République numérique - Quelles avancées ? Quelles limites ? - Radio Libre@Toi*

Titre :
République numérique - Quelles avancées ? Quelles limites ?
Intervenants :
Emmanuel Charpentier, April - Lionel Maurel, La Quadrature du Net - Nicolas Joyard, Regards Citoyens - Benjamin Jean, Open Law - Nathalie Martin, Wikimédia - Pierre-Carl Langlais, SavoirsCom1 - OliCat, Libre@Toi*.
Lieu :
Radio Libre@Toi
Date :
Juillet 2016
Durée :
1 heure 55 min
Licence :
Verbatim
Pour écouter l’émission

Description

La loi « République numérique » portée par Axelle Lemaire a été adoptée le 20 juillet à l’Assemblée nationale. C’est la conclusion d’un long processus d’élaboration qui, pour la première fois, a impliqué une phase de consultation en ligne à laquelle de nombreux acteurs associatifs impliqués dans les questions numériques ont pu participer.

Le texte aborde une large palette de sujets, allant de l’ouverture des données publiques (open data), à la diffusion des résultats de la recherche, en passant par la neutralité du net, la protection des données personnelles ou la régulation des grandes plateformes.

Si elle comporte des avancées notables sur certains sujets, cette loi aura aussi suscité des débats houleux sur certains points, avec plusieurs reculs du gouvernement. Le processus participatif d’élaboration a aussi soulevé des avis partagés. Co-construction réelle de la loi avec la société civile ou simple habillage masquant de classiques jeux d’influences ?

Le 23 juillet 2016, Libre@Toi* a réuni pour une discussion autour de ces questions des représentants des principales associations étant intervenues au cours de l’adoption de cette loi, pour en débattre ensemble et répondre aux questions du public, sur place et en ligne.

Transcription

OliCat : Bonjour et bienvenue à tous et à toutes à l’écoute de Libre@Toi* [1]à la radio. Dans quelques instants on va commencer ce débat qu’on vous promet depuis une semaine maintenant, que nous teasons à force de communication sur les réseaux sociaux. Un débat autour de la loi République numérique, portée par Axelle Lemaire et Emmanuel Macron. Un débat qui va réunir, autour d’une question assez simple — quelles avancées, quelles limites ? de nombreuses associations qui ont participé à cette première consultation citoyenne autour d’un projet de loi. On aura donc des intervenants de l’April [2], de Regards Citoyens [3], d’Open Law [4], de La Quadrature du Net [5] et de SavoirsCom1 [6]. Je vous les présenterai individuellement, évidemment, dans quelques instants. Un petit peu de musique libre, le temps que tout le monde s’installe autour de la table.
Musique
Et je vous rappelle que vous pourrez participer en direct à ce débat en vous connectant simplement à notre chat : chat.libre-a-toi.org [7].
Musique
Bonjour et bienvenue à tous et à toutes sur Libre@Toi* à la radio. Je vous rappelle que vous pouvez participer à ce débat, qui ne va plus tarder à débuter, en vous connectant sur le chat de la radio : chat.libre-a-toi.org. Alors une émission, aujourd’hui, en direct, et en public, nombreux. On les remercie d’être venus. Si vous pouviez crier et balancer vos culottes, on serait content. Ouais voilà ! Ils sont là ! Qui se tient donc au magasin général de l’Espace Les Grands Voisins qui se trouve à Denfert-Rochereau. Vous pourrez d’ailleurs, si vous le souhaitez, dans le cours de l’après-midi, nous rejoindre parce que je pense qu’on va squatter et poursuivre un petit peu les débats au-delà de ce direct que nous allons amorcer. On va l’amorcer, ce débat, cette table ronde plutôt, autour de la loi République numérique portée par le cabinet d’Axelle Lemaire et son ministre Emmanuel Macron. Une loi qui a été définitivement adoptée le 20 juillet, donc on est au cœur, là, de l’actualité. Et une loi qui a initié une consultation citoyenne inédite, puisqu’il s’est agi, pour tous, d’être en capacité, au travers d’une plateforme mise en place pour l’occasion, d’amender, de contribuer, de faire évoluer un texte qui était issu, à la base, de propositions du CNNum [8]. C’est quoi ? Conseil national du numérique. Voilà. J’ai toujours un petit problème avec les acronymes. L’idée que le gouvernement poursuivait en 2014, en lançant cette initiative, c’était de permettre à l’État, c’était une grande volonté de Manuel Valls, Premier ministre : permettre à l’État de réussir sa mutation en République numérique.
Une concertation qui a eu lieu, donc, au Conseil national du numérique, a directement inspiré le projet de loi « pour une République numérique » qui a été soumis, pendant trois semaines, à une discussion publique et interactive. Finalement le projet de loi a été présenté le 9 décembre 2015 en Conseil des ministres. Pour la première fois, un projet de loi a donc été co-créé avec les internautes. Le projet de loi « pour une République numérique » a été adopté en première lecture à l’Assemblée et c’était le 26 janvier 2016. Alors trois semaines, 21 000 participants, ce qui est quand même assez énorme. Plus de 8 000 contributions, ce qui est également beaucoup. Un texte donc, alors là c’est le ministère qui nous le dit, a été largement amendé et augmenté. C’est un petit peu le sens des débats, je pense, qu’on va le voir aujourd’hui, le niveau d’amendements, on va pouvoir en discuter.
Niveau chiffres, on apprend, mais ça on pouvait se douter que le gouvernement n’hésiterait pas à nous présenter cela : l’ensemble des articles qui étaient proposés à la base par le gouvernement aurait été accueilli favorablement par 80 % des contributeurs de la plateforme. C’est intéressant. Dix nouveaux articles ont été créés, et cinq seulement sont nés de la consultation. Et près de 90 contributions ont été intégrées. Donc on voit le rapport là, quand même : 8 000 contributions, 90 intégrations. C’est un petit peu à voir.
L’intérêt de cette consultation, c’était de permettre à un ensemble d’associations, de collectifs, militants, sur l’ensemble des questions qui sont censées être embrassées par ce projet de loi République numérique à savoir les Communs par exemple, l’Open Data, la possibilité de permettre aux publications scientifiques, par exemple, d’être diffusées de façon plus large, moins restrictive. Bref, énormément de thèmes qui sont portés depuis de nombreuses années par des associations et collectifs que Lionel Maurel de La Quadrature, c’est la casquette qu’il porte aujourd’hui, a réunis pour nous, pour cette émission. On va notamment retrouver, et là je prends mes petites fiches pour les noms parce que je suis absolument nul pour les noms, Regards Citoyens, c’est Nicolas Joyard qui représente l’association. On a Manu de l’April, echarp pour les initiés des réseaux. Pour La Quadrature donc on a Lionel Maurel. Pour l’association Open Law on a Benjamin Jean, qui est en face de moi. Wikimédia est représentée par Nathalie Martin et SavoirsCom1 par Pierre-Carl [Langlais].
Effectivement c’était beau. Il s’agissait de faire entrer l’État dans la modernité du numérique. Effectivement la loi, maintenant qu’elle est votée on peut en parler, comporte des avancées notables sur certains sujets. Cette loi a suscité des débats, souvent houleux, sur certains points, avec plusieurs reculs du gouvernement, on verra plus particulièrement dans quels domaines. Le processus participatif d’élaboration a aussi soulevé des avis partagés. C’est vrai que, de base, on se dit que c’est vraiment super de pouvoir permettre à tous de construire, voire de co-construire un projet de loi. Pour autant, la co-construction réelle de la loi avec la société civile est un fait avéré ou un simple habillage qui finit par masquer les classiques jeux d’influence ? En gros, est-ce qu’on n’a pas retrouvé les mêmes logiques de lobbying autour de la construction finale de cette loi ?
J’arrête de parler et je laisse tout de suite la parole à nos intervenants. Alors, peut-être, l’un d’entre vous a une première mini-synthèse à réaliser de ce qu’on évoquait, là, autour des réels apports, finalement, pour la citoyenneté et pour la construction, la co-construction commune. C’était vraiment génial ou il y a des choses à améliorer ?

Manu de l’April :
Bon alors je vais commencer.
OliCat :
La question était nulle, mais tu as compris. Allez vas-y !
Manu :
Manu de l’April. Et bien sûr, c’est nul parce que tu es très optimiste et là-dessus tu vas avoir du mal autour de la table, je n’en doute pas. Moi j’aime bien être optimiste et je vais en faire preuve. C’est que, effectivement, c’est intéressant qu’on ait commencé une élaboration de la loi en demandant aux citoyens leur avis. Le résultat, on va en discuter, je suis sûr qu’on sera tous d’accord sur le fait que c’est assez piètre. Mais on a un bon début : cette idée de demander aux citoyens de participer et c’est une participation qui n’a pas mal fonctionné, sur trois semaines seulement, sur un sujet qui est super pointu, qui est particulièrement inintéressant, clairement. Il y a eu des contributions vraiment fortes de la société civile, de tout le monde, des associations, de quelques entreprises et d’institutions qui se sont réveillées un petit peu au dernier moment. Donc le mécanisme lui-même est original. C’est juste que, eh bien on s’en doutait dès le début, il a abouti à pas grand-chose.
OliCat :
Un avis partagé ? Ou ?
Nathalie Martin :
Au niveau de Wikimédia France, on a milité spécifiquement pour une disposition qui s’appelle la liberté de panorama. Donc c’est le droit de pouvoir prendre des photos de bâtiments, de sculptures monumentales, se trouvant dans l’espace public, alors qu’ils sont encore soumis au droit d’auteur et ce jusqu’à 70 ans après la mort de l’architecte ou du créateur. Je serai un peu plus négative, je pense, puisqu’en fait notre proposition, au moment de la consultation, s’est placée en huitième position des plus votées favorablement, ce qui était très bien ! Et Axelle Lemaire, à ce moment-là, nous a dit : « De toutes façons, il est hors de question que nous on puisse soutenir ça parce qu’il va y avoir une levée de boucliers des sociétés de perception et de répartition des droits », donc qui sont nos principaux ennemis dans ce combat, et elle nous a plus ou moins demandé explicitement de laisser tomber, de nous concentrer sur l’article 8 de défense des communs. Et finalement on a dû entrer dans le jeu traditionnel du lobbying. Par rapport, nous, à notre expérience, on ne peut pas dire spécialement que ça ait changé la donne.
OliCat :
Je me permets juste, l’article 8 autour des communs, pour autant, ne semble pas avoir…
Nathalie :
Non, non plus. Mais ça c’est encore une autre histoire, je pense. On pourra la raconter.
OliCat :
OK ! Donc en gros Axelle Lemaire s’est autocensurée par rapport à un lobbying même pas exercé des sociétés collectrices.
Nathalie :
Déjà exercé, largement depuis des années.
OliCat :
Antérieurement, en fait.
Nathalie :
Oui.
OliCat :
On vous a demandé de vous concentrer sur… Voilà on vous a donné un bac à sable là, autour des communs, et finalement : ni l’un ni l’autre.
Nathalie :
Ni l’un ni l’autre. Mais on est parvenus quand même à certaines choses, mais par nous-mêmes, en réalité.
OliCat :
On reviendra quand même aux choses qui ont été obtenues.
Manu :
Parvenus à monter dans le top 10 des propositions et à montrer que les citoyens pouvaient se mobiliser derrière ce genre de sujet. C’est un point de départ !
Pierre-Carl Langlais :
D’ailleurs, un exemple qui a mieux marché. Je suis pour SavoirsCom1, mais je suis aussi très actif sur ces questions liées au libre accès, à l’accès ouvert aux publications scientifiques. Donc il y a un mouvement qui a débuté depuis quasiment le début du Web, en fait, donc un premier site Web et des publications scientifiques en ligne. Et donc c’est lié au fait que les chercheurs ne sont pas payés pour publier. On ne touche aucun droit lorsqu’on publie sur une revue scientifique. Donc on donne tout à l’éditeur.

Et au contraire, au sein de communautés, il y a plutôt une volonté de partage. Et donc, ce qui est intéressant pour le coup là, le système contributif a quand même fonctionné là-dessus, mais pas pour le reste, globalement. C’est qu’effectivement, il y a eu une très forte de la communauté scientifique pour améliorer les termes qui étaient initialement proposés en termes de libre accès. Donc l’idée c’était que tout chercheur peut déposer, au bout de telle période, sa publication, même s’il a signé un contrat avec l’éditeur qui dit le contraire. Donc de passer par-dessus et de permettre à n’importe quel chercheur de republier. Et donc les termes étaient beaucoup plus restrictifs au départ vu qu’on était, par exemple, jusqu’à deux ans d’attente avant de pouvoir publier en ligne pour les textes qui étaient en sciences humaines et sociales. Il y a eu une très forte mobilisation des chercheurs qui a permis de raccourcir notamment ces durées. Donc est passé de 12 mois et 24 mois pour effectivement sciences techniques et médicales et sciences humaines et sociales à 6 et 12 mois.
Donc ce sont des choses qui ont quand même fonctionné et qui ont aussi fonctionné sur une disposition qui est plus pointue, qui est le text mining. C’est tout un ensemble de techniques qui permettent d’explorer de très grands corpus de textes pour extraire toute une série d’informations. Par exemple c’est un projet qui s’appelle Text2Genome [9] qui est élaboré au Royaume-Uni et qui permet d’extraire des informations de millions d’articles scientifiques sur le génome humain pour ensuite les affecter à chaque gène et donc de pouvoir les retrouver facilement. Donc de révolutionner la manière dont on faisait ce qu’on appelait avant l’état de l’art, qui était de récupérer des informations.
Le problème c’est que pour ce projet ils ont mis trois mois pour faire la partie purement technique du projet. Ils ont mis des années pour avoir les accords avec les éditeurs, pour avoir le droit de récupérer les corpus et de pouvoir les analyser. Et donc, l’idée qui a été mise en place au Royaume-Uni, c’est d’introduire une exception au droit d’auteur pour pouvoir faire ces explorations de textes à des fins de recherche publique. Au départ c’était initialement mentionné dans la version de la loi qui avait fuité en juillet dernier, en juillet 2015, retiré en septembre, à nouveau sous la pression des ayants droit, parce que le problème par rapport à ce que je disais pour l’open access, c’est que là il faut modifier le code du droit d’auteur, d’où levée de boucliers. Ce qui s’est passé à nouveau c’est qu’il y a eu cette poussée au moment de la consultation pour faire adopter une mesure text mining, etc., et qui n’a pas immédiatement abouti, mais qui ensuite s’est prolongée pendant tout le débat et a réussi à aboutir.
Je pense qu’on est, effectivement, sur quelque chose qui est resté de l’ordre de l’amélioration incrémentale par rapport au processus existant de lobbying, de discussions, de négociations, etc., qui préexistait déjà, mais qui, sur certains sujets, lorsqu’il y a des coalitions suffisamment fortes qui arrivent à se monter, je pense que c’est là aussi où c’est utile c’est de faire rencontrer des gens, de faire monter, quelque part, des fronts communs, là-dessus ça peut potentiellement marcher.

OliCat :
Donc un des enseignements, finalement, c’est la capacité à mobiliser une communauté d’intérêt, et à faire en sorte que ses positions avancent et s’inscrivent dans la longueur, pour le coup.
Pierre-Carl :
Tout à fait. Avancent et qu’il y ait suffisamment de monde. Tout à fait. Et c’est là où je pense aussi il y a une différence entre le domaine scientifique et le domaine de la liberté de panorama, c’est que dans le domaine scientifique les créateurs des contenus sont pour le partage.
OliCat :
Oui et puis les créateurs de contenus scientifiques sont dans une situation assez particulière par rapport aux publications.
Pierre-Carl :
Exactement. Les principaux éditeurs sont tous internationaux, pas français. Il n’y a en a aucun en France. Il n’y a pas l’équivalent d’une grosse société culturelle en France. Donc on est dans une logique où, de fait, les principaux interlocuteurs, reconnus comme valables, sont plutôt dans une position qui pousse vers le partage.
OliCat :
Donc là, ce que tu évoquais du coup, une refonte des problématiques de droit d’auteur par rapport aux publications scientifiques, c’est quelque chose qui a avancé dans le cadre de cette loi et le texte des data mining va être quelque chose qui va voir le jour demain autour d’une plateforme ?
Pierre-Carl :
Oui. Alors il y a eu énormément des débats à l’Assemblée, au Parlement. Ils ont essayé de faire des montages sans modifier le droit d’auteur, mais ça ne marchait pas, enfin c’était totalement foireux. Et donc, à la fin, ils s’y sont finalement résignés, en partie je pense ça a joué, c’est que le Royaume-Uni avait mis en place son exception. Aux États-Unis ils ont le fair use qui a plus ou moins pu s’y adapter. Donc il y avait quand même des pressions en disant internationalement ça bouge sur le sujet. La France peut prendre du retard alors qu’on a quand même des institutions qui sont assez en phase dans ce domaine comme l’INRIA. Donc il y avait quand même une certaine pression pour que ça avance. Ce qui fait que dans le texte actuel figure, dans le texte qui a été voté le 20 juillet, grosso modo l’idée que tout chercheur peut récupérer, en fait, des éléments d’une source licite. Par exemple les abonnements auxquels il a accès, il peut aspirer tous les articles et pouvoir ensuite faire des sortes de grands panoramas avec de la liste de données et ainsi de suite.
OliCat :
OK. Mais là on est encore dans une exception qui va concerner la communauté des chercheurs.
Pierre-Carl :
Exactement, et ne concerne que les chercheurs. Et les discussions actuellement au niveau européen, alors la grande question aussi c’était de savoir si on attend au niveau européen ou si on fonce au niveau français, et ça prend beaucoup de temps. Et c’est vrai qu’au niveau européen la question effectivement est posée. C’est « est-ce qu’on limite ça uniquement à la recherche ou est-ce qu’on intègre ? », parce que, finalement, il y a déjà ce critère de source licite, donc l’idée qu’on doit pouvoir accéder librement à la source. Ce qui implique à la fois toutes les sources qui sont en principe en libre consultation sur le Web. Par exemple on ne dit pas qu’on peut les recopier. Donc là, tout ça, ça peut être concerné et ce qui implique toutes les sources auxquelles on est abonné et ainsi de suite. Donc quelque part ça fait déjà un garde-fou suffisant. Mais en l’état, actuellement, c’est plutôt pour la recherche. Après je pense, quelque part on envoie un peu la balle en disant « qu’est-ce que ça va donner ensuite ? ». Et c’est vrai que si les recherches dans ce domaine portent véritablement je pense que ça pourra pousser vers des exceptions plus larges.
OliCat :
Alors on a Open Law juste à côté, Benjamin. Déjà on n’est pas forcément tous, là à l’écoute, au courant des combats des uns et des autres en matière d’associations. Est-ce que tu peux juste nous dire c’est quoi le créneau d’Open Law ? Et après bien sûr tu pourras t’exprimer.
Benjamin :
Oui, tout à fait. Et après, j’enchaînerai sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui. Open Law est un projet qui est né il y a deux ans, de co-création par la collaboration dans le monde du droit. Donc ça réunit tous les acteurs, à la fois ceux qui sont à l’origine de la loi, donc on est dans le secteur public, à ceux qui la vivent en fait au jour le jour, que ce soit des personnes physiques, des individus, des citoyens, ou des sociétés, et en passant par tous les intermédiaires que ce soient les professions réglementées, que ce soit les acteurs de la legal tech [10], donc des acteurs qui ont des technologies qu’ils appliquent au monde du droit. Et donc les sujets qu’on connaît et qu’on poursuit de jour en jour c’est l’open data, l’open source, l’interopérabilité et tous ces sujets de mutualisation dans la sphère du droit.
OliCat :
Alors l’interopérabilité dont la plateforme mise en place par Axelle Lemaire était un exemple manifeste ! C’était une pique, désolé !
Benjamin :
Exactement. C’est un sujet que je pourrai évoquer parce que, justement, l’une des actions d’Open Law, avec d’autres organisations, a été d’essayer de trouver des alternatives à la plateforme, à l’outil qui avait été utilisé dans le processus de consultation pour la loi, mais là, en ayant des solutions qui soient open source, qui soient interopérables. Je reviens sur le sujet de la consultation. On avait été associés dès le début, en fait, dès le lancement. Alors au début non, parce qu’on n’a pas eu les travaux préparatoires, ou alors vraiment de très loin. Mais au moment du lancement, la démarche, on avait été associés. C’était un samedi un peu officiel, à Matignon, dans lequel on avait animé d’ailleurs la table ronde sur le domaine commun informationnel. C’était relativement intéressant puisque je me rappelle d’une discussion, quelques échanges avec Manuel Valls et Axelle Lemaire qui disaient justement que cet article était révolutionnaire. Peut-être trop ! En tout cas il a connu le destin qu’on lui sait.

On a ensuite été pas très bons, je dirais, sur la partie consultation en tant que telle. C’est-à-dire que la consultation avait été lancée, on a fait nous-mêmes quelques contributions, mais c’était assez maladroit, on ne savait pas trop comment réagir, si c’était à titre personnel ou à titre d’organisation. Finalement on s’est réunis avec d’autres organisations qui sont d’ailleurs ici aussi, quasiment la veille, je crois, de la clôture de cette consultation, pour faire le tour de ce que tout le monde avait fait et essayer de partager et puis de soutenir, d’ailleurs, les contributions de chacun. Donc le lendemain on était aussi au NUMA, c’était l’atterrissage, donc la fin de la consultation et c’est le moment où on faisait un peu le point sur toutes les contributions qui avaient été postées. On y était aussi. On a animé des discussions.
Ce que je retiens de ça, c’est qu’en fait, la démarche, je pense qu’elle est très bonne. En tout cas l’idée du gouvernement de dire « on va le faire avec les citoyens » ça me paraît naturel, et puis c’est bien qu’on y pense aujourd’hui. Je pense qu’on aurait pu le faire beaucoup plus tôt. L’idée est bonne. C’est le CNNum, le Conseil national du numérique, qui avait lancé cette initiative.
En revanche, je pense qu’à la fois, nous en tant que société civile, en tout cas organisation, on n’a pas été très bons sur le processus. Je pense que, j’allais dire le gouvernement qui s’est servi aussi de ce concept pour, peut-être, avoir des idées un peu plus osées sur le numérique, n’aurait pu le faire sans ça. Au début ça lui a vraiment servi et peut-être qu’il n’a pas joué le jeu suffisamment pour que, finalement, il puisse ne pas subir le lobbying comme il le subit quotidiennement et je pense qu’il s’est vite fait rattraper par cette dimension-là.
Là c’était juste sur le process, mais ce qui était vraiment intéressant à mon avis, donc il y a eu cette initiative, moyennement satisfaisante, c’est-à-dire qu’il y a des choses qui sont sorties de ce processus de consultation qui étaient des aspects plutôt positifs mais beaucoup moins affirmés qu’ils ne pouvaient l’être au moment du lancement de la consultation. En revanche, peu de temps après, il y a eu un hackathon, HackRepNum [11], qui avait été organisé à la Paillasse par Constance et Célya et là, donc on y était aussi, d’ailleurs, pour certains d’entre nous. On a essayé de reprendre les données qui étaient issues de cette consultation et d’essayer de leur faire dire autre chose que ce qui avait été traduit par le gouvernement.
OliCat : OK.
Benjamin : Et là je pense que c’est que c’était une bonne expérience, en tout cas à nos yeux, parce qu’en fait on avait un message tout à fait différent. On voulait faire dire quelque chose de différent, clairement. Nous-mêmes on était orientés. Ça a montré qu’il était possible de faire dire à peu près ce qu’on voulait des données, première hypothèse. Ça a montré aussi que, peut-être, on avait fait le travail différemment, mieux ? Je ne sais pas ! Mais en tout cas on a fait de notre mieux et que, finalement, les messages qui nous avaient été transmis, en tout cas cette synthèse de la consultation, des données issues de la consultation, n’était pas forcément si impartiale qu’on ne voulait le dire.
Je pense que ça c’est un aspect positif : comprendre nous-mêmes en tant que citoyens et puis en tant qu’associations, qu’organisations qui défendons certains intérêts, finalement que les données qui sont ici peuvent servir aussi à défendre nos intérêts, mais il ne faut surtout pas croire ce qu’on peut nous donner comme informations tirées de ces données.
L’autre conséquence que je vois aussi plutôt d’un bon œil c’est que, finalement, l’outil qui a été utilisé par le cabinet d’Axelle Lemaire et même la méthode, je veux dire la méthode voire les engagements qu’ils avaient pris, eh bien tout pouvait être revu à mes yeux. L’outil parce que, clairement, ce n’était pas quelque chose dans lequel on pouvait avoir confiance, ne serait-ce que parce qu’on n’avait pas accès à la technologie en tant que telle, donc ni au code source, ni aux algorithmes, ni tout ce qui permettait de faire la consultation en tant que telle. On avait aussi une maigre connaissance à la fois de la méthodologie et à la fois des engagements de la part de ceux qui lançaient la consultation, de ceux qui l’opéraient.

OliCat :
On peut dire qu’il n’y en avait quasiment pas, des engagements !
Benjamin :
Oui, tout à fait. Il y avait peu d’engagements, mais tout ça pour dire que, à mon avis, maintenant on sera plus vigilants là-dessus. Et en plus, on peut être source de propositions. C’est ce qu’on essaye de faire dans le cadre d’Open Law depuis cette date. On a lancé en janvier une initiative qu’on appelle Open Democraty Now [12], dans laquelle on essaie de réunir un certain nombre de personnes. Tous les deux mois on fait deux jours de hackathon et on pilote les projets en parallèle. Il y a une quinzaine de projets maintenant. L’objectif c’est que toutes les ressources à la fois en termes d’outils, donc de logiciels, mais aussi en termes de méthode, en termes de charte, soient à portée de main et qu’ensuite les politiques puissent les utiliser. On l’a fait parce qu’il y avait un réel manque à mon avis. S’ils l’avaient fait à moitié peut-être qu’on ne l’aurait pas fait. Mais vu qu’ils ne l’avaient pas fait, on l’a fait.
OliCat :
Manu de l’April. On me demande de citer qui parle.
Manu :
Tu as un repository pour le code source de cette initiative ?
Benjamin :
Tout est sur un Gitlab.
Manu :
C’est un Gitlab ? D’accord. Donc ça peut être intéressant d’aller jeter un œil et de le réutiliser éventuellement. Peut-être même que pour la prochaine loi numérique, ils vont pouvoir le mettre en place.
Benjamin :
Oui, tout à fait. Sachant que l’idée n’était pas de faire un logiciel mais d’avoir un kit, en fait, une série d’outils open source qui puissent être réutilisés par tous et de les faire gagner en fonctionnalités de sorte à ce qu’ils puissent être utilisés clairement par toute personne entrant dans ces démarches.
OliCat :
Ce que j’ai entendu aussi de ton intervention, Benjamin, je t’en remercie, c’est qu’au fond est-ce que les structures que vous représentez n’auraient pas été un peu prises au dépourvu et ont manqué d’organisation pour, finalement, construire de façon plus, j’allais dire efficace, mais n’y voyez pas une critique exclusivement négative, des contributions que vous aviez à apporter dans le cadre de cette consultation ?
Benjamin :
Très rapidement, et c’est un avis qui m’est personnel parce qu’on n’a pas plus discuté que ça. Je pense que, dès lors que le gouvernement est en relation directe avec les citoyens, c’est de la désintermédiation d’une certaine manière. C’est-à-dire que les associations qui étaient là pour porter, pour protéger ou, en tout cas, avoir un discours sur certains sujets, se sont retrouvées complètement contournées, mais dans une démarche qui était plutôt positive. Donc on s’est retrouvés face à une situation qui était intéressante, mais dans laquelle on perdait, en tout cas, de notre fonction classique, et ça on ne l’a peut-être pas anticipé suffisamment.
OliCat :
Lionel, pour La Quadrature.
Lionel :
Ouais, pour La Quadrature. Moi je dirais, en fait, c’est un processus qui a été beaucoup plus long que les seules trois semaines de consultation. Avant ça le CNNum, lui-même, avait fait aussi une consultation sur la même plateforme, d’ailleurs, que celle qui a été utilisée par le gouvernement ensuite, sur son rapport préparatoire auquel on avait pu contribuer. Donc on est plusieurs associations à avoir contribué à ce moment-là. On avait pu commencer, je dirais, à affiner nos propositions et à en porter. Ensuite après, moi ce que je trouve, c’est qu’il y a eu une sorte de grosse incertitude sur ce qui allait se passer ensuite parce qu’on ne savait pas d’ailleurs s’il y allait avoir une consultation. Le gouvernement l’a lancée, ce n’était pas vraiment prévu, il l’a lancée d’un coup. Après on nous a dit qu’il n’y avait que trois semaines, ce qui est court quand même, trois semaines pour s’organiser, donc il a fallu se concerter.
OliCat :
Absolument. Eh bien oui. Déjà regarder un texte de loi, mobiliser des citoyens sur un texte de loi.
Lionel :
Ce n’est pas si évident, surtout, quand même, que c’est un travail assez technique qui est demandé. Parce que c’est un travail de commentaire du texte de loi lui-même, donc ce n’est pas quelque chose qui est si facile que ça pour le citoyen lambda, et donc il a fallu se concerter entre nous. Moi je dirais, ça c’est plutôt un point positif du processus. Je pense que ça a beaucoup aidé, en France, des associations qui travaillaient plutôt sur des sujets, on a chacun un peu nos sujets. Ça nous a aidé à nous rapprocher, un peu à nous répartir les questions et à nous soutenir les uns les autres.
OliCat :
Mais justement est-ce que tu penses que ce process,là, de mise en commun de votre action par rapport à ce type de consultation mérite d’être approfondi pour les prochaines fois ou pour d’autres types d’actions qui n’ont pas forcément trait à une consultation ? Parce qu’on ne sait pas s’il y en aura d’autres. Le gouvernement a l’air de dire que oui, c’est plutôt bien, mais voilà, je ne sais pas. Est-ce que du coup ça a amorcé un truc entre les associations, ou pas ?
Lionel :
Je ne veux pas me prononcer pour l’ensemble des associations, mais moi je dirais plutôt oui, quand même, parce qu’on est en lien plus fréquemment, maintenant. On a des outils de discussion entre nous. On a pris l’habitude de se rencontrer sur les sujets, donc je pense que ça, ça laissera des traces positives pour la suite. Moi je dirais, la limite énorme de tout ça, c’est la question « qui a le pouvoir d’initiative, en fait ? »
OliCat :
Absolument.
Lionel :
C’est-à-dire que tant que le gouvernement garde le pouvoir d’initiative, parce qu’on l’a bien vu, par exemple, il y a eu des différents moments d’initiative très importants. Il y a eu la version du texte introduite sur la plateforme et là le gouvernement avait un pouvoir très fort. Ensuite il a eu un pouvoir très, très fort, sur la version introduite au Parlement et ça, ça a joué énormément, c’est là où on a eu les grosses pertes, en fait, par rapport au texte initial et ça, ça a été complètement un pur produit de la décision du gouvernement. Ce qui serait bien c’est que nous on ait aussi un pouvoir d’initiative et on puisse proposer des textes indépendamment de l’agenda législatif et gouvernemental sur des plateformes que nous on maîtriserait en disant : « Voilà, maintenant c’est nous qui proposons la loi ». Une sorte d’initiative citoyenne.
OliCat :
Du coup, c’est un peu le principe de ce que Benjamin proposait. Comment ça s’appelle ?
Benjamin :
C’était Open Democracy Now.
OliCat :
Ouais. Open Democracy Now.
Benjamin :
Pour moi ce que tu dis touche notamment la méthodologie. Un autre point fort sur lequel on n’était pas à l’initiative, c’est lorsqu’il y a eu la lecture et la synthèse de tous les arguments, de toutes les consultations, En fait on s‘est retrouvés avec un résumé de ce qui s’était passé.
OliCat :
OK.
Benjamin :
Mais, d’un autre côté, on n’avait pas nous-mêmes le temps de le faire, donc ça nous a été utile, mais on a loupé une étape.
OliCat :
Alors Manu pour l’April ?
Manu :
Donc à l’April, effectivement, quand l’initiative a été lancée, sur les trois semaines, c’est vrai qu’au début on a peut-être eu un petit moment de « qu’est-ce que c’est que ce truc ? Est-ce que ça va vraiment être utile ? Est-ce que notre participation va vraiment donner quelque chose ? » Mais finalement, on y a été, on y a été fort, on y a été vite, et on a mis en avant des propositions sur le logiciel libre.
OliCat :
Absolument.
Manu :
Il se trouve que, coup de bol, il y avait plein d’autres propositions qui tournaient sur le logiciel libre, et dans les trois premières, il y en a deux qui concernent le sujet, qui concernent la priorité au logiciel libre notamment, donc des choses fortes, l’ouverture des codes sources des administrations qui est dans les dix premières. Et à l’April, on a fait deux propositions, écrites, pour vraiment être transposées en tant qu’amendements. Et ce sont des amendements qui ont ensuite été repris de nombreuses fois au niveau du Parlement et du Sénat, et c’est ça qui est assez amusant. Clairement, il y a des problématiques sur l’initiative, je suis tout à fait d’accord, parce que tous ces amendements qui ont été proposés, qui ont été très bien acceptés par les députés et par les sénateurs, c’est ça qui est très fun dans l’histoire, eh bien à chaque fois ils ont été retoqués par le représentant du gouvernement, qui arrivait, qui sortait des arguments à deux balles, qui étaient régulièrement re-démontés ensuite derrière. Un autre parlementaire arrivait, et revenait ensuite avec un amendement de la même sorte, et re-proposait le même sujet. Ce sont des sujets, je pense qu’ils se sont rendu compte que les citoyens les portaient. À l’April vraiment on est contents de cette chose-là. Mais au final, le gouvernement est revenu en dernière histoire avec « non, non on ne peut pas donner la priorité notamment au logiciel libre. On peut faire une promotion, on peut l’encourager ! »
OliCat :
Ouais, une incitation.
Manu :
Voilà. Donc on sort les pom pom girls et on est contents parce que ça n’a pas d’autres utilité, c’est juste on se fait plaisir et pour des arguments qu’ils ont cachés. Ils ne veulent pas nous dire exactement pourquoi ils ne veulent pas mettre une priorité qui, elle, a un pouvoir légal, d’utiliser les logiciels libres dans les administrations françaises, ce que d’autres pays font : la Bulgarie, il y a quelques jours, vient de faire en sorte que les logiciels produits pour le gouvernement seront tous en libre et je crois que c’est en Italie où les appels d’offre doivent tous faire mention de logiciel libre. Donc il y a d’autres pays, des pays proches de nous, qui utilisent cette priorité, qui la mettent en avant, et là le gouvernement ne veut pas nous dire pourquoi alors que, vraiment, on se rend compte qu’il y a quelque chose.
OliCat :
Afin de juger d’une situation, Manu, il est toujours bien de la contextualiser. Est-ce que l’incitation, finalement, ce n’est pas une grande avancée ?
Manu :
Moi je suis un grand optimiste, donc je suis très content de cette incitation parce que ça apparaît dans la loi. C’est bête ! On l’avait déjà au niveau de l’éducation supérieure où ils ont mis en place la priorité au logiciel libre, ce qui était un petit peu étrange mais c’est dans un petit contexte, on va dire. Mais c’est l’entrée dans les textes de loi du concept de logiciel libre, et là, l’incitation, eh bien ça montre qu’il faut continuer ce qui a déjà été fait, le référentiel général d’interopérabilité, la directive Ayrault où, clairement, ils proposent aux administrations françaises d’utiliser majoritairement du logiciel libre, de mettre en avant le logiciel libre et de construire du logiciel libre.

Pareil, ils sont d’accord, maintenant, et c’est une des avancées de cette loi, pour que les administrations françaises, quand on produit du logiciel, eh bien il soit libre par défaut. Malheureusement c’est le gouvernement encore, qui a rajouté une petite clause « sauf s’il y a des bonnes raisons de ne pas le faire ». Donc c’est un petit peu énervant, parce que les bonnes raisons ils peuvent en trouver autant qu’ils veulent.

OliCat :
Alors de l’open access, on a vu.
Manu :
Il y a de l’open data.
OliCat :
De l’open data, absolument, et l’open data nous apporte l’occasion de donner la parole à Regards Citoyens, Nicolas ?
Nicolas :
Alors nous, sur l’open data, on est globalement plutôt contents. Tout ce qu’ont dit les personnes avant moi montre bien que cette consultation, même si, effectivement, il n’y a pas tant de choses que ça, enfin même beaucoup de choses qui n’ont pas été reprises par le gouvernement, elle a quand même suscité un débat parlementaire et ça c’est vraiment très intéressant. Il y a beaucoup des propositions qui ont été reprises pendant les débats parlementaires.
Manu :
Des dizaines de minutes de discussion intelligente entre parlementaires, c’est du jamais vu !
Nicolas :
Tout à fait. Et ça c’est vraiment un bon bilan pour cette consultation sur cet aspect-là, je trouve. Est-ce que ce sera reproduit à l’avenir ? On ne le sait pas trop, peut-être que le texte de loi qui a été voté le même jour, définitivement, que le projet de loi numérique, à savoir la loi travail, montre un peu le contraste au niveau démocratique ?

En ce qui concerne l’open data, donc, pour y revenir, à Regards Citoyens on est plutôt satisfaits du résultat parce qu’on a vraiment mis en place dans cette loi un open data par défaut, un open data structurel. C’est-à-dire qu’il y a tous les documents qui sont produits par l’INSEE, par beaucoup d’administrations, les documents issus des partenariats public/privé, etc., qui vont être en open data par défaut et on n’aura plus besoin de les demander.
On introduit aussi un droit à l’open data, à savoir que si une administration refuse de donner un accès à un document, les citoyens vont pouvoir aller devant le tribunal administratif pour faire valoir ce droit à l’open data.
Et on a quelque chose qui est assez intéressant aussi, c’est qu’on va pouvoir commencer à avoir une partie de la jurisprudence qui va être mise en open data. Alors c’est soumis à un décret du Conseil d’État qui va un petit peu décrire les modalités exactes des mises en place de ces données. Et on espère que la DILA [13] va un peu moins freiner que ce qu’elle a fait sur les dernières années sur ces aspects, pour publier ces informations.

OliCat :
Alors juste la DILA, pour ceux qui nous écoutent ? C’est une direction… ?
Benjamin :
De l’information légale et administrative. Je peux en parler aussi rapidement parce que dans le cadre d’Open Law on travaille aussi avec la DILA. Ce n’est pas toujours simple, mais il y a quand même des projets intéressants. Et sur les jurisprudences, justement, ce qui a été inscrit dans cette loi République numérique, sur une perspective de un/deux ans parce que c’est toujours un peu lent à mettre en œuvre, a quand même enclenché une dynamique qui est très intéressante, et là on est en train de parler d’une ouverture des jurisprudences pour septembre ou octobre de cette année. Parce que, finalement, ce qui se passe, c’est qu’avant il y avait donc des frais de licences assez impressionnants, il y avait toutes les Cours suprêmes qui sous-traitaient, à la même boîte, d’ailleurs, on revient un peu sur le système de tout à l’heure, la monétisation [mot à confirmer par l’orateur, NdT] de toutes leurs décisions, mais avec des critères qui n’étaient pas les mêmes, peu importe. Elles se sont réunies, elles ont discuté et elles se rendent compte de l’intérêt de le faire ensemble. Et face à elles, il y a aussi les professionnels, notamment le barreau de Paris, il y aussi les éditeurs qui se disent « s’il faut que ça soit fait, autant que ça vienne aussi de nous ! » Donc il y a une dynamique qui est assez intéressante en se disant « il va falloir le faire », donc tout le monde fait le pas et rentre dans une démarche de « qui sera le premier à le faire ou, en tout cas, qui sera le premier dans la boucle », pour en tirer aussi le maximum, en tout cas le maximum de leur côté. Je pense que d’ici la fin d’année on aura, grâce à la loi République numérique pour le coup, une avancée sur ce domaine qui est vraiment intéressante.
Nicolas :
La problématique qui reste en place c’est qu’on a quand même dans cette loi une analyse de risque qui est rendue obligatoire avant chaque publication, et qui pose pas mal de problèmes. Parce que déjà la notion d’analyse de risque c’est un peu vague, ça peut faire une grosse charge de travail pour les gens qui doivent la faire, et puis ce sont des problématiques qui ont déjà été adressées par la CNIL, qui était favorable à la publication des décisions, juste en anonymisant les noms, les adresses. Et puis, qui plus est, on a déjà, dans la loi, certaines décisions qui sont exclues de la publicité, parce que n’importe qui peut demander, normalement, une décision de justice aux greffes du tribunal. Certaines décisions comme, par exemple, les détails sur un divorce ou etc., sont exclues de ces publications. Donc c’est un petit peu dommage qu’on freine encore là-dessus, parce que ça fait quand même un petit moment qu’on attend sur cette jurisprudence, qui est, tout le monde s’en rend compte, qui est aussi indispensable que la loi, pour les citoyens, pour comprendre son application, pour savoir comment agir dans le cadre de la loi et de la jurisprudence.
Public :
J’ai une question. Donc je suis Luc, dans le public. Je voulais savoir, par rapport à cette consultation, est-ce que vous y avez cru au moment où vous êtes partis ? C’est-à-dire que ce truc arrive, vous êtes lancés, est-ce que vous êtes partis en disant « ça a une chance de marcher ou on y va parce qu’il faut y être ? »
Nathalie :
Nous, c’était très nouveau pour Wikimédia France, puisque, auparavant, on ne s’était jamais investis, ou de façon vraiment très infime, dans ce genre de débat public. Et en fait, on a été conviés à des auditions, en parallèle de cette affaire de consultation. Donc c’était très nouveau pour nous. On est partis un peu sans idée, en fait, sans se dire « est-ce que ça va fonctionner ou pas », parce que c’était vraiment le début de notre action de lobbying. C’est justement en suivant les différentes étapes, en voyant le résultat de la consultation et en constatant qu’on partait un peu en ordre dispersé, en tout cas pour notre part, puisqu’on n’avait pas vraiment d’interactions avec les autres assos, qu’on a vu la nécessité de s’organiser, absolument. Et ça, ça me permet de revenir un peu sur ce que Lionel disait. Le vrai point positif de toute cette démarche et, comment dire. d’être mis devant un peu le fait accompli de ce qu’il y avait à faire, c’est l’organisation entre nous, puisqu’en face les lobbys sont très organisés. Donc on n’avait pas vraiment d’à priori et ensuite on a fait petit à petit, on s’est adaptés et on s’est organisés collectivement.
Lionel :
Ouais. Nous, à la Quadrature, on était assez dubitatifs quand même sur le processus, parce qu’on venait de subir plusieurs années où on a eu la loi antiterroriste, la loi renseignement, où là il y avait des sujets numériques absolument décisifs pour les libertés, qui ont été traités dans des conditions qui n’étaient absolument pas démocratiques. La société citoyenne, qui était mobilisée très fortement contre les mesures de ce texte, notamment tout ce qui concerne la surveillance, et où le gouvernement est resté complètement sourd. Donc quand on a vu la loi numérique arriver, on avait un peu l’impression d’une sorte de schizophrénie du pouvoir qui était quand même assez hallucinante. Sur certains sujets, il n’y a aucune discussion possible. Et en gros, on a laissé dans la loi numérique des sujets qu’on a considérés un petit peu plus secondaires et là on va pouvoir discuter, quoi. Donc bon, on a quand même joué le jeu.

Après, il y avait une autre chose qui faisait douter du processus, c’est que le législateur français n’a pas les mains libres, lui-même, sur plein de choses. Par exemple, dans cette loi, il y une consécration de la neutralité du Net. Ça pourrait être quelque chose de très important, mais en fait, le législateur est obligé d’être soumis à un règlement européen, et il fait un renvoi au règlement européen, et tous les enjeux sont à débattre au niveau européen. Et c’est pareil sur les données personnelles : dans la loi numérique il y a tout un volet sur la protection des données personnelles, mais, là aussi, les vrais enjeux sont au niveau européen et finalement la loi…

OliCat :
Tous ces arguments ce n’était pas, comment dire, un mauvais prétexte de ton point de vue ? C’était une « vraie excuse » entre guillemets ?
Lionel :
Disons que ouais. Là, sur la neutralité du Net et les données personnelles, c’était difficile pour le gouvernement d’aller plus loin que ce que le niveau européen a pensé. Nous, le seul point, je crois, où on y a un peu cru quand même, c’est sur les communs. Et là, on y a cru, parce que c’est le gouvernement lui-même qui est venu nous chercher sur cette question, il faut le dire. C’est Bercy qui est venu nous chercher. On a fait des réunions avec les conseillers d’Axelle Lemaire et tout, voire du Premier ministre, pour écrire une définition des communs, de ce qui serait des communs à l’ère du numérique et ça a été porté longtemps. Et là, j’avoue qu’on a peut-être cru un moment que ça allait pouvoir passer. Et c’est là où je pense que la déception est quand même la plus amère, parce qu’il y a eu un jeu de lobbying complètement classique et à l’ancienne, avec des sociétés, en fait les principales sociétés d’ayants droit français, la SACEM, la SACD et d’autres, qui se sont contentées d’écrire à Manuel Valls et tout s’est effondré quoi !
Nathalie :
Tu peux raconter peut-être la réunion à Matignon qui était assez surréaliste.
Lionel :
Vas-y ! Je te laisse faire.
Nathalie :
Donc suite à cette volonté du gouvernement de faire passer cette notion des communs, enfin ce qu’on pensait, au niveau du ministère du numérique, du moins, on a tous été appelés au ministère pour préparer, justement, ce combat par rapport au domaine commun informationnel. Et donc le lendemain, on a eu une réunion à Matignon où on a opposé les acteurs du numérique et les lobbys de l’industrie culturelle. Et, à peine arrivés, en fait, on nous a expliqué que de toute façon l’article 8 allait être retiré, et voilà ! Donc on pouvait en discuter, on allait lancer une mission sur cette question, mais de toute façon il était inutile de se battre. Je pense que là on a tous eu un sentiment amer d’incompréhension, de se dire on a été animés, via le ministère, pour venir à cette réunion et puis finalement on nous annonce que de toute façon il n’y aura rien du tout.

Et je pense que là aussi, on a pris conscience de s’organiser en dehors du ministère et de porter nos propres combats puisque le ministère avait même prévu un avocat, en fait, pour nous représenter, pour prendre la parole en notre nom, qui n’a pas forcément défendu, justement, convenablement nos combats. Et je pense que ça a été vraiment une prise de conscience et un tournant, cette réunion à Matignon. On s’est dit « il faut qu’on s’empare nous-mêmes du sujet. »

OliCat :
On se demande si, finalement, s’il avait vraiment été question de communs numériques, ou en tout cas d’en imposer une vision, la loi elle-même aurait eu cette trame. Finalement on a quelque chose de très classique. C’est-à-dire que voilà, tu vas avoir une priorité et ça va être la construction, la co-construction de la République numérique fondée sur une vision partagée de ce qu’est le commun numérique et à partir de là, voilà ! Tu as une ossature, tu as un truc. Là, manifestement, ce n’était pas le cas !
Nicolas :
D’ailleurs l’absence des communs se fait vraiment sentir.
OliCat :
SavoirsCom1.
Nicolas :
L’absence des communs se faisait vraiment de sentir parce qu’il y a plusieurs d’articles qui préjugeaient cet autre article finalement. Il y avait quand même une cohérence d’ensemble qui a été perdue.
OliCat :
Ouais. Voilà, c’est ça.
Nicolas :
Le cas typique ce sont les données scientifiques. Au départ, c’était dit : « les données scientifiques sont des choses communes. » Et là, ça faisait directement référence à la notion de communs qui était préalablement définie. Et à partir du moment où ça a sauté, ils ont essayé de maintenir des communs pendant un bout de temps et finalement ils ont renoncé. Ils ont dit « sont de libre accès », je ne sais plus. Enfin il y a une tournure qui est beaucoup plus floue et on ne sait pas très bien ce que ça veut dire, finalement. Donc on voit à quel point le fait d’avoir cassé ça, finalement, ça a quand même cassé le mécanisme intérieur de la loi qui, à partir d’un moment, est devenue presque une sorte de catalogue au lieu d’être vraiment une loi pour la République numérique.
OliCat :
Oui, parce qu’au fond, tu reprends tout de suite, Benjamin, pour Open Law, on a eu une présentation de la dynamique et la démarche du gouvernement, en l’occurrence d’Axelle Lemaire, secrétaire d’État au numérique, assez neuneu quoi ! On avait trois objectifs qui tournaient autour de Liberté, Égalité, Fraternité. On avait liberté accrue pour la circulation des données et du savoir. OK ! Égalité de droits pour les usagers du Net. Fraternité pour une société numérique ouverte à tous. Et ces trois objectifs se déclinaient sur neuf priorités. Tu en as citées quelques-unes, Lionel. On avait donc la neutralité du Net, la portabilité des données, le droit au maintien de la connexion, la confidentialité des correspondances privées, le droit à l’oubli des mineurs, l’information liée aux avis en ligne en direction des consommateurs, l’ouverture des données publiques, une meilleure accessibilité, et puis les questions autour de la mort numérique et ce qu’on fait des données une fois que quelqu’un est décédé. Mais on ne voit pas la cohérence d’ensemble. Voilà !
Benjamin :
Je ne voulais pas parler de ça, mais juste pour répondre ou rebondir. Je pense que c’était notamment parce le contenu de la loi République numérique était aussi une réponse ou une suite liée à la consultation du Conseil national du numérique qui n’était pas tout à fait organisée, en termes de méthode, de la même façon. C’est-à-dire que le Conseil national du numérique a quand même passé énormément de temps dans la mise en place d’ateliers pour faire discuter les gens, pour essayer de formaliser les idées. C’était vraiment plus une démarche bottom-up, du bas vers le haut.
OliCat :
Mais justement, moi ce que je me demande, c’est s’il n’a pas manqué une étape entre la consultation du Conseil national du numérique et la mise en ligne sur la plateforme citoyenne d’un texte avec déjà une ossature, etc. Il n’y a pas eu une synthèse qui ne s’est pas opérée, justement, entre les deux étapes ?
Benjamin :
Peut-être justement sur de la co-rédaction. C’est-à-dire qu’on nous a soumis quelque chose qui était déjà bien ficelé, sur lequel rebondir. Effectivement, c’est ce que disait tout à l’heure Lionel, il y avait déjà un point d’étape qui était très fort et qui conditionnait un peu notre participation. Ce que je voulais juste dire, en plus, je pense que pour nous le contexte, c’est-à-dire un projet de loi porté par le cabinet d’Axelle Lemaire, était quand même très favorable. C’est-à-dire qu’ils avaient envie de pousser les idées qui étaient à mon avis plutôt les bonnes idées. Ils étaient plutôt de notre côté, globalement, et voyaient dans ce processus presque une aide supplémentaire parce qu’ils pourraient s’appuyer sur ce que d’autres diraient et la société civile, donc pas des moindres, pour renforcer leur projet de loi. Mais je pense qu’ils ont été peut-être pas assez loin dans le processus participatif, démocratique. Et du coup, c’est ce que je disais tout à l’heure, ils se ont fait prendre à l’industrie culturelle. Effectivement, quand les lobbyistes sont arrivés, ont pesé de tout leur poids sur Matignon, eh bien forcément ils ont dû se mettre en retrait. Et la réunion qu’on évoquait tout à l’heure…
OliCat :
En même temps il n’y a pas de naïveté de leur part. C’est quelque chose qu’ils pouvaient envisager. Je veux bien qu’Axelle Lemaire ait été super passionnée par ce que vous lui racontiez.
Benjamin :
Oui, mais je pense qu’ils l’espéraient. Sur les communs par exemple. Je pense qu’ils l’espéraient, honnêtement.
OliCat :
Ah Oui ? Vraiment.
Benjamin :
Je les crois assez honnêtes dans leur démarche initiale. Autant que nous, ils se sont pris la réalité en pleine face. En tout cas, là où j’ai vu moi, vraiment, la sphère politique de la chose, c’est quand on est sortis du processus des consultations, la réunion dont on parlait, qu’on a évoquée tout à l’heure, pas interministérielle, mais, en tout cas, qui réunissait plusieurs cabinets, on s’est retrouvés face à des sophismes. À la fois l’industrie culturelle qui nous disait : « Nous on est pour la propriété. Les communs c’est contre la propriété, donc on est contre votre proposition. » Ça y est fin de la discussion, cinq minutes. Juste après qu’on nous ait dit : « De toute façon, votre article ne sera pas soumis », et peu de temps après on nous demande de prouver par A + B le bénéfice économique qu’on aurait à mettre en place un commun informationnel. Ce qui est impossible à prouver puisqu’on est dans les logiques qui sont…
OliCat :
Évidemment !
Benjamin :
C’est-à-dire que la propriété intellectuelle c’est systémique. Quand elle est là, quand on crée une propriété intellectuelle, elle génère de l’argent. Oui ! Est-ce qu’elle génère plus d’argent, plus d’économie, plus de création que si elle n’était pas là ? Eh bien c’est dur à comparer parce que soit elle et là, soit elle n’est pas là, si on a fait le choix de la mettre en place. Effectivement c’est systémique. Ça fait partie de tout un modèle de raisonnement. Et là, les communs informationnels, on ne peut pas nous dire : « Prouvez-nous que vous gagneriez plus d’argent s’ils étaient là », parce qu’en fait, il faut tout transformer. C’est du travail de longue haleine et on s’est retrouvés face à plein d’arguments je dirais fallacieux, des sophismes, en fait, des faux arguments, pour démonter tout ce qu’on pouvait être amenés, nous, à dire. Et là, on était vraiment dans la politique. Avant on était plus dans de l’espérance. Quand on nous a sollicités pour entrer dans cette démarche, assez naïvement, j’avais envie de le faire parce que c’étaient des sujets qui me portaient à cœur, en tout cas que j’avais vraiment envie de voir aboutir. Et après on s’est retrouvés, effectivement, face au schéma plus classique de la rédaction d’une loi, et là on n’a rien pu faire.
OliCat :
Donc on l’a bien compris, la première des limites, et pas des moindres, de ce type de consultation, elle est structurelle. Elle est du monde d’avant, en fait.
Lionel :
Moi je trouve que la limite est aussi dans le fonctionnement de la Cinquième République, en fait. Parce que ce que tu disais tout à l’heure sur la qualité des débats au Parlement, Bon, c’est réel !
OliCat :
Vraiment ?
Lionel :
Ouais, ouais ! Sur certains points, on a eu de très beaux débats sur les sujets, avec des députés qui s’étaient approprié les questions. Mais le problème c’est que le gouvernement maîtrise complètement le vote des députés, en fait. Ou alors, des fois, il y a des bugs qui se produisent. Par exemple sur le texte data mining, ce qui se passe c’est que la disposition arrive en fin de soirée, il est hyper tard. Une heure du matin, tout le monde était épuisé.
Pierre-Carl :
Tout le monde était crevé. En fait ils l’avaient voté une première fois le matin. Et le gouvernement était contre, a dit : « Ce n’est pas grave, on va la revoter. » Et ils ont remis ça, seulement ils l’ont fait à la toute fin et là, une heure du matin, tout le monde est crevé, personne ne le fait, donc ça reste.
Lionel :
Donc tu vois, sur un truc qui est quand même fondamental pour la recherche et l’avenir de la recherche française, ça passe à une heure du matin sur un malentendu. Et c’est ça qui est fou, quoi ! Mais par contre, par ailleurs, sur le logiciel libre, là le gouvernement était bien vigilant et il bloque le truc. Et sur les communs il a bien fait en sorte de bien bloquer les choses, et sur des sujets majeurs. Et tant qu’on aura ce verrou ! Moi je dirais, là où le gouvernement est le plus critiquable, c’est que s’il avait voulu jouer le jeu, il aurait regardé ce qu’il y avait sur la plateforme, les propositions qui étaient les plus avancées, il les aurait introduites au Parlement en disant aux parlementaires « c’est à vous de décider maintenant ». Parce qu’il faut faire attention, aussi, que la plateforme n’est pas là pour décider à la place du Parlement. On est bien clairs que les parlementaires, ce sont eux qui sont élus, ce ne sont pas 2 000 personnes qui ont soutenu un amendement sur une plateforme qui font la loi. Ça c’est la limite de cet exercice-là. On n’est pas, quand même, dans une démocratie directe. Il y a un rôle des parlementaires. Mais le gouvernement n’a pas laissé jouer aux parlementaires leur rôle. Et ça, pour moi, c’est ce qu’on peut, peut-être, le plus leur reprocher.
OliCat :
Manu.
Manu :
On peut peut-être espérer que justement les parlementaires se seront éduqués à ces problématiques et que, pour la prochaine législature, puisqu’ils vont tous être réélus, ils vont être encore là et vont pouvoir re-participer à une nouvelle loi République, une succession, parce que tout ça ce ne sont que des successions. Tu parles d’une liste de courses. C’est parce que c’est une loi qui a pris un peu de temps à être construite : ça faisait deux ans qu’elle nous était promise, c’était la suite de DADVSI, donc un fourre-tout déjà assez innommable. Et donc là, ils avaient rassemblé tout ce qui traînait, ce que Macron n’avait pas voulu mettre dans sa loi économique, ce que Valls ne voulait pas mettre dans ses propres lois, et ils avaient vraiment rassemblé plein de choses et ils ont fait un pêle-mêle dans lequel on a pu essayer, un petit peu, de mettre quelques petites graines, petites idées, mais effectivement il n’y a pas grand-chose.

En parallèle, et ça c’est une chose qui est assez amusante, qui était dans cette loi, il y a l’ouverture codes des logiciels faits par le gouvernement et il y a un logiciel qui est vraiment intéressant…

OliCat :
Les impôts !
Manu :
C’est le simulateur d’impôts et ce truc-là, fait par un chercheur, qui a fait ça sur son temps pour l’administration française, un truc super complet, imaginez, ça prend en compte tellement de critères et ils ont ouvert le code, suite à cette demande et suite à l’April qui a poussé. On a fait des demandes CADA, différentes choses. Le code est arrivé et donc, maintenant, on a accès à quelque chose d’un peu fort. Et il y a d’autres logiciels et d’autres algorithmes, puisque c’est de ça dont il s’agit, ce sont des algorithmes, de l’intelligence, de la manière dont les lois sont faites et sont appliquées. Par exemple, les algorithmes pour décider des notes du bac [Admission Post Bac, NdT]. Ces choses-là on demande, les citoyens, les gens qui font du logiciel libre, comment c’est fait, comment les algorithmes sont définis. Il est où le code source ? Filez-nous le truc et on pourra peut-être retravailler dessus, ce qui s’est fait ensuite. Etalab a récupéré les éléments des impôts et il y a eu des hackathons qui ont été montés pour reconstruire ce simulateur et pour que chacun, chaque citoyen, puisse y avoir accès, puisse voir comment la loi fonctionne au réel. Parce que les lois sont tellement compliquées, les règles sont tellement absconses, qu’un petit simulateur, une petite explication en code source, en octets, en bits, c’est vraiment intéressant à voir pour reconstituer le fonctionnement. Le gouvernement n’était pas forcément enchanté parce que, eh bien là, on allait pouvoir le confronter à la réalité de la chose. D’un côté il peut nous dire « non, non, les impôts, faites-nous confiance, on va les calculer pour vous. C’est d’une complexité, de toute façon vous ne pourrez pas comprendre de quoi il retourne ! » Mais non, là on a la réalité de ce que eux font en interne. Ce n’est plus juste des simulateurs à ce niveau-là, c’est la réalité des lois. Et donc là, c’est une avancée puisque c’est resté dans la loi, à l’exception de cette clause qui dit : « Non, on ne vous révélera pas le code source de nos logiciels s’il y a une bonne raison. » En gros, la bonne raison, c’est « en cas de problèmes de sécurité ». Et ça, les problèmes de sécurité, voilà, je ne doute pas qu’ils vont pouvoir en inventer autant qu’ils voudront.
OliCat :
Benjamin.
Benjamin :
Je rajouterai aussi que là pour le simulateur, pour les notes du bac [Admission Post Bac, NdT], on est dans un contexte qui est assez favorable. C’est un autre contexte, mais celui du partenariat pour un gouvernement ouvert. La France prend la présidence de cette alliance internationale qui réunit tous les États entrés dans une démarche de gouvernement ouvert et donc, les engagements de la France, les engagements de chacun de ses ministères, sont passés vraiment au crible. En tout cas tout le monde y a accès et presque, note la France sur ce qu’elle fait. Et typiquement, l’ouverture de ces algorithmes, de ces logiciels, on est aussi vraiment dans cette mouvance. Dans le cadre d’Open Law on a fait une demande gracieuse récemment. Dans le mois, on a eu une réponse positive et là ils sont en train d’étudier le code, ils vont l’ouvrir. Et je pense que c’est le genre de choses qu’on peut faire plus facilement maintenant. En fait les gens qui sont à l’intérieur du gouvernement, et il y en a beaucoup, qui ont envie de le faire, se retrouvent avec la bonne justification qui est : on est entrés dans une démarche de gouvernement ouvert. Mon ministère a pris l’engagement de…, donc je le fais. Et là, leurs responsables, leurs chefs, souvent refusaient jusqu’à maintenant, parce qu’ils hésitaient, parce qu’ils ne savaient pas. Ils ont une directive plus ou moins claire qui est : ouvrez, partagez, transparence. On rentre dans cette démarche et ça c’est assez favorable.

Je repense à ce qu’on disait tout à l’heure. En France on a toujours une culture, en tout cas le lobbying est très peu pris en compte. En tout cas il y a, je ne sais pas, une crainte du lobbying ou autre. Et je pense à un travail [14] qu’a fait Regards Citoyens lors du hackaton que j’évoquais tout à l’heure HackRepNum, un travail qui est superbe, en reprenant toutes les données pour essayer de montrer quelles étaient les sources, en fait d’où les gens étaient venus pour intervenir sur la plateforme et quels étaient les lobbyistes et quelles étaient les entités qui avaient fait venir leurs personnes pour intervenir sur quels articles. Et ça, c’est une visualisation de l’activité de lobbying, en fait. Après, je ne me considère pas comme un lobbying, mais finalement, tout le monde a plus ou moins ce rôle aussi d’aller chercher autour d’eux des personnes qui vont soutenir, en tout cas qui vont réfléchir ensemble à telle ou telle position. Et là c’était visuel. C’est un super travail qui a été fait, qui est disponible sur Internet, que le gouvernement n’a pas du tout pris en compte dans sa propre réflexion autour de la loi et pourtant, qui donnait une autre lecture sur ce qui avait été fait. Et ça, je pense que c’est aussi quelque chose qui est bon à prendre à compte. Et pour moi, comme pour ce qui est le cas à l’échelle européenne, il faudrait que les lobbyistes soient déclarés, tout simplement, qu’on sache qu’elles sont leurs actions, qu’il y ait une transparence. C’est-à-dire qu’il y ait ce rôle d’aller porter des messages au gouvernement, à la limite, c’est tout à fait normal. Mais en revanche, on a une difficulté, en France, qui est de les ignorer, de faire comme s’ils n’étaient pas là, alors qu’en fait il faudrait savoir où ils sont pour contrôler, presque, leur action.

OliCat :
Tu voulais dire un truc, Lionel ?
Lionel :
C’était hyper intéressant l’analyse qu’avait faite Regards Citoyens. C’était sur la structure des contributions, en fait, sur la plateforme. Ils identifiaient les influenceurs. En gros, qui est capable d’attirer l’attention des internautes sur une proposition et de les faire soutenir ? On voyait, qu’en gros, l’April avait un gros pouvoir, une grosse force de frappe sur ses sujets. Il y avait Wikimédia qui avait une grosse force de frappe sur ses sujets. La Quadrature avait aussi une force de frappe non négligeable, et ça, c’est ce qu’on appelle le Grass Root Lobbying. C’est-à-dire ce n’est pas l’association qui, elle-même, agit, mais elle mobilise ses membres pour faire agir sur des sujets. Et en fait, c’est la grosse force de nos structures, en gros. C’est-à-dire que nos structures ne pèsent pas très lourd, mais comme on a beaucoup de gens qui nous suivent, on a une capacité à mobiliser les citoyens pour les faire agir par eux-mêmes. C’est un peu notre meilleure carte. Dans l’analyse, on voyait qu’à la toute fin, les lobbyistes traditionnels, en gros le monde de la culture, certaines entreprises et tout, se sont réveillés parce qu’ils ont senti la menace et ils ont commencé à poster des propositions, mais eux, ils n’ont aucune capacité de mobilisation de citoyens. Et donc on voit arriver des petits points, à la fin, qui sont ces structures-là, qui représentent elles-mêmes et elles sont assez prises, en fait, en défaut dans ce type de mobilisation, parce qu’elles n’arrivent pas à mobiliser une base. Et c’est là, à ce moment-là, que se ré-enclenchent les mécanismes de lobbyistes classiques où « j’envoie une lettre à Manuel Valls, je vais parler directement avec le cabinet » et ça, ça nous échappe complètement.
Manu :
C’était assez drôle, plutôt pathétique même, ce réveil des lobbys traditionnels qui se disent « mince il y a une plateforme qui nous a échappé ! » On savait que ça allait arriver, ils étaient au courant, on n’en doute pas, mais les gars, ils ont raté le coche. Heureusement, ils avaient directement accès aux oreilles des décidants, ça aide !
Nathalie :
C’est important et c’est une grosse différence en termes de lobbying

. Au-delà de l’aspect mobilisation de la communauté, il est clair que, au niveau de la « bataille médiatique » entre guillemets sur le Net et même dans les médias, clairement on gagnait, en fait, par rapport à eux parce que leur message n’est pas très audible vis-à-vis du grand public. Et c’est ça qui est un peu dommage, c’est qu’on se rend compte que même si on est très suivis par une communauté, très suivis par le grand public, les médias, etc., le fait d’avoir un accès direct aux politiques, finalement c’est ça qui a du poids, encore !

Manu :
On m’avait dit, dans d’autres contextes, que parfois ces lobbyistes, quand ils intervenaient dans des débats dits démocratiques, on pouvait se référer à eux comme étant la majorité économique. C’est-à-dire que nous on est la majorité citoyenne, mais eux c’est la majorité économique. Ils ont un poids, il faut les écouter parce que, quand même, on ne va pas faire des choses qui vont à leur encontre. Ça ferait du mal !
OliCat :
J’ai une question. Que dire de ce qui s’est passé pour les jeux en ligne ? Effectivement ça, ça a été une des…
Manu :
Proposition numéro 1, au final !
OliCat :
Absolument. Tu peux en parler ? Ou qui peut en parler ?
Manu :
Je peux parler du résultat de la chose. En gros il y a des éditeurs de jeux en ligne, il me semble, de jeux électroniques.
OliCat :
Parce que le truc c’était de reconnaître le statut professionnel des joueurs en ligne ?
Manu :
Et ils ont fait une proposition sur la plateforme, la proposition sortie de nulle part, mais ils avaient une grosse masse de joueurs et je crois, qu’en plus, ils ont fait des indications quand on se connectait sur leur page web : « Allez signer ! Allez voter ! » Et ils ont explosé les scores, ils sont arrivés proposition numéro 1 de la plateforme. On était dégoûtés parce qu’on avait des propositions logiciel libre tout en haut. On était très contents, on tenait la ligne. Il y avait La Quadrature qui poussait sur plein de propositions, il y avait un petit concours là-dessus. Et là, ils nous ont explosés, sur un truc qui ne nous intéresse pas du tout et que le gouvernement a fait passer haut la main parce que ça ne concerne personne, ça n’embête qui que ce soit, ça ne fait que légaliser le statut de joueur professionnel. Il me semble que c’était ça ?
OliCat :
Ouais, c’est ça !
Manu :
Donc un truc qui vraiment n’intéresse personne !
Nicolas :
Ça c’est une limite aussi, quand même, de ces processus de consultation. Parce que là ce qui s’est passé, en gros, si j’ai bien compris, c’est qu’il y a un lien qui a été posté sur le forum de jeuxvidéo.com
OliCat :
jeuxvidéo.com, ouais.
Nicolas :
Un truc, vraiment grosse communauté hyper puissante.
Manu :
C’est là qu’on est modestes. En comparaison on est nuls !
Nicolas :
Et, d’un seul coup, il y a des milliers de gens qui sont allés faire un clic sur une plateforme. D’ailleurs, il y avait une chose dans l’analyse de Regards Citoyens qui était très intéressante, c’est qu’ils étaient aussi en mesure de savoir si des gens avaient soutenu juste une proposition ou s’ils s’étaient intéressés à plusieurs aspects. Et on voyait très bien que les gens qui venaient de jeuxvidéo.com, ne s’étaient intéressés que au e-gaming, quoi !
OliCat :
On leur avait dit où cliquer, en gros !
Nicolas :
C’est pour ça qu’il faut faire un peu attention aussi avec ces processus, parce que c’est bien aussi que les parlementaires aient une capacité de décision ensuite. Parce qu’on imagine d’autres types de communautés qui pourraient se ruer en masse sur ce genre de consultation. Il ne faut pas non plus…
Manu :
Et qui auraient des forces de frappe inégalées. Il faut regarder les gens qui ont du monde derrière eux. Clairement les gars peuvent intervenir. Ça, ce sont des problématiques de jurys citoyens où on regroupe plein de gens, et ce nombre-là est intéressant. Il y a une intelligence qui peut s’en dégager, l’intelligence des foules. Ce n’est pas inintéressant ! C’est vraiment bien ! Mais il faut ensuite des filtres, et il ne faut pas que ce filtre ce soit l’exécutif ; il faut que ce soit le législatif, ce qu’on n’arrive pas à faire dans la Cinquième.
OliCat :
Pierre, de SavoirsCom1.
Pierre :
Ça rejoint la limite également, ce que tu disais sur la plateforme, finalement. C’est là où passer, finalement, de simple statut de démocratie classique et démocratie participative, puisque là on pouvait juste lancer des propositions et voter pour elles. Il n’y avait pas de logique finalement de co-construction des sujets et ainsi de suite, d’interaction, qu’il peut y avoir sur des communautés justement comme Wikipédia.
OliCat :
Donc il n’y avait rien qui construisait cette logique en fait ?
Pierre :
D’un part c’était plutôt une logique de commentaires par rapport aux propositions déjà existantes. Ensuite on pouvait rajouter des propositions en plus dans certains volets, et les faire approuver, et ainsi de suite. Mais les cases (???) n’étaient pas du tout prévues, finalement, pour interagir autour des sujets et faire émerger véritablement des réflexions communes, y compris des réflexions qu’on n’aurait pas forcément initialement envisagées. Donc de ce point de vue là, la plateforme était plutôt en mode annuaire, enregistreur, que véritablement open, ce qu’on pourrait imaginer être open démocratie.
OliCat :
Là, justement, je voulais savoir s’il y avait eu un retour du côté du cabinet d’Axelle Lemaire de ce travail, là, qui a été fait par Regards Citoyens sur la façon dont s’est articulée, justement, la participation des uns et des autres ? Et, en extension, est-ce que demain on peut envisager que les défauts de la plateforme, pour organiser une véritable co-construction, puissent arriver jusqu’à l’oreille du ministère ? Parce que moi je ne doute pas qu’il va y en avoir d’autres, des consultations citoyennes de ce type.
Nicolas :
Je vais tous vous décevoir parce que je n’ai pas vraiment vu que cet outil-là, moi, personnellement, je n’ai pas travaillé dessus. Donc je n’ai pas vu le résultat. Par contre, ce que montre bien tout ce qui vient d’être dit, c’est qu’il y a une vraie force de frappe en termes de lobbying citoyen, même si tout le monde n’est pas d’accord sur le terme, mais il y quand même une vraie force de frappe et il y a un vrai travail à faire.
OliCat :
Moi, au contraire, je pense que vous devriez l’assumer !
Nicolas :
Nous, chez Regards Citoyens, on l’assume totalement le fait de développer, enfin de dé-sacraliser et dé-diaboliser le terme de lobbying.
Manu :
Ce n’est pas assumé par tout le monde. Tu n’y couperas pas, lobbying c’est un côté négatif pour certain.s
Nicolas :
Tout à fait.
Manu :
Moi je sais qu’on peut assumer, mais pas tout le monde.
Nicolas :
Mais il y a un travail intéressant à faire. Du moment qu’on arrive à mettre en place des outils qui permettent aux gens de s’exprimer, il y a un énorme travail à faire et on voit que, derrière, il y a beaucoup de choses qui pourraient être faites pour améliorer, pour arriver à filtrer, à modérer les contributions. Et je pense que si l’expérience est reproduite ce qui, à mon avis, va probablement se passer, il va y avoir beaucoup de travail à faire pour arriver à présenter quelque chose aux parlementaires qui soit exploitable par leurs services et par leurs assistants. Et d’ailleurs, on voit bien que, pendant tous les débats, il y a beaucoup de députés et de sénateurs qui ont dit : « Regardez, tout le monde nous regarde et là vous faites n’importe quoi ! » Je pense au vote de groupe, au Sénat, etc.
Lionel :
Petite remarque. En anglais, il y a une distinction entre lobbying et advocacy. Et advocacy est plutôt pour les trucs publics d’intérêt général. Lobbying avec cette teinte d’être dans la défense d’intérêts privés. Je sais qu’à l’April, notamment, c’est une distinction qu’on aime bien faire.
Nicolas :
L’intérêt de l’expression lobbying citoyen, pour nous, c’est bien de montrer que le lobbying n’est pas une force de frappe économique contre laquelle on ne peut rien faire. Et c’est là-dessus, je pense, que c’est important de redonner aux citoyens la visibilité de leur pouvoir.
OliCat :
Il s’avère que dans ce cas-là le lobbying économique avait des entrées que la plateforme citoyenne n’avait pas, malgré la force de frappe, justement, de cette advocacy.
Nicolas :
Oui. Mais c’est la première vraie expérience.
OliCat :
Oui, oui j’entends bien. Mais c’est tout l’intérêt du jeu. C’est de se dire OK, on a vu qu’on s’était fait enfler sur un certain nombre de choses. Comment ça s’améliore demain ?
Benjamin :
Si je peux aussi, pour répondre, en partie, à la question. Dans ce hackhathon que j’évoquais tout à l’heure, il y avait des équipes d’Etalab qui étaient présentes, qui avaient aussi un projet, pareil, pour donner une autre vision sur les résultats de la consultation. Il y avait le conseiller d’Axelle Lemaire, qui avait monté le projet de consultation, qui était présent, au moins en fin de journée, et Henri Verdier qui était passé aussi, donc qui s’intéressaient à ce qui était dit. Je pense pas qu’ils en aient plus pris compte, c’est-à-dire que dans les prochaines consultations, et je suis convaincu aussi que ça va se systématiser, surtout avec les présidentielles qui arrivent. En fait, on peut être certains que c’est la meilleure façon de faire. Ça sera repris par tous et on ne sait pas trop comment. En revanche, pour moi, ça fait justement partie de ce qu’on doit leur apporter. Et je réfléchis à ce que je disais tout à l’heure dans l’open démocratie : justement, il y a vraiment l’aspect outil et l’aspect méthode. Il y a les valeurs, il y a ce qu’on appelle une charte, en tout cas, il y a : définir les engagements précis que chacun prend dans le cas d’une consultation de ce type-là et la possibilité d’auditer, de visualiser d’où viennent les informations, comment la consultation s’opère, que ça soit en temps réel ou que ça soit après, par exemple, pour moi ça doit être des engagements fermes qui sont pris par toutes les personnes qui rentrent dans une démarche de consultation. Ça, il faut le savoir, il faut le dire et, en fait, on ne devrait plus avoir de consultation qui ne propose pas ce type de visualisation, au fur et à mesure ou après la consultation, pour qu’on puisse juger de ce qui s’est réellement passé. Et ça, nous, effectivement, on tire un peu des enseignements de l’expérience passée. Mais je pense qu’il faut vraiment presque le rendre obligatoire. Et quand je dis le rendre obligatoire, c’est que, finalement, le gouvernement est aussi là pour faire ce qu’on a envie qu’il fasse et qu’il suffit de le dire assez fort. C’est quand même l’avantage ! Il faut juste faire la pression sur le sujet. Ils sont attentifs à ça. Et s’ils s’engagent à le faire, l’avantage c’est que là on est dans de la transparence, donc ce sera beaucoup plus facile pour nous de contrôler a posteriori, au moins le fait qu’ils aient respecté ou pas leurs engagements.
OliCat :
OK. J’entends que, à priori, c’est une dynamique et un mouvement qui, du côté de ceux qui sont nos représentants, va être investi et ré-exploité, etc. Est-ce qu’il ne manque pas l’autre versant ? Parce que co-écrire, collaborer, se mobiliser sur un sujet, ce n’est pas nécessairement quelque chose de naturel. Surtout si ça ne fait pas partie de ton éducation. Est-ce qu’il ne manque pas le versant éducation populaire, justement, à cette démocratie participative ? Après on déborde.
Benjamin :
Avec plaisir. Là, c’est un sujet, c’est une autre casquette. Je fais partie d’une association qui s’appelle Framasoft [15].
OliCat :
Ah ! Ben voilà !
Benjamin :
Dans laquelle on défend, justement, les processus d’éducation populaire. Et pour moi, là, il y a un gros enjeu en termes de prise de conscience et d’appropriation de l’usage. Et l’outil que j’évoquais tout à l’heure, la demande gracieuse qu’on a faite, concerne une plateforme qui s’appelle Faire-simple [16], qui a été réalisée par l’administration pour faire des processus de consultation, des démarches, des réalisations. En fait, leur propre constat, c’est la difficulté à faire évoluer les mentalités. Mais parce qu’ils sont vraiment dans une démarche, encore, du haut vers le bas, alors qu’on devrait culturellement passer au stade où les gens comprennent l’intérêt d’utiliser les outils numériques, les enjeux et les dangers, et s’en saisissent et fassent en sorte que ça aille dans le bon sens. Pour moi, oui, la réponse est vraiment en termes d’éducation populaire.
Nicolas :
Après, les associations qui sont autour de cette table ont un vrai rôle à jouer là-dedans, parce que c’est vrai qu’il y a une grosse difficulté à comprendre le processus parlementaire, à comprendre le processus législatif. Il y a des outils qui peuvent aider, mais il faut quand même rentrer dedans. Moi je vois les outils sur lesquels on travaille chez Regards Citoyens comme La Fabrique de la Loi [17], par exemple, qui met bien en visibilité comment s’élabore une loi, quel est le travail des parlementaires, etc. Si on n‘est pas vraiment rentré dans le fonctionnement de l’élaboration, il y a quand même une sacrée marche à franchir. Je pense que les associations ont vraiment un rôle à jouer dans cette démocratisation de la démocratie.
Manu :
Je rajouterai, pour l’April, mais je pense que La Quadrature sera d’accord, c’est que c’est ingrat. Travailler sur tout ce qui est la construction de la loi, c’est particulièrement ingrat. On a l’impression de faire deux pas en avant, on en fait trois en arrière. Les seuls gains qu’on peut avoir ce sont des gains qui sont symboliques. De mon point de vue, en tout cas, c’est un changement du point de vue de ceux avec lesquels on parle, qu’ils se rendent compte qu’il y a quelque chose qui bouge, qu’ils se rendent compte qu’il y a quelque chose qui évolue. Et de faire une consultation, je me dis que ça s’inscrit dans cette évolution des mœurs, dans cette évolution des mentalités, où les gars se rendent compte que les processus utilisés d’habitude, les discussions dans leurs couloirs, ça ne va plus vraiment fonctionner. Il faut ouvrir, et ouvrir tout : ouvrir les données, ouvrir les processus, les algorithmes et ouvrir les propositions. Faire en sorte que les agendas ne soient pas contrôlés que par le gouvernement. Il y a une évolution.
Nicolas :
Et puis présenter aussi les processus à travers d’outils un peu modernes et d’outils utilisés dans d’autres domaines. On voit très bien que, par exemple, dans le domaine de l’open source, il y a certaines plateformes qui ont permis à des gens qui sont beaucoup moins, comment dire, capés en termes de compétences techniques, de collaborer à des projets potentiellement compliqués. Il y a des outils qui sont à développer pour aider les gens à accéder à ces compétences.
Lionel :
Je rebondis sur ce que tu disais. Nous, à la Quadrature, alors ce n’est pas directement lié à la loi numérique, c’est plutôt lié à ce qui s’est passé sur les lois antiterroriste, renseignement, et autres, on a décidé de faire une pause, justement sur les relations avec les élus français, considérant que sur des sujets vraiment majeurs de défense des libertés, eh bien il n’y avait, hélas, plus grand-chose à en attendre. Et de repartir vraiment, là, à la base de la base du Grassroot lobbying, c’est-à-dire l’éducation des citoyens et le développement de propositions par la base. Donc on a vraiment décidé de faire une pause, parce que ça nous a quand même pas mal échaudés tout ça.

Juste, quand même, une petite anecdote. Là où moi j’ai une petite inquiétude sur le prix à payer de la participation, parce qu’il y a un prix à payer, quand même. C’est-à-dire quand la société civile accepte de jouer ces jeux participatifs, elle va payer un prix. Et le prix c’est notamment le prix en termes de critiques du gouvernement, ensuite. Parce que nous, à la suite du processus de la loi numérique, on a fait une déclaration commune avec l’Observatoire des Libertés et du Numérique qui s’appelait République numérique : déception 2.0 [18], où on disait notre dépit quoi, face aux résultats de la loi. Et c’est cosigné avec le Syndicat de la magistrature, l’Ordre des avocats, Amnesty international, des associations quand même qui comptent. Et on a eu une réaction assez violente d’Axelle Lemaire par la suite, qui nous a beaucoup reproché ça, qui nous a reproché de ne pas avoir montré les aspects positifs de sa loi, qui nous a écrit directement, en disant qu’elle était très déçue de notre comportement et qui, après, allait faire le tour des radios en disant : « Vous savez la Quadrature et le Syndicat de la magistrature, c’est un lobby comme les autres, il ne faut pas lui accorder plus d’importance, et ce sont des gens qui veulent instaurer une geekocratie qui contournerait le Parlement. »
Nous, après ça, on lui a fait un petit commentaire, un communiqué personnalisé, à Axelle Lemaire, en lui disant qu’on n’achète pas le silence d’une organisation de la société civile parce qu’on lui aurait permis de poster trois commentaires sur une plateforme, et que nous, on se donne le droit d’être très critiques. Et on a lui mis aussi le nez dans toutes les lois sécuritaires que son gouvernement a passées, qui sera le vrai bilan numérique de ce gouvernement. Parce que la loi numérique, je pense que dans dix ans… Peut-être que sur l’aspect open data non, parce qu’il a vraiment un gros tournant, open access, mais sur les vrais sujets numériques de ces dernières années, c’est ailleurs que ça s’est passé et pas dans cette loi.

Nathalie :
Pour, comment dire, aller un peu dans ton sens, il y a ce problème avec le ministère du Numérique qui, de temps en temps, nous considère comme des alliés, de temps en temps, nous considère comme des opposants. C’est-à-dire que tant qu’il a fallu défendre l’article des communs on a été informés, on a été mis dans la boucle, on a eu une communication positive avec nous. Dès lors que ça, ce n’est pas passé, on avait beau appeler ou autre, enfin nous, en tout cas Wikimédia, personne ne nous répondait. Le seul contact qu’il y a eu avec Axelle Lemaire encore, c’était par rapport à une disposition qui a émergé dans la loi création sur les domaines nationaux, donc tout à fait scandaleuse, qui va encore plus loin que l’absence de liberté de panorama, où elle a quand même tenté de nous faire passer le message « si possible, si on pouvait ne pas, comment dire, communiquer médiatiquement sur ça, et qu’elle essaierait de régler directement au niveau du Premier Ministre, etc. »
OliCat :
Mais oui ! Et là vous aviez juste à croire en son poids manifeste dans ce gouvernement !
Nathalie :
Voilà. Chose qu’on n’a pas crue et à raison, puisque c’est, en plus, passé. Donc c’est assez problématique d’être considérés de temps en temps. Enfin il ne faut pas être spécialement dupes, quand même. Il faut qu’on joue notre propre jeu, je pense.
OliCat :
C’est clair ! Manu, tu voulais ajouter un truc.
Manu :
Je suis un homme positif. Axelle Lemaire, moi je pense que c’est une personne bien. Elle est venue aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre. Elle a fait des choses au niveau du logiciel libre qu’on apprécie. Elle est peut-être un petit peu naïve, elle est peut-être aussi carriériste, donc elle veut que les choses qu’elle met en avant fonctionnent, qu’elles ne soient pas trop critiquées à droite, à gauche. C’est toujours compliqué, les hommes politiques naviguent à vue. La vue à long terme c’est compliqué de l’envisager. Et effectivement, en plus de ça, elle est dans un gouvernement où il y a plein d’autres ministères qui font du caca, et du gros, par exemple l’Éducation nationale. Ils ont passé un superbe accord avec Microsoft. Ils se sont vendus pour 13 millions d’euros, c’est que dalle ! Et maintenant, dans l’Éducation nationale, les profs peuvent utiliser gentiment…
OliCat :
En open bar.
Manu :
En open bar les logiciels propriétaires qui viennent des États-Unis. Tout comme la Défense nationale qui a passé un contrat open bar. À l’April on était tout rouges, pas contents, on a fait des demandes pour savoir d’où ça venait, c’était quoi ces accords, comment ils étaient arrivés à ces sujets-là alors qu’il y a avait une directive Ayrault qui disait qu’il fallait faire du Libre, alors qu’il y avait d’autres ministères qui se mettaient en avant : la gendarmerie, le ministère de La Défense. La gendarmerie utilise le logiciel libre, ça a l’air de très bien marcher. Ils en sont contents.
OliCat :
Absolument !
Manu :
Et donc il y a des espèces de hiatus dans ce gouvernement qui font mal au cœur, qui font juste mal au cœur ! Et moi j’espère que Axelle Lemaire, c’est une personne bien, elle a des idées intéressantes. Elle part de loin, mais elle est vraiment mal entourée, et puis bon, elle-même, elle a sûrement une carrière à construire, on peut le supposer.
OliCat :
Pierre, tu voulais ajouter un truc, je crois.
Pierre :
Dans la série juste des contrats open bar, c’est que, pour la recherche scientifique, il y a eu la même chose il y a environ un an et demi, qui est le contrat avec le leader mondial de livres scientifiques, qui s’appelle Elsevier, pour 175 millions d’euros sur cinq ans, donc d’abonnements, d’achats et aussi le fait d’être entièrement liés à cette entreprise pour encore cinq ans, puisqu’on centralise à l’échelon national qui lie toutes les universités françaises. Donc je pense qu’effectivement, ça rejoint exactement ce que tu dis, en fait. C’est ça, c’est qu’on a toujours un pas en avant un pas en arrière et qu’il ne faut pas être vigilants au niveau de la loi, mais aussi vigilants au niveau des pratiques, parce qu’il y a plein de choses qui jouent dans l’intermédiaire, dans la zone grise et ainsi de suite. Je pense que ce qui est intéressant, en tout cas du point de vue de l’open access pour la recherche, c’est qu’il y a eu cette possibilité de construire des choses qu’on ne pouvait pas faire avant, mais qu’après, il y a toujours, effectivement, ce double travail qui, finalement, est très lourd, quand même, pour toutes nos associations qui sont autour de nous. Être à la fois vigilants au niveau légal, en même temps de construire les alternatives à côté et ainsi de suite. Alors on peut compter sur notre capacité de délégation, sur une capacité à faire émerger des choses qui peuvent être relativement spontanées, mais c’est vrai que c’est quand même assez lourd.
Benjamin :
Il y a eu cet accord, effectivement, avec Microsoft, mais peu de temps après c‘est avec Amazon qu’il y a eu un autre accord pour l’édition de publications numériques. Donc je regarde en même temps, il y a eu un cumul. Je réfléchissais aussi à un autre élément, tout à l’heure, sur la priorité au logiciel libre, en tout cas sur la difficulté qu’a l’État français à se positionner en faveur du logiciel libre, mais d’autres États l’ont connue aussi.

Le Syntec numérique qui est le syndicat de l’IT, je dirais, fait systématiquement du lobbying intense sur le fondement de la doctrine de la neutralité. Et donc sur le fondement de cette doctrine de la neutralité, que j’ai toujours souhaité consulter. Je fais partie du Syntec numérique à titre professionnel, on ne m’y a jamais donné accès parce qu’en fait elle n’est pas formalisée, elle existe. Cette doctrine de la neutralité, c’est sur ce fondement-là qu’il va systématiquement être dans l’intérêt du Syntec numérique de s’opposer à une loi qui favoriserait le logiciel libre. En considérant que, ce n’est jamais arrivé, mais s’il y avait une loi qui favoriserait un éditeur propriétaire, il ferait la même chose. Ce n’est jamais arrivé. En tout cas il y a une loi qui favorise le logiciel libre, il s’y oppose systématiquement. Et ça, c’est pareil, on revient sur ce qu’on évoquait tout à l’heure, sur le sophisme, la neutralité ce n’est pas imposer la neutralité chez les autres. C’est au moins se le faire pour soi, donc que ça soit un outil interne de gouvernance au sein du Syntec numérique, c’est tout à fait normal. Mais que ça soit une source de lobbying à l’extérieur, notamment pour le gouvernement, ça c’est anormal. Et en revanche pour le gouvernement, ce qu’il faudrait vraiment que l’État français comprenne, c’est l’intérêt qu’il a à favoriser le logiciel libre parce que c’est bon pour la concurrence. Donc, à partir du moment où on admet que c’est favorable à la concurrence, là on peut très bien partir sur une politique pro logiciel libre.

Manu :
Ce sont des remarques intéressantes. Le Syntec, clairement, moi je suis informaticien, je travaille avec des gens qui sont dans ces domaines-là. Syntec c’est un gros truc, ils ont des gens intéressants, mais clairement, ils se mettent à chaque fois sur ces sujets-là dans un cadre dégueulasse, alors que, pourtant, il y a le Conseil d’État français, pas une petite institution, qui dit qu’on peut mettre dans les appels d’offres des références au logiciel libre. Le logiciel libre ce n’est pas une technique, c’est une façon de faire des logiciels et tout le monde a le droit, y compris ceux qui font du logiciel propriétaire, de faire du logiciel libre. Il n’y a pas de choses qui sont partiales envers l’un ou envers l’autre. On n’a pas le droit de dire qu’on veut du Oracle dans un appel d’offres, ça c’est normal, mais on a le droit de dire qu’on veut une base de données libre, dans un appel d’offres, ça c’est logique. Et le Conseil d’État est d’accord. Donc tous les arguments qui, à chaque fois, ressortent, clairement ils sont mauvais, ils sont basés sur de mauvais principes, et le Syntec va dans ce sens-là à chaque fois quoi ! C’est très énervant !
Benjamin :
C’est du lobbying. On en revient toujours au même sujet. Et oui, le Conseil d’État, en France, a eu une décision assez intéressante à cet égard, où effectivement il explique qu’il n’y a pas de rupture de concurrence et donc c’est tout à fait réalisable. On a en Italie le Conseil Constitutionnel qui, pour les mêmes raisons en fait, le bienfait pour la concurrence, a mis une loi qui mettait dans l’ADN même, et on a eu, je crois que c’est aux États-Unis la Cour Suprême qui, de la même façon, a considéré que c’était bon pour la concurrence. Et là c’était un contexte un peu différent, ce sont les éditeurs propriétaires qui avaient eux considéré qu’il y avait une entente parce que les gens pouvaient faire de l’open source ensemble. La Cour Suprême a jugé que, au contraire, finalement cette réunion de plusieurs entreprises pour faire de l’open source c’est quelque chose qui était bon pour la concurrence et que ce n’était surtout pas à eux de sanctionner ça.
OliCat :
On a un peu dérivé, mais vas-y, tu peux conclure, si tu veux, sur le sujet. Tu as l’air intarissable !
Manu :
Oui, clairement, j’aime bien ! Il y a des choses que je trouve intéressantes qui ressortent de la consultation : Etalab, qu’on ne connaissait pas forcément beaucoup.
OliCat :
Est-ce que vous pouvez rappeler ce qu’est Etalab [19] parce que vous l’avez cité à plusieurs reprises.
Manu :
E, t, a, l, a, b, mais alors je ne sais plus si c’est c’est un acronyme.
OliCat :
Établissement ? Non ? Il n’y a pas d’acronyme derrière ?
Manu :
Je ne sais plus ce que c’est.
Benjamin :
C’est un laboratoire de l’État d’où Etalab.
Manu :
Ils regroupent pas mal de gens qui aiment bien le logiciel libre, en général. Et ils ont monté des travaux et ils ont monté un forum, « forum Etalab » [20], qui reprend une super brique de conversations qui permettent de mettre en avant des profils, des propositions, de voter pour ces propositions, avec des catégories, avec des filtrages. Donc c’est une tentative pour communiquer, en quelque sorte, avec les administrations et avec le gouvernement. Et ce forum Etalab c’est quelque chose que j’aime bien, qui ne marche pas encore assez, il faudrait qu’on en parle beaucoup plus. C’est une tentative, vraiment intéressante, et qui vient vraiment d’une administration, donc ce n’est pas quelque chose de partial, d’externe, de mené par des associations qui auraient des vocations un peu bizarres.
Benjamin :
C’est là où je reviens sur ce que je disais tout à l’heure. C’est-à-dire qu’au sein du gouvernement on a vraiment des personnes physiques qui veulent faire des choses très bien. Et là, ce forum, c’est l’une des initiatives. Il y en a d’autres en ce moment qui sont en train de se mettre en place, où quelqu’un s’est dit « tiens, ça serait bien que le gouvernement puisse avoir une plateforme dans laquelle les citoyens, directement, viendraient discuter, mais des sujets qu’ils ont envie d’évoquer eux-mêmes ». Donc c’est une démarche qui est complètement différente, mais ça a permis d’aborder, en fait, un nombre croissant de sujets, et je trouve ça génial. Il y a une plateforme qui a été ouverte il n’y a pas très longtemps, pareil, par des personnes au sein de l’État, qui s’appelle Ouvre-boîte [21], je crois, quelque chose comme ça, et qui permet de lister tous les logiciels qui sont au sein de l’État et qui, potentiellement, pourraient faire l’objet d’une demande gracieuse de mise à disposition.
OliCat :
D’ouverture.
Nicolas :
Et je trouve ça très bien. Ce sont des personnes physiques qui sont là. Etalab a la chance d’avoir plusieurs personnes physiques en son sein qui vont dans cette démarche-là. Il y a en a d’autres, dans d’autres ministères, dans l’administration. Ça c’est important et je pense que là, pour revenir sur le sujet de la loi consultation numérique, on est dans cette idée où finalement c’est un peu le citoyen qui se réveille, je dirais dans le fonctionnaire ou contractuel, peu importe la personne au sein du ministère, et ça c’est favorable aussi.
OliCat :
Lionel.
Lionel :
Il y a une chose que souvent on dit « le gouvernement ou l’État », mais en fait ce qu’on a bien vu dans ce processus-là de l’élaboration de la loi, c’est qu’en fait, ce n’est pas une entité unique. L’État c’est un truc hyper complexe avec beaucoup de pôles de pouvoir à l’intérieur. Etalab c’en est un qui est monté ces dernières années, qui a eu son importance, notamment sur tous les sujets open data. S’il y a un succès dans la loi c’est aussi parce que ça a été préparé. En fait il y a des lobbys internes à l’administration elle-même, qui portent des positions. Et il y a un lobby interne à l’État qui a eu un rôle très, très néfaste, c’est le ministère de la Culture.
OliCat :
Ah oui ?
Lionel :
On n’imagine pas à quel point le ministère de la Culture, sur ces sujets, dès qu’il y a quelque chose qui touche de près ou de loin au droit d’auteur, a une incidence. Par exemple, une des grosses déperditions qu’il y a eu entre le texte tel qu’il était sorti du CNNum et celui qui a été introduit sur la plateforme, ça a été des arbitrages interministériels qui ont tous été perdus par Axelle Lemaire face au ministère de la Culture. Et sur la liberté de panorama, par exemple, ça a été vraiment très, très pesant.
Manu :
Tu penses aussi aux directives qui viennent de l’Europe, qui sont sur le droit d’auteur et qui sont descendues à chaque fois par le ministère de la Culture français.
Lionel :
Tout à fait et qui, en fait, élabore toutes les positions françaises sur le sujet. Et là, comme ils se sont sentis aussi très contournés par la plateforme, ils ont bien fait en sorte de rattraper leur influence en interne. Et ça c’est difficile à percevoir pour nous aussi. Dans la machine d’État elle-même, il y a des jeux d’influence qu’on ne perçoit pas forcément.
Benjamin :
Et ça s’est fait par la force. Il n’y a pas eu d’argumentation. C’était vraiment par la force.
Nathalie :
Oui. D’ailleurs pour, justement, la liberté de panorama, une des énormes surprises, ça a été au niveau de l’Assemblée nationale, l’adoption en commission culture. Parce que la commission culture est directement aussi en lien avec le ministère de la Culture, etc., et ah, je ne sais plus son nom, le député qui s’occupait, Émeric Bréhier, était persuadé que ça ne passerait pas. Au niveau de l’audition il nous a dit : « Faites ce que voulez, mais de toute façon, au niveau de la commission culture, ça ne passera pas. Bonne chance pour votre campagne ! »
OliCat :
Merci !
Nathalie :
Campagne il y a eu et, du coup, il a été désavoué par sa propre commission. Donc pour nous ça a été une énorme victoire de voir arriver cette notion en commission des lois.
OliCat :
Bon alors on l’a vu, limites, avancées. On s’est plus concentrés sur les limites. Pour autant, est-ce qu’il faut être aussi rédhibitoire et considérer que cette consultation a été, comme on le disait au début, un simple habillage qui masque, qui a masqué, les jeux d’influence traditionnels ? En gros, est-ce qu’on peut essayer d’ouvrir sur du positif en termes d’actions retenues et d’immixtions, j’allais dire, de dynamiques qui demain vont permettre d’alimenter un terreau qui serait encore plus favorable, etc. ?
Nicolas :
En termes d’initiative gouvernement ouvert, de toutes façons je pense qu’il faut profiter des portes qui sont ouvertes et puis se mettre dans l’encadrement et empêcher de les refermer. Il y a beaucoup d’initiatives qui sont prises en se servant d’actes, de gimmicks de communication. De plus en plus maintenant, avec le sommet OGP à la fin de l’année, il faut en profiter, il y a plein de choses qui vont être ouvertes. On l’a vu il y a quelques années quand, par exemple, le Journal officiel a été ouvert, au début c’était quotidien (mensuel ?, NdT) et puis, petit à petit, les gens se sont rendu compte qu’il y avait des utilisateurs, donc ils ne pouvaient plus faire machine arrière, c’est devenu hebdomadaire, etc., et puis, petit à petit, maintenant, on a tous les Journaux officiels qui sont publiés. Je pense qu’il faut faire la même chose, il faut en profiter. Il faut que toutes les associations qui ont une force de frappe avec les citoyens qu’elles peuvent mobiliser derrière elles, qu’elles montrent bien ce qu’on peut faire avec ces éléments, ce qu’on peut faire avec des données ouvertes, ce qu’on peut avec des processus démocratiques ouverts, et se mettent dans l’encadrement de la porte et empêchent de les fermer.
OliCat :
Tu as parlé du sommet OGP.
Nicolas :
Oui. C’est le Partenariat pour un gouvernement ouvert [22], qui a lieu à la fin de l’année, et pour lequel il va y avoir beaucoup de choses intéressantes.
OliCat :
Nathalie.
Nathalie :
Il y a eu des propositions de ce groupe, enfin des différentes associations qui sont ici, puisqu’il y a tout un programme à construire. Benjamin et moi nous sommes, justement, dans le comité de choix du programme pour représenter la société civile. Là, par exemple, on a une réunion mardi prochain. Et il est question aussi de mettre en valeur des propositions de thématiques qui nous intéressent.
Nicolas :
Il y a eu beaucoup de propositions et notamment juste avant la clôture !
Lionel :
Moi ce que je trouve intéressant c’est l’idée que Benjamin a énoncée là, tout à l’heure, de se dire qu’il faudrait qu’il y ait une sorte de charte, quand même, sur ces processus consultatifs.
OliCat :
Mais qui serait portée par qui, du coup ?
Lionel :
Même peut-être juste entre nous quoi ! Par exemple se dire « non, nous ne participerons pas à un processus qui ne se fait pas sur une plateforme open source ». On pourrait se prendre, nous, des engagements aussi, tu vois !
Manu :
Ça ne va pas être facile, parce qu’ils partent de loin les gars.
Lionel :
Ou « nous ne participerons pas à un processus qui ne décrit pas clairement ce qui sera fait, comment les propositions seront analysées et ce qui sera fait en termes d’introduction dans le texte ». Je ne sais pas. On pourrait essayer de se fixer nous-mêmes des règles pour éviter de se retrouver après embarqués dans des choses qui mènent à ce type de déception à la fin. Je ne sais pas. Ça peut être une idée.
Benjamin :
Si,si, j’aime bien l’idée. Juste pour donner plus d’éléments sur la charte en question, donc qui a été initiée en janvier dans le cadre d’open démocratie. On a déjà pas mal avancé. L’objectif c’est d’avoir un référentiel, sur la base duquel, ensuite, chaque personne qui met en place une consultation puisse créer sa propre charte. Et d’avoir une logique, je dirais un peu à la Creative Commons avec des pictos, qui permet de dire, finalement je suis plus dans le vert sur tel sujet, dans le rouge sur tel autre et compagnie. Et donc de les alimenter eux, en termes d’éléments pour la charte et aussi pour la personne qui va intervenir, qui va participer, qu’elle ait confiance, ou pas, dans le processus. Mais après aller plus loin en disant « ça c’est l’outil qu’on vous met à disposition, qui permet, finalement, d’introduire une certaine confiance dans le processus ». Et de l’autre côté, nous aussi on considère qu’en deçà de tels engagements, on n’y répondrait pas. Ça aurait tout à fait du sens aussi.
OliCat :
Est-ce que ça ne peut pas se transformer en piège, ça ?
Benjamin :
De ne pas participer ?
OliCat :
Non ! Mais d’avoir une charte commune qui détermine le contexte dans lequel on interviendrait ou pas ? Et de se voir renvoyer en face « vous voyez, on veut qu’ils participent et, en fait, ils ne veulent pas ! »
Benjamin :
Peut-être. C’est une bonne remarque !
OliCat :
Non, je ne sais pas ! C’est ce que Lionel évoquait tout à l’heure, à savoir le piège de la consultation c’est aussi avoir un droit de critique, finalement, de fait, diminué. Là, le fait d’imposer un contexte qui soit technique, social, politique, autour de la participation de la société civile à une consultation numérique quelle qu’elle soit, peut aussi se renverser dans la communication gouvernementale comme « finalement ils font la politique de la chaise vide, ça ne les intéresse pas. On a essayé, ils ne veulent pas ! »
Benjamin :
D’accord. Oui ça c’est l’idée de faire du boycott, oui, peut-être !
OliCat :
Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire. Au contraire, moi je pense que c’est toujours bien de s’organiser et de savoir dans quelles conditions on est prêts à avancer avec ceux qui sont en face de nous, ou pas. Mais bon !
Benjamin :
Oui, tout à fait. En tout cas notre idée, c’est qu’il est plus simple, finalement, d’utiliser des outils qu’on a nous-mêmes faits, en tout cas de leur faire utiliser nos outils, que d’attendre qu’ils fassent quelque chose qui ressemblerait mais qui n’aurait pas la même saveur, ou qui ne serait pas ce qu’on aimerait voir appliqué.
OliCat :
Lionel allait même plus loin. Enfin il allait plus loin, Lionel, dans sa proposition, en fait. C’était sur la sienne que je rebondissais.
Benjamin :
Oui, tout à fait. J’ai bien compris. Et juste pour répondre à la question de tout à l’heure, moi, ma vision c’est que, finalement, on a eu de la chance que ça se fasse sur cette loi-là. C’est logique, finalement, que sur la loi République numérique, il y ait eu ce processus. Mais on a eu la chance de se former, je dirais de se mettre en ordre de marche, de commencer à collaborer entre nous, de réfléchir aux outils, de réfléchir aux méthodes dans cette loi-là. Parce qu’on aurait eu un tout autre sujet, on n’aurait été pas du tout pertinents sur le fond. Et là, à la fois on avait des choses à dire sur le fond et même sur le processus collaboratif, sur la méthode, on a des éléments qui, à mon avis, sont intéressants et qui peuvent aider, peut-être, dans le cas d’autres consultations. Ça c’est intéressant.
OliCat :
Ça c’est une des avancées finalement. Vous, en tant que représentants de la société civile, parce que vous maîtrisez ça, enfin ça relève de vos compétences, vous avez cette aptitude à pouvoir faire évoluer les processus demain. Si tant est qu’ils puissent être transmis à qui de droit, mais j’ai bien compris qu’à priori ça se faisait d’une manière ou d’une autre, auprès des gens qui vous sont favorables.
Pierre-Carl :
C’est vrai que je pense que c’est quand même un peu un acquis qu’on a eu à la fin de tout cet épisode. Parce que, au sein de SavoirsCom1, qui avait été créé juste après la présidentielle 2012, on a toujours couru un peu derrière les propositions qu’on nous faisait. Je pense que c’est à peu près le même vécu qu’on avait dans la plupart des associations, finalement. À chaque fois on nous convoque, consultation, venez, etc. Et les termes sont déjà définis, et à la fin on a l’impression qu’on a été pris en compte et finalement arbitrages, faits, machins, etc., deux pas en avant, trois pas en arrière.

Ce que je pense qui est intéressant aussi là, c’est que, avec la mise en place de cette consultation, je pense qu’on est un peu tous amenés, finalement, à prendre un peu du recul et du temps par rapport à tout ça. Je veux dire pas seulement réagir par rapport à, mais anticiper et co-construire déjà des choses dont on sait qu’elles vont être importantes plus tard, seulement on les aura déjà préparées en amont et on aura déjà construit un peu les termes, les cadres dans lesquels vont se penser les processus de plein de décisions de demain. Et donc, de fait, d’avoir, de récupérer, finalement, un temps d’avance que généralement ce sont toujours les lobbyistes qui l’ont. Ils connaissent toutes les choses avant nous, ils connaissent les cadres, etc.

OliCat :
Mais surtout ils n’ont pas besoin de s’inscrire dans la lenteur du processus, puisqu’ils débarquent en arrière cour.
Pierre-Carl :
Voilà ! Exactement. Ils débarquent à la fin, ils connaissent les réseaux.
OliCat :
Absolument !
Pierre-Carl :
Ils sont chez eux. La difficulté finalement qu’il y a c’est de justement, ne plus seulement se perdre dans cette jungle et ne plus seulement être happés par tout ça, mais de construire des choses. Et là je pense aussi à tout le mouvement des communs qui, finalement, a commencé à émerger, mème si les communs ne sont pas inscrits dans la loi. Donc il y a des chambres des communs qui construisent par exemple à Lille et autres, donc tout un mouvement qui se construit aussi. Et quand je vois aussi dans le mouvement open access, actuellement la grosse question c’est la gouvernance. Donc c’est clairement comment construire des organisations qui puissent résister à ce qu’on appelle les enclosures, donc le fait d’être appropriés par d’autres ? Par exemple, il y a la principale archive ouverte dans les sciences sociales qui s’appelle SSRM, qui a été récemment rachetée par le plus grand leader scientifique mondial qui s’appelle Elsevier. Comment on évite des choses comme ça ? Donc typiquement je pense que le temps tombe vraiment assez bien, finalement, de ce point de vue-là. À la fois cette consultation qui nous a permis de réfléchir en amont sur les processus. Le fait que jusqu’à la prochaine campagne présidentielle il ne passera plus rien, donc quelque part, de fait, on est un peu en vacances par rapport à tout ça et qu’on a le temps, la possibilité, l’envie, la motivation finalement, de se mettre à construire des choses qui échappent à cet impératif de temps et à ces cadres qui nous sont déjà imposés.
OliCat :
Un truc à ajouter Manu ? Toujours !
Manu :
Moi, oui, carrément. Je sais que c’est un processus qui est un peu cynique. Toute cette consultation qui a été faite à la société civile, c’est cynique. On se doutait que c’était un demo washing, nouveau, peut-être, dans un nouvel habillage, mais on savait bien qu’au final on allait être éjectés sur beaucoup de points. Mais ça n’empêche, je suis d’accord, il y a une porte ouverte, on s’inscrit dedans, on se pose et on évite, autant que possible, qu’elle se referme. Et en plus de ça c’est un processus où, eux-mêmes, ceux qui pensent que ça ne va pas servir à grand-chose, parfois ils se font avoir. Ils ne croient pas, en posant ce genre de débat, ce genre de mécanisme en place, ils ne croient pas forcément que ça va aboutir à grand-chose et c’est parfois le cas : deux pas en avant trois pas en arrière ! Oui, mais les deux pas en avant, parfois, ça permet de rompre un terrain. Et puis si on décide de rester en place et on refuse de reculer, dans la mesure où on peut, eh bien on laisse les portes ouvertes et ces portes on pourra les reprendre plus tard, on pourra se réinscrire sur un forum, forum Etalab, allez-y ! Inscrivez-vous ! Et peut-être qu’on va pouvoir vraiment construire, co-construire des choses. Il y a des choses intéressantes. Et même si là le Parlement, le gouvernement, ne peuvent plus faire grand-chose avant la prochaine législature, il y a des choses qui avancent. Il y a l’INRIA qui vient d’annoncer un repository de logiciels libres, énorme. Ça a fait le buzz dans le monde entier, parce qu’ils vont faire vraiment une bibliothèque gigantesque [23], de tous les logiciels libres, parce qu’ils peuvent le faire. Et c’est la France qui se met en avant là-dessus et c’est une administration française qui le fait. C’est quelque chose de super positif, c’est inattendu, on pourrait même le dire. Et ça donne des idées, c’est vraiment bien. Il y a des gens bien dans les administrations françaises, il faut les encourager et ils vont peut-être faire des choses super.
OliCat :
Peut-être qu’on peut en venir à la conclusion de chacune de vos structures. Donc on l’a vu, le discours n’est jamais, à part celui de Lionel, vraiment tranché. Vous concédez tous le manque d’organisation de la société civile, mais aussi l’apport de cette consultation qui vous aura permis d’imaginer des outils et de permettre demain que, pourquoi pas, ces outils soient utilisés dans le cadre de nouvelles consultations. Globalement, j’ai le sentiment que ça reste une expérience assez positive pour vous.
Lionel :
Moi je dirais que ça reste une expérience formatrice plus que positive. On a acquis un recul, une maturité peut-être, aussi, un peu plus forte que celle qu’on pouvait avoir. Donc oui, en ce sens-là, il y a du positif.
OliCat :
Un déclencheur, donc.
Lionel :
On parle beaucoup d’« encapacitation ».
OliCat :
Oui, absolument !
Lionel :
Ça a eu un rôle, quand même, de nous mettre plus en capacité d’intervenir dans les processus je pense. Donc si on essaie de mettre à part le côté « il ne faut pas être naïf ».
OliCat :
La déception, mais qui est évidente, je pense.
Lionel :
Il ne faut pas être naïf, il ne faut pas être non plus complètement négatif. On a fait un upgrade, on va dire. Et ça, il y a une manière, peut-être, d’appuyer là-dessus pour la suite. Comme tu disais aussi, la suite est lointaine, parce que maintenant, les prochains processus seront dans plusieurs mois voire années. Les enjeux en numérique vont se décaler au niveau européen où là, intervenir sur les processus c’est une autre paire de manches, plus complexe. Il faut construire d’autres alliances, aussi. Mais globalement, oui. Si on le prend juste du point de vue de la maturité de la société civile à intervenir, oui, je dirais que c’est positif.
OliCat :
Très bien. Merci Lionel. Nathalie.
Nathalie :
Tout à fait d’accord avec ce qui a été dit.
OliCat :
Oui, vous n’avez pas de bol !
Nathalie :
Effectivement les échéances, les nouvelles échéances en termes d’élaboration des lois sont plus lointaines et je pense qu’on a énormément à faire, énormément d’enjeux. Il y a des mesures qui sont passées au niveau de la loi création et autres, où il faut qu’on se mobilise. On a un gros planning de travail entre l’OGP et tout ce qu’on a à faire au niveau des campagnes de communication pour sensibiliser le grand public. Des événements qu’on peut préparer pour faire des coups médiatiques aussi, pour faire émerger tout ça, pour la prochaine fois, avoir suffisamment de cartes et de pression possible, finalement, sur les députés, les sénateurs, pour pouvoir faire entendre notre voix.
OliCat :
Mais en fait, ce que vous nous dites, toi et Lionel c’est que cette empowerment, cette « encapacitaion » c’est ça qu’on dirait ?, elle dépasse le simple cadre d’une consultation prochaine. C’est-à-dire que là, ce que vous êtes en train de nous dire, c’est que Axelle Lemaire, finalement, et Manuel Valls et Macron, avec ce dispositif, vous avaient mis des armes en main pour la suite ?
Nathalie :
Quelque part oui. Au-delà de l’affaire de la consultation, ce n’est pas vraiment le processus de la consultation qui a créé ça. C’est finalement, peut-être, le sentiment de rébellion.
OliCat :
J’entends Bien. Non, non, mais absolument, mais c’est très intéressant.
Nathalie :
Et c’est clair qu’on est beaucoup plus forts et armés et solidaires pour justement, maintenant, passer des prochaines étapes. Et on compte bien le faire de toutes façons. On a un planning en place.
OliCat :
Très bien. Qui prend la suite ? Ne vous battez pas les mecs ! Allez Benjamin, ta conclusion ?
Benjamin :
Ma conclusion est un peu la même. Je pense que c’était utile et ce que je disais tout à l’heure, c’est le bon contexte pour le faire pour nous et puis ça servira, j’espère, pour la suite. Je pense qu’un sujet, qui a été rapidement tout à l’heure évoqué, il y aura peut-être une prise en compte aussi de ces processus de consultation dans le gouvernement ouvert par le législateur, directement. Et ça, ce serait quelque chose d’intéressant et ça peut être en parallèle des processus des présentielles qui vont arriver. En tout cas c’est important que la société civile, en tout cas qu’on se saisisse de l’opportunité, qu’on fasse un maximum de propositions. Je suis naïf, mais dans l’idée où il faut construire et faire en sorte que les gens s’en servent. Donc ce que je demande vraiment, parce qu’on m’a posé plusieurs fois la question, au secteur public, en tout cas aux politiques, c’est d’être prescripteurs. D’utiliser ce qu’on leur demande d’utiliser, de le faire de la façon dont on leur propose de le faire et on verra. Si ça marche, on rentre dans une dynamique qui est hyper vertueuse. Si ça ne marche pas, on aura essayé, ça sera déjà une très bonne chose. En tout cas c’est ce sur quoi je passe beaucoup d’énergie en ce moment. Et je reviens sur ce que j’évoquais tout à l’heure, Open Democracy Now, il y a encore deux séances. La prochaine c’est en septembre, je n’ai plus le date en tête, mais c’est ce qu’on essaie de faire, à chaque fois, de ces deux jours de hackathon en présentiel, c’est de pousser ces sujets pour arriver, en fin d’année, donc en novembre il y a l’Open Source Summit [24], en décembre il y a l’OGP Summit, Sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert, il faut qu’à ce moment-là on ait tout en main pour qu’ils puissent l’utiliser tel quel. Et que la question ne soit plus, c’était la réponse qu’on avait faite à l’époque « oui, mais il n’y avait rien d’autre. Il n’avait pas d’autre solution que celle-ci, donc on a utilisé celle-ci ! » Ben non, maintenant, il y a d’autres solutions. Donc utilisez celle qui répond le mieux à l’outil qui doit être utilisé pour faire la consultation, la méthode qui correspond le mieux à ce qu’on souhaite, et ainsi de suite.
OliCat :
Nicolas.
Nicolas :
Oui, je suis tout à fait d’accord avec ce qui a été dit, bien sûr. Je pense qu’à une époque où on a une défiance ou, en tout cas, une crise de confiance envers le pouvoir, qui monte et qui monte, l’arrivée de ces outils peut avoir une force très importante auprès de la société civile, auprès des citoyens. Je pense qu’il faut vraiment que nous, en tant qu’associations, on se mobilise et qu’on mobilise les troupes derrière nous pour prendre la main sur ces outils. Regardez ce qu’on peut faire avec des outils que vous pouvez tous utiliser depuis chez vous. Il n’y a pas que les gros lobbys, avec plein d’argent et beaucoup d’influence économique, qui peuvent faire des choses. Et là, je mets un tout petit peu ma casquette Regards Citoyens de côté, et voir aussi ces mêmes outils au niveau européen. Il y a des outils, notamment, qui sont faits au sein de La Quadrature pour faire un petit peu le même travail au niveau européen, et voilà !
Manu :
Bon, pour terminer de mon côté, April. Je pense qu’il y a des choses qui évoluent dans le bon sens. Je me dis que ce sont des questions de génération de nos dirigeants. Il y une évolution dans leurs âges, dans leurs habitudes elles-mêmes. Si c’est Axelle Lemaire qui a proposé cette nouvelle façon de travailler c’est, peut-être aussi, parce qu’elle est un peu plus digital native, pour ce que ça veut dire. C’est une petite jeune qui utilise son téléphone portable plus qu’un François Hollande, un Jacques Chirac à son époque, qui utilisait un mulot. Et ces gens-là, ça leur paraît peut-être plus naturel de consulter de manière électronique, d’utiliser les retours, d’avoir une discussion et des mises en commun et d’avoir des processus qui sont ouverts. D’avoir vraiment des mécaniques où on est un peu plus à égalité les uns les autres.

On pourrait même se demander dans quelle mesure Axelle Lemaire n’est pas un peu énervée quand il y a les lobbyistes qui arrivent derrière, cette majorité économique qui pèse de tout son poids et qui, alors peut-être pas par elle, peut-être que c’est Macron qui est au-dessus, ou Valls, encore au-dessus, a dit : « Vous prenez en compte ce qu’ils vous disent ! » On peut peut-être supposer que ça les embête que ces gros acteurs arrivent de tout leur poids et leur disent : « Attendez, là, si vous ne faites pas ce que je vous dis, la grosse usine, mon gros centre Amazon qui fait du tri et qui emploie mille personnes, je ne vais pas le mettre chez vous. Je vais le mettre chez votre voisin de droite ! », et vice-versa, quand la législature passera à droite. Et à chaque fois, on a l’impression qu’il y a un petit embarras. Et je pense qu’il y a une vraie évolution sur nos dirigeants et à chaque fois, ces évolutions, ça prend une génération. Il faut changer le personnel politique, tout comme les interlocuteurs en face. Et avec des nouveaux interlocuteurs, il y a de nouvelles pratiques, des nouvelles habitudes et justement des habitudes d’ouverture et de consultation.

OliCat :
Pierre-Carl.
Pierre-Carl :
J’ai déjà à peu près fait ma conclusion, finalement.
OliCat :
Ouais, c’est vrai.
Pierre-Carl :
Mais je pense que c’est vrai, ce qui est aussi un peu frustrant finalement, c’est le temps que ça prend, en fait. C’est-à-dire que lorsque il y a eu la présidentielle avec François Hollande, initialement, une des propositions, c’était quand même de réfléchir à la mise en place d’une licence globale. C’était pour dire à quel point on en est loin.
Plusieurs voix ensemble :
C’était bien !
Pierre-Carl :
Voilà ! Et donc déjà la loi sur la République numérique qui a été initialement envisagée avec les communs et le panorama, c’est déjà une régulation par rapport à ça. C’est vrai que tout ça c’est quand même très, très, très long, et je pense qu’avec la nouvelle élection présidentielle on aura à nouveau ce même type de proposition, mirifique, et qui, finalement, n’aboutit à rien.

Je pense qu’effectivement ce qui est assez frustrant c’est aussi pour notre motivation nous-mêmes, en fait. C’est-à-dire de se dire à chaque fois il faut repartir au turbin, etc. Par exemple la liberté de panorama, je me souviens, à l’époque où j’étais plutôt casquette Wikipédia, donc j’étais administrateur de la communauté, j’avais suivi ça de très près. En 2011 on avait déjà tenté de faire passer un amendement tard le soir et ainsi de suite, qui avait évidemment raté. Donc ça fait déjà cinq ans. Donc à nouveau, c’est vrai que ce sont des choses, mais en même temps, finalement, le fait de positionner des choses politiquement, même si ça rate, c’est aussi une autre forme de communication. C’est aussi une manière de poser le sujet, de l’imposer, de le faire circuler. On voit aussi une qualité des débats dans la loi, finalement c’est enfin quelque chose de positif qui prépare, potentiellement, des choses plus développées à l’avenir. Donc, je pense qu’effectivement à la fois c’est décevant et je pense que c’est à la limite nos organisations qui fonctionnent quand même beaucoup à la motivation aussi. Comme on n’est pas payés, ni rien, quelque part la déception on la prend vraiment en soi. Et donc, je pense que oui, là ça va être important pour nous de repartir sur du positif, sur du concret, sur des nouvelles choses, justement parce que de toutes façons on est contraints de tout arrêter vu qu’il n’y aura plus de nouvelle loi avant deux/trois ans voire, carrément c’est passé au niveau européen. Donc pour bâtir des choses et construire de nouvelles structures, de nouveaux outils, un nouveau discours aussi. Parce que je pense que le discours joue vraiment un rôle très important, le fait de construire un discours positif. Sur le text mining par exemple, qui était un sujet qui était complètement déserté par l’industrie de la culture, l’industrie scientifique, qui n’ont pas réussi à construire un contre discours efficace, le seul qui a été audible c’est celui que les comités scientifiques ont réussi à créer. Et donc je pense qu’il y a des choses importantes à développer aussi là-dessus. Mais ça, à nouveau, ce sont des choses qui seront sur le temps long, et c’est frustrant, et en même temps ça doit quand même se faire
OliCat : Et puis on l’a bien vu. Vous, vous avez su vous mobiliser en tant que représentants de la société civile. Vous vous êtes même « encapacités », OK, et prêts pour de nouveaux combats. Le prochain défi ça va être tous ceux qui ne font pas partie de vos organisations et qui ne sont pas ceux qui vous suivent et qu’il va falloir convaincre. Je parle des citoyens de base et on revient à cette idée d’une éducation populaire à la participation citoyenne, qui ne va pas de soi, évidemment.
Merci à tous d’avoir participé à ce débat. Je remercie tout particulièrement Lionel de l’avoir initié et de vous avoir réunis autour de cette table. L’émission sera, puisqu’on n’arrête pas de le demander sur le chat, sera évidemment disponible comme toutes les autres en podcast sur le site de Libre@Toi*. Et puis, eh bien, bon week-end, il fait beau, profitez-en ! À bientôt.
Plusieurs voix ensemble : Merci.
OliCat : Merci à vous.
Applaudissements
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