Informations
- Titre : Pour une politique publique en faveur du logiciel libre
- Intervenant :Jeanne Tadeusz
- Date : Janvier 2013
- Lieu : Paris, États Généraux de l’Open Source
- Durée :14 min 15
- Média : vidéo du site des états généraux
Transcription
Effectivement mon intervention va traiter de : « Pour une politique publique en faveur du Logiciel Libre » et donc je vais commencer par quelque chose de très simple, probablement de franchement basique pour la plupart d’entre vous j’imagine, c’est de rappeler ce que c’est que le Logiciel Libre. Le Logiciel Libre qu’est-ce que c’est ? Pourquoi on en parle aujourd’hui ? Donc le Logiciel Libre c’est d’abord les quatre libertés : la liberté d’usage, la liberté d’étude, la liberté de modification, la liberté de redistribution. Donc de ces quatre libertés naissent de multiples avantages, notamment en termes de sécurité, de pérennité, d’interopérabilité, etc. Donc c’est quelque chose dont on a déjà parlé aujourd’hui, dont je pense que d’autres tables rondes, d’autres intervenants vont à nouveau détailler. Il y a beaucoup d’avantages techniques, ça je pense que personne ici n’en doute. Donc face à ces avantages il n’est pas surprenant que le Logiciel Libre soit l’objet de nombreuses attentions politiques ces dernières semaines, avec par exemple, la circulaire qui a été signée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, sur le bon usage des Logiciel Libres. Il y a aussi eu la réponse, par exemple de la ministre, à une question écrite d’un député la semaine passée qui signalait l’importance du Logiciel Libre y compris au niveau européen.
Mais toutes ces questions techniques, ces facteurs objectifs, finalement, ils vont être détaillés dans d’autres interventions donc ce n’est pas vraiment ce dont je vais parler, là, pendant les un peu moins de quinze minutes qui me restent.
Ce que je voudrais aborder c’est d’abord le Logiciel Libre comme une question politique, comme une question éthique, une question de technique. Pourquoi ? Parce que simplement l’importance d’une politique publique en faveur du Logiciel Libre c’est à la fois des actions concrètes pour permettre de mettre en place des avantages qui sont à la fois évidents et pertinents mais c’est aussi un choix éthique et politique, une décision en termes de liberté, de possibilité de choix, d’usages pour les citoyens qui ne sont pas seulement donc les administrés, mais aussi en tant que citoyens à part entière, et ça représente un avantage important et clairement essentiel à aborder aujourd’hui.
Pour commencer sur la question de signaux politiques forts effectivement puisqu’on en a eu ces dernières semaines, ces derniers mois. Avant tout le premier signal, celui que je pense on a tous entendus, c’était en septembre dernier, avec la circulaire signée par le Premier ministre sur le bon usage des logiciels libres dans les administrations, donc septembre 2012. Ce texte a été une excellente nouvelle pour plein de raisons, plein d’aspects. D’abord parce qu’il montre une compréhension fine de ce que c’est que le Logiciel Libre, de son mode de fonctionnement, de son écosystème. La signature même par le Premier ministre est bien évidemment aussi un signal. Et aussi parce que cette circulaire valide un travail qui a été effectué depuis très longtemps par un certain nombre d’agents publics, notamment dans les groupes thématiques de mutualisation et d’autres, sans même parfois qu’ils aient un soutien des cabinets ministériels, dans le passé. On a eu ces groupes qui ont vraiment fait un travail de fond très intéressant, très détaillé et très pertinent, alors même que certaines administrations centrales pouvaient faire des choix qui étaient parfois assez discutables, notamment en termes de choix de logiciels et de marchés publics ou d’appels d’offre. Donc ce signal politique est intéressant. Il est aussi la manière de voir si d’autres choses vont se produire. Je pense notamment au fait que c’est l’occasion de voir si tous les ministères participeront aux thématiques qui ont été mises en place. C’est aussi de voir la suite de ce qui va se passer par exemple au niveau du Ministère de la Défense, qui avait signé en 2008 un accord Open Bar avec Microsoft, qui avait posé un certain nombre de questions, d’interrogations. Vu que cet accord est arrivé à terme aujourd’hui il serait intéressant de voir ce qui va pouvoir se passer sur ce dossier-là ensuite.
Donc on peut retenir ce symbole comme un symbole fort. On peut aussi effectivement retenir donc la réponse de la ministre à la question du député Jean-Jacques Candelier. Le député qui demandait si la ministre comptait s’engager à promouvoir et à défendre les libertés du Logiciel Libre. Elle avait notamment répondu qu’il était essentiel que le cadre législatif européen reste favorable à une croissance forte du Logiciel Libre. Donc à travers aussi une réponse qui témoigne d’une bonne compréhension des enjeux, on a cet aspect de cadre législatif qui est effectivement crucial, pour savoir comment le Logiciel Libre et les Logiciels Libres aussi, l’ensemble de la communauté, l’ensemble des acteurs économiques et politiques peuvent effectivement survivre et progresser dans l’écosystème qui est le nôtre. En effet, ce cadre législatif, notamment au niveau européen, c’est une des questions qui semblent actuellement finalement les plus complexes, les plus contestables en terme d’action et là on voit qu’on n’a pas encore, mais on peut espérer avoir, une véritable politique publique en faveur du Logiciel Libre.
Pour faire ça je vais détailler une exemple particulier, même s’il en existe d’autres. On peut penser notamment à la question du choix des standards ouverts ou de l’absence de choix de standards ouverts dans les différents règlements européens, mais il me semble qu’une des questions les plus parlantes sur ce sujet, c’est la question du brevet unitaire. Le brevet unitaire c’est typiquement ce qu’on va considérer, ce que je vais considérer en tout cas comme une occasion manquée notamment d’avoir une politique en faveur du Logiciel Libre et de l’innovation dans l’ensemble de l’Union européenne et aussi avec une place de la France qui a été interrogée sur l’engagement actuel en tout cas ou sur la suite qui va être donnée.
Rappel effectivement d’abord de ce dont on parle, quand on parle du brevet unitaire. Donc le brevet unitaire c’est un règlement européen qui a été adopté en décembre dernier malgré une opposition de beaucoup de monde : plus de six cents entreprises avaient signé un appel à revoir le texte ; beaucoup d’associations, de collectifs, de citoyens, s’étaient engagés, mais malgré tout le texte est passé, sans doute principalement parce que, au moins en apparence, le texte ne semblait pas spécialement problématique. L’idée de base c’était d’avoir un brevet, un titre de brevet qui soit d’application uniforme dans l’ensemble de l’Union européenne. Ça, ça fait partie de la construction européenne, ce n’est évidemment pas problématique en soi. Le problème et la question c’était sur la manière dont ce brevet allait être unifié, notamment qui allait avoir le contrôle, parce que quand on parle de brevet, on parle évidemment assez vite dans notre domaine d’une question qui nous préoccupe tous, qui est la question notamment de la brevetabilité du logiciel, donc de savoir qui délivre les brevets et qui contrôle leur validité, c’est finalement qui dit si les logiciels sont brevetables ou non.
Et justement dans le cadre de ce projet donc de brevet unitaire, l’ensemble du système était confié finalement aux acteurs déjà impliqués dans le monde des brevets, à cet espèce finalement de petit microcosme, d’avocats, de juristes, spécialisés dans ce domaine, donc qui ont tendance à avoir un biais assez logique en faveur de l’extension de la brevetabilité et donc aux dépens notamment du logiciel libre mais aussi de l’ensemble des acteurs qui défendent une innovation basée sur la capacité à partager les connaissances et à pouvoir travailler de manière collective. Donc comment ça c’est passé concrètement ? Avec le nouveau système qui pourrait être mis en place d’ici quelques années, les brevets seraient délivrés par l’Office européen des brevets, dont la position en faveur de la brevetabilité du logiciel existe depuis longtemps, on a un lobbying assez intensif de leur part fait sur ce sujet notamment à Bruxelles. Ils ont publié un certain nombre de tribunes en sa faveur.
Ensuite la question de la juridiction, donc de qui va dire si les brevets sont valides ou non serait confiée exclusivement à une cour spécialisée, non soumise à une quelconque cour suprême, que ce soit la cour de justice de l’Union européenne, que ce soit la cour de cassation, ni quoi que ce soit et donc composée exclusivement de juges spécialisés. Ces juges spécialisés qui sont soit des juges qui ont reçu une formation spécifique sur le droit des brevets, soit des personnes spécialisées dans le droit des brevets qui auraient reçu une formation pour être juges. Ça veut dire qu’on a les personnes qui sont déjà dans le monde des brevets, qui sont déjà intéressées sur les questions de brevetabilité qui deviendraient juges et donc finalement avec un tout petit monde qui deviendrait à la fois juge et partie, même si ce ne seraient pas évidemment les mêmes personnes exactement, mais ce serait des gens qui se connaissent, pourquoi pas des collègues, etc, qui à la fois délivreraient des brevets et décideraient de leur validité sans qu’il n’y ait aucun moyen de contrôle possible, ni par le Parlement européen, ni par le Parlement français, ni par une cour, par un juge indépendant au sens où c’est un juge généraliste qui ne fait que juger tous types d’affaires.
Donc on est évidemment aujourd’hui avec ça dans une situation très dangereuse. Malheureusement le texte a été adopté au Parlement européen et au Conseil en décembre dernier. Maintenant il doit être ratifié par les états. Aucun état ne l’a ratifié à ma connaissance. Certains commencent même à revenir en arrière, notamment la Pologne, où le Parlement polonais a annoncé qu’il refuserait de le ratifier. L’Angleterre où il y a aussi beaucoup d’hésitations.
Malheureusement malgré les dangers assez clairs pour l’innovation, ce n’est pas encore le cas et ce n’est pas le cas en France, notamment, un de arguments qu’on entend régulièrement, c’est que dans la mesure où la cour, donc cette nouvelle cour des brevets sera basée à Paris, c’est un atout clair pour notre pays et que donc, on pourra de toutes façons, surveiller ce qui s’y passe, donc il n’y a pas d’inquiétudes à avoir ! Ça me semble pour le moins limité comme argumentation. On est sur une question qui est extrêmement dangereuse actuellement en termes de logiciels libres et question de brevets et donc le risque très clair du retour des brevets logiciels. Donc là on a vraiment eu à mon sens une occasion manquée de la part du gouvernement français de mettre en action ce qu’ils ont annoncé, puisque je rappelle que la ministre a dit encore la semaine dernière, qu’il est essentiel que le cadre législatif européen reste favorable à une croissance forte du Logiciel Libre. Là clairement, avec ce qu’on a eu, ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui.
Malgré donc effectivement des interventions répétées, je peux penser à l’April, je peux penser au CNML, mais d’autres aussi, on eu finalement des annonces, des annonces intéressantes, mais encore pas beaucoup d’actions et pas vraiment d’actions en faveur du Logiciel Libre en tant que choix éthique et choix politique. On a effectivement nécessité d’avoir un écosystème mais pourquoi cet écosystème ? C’est aussi parce que le Logiciel Libre est un choix éthique et politique, c’est la citation célèbre de Richard Stallman, le père du Logiciel Libre, qui avait dit qu’il pouvait expliquer la base du Logiciel Libre en trois mots, liberté, égalité, fraternité. Liberté parce que les utilisateurs sont libres, égalité parce qu’ils disposent tous des mêmes libertés et fraternité parce que nous encourageons chacun à coopérer dans la communauté. Quand on voit ces trois objectifs et cette base philosophique, finalement, le lien avec les objectifs de l’État est assez clair, il se fait de lui-même. La possibilité d’accès de tous, liberté de tous d’avoir un égal accès à l’ensemble des informations, l’absence de discrimination entre tous types d’utilisateurs, la possibilité aussi de travailler en communauté, donc avec des manières de travailler qui sont intéressantes et sans doute différentes, avec lesquelles on pourrait s’inspirer.
Donc on a des pistes de réflexion qui existent, il y en a déjà eu quelques-unes qui ont été abordées aujourd’hui.
Une politique publique en faveur du Logiciel Libre concrètement ce serait déjà le respect de la loi en termes de marchés publics, avec une absence de citation de marques pour que tout le monde puisse avoir un égal accès. C’est la migration de l’ensemble du parc informatique de l’État et des collectivités vers des logiciels libres pour des questions d’indépendance et pour des questions d’égalité et d’accès de tous. C’est aussi la révision du RGI, du Référentiel Général d’Interopérabilité, pour s’assurer que l’ensemble des informations produites et proposées par les administrations soient librement utilisables, qu’il n’y ait pas de faux formats ouverts, qu’on exclue les licences frand qui sont un non- sens en termes d’innovation et en termes de compétition également, et enfin pourquoi pas, une nouvelle loi permettant d’imposer dans la mesure du possible l’usage des standards ouverts, des logiciels libres et de la production de logiciels libres par l’administration.
Sans compter qu’on a aussi des questions qui se posent en termes d’éducation, bien évidemment, à la fois en termes d’usages, mais aussi d’apprentissage de l’informatique en tant que science, quelque chose qu’on voit encore de manière très faible voire encore marginale.
En conclusion très rapidement parce que j’ai déjà dépassé mon temps de parole, on a aujourd’hui une annonce, une intention visible en faveur du logiciel libre, une intention politique en faveur du logiciel libre, c’est une bonne chose, mais je pense vers une politique publique en faveur du logiciel libre, il y a encore des étapes à suivre et donc j’espère que cette journée sera l’occasion de voir les premières étapes, les premières actions concrètes en sa faveur.