistants qui entendent nos remarques. Et surprise ! À vrai dire, je n’étais pas là, j’étais parti raccompagner des amis, j’étais dans les couloirs. Et surprise, Martine Billard fait un rappel des règlements en disant : « il y a des gens qui sont en tribune dont on a refusé l’accès avec un trombinoscope. Ce n’est pas normal, c’est contraire au règlement. » Effectivement, grâce à ce rappel au règlement, on a pu le lendemain revenir avec un trombi.
Et on continue comme cela, tous les jours : un nouveau député. On a comme cela une belle palette de députés. Et un vendredi après-midi, on reçoit un mail. Et ça, c’est l’épisode du mouchard juridique : c’est la député Sylvia Pinel qui nous met en demeure de retirer sa page, car d’après elle, nous serions passibles de 4 chefs d’inculpation, qui sont violation du droit à l’image, violation de la vie privée, délation et - j’ai oublié le quatrième - diffamation, voilà ! Non, ce n’est pas délation d’ailleurs... je ne sais plus. Enfin, diffamation ! Vous attaquez sur la vie privée lorsqu’on est en Hémicycle, c’est quelque chose, tout de même.
Benjamin Bayart : Non mais jouer à Freecell, tu comprends, c’est privé.
Tangui Morlier : Par contre, elle adore textoter. Le pire, c’est que c’est une député de l’opposition. Elle vient, elle ne fait rien, on en parlait. Et voilà, elle nous attaque. Là, on a voulu acter notre liberté d’expression et on a un petit peu mobilisé sur Internet. On n’a eu pas mal de visites de gens qui ont relayé notre épisode. Elle a avoué à un journaliste qui travaille pour le New York Times de temps en temps qu’elle n’allait pas porter plainte. Effectivement, elle nous avait envoyé une lettre pour nous intimider, en pensant que nous n’étions que de simples citoyens et donc que nous n’avions pas de l’argent à investir dans un avocat, elle s’était dit que ce serait facile de nous faire plier, même en utilisant des arguments juridiques qui étaient totalement fallacieux.
Jérémie Zimmermann : C’est un peu comme la première étape de la riposte graduée.
Tangui Morlier : C’est ça ! C’était une mise en demeure, et après on avait coupure, effectivement ! C’est bizarre, parce qu’elle a 32 ans, donc a priori, on pourrait croire qu’elle connaît un minimum Internet et ce genre de choses. En fait, elle a appris le fonctionnement d’Internet à ses dépens, vous pouvez taper maintenant Sylvia Pinel sur votre moteur de recherche préféré, et vous allez vous apercevoir qu’elle arrive en deuxième résultat et que maintenant, tous ces électeurs savent que non seulement c’est une députée godillot, mais en plus elle est très peu intervenue sur les textes, et surtout sur des textes qui n’ont rien à voir avec ce qu’elle dit à ses électeurs. Elle dit qu’elle lutte pour les services publics, or elle n’est jamais intervenue sur des textes qui défendent le service public. Grâce à ça, on informe un petit peu le fonctionnement des députés.
Le bilan - parce qu’on a suspendu l’initiative Députés Godillots - c’est un peu de se dire « Si les citoyens ne s’intéressent pas à leur député, c’est un peu normal que les députés ne fassent pas vraiment ce pourquoi ils sont élus ». La responsabilité du citoyen, c’est de s’intéresser au travail que fait le député. Le travail que doit faire le député, c’est d’être en Hémicycle, proposer des améliorations des projets de loi et de faire du contrôle sur l’exécutif. Tant que les citoyens ne s’intéresseront pas à ces éléments là, malheureusement, on aura des députés qui seront godillots, on aura des députés qui ne respecteront pas leurs promesses.
Donc on va sans doute lancer une plate-forme qui va être un petit peu plus large, un petit peu moins potache - parce qu’il faut dire que Députés Godillots, c’est un petit peu potache quand même - et de permettre à des citoyens qui ne sont pas geeks, qui ne sont pas très technophiles de, malgré tout, pouvoir aider leur député dans leur travail et essayer de les recentrer autour de leurs activités parlementaires.
Alix Cazenave : il y a quelque chose qui est intéressant, tu parles des effets de députés-godillots, il y a une élection cantonale partielle, dans le canton d’un député du Val de Marne, qui a dû démissionner pour cause de cumul, où il y a eu un parachutage qui a échoué de manière assez incompréhensible, entre le premier et le deuxième tour. Le parachutage de la pouliche, si j’ose dire, du député en question, s’est mal terminé puisqu’il a profité à son opposant qui est un candidat d’un autre parti de droite. Cela a été assez étonnant. Certains y voient un effet de députesgodillots.info, ce ne serait pas plus aberrant que cela.
Tangui Morlier : Ce serait un député que l’on a traité sur godillot ?
Alix Cazenave : Un député qui a le privilège d’avoir sa fiche sur deputesgodillots.info.
Benjamin Bayart : Faut donner des noms, faut dénoncer. Tu en as trop dit Alix, faut aller jusqu’au bout.
Alix Cazenave : Je ne me souviens pas de son nom.
Jérémie Zimmermann : Ce que je trouve intéressant là-dedans c’est quand Martine parlait tout à l’heure de la peur de la transparence qu’avaient les députés. Et c’est précisément là que l’on peut taper en tant que citoyen et que l’on peut, très modestement, utiliser notre « intelligence collective » pour justement construire cette transparence et tout simplement leur faire peur. Ce qui est en jeu pour nous là, c’est de casser la routine, de casser le petit flonflon confortable du député ou du sénateur qui « ronflète » dans la moquette épaisse comme ça (geste de la main mimant une épaisseur de 7cm, environ) entre le resto 3 étoiles du 8ème et les sorties et diverses inaugurations. C’est la logique de parti qui fait qu’on reçoit, globalement, un mail pour un projet de loi, et qu’on a dessus les quatre éléments de langage qui sont ceux que l’on devra respecter et que de toute façon on votera comme on nous a dit de voter. C’est tout ça que la transparence peut casser, parce qu’un jour ou l’autre, il y a une élection, il y a une page sur Google qui va sortir très très haut et qui commence à ressentir cela.
Quand Alix parlait tout à l’heure d’identifier qui étaient les députés qui avaient un rôle clé dans l’appareil, et toutes ces fonctions qui consistent à mieux « reverse engineeriser » (NdT : faire la rétro-ingénierie), à mieux débugger un parlement, c’est là aussi que l’intelligence collective, que les uns à la suite des autres quand on envoie nos mails, on passe nos coups de fil, on battit nos argumentaires ensemble sur le wiki. C’est comme cela que l’on fait avancer les choses. Et je crois profondément en cette forme de rétro contrôle citoyen. À savoir que d’habitude on ne s’intéresse, enfin pour ceux que ça intéresse, à la politique que quand il y a des élections. L’idée de s’y intéresser après l’élection c’est, pour le coup, remettre le sens propre de la politique à savoir s’intéresser à la vie de la cité. C’est pour moi quelque chose de déterminant...
Tangui Morlier : Juste pour éclairer ce que dit Jérémie, sachez que avant sur le moteur de recherche de l’Assemblée Nationale, on avait le nombre d’interventions en séance. Depuis quelques semaines, ils l’ont retiré. Malheureusement ils se replient vers quelque chose qui va nous obliger à proposer une plateforme qui soit vraiment ouverte, gérée par des citoyens, parce que l’on nous enlève des outils qui nous permettent d’évaluer le travail des députés.
Jérémie Zimmermann : Ca, c’est à mon avis un combat qu’il faudra mener un jour ou l’autre, en France comme au Parlement européen, sur la transparence des données issues du Parlement européen, du Parlement français. Que toutes ces données soient disponibles dans des formats compréhensibles, réutilisables, si possibles ouverts. Il y a un excellent exemple là dessus c’est theyworkforyou.com qui est un site anglais, où la, toutes les données du parlement anglais sont publiques, tous les scrutins sont publics, on n’a pas, comme en France, le scrutin public qui est l’exception, et où encore dans les résultats duquel on ne voit que ceux qui ont voté contre la logique de parti, donc en réalité très peu de monde.
Sur theyworkforyou.com ils mettent en forme ces données de façon très accessible. Vous mettez votre code postal et vous voyez automatiquement votre député avec les sujets qu’il a traités. Vous cliquez sur le sujet, vous voyez l’évolution de ses résultats. C’est un petit peu ce qu’on a essayé de bâtir avec "Mémoire Politique" que vous connaissez peut être, un wiki sur lequel chaque député, chaque eurodéputé a sa fiche, sur lequel on enregistre ses prises de positions publiques, des morceaux de débat, sur lequel on note ses interventions de séance, à défaut de pouvoir noter ses votes si on n’a pas de données en provenance des scrutins publics.
Voilà encore un exemple de comment construire avec les outils du web, avec les technologies numériques, avec le réseau internet que l’on essaie de protéger. C’est ça qui est ironique dans l’histoire, c’est que l’on utilise précisément ce que l’on souhaite protéger pour le protéger. J’aimerais juste dire une toute petite anecdote, c’était une conversation qu’on avait avec Benjamin Bayart, au moment de deviser de la stratégie qu’on allait adopter sur l’HADOPI et de comment on allait soit plus se concentrer sur le paquet Télécom, qui était un objectif principal, ou sur l’HADOPI. Je crois que c’est toi Benjamin qui m’a dit « le minimum vital à faire sur HADOPI, c’est ce que moi ensuite j’ai traduit par un réflexe pavlovien qu’il faut que l’on initie chez les députés, à savoir qu’ils sachent que lorsque l’on va toucher à Internet "aïe", ça va bruler ».
Benjamin Bayart : S’ils touchent à Internet, « Paf la tête »
Jérémie Zimmermann : Comme le clébard, lorsque l’on brandit la tatane, qui sait que ça va cogner, s’il ne se calme pas tout de suite. Et donc c’est concrètement ce que l’on peut faire ensemble et on les met en panique lorsque l’on remplit leur in-box, lorsque l’on fait sonner leur téléphone en permanence. Et c’est lorsqu’ils paniquent qu’ils vont à la faute et que, éventuellement on gagne.
Alix Cazenave : Personnellement, j’aurai plus parlé de l’enfant qui se brule, mais...
Benjamin Bayart : Oui, mais on a les images qu’on peut.
(rires d’Alix Cazenave et de Benjamin Bayart)
Benjamin Bayart : Il y a un point que je retiens. C’est le point qui m’a bluffé sur l’histoire DéputésGodillots. C’est qu’avec finalement pas grand-chose, parce qu’on n’a pas mobilisé... Enfin on a mobilisé beaucoup de monde. Vous étiez nombreux sur Internet à suivre les débats, sur IRC à argumenter, à envoyer des mails... Mais à prendre des notes en séance... Vous étiez deux à prendre des notes sérieusement.
Tangui Morlier : Non, on était un peu plus.
Benjamin Bayart : On était une vingtaine ou une trentaine en séance régulièrement.
Tangui Morlier : Voilà. Et on était 5-6 à prendre des notes. Après, ce n’est pas le tout de prendre des notes, il faut les numériser. C’est un gros problème parce qu’on rentre à une heure et demie chez soi et avant de se coucher (autrement le lendemain je ne suis pas efficace) il faut numériser les notes pour qu’elles soient prêtes. Et après les traiter. Parce que faire émerger d’une donnée totalement brute les notes et arriver à se dire « Ah oui ce député on l’a vu pendant 3-4 jours... »
Benjamin Bayart : ... lui ça fait trois fois...
Tangui Morlier : « ... il n’est jamais intervenu, on ne l’a jamais vu même réagir de manière... » (ils réagissent tout le temps. On ne le voit pas quand on regarde sur Internet mais ils réagissent tout le temps). On ne le voit jamais réagir de manière pertinente sur le texte... Il n’y a pas UN facteur qui fait qu’un député est godillot ou non. C’est une multitude de facteurs qui font que. C’est ce qu’on essayait de dire sur le site en parlant de leur travail en Hémicycle et de faire un petit bilan et, en même temps, ces rapports-là.
Benjamin Bayart : Moi, ce qui m’a impressionné, c’est qu’en étant pas très nombreux finalement, on a réussi. Ça se sentait dans l’Hémicycle. Même moi qui ne suis pas complètement un habitué des lieux. Il y avait un vrai vent de panique. Le jour où ils nous ont changé de tribune, il y avait visiblement une gêne très très forte.
Tangui Morlier : Et en plus, on nous l’a dit clairement. C’est le personnel de séance qui nous a dit : vous dérangez à droite, on vous met à gauche. Ce n’est pas un ressenti.
Benjamin Bayart : Quand on a demandé. Je ne sais pas si c’est ton cas, moi j’ai demandé au personnel de séance pourquoi. La réponse était « Ça vient de haut ». Puis il s’est repris et il a dit « Très haut ». Donc je ne sais pas qui est-ce qu’on emmerde dans l’Hémicycle, mais visiblement on dérange...
Jérémie Zimmermann : Le président de l’Assemblée...
Benjamin Bayart : ... je pense le président de l’Assemblée. Visiblement de ce qu’en disait les parlementaires, enfin les assistants parlementaires avec qui on discute beaucoup. Ce n’est pas que les députées, c’est aussi le personnel de l’assemblée. C’est-à-dire les très hauts fonctionnaires.
Tangui Morlier : Là je ne suis pas sûr. Au début on les énervait un peu parce que les députés étaient nerveux. Ils ont vu la nervosité des députés et ils se sont dit que ce site, ça doit être vraiment de la merde. Il y en a un qui est un type assez sympa. Un monsieur tout rond, barbu, un peu pince-sans-rire. Qui, au début était pas agressif, mais un peu réservé sur notre site. Un soir il est venu nous voir et nous a dit « Je suis allé voir votre site et j’ai adoré ! ».
(rires dans la salle)
Tangui Morlier : Mais on est retourné pour le travail du dimanche, j’y suis retourné mardi soir et on a épinglé un député socialiste qui s’appelle Jibrayel. C’est une espèce de meneur de meute, c’est quelqu’un qui ne s’investit pas dans des dossiers. Son bilan parlementaire est nul il me semble, mais par contre il a cette espèce de charisme qui fait qu’il a plein de députés qui travaillent autour de lui. On le voit en séance. Il était tout fier pendant le travail du dimanche, pendant la DG où on était, la discussion générale. À un moment il nous a reconnu et il est revenu calmement sur son banc et il n’a plus fait une blague alors qu’on avait noté plusieurs blagues assez rigolotes, mais qui n’avaient rien à voir avec le travail du dimanche.
Jérémie Zimmermann : Et donc, cela pose évidemment la question centrale, qui est : « Qu’est-ce qu’un contenu licite ? Et qui dit que le contenu est licite ou non ? » Et en l’occurrence, on tombe effectivement sur le fait que ça va revenir à l’opérateur. Et donc question subsidiaire : « Comment l’opérateur va-t-il déterminer ce qui est du contenu licite ou illicite ? » Et dans un texte qui un petit peu plus loin parlait de la coopération avec les entités intéressées dans la protection et la promotion du contenu licite, vous voyez très bien où cela nous menait. Et donc, on va pas pouvoir détailler de façon exhaustive toutes les cochonneries qu’on a trouvées dans ce Paquet Télécom, parce qu’il y en avait un monceau. Et c’est là qu’on a lancé, étape par étape, je ne vais pas non plus vous la refaire intégralement depuis mai 2008, mais qu’on a lancé un certain nombre de campagnes, où on se synchronisait avec nos collègues européens des associations dans pas mal d’États membres qui s’intéressaient à ces questions là, qui petit à petit en sont venus à admettre l’espèce de rôle central de la quadrature du Net dans le défrichage de ces terrains-là et dans l’analyse, et de facto dans l’initiation de campagnes sur le sujet.
Et on a donc mené notamment une énorme campagne sur le mois de septembre 2008. C’est intéressant de voir d’ailleurs que ces campagnes européennes sont souvent mieux relayées ailleurs qu’en France et surtout évidemment pendant l’HADOPI, où la France était concentrée sur l’HADOPI. En parallèle, on menait des campagnes sur l’Europe qui étaient extrêmement bien relayées et notamment chez nos amis suédois, espagnoles, etc. Donc la stratégie a été de reprendre des amendements qui avaient été sortis au niveau de la commission des affaires culturelles pour tenter une première fois de contrer ces amendements « Riposte graduée ». Comme on voyait très bien qu’ils voulaient l’HADOPI, que dès le début ils disaient « oh mais non, vous êtes paranoïaques, vous êtes des fear mongers, vous dites n’importe quoi, il n’y a pas du tout, du tout, du tout, la riposte graduée là dedans », on leur a dit « Ben c’est très simple, s’il y a pas du tout, du tout, du tout, la riposte graduée là-dedans, on va mettre un amendement qui va dire : on fera pas du tout, du tout, du tout, la riposte graduée ». Et c’est donc cet amendement 138 qui dit « Une restriction à un droit ou une liberté fondamentale, ça ne se fait qu’après une décision du juge, de l’autorité judiciaire ». C’est tout ! C’est pas un truc méchant en soi, ça ne vient pas casser le reste de ce qu’il y a écrit dans le texte, il est pas du tout, du tout, du tout relatif à la riposte graduée, ça rappelle un principe fondamental du droit qui est que le juge est le gardien des libertés et des restrictions des libertés.
Et c’est donc suite à une campagne d’assez grande ampleur durant le mois de septembre où, selon un schéma qui est non sans évoquer la DADVSI ou l’HADOPI en France, des milliers de citoyens ont envoyé des e-mails, ont pris leur téléphone. À l’intérieur des groupes politiques, ce sont des euro-députés qui ont pris le dossier en main et qui sont allés faire les activistes au sein de leur groupe pour convaincre leurs collègues de voter comme eux. C’est comme pendant un certain moment de l’HADOPI un vote où il y avait une très, très, très forte pression, qui était palpable dans l’air de l’hémicycle européen, où les gens se sont arrêtés, il y a eu un amendement oral qui a été négocié en dernière minute littéralement 15 minutes avant le vote entre les 3 groupes majoritaires pour rendre acceptable en changeant la fin de l’amendement sur les listes d’exception. Et donc Catherine Trautmann s’est levée avant le vote pour dire « Mes chers collègues, je vais proposer ici un amendement oral, on va remplacer machin bidule par machin truc chouette ; et puis là, on va mettre une virgule ; et puis on va enlever un truc. Et on vote ». Et on a senti dans le parlement une espèce de bruissement, un niveau sonore beaucoup plus élevé que la moyenne. Tout le monde était désemparé, regardait à gauche à droite, « Qu’est ce qu’il faut voter ? Qu’est ce qu’il faut voter ? » On lève la main, on machin, on appuie sur les boutons. Et puis paf ! 88% du parlement européen a voté ce truc là. Donc après la première claque dans la figure du gouvernement français, là c’était un bon coup de genou dans la mâchoire.
Benjamin Bayart : Toujours délicat au Parlement Européen !
Jérémie Zimmermann : Oui, et comme je vous l’ai expliqué, ça n’était qu’une étape dans un très long processus dit de co-décision, je vais essayer de conclure dans les 5 prochaines minutes.
Benjamin Bayart : Moins allez, plus court !
Jérémie Zimmermann : D’accord. Donc ça, c’était pour la première lecture. Ensuite il fallait donc confirmer cela en seconde lecture après un passage par le Conseil de l’Union. Donc le Conseil, à l’époque, la présidence de l’Union Européenne, c’était la France, donc c’est Nicolas Sarkozy qui a employé la grosse Berta diplomatique pour faire que les États membres au sein du Conseil rejettent cet amendement et l’efface purement et simplement du Paquet Télécom. Le texte est donc revenu en seconde lecture sans l’amendement en question. Il a fallu l’y réintroduire. Il y a eu louvoiement, notamment au sein du groupe socialiste pour remplacer l’amendement original par un amendement neutralisé, qui ne disait plus « une décision préalable du juge » mais « une décision du juge qui pourrait intervenir après, parce que voilà ». Donc là encore, campagne au niveau des commissions pour le faire remettre dedans, et puis campagne pour la seconde lecture où là encore, miraculeusement, autour d’une sorte de kung-fu acrobatique législatif, l’amendement est resté dedans, là encore dans un hémicycle tétanisé de trouille et occupé par une seule idée qui est que cette question des libertés sur Internet est complétement fondamentale. Et dans tous les discours qui ont précédé le vote, tout le monde a évoqué cette question des libertés fondamentales des utilisateurs d’Internet, parce qu’on les matraquait avec ça, depuis des semaines, depuis des mois, et que le bruit que fait un sujet lui donne de l’importance politique, et que ces gens là, ils réfléchissent comme ça.
Dans la minute qu’il me reste pour conclure, je vais évoquer la question de la ’’"Net Discrimination"’’ et de la ’’"Net Neutrality"’’ qui heureusement, a été totalement défrichée par Benjamin tout à l’heure. Parce que c’est seulement au niveau de la seconde lecture au Parlement Européen qu’on a vu débarqué un acteur qui était pas au niveau de la première lecture aussi présent dans le débat, qui était AT&T of America, accompagné de Verizon of America, accompagné d’un coalition plus ou moins bidon d’opérateurs européens, qui sont arrivés avec une série d’amendements qu’on a directement balancé. Et là encore, on a réussi à faire monter ce débat-là dans les instances européennes, et il est heureusement loin d’être terminé. Des amendements qui disaient « On peut appliquer des limitations d’accès aux contenus, aux services et aux applications sur Internet POINT. Et on peut modifier ces limitations d’accès à des contenus, des services et des applications sur Internet ». En gros, l’Internet entre gros guillemets « Mobile », où on n’a pas le droit de Skype, de Voice Over IP, de Peer to Peer, de Newsgroup, de machins…
Benjamin Bayart : Liste pas ce qu’on n’a pas le droit, t’as plus vite fait de lister ce qu’on a le droit. On a le droit de MSN.
Jérémie Zimmermann : En gros, transformer l’Internet qu’on connait en ce sous-Internet mobile était dans ces amendements-là. Donc on a très sauvagement tenté de peser là-dessus jusqu’à obtenir une version amenuisée mais encore très, très, très dangereuse qui dit juste, et là c’était l’argument final du rapporteur Malcolm Harbour sur ce Paquet Télécom, qui était de dire « Oh c’est juste un problème de concurrence, c’est juste un problème de consommation. Et en fait, c’est pas un problème de liberté, vu qu’il suffit de changer d’opérateur ». Oui sauf quand ils sont dans une situation de cartel comme en France mais passons.
Benjamin Bayart : C’est prodigieux ça comme idée, ils sont en train de dire « Finalement le mercure dans les yaourts, c’est pas gênant, les consommateurs, du moment que c’est écrit sur le pot, ils changeront de fabricants ».
Jérémie Zimmermann : Voilà c’est à peu près exactement l’état du Paquet Télécom aujourd’hui, issu de la seconde lecture.
Benjamin Bayart : En fait, si vous ne voulez pas de merdes dans vos yaourts IP, on vous recommande, il y a un opérateur en France qui est garanti sans. Je vous laisse deviner lequel.
Jérémie Zimmermann : Dans les 30 secondes qui me restent pour conclure, je vais vous dire où on en est aujourd’hui du Paquet Télécom. On a donc ce texte issu de la seconde lecture qui est bloqué à cause d’un amendement, les 5 directives du Paquet Télécom sont bloquées à savoir si le texte était voté en seconde lecture sans l’amendement 138 dans sa forme originale, le Conseil, comme c’était négocié en avance, l’aurait accepté et le texte aurait été validé. Mais juste un amendement qu’on a réussi à faire passer fait que l’ensemble ira du coup en troisième lecture. Donc une phase de conciliation, ça ressemble un petit peu à la commission mixte paritaire en France mais en un peu plus bordélique et un poil plus démocratique, où une commission composée à moitié du Parlement et autre moitié du Conseil négocie morceau par morceau ce qui reste dans le texte. Et je vais vous donner là une information qui est quasiment exclusive, qui en tout cas est toute fraîche, mais qui reste au stade de la rumeur. La grosse question pour nous, c’était de savoir si sur ces 5 directives, est-ce qu’ils allaient choisir uniquement de renégocier l’amendement qui ne va pas, ou uniquement la directive qui contient l’amendement qui ne va pas, ce qui aurait été un petit peu mieux parce que c’est une directive importante, c’est la directive cadre, ou alors l’ensemble des 5 directives du Paquet Télécom. Auquel cas, ça veut dire que rebelote, on va y retourner avec nos petits amendements concernant la ’’"Net Neutrality"’’, avec des amendements qui vont dégommer ceux qui apportent la ’’"Net Discrimination"’’ et avec un nouveau round de débats et de citoyens, vous tous je l’espère, qui participeront pour qu’on puisse préserver Internet tel qu’on le connaît aujourd’hui. Il se dirait actuellement qu’un consensus se fait sur la question…
Benjamin Bayart : Tu as des minutes longues, Jérémie.
Jérémie Zimmermann : C’est vrai. Et je termine avec cette phrase : un consensus se ferait sur l’idée que l’on rouvrirait les 5 directives du Paquet Télécom. Donc au travail !
Benjamin Bayart : On va essayer d’accélérer un tout petit peu parce que je ne voudrais pas qu’on s’endorme et que cela fait déjà presque 2h qu’on vous embête. Il y a un autre morceau tout bien moisi qu’on a trouvé dans le Paquet Télécom qui ne relevait finalement pas du tout des télécoms mais qui était plutôt du domaine du Logiciel Libre, c’est que dans les saloperies qui devaient être introduites sous forme d’amendements bizarres empilés les uns sur les autres, il y avait le trusted computing.
Alix Cazenave : Voilà, c’est un autre cheval de Troie HADOPIesque dans le Paquet Télécom quelque part, puisque, Jérémie parlait tout à l’heure des contenus licites, contenus ou applications licites. Et bien finalement, on s’est retrouvé avec un jeu d’imbrications assez extraordinaires d’amendements BSA / Intel. On s’est retrouvé avec une potentiel normalisation du trusted computing au niveau européen comme norme de sécurité. C’est-à-dire que la directive telle qu’elle était rédigée avec les amendements qui avaient été proposés aurait amené à ce que le trusted computing soit imposé comme norme de sécurité au niveau européen. Ça aurait pu mené à ça, c’était quand même assez extraordinaire, assez incroyable. Donc on se retrouvait avec une fois de plus une question de filtrage, de contrôle de l’usage privé qui n’est pas sans rappeler les mouchards filtrants de l’HADOPI dont on nous a fait comprendre qu’il allait s’agir d’un simple logiciel type contrôle parental, mais que les abonnés à Internet allaient devoir installer de grès ou de force sous peine de voir leur responsabilité pénale engagée quand même auprès de l’HADOPI. Finalement, c’est juste l’étape d’après, par rapport à DADVSI, dans les DRM, dans le contrôle de l’usage privé, dans la surveillance et dans la démarche complétement inverse aux 4 libertés et au contrôle de l’utilisateur sur sa machine. Depuis DADVSI, on sait que les industries culturelles poussent pour que ce que nous faisons chez nous, sur nos ordinateurs, qui font partie du domicile privé, que cela soit contrôlé par des tierces parties, tierces parties qui plus est privées. C’est quand même assez particulier. Les mouchards filtrants de la HADOPI, c’est un peu plus que le DRM parce que, en fait, c’est le rootkit. Vous vous souvenez du rootkit Sony sur les CD ? Ça vous a marqué, ça ! Ben en fait, voilà, c’est cela que Christine Albanel voulait nous faire installer sur nos ordinateurs, c’était une sorte de rootkit. C’est quand même assez incroyable. La prochaine fois, qu’est ce qu’on va nous proposer ? Là, on avait les DRM qu’on a voulu nous imposer. Heureusement, le marché s’en est plus ou moins débarrassé, il reste juste des trucs dans la loi, c’est pas grave.
Jérémie Zimmermann : Il en reste aussi beaucoup sur les vidéos.
Alix Cazenave : Oui sur les vidéos, il y en a un max sur les vidéos. Et surtout, il reste cette protection particulière dans la loi qui fait que ça va effectivement poser problème parce que tant que ça s’applique aux vidéos et à pas mal de contenus multimédia en ligne, c’est quand même assez gênant. Sachant que typiquement, les plateformes de VOD, interopérabilité zéro. Donc les DRM ! Après, on veut nous imposer un rootkit, des mouchards filtrants, quelque chose que l’utilisateur ne pourra pas configurer selon ses besoins, selon ses envies et surtout il ne pourra pas empêcher un renvoi d’informations. Et après, qu’est ce qu’on va faire, finalement ? On va nous interdire d’utiliser des techniques de cryptographie ? On va nous empêcher d’utiliser des logiciels qu’on va pouvoir modifier selon ce qu’on veut en faire et empêcher éventuellement un renvoi d’informations à des sociétés privées qui vont en faire, je ne sais pas moi. Ça peut être pour du flicage, c’est sûr, mais on a surtout, du point de vue des sociétés privées, un problème de protection de la vie privée justement, et d’utilisation des données personnelles. Tout ce qu’aujourd’hui on a le droit de faire parce que l’ordinateur, c’est le domicile, et que finalement, je suis chez moi, j’ai des logiciels libres et j’entends qu’on ne m’impose pas un contrôle d’usage. Et bien demain, si on laisse continuer dans cette voix, on va se retrouver dépossédé de nos machines et finalement, ce sont les sociétés privées et les gouvernements qui vont avoir le droit de cité sur ce qu’on pourra faire ou non chez soi. Et donc ça, c’est assez grave, il ne faut pas relâcher notre attention là-dessus, notre vigilance là-dessus, parce qu’on en est clairement pas à la fin, c’est des enjeux économiques assez importants pour ceux qui sont dans des modèles anciens, où les distributeurs ont la main mise et décident de comment le marché va se passer, tous ces gens-là ont tout intérêt à ce que l’on reste dans les modèles du XX° siècle et que eux ils continuent à tenir les clefs du réseau.
Benjamin Bayart : Alors il y a un point d’ordre du jour que nous nous étions fixé, que pour le coup je vais traiter moi-même, et puis vous verrez si vous avez des bouts que vous voulez reprendre dessus pour qu’on avance assez vite. Je vais essayer en 4 minutes. C’est le point qu’on avait noté comme étant « Prochains textes ». Et pourtant, là-dedans, il y a à manger. Il y a un paquet de mangé ! Dans les prochains textes, il y en a un facile, c’est HADOPI2. Ça, c’est dans 2 semaines. C’était hier au Sénat, c’est dans 2 semaines à l’Assemblée, peut-être même moins de 2 semaines, et où, pour le coup, c’est comme sur HADOPI, je sais, c’est le mois de juillet, je sais, il fait chaud, je sais, c’est les vacances, il n’empêche, si on est nombreux dans l’hémicycle, si on est très nombreux à suivre, si on est ultra nombreux à leur écrire, ça aura du poids.
Alix Cazenave : Souvenez-vous le 22 décembre 2005 !
Jérémie Zimmermann : Et le vase de Soissons !
Benjamin Bayart : Non, non, Soissons, il n’était pas là ce jour-là !
Jérémie Zimmermann : Mais surtout, un point déterminant parce que… On a vu qu’il ne s’est pas passé grand chose au Sénat. Pour ceux qui l’auraient pas vu, parce que c’est vraiment passé inaperçu, le truc a été voté en 4 heures.
Benjamin Bayart : Attends, il s’est passé un truc extraordinaire !
Jérémie Zimmermann : Il y a eu un amendement de voté.
Benjamin Bayart : Il n’y a pas eu l’unanimité ! Bon, faut quand même repérer que HADOPI1 au Sénat a été voté à l’unanimité.
Jérémie Zimmermann : À l’unanimité des votants parce que les communistes ont quand même fait une abstention combative.
Benjamin Bayart : Oui, ouh la la ! RE-DOU-TA-BLE ! Redoutable ! Là, il y a eu quand même des voix contre !
Jérémie Zimmermann : Juste un tout petit point : ce qui va être crucial…
Alix Cazenave : Près de 150 voix contre, tout de même !
Jérémie Zimmermann Ce qui va être crucial, c’est le recourt au Conseil Constitutionnel. On a vu la puissance que pouvait avoir une décision du Conseil Constitutionnel sur nos sujets, et quoiqu’on en dise, le Conseil Constitutionnel, il fait du droit, il fait pas du politique…
Benjamin Bayart : Légifère, c’est dans l’ordre du jour.
Jérémie Zimmermann Juste, dans l’HADOPI2, il va falloir s’assurer qu’il y ait une saisie au Conseil Constitutionnel…
Benjamin Bayart : Je pense que côté PS…
Jérémie Zimmermann C’est peut-être pas si évident que ça. En tout cas, c’est pas sûr ! Et donc il va falloir faire en sorte que ce soit sûr !
Benjamin Bayart : Pour le coup dans HADOPI2, il y a encore énormément de mangé.
Alix Cazenave : Ils nous ont remis exactement les mêmes problèmes que sur HADOPI1, y compris les mouchards filtrants parce qu’ils ont osé le faire, quand même, de remettre un élément qu’ils avaient initialement enlevé du bout de patch HADOPI2 qu’ils voulaient faire, le patch pénal là. Ils ont refait exactement les mêmes erreurs, ils ont fait les choses absolument scandaleuses qu’on avait dénoncées mais cette fois avec réellement du pénal, c’est-à-dire des amendes de 150 000 € et la coupure d’accès à Internet, par juge automatique. On peut appeler l’ordonnance pénale comme cela, juge automatique ?
Benjamin Bayart : Juge automatique, c’est bien comme description !
Alix Cazenave : La coupure d’accès à Internet par juge automatique, mais cette fois-ci, c’est inscrit au casier en plus. C’est quand même extraordinaire. Avec en plus la présomption de culpabilité ! Non, c’est génial, il faut le voir pour le croire, mais ils nous l’ont refait, en pire.
Benjamin Bayart : Donc ça, c’est pour cet été, pour être sûr qu’on s’ennuie pas pendant les vacances. Dans les jouets pour la rentrée, pour se dessaler la peau en revenant de la plage, on a LOPPSI. Pour les gens qui n’ont pas suivi, je vais vous la faire courte, et pour le coup, comme j’ai vraiment pas envie qu’on passe trop de temps, on sera ravi de vous en parler tout l’été par IRC, par mails, par sites Web, par tant que vous voulez…
Jérémie Zimmermann Par Twitter.
Benjamin Bayart : LOPPSI, c’est une loi sur la sécurité intérieure, je n’ai pas eu le temps de tout lire. J’ai lu les passages qui nous intéressaient. Article 4, le grand morceau, c’est l’article 4 ! C’est ce qu’on prévoyait depuis longtemps : filtrage du Net, censure de sites Web sur décision du Ministère de l’Intérieur, obligation de résultat faite aux opérateurs tous confondus, donc les 800 déclarés à l’Arcep, de filtrer les sites sur décision du Ministère de l’Intérieur, sur publication d’une circulaire, par décision d’un exécutif, tout à fait, donc vraiment Ministère de l’Intérieur. Typiquement, ça sortira soit de la direction de la police judiciaire, soit de la direction des renseignements généraux, qui a changé de nom, je ne connais pas le nouveau !
Alix Cazenave : DCRI, Direction Centrale du Renseignement Intérieur.
Benjamin Bayart : Voilà, RG, ça s’écrit plus pareil.
Alix Cazenave : Ça a mergé avec la DST !
Benjamin Bayart : Ce que prévoit le texte, c’est filtrage sur décision du Ministère de l’Intérieur, le recourt au juge n’est pas clair. Pour le moment, le prétexte, c’est la pédophilie, donc on sait d’ors et déjà que, dans les débats, quand on viendra expliquer que la neutralité du net, c’est important et que non, on ne peut pas filtrer Internet sans passer par un juge, même pas en rêve, on sait déjà, je le sais déjà parce que je l’ai testé en réunion avec la gendarmerie, pour avoir dit qu’on ne pouvait pas censurer Internet, on m’a expliqué que j’étais pro-pédophile. J’étais, en tant que président de FDN, en réunion avec la direction de la police nationale, la direction de la gendarmerie, les gens techniques, qui bossent sur ces sujets là, j’expliquais que non, on ne peut pas mettre de l’intelligence dans le réseau, c’est en soit une connerie, que mettre de l’intelligence dans le réseau pour filtrer le contenu sans passer par un juge, c’est inconcevable, j’y étais à cette réunion, en tant que président de FDN. J’ai eu 48h après un coup de fil de mon patron pour me demander pourquoi j’étais allé tenir des propos pro-pédophiles en réunion avec la police.
Alix Cazenave : Tu t’appelles pas Jérôme Bourreau, toi ?
Benjamin Bayart : Non, non, non non, puis mon patron ne m’a pas viré, parce que… c’est à dire… j’avais démissionné 3 semaines avant ! Donc à priori, je m’en cogne. Il fait bien comme il veut !
Benjamin Bayart : Depuis j’ai changé de patron, le nouveau est mieux ! Donc il faut savoir que c’est contre ce niveau d’argumentaire là qu’on se bat. C’est-à-dire que quand on va aller expliquer qu’on veut voir le juge, quand on veut aller expliquer que non, la liste noire des sites interdits, elle ne sortira pas du Ministère de l’Intérieur, que non, c’est une ânerie de vouloir la mettre dans le cœur de réseau, c’est vraiment quelque chose de dangereux, on sait déjà que la réponse qu’on aura en face, c’est que nous sommes de dangereux pédophiles. Sachant que dans les textes qui viennent, il y a prévu pour le début de la prochaine session parlementaire les textes sur les jeux en ligne, les jeux d’argent. Et on sait que d’ores et déjà... Moi la première fois que j’ai entendu parler de filtrage d’Internet sur décision du Ministère de l’Intérieur, à l’époque, c’était sur décision des Renseignements Généraux, il y n’avait pas été refusionnés, c’était pour les paris, c’était pour les jeux en ligne. J’y étais avec quelqu’un de l’AFA, on était à une réunion au Ministère des Finances, on avait en face de nous quelqu’un du Ministère de la Justice, quelqu’un du Ministère de l’Intérieur, quelqu’un du Ministère des Finances. Ils nous ont expliqué le plus tranquillement du monde que les Renseignements Généraux transmettraient une liste de sites de jeux d’argent aux opérateurs et que les opérateurs allaient filtrer. Et il faut savoir que le mec du Ministère de la Justice, ça ne le gênait pas. Il faut bien avoir en tête que c’était quand même il y a 3 ans, ils n’ont pas changé d’avis. Donc en fait, l’idée, c’est qu’ils vont faire passer le filtrage avec une liste noire publiée par le Ministère de l’Intérieur sur la LOPPSI avec comme prétexte la pédophilie, que l’étape immédiatement après, ça va être d’y intégrer le jeu en ligne, que probablement, dans les semaines qui suivront, on aura les questions de droit d’auteur qui seront intégrés... parce que les droits d’auteurs, c’est au moins aussi grave que la pédophilie.
Jérémie Zimmermann : Si je puis me permettre une parenthèse ici : le jour de la première réunion au Ministère de l’Intérieur sur les questions de filtrage des contenus pédo-pornographiques, le jour même, Hervé Rony, le délégué général du SNEP, Syndicat National des Éditeurs de Phonogrammes, non ne riez pas en entendant le mot phonogramme, a déclaré "Ah, ben si on peut le faire pour la pédophilie, ça veut bien dire qu’on peut le faire pour la musique aussi".
Benjamin Bayart : LOL
Alix Cazenave : On peut l’applaudir, Hervé Rony, non ?
Jérémie Zimmermann : Il ne mérite pas !
Alix Cazenave : Ah si si si, c’est beau de faire ça, tout de même !
Benjamin Bayart : Au moins, c’est franc. Nous, quand on le dénonce, on nous dit "Vous êtes des paranos, vous vous foutez de nous !". Quand j’ai dit ça aux gendarmes et aux policiers avec qui je discutais, qui sont d’excellents techniciens et qui pour le coup font un travail formidable d’enquêteurs sur les questions de pédophilie, et ont des chefs qui ont des méthodes de voyous sur la façon de faire passer le filtrage, quand je leur disais, en réunion, "Mais si vous faites passer ça, le lendemain, on a les gens de la musique sur le dos qui vont vouloir qu’on filtre Internet pour des questions de droits d’auteur", ils regardaient leurs chaussettes et ils me disaient "Oui mais bon, la pédophilie, c’est important, et nous ce qu’on fera, c’est qu’on fera tout ce qu’on peut dans le texte pour dire que c’est que la pédo". Voilà, visiblement, ça ne marchera pas.
Alix Cazenave : Mais ils ont du mal à croire en fait que ce qu’ils veulent faire pour des motifs tout à fait nobles de leur côté, parce que ce sont des missions de protection des personnes, que cela va être exploité pour défendre des intérêts privés. Et c’est la même chose quand on disait que l’on allait détourner des dispositions qui sont pour la lutte anti-terroriste, à savoir l’accès aux données de connexion par une autorité administrative sans passer par un juge judiciaire, ça c’est uniquement dans le cas de la lutte contre le terrorisme que ça a été prévu. Avec la HADOPI, maintenant, on a le droit de le faire pour la défense des intérêts des auteurs et des détenteurs de droits voisins. C’est quand même hallucinant. On fera des questions après !
Benjamin Bayart : Dans les textes qui arrivent également, il y a évidemment la troisième lecture du Paquet télécom...
Jérémie Zimmermann : En septembre !
Benjamin Bayart : C’est en septembre ?
Jérémie Zimmermann : A partir de septembre
Benjamin Bayart : Donc on va encore se retrouver avec, sur le feu, en simultané, LOPPSI au Parlement français, le Paquet télécom au Parlement européen...
Jérémie Zimmermann : Voire la suite de l’HADOPI 2...
Benjamin Bayart : Et peut être HADOPI 3, parce que je sens bien qu’HADOPI 2 ne va pas bien marcher. On aura une V3.
Jérémie Zimmermann : Le retour de la vengeance de l’HADOPI.
Benjamin Bayart : Il y a également une directive Protection de l’enfance côté européen, donc qui va très probablement reprendre ces questions de filtrage du Net...
Jérémie Zimmermann : Plus que très probablement, puis qu’il y a déjà un article 18 dans le texte transmis par la Commission qui dit que les États membres feront en sorte que les opérateurs filtrent les contenus pédo-pornographiques. Donc c’est déjà dans le texte aujourd’hui, même si le texte en est au tout début du processus législatif européen.
Benjamin Bayart : Donc ça, ça nous fera encore de belles munitions ! Il y en a d’autres plus conditionnelles. Moi, j’ai lu des bouts de retouches au code des Postes et Communications, autour de la quatrième licence, etc. Il y a des choses très très drôles qui se préparent.
Jérémie Zimmermann : Il y a aussi en Europe une possible remise en cause du principe de mere conduit, qui est, tu en parlais tout à l’heure, à mon sens la définition la plus positive qu’on ait aujourd’hui dans le droit de la Net Neutrality, qui est dans la directive e-commerce, quelque chose qui dit que l’opérateur se contente d’acheminer les données, qui est quelque chose que les représentants des industries du divertissement ont en horreur et qu’ils aimeraient bien faire sauter. Et donc, il est dans l’air qu’il y ait une révision de cette directive du commerce électronique. Pfff !
Benjamin Bayart : Comme tu dis !
Tangui Morlier : Je vais peut être présenter les quelques bonnes nouvelles, quand même. Non ?
Benjamin Bayart : Alors voilà, sur la conclusion, on a quand même une grande, belle et bonne nouvelle. Donc je voulais qu’on la garde pour la fin, parce qu’il y en avait suffisamment de mauvaises. Et puis qu’on fasse pas trop long, parce que derrière, j’ai 3 messages à faire passer post-table ronde et on a plus très longtemps !
Jérémie Zimmermann : Moi, j’ai 2 min de conclusion.
Benjamin Bayart : Donc voilà, le point important, on l’a évoqué à plusieurs reprises, mais qui est pour moi la nouvelle importante sur HADOPI, c’est le texte de la censure par le Conseil constitutionnel... Je t’ai piqué ta conclusion ?
Jérémie Zimmermann : Non, du tout !
Benjamin Bayart : D’accord, donc tout va bien ! Le Conseil constitutionnel, dans sa censure, ne reprend pas à la lettre mais précisément le mode de réflexion et le mode de raisonnement de l’amendement 138. Et du rapport Lambrinidis ! Bref, cet élément là qui est de dire que l’accès à Internet est indispensable à l’exercice des droits fondamentaux que sont la liberté d’expression et la liberté d’accès à l’information et que donc, on ne peut pas porter atteinte à l’accès à Internet sans passer par un juge judiciaire. Bla bla bla bla bla bla, je vous le remet en français : le Conseil constitutionnel a dit que l’accès à Internet était un droit fondamental depuis 1789, puis que pour dire ça, il s’appuie sur l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. On aurait voulu faire rentrer ça dans la Constitution qu’on y serait pas arriver ! On aura voulu faire passer ça, jamais on aurait réussi à faire voter ça par le Parlement ! C’est en soit quelque chose d’énorme ! Il faut savoir que le Conseil constitutionnel se dédit rarement, le rarement étant assez fort, c’est-à-dire que dans les 15 à 20 ans qui viennent, ils ne diront pas le contraire de ce qu’ils ont dit. Ils pourront, si les circonstances changent, si Internet devenait un réseau de communication très mineur face au Minitel 3 qu’on nous promet, peut être qu’ils trouveraient que le Minitel 3 est plus fondamental. Mais pour le moment, la décision du Conseil constitutionnel, c’est en droit quelque chose d’extraordinairement lourd. La liberté d’accès à Internet est considérée comme inscrite dans la Constitution française. Ça a des conséquences partout : ça veut dire que, typiquement, la France va avoir un mal de chien à expliquer pourquoi elle s’oppose à l’amendement 138. Puis que l’amendement 138 qui dit ça, il est dans la Constitution. La position du gouvernement qui va essayer d’expliquer à l’Europe que la France s’oppose à sa propre Constitution, ça va être du dernier comique. Je pense qu’on va rigoler un bon moment.
Jérémie Zimmermann : Ils en sont pas à ça près !
Benjamin Bayart : Non ils en sont pas à ça près, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.
Alix Cazenave : On pourrait peut-être même faire une révision de la constitution, histoire de s’assurer ...
Benjamin Bayart : Mais ça va être compliqué, parce que pour faire...
Alix Cazenave : ... une petite révision sur l’article 11...
Benjamin Bayart : ... enlever l’article 11 de 1789.
Alix Cazenave : ... on enlève le préambule.
Tangui Morlier : Ça va se voir.
Benjamin Bayart : Je pense que si la France enlève les droits de l’homme de sa constitution, ça va se voir. On n’a pas fini de rigoler.
Alix Cazenave : Ah oui, c’est vrai.
Tangui Morlier : Ils le font bien en Chine.
Benjamin Bayart : Ils le font bien en Chine, c’est pas faux.
Alix Cazenave : Merci Benoit ...
Benjamin Bayart : La conclusion de cette table ronde, c’est que l’air de rien, dans ces débats pourris qu’on s’est mangés, qu’on ne s’est pas mangés tout seul, ça c’est un des trois sujets que je vais évoquer en conclusion, il y avait deux façons de venir vous parler d’HADOPI. Parce que c’est, en plus du logiciel libre, à la confluence de deux autres luttes. L’une qui est la net-neutralité, comme c’est moi qui ai hérité de l’organisation du truc, je suis venu vous parler de réseaux, car c’est mon domaine. L’autre axe possible, les autres gens avec qui on a lutté sur le sujet, c’était la culture. Soit on venait vous dire, c’est Logiciel Libre et la Culture, soit on venait vous dire, c’est Logiciel Libre et Net-neutralité, soit on essayait de faire les trois, et dans ce cas là, il fallait qu’on fasse deux heures de plus. Ce qui faisait trop.
Donc voilà, on a quand même lutté sur ces sujets là, sur les questions du droit d’auteurs, on avait à côté de nous, je rappelle que par exemple la manifestation du premier mai c’était FDN et libre accès. C’était Culture et Art-Libre, et réseau Propre. Ensemble pour dire : « Foutez-nous la paix ». Ça c’est quand même un point sur lequel je voulais insister, on aurait pu faire deux heures de tables rondes sur les problèmes de droits d’auteurs, sur les questions fondamentales qui sont derrière et qui sont pas neutres, sur le fait que la société du numérique fout le même bordel dans le droit d’auteur qu’elle l’a mis ailleurs. Si je ne me trompe pas (je te regarde Jérémie parce que c’est toi qui sait si la conférence de Stiegler c’est demain matin ?)
Jérémie : Demain après midi à 14h.
Benjamin Bayart : conférence demain après midi, 14h, sur le thème Art-Libre, c’est le sujet à suivre, c’est l’autre volet. Il y a trois volets là dessus. Jérémie si tu veux parler, prends le micro.
Jérémie : (début sans micro) .... c’est l’amour, entre un public qui aime un auteur et un auteur qui, à un moment donné, aime son public. Il y a Bernard Stiegler, qui est une des personnes qui a conceptualisé la notion d’amateur d’art, et Antoine Moreau, qui a fondé la licence Art-Libre. Ils se rencontrent. Et pour nous, cela va être fondateur de repenser pas mal de choses et de ré-interroger, à partir de ces deux personnes là, pour remettre de la pensée dans le bordel qu’on nous a foutu. Et ce sera demain à 14h, voilà je me tais.
Alix Cazenave : Sinon, pour la table ronde sur le droit d’auteur, c’était juste en même temps que nous.
Benjamin Bayart : Oui, mais on ne peut pas tout faire. Mais c’était moins fait par des militants. Moi, ce qui m’intéresse, c’est le côté « porté par les militants ».
Tangui Morlier : On la regardera en vidéo.
Benjamin Bayart : Oui, on la regardera en vidéo, celle qui est portée par les juristes. Il y a de toute façon du « à manger » dedans. Sinon, il y a deux grosses nouvelles importantes dont je voulais parler et aborder en conclusion. L’une d’entre elle... je ne sais pas si vous situez le 30 mars dans le calendrier. C’est un tout petit peu après le 29, et très peu de temps avant le 31. Moi je me souviens très bien le 30 mars, j’étais dans l’hémicycle et si je ne me trompe pas, ça doit être le jour où Dyonis s’est mis à genoux et où ils ont voté l’article 5, où ils ont voté le filtrage d’Internet.
Tangui Morlier : C’est possible.
Alix Cazenave : Nan, c’était pas le 1er avril ça ?
Benjamin Bayart : Il me semble que c’était le 30 mars et que c’était justement pas le 1er avril. Toujours est-il que le 30 mars, c’est la date qu’il y avait sur l’envoi par accusé de réception, de SFR à FDN, de la lettre de résiliation du contrat de collecte de FDN. C’est à dire que le 30 mars, SFR nous a fait savoir qu’il ne collecterait plus notre trafic ADSL, qu’on ne pourrait donc plus fournir de ligne ADSL, et qu’on avait trois mois pour foutre le camps de là. Je ne sais pas s’il faut y voir malice, mais je trouve curieux que le même jour, je sois dans l’hémicycle, à un jet de tomates de la loge des lobbyistes de Vivendi, et que cela fait des années qu’il tournait très bien le contrat SFR, on paie nos factures rubis sur ongle, on a aucun souci. Curieusement, ce jour là, on reçoit une lettre recommandée de monsieur SFR (alias Vivendi, alias Cegetel, alias Neuf, alias AOL, alias Télé2, enfin tous ceux là) nous disant d’aller nous faire mettre. FDN, pour le coup, qui est un FAI, a décidé pendant longtemps, un petit peu plus de trois mois, de ne rien dire. On a juste fait savoir qu’on n’était plus en mesure de prendre de nouveaux abonnements, puisque, effet immédiat, nos commandes sont rejetées. Depuis trois mois, on n’a pas communiqué la dessus, on n’a pas dit pourquoi on ne prenait plus d’abonnement, on a juste dit qu’on n’en prenait plus. Depuis trois jours, on reprend de nouveau des abonnements, on a un contrat de collecte, signé ailleurs. Ils ont essayé de nous tuer, ils nous auront pas. Ça fait 18 ans qu’on tient debout, je pense que l’année prochaine on sera encore là.
Applaudissements
Alix Cazenave : Tu vois Benjamin, je t’interromps une seconde, tout à l’heure tu parlais de séparation des pouvoirs, à propos de la net-neutralité. Moi j’ai immédiatement pensé à ça, au fait que les opérateurs de...
Benjamin Bayart : De musique !
Alix Cazenave : ... d’accès à Internet. On doit faire impérativement la différence entre les Fournisseurs d’accès « service » et ceux qui fournissent le réseau, entre les tuyaux et ceux qui opèrent le réseau.
Benjamin Bayart : Oui, mais il y a une telle convergence synergétique avec des économies d’échelles permettant de rentabiliser...
personne du public : FOUTAISES !
Benjamin Bayart : Là je t’assure que sur le pognon qu’ils gagnent, c’est pas de la foutaise, mais je suis très bon au bingo !
Tangui Morlier : Juste avant que le débat ne commence, je dois m’éclipser, j’ai une conférence qui commence.
Benjamin Bayart : Mais on est en train de finir. Je sais que tu devais partir à 16h.
Tangui Morlier : Donc je te laisse conclure, je m’éclipse.
Benjamin Bayart : Merci Tangui.
Applaudissements
Benjamin Bayart : Donc l’air de rien, cette petite plaisanterie de la part de SFR, a fait un trou de 10 000 euros dans la trésorerie de FDN. C’est à dire l’équivalent de trois mois de chiffre d’affaires. On y survivra. Les adhérents vont le financer et après, on va aller se venger au tribunal. On n’a jamais fait appel aux dons sur FDN, on ne le fera pas. Par contre si les gens veulent adhérer, ils sont les bienvenus, s’ils veulent de l’internet propre, on en fournit depuis presque 20 ans, j’ai bien l’intention qu’on continue.
En parlant d’appel aux dons, il y a par contre un autre point : l’an dernier, j’avais pris la parole un peu sauvagement pendant que Christophe et Jérémie vous expliquaient ce qu’il se passait sur le paquet télécom, pour vous faire remarquer qu’il y a des gens qui bossent là dessus à plein temps, et qu’ils ont besoin d’être financés. On a bougé depuis l’an dernier, on a progressé. On a créé une association qui s’appelle le fond de défense de la neutralité du net : FDNN, qu’on peut prononcer FDN2.
Jérémie Zimmermann : On peut.
Benjamin Bayart : On peut. Qui est la tirelire. Lol. C’est pas la même, c’est pas directement rattaché, mais FDN2, c’est la structure dans laquelle on fait passer les finances dont la Quadrature a besoin pour bosser. Parce qu’on a besoin, Jérémie, moi je trouve, il bosse pas beaucoup, il fait presque un temps plein, deux tiers temps, 18h par jour, pas plus, la moitié sur l’Europe, l’autre moitié sur la France. Et puis vous voyez bien, il est tout maigre, il faut qu’il mange.
Jérémie Zimmermann : Je me vengerai !
Benjamin Bayart : Tu te vengeras, oui j’espère bien. Tu noteras que moi aussi, je suis tout maigre. Donc voilà, on a besoin de faire financer La Quadrature (Du Net). Elle a déjà des financements, on a le droit de dire de qui ?
Jérémie Zimmermann : On a le droit.
Benjamin Bayart : Oui, de la Fondation Soros. D’habitude, ils financent plutôt les révolutions dans les pays pas très démocratiques, et ils se sont dit que chez nous, il valait mieux financer avant qu’après. Ça coûterait moins cher de sauver ce qu’il nous reste de démocratie que d’en remettre plus tard. Déconnez pas, c’est pas flatteur.
Donc pour le moment la quadrature est financée par la fondation Soros, par quelques dons privés. Je pense que ce serait plus sain qu’il y ait une grosse part de financement qui vienne par la communauté. Faut comprendre ce dont on parle. On parle de financer énormément de frais, parce que cela coûte une fortune d’aller à Bruxelles, d’aller à Strasbourg, d’aller partout, de réserver des chambres d’hôtel, de bouffer sur place... Voilà y a des frais énormes. C’est financer au moins l’équivalent de deux plein temps, peut être trois, donc ce sont des gros montants. On a besoin de financements, on a besoin de financements réguliers, et puis il y a quelques opérations amusantes : on a décidé que pour défendre les libertés publiques, on allait faire comme l’état, on va vendre les biens publics. Je te laisse expliquer Jérémie, ça c’est ton idée.
Jérémie Zimmermann : Alors l’idée c’est que vous voyez π, c’est rigolo parce que c’est infini et puis c’est numérique, c’est mystérieux, c’est un peu comme notre combat. C’est aussi le logo de la quadrature du net. En fait, quiconque apportera son soutien financier en allant sur la quadrature.net obtiendra 1000 décimales de π, à titre non exclusif, personnalisé, rien que pour lui, sous forme d’un superbe certificat en forme de diplôme désigné avec amour et en LaTeX par un expert en la matière que je ne nommerais pas.
Benjamin Bayart : Nan, nan, moi je fais du réseau, rien à voir.
Jérémie Zimmermann : Au dessus d’un certain montant qu’on a volontairement fixé un petit peu haut, à 50€, mais qui pendant les RMLL sera à 25, voire même en dessous, vous aurez ce même certificat sur un tirage papier, sur un beau papier qu’éventuellement on enverra chez vous. Et au delà d’un certain montant qu’on va volontairement mettre haut parce qu’on n’a pas vraiment vocation à vendre des tee shirts, on vous offrira un tee shirt, en série limitée, qui ressemble un petit peu à celui-ci (JZ montre son propre tee shirt) et qu’on appelle un π-shirt. C’était tout pour la minute commerciale, on fera aussi tourner un chapeau... Non je plaisante.
Benjamin Bayart : et donc sinon, il danse avec des ours, il y a des gens qui jouent du flûteau autour et faut lancer des sous.
Jérémie Zimmermann : Au delà d’un certain montant qu’on a pas encore déterminé mais qui sera quelque part dans les 9999€, vous aurez un dîner aux chandelles et au champagne avec les co-fondateurs de la Quadrature du Net.
Benjamin Bayart : Et pour coucher c’est combien ? A partir de combien tu couches ?
Jérémie Zimmermann : Beaucoup trop. Mais je m’éloigne de la conclusion que j’aurais voulu tirer, et que je vais essayer de tirer en deux ou trois minutes de tout ça. C’est très intéressant, je pense que les sociologues et autres bidules en -ogue, se pencheront sur la question, s’ils ne le font pas déjà, de voir que c’est nous, la bande de geeks, qui allons retourner les parlements. Alors nous, la bande de geeks, nous sommes ceux qui connaissent le mieux Internet, ceux qui l’utilisent tous les jours depuis plus longtemps que tout le monde, ceux qui en quelque sorte, l’ont fabriqué.
Benjamin Bayart : Oui.
Jérémie Zimmermann : Donc on peut dire sans se vanter qu’on a une expertise en matière d’internet et de technologies numériques. Et c’est intéressant de voir qu’on utilise spécifiquement notre expertise dans quelque chose que l’on a bâti pour le préserver tel qu’on le connaît aujourd’hui, tel qu’on aime l’utiliser aujourd’hui. Et j’aimerais me livrer ici à un parallèle un petit peu hasardeux, je sais que pas grand monde n’aime la politique, en tout cas la politique telle qu’elle existe aujourd’hui à base de spectacle, de petites phrases, de connards bronzés qui ne connaissent pas leurs dossiers mais qui raisonnent à coup de sondages etc... Mais la politique comme je vous l’ai vaguement expliquée, la vraie, c’est pas ça. C’est s’intéresser à la vie de la cité, et pour s’intéresser à la vie de la cité, pour participer il faut finalement transmettre son expertise, transmettre sa connaissance. Et donc notre rôle, ce qu’on fait tous les jours dans nos campagnes, on transmet l’expertise que l’on a de l’outil que l’on veut préserver. Mais transmettre de l’expertise c’est un petit peu de la communication et c’est un petit peu un truc que les geeks ne savent pas bien faire en général. Le parallèle hasardeux que je vais faire, c’est dirmystérieuxe qu’en gros ce qu’on est en train de faire c’est faire la doc et faire les pages man [ndt : manuel] qui vont avec l’outil qu’on a développé. Et que nous, les geeks, on sait qu’on aime pas faire les pages man et qu’on n’aime pas rédiger les docs. Le problème c’est que si on les fait pas, le projet ne va pas décoller et il n’ira pas très loin. Donc voilà, à vos éditeurs de textes !
Benjamin Bayart : On ne peut pas laisser les parlementaires essayer d’écrire tous seuls le manuel d’internet, ça ça va pas être bon.
Jérémie Zimmermann : Voilà !
Benjamin Bayart : Va falloir qu’on s’en mêle ! Bon, veux-tu rajouter un mot ?
Alix Cazenave : Non, sinon que, effectivement, la participation de chacun à la sensibilisation de nos parlementaires est extrêmement importante ! C’est pour ça que l’April fait des campagnes avec le Pacte du Logiciel Libre. Mais ce n’est pas que pendant les campagnes qu’on peut le faire c’est tout le temps en fait. Je vous encourage tous à aller à la rencontre de votre député que ce soit au hasard d’un marché, d’une brocante, d’une réunion publique ou en demandant un rendez-vous à sa permanence pour lui parler de votre sujet, de ce qui vous intéresse et de ce qui vous tient à cœur et essayer de lui transmettre un petit peu cette préoccupation…
Jérémie Zimmermann : Ce qui vous tient hacker !
Benjamin Bayart : Non, elle est faible !
Alix Cazenave : … pour que, la prochaine fois, les députés se posent un petit peu plus de questions. Plus ils se poseront des questions et, comme tu le disais tout à l’heure, plus ils auront mauvaise conscience à voter des choses complètement aberrantes. Et plus ils éviteront de voter des choses aberrantes, plus ils voteront des choses bien en fait. Donc il faut qu’on s’y mette tous, chacun qui adresse un mot, un mail, un coup de fil, une rencontre avec son député, au fur et à mesure, il y a plein de gouttes d’eau dans l’océan, c’est comme cela qu’on fait.
Benjamin Bayart : Et je vous rappelle que vous avez le droit à trois - quatre jours de vacances et juste après on embraye sur HADOPI2, on a besoin de vous. Et je me contrefous de savoir que c’est entre le 15 juillet et le 15 août, il y en a besoin ! S’il y a des questions, on sera ravi d’y répondre et s’il n’y a pas de questions, on sera ravi d’aller fumer. Si quelqu’un peut faire passer un micro… Vérifie qu’il soit allumé… Il est allumé !
Une personne du public : Ce n’était pas pour poser une question, mais par rapport au problème dont tu parlais tout à l’heure : des justifications initiales d’une loi et des dérives que nous pouvions constater ultérieurement. Je voudrais rappeler une petite anecdote : il y a quelques années, le gouvernement a mis en place, a légiféré sur la création d’une base ADN en arguant des crimes sexuels et notamment aussi de la pédophilie et en mettant en avant la récidive. C’est tout à fait louable et personne ne peut s’opposer à cela.
Alix Cazenave : Dans l’intention en tout cas !
La personne du public : Évidemment ! Le seul problème, c’est que l’année dernière, à Montpellier, un faucheur volontaire a été condamné parce que, suite à une action justement des faucheurs volontaires, il a été interpellé par la gendarmerie et il a refusé de donner son ADN. Et il a été condamné ! Je ne sais pas si vous faites un parallèle entre le fauchage d’OGM et la pédophilie ou les crimes sexuels, moi pas vraiment !
Benjamin Bayart : Ah si, le parallèle est direct, tout de même ! Des pauvres épis de blés mineurs qu’ont rien demandé à personne, à qui on fait violence dans les champs. Non c’est directement la même chose ! Le lien est immédiat.
La personne du public : Voilà ! Tu peux te plaindre auprès de mon employeur pour mes propos scandaleux. Donc il faut se méfier des justifications, il ne faut pas avoir peur de mettre en exergue les dérives possibles, elles ne tiennent pas toujours de la paranoïa.
Benjamin Bayart : Non, elles ne sont pas possibles, elles sont certaines !
Sébastien Dinot : Voilà.
Benjamin Bayart : Sur les jeux en ligne et sur la musique, je peux t’assurer que c’est de la dérive certaine.
Alix Cazenave : Et sur la pharmacie et… et… et…
Sébastien Dinot : Laissez quelques brides d’innocence.
Jérémie Zimmermann : Et les insultes au Président de la République aussi.
Alix Cazenave : Ou à Nadine Morano
Sébastien Dinot : Vous savez qu’il y a des dérives et il faut les mettre en exergue. Il ne faut pas avoir peur de dire à vos députés qu’il ne faut pas tout mélanger.
Benjamin Bayart : Il y avait une question au premier rang. Alors pour le coup, tu vas être filmé de dos ou tu nous tournes le dos à nous.
Une personne du public : Je voulais dire, pour montrer à quel point ça ne marche pas leur truc, il suffirait de faire simplement un truc. Simplement sur les fichiers qu’on envoie par internet, de modifier les titres.
Benjamin Bayart : Alors, du « qu’on fait pour montrer que ça ne marche pas » on en a fait plein :
- On a essayé, dans l’exemple par la pratique, ils ne comprennent pas.
- On a essayé dans la démonstration scientifique publiée par des universitaires, ils ne comprennent pas.
- On a essayé en allant poser la question aux gens qui ont métier de traquer les téléchargeurs et à qui on demande « et si on fait comme cela, est-ce que vous allez nous attraper ? » , « non », « et si on fait comme cela ? », « non plus », « et si on fait comme ça ? », « non plus »…
Ça suffit pas, il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre. Le problème n’est pas d’expliquer aux politiques que ça ne marchera pas, le problème c’est qu’ils savent que ça ne marchera pas et qu’ils s’en foutent… Je peux pas te dire mieux. Si on était dans une discussion entre gens de bonne foi, il y a longtemps que le problème serait réglé.
Alix Cazenave : C’est comme la sécurité incantatoire des DRM, la sécurité de fonctionnement incantatoire des DRM. Le DRM est protégé par la loi parce qu’en fait il n’est pas suffisamment protégé techniquement. Donc on met une protection par la loi et « hop là incantatoire », le DRM est efficace. C’est pareil. Là c’est la même chose « incantation » on va faire une répression massive du téléchargement et ça va marcher. La preuve : les téléchargements vont baisser, ouais, ceux qu’on observe.
Benjamin Bayart : Une question là haut, il y a un micro qui vous est tendu. Voilà.
Une personne du public : Je voulais dire, par rapport à la mise en place des techniques de la législation sur…
Benjamin Bayart : Si vous pouviez vous lever que les gens vous voient. Faut pas avoir honte, ils ne sont pas méchants.
La personne du public : Par rapport à la législation qui se met en place sur ce nouveau moyen, ça me rappelle ce que j’ai un peu potassé à une époque, c’est à dire au moment de l’apparition du téléphone et de tout ce qui concernait le droit saisi par photographie. Vraiment les débats qui ont eu lieu à l’époque etc. Et c’est vrai qu’on se sert aujourd’hui de la pédophilie mais à une époque le Ministère de l’Intérieur se servait des publications interdites aux enfants, je dois dire, pour la violence, pour les mœurs, la morale, etc. Donc on est dans les mêmes cas de figure, à chaque fois qu’il y a une introduction. Et aussi, les premières images de cinéma qu’on a eu, on a eu un énorme problème avec ça et c’est principalement le service cinématographique des armées qui a commencé à mettre de l’ordre dans les choses. Bon il y a eu 14-18 après. Mais, je dois dire, si on regardait un petit peu les débats qui ont eu lieu pour le téléphone, pour le droit saisi par la photographie et pour les images, c’est exactement, je dois dire, les mêmes enjeux et on se sert naturellement de la morale, des mœurs, des groupes de pression bien pensants ou pensants, ou je sais pas quoi etc. Mais c’est exactement le même principe. C’est vrai que de plus en plus on va vers vraiment des élus complètement incompétents. Et je dois dire que, ça aussi, c’est l’échec de la démocratie par délégation. Et effectivement, maintenant, on retourne vers une démocratie par intervention directe et pas du tout cette espèce de tarte à la crème de marketing qui s’appelle la démocratie participative parce que la démocratie participative c’est aussi de la délégation. Tandis que la démocratie directe c’est vraiment quand on interpelle chaque fois les gens pour lesquels on a voté ou élu. Et je dois dire qu’il va falloir arriver à ça parce qu’on ne peut plus avoir des gens qui soient délégués, c’est plus possible. On ne peut plus déléguer les yeux fermés une fois tous les cinq ans lors d’un vote.
Alix Cazenave : Moi je ne vais pas rentrer dans le débat démocratie représentative / démocratie participative / démocratie directe. Je pense que ce n’est pas le lieu et qu’on pourrait en plus partir pour des heures, des jours, des semaines, des mois, des années de débats là-dessus en fait.
Benjamin Bayart : Déconne pas, y a cocktail tout à l’heure.
Alix Cazenave : Et voilà, je crois que ce n’est ni le lieu ni le moment d’en discuter longuement. En revanche l’incompétence des parlementaires est à nuancer à la lumière du mode de fonctionnement du parlement aujourd’hui, et de la cadence qui est imposée aux parlementaires. Le parlementaire ne peut pas être omnipotent-omniscient. On lui demande beaucoup de choses, on lui demande de légiférer sur les projets de loi de finance de la sécurité sociale, sur le budget de l’État, sur le temps de relance de l’économie, sur des lois sur la culture, sur le multimédia, sur le numérique, sur des lois sur les infrastructures. Il y a de tout, il y en a qui sont spécialisés dans l’agriculture…
On ne peut pas demander à un député de tout savoir, de tout connaître. En revanche, il faut voir aussi que les députés ont un rythme effréné actuellement au niveau de l’Assemblée Nationale par ce qu’on a ce qu’on appelle « l’inflation législative ». Ça fait quelques années qu’on en parle mais là il faut voir. L’urgence ce n’est plus une exception. C’est devenu la règle. Les députés ont à peine le temps de voir les textes arriver sur leur bureau qu’il faut déjà aller voter. Et même les rapporteurs ont du mal à faire leur travail tellement les délais qui leurs sont imposés sont courts. Donc il faut comprendre aussi la contrainte que les députés ont, par rapport au fonctionnement de l’Assemblée Nationale, pour comprendre combien ils ont besoin que nous, nous apportions nos compétences pour compenser le manque de temps et le manque de compétence que eux ils ont, justement.
Jérémie Zimmermann : Justement, par notre expertise collective, on les rend un petit peu moins incompétents de temps en temps. Et je partage tout à fait votre analyse sur la perspective historique qui est très importante de toute façon, partout, pour comprendre les enjeux, pour comprendre les sujets. D’ailleurs, en prenant un petit peu de perspective historique sur cette « crétinerie » d’HADOPI, on regarde ce qui s’est passé lors de l’apparition du piano mécanique, de la musique à la radio, de la cassette audio, de la cassette VHS et c’est exactement le même schéma : d’abord on a peur, on combat jusqu’au moment où on s’aperçoit « oh ben tiens, on peut pas l’arrêter, les gens qui s’en servent, en fait, ils achètent plus et il y a des revenus que l’on peut tirer indirectement pour les mutualiser ». Donc oui, prendre du recul historique est indéniablement indispensable.
Benjamin Bayart : Question ? Oui Gilles ?
Gilles : Depuis quelques années, les magistrats se font pas mal emmerder par le gouvernement, on dégage les avoués, on dégage les instructions etc. Et moi j’ai entendu à l’époque, en 2005, il y avait un avoué qui me disait qu’aucun procureur ne s’emmerdait à poursuivre quelqu’un tellement le texte était pourri et inapplicable etc. On est toujours dans cette veine là, est-ce que la magistrature est un allié sur ce terrain là ?
Benjamin Bayart : Non.
Jérémie Zimmermann : C’est intéressant parce que depuis 2005, parmi les choses qui ont évolué dans la magistrature, il y a le fait que le parquet est de plus en plus aux ordres et que la vis est de plus en plus serrée sur les parquets. Les nominations des procureurs et des procureurs généraux sont de plus en plus des nominations politiques. Tous ceux qui ne sont pas en accord avec la ligne politique se font dégager, se font placardiser et ce qui arrive avec la réforme de la procédure pénale, on va dégager le juge d’instruction pour une espèce de « juge de l’instruction » qui, en fait, c’est encore un terme de novlangue, qui sera un procureur qui récupérera les morceaux du juge d’instruction qu’on peut vraiment pas laisser au parquet. En l’occurrence, pour autoriser des écoutes, pour autoriser des écoutes à distance sur les ordinateurs comme avec l’article 22 de l’HADOPI, on va arriver devant le juge de l’instruction, « Tiens voilà, il y a 18 tomes de dossiers, tu nous signes le papier, on en a besoin là maintenant, tu nous l’autorises oui ou non ? » Le type évidemment, il autorisera. Donc le parquet est utilisé comme l’instrument de l’exécutif pour faire appliquer sa politique dans la magistrature.
Le reste des magistrats sont globalement furieux mais ils ont un droit de réserve, ils ne manifestent pas des masses. Quand tu regardes, sur ces dernières années, les positions prises par les différents syndicats de magistrature, tu vois que c’est d’une violence extrême, pour leurs standards, ils ne peuvent pas dire ce qu’ils veulent. Et par exemple l’USM, qui est le syndicat majoritaire, qui est globalement centriste, et le SM, le Syndicat de la Magistrature, qui lui est très engagé à gauche, ont notamment fait des communiqués de presse communs ce qui s’était jamais vu dans leur histoire. Oui, ils sont énervés mais dans la limite du peu qu’ils peuvent faire et le parquet les tient.
Une personne du public : Bonjour, Florent Ménez, j’ai l’impression que tout le combat que vous faites, il est uniquement en défensive. Il y a des lois qui sont mauvaises qui sont en train d’être votées, vous les défendez, c’est un très beau boulot. N’y a-t-il pas moyen d’influencer un groupe parlementaire, l’Europe, la France, histoire de faire une loi qui protège Internet une bonne fois pour toutes ?
Jérémie Zimmermann : Alors, là c’est une impression si je puis me permettre. C’est vrai qu’on a peut-être plus entendu l’opposition que la proposition en tous cas dans le discours de la Quadrature du Net, mais dès le début, l’objectif était d’être à la fois une force d’opposition et une force de propositions. Et notamment très tôt dans le débat HADOPI il y a eut la « contribution créative » qui a été écrite par Philippe Aigrain, co-fondateur de la Quadrature et qui est une proposition concrète de comment adapter le droit d’auteur à l’ère numérique et aux nouveaux échanges en particulier. Comment intégrer ces nouveaux échanges aux usages, plutôt que de les combattre. Au même titre qu’au Parlement Européen, sur la question de la Net Discrimination, de la Net Neutrality, on a des amendements positifs qui définissaient ce qu’était la Net Neutrality. En gros quels étaient les comportements qu’il ne fallait pas adopter pour lui porter atteinte. C’est quelque chose qui est très important pour nous et dans la LOPPSI, vous allez voir que l’on va faire des propositions concrètes de ce qu’il faut pour renforcer la lutte contre la pédopornographie et son commerce, pour renforcer la lutte contre la pédophilie, pour renforcer la protection de l’enfance contre des contenus inappropriés en ligne.
Benjamin Bayart : Et pour pas toucher au Net.
Jérémie Zimmermann : Et pour pas toucher au Net. Mais que très souvent, cette proposition vient renforcer la force de notre proposition et que c’est très souvent ce que nous demandent les parlementaires : « Oui mais qu’est-ce que vous proposez ? » Si t’as rien à leur répondre à ce moment là, t’es effectivement un petit peu embêté.
Benjamin Bayart : Pour poursuivre sur ta question, effectivement là on se bat contre des textes qui sont venus nous agresser, parfois en proposant, pas seulement en disant que c’est mal. On essaye aussi, mais c’est beaucoup plus compliqué parce qu’on est en contact, nous, avec des parlementaires qui, tu l’auras compris, sont minoritaires. Je n’ai pas dit qu’ils étaient dans la minorité. C’est pas pareil. Ils ne sont pas forcément dans l’opposition, mais même ceux de la majorité qui nous soutiennent sont en minorité dans leur parti. On essaye de travailler avec eux pour préparer un bout de texte qui fasse avancer la question de la net neutralité et fasse avancer ce genre de sujet là. C’est super compliqué. Un député qui dépose vraiment, de sa propre initiative, un texte, c’est rare. Que le texte en question soit voté sans que le député soit téléguidé par un ministre, c’est rarissime. Faut repérer l’usage de ce qu’on appelle un projet de loi, c’est déposé par le gouvernement, et une proposition de loi c’est déposé par le député, si je ne me trompe pas, c’est dans cet ordre là.
Une proposition de loi, déposée par un député, trois fois sur quatre, c’est le ministre qui n’avait pas envie de se fader tout le bordel ministériel pour faire valider son truc, il l’a amené au député et lui a dit « Tiens fais-toi mousser, pose ça ». Donc quand tu prends les très rares qui sont vraiment déposées par les députés, elles n’ont quasiment aucune chance d’aboutir. Tout ce qu’on pourrait obtenir, c’est un débat d’à peu près une demie journée / une journée dans l’hémicycle, sur le sujet qui se terminerait par un rejet assez massif. C’est pas forcément ultra constructif.
Jérémie Zimmermann : Peut-être une possibilité serait aussi d’essayer d’influencer la commission européenne. Alors là, c’est une espèce de tour d’ivoire quasiment impénétrable. Mais la commission a, pour le coup, l’initiative en matière de législation européenne, comme je vous le disais tout à l’heure. Peut-être que c’est une porte d’entrée plus intéressante pour porter des législations positives. On n’en est pas encore là, mais je sais qu’ils y réfléchissent.
Alix Cazenave : Alors juste quelques mots très rapidement. Au niveau de l’Assemblée Nationale et du Sénat français, on a quand même une progression du côté des proprositions de loi car maintenant la moitié de l’ordre du jour est maîtrisée par le parlement. Ce qui fait qu’il y a une semaine sur quatre, en fait, à l’Assemblée Nationale, qui est dédiée aux propositions de loi, aussi bien les députés que les sénateurs : une semaine sur quatre, on étudie leurs propositions de loi. Une autre semaine sur quatre, on fait du contrôle d’évaluation et les deux autres semaines sont réservées au gouvernement. Ça c’est pour l’Assemblée. Il y a peut-être un peu plus de chance de faire avancer les choses du coup, via les parlementaires eux-mêmes, ne serait-ce qu’en proposant des débats. Et après, pour le côté européen, "tu fais quoi demain à 10h50 ?", "je fais une conférence sur le pacte du logiciel libre, on va en parler justement".
Personne du public : Moi j’avais une question : Quelle sera, selon vous, la prise de position des FAI (Fournisseurs d’Accès Internet) étant donné qu’on a beaucoup parlé du "sacrifice", vis à vis d’Hadopi, de Free au profit de la licence 4G, la quatrième licence 3G ?
Benjamin Bayart : Alors comment est-ce qu’on peut dire ça ? Je ne suis pas obligé de le faire en politiquement correct. Les FAI, on a globalement une grande différence entre... je vais rester dans le monde du fixe relativement classique, tu as Orange, Numéricable, Vivendi et Bouygues, qui sont les 4 qui n’en ont rien à foutre de la question de la neutralité du net. Plus exactement, s’ils se mettent à y réfléchir, qu’ils comprennent ce que c’est, ils seront contre. Pour le moment, dans leur majorité, ils ont peu réfléchi, ils s’en foutent, ils sont occupés à se courir les uns après les autres pour le business et à essayer tous les quatre de courir derrière Free.
Chez Free, il y a une chose qui est différente, qui n’est pas énorme, mais qui structure un petit peu, c’est que la majorité du capital n’est pas détenue par des financiers mais par quelqu’un qui fait du net depuis longtemps. C’est une bizarrerie très spécifique à Free, Xavier Niel est propriétaire en son nom propre de plus de la majorité du capital : il a, je crois, les deux tiers. Ce qui fait que personne ne peut avoir une minorité de blocage. Xavier Niel, c’est quelqu’un qu’on connaît et c’est le seul patron de très gros opérateur en France, où quand tu vas lui dire FDN, il sait qui c’est, puisqu’il était là à la même époque. Il n’était pas patron de Free à l’époque, Worldnet a disparu depuis, il est dans ce marigot là, dans le monde des FAI depuis aussi longtemps que nous. Et c’est le seul. C’est le seul, vrai, vieux routier d’internet, donc lui il comprend ce qu’il fait. Quand tu vas discuter avec Xavier Niel de neutralité du réseau, de "pas" neutralité du réseau, de différences entre minitel et Internet, de réseau acentré, tout cela sont des termes qu’il connaît très très très bien. Après, c’est un entrepreneur. Plus un entrepreneur qu’un militant. S’il doit choisir entre sa boite qui avance et ses convictions personnelles, il choisira sa boite qui avance. Donc, vu qu’on est au feu pour, nous, taper sur la gamelle pour faire du bruit, lui il a le choix entre espérer sauver sa quatrième licence et ouvrir sa gueule. Je comprends que la question puisse se poser. Et je comprends la réponse qu’il peut y apporter. Est-ce que ça répond bien à ta question ?
Jérémie Zimmermann : Il y a un petit détail, comme ça, au sujet de la position des FAI, un point qui pourrait nous être très utile lors du débat sur le filtrage et de la LOPPSI (Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure), qui est que les FAI : la plupart, enfin tous, peut-être même Free, ils disent : filtrer.... ok mais alors des adresses IP, filtrage DNS, comme cela on met un petit machin et pschit. Sauf que de l’autre côté il y a les fournisseurs de services, qui disent "ah oui non mais le filtrage ok, mais si on met les url seulement". Parce que si on filtre l’IP de blogger.com, de blogspot ou de dailymotion, parce qu’il y a UNE (geste de la main, pouce levé) vidéo supposée pédo-pornographique, ou quelque chose comme ça...
Benjamin Bayart : ou de wikipédia, comme en Grande-Bretagne
Jérémie Zimmermann : ... oui de wikipédia. On pourrait même d’ailleurs, c’est un projet comme ça, à réaliser en deux heures chrono, un projet, dans le langage de votre choix, qui enverrait un contenu litigieux sur wikipédia à intervalles réguliers, puis qui le signalerait au ministère de l’Intérieur, il n’y aurait pas besoin de le faire tourner. C’est méchant pour wikipédia, mais cela démontrerait que cela se fait en à peu près quinze ou vingt lignes de code, et que des gens vont inévitablement...
Benjamin Bayart : On peut aussi lancer un vrai concours, "Qui le fait en moins d’octets de code ? Si vous descendez en-dessous de 80 octets, vous gagnez un pin’s."
Jérémie Zimmermann : Donc, cette différence d’approche dans la collaboration sur ce point du filtrage entre les fournisseurs d’accès et les prestataires de service, pourrait tourner à notre avantage parce que, manifestement, cela va être très dur de les mettre d’accord.
Une personne du public : Très rapidement, un petit retour. Je pense que ce que disait Martine Billard tout à l’heure était important, quand elle parlait de l’intervention citoyenne. On a besoin, quand on est parlementaire ou, tout simplement quand on fait de la politique, d’avoir derrière, à côté, des gens qui se bougent. Ce qui s’est passé sur HADOPI, ce qu’on a vu que la Quadrature et tous les gens qui ont participé à tout ce qui s’est fait sur internet. On a vu qu’on était capable de créer du buzz, de faire du bruit, d’initier un rapport de force qui les a mis un petit peu dans la merde. A la limite, qu’ils fassent passer un texte, c’est une chose. Mais qu’ils le fassent passer en se ridiculisant, totalement, en grillant des fusibles sur une seule loi comme ils l’ont fait avec Albanel, elle, on ne la reverra plus, c’est fini. Comme le blanchisseur sur la DADVSI : c’est bon il est mort. Et le fait qu’on a été capables, tous ensemble, de faire ça, et bien quand on est un parlementaire, quand on est tout simplement dans la vie politique, ça peut faire réfléchir. Et je veux dire des trucs comme ça, comme on a vu (la transcriptrice cherche encore la question...) on aimerait bien le voir sur l’ensemble de la politique de classe du gouvernement aujourd’hui. Et que l’on ne me dise pas que cela n’a rien à voir.
On parle aujourd’hui d’accès à l’information, d’accès à la culture, en gros à l’information avec un grand I, c’est très proche de la réforme des universités. On contrôle l’accès à la connaissance et à l’information. Et on aimerait bien que ce qu’on a pu faire sur HADOPI, ce qu’on a pu faire aussi sur DADVSI, sur le paquet télécom, ce qu’on fera, j’espère, sur HADOPI 2, sur LOPPSI, sur HADOPI 3 et toutes les saloperies qu’ils nous mettent derrière, ce qu’on aurait pu faire sur Perben 2 et qu’on n’a pas fait. Ben on aimerait bien le voir tout le temps parce que, fondamentalement, et je vais m’arrêter là, la politique, tu l’as dit, et il ne faut pas arrêter de le répéter : c’est pas les connards en maquillage, qui passent à la télé tous les quatre matins. La politique, c’est tous les jours, c’est la vie de la cité. Et la politique, si on cherche une démocratie qui ne soit pas juste une démocratie de façade, elle se fait avec l’ensemble des citoyens, parce que sur un sujet, ils seront mobilisés, ils connaîtront ou ils ne connaîtront pas mais ça leur tiendra à cœur. Parce qu’ils comprendront les tenants et les aboutissants de ce qu’on est en train de faire passer, qui auront eux des idées à faire passer dans un autre sens, qui vont dans le sens de l’intérêt commun et dans cet intérêt commun leur sens à eux, viendront et s’exprimeront comme on a pu le voir au sein de la communauté geek, et pas seulement sur HADOPI et sur les lois à venir. (la transcriptrice n’a toujours pas trouvé la question et ne doit pas être la seule)
Benjamin Bayart : Comme il n’y avait pas tellement de question dans ta phrase, je vais quand même apporter une réponse. Il y a une conséquence très amusante de DADVSI et d’HADOPI, qui est un effet de bord inattendu : d’abord ils se sont rendus ridicules, ridicules vis à vis de nous, ça c’était pas dur. Ils se sont rendus ridicules nationalement dans la presse. Tout le monde l’a vu. Internationalement.
Jérémie Zimmermann : Même au-delà.
Benjamin Bayart : Toute l’Europe entière doit se foutre de la gueule de nous
Alix Cazenave : Le monde entier.
Benjamin Bayart : ... jusqu’à New York ça rigole.
Jérémie Zimmermann : Même au-delà.
Benjamin Bayart : Je pense qu’au-delà de mondial, ça rigole aussi, c’est juste qu’on a pas reçu l’info. Ça c’est quand même un effet rigolo, il y a un deuxième effet que moi je trouve très surprenant, c’est qu’ils sont en train de politiser les geeks. Tous mes copains geeks qui d’habitude se bougent ... enfin, je veux dire, si tu veux, pour faire lever le cul d’un geek de sa chaise, faut lui couper Internet, physiquement. Tu débranches le câble, il se lève. Y a un côté, c’est la boîte à ressort, tu débranches, paf (geste vers le haut). C’est comme ça qu’on les vide du village associatif depuis des années : on coupe le réseau et hop ! ils s’en vont. Ils vont migrer vers un endroit où il reste du réseau. Ou alors tu coupes le courant, pour l’époque où il n’y avait pas de batterie sur les ordinateurs. Et maintenant, on arrive à ce que des geeks, déjà au moins nous trois, nous quatre qu’on était là mais aussi d’autres, on était rarement tout seul à l’assemblée.
Alix Cazenave : Nan nan, moi je ne suis pas geek.
Benjamin Bayart : Mais si mais si mais si. Vu les questions que tu te poses sur les mouchards filtrant, je t’assure que tu es geek. Puis, tu es dompteuse de geeks, notoirement. T’arrives à survivre à l’April... C’est quand même pas neutre. Donc, on a réussi à faire en sorte que le geek placide qui ne s’intéressait qu’à son réseau et que rien n’affectait en dehors d’irc, se lève le cul de la chaise, aille au parlement, lise les textes, se pose des questions, etc etc.. C’est à dire qu’ils ont transformé une génération d’informaticiens, relativement passifs mais pas bêtes, en une génération de militants politiques. Moi je trouve ça très bien.
Jérémie Zimmermann : Moi je les appelle la génération Hadopi, qui sont tous ces gens qu’on voyait sur des forums « PCinpact » ou « Numérama ». On voyait évoluer les pseudos, qui au début disaient : « c’est dégueulasse » et qui revenaient trois mois après en disant : « tel amendement.. là.. » et donc, j’ai l’impression qu’il y a là vraiment une sorte de dépucelage citoyen de la génération HADOPI qui sera effectivement très utile...
Benjamin Bayart : Et effectivement...
Jérémie Zimmermann : ... et très prometteur. Et juste, pour poursuivre ton analyse, c’est pas tant le contenu du texte, c’est pas tant la victoire sur tel ou tel amendement sur telle ou telle lecture du texte mais un contexte global qui est politique et médiatique que l’on bâtit, et c’est là qu’on les prend à leur propre jeu. Eux ont choisi d’arrêter de faire du législateur et de faire de la défense d’intérêt des gens qu’ils représentent, pour faire du flonflon à la télé, dans les médias. Et bien nous, on fait du contre-flonflon. Et on fait ça plutôt bien. Et juste pour conclure et encore illustrer tes propos, par une citation d’un modèle pour nous tous, en politique, qui est Charles Pasqua...
Rires dans la salle
Benjamin Bayart : On a les modèles qu’on peut.
Jérémie Zimmermann : ...qui disait : « En politique, votre pouvoir se résume à votre pouvoir de nuisance ».
Benjamin Bayart : Et nous avons un pouvoir de nuisance considérable. Il y avait une question de la part de Lunar ???
Alix Cazenave : Attends, il y avait une question là-bas d’abord...
Une personne du public : Une petite question très courte : J’ai l’impression que leur seul argument qui tienne un peu la route et qui est populiste mais réel, c’est la pédophilie et la cyber-criminalité pornographique ( ’’interruption de Jérémie : La peur’’), c’est ça et donc, moi, je me demandais s’il existait une contre-proposition constructive. Je suis instituteur, et donc ça m’intéresse de savoir s’il y a une contre-proposition constructive de la part des geeks. Moi je m’inscris, je ne sais pas si on a quelque chose en face, justement pour éviter les vieilles personnent comme mes voisins, qui sont devant TF1 et qui se disent « bah oui, ils ont raison » ... Est-ce qu’il y a quelque chose en face de réel, puisqu’ici on a un grand rassemblement de personnes compétentes, ... et on a rien pour ...
Benjamin Bayart : Deux axes pour te répondre. On a effectivement des gens compétents dans la salle, que ce soit sur les questions d’efficacité du filtrage sur le net ou sur la façon de lutter contre la délinquance numérique comme on dit, que ce soit de la pédophilie ou autre chose.
1) dans les pays où a lieu ce filtrage, j’ai demandé à des gens de confiance et qui sont dans les bons services de la police et de la gendarmerie. Les réponses que j’ai reçues c’est : « On n’a pas de mesure d’un impact positif ou négatif du filtrage, que jusqu’à preuve du contraire, ça ne sert à rien. » Il est urgent de le faire effectivement, vu que ça ne sert à rien. Ça c’est le premier élément de réponse : Avant de porter atteinte à la liberté, autant savoir si ça sert à quelque chose.
2) Le deuxième élément, c’est : oui on a des propositions sur lesquelles on a travaillé, de choses qui permettent de résoudre une partie des problèmes qui seront soit plus efficaces, soit, dans les plus mauvaises de nos propositions, pas moins efficaces. Ce qui est quand même pas mal. Donc oui, on a des propositions. Oui on travaille dessus, oui on fait parvenir tout ça sous forme de notes, d’explications, d’analyses de textes aux parlementaires, à leur assistants pour que tout cela devienne des amendements et avec les explications de pourquoi on fait ça, les explications de pourquoi on veut pas de telle ou telle disposition. Donc oui, on a des analyses, on a des propositions.
Jérémie Zimmermann : Moi, j’ai trois axes de plus que cela. Je suis désolé, je vais essayer de faire short. Alors déjà, c’est en cours, et donc, rendez-vous vers la fin août, lorsque le dossier commencera à être bouclé, ou même d’ici fin août pour participer à l’élaboration du dossier, sans doute dans le courant du mois d’août. Ensuite, ce qui va être intéressant, c’est que le débat sur le filtrage au prétexte de la pédo-pornographie, en France, servira quelque part de galop d’essai pour le débat qu’il y aura au niveau européen.
Et ça, c’est pas négligeable, car on va pouvoir affûter nos arguments et ensuite, faire une version 2.0 de la baston. Dans les éléments que l’on peut, nous, geeks du libre, apporter concrètement, il y a un truc très simple, c’est dire la protection des "petits nenfants" sur internet, et plus sérieusement, la protection des enfants contre les contenus inappropriés sur Internet, c’est un sujet réel. Mais, au même titre que des parents comprennent qu’ils ne vont pas laisser leurs gamins sur Internet, avant qu’ils n’aient un certain âge, ils ne vont pas les laisser seuls la nuit, devant la télé avec la télécommande. Ils vont être à côté. Ben, pour utiliser Internet, c’est pareil, il va falloir qu’ils surveillent à côté. Et un autre volet, là où le geek intervient, c’est que des logiciels de contrôle parental, de filtrage parental qui sont sous contrôle des parents, et à tout moment sous contrôle des parents, lesquels parents choisiront de recevoir la liste noire du ministère de l’intérieur ou des témoins de Jéhovah ou de la scientologie ou de TF1 ou j’en sais rien. Mais choisir.
Benjamin Bayart : De leur secte à eux, c’est bien TF1 comme secte.
Jérémie Zimmermann : Ouais TF1 c’est bien. Là il y a vraiment une marge de manœuvre, car il n’existe pas, à ma connaissance, de logiciel libre de filtrage parental volontaire et d’expérience collaborative qui permettrait de remplir une telle base, de règles et de sites. En revanche, une expérience concrète qui a eu lieu en Allemagne, il y a quelques semaines, où le débat fait rage en ce moment, sur cette censure des contenus sur Internet, est une expérience où nos amis geeks allemands ont, en douze heures, fait tourner un script sur la liste noire des sites filtrés, qu’ils ont évidemment obtenue, soit en faisant des requêtes aux routeurs BGP, soit d’une façon ou d’une autre. Ils ont lancé un petit script, qui automatiquement, a envoyé des e-mails aux détenteurs des domaines concernés par le filtrage pour leur dire : "Enlevez votre saloperie de l’Internet". En douze heures, ils ont enlevé 61 sites. En faisant tourner un script. Donc, là aussi, petit concours de code pour les gens ici, il suffira peut-être juste de se mettre en relation avec les gens en Allemagne, mais des initiatives comme ça, qui se font avec trois bouts de ficelle et pas mal de relais sur le net, sont des démonstrations éclatantes de solutions pour lutter contre la pédo-pornographie et son commerce, qui se font dans le respect de la démocratie, de la liberté d’expression, de la séparation des pouvoirs, etc...
Debout les damnés du Python !
Benjamin Bayart : Mais non, faites-le en Perl, ce sera propre.
Une personne du public : Alors je sens qu’on aurait eu besoin d’une pause, c’était dans le programme. C’est dommage qu’il n’y en ait pas eu. Je pense que cela aurait été bien qu’on se prenne 10 minutes de clope avant de rembrayer. En tout cas, là dans la façon que vous avez de présenter les choses, j’aurais des milliards de commentaires à faire, je les ferai pas, je vais vous épargner ça…
Jérémie Zimmermann : Vous pourrez les faire après, on aura tout le temps.
La personne du public : Il y a un truc qui m’a… alors parlons peu, parlons geek, vous êtes en train de bidouiller un pilote, certes pas le moins important, d’un certain système d’exploitation, j’ai l’impression que vous négligez tout le reste du code ou en tout cas, une bonne partie. Tu l’as dit toi même tout à l’heure, Benjamin. On est en face de mauvaise foi, en face d’intérêts économiques puissants et à un moment donné, le rapport de force c’est pas juste au niveau du parlement que ça se fait, des lois sont sensées refléter, comment dire… des trucs de population. Il y a des questions de rapport de force qui sont des lignes de la société, à un moment donné, qu’on est plus ou moins capable de créer ou pas. Quand j’étais plus jeune, j’ai lu Dune, je ne sais pas si vous vous rappelez ce qu’il s’est passé pour l’épice… tu as cité Charles Pasqua ; à un moment donné, c’est le black- out du net proposé par la Quadrature, c’était bien mignon, mais ça n’a pas gêné grand monde.
Jérémie Zimmermann : Ça a fait du boucan médiatique
La personne du public : Ça n’a pas gêné grand monde. Si jamais un jour, ou à un moment donné, on veut montrer qu’on est puissant et que ce pouvoir de nuisance on l’a, et bien débranchons les routeurs pendant vingt minutes, on verra bien qui est-ce qui pourra rester après pour ignorer notre puissance, ou en tout cas, nous là geeks qu’est-ce qu’on est capable de faire nous même quoi. Et aussi, un rapport de force, pour moi, ça se crée par des actions concrètes, comme ça. Ils veulent pas écouter, on va les faire écouter, sinon "ppp", on fiche tout par terre et on jouera dans notre coin. J’ai l’impression qu’il y a aussi ces questions là à se poser, et pas uniquement, comment dire, se questionner sur les députés et devenir potes avec Martine.
Jérémie Zimmermann : Avant de laisser Benjamin répondre, parce que je sais qu’il bout de le faire, je vais reprendre ton analogie sur le fait qu’on code sur un petit bout de pilote et pas sur le reste de l’OS : tu as un accès au SVN !
Rires, puis applaudissements dans la salle
Benjamin Bayart : Sinon, il y a un bout de débat de fond là-dedans. Moi pour le coup, je suis fort pragmatique, je pense qu’on est presque aussi mécontent, l’un que l’autre, du monde dans lequel on vit. J’ai décidé que plutôt que de nettoyer les écuries d’Augias, j’allais prendre le petit bout qui m’intéresse, celui dont j’ai été bombardé Président, presqu’à l’insu de mon plein gré, y a douze ans. Donc je vais m’occuper de nettoyer le petit bout de carré qu’il y a autour de FDN, de ce que j’ai vu, pour nettoyer ce petit bout de carré là, je parle pas de nettoyer la totalité de la merde autour, le plus efficace c’est de faire en sorte de, comment dire. Effectivement, si on veut montrer qu’on est puissant, on peut faire sauter Internet. C’est pas très compliqué, y a pas mal de bouts à notre portée, de gré ou de force. Si on fait sauter Internet, même si on le fait sans violence, on sera classé terroristes par tout le monde. On aura plus aucun moyen de pression sur personne, même si on est pas condamné. Pour le moment, je te rappelle que d’avoir lu un livre qui dérange, ça suffit pour passer six mois en prison. Enfin, d’être soupçonné de l’avoir écrit, suffit à passer six mois en prison. Je pense qu’on est plus efficace pour nettoyer le petit bout de carré qui m’intéresse, en faisait comme ça : pour nettoyer la totalité de la société, il y a surement d’autres méthodes, mais… En tout cas, pour moi, c’est pas mon objectif et je pense que pour le restant des gens à la table, c’est, pour le moment, pas l’objectif.
Une personne du public : Je vais enchainer sur cette question parce que je crois que c’est très très important. Jérémie Zimmermann a dit tout à l’heure une chose vraiment essentielle en parlant de génération HADOPI, de politisation des hackers ou des geeks, qui est un enjeu absolument fondamental. Il faut, il a dit ça d’abord, il a dit ensuite autre chose, il a dit qu’il faut que la communauté produise des dispositifs critiques sur le net lui même. La guerre qui se mène en ce moment, c’est une guerre technique, technologique, mais c’est aussi une guerre de l’opinion publique. Et en plus, le réseau Internet, ça sert à produire de l’opinion publique. C’est avant tout quelque chose qui sert à produire de l’opinion publique. Il ne faut donc absolument pas, même pas imaginer possible d’atteindre des mesures de blocage de ce type là, qui seraient perçues de manière purement négative, en effet parce que la population, dans son immense majorité, ne comprend absolument pas ce qui est en jeu dans cette affaire. Et au contraire, il faut faire ce que proposait Jérémie Zimmermann, c’est à dire, il faut prendre des mesures précises, concrètes, en disant : « Oui, en effet, il y a des problèmes sur l’accès des enfants au réseau », mais si on dit : « on va mettre des automates sur le réseau », pour que les parents soient encore moins en charge de l’éducation de leurs enfants, et pour faire en sorte que les enfants soient encore plus soumis à une certaine façon d’utiliser Internet pour les consumériser, purement et simplement, et pour faire en sorte qu’ils ne s’en servent pas comme d’un instrument politique, ou de savoir etc... on se trompe gravement.
Donc, il ne faut surtout pas envisager… bien sur que c’est une menace d’être capable de…
Benjamin Bayart : La liberté, c’est épouvantablement dangereux.
La personne du public : C’est très important de dire qu’effectivement, il y aurait un pouvoir d’interruption, mais que ce n’est pas du tout ça le sujet du débat. Le sujet du débat, c’est d’ouvrir un vrai débat public et critique sur les grands enjeux du net, qu’on soit geek ou qu’on ne le soit pas d’ailleurs.
Alix Cazenave : La liberté, c’est épouvantablement dangereux. Dans le logiciel libre, il y en a quatre, vous imaginez un peu.
Benjamin Bayart : Un vrai foutoir. Je voudrais qu’on arrête pas trop tard, parce qu’il y a un grand besoin de tabac et qu’il y a des gens qui ont autre chose. Il y a une question de François ???
Alix Cazenave : Il y a deux personnes qui ont des micros dans les mains, mais il y a d’abord Théo, qui a un micro dans la main depuis un petit moment.
Theocrite (animateur groupe « Administrateurs système » de l’April) : Moi j’ai trois points sur lesquels je voudrais revenir très rapidement. D’abord sur Albanel et Donnedieu de Vabre, sur Niel et sur la décision du Conseil Constitutionnel. Il y a quelqu’un qui avait dit qu’Albanel et Donnedieu de Vabre, on ne les voit plus. On ne les voit peut-être plus trop à la télé mais Albanel est quand même partie à Médicis et Donnedieu de Vabre doit être à Los Angeles ou New York, diplomate de je ne sais plus quoi.
Jérémie Zimmermann : Ambassadeur de la culture de la France
Theocrite : Je ne me fais pas de souci pour eux. Alors que le mec qui est viré de TF1 [NDT :Jérôme Bourreau-Guggenheim], lui, il ne retrouvera pas grand chose, il trouvera quelque chose mais c’est pas un truc qu’on va lui offrir en cadeau.
Deuxième chose, c’était sur Niel. Alors c’était le débat « Est-ce qu’il va prendre position ou pas ? ». Il a déjà pris des positions mais est-ce qu’il va s’investir plus ou pas ? Il y avait effectivement cette problématique de licence 3G, et cela a été abordé à l’Assemblée Nationale, d’une manière à peine voilée par la même Albanel, tristement célèbre. Pardon. Elle avait abordé ce cas d’une manière très flegmatique, elle a dit, elle était interpellée sur les positions de Free, au début il y en avait beaucoup, puis beaucoup moins, elle a dit : « Oui, c’est bizarre, alors Free, ils disent ça mais ils ne sont pas très convaincus, parce que suivant quand on parle de 3G, ils n’ont pas les mêmes réponses. » Donc vraiment, on ne peut pas faire plus clair, s’ils ne ferment pas trop leur gueule, on va leur péter les genoux, c’est tout. Et …
Benjamin Bayart : Politique standard.
Theocrite : Voilà, mais devant la caméra ce coup-ci.
Et sur le Conseil Constitutionnel, alors, j’ai vu Martine Billard, que j’ai trouvée un peu enthousiaste, et ça a été repris après sur la table, ça a été dit plusieurs fois, qu’Internet serait une liberté fondamentale. Alors je ne suis pas sûr d’avoir lu la même chose, Internet n’est pas une liberté fondamentale, je veux juste préciser, parce que il y a plein de geek qui vont retenir et ça va être dit sur plein de forums, ça va être dispatché. Donc ce n’est pas une liberté fondamentale, ça a été reconnu comme un moyen permettant d’exercer les libertés fondamentales, comme un moyen essentiel
Benjamin Bayart : Comme un moyen essentiel.
Alix Cazenave : C’était un exercice de liberté d’autant plus fondamental que c’est la liberté d’expression, qu’elle est nécessaire à l’exercice de toutes les autres libertés. On peut lire et relire ce passage de la décision du conseil constitutionnel, c’est un bonheur à chaque fois, c’est délicieux.
Une personne du public : Juste quelque chose, parce qu’effectivement on a parlé de forces d’opposition, de force de propositions. J’ai finalement un tee shirt dans le dos, que l’assistance pourra voir et où il y a marqué « Power to the parliament ». Mais il existe depuis quelques temps, me semble-t-il, la possibilité que quand suffisamment de personnes font une pétition, que cela puisse être entendu. Est-ce que ce ne serait pas l’occasion d’essayer de tester notre force sans couper le réseau, parce qu’effectivement, là ça ferait lever les geeks évidemment, mais ce serait un peu gênant, on en a déjà parlé. Est-ce que ce ne serait pas le moyen politique qui permettrait de tester notre force, d’avoir un relais médiatique, qui plus est, d’être une réelle forme de propositions, puisque l’objet de la pétition serait un projet de lois qui permettrait effectivement de faire passer un certain nombre d’idées en avant plan ? tenant la neutralité du réseau et…
Alix Cazenave : Le droit à l’interopérabilité, la non brevetabilité des logiciels…
La personne du public : Ce genre de choses, un petit package en deux pages avec un ruban autour, et de réunir le million de signatures qui conviendrait à ce qu’effectivement on puisse être, peut-être, la première occasion. Comme on a été une première fois, de faire tomber une directive en deuxième lecture, de voir que notre communauté soit capable d’être la première à utiliser ce moyen, qui est à la disposition de l’ensemble des citoyens, pour montrer que nous sommes une force de propositions et que sur une question, on peut faire 7% de voix dans un pays et que finalement là, il y aurait du grain à moudre.
Jérémie Zimmermann : Je vois quelques problèmes pratiques. Déjà, c’est dans le traité de Lisbonne, qui n’a pas encore été ratifié, qu’est l’histoire de la pétition qui, avec un million de signatures, déclenche quelque chose derrière, mais je crois me souvenir, je ne suis pas tout à fait sûr de ce quelque chose, que ce n’est pas une obligation de prise en compte, et que c’est, somme toute, quelque chose d’assez léger de l’ordre de la proposition de loi que l’on évoquait tout à l’heure.
Alix Cazenave : Si si, ils sont obligés d’examiner mais pas d’adopter.
Jérémie Zimmermann : Voilà, ils ne sont pas obligés de répondre et de mettre cela en œuvre. Le deuxième point que je vois, on reçoit très souvent des mails sur contact at la quadrature du net de gens enthousiastes que me disent « vous devriez faire ceci, vous devriez faire cela, » et non non je ne t’accuse absolument pas de Yaqu’àfautqu’onnisme, parce que… voilà. Mais très souvent, revient cette histoire de « vous devriez lancer une pétition » et pour pas mal de raisons en fait, on a une réponse maintenant qui est quasiment standard sur le pourquoi on ne le fera pas, qui est « des pétitions, il y en a eu énormément, celle qui a eu un énorme succès, c’est celle de [eucd.info], que tu connais toi, aussi bien que moi, et qui a atteint les 175 000 signatures, qui à l’époque était la plus grosse pétition électronique en ligne, avec des journées à 10 000 signatures, c’était complètement titanesque. Mais depuis, des pétitions qui ont dépassé les 100 000 signatures en France, il y en a eu plein, et on a une inflation pétitionnaire, si j’ose dire, qui fait que l’outil pétition est un petit peu moins fort aujourd’hui qu’il a pu l’être il y a quelques années.
Ensuite un dernier point, sur le contenu même de la pétition et le message, c’est entre autre pour cela que la pétition [eucd.info] a eu un tel succès, le message c’était « Non ». Et donc avec un message comme cela, ta pétition est relayée, mais du coup, tu peux dire moins de choses. Un très bon exemple, qui est celui du réseau des pirates, ils ont lancé un texte qui dans le fond est très appréciable. On me l’avait soumis pour être un des premiers signataires et j’ai dit, « En l’état, il y aurait énormément de boulot à faire sur énormément de points, que je n’ai pas le temps de faire là maintenant, donc allez-y sans moi ». Objectivement le truc a très peu décollé, je ne sais pas combien, il y a eu quelques dizaines de milliers de signatures, parce que quelqu’un qui comprenait le texte de la première jusqu’à la dernière lettre et qui surtout, faisait l’effort de le lire avant de le signer, il n’y en a pas beaucoup. Donc, il faudrait trouver cet équilibre entre « oui je veux soutenir le texte qui défend les droits des gens sur Internet » et éventuellement un lien vers le sus-dit texte, mais je ne suis pas sûr que des gens signent sans avoir lu le texte qui sera costaud derrière, mais je suis d’accord qu’on devrait, pourrait en discuter et je suis à ta disposition pour cela.
Alix Cazenave : Moi, ce n’est pas tellement cette partie là qui m’embête. C’est que, je préfère me focaliser sur le texte que l’on va proposer aux parlementaires d’adopter, et les principes que l’on peut éventuellement proposer aux euro-députés d’adopter sous forme d’un rapport d’initiatives, d’une résolution. Ce qui est plus facile pour nous que de réunir un million de signatures sur une pétition de ce genre parce que, je ne suis pas sure qu’on arrive à réunir un million de signatures de geeks en Europe. Ça risque d’être compliqué. Et par ailleurs, ensuite, moi ce qui va m’intéresser le plus parce que, on sait bien que on ne peut pas les laisser légiférer tout seuls, parce que si on les laisse tous seuls ça veut dire qu’en fait c’est nos ennemis qui vont tenir la plume et donc, il faut être là, il faut préparer la proposition de texte qu’on va leur soumettre et demander d’adopter. Il va falloir être là pour la préparer, être là pour suivre les amendements et les rapports des commissions, l’adoption de chaque amendement dans chacune des commissions parce que sinon on sait que ça peut partir très vite et c’est toute la difficulté. Moi je rêve de faire un droit à l’interopérabilité dans le droit français, je rêve qu’on arrive à faire ça, mais je ne me vois pas toucher un seul instant, à l’article L122.6.1 du code de la propriété intellectuelle qui traite de l’exception des compilations à des fins d’interopérabilité. Mais même pas en rêve, je ne suis pas de taille à lutter contre la volonté de l’exécutif poussée par Microsoft et les industries des contenus. Je ne me vois pas faire ça.
Jérémie Zimmermann : Ceci dit, pour être en contact avec pas mal d’associations, dans pas mal d’États membres qui s’intéressent à ces sujets là, et même au delà, j’ai l’impression qu’est dans l’air ce projet d’un acte positif très fort, comme d’une directive qui serait dans l’esprit de « access to knowlegde », accès à la connaissance, avec du logiciel libre, avec de l’interopérabilité, avec de la neutralité du réseau. C’est pas la première fois que j’en parle, que j’en entends parler et quand je rencontre des responsables associatifs européens, c’est quelque chose qui vient très facilement dans la conversation.
Alix Cazenave : Oui. Je crois qu’il faut qu’on soit là plus pour pousser les idées, les concepts, les principes, plutôt que de faire des choses qui pourraient déclencher une guerre que l’on ne veut pas déclencher nous même, parce qu’on sait qu’on est pas autant armé qu’eux, avec des armes lourdes.
Benjamin Bayart : Moi je propose qu’on écoute la question de Jérémie Nestel et puis j’aimerais que ce soit la dernière, à moins qu’il y ait vraiment...
Jérémie Zimmermann : J’espère que c’est un troll
Jérémie Nestel : Presque. C’est pas une question, c’est plus une réflexion sur les différentes interventions qui ont eu lieu. Et juste réaffirmer que, pour moi, de mon point de vue, la force du logiciel libre c’est d’avoir été fait en réseau, sans leader, et que tous ont été concernés par des bouts de choses qui les ont intéressé et à un moment donné, les forces se sont réunies. On va rentrer, à l’heure actuelle, sur un débat et des enjeux qui concernent l’humanité, vu ce que c’est devenu Internet. Je voudrais absolument que les gens qui sont ici, gardent la force qui les animait dans le logiciel libre. On fait tous partie du réseau, il n’y a pas de leader, à chacun de prendre confiance en soi sur les initiatives auxquelles il croit. Rappelons nous notre ami Amaury, quand il avait lancé son projet de cartographie. Personne n’y croyait en Suède et maintenant, regardez ce que c’est devenu. Donc, il n’y a pas d’axiome de l’action, donc je voudrais rappeler ça de façon à ce que l’on soit pluriel, et qu’aucune initiative ne soit freinée parce qu’on y croit pas. Toutes les initiatives sont bonnes, et c’est cette pluralité là qui sera la meilleure réponse aux politiques, parce qu’ils n’ont pas l’habitude de traiter avec des gens qui ne sont pas organisés en pyramide. Nous sommes sur un système politique qui ne croit qu’aux pyramides, et qui a besoin d’avoir des interlocuteurs identifiés. C’est comme cela que l’on tue des mouvements sociaux, c’est comme ça qu’on rachète des politiques ou que des fois, on s’interroge sur des mouvements. Nous sommes ... La force qu’on est, c’est d’avoir toujours cru en ça, et j’espère qu’on va continuer ensemble, sans leader, tous ensemble et avec toute notre richesse.
Applaudissement de la salle
Alix Cazenave : Pour ceux que ça intéresse, je vous invite à vous référer au concept du « million d’hommes » de Robert Escarpit. Le million d’hommes et pourquoi cela fait peur aux dirigeants politiques.
Benjamin Bayart : La séance est levée.