Informations
- Titre : Émission sur Tafta
- Intervenantes :Jeanne Tadeusz et Lucile Falgueyrac
- Date : juillet 2014 lors des rmll
- Durée :30min
- Média : Tafta par Jeanne Tadeusz et Lucile Falgueyrac
Transcription
- Quesh
- : Bonjour, bonsoir. On est soit en direct soit en podcast. On est avec Luc Fievet, c’est bien ça ?
- Luc
- : Oui.
- Quesh
- : Et donc avec ?
- Manu
- : Manu, Echarp.
- Quesh
- : Manu, Echarp, voilà. On est aussi avec Jeanne.
- Jeanne
- : De l’April, oui, toujours.
- Quesh
- : De l’April. Et Lucile
- Lucile
- : C’est ça, qui travaille avec plusieurs organisations
- Quesh
- : D’accord.
- Luc
- : Lesquelles ?
- Lucile
- : C’est un peu compliqué, mais ce sont plusieurs organisations françaises et allemandes qui travaillent sur la politique commerciale.
- Quesh
- : D’accord. On est là pour parler de, en gros, de TAFTA. Tu veux nous en parler ?
- Manu
- : TAFTA, ça veut dire quoi ?
- Lucile
- : TAFTA, ça veut dire Transatlantic Free Trade Area, ce qui est la zone transatlantique de libre échange. C’est l’équivalent de l’ALÉNA, qui est la même chose entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Cette fois-ci, c’est entre l’Union Européenne et les États-Unis.
- Luc
- : Donc c’est un super truc !
- Lucile
- : C’est la plus grande zone de libre échange du monde.
- Luc
- : C’est génial !
- Lucile
- : Ah oui, c’est magnifique on va voir à quel point c’est super bénéfique !
- Manu
- : Il y a plusieurs noms aussi, puisqu’ils ont changé le nom comme TAFTA pose problème, non ?
- Lucile
- : C’est ça. Donc ils l’ont renommé en TTIP qui est Transatlantic Trade and Investment Partnership, qui est le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Son nom essaye de rendre plus importante la question des investissements et la protection des investissements. On va en parler. Ce n’est pas du tout anodin ce changement de nom. Je pense que ce n’est pas que du maquillage pour qu’on n’ait pas le son de TAFTA qui rappelle trop
- Luc
- : ACTA ?
- Lucile
- : ACTA et NAFTA qui est ce fameux ALÉNA, mais en anglais. Je pense qu’il y a quand même des choses importantes dans ce changement et cette importance donnée aux investissements dans ce changement.
- Quesh
- : Et donc Jeanne tu es là pour nous parler de ?
- Jeanne
- : De TAFTA également, un petit peu, parce que c’est effectivement un dossier extrêmement important pour tous les acteurs du Logiciel Libre, mais pas que. Mais aussi de dossiers français comme notamment l’Open Bar Microsoft Défense et un peu de DRM.
- Quesh
- : On a la totale. On a vu plusieurs choses lors des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre. On a vu qu’il y avait des logiciels libres, mais il n’y avait pas que. Là on parle carrément de liberté, c’est à l’état pur quoi ! TAFTA tu peux nous en dire plus ?
- Lucile
- : En quelques mots c’est une négociation qui a commencé depuis un an, à peu près. Qui est en préparation depuis dix ans. Qui est une priorité à la fois de l’Union Européenne et du gouvernement américain, ça a été clairement dit. C’est une priorité pour toutes les institutions européennes et les états membres de l’Union Européenne ont donné mandat à la Commission Européenne pour qu’elle négocie ce traité, dans le plus grand secret, comme d’habitude. Donc c’est très difficile de savoir ce qui se passe. On utilise des fuites, donc des leaks. Il y en a régulièrement, ce qui veut dire qu’on a encore des copains dans les institutions, ce qui est bien.
- Quesh
- : Justement, ce côté secret, quand on regarde le truc de loin, ce qui mon cas, on a l’impression finalement qu’on dit « TAFTA ce n’est pas bien ! » Et on dit « Et pourquoi ? » et tu dis « En fait on ne sait pas ».
- Lucile
- : Il y a des choses qu’on sait. Par exemple, il y a eu un certain nombre de ce qu’on appelle des positions papers, qui sont des papiers où les négociateurs disent ce qu’ils ont l’intention de négocier. Il y a aussi un travail fort qui est fait de regarder ce que les différents lobbies attendent de TAFTA et il y a les déclarations diverses et variées, et il y a aussi, bien entendu, l’observation des différents traités, avant, qu’on peut voir et donc quels intérêts et quelles idées gouvernent ces négociations. Ça n’augure rien de bon !
Dans notre cas les États-Unis négocient en même temps le TPP, qui est le Trans Pacific Partnership, entre différents pays du Pacifique et ces négociations sont bien plus avancées, on a eu plus de fuites, plus de leaks. Et, si on imagine que ces positions sont ce que les États-Unis aimeraient bien, les États-Unis et d’une manière générale, ce qui est éventuellement attendu dans ces accords, on va en parler, mais il faut vraiment se mobiliser.
- Quesh
- : D’accord. Et d’un point de vue Logiciel Libre, parce que c’est quand même le sujet qui nous intéresse ici aux RMLL, quelles sont les conséquences ?
- Jeanne
- : D’un point de vue Logiciel Libre, comme vient d’être très justement dit, c’est difficile de dire précisément, parce qu’on n’a pas toutes les clefs en main ; finalement on a des fuites, des leaks qui nous permettent d’avoir une idée. Après, ce qu’on peut dire clairement, c’est qu’il y a une logique qui est à l’œuvre, qui est extrêmement nocive, qui est celle qu’on a pu avoir dans ACTA, qui est finalement la sacralisation du droit d’auteur et l’impossibilité de revenir en arrière sur tout un tas de législations qui nous posent déjà problème. L’exemple type ça va être sur les DRM ou ça va être encore sur le brevet logiciel. Quand on voit la différence de la position entre l’Europe et les États-Unis, le fait d’unifier la zone de libre-échange, et donc de pouvoir avoir des investisseurs américains qui, pour faire court, demandent à avoir les mêmes brevets en Europe que ceux qu’ils ont aux États-Unis, on peut bien imaginer les dangers que ça représente notamment pour tout le Logiciel Libre et tout l’écosystème qu’on a aujourd’hui en Europe.
- Lucile
- : Pour donner un peu de contexte, et je suis complètement d’accord avec ce que je dit Jeanne, TAFTA a plusieurs objectifs, TAFTA que nous on appelle TTIP, donc avec le investissement au milieu, donc TAFTA a plusieurs objectifs. Le premier c’est quand même de protéger les investissements, c’est ça qui a été dit et un deuxième objectif très important, c’est d’harmoniser les normes entre les États-Unis et l’Europe puisque les barrières douanières sont actuellement finalement très basses et que, ce qui d’après les négociateurs empêche le commerce transatlantique ou le rend plus difficile, ce sont ces différences de normes. Par normes on peut dire les différences de boulons ou de prises ou des choses comme ça qui ne sont finalement pas très intéressantes pour nous, on peut aussi parler de tout ce qui est important, ça va de l’écologie à l’alimentation, à bien sûr, les brevets. On peut tout imaginer là-dedans.
- Luc
- : Les normes sociales aussi ?
- Lucile
- : Les normes sociales aussi. Et c’est pour ça que les syndicats dans plusieurs parties de l’Europe, pas trop en France, mais dans plusieurs autres pays européens, commencent à très sérieusement se mobiliser contre TAFTA. On pourra peut-être ne parler plus tard. Mais c’était juste pour donner un peu de contexte.
- Jeanne
- : Tout à fait. Et juste pour compléter là-dessus, il faut bien voir que sur des textes TAFTA ou TTIP, on n’est pas les seuls, loin de là. On travaille aussi énormément avec tout un tas de collectifs de la société civile, qui travaillent sur des sujets aussi différents, donc les syndicats comme vient de le dire Lucile, mais aussi sur les semences, par exemple, sur les médicaments, des associations comme Act-Up sont très présentes, Médecins sans frontières. Il y a vraiment un regroupement, une forme de convergence là-dessus en terme de protection des droits, en terme de liberté aussi, individuelle, qui est réelle, parce que c’est clairement un danger qui est hyper important évidemment pour le Logiciel Libre, mais qui nous concerne évidemment tous aussi en tant que citoyens
- Lucile
- : Ce qui pose problème dans TAFTA, c’est que ça change profondément la façon dont on va pouvoir faire des politiques publiques ou modifier des politiques publiques. On pourra en reparle r encore une fois. Mais il y a plusieurs mécanismes dans TAFTA soit qui inscrivent des principes dans un texte qui est presque impossible à réformer : je vais citer par exemple le principe de libre flux de données. C’est un principe qui est présent dans un des leaks sur le chapitre e-commerce. C’est le chapitre e-commerce d’un autre traité qui est CETA, tout se complique.
CETA c’est le cheval de Troie de TAFTA. C’est son petit frère. C’est le même accord qui est en train d’être négocié avec le Canada et qui est nettement plus avancé au niveau des négociations également, qui était censé être signé, la date de signature n’arrête pas d’avancer parce que la pression que met le public du fait de TAFTA rend la conclusion de l’accord plus compliquée. Bon bref ! On pense que CETA va être utilisé comme un texte de base pour TAFTA, et le chapitre e-commerce de CETA a fuité, et dedans il y a la reconnaissance de ce principe de liberté de circulation des flux de données. Et c’est un principe qui va être dans les traités internationaux qui vont être extrêmement durs à reformer et il y a parfois des exceptions, etc, mais ça met quand même en droit international des principes que nous on trouve très problématiques et qui vont nous poser des problèmes quand on va vouloir reformer ces domaines. C’est aussi le cas dans les chapitres propriété intellectuelle, etc. Quand on nous dit qu’on veut réformer le copyright et qu’on nous dit toujours « Non mais il y a TRIPS là, les ADPIC, ces accords de l’Organisation Mondiale du Commerce sur la propriété intellectuelle, qui mettent un socle minima de protection de la propriété intellectuelle et donc du coup qui rendent des réformes en profondeur, par exemple du copyright, beaucoup plus difficiles. Et là, avec TAFTA, sur un certain nombre de sujets très nombreux, on va vers ce genre de choses, c’est-à-dire des principes qui fixent des situations compliquées qu’on a maintenant.
Quesh : Une des situations, pour prendre un exemple, une des situations, ça serait, j’ai des informations privées, j’ai mes données personnelles, comme il y a libre circulation de données, elles peuvent se retrouver n’importe où, en tous les cas dans cette zone.
Lucile : La protection des données, c’est très compliqué. Personne n’est vraiment d’accord sur les définitions, etc. Il y a un gros travail qui est en train d’être fait en Europe là-dessus, je ne sais pas si tu es au courant, avec la directive de protection des données actuellement en négociation, enfin en discussion au niveau des institutions.
Il y a la différence entre les données privées et les autres. C’est très compliqué, ce n’est pas mon sujet, en plus, donc je ne vais pas m’étendre là-dessus, et donc dans le chapitre e-commerce de CETA, ils ne parlent pas de données privées, mais ils parlent de données en général, et il disent on peut faire des exceptions qui sont raisonnables, etc, pour la protection de la vie privée. Sauf que qui va juger de ça ? Ce sont les spécialistes du commerce, de l’investissement, etc, et pas des spécialistes des droits de l’Homme.
- Luc
- : On va là retrouver là des trucs, enfin des notions de juridiction spécialisée, un petit peu comme on avait, donc TAFTA, ou des trucs qui ont été mentionnés, je crois, sur le brevet unitaire en Europe ?
- Jeanne
- : Tout à fait et c’est finalement le deuxième problème. Le premier problème comme l’a dit très justement Lucile, c’est qu’on a un accord international qui dit quelque chose donc on ne peut plus revenir au niveau national ou européen dessus parce qu’il y a un accord qui finalement prime.
- Echarp
- : Qui verrouille, carrément.
- Jeanne
- : Qui verrouille. Et l’exemple ce sont les DRM. Quand on voudrait faire des choses sur les DRM, pourquoi pas interdire les DRM, ou au moins les limier, on nous répond systématiquement que non ce n’est pas possible puisque c’est dans les accords internationaux justement de l’OMC, de l’ EPI pardon, mais on a vraiment cet aspect-là qui va être présent. Et la deuxième étape, qui se rajoute avec TAFTA ou le TTIP, c’est la mise en place de juridictions spécialisées, qui pourront simplement être saisies par les investisseurs étrangers. Donc on a quand même une forme d’injustice parce que, que ce soit les investisseurs nationaux, ou que que ce soit les citoyens éventuellement regroupés en collectifs, n’auront aucune prise sur ces juridictions-là, qui pourront assigner les états en justice, s’ils considèrent que la législation leur porte préjudice en fonction de l’accord.
- Luc
- : Alors que la législation c’est justement par définition fait à pour porter préjudice à des intérêts privés. C’est l’idée.
- Lucile
- : En fait dans ces accords, ces tribunaux en effet seront des tribunaux qui ne sont pas des tribunaux, ce sont des cours d’arbitrage, qui sont ad hoc, qui sont faites par des juges qui sont des juges « for profit », des juges à but lucratif, voilà, qui n’ont pas de salaire et qui donc gagnent de l’argent en faisant ces arbitrages. Ces arbitrages sont uniquement accessibles donc aux investisseurs étrangers, comme l’a dit Jeanne, et c’est en cas d’attaque d’un état sur les investissements d’un investisseur étranger. Toute la question est qu’est-ce que c’est qu’un investissement ? Qu’est-ce que c’est qu’un investisseur ? Est-ce que faire de la spéculation sur la dette d’un pays c’est un investissement ? Est-ce que etc, etc ?
- Echarp
- : Ça voudrait dire que si moi je suis un pays, je vote une loi qui embête un investissement d’une société, même si c’est quelque chose pour protéger mes citoyens, eh bien je peux me retrouver devant cette cour, avec des juges payés ? Pour venir me gronder ?
- Jeanne
- : Absolument. Aujourd’hui ça veut dire que si tu es Monsanto et que tu n’aimes pas la législation de la France contre les OGM, tu pourrais potentiellement aller attaquer la France devant cette cour en disant qu’ils viennent te pénaliser.
- Lucile
- : En cas de nouvelle législation !
- Jeanne
- : En cas de nouvelle législation, ça pourrait vouloir dire ce qu’il y a dans le texte de l’accord, texte qu’on ne connaît pas.
- Echarp
- : J’ai cru que comprendre que l’Allemagne par exemple avait déjà ce genre de chose qui était en place et qu’ils avaient des problèmes leur interdiction du nucléaire avec je ne sais plus quelle société.
- Lucile
- : Vattenfall, les Suédois. En fait on en a tous. L’Europe, je ne me souviens plus du chiffre exact, mais a des milliers d’accords. Cette protection des investisseurs qui est assurée via des recours à ces cours d’arbitrage, c’est une disposition qui est présente dans les accords internationaux signés par tous les pays, depuis longtemps. Je crois que le premier était en 54 entre l’Allemagne et le Pakistan, enfin peu importe, donc c’est quelque chose d’assez courant. Et ce qui est très important à regarder, c’est que le nombre de cas explose ces derniers temps, alors que le nombre d’accords signés n’explose pas, parce que les investisseurs ont compris que c’était génial ce truc et aussi parce qu’il y a une véritable industrie de l’arbitrage privé qui s’est développée et qui pousse les investisseurs à attaquer, ou à juste menacer les états d’attaques, pour que ces états ne légifèrent pas sur un certain nombre de choses qui seraient contraires aux intérêt des investisseurs étrangers.
- Jeanne
- : Absolument. Et ce qu’il faut bien voir c’est que c’est en fait une manière de pervertir complètement ce qui était le but original de ces tribunaux d’arbitrage, ou de ces juges, de ces arbitres, finalement payés. Parce que la logique au départ c’était principalement pour les accords notamment avec les pays qui n’avaient pas forcément un système judiciaire ou un gouvernement réellement stable. On cite l’exemple des accords avec le Pakistan en 54, on est quand même dans une situation où le Pakistan en 1954, c’est le moment de l’indépendance, ce n’est quand même pas simple. Et donc l’idée c’est de pouvoir protéger les investisseurs qui veulent quand même investir dans ce pays, et finalement pour aider le pays, en leur assurant qu’ils auraient une forme de recours à une justice équitable s’ils ont une expropriation trop violente. C’était ça la logique de départ.
Sauf qu’aujourd’hui la définition de ce qu’est un investisseur, la définition de ce que c’est qu’une expropriation s’élargit énormément, c’est notamment le cas de tout ce qu’on appelle les expropriations indirectes, c’est-à-dire qu’on ne va pas directement prendre les biens d’une entreprise, mais on va mettre une législation qui la désavantage, par exemple, parce qu’elle ne répond pas à certaines normes de sécurité. Ça peut être quelque chose comme ça qui peut être considéré comme une expropriation indirecte et donc être sanctionné par ces juges qui, une fois de plus, sont des juges à but lucratif, donc plus ils ont d’affaires plus ils sont contents.
- Lucile
- : Exactement. Donc ça, mais ça pousse le développement de ce système et l’interprétation qui est donnée au traité est aussi élargie au fur et à mesure, énormément. Donc des choses que les états ont signées en pensant que ça allait protéger les investisseurs, etc, deviennent des monstres terribles avec des cas. Tu parlais de l’Allemagne tout à l’heure, il y a deux cas avec Vattenfall et l’état allemand. Il y a un cas où ce n’est pas l’état allemand qui a été attaqué par Vattenfall, mais c’est Hambourg qui avait passé...
- Luc
- : Un Länder ?
- Lucile
- : Voilà, qui avait passé une régulation sur les taux d’émission de matières toxiques dans la rivière et ils se sont fait attaqués parce que, soi-disant, ces normes rendaient l’investissement de Vattenfall, de son usine qui rejetait des substances toxiques dans la rivière, mettait l’investissement en danger. Et donc du coup au lieu de trouver une solution à l’amiable, etc, ou de faire quelque chose, je ne sais pas, Vattenfall a attaqué la ville de Hambourg. La ville de Hambourg s’est dit on ne peut pas se permettre, parce que ce sont des millions et des millions, ce sont des millions en frais de justice et ce sont des dizaines voire centaines de millions, voire plus en dommages à donner.
- Luc
- : Et c’est risqué parce qu’on ne peut pas savoir à l’avance si on va gagner ou on va devoir les payer.
- Lucile
- : Effectivement, il y a une insécurité juridique énorme et donc la ville de Hambourg a dit OK, on fait un accord à l’amiable, on baisse les seuils, donc on protège moins nos populations, et on vous paie. Voilà. Donc catastrophe totale. Ça c’est une situation qui arrive régulièrement et c’est pour ça, souvent on nous dit oui,mais en général, les investisseurs qui portent des demandes qui sont disproportionnées, ils n’arrivent pas à leurs fins, ils vont perdre au tribunal. Déjà c’est faux et en plus, rien que l’effet (ou les faits) de menace est déjà un problème énorme.
La deuxième chose c’est en effet au niveau du nucléaire. Vattenfall qui demande trois milliards sept à l’Allemagne pour l’arrêt du nucléaire qui a été prévu. Les gens qui ont regardé vraiment l’historique de ce cas, disent qu’en effet, il y a des choses qui auraient pu être mieux faites dans le processus, mais que c’est complètement disproportionné ce que Vattenfall demande, et ils peuvent le faire parce que ce système est complètement pourri jusqu’à la moelle.
- Jeanne
- : Et c’est clairement le danger de juridictions spécialisées en terme de la sécurité juridique. Pour prendre une comparaison aussi avec des choses qu’on connaît déjà, c’est le système des brevets aux États-Unis, qui est exemple classique là-dessus.
- Luc
- : Pour le coup, sur les brevets aux États-Unis, on a l’impression qu’ils sont en train de faire marche arrière. Non ?
- Jeanne
- : Oui, alors juste pour rappeler à tout le monde le système des brevets aux États-Unis, en fait les brevets sont délivrés de manière classique par un office des brevets, qui est un office à but lucratif c’est-à-dire qu’il se rémunère sur les brevets qu’il fournit, donc qui a tendance à donner beaucoup de brevets. Et ensuite les affaires sont jugées par une cour spécialisée, cour spécialisée qui gagne de l’importance et qui est déjà staffée par des gens qui sont dans le microcosme des brevets, qui sont son avocat et ainsi de suite et qui ensuite ont un tropisme très fort en faveur des brevets.
Donc aux États-Unis, au départ, les brevets logiciels étaient extrêmement limités, l’interprétation de la cour s’est élargie dans les années quatre-vingt, élargie, élargie pour voir des choses complètement abstraites et complètement folles qu’on a pu voir ces dernières années dans toutes les batailles des brevets : Apple contre Samsung entre autres, mais plein d’autres, les brevets sur l’achat en un clic d’Amazon, enfin il y en a beaucoup dans ce style-là. Et à chaque fois les brevets passaient parce que la cour spécialisée avait tendance a, dès que c’était un peu nouveau, ça suffisait pour accorder un brevet.
Sauf que l’avantage qu’ont les États-Unis et que nous, on n’aura pas, que ce soit dans le cadre du brevet unitaire ou que ce soit dans le cadre des accords type TAFTA, c’est que eux, ils ont la Cour suprême qui tranche en dernier recours. La Cour suprême, qui est une vraie juridiction, qui est indépendante, a repris le dossier, a réellement repris le dossier, a rendu tout récemment là, il n’y a même pas deux semaines, une décision qui était très attendue, pour dire ce qui était brevetable ou ce qui ne l’était pas en terme de logiciels. Alors ce n’est pas une décision, on va dire, qui va interdire les brevets logiciels, mais qui va en interdire 90 %, je pense, et notamment tous les plus nocifs, tous les plus, je ne sais.
- Echarp
- : Et qui remet en cause la base même de cette notion de brevet, brevetabilité.
- Jeanne
- : Oui, c’est ça. Qui remet en cause la manière dont c’était analysé en disant que c’est nouveau, c’est brevetable. Elle dit que non, non, c’est nouveau et il faut qu’il y ait un effet technique et l’effet technique ce n’est pas juste que ce soit sur un ordinateur. Ça veut dire qu’il faut que ça améliore directement la technique. Donc tous les brevets qu’on a pu voir, voilà, c’était l’achat en un clic, il y en a plein d’autres de ce type-là, eh bien tous ces brevets sont...
- Echarp
- : Et puis les brevets sur les méthodes. Un acte chirurgical peut être breveté aux États-Unis ou pouvait l’être.
- Jeanne
- : Et là c’est extrêmement limité, parce que si c’est un algorithme, un algorithme n’est plus brevetable en tant que tel.
- Echarp
- : Tant que les juges le comprennent. Il y a peut-être des limites sur, justement, la manière dont ils ont jugé, si j’ai bien compris. Ils n’ont pas vraiment bien défini la brevetabilité, mais ils l’ont restreinte.
- Jeanne
- : Ils ont considéré que ce n’était pas leur rôle de définir très précisément. Après ils ont énormément restreint et c’est finalement une claque, quand même monstrueuse, qui a été faite à l’office des brevets aux États-Unis et aux cours spécialisées, en disant vous êtes allés beaucoup trop loin dans l’interprétation de l’ancienne décision qui avait un peu ouvert la porte dans les années quatre-vingt. Ce n’est pas du tout ça qu’on voulait dire. On voulait juste dire qu’il faut finalement limiter la brevetabilité à ce qui est réellement quelque chose de technique.
- Luc
- : Ce que tu disais que la Cour suprême est indépendante, mais est-ce qu’il n’y a pas quand même un phénomène très politique parce qu’on a vu dans la presse les réactions de Obama notamment, il y a à peu six mois, six mois un an, où déjà il y avait des trucs avec des voix plutôt politiques qui étaient en train de dire il va falloir calmer le jeu sur les brevets logiciels.
- Echarp
- : Ça leur coûtait cher !
- Lucile
- : Je pense que dans ce cas-là, ce qui est le plus important, ce n’est pas vraiment de décider si la cour est indépendante ou pas, ça je crois que c’est une question très compliquée, ce qui est important, c’est que c’est une cour généraliste. C’est-à-dire c’est une cour qui n’est pas spécialisée dans les brevets. C’est une cour qui pense que les droits de l’Homme, les intérêts économiques divers et variés ou le droit, enfin peu importe, que tous les domaines sont égaux en fait. Donc c’est une cour qui est capable de mettre fin à des abus d’une partie du droit qui devient complément disproportionnée, parce qu’elle est généraliste.
- Luc
- : On a quand même eu des réactions politiques il y a six mois environ, six mois un an, qui disaient : les brevets logiciels ça va trop loin, et bizarrement, tu vois, on a une réponse de la Cour suprême qui va dans ce sens-là.
- Jeanne
- : Mais la Cour suprême a aussi décidé il y a un an de se saisir de cette affaire, donc c’est aussi un choix juridique en voyant ce qui se passait, je pense.
- Echarp
- : Il y a eut-être une convergence de la société en générale qui pousse à changer un petit peu la donne.
- Lucile
- : C’est l’idée du droit qui s’adapte à la société. Comment est fait le droit, c’est toujours la résonance de mouvements qui se passent dans la société. Mais quand même pour rebondir là-dessus parce que c’est quand même magnifique, ces fameux règlements des différends investisseurs - états dont on parlait avant, un tribunal d’arbitrage composé donc de trois personnes, qui ne sortent de nulle part, qui sont à but lucratif, etc, peut tout à fait condamner, ou en tout cas condamner un état à verser des dommages immenses pour une décision d’une Cour suprême. Et ça a déjà été le cas, ça a déjà été le cas avec l’Équateur. Occidental qui est une compagnie pétrolière américaine, qui a eu un procès qui a duré des dizaines d’années avec l’Équateur sur la dépollution des terres autochtones, non ce n’est pas autochtones.
- Luc
- : Indigènes.
- Lucile
- : Indigènes, oui enfin bon, des terres des natifs, donc des Indiens, donc Occidental a complètement pollué, détruit des terres ancestrales de ces peuples. Après des années et des années de combats juridiques dans les cours équatoriennes ils ont été forcés de payer la décontamination des sols, etc, ils ont refusé de payer, l’état équatorien a saisi leurs propriétés, partout, pour faire appliquer la décision de justice et Occidental s’est retourné vers une cour d’arbitrage.
- Echarp
- : Expropriation.
- Lucile
- : Expropriation, etc, exactement, qui pense non justifiée et ce cas est terminé et c’est la plus forte somme qui n’a jamais été imposée à un état et qui est je crois de un milliard sept d’équivalents de dollars ou d’euros, je ne sais plus de tête, imposée à l’Équateur.
- Echarp
- : Qui n’est pas un gros pays
- Lucile
- : Qui est un petit pays avec un seuil de pauvreté, enfin avec un taux de pauvreté très important. Ces tribunaux ne regardent pas si la décision de l’état est juste ou pas juste, ils regardent si la décision de l’état nuit aux investissements, et c’est ça le
- Luc
- : C’est fou parce que le principe d’arbitrer entre des intérêts publics et des intérêts privés, c’est nécessairement de nuire à des intérêts d’investissements, enfin on peut imaginer.
- Jeanne
- : Sauf que là, non, c’est l’inverse. Avec tous ces textes
- Luc
- : Non, mais du point de vue de l’état et de la justice. C’est-à-dire que quand tu tranches, nécessairement c’est en défaveur de quelqu’un. Mais là si tu dis que tu es là pour défendre les investissements. Si moi j’investis pour l’exploitation de Manu comme esclave !
- Echarp
- : Super !
- Luc
- : Voilà j’ai fait un investissement et si on va contre mon investissement.
- Lucile
- : C’est pour ça que ces traités, les états les signent en se disant bon, ça va aider.
- Echarp
- : Ça va aider à la croissance.
- Lucile
- : Exactement. C’est ce que la Commission européenne et la DG Trade nous répètent à longueur de journée.
- Echarp
- : Ils en rêvent !
- Lucile
- : Et après il se passe des choses qui les dépassent complètement parce qu’on n’est plus du tout dans une idée de puissance publique qui a des droits, etc. Ces traités d’investissements c’est protéger les investissements étrangers. Et on peut détailler les clauses, etc, qui sont des clauses très, très larges. D’ailleurs demain aux RMLL, pour ceux qui vont nous écouter ce soir, Jeanne et moi et je crois quelqu’un d’autre, François, je ne sais pas qui, on va faire un atelier où on va essayer de répondre : la commission européenne a lancé une consultation, une consultation complètement bidon d’ailleurs, pour que les citoyens donnent leur avis sur ce mécanisme de règlement des différends investisseurs - états, et la date limite pour répondre est le 13 juillet, donc 2014, et donc on va faire un atelier demain pour répondre, en tout cas pour creuser.
- Luc
- : Pour faire une répondre collective ?
- Lucile
- : Peu importe. En fait je pense que l’objectif de formation des gens est plus important que vraiment répondre à la Commission, vu que de toutes façons, la Commission ne nous écoutera pas !
- Jeanne
- : Voilà. Mais s’il y en a qui veulent justement aussi faire leur réponse individuelle, c’est toujours important qu’il y ait toujours du monde. On sera surtout là pour répondre aux questions et travailler collectivement là-dessus.
- Echarp
- : Ceci dit, alors, je ne veux pas vous enlever l’énergie, mais on ne le signera jamais ce genre de traité. La France, notamment, on a des intérêts, on n’aime pas les hormones, on veut défendre nos vins. La France n’ira jamais signer ce genre de choses-là, c’est impossible, voyons !
- Jeanne
- : Actuellement les deux principaux partis à l’Assemblée nationale soutiennent le traité !
- Echarp
- : AHHH ! Le PS et l’UMP, là, comment on dit ? L’UMPS ?
- Jeanne
- : Mais ce ne sont pas les seuls. Mais actuellement il y a tellement l’aspect entreprise, création d’emplois, qui est tellement seriné, avec un lobbying.
- Echarp
- : Oui, mais on ne va pas mettre du fracking ! On ne va pas autoriser, les hormones, le bœuf aux hormones ça fait peur !
- Luc
- : C’est une des solutions.
- Lucile
- : Quand tu es forcé de faire des choses à un niveau national parce que les gens hurlent et que tu as un moyen de quand même faire ce que tu voulais faire mais par une autre porte.
- Luc
- : Par l’intermédiaire d’un traité ?
- Lucile
- : Surtout si c’est par l’intermédiaire d’un traité comme ça, qui est présenté comme technique, comme quoi que ce soit, comme du droit international, tout le monde s’en fiche, etc. Personne ne cherche à comprendre les questions de commerce. Les gens qui travaillent depuis quinze ans sur la politique commerciale de l’Union européenne n’en reviennent pas, parce que ce n’est pas nouveau tout ça. Et ça fait quinze ans qu’ils essayent d’en parler, et c’est là, c’est le grand méchant américain donc tout le monde se réveille, c’est abominable ce truc !
- Echarp
- : C’est de l’impérialisme !
- Lucile
- : En fait ce n’est pas nouveau. L’Europe est très forte pour imposer des traités commerciaux complètement défavorables aux pays du Sud. L’Europe est très forte pour que ses entreprise attaquent des états, etc. Vattenfall qui a attaqué l’Allemagne, ce ne sont pas des américains, ce sont des Suédois, grâce à la charte de l’énergie. On est à fond dans ce système et d’habitude nous on en bénéficie parce que ce sont nos grandes entreprises qui écrasent tout le monde !
- Echarp
- : Là ce sont les américaines.
- Lucile
- : Cette fois-ci c’est cinquante, cinquante !
- Luc
- : Et là, ce n’est plus drôle.
- Echarp
- : Du coup on va moins rigoler !
- Lucile
- : Du coup maintenant tout le monde « le poulet chloré, etc. », sauf que !
- Jeanne
- : Et je pense que la différence aussi c’est que ça touche des secteurs qui n’étaient pas forcément touchés par ce type de négociations jusqu’à maintenant, avec notamment une mobilisation citoyenne. Quand on parle de poulet aux hormones, quand on parle,
- Luc
- : La sécurité sociale, elle serait mise en cause !
- Jeanne
- : oui, de sécurité sociale aussi, quand on parle aussi tout ce qui est libertés numériques, on touche aussi des gens qui ont été réveillés, secoués, par ACTA récemment et je pense que c’est lié à ça aussi qu’on ait une mobilisation telle.
- Lucile
- : Oui, je suis d’accord et ce que je voulais juste rajouter, c’est que, en effet, TAFTA c’est fondamental, CETA, donc le Canada - Union européenne, c’est son cheval de Troie, mais, la politique commerciale de l’Union européenne c’est une réalité, ça a existé avant, ça existera après. Il ne faut pas qu’on s’endorme sur le sujet. Par exemple, Jeanne tu me corrigeras si je me trompe, mais il me semble que le chapitre propriété intellectuelle de l’accord Union européenne - Singapour est une abomination avec tout ACTA dedans.
- Jeanne
- : Absolument. Il y a beaucoup d’autres textes et je pense qu’on est rentré aujourd’hui dans une étape où on s’implique dans tout ce qui est traités commerciaux. Il va falloir continuer. On s’est battu contre ACTA, on a gagné. Aujourd’hui on se bat contre TAFTA, j’espère qu’on va gagner. Mais c’est tout un paradigme en fait qu’il faut changer, parce que sinon, on va continuer de se battre contre le nouveau, le nouveau, le nouveau !
- Lucile
- : Exactement. Je trouve que c’est un bon mot de conclusion.
- Quesh
- : Très bien. Eh bien merci beaucoup pour ces explications éclairantes et assez flippantes pour tout dire. Intéressez-vous au sujet et mobilisez-vous !