Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l’émission du 9 juillet 2019

Titre :
Émission Libre à vous ! diffusée mardi 9 juillet 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants :
Antoine Viry - Bastien Guerry - Xavier Béchade - Xavier Berne - Frédéric Couchet - Patrick Creusot à la régie
Lieu :
Radio Cause Commune
Date :
9 juillet 2019
Durée :
1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l’accord de Olivier Grieco.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et rejoignez-nous ainsi sur le salon dédié à l’émission.

Nous sommes mardi 9 juillet 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’association est april.org et vous y retrouverez une page consacrée à l’émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission. Vous trouverez également des moyens de nous contacter pour nous faire des retours, des points d’amélioration, pour expliquer ce qui vous a plu.

Je vous souhaite une excellente écoute.
Voici maintenant le programme de l’émission.

Nous allons commencer dans quelques secondes par une interview d’Antoine Viry cofondateur de Ziklibrenbib, la musique libre s’invite dans les bibliothèques, ce n’est pas si évident à dire !

D’ici dix-quinze minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur les actions de la DINSIC, Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État.

Et en fin d’émission nous aurons la chronique de Xavier Berne, journaliste à Next INpact.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui Patrick Creusot. Bonjour Patrick.
Patrick Creusot : Bonjour tout le monde et bonne émission.
Frédéric Couchet : Merci Patrick.

Nous allons vous proposer un petit quiz. Je vous donnerai les réponses en cours d’émission Vous pouvez proposer vos réponses sur le salon web de la radio, causecommune.fm, ou sur les réseaux sociaux sur lesquels nous sommes présents.

Première question : lors de l’émission du 2 juillet, nous avons parlé d’un outil en cours de développement pour faciliter la gestion et la valorisation du bénévolat dans les associations. Quel est le nom de cet outil et quel est l’URL du site web pour le tester ?

Deuxième question : la nouvelle version de la distribution libre Debian s’appelle Buster, Rasemotte en français, la précédente Jessie. Savez-vous quelle est la source d’inspiration pour ces noms ?

Vous aurez les réponses en cours d’émission.
Tout de suite place au premier sujet.
[Virgule musicale]

Interview d’Antoine Viry animateur multimédia et cofondateur Ziklibrenbib

Frédéric Couchet : Nous allons commencer par une interview d’Antoine Viry cofondateur de Ziklibrenbib, la musique libre s’invite dans les bibliothèques. Bonjour Antoine.
Antoine Viry : Bonjour Fred.
Frédéric Couchet : Ziklibrenbib est un projet collaboratif qui vise à promouvoir la musique en libre diffusion dans les médiathèques. On va expliquer un petit peu ce qu’est ce merveilleux projet. Déjà peux-tu te présenter, s’il te plaît ?
Antoine Viry : Oui. Merci pour votre invitation, avant toute chose. Je m’appelle Antoine Viry, je travaille à la médiathèque de Pacé, c’est à côté de Rennes, à quelques kilomètres de Rennes. À la médiathèque je me charge essentiellement de la communication et du multimédia, donc tout ce qui a trait aux ordinateurs, aux formations, etc.
Frédéric Couchet : D’accord. Quand est-ce qu’est né le projet Ziklibrenbib, aa genèse et quels sont ses objectifs ?
Antoine Viry : Figure-toi qu’en fait, moi je suis d’abord venu à la musique libre via le logiciel libre puisqu’en tant qu’animateur multimédia j’étais et je suis toujours très attaché à ses principes fondateurs. Au moment de participer à Libre en Fête en 2010, je crois, eh bien je m’étais dit « tiens ce serait bien d’étendre un petit peu à autre chose ». Donc j’avais commencé à fouiller un petit peu les autres domaines, j’avais entendu parlé des licences Creative Commons, j’ai creusé un petit peu et on a fait une expo de photos sous licences Creative Commons, on a aussi diffusé de la musique libre dans la salle d’expo. Bref ! Étant très amateur de musique je me suis intéressé, du coup, au phénomène de la musique en libre diffusion. À partir de là on a commencé à en prêter un peu à la médiathèque et, par un hasard assez incroyable, mon collègue qui s’occupe de la musique à Pacé a rencontré Vincent [Bouteloup] qui s’occupe de la musique à Argentan, lors d’une formation ; ils se sont rendu compte qu’on faisait la même chose à plusieurs heures de distance et on s’est dit que ça serait bien de se rencontrer. Comme j’ai de la famille qui habite à Argentan ça s’est fait très naturellement, on a vite sympathisé et on s’est dit qu’on pourrait faire quelque chose sur Internet pour partager un peu ce qu’on trouvait à droite à gauche, que ça pourrait potentiellement servir aux autres et nous, ça nous permettrait de mettre tout ça en commun, sachant qu’on n’a pas du tout les mêmes goûts musicaux. Donc on a commencé à faire ça et c’est ainsi qu’est né Ziklibrenbib, la passion d’un discothécaire. Moi j’avais quelques connaissances en informatique et le projet a été lancé.
Frédéric Couchet : D’accord. L’objectif c’est de faire connaître la musique libre dans les bibliothèques et d’utiliser de la musique libre dans les médiathèques. Comment fonctionne concrètement le projet ?
Antoine Viry : Le projet, à la base, c’était juste des chroniques. On se disait on va mettre des albums qu’on aime bien, on va partager, et les gens nous ont rejoints au fur et à mesure, sans qu’on demande grand-chose : pour participer il suffit de nous contacter, on crée un compte aux bibliothécaires qui souhaitent participer, on leur explique un petit peu comment fonctionne le principe de chronique et puis c’est parti. Chacun apporte ce qu’il peut au projet à mesure de son temps disponible, sachant que la majeure partie du temps, la plus grosse partie du travail c’est quand même de trouver la musique qui va être suffisamment appréciée pour être chroniquée sur Ziklibrenbib.

Sinon nous, après, on forme un peu les gens à la mise en ligne de chroniques et après ça roule un petit peu tout seul. On a quand même une grosse partie de gestion de projet, envoi de mails, des choses comme ça pour coordonner les différentes actions. Déjà Ziklibrenbib n’est pas une association, c’est juste un collectif de bibliothécaires, donc c’est assez libre dans la participation.
Frédéric Couchet : D’accord. Sur le site, on va le citer, c’est ziklibrenbib.fr qui renvoie vers le site officiel en fait, mais qui est un peu plus long.
Antoine Viry : C’est ça. Oui parce qu’on est hébergé par l’ACIM, l’Association des discothécaires, enfin des bibliothécaires musicaux — merci à eux pour l’hébergement — ce qui fait quand on tape ziklibrenbib.fr il y a une redirection et on arrive sur l’endroit de l’hébergement ACIM.
Frédéric Couchet : Oui, le vrai site c’est acim.asso.fr/ziklibrenbib.
Antoine Viry : C’est ça.
Frédéric Couchet : Sur lequel on trouve les sélections de musiques avec des chroniques, mais vous avez, on va dire, d’autres projets phares, notamment l’élection du titre de l’année Ziklibrenbib et la journée de création musicale. Est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu ces deux sous-projets ?
Antoine Viry : En fait, c’est compliqué de faire la promotion de la musique libre en bibliothèque ; on met des CD gravés, on prête des clefs USB, des choses comme ça, mais il faut toujours essayer d’animer un petit peu les choses. On voulait déjà animer autour des chroniques donc on fait des choses différentes, des compilations trimestrielles, des playlists sur YouTube, des choses comme ça ; on se dispersait un peu sur Internet pour faire la promotion de ce qu’on faisait, pour présenter, en fait, les sélections d’une autre façon. Mais en bibliothèque il fallait encore trouver autre chose pour faire participer les gens et donner aux gens l’envie de découvrir. L’idée ça a été de faire un jeu, en fait une sorte de concours où il n’y aurait rien à gagner, mais juste pour dire « tiens, allez-y, écoutez, découvrez ça et votez pour vos titres préférés ». La première année on avait commencé avec des albums, c’était un petit peu trop compliqué, et l’année suivante on est parti sur des sélections de morceaux individuels et là, ça a bien fonctionné. Du coup depuis, je ne sais plus quand ça a commencé, 2013 ou 2014, je ne sais plus, enfin depuis cette année-là on est sur ce mode-là et ça fonctionne plutôt bien parce qu’on a en général une centaine de bibliothèques qui participent. Après, les gens accrochent ou pas au principe, mais, en tout cas, il y a qui attendent le rendez-vous d’une année sur l’autre.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc chaque année il y a une présélection qui est faite et ensuite les personnes dans les bibliothèques et peut-être aussi les personnes sur le site web sont invitées à voter.
Antoine Viry : C’est ça. Oui, c’est ouvert à tout le monde. Les bibliothèques s’inscrivent pour pouvoir bénéficier du support de comm’ et après ils sont téléchargeables, de toute façon, sur le site une fois l’élection lancée. Mais quand on s’inscrit, on a tout ça en avance et quand on s’inscrit on a aussi, après, une newsletter propre aux médiathèques qui participent et on va aussi chercher, après, les autres papiers dans ces médiathèques, c’est-à-dire qu’ils nous communiquent par mail les résultats de leurs votes en réel, sur site on va dire.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc ça c’est l’élection du titre de l’année et vous avez un autre projet.
Antoine Viry : Oui. Les journées de création musicale.
Frédéric Couchet : Les journées de création musicale, ce qui est un peu différent. Explique-nous.
Antoine Viry : Ça n’a rien à voir en fait, puisque là on est dans le mode participatif, c’est-à-dire que c’est bien de faire de la musique libre, on s’était dit que ça pourrait aussi être sympa d’en créer, on s’y est mis surtout à Pacé et aussi de l’activité d’un netlabel qui n’existe plus maintenant, un netlabel allemand qui s’appelait aaahh records et qui ne connaissait pas, en fait, les artistes plus que ça parce que tout circulait via Internet qui, du coup, avait trouvé l’idée de louer une maison au Danemark pour que tout le monde se rencontre et il sortait, en fait, un album de cette aventure. Je m’étais dit « tiens, c’est vrai qu’on pourrait aussi inviter, enfin proposer à des musiciens locaux de se rencontrer, même s’ils ne se connaissent pas, et, sur un temps donné, essayer de créer quelque chose ensemble et partager ce quelque chose sous licence libre et là, pour le coup, sous licence vraiment libre, qu’on puisse reprendre comme on veut ».

On a commencé en 2012, la même année que Ziklibrenbib je crois, et on en est à la huitième édition cette année, donc c’est un projet qui prend bien vie ici à Pacé. Après, on aimerait que ça s’étende un peu plus au-delà, mais bon ! C’est quand même compliqué à mettre en place, il faut avoir un petit peu l’infrastructure, il faut avoir les gens dans l’équipe qui veulent bien s’y mettre et qui s’y connaissent un petit peu et ça demande quand même quelques moyens financiers. On prend un ingénieur du son, depuis deux ans on prend aussi quelqu’un pour faire une vidéo. On sait bien qu’on a peu les conditions idéales et que ce n’est pas si facile que ça à reproduire. On espère que ça se démocratisera effectivement dans les différentes médiathèques.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est excellent. On écoutera d’ailleurs la création musicale de 2019, qui a été mise en ligne samedi, on l’écoutera à la fin de la chronique.

Depuis tout à l’heure on parle de musique libre, on va peut-être un peu préciser les choses, parce qu’il y a les musiques libres qui permettent, comme dans le domaine du logiciel, les quatre libertés – utilisation réutilisation, modification et redistribution – et puis il y a ce qu’on appelle plutôt les musiques de libre diffusion sur lesquelles il y a un certain nombre de ces libertés mais pas toutes. Typiquement aujourd’hui, les licences libres telles qu’on les entend ce sont les licences Creative Commons Attribution Partage dans les mêmes conditions, licence Art libre, et puis il y a les licences, on va dire de libre diffusion, qui sont plutôt les licences Creative Commons généralement soit qui interdisent la redistribution ou l’utilisation commerciale, soit qui interdisent les modifications. Sur Ziklibrenbib, toutes ces licences sont acceptées.
Antoine Viry : Oui, bien sûr.
Frédéric Couchet : Voilà, c’est un choix de départ. Déjà est-ce que tu peux expliquer un peu ce choix et est-ce que tu as noté des évolutions par rapport aux choix des musiques par les artistes ?
Antoine Viry : Le choix est simple c’est que si on se mettait à la musique complètement libre, on ne ferait qu’une chronique par mois. En tant que bibliothécaire, l’idée d’aller vers les licences Creative Commons c’est aussi de présenter tout un pan de la culture qui n’est, en général, pas présenté ailleurs ; ça fait un peu partie de nos missions de bibliothécaire de présenter toute la culture et toute cette musique distribuée, auto-distribuée souvent sur Internet, elle n’est pas présente, en fait, dans nos médiathèques. Les artistes, c’est vrai qu’ils ont souvent des freins pour autoriser l’usage commercial ou la modification, plus l’usage commercial, je dirais. On voulait quand même déjà présenter ce qui va au-delà de l’usage d’origine, si tu veux, ce que tu n’es pas censé copier sauf dans un cadre perso, que tu n’es pas censé diffuser en dehors du cadre de la famille. Ce sont des libertés maigres, je dirais, quand tu prends une licence NC ND, Non commerciale et Pas d’œuvre dérivée, mais il y quand même un peu plus de liberté qu’ailleurs, donc on s’est dit que c’est quand même intéressant d’aller les chercher.
Frédéric Couchet : D’accord.
Antoine Viry : Après c’est notre travail, par contre, de faire en sorte que les gens comprennent que, face à une licence Creative Commons, ils n’ont pas tout à fait la même chose en fonction du type de licence. Effectivement, ça c’est un travail pédagogique assez important. Déjà qu’il y a plein de gens qui confondent libre et libre de droit, là ça ne facilite pas les choses.
Frédéric Couchet : C’est un travail intéressant, justement pédagogique, parce que, comme tu le dis, il y a beaucoup de gens qui pensent qu’avec les licences Creative Commons on peut faire tout ce qu’on veut ; en fait, ce n’est pas du tout le cas, c’est évidemment au choix des personnes qui ont créé une œuvre de faire ça et après, je suppose qu’il y a pu aussi y avoir des échanges avec les artistes pour leur expliquer les conséquences du choix de telle ou telle licence.
Antoine Viry : Oui. D’ailleurs je te disais que le Non Commercial n’était pas évident pour les artistes, notamment parce qu’il n’est pas très bien défini. Il y a une espèce de flou artistique autour de ça et souvent, quand les artistes choisissent le Non Commercial, c’est pour se prémunir, entre guillemets, d’une « vente à leur insu » je dirais. Mais globalement, ils ne sont pas contre l’utilisation dans un pub ou une chose comme ça, au contraire, ils voudraient que leur musique soit diffusée sur des radios commerciales ou dans des bars, dans tout contexte de diffusion, je dirais. C’est plus la vente en elle-même de leur musique qui les gêne.
Frédéric Couchet : Oui, tout à fait.
Antoine Viry : Souvent. Après, chaque artiste a son propre point de vue, évidemment.
Frédéric Couchet : Exactement. Je pense qu’on refera, de toute façon, à la rentrée une émission sur ce sujet-là, sans doute peut-être avec toi si tu es partant, peut être avec les gens de Dogmazic aussi, pour échanger évidemment sur ces différents types de licences et sur l’impact que cela peut avoir.
Antoine Viry : Avec des artistes ce serait bien aussi !
Frédéric Couchet : Avec des artistes aussi. A Dogmazic il y a des artistes et puis nous, dans l’émission Libre à vous !, on ne passe que des musiques vraiment libres et certains des artistes sont en tournée ; il y a des artistes qui ne se produisent plus, mais il y a des artistes qui sont en tournée donc ce serait l’occasion, effectivement, d’en faire venir pour expliquer pourquoi ils ont fait le choix de licences vraiment totalement libres par rapport à d’autres types de licences.

On va quand même préciser que la journée de création musicale, par contre, ce que vous produisez est en licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.
Antoine Viry : Oui. On va même jusqu’au bout puisqu’on met les sources. Là, on ne peut pas faire plus !
Frédéric Couchet : Vous mettez les sources. Voilà. Exactement. Avant justement d’écouter le morceau pour finir, comment on peut suivre l’actualité au projet, comment on peut participer au projet ?
Antoine Viry : Comme tu disais il y a le site ziklibrenbib.fr, je pense que c’est le point d’entrée le plus simple puisqu’on va diriger vers les différents sous-projets, comme tu le disais aussi. On est présents sur les réseaux sociaux principaux, Twitter et Facebook, même si sur Twitter on n’est pas très actifs, on fait surtout du relais d’informations et sur Facebook, des fois, on met quelques petites choses en plus, mais on n’est pas non plus des férus plus que ça des réseaux sociaux, donc c’est essentiellement juste pour communiquer un petit peu en dehors du site. Je dirais que ce sont les principaux vecteurs de communication de Ziklibrenbib. On a aussi une playlist fun club, ça c’est autre chose, c’est juste pour fournir des players avec les dernières nouveautés, pour que chaque bibliothèque ou chaque structure qui le souhaite, peu importe, chaque site web, puisse présenter de façon simple, en fait inclure un player audio qui se renouvelle automatiquement.
Frédéric Couchet : D’accord. Très bien.
Antoine Viry : On a notre page band camp avec déjà la trentième compil qui est sortie vendredi dernier. Donc ça commence à s’accumuler pas mal !
Frédéric Couchet : Pour participer au projet il suffit donc d’aller sur le site et d’envoyer un petit courriel.
Antoine Viry : Voilà c’est ça, il y a un formulaire de contact.
Frédéric Couchet : C’est un très beau projet que j’ai découvert récemment et sur lequel on a trouvé quelques musiques qu’on a déjà diffusées, donc bravo ! En plus, je ne savais pas que c’était initialement lié à Libre en Fête qui est un événement qu’on organise…
Antoine Viry : Lié parce que, à titre perso, c’est là que j’ai découvert…
Frédéric Couchet : Ça fait plaisir à savoir. Libre en Fête est un événement qu’on propose chaque année depuis une vingtaine d’années au niveau de l’April, qui est basé, évidemment, sur les gens qui agissent en local, donc c’est très bien de savoir ça, j’en suis tout à fait content.

En tout cas je te remercie Antoine. Je précise qu’on va ensuite passer le titre des journées musicales de 2019, donc ziklibrenbib.fr et vous êtes renvoyé sur le site.

N’hésitez pas, bibliothécaires, à contribuer aussi. Les personnes qui nous écoutent, n’hésitez pas aussi à aller prendre des musiques pour vos soirées, pour vos événements parce que ce site est fait pour ça. Je te remercie Antoine et je te souhaite une belle journée.
Antoine Viry : Merci beaucoup Fred. De même.
Frédéric Couchet : À bientôt.
Antoine Viry : Avec plaisir. Au revoir.
Frédéric Couchet : Merci à toi aussi.

Nous allons écouter le titre 2019 des journées de création musicale Ziklibrenbib ; le titre s’appelle L’Amour vache et on se retrouve juste après.
Pause musicale : L’Amour vache par Les journées de création musicale Ziklibrenbib.
Voix off : Cause Commune 93.1.

DINSIC avec Bastien Guerry référent logiciels libres et Xavier Béchade chef de projet Tchap

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter L’Amour vache, le titre 2019 des journées de création musicale Ziklibrenbib, musique disponible en licence Creative Commons Partage à l’identique et vous retrouvez les références évidemment sur le site de l’April, april.org.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.

Nous allons maintenant passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal du jour qui va porter sur les actions de la DINSIC, Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, je l’ai noté pour ne pas oublier la signification, et j’ai le grand plaisir d’avoir avec moi Bastien Guerry qui est référent logiciels libres. Bonjour Bastien.
Bastien Guerry : Hello.
Frédéric Couchet : Et Xavier Béchade qui est chef de projet Tchap.
Xavier Béchade : Bonjour à tous.
Frédéric Couchet : Bien sûr nous aurons l’occasion d’expliquer ce qu’est Tchap.

L’idée c’est de faire une petite présentation de l’action de cette structure qui est importante. On a déjà abordé certains sujets de la DINSIC dans l’émission de début janvier 2019 – je ne me souviens plus de la date exacte, mais je la retrouverai – avec Laurent Joubert et Mathilde Bras, mais là on voulait rentrer un peu plus dans le détail de certains projets, notamment le référent logiciels libres, pour une émission de l’April c’est évidemment important, et pour parler d’un projet un peu spécifique qui est le projet Tchap.

Déjà, première question, un petit tour de table de présentation : d’où vous venez, votre parcours et ce que vous faite avec la DINSIC ? On va commencer par Bastien. Bastien Guerry.
Bastien Guerry : Oui. Au départ moi j’ai une formation en sciences humaines, en philosophie. Je me suis passionné pour le logiciel libre un tout petit peu avant les années 2000, d’abord comme militant parce que j’étudiais la philosophie et ensuite je me suis plongé dans Linuxfr.org, j’ai découvert la communauté et je me suis mis à la programmation en tombant notamment dans Emacs. J’y ai pris goût, je suis devenu contributeur du logiciel libre, puis mainteneur, ce qui m’a aussi un peu donné une vue sur ce que c’est au-delà de la simple contribution, comment on gère un progrès qui peut être important. Et ensuite, un tournant ça a été de quitter les sciences humaines pour m’engager plus du côté de l’associatif en travaillant notamment pour Wikimédia France en 2010. Je suis devenu indépendant en faisant à la fois du développement et de l’assistance à maîtrise d’ouvrage et j’ai eu la chance de rentrer dans le programme Entrepreneurs d’intérêt général, en 2017, qui est un programme lancé par Etalab et la DINSIC pour faire entrer des profils techs un peu différents dans des projets de l’administration où elle essaye de travailler de façon plus agile en itération sur des irritants, des projets précis portés par des agents des administrations qui sont des mentors. J’ai continué dans ce programme l’année d’après parce qu’on avait identifié le besoin de souder un peu la promotion des Entrepreneurs d’intérêt général. On était 11 en 2017, on était 32 en 2018 et l’idée c’était de capitaliser pour grandir. Donc on a grandi, ça continue, Mathilde Bras en avait parlé. Cette année, depuis décembre, je suis référent logiciels libres à Etalab au sein de la DINSIC et mon rôle est d’accompagner les administrations sur l’utilisation et la publication des codes sources produits pas l’administration.
Frédéric Couchet : On va évidemment rentrer dans le détail tout à l’heure. Etalab c’est plutôt la partie données publiques, on va dire, de la DINSIC.
Bastien Guerry : Oui.
Frédéric Couchet : Et Xavier Béchade ?
Xavier Béchade : Bonjour. Moi je suis arrivé dans le Libre un peu plus récemment parce que j’ai une formation d’ingénieur, donc j’ai passé pas mal de temps à grenouiller sur des sujets qui touchaient plus à la fibre qu’au logiciel.
Frédéric Couchet : La fibre optique, on va préciser.
Xavier Béchade : La fibre optique, oui, la fibre optique, tout à fait ! Quand on est dedans on sait ce que c’est, mais effectivement ! Pour mener un certain nombre de projets et j’ai rejoint la DINSIC plus récemment, en 2015, sur des projets de mutualisation puisque la DINSIC fait de l’interministériel, donc mon rôle ça a été de mener des projets pour mutualiser entre les ministères, pas forcément du Libre au départ. Parmi ces sujets, on en parlera plus tout à l’heure, est arrivé Tchap, on va développer tout à l’heure, et là ça m’a donné l’occasion d’arriver dans le libre. Actuellement je porte une petite équipe d’ailleurs, qui s’occupe de ces projets-là ; ça touche à des sujets très divers autour de l’hébergement informatique, autour de la messagerie et aussi d’autres sujets. C’est un peu ce qui m’occupe au quotidien.
Frédéric Couchet : D’accord. L’émission dont je vous parlais est du 8 janvier 2019, vous pouvez écouter le podcast ; on a parlé notamment du programme Entrepreneurs d’intérêt général avec Laurent Joubert et Mathilde Bras de la DINSIC.

Première question, on va revenir rapidement, Bastien, sur le contexte juridique de la loi pour une République numérique et notamment sur la partie logiciel libre, parce que c’est en grande partie suite à ce contexte juridique qu’il y a cette action référent logiciels libres, politique de contribution qu’on va évoquer tout à l’heure.
Bastien Guerry : Un mot avant le contexte juridique ; il faut dire que le Libre a existé dans l’administration bien avant la loi pour une République numérique et l’ensemble de l’écosystème, y compris les associations, était déjà actif pour sensibiliser les députés, pour dialoguer directement avec les administrations.

Deux projets emblématiques et historiques de cette mobilisation autour du logiciel libre, avant même la loi pour une République numérique, c’est le socle interministériel de logiciels libres, qui a donc démarré dans le milieu des années 2000, et qui consistait à essayer de faire converger les administrations autour de solutions libres recommandées.

Le deuxième projet emblématique c’est le marché de support en logiciels libres. Les administrations, identifiant un besoin de support commun sur des souches libres qu’elles utilisent dans plusieurs administrations, se sont dit « faisons un marché de support pour être sûres d’avoir le support dont on a besoin sur ces souches-là ».

Donc ces choses-là, ces projets existent, étaient expérimentés avant la loi Lemaire qui dit donc, en 2015-2016, octobre 2016, que les logiciels sont des données publiques administratives au même titre que les données scalaires qu’on retrouve dans l’open data. En disant cela, elle incite et elle invite les administrations à publier le code source des logiciels. Il y a évidemment des conditions : il faut que ce soit du code source développé dans le cadre d’une mission de service public, il faut que le code source soit achevé, qu’il n’ait pas de secrets relatifs ou absolus. Donc il y a tout un ensemble de conditions, mais ce sont des conditions qui s’appliquent aussi dans le cas de l’open data, donc on relève bien du même régime et c’est dans l’idée de continuer à valoriser les données publiques, à la fois dans un but de retombées économiques, comme pour l’open data, en disant « s’il y a une contribution de l’administration à un écosystème, cet écosystème peut s’en emparer pour faire des entreprises, des startups et autres » et dans un autre enjeu de transparence auprès du citoyen sur les outils qui sont utilisés en production.

Cette transparence est particulièrement décisive dans un cas particulier qui est le cas des logiciels qui mettent en œuvre des algorithmes de décision et ont un impact sur les individus ; pour le dire très concrètement, le cas de Parcoursup que les gens connaissent bien. Dans le cas de Parcoursup il y a une obligation de l’administration de mentionner explicitement les algorithmes utilisés et d’être redevable vis-à-vis des citoyens, d’expliquer comment ça marche.

C’est une thématique différente du logiciel libre et du code source, mais l’ouverture des codes sources entre aussi comme un élément de transparence.
Frédéric Couchet : Avant de laisser Xavier Béchade compléter, s’il le souhaite, cette partie-là, deux petites précisions.

Tu dis que cette dynamique logiciel libre effectivement n’est pas nouvelle à la DINSIC. On a évoqué lors de l’émission de janvier que la première structure interministérielle s’appelait, de mémoire, la MTIC, c’était 1998 ou 99, je vais dire la signification de mémoire aussi, je crois que c’était Mission Technologies de l’information et de communication, donc ça remonte à loin.

Deuxième chose, tu parles de Parcoursup, comme l’émission est superbement bien préparée, dans la chronique de Xavier Berne qui suit le sujet long, une partie portera justement sur Parcoursup et une décision récente du Conseil d’État.

Xavier Béchade, est-ce que tu souhaites réagir sur cette introduction, sur le contexte juridique ?
Xavier Béchade : Non, du tout. Simplement la DINSIC est aussi acteur sur des projets de messagerie libre, on en a parlé, ça ne concerne pas seulement la gestion de données, donc on est vraiment dans un domaine assez familier.
Frédéric Couchet : D’accord. Vu qu’on est dans l’introduction et qu’on parle de la DINSIC, je vais poser la question qui fâche parce que, évidemment, je suis obligé de la poser. La DINSIC existe depuis quelques années, il y a eu plusieurs directeurs qui se sont succédé : Jérôme Filippini, Jacques Marzin, Henri Verdier, je suis désolé si j’en oublie un, je ne crois pas. Récemment, enfin récemment, depuis fin décembre ou début janvier, il y a un nouveau directeur qui est Nadi Bou Hanna et qui a soulevé quelques inquiétudes à la fois par une interview, justement de Xavier Berne dans Next INpact, dans laquelle il y avait, je crois, une question sur la notion de priorité au logiciel libre et lui a indiqué que c’était un débat du début des années 2000 et qu’il préférait une approche pragmatique, et puis d’autres événements qui ont fait qu’il y a eu une certaine inquiétude. Est-ce que la dynamique logiciel libre se poursuit à la DINSIC ? Je suppose que si vous êtes là la réponse est sans doute positive. Est-ce que vous pouvez un petit peu rassurer les gens qui s’inquiètent un peu ? Bastien Guerry.
Bastien Guerry : Nadi Bou Hanna est arrivé le 10 décembre de l’année dernière. La dynamique autour du logiciel libre continue sinon je ne serais pas là et non seulement elle continue, mais elle s’incarne, sinon Xavier Béchade ne serait pas là. Je n’ai pas du tout peur du mot « pragmatisme ». L’environnement administratif est un environnement forcément contraint en termes de ressources humaines, en termes de moyens, et il faut tenir compte de ces contraintes pour passer du déclaratif à l’effectif. Passer du déclaratif à l’effectif ça veut dire mesurer ce que signifie l’autonomie, la maîtrise de nos systèmes d’information et leur efficacité ; c’est aussi un mot que Nadi Bou Hanna a employé et on ne peut pas faire l’impasse sur l’efficacité. On reparlera peut-être de la feuille de route TECH Gouv et des grandes priorités, mais dans les grandes priorités il y a la simplification pour les usagers ; c’est le rôle de l’administration.
Frédéric Couchet : La feuille de route est publiée déjà ?
Bastien Guerry : Il y a les grands axes de la feuille de route qui sont publiés avec six priorités : attractivité, inclusion, simplification, économie, maîtrise et alliance.
Frédéric Couchet : J’avais loupé la publication de cette feuille de route, mais on la remettra.
Bastien Guerry : On ajoutera le lien.
Frédéric Couchet : Exactement ! Et ça me permettra de la lire avant de partir en vacances !
Bastien Guerry : La maîtrise, on est là-dessus, on est dans les systèmes d’information. Par exemple une partie de la DINSIC s’occupe du réseau qui met en communication l’ensemble des administrations, eh bien là ça demande de la maîtrise et il y a des enjeux qui sont au-delà du logiciel libre. Le pragmatisme, moi ça me va très bien, ça veut dire qu’on passe des déclarations et des expérimentations à des actions qui, peut-être, sont plus modestes, mais dont on pense qu’elles seront plus effectives pour les priorités qui sont l’efficacité et l’autonomie.
Frédéric Couchet : OK. Dans les inquiétudes il y avait l’attente de la publication d’un document, dont tu as parlé tout à l’heure, qui est le fameux SILL, le socle interministériel de logiciels libre, qui a donc été publié récemment. Ce document a notamment vocation à encourager l’usage concerté et coordonné des solutions libres dans l’administration. Est-ce que tu peux nous faire un petit brief sur ce SILL, d’où il vient, où on en est et peut-être les évolutions futures ? Bastien.
Bastien Guerry : Comme je disais, le SILL c’est un projet historique et emblématique qui mobilise environ 150 agents dans différentes administrations, qui essaye un peu de faire remonter quels sont les logiciels libres en usage dans les ministères, quels sont ceux qui sont cruciaux et surtout qui demande à des agents d’être référents, d’être porteurs, pour tel ou tel logiciel, auprès des autres administrations.

Concrètement, ces agents-là se retrouvent en réunion plénière d’une journée, échangent sur leurs pratiques d’utilisation du Libre, de développement et autres ; on a eu, par exemple, une présentation de l’installation de GitLab dans un ministère.
Frédéric Couchet : C’est quoi GitLab ?
Bastien Guerry : GitLab c’est un logiciel qui permet de déployer une forge, un site web, pour partager du code source, soit publiquement, soit via du partage privé. Ce partage de code source peut se faire entre administrations, donc l’administration utilisatrice, notamment de ce logiciel, partage son expérience là-dessus.

Donc les gens du SILL, qui sont dans ce qu’on appelle les groupes MIM, les groupes de Mutualisation InterMinistérielle , se retrouvaient chaque année en réunion pour échanger des compétences — la vraie richesse c’est vraiment l’échange de compétences interministérielles — et chaque année émergeait un document qui est le socle, qui avait la forme d’un PDF, avec plus d’une centaine de logiciels libres référencés et recommandés par l’État.

Ce qui a changé avec Nadi Bou Hanna c’est que ce SILL, auparavant, était validé dans la réunion des DSI et, après validation, il y avait une publication qui annonçait cette liste de logiciels recommandés. Nadi Bou Hanna, au tout début de son arrivée, lançant des chantiers dont un chantier qui est celui de labellisation de solutions numériques pour essayer de créer un écosystème de confiance autour de solutions numériques, libres et non libres, ne pouvait pas porter, ne pouvait pas demander aux DSI d’aller valider un document dont on prévoyait la refonte.

Aujourd’hui cette refonte est en cours. On a eu une réunion il y a une semaine et demie, je pense, où l’April était présente avec d’autres acteurs du Libre et des ministères. L’idée c’était un peu de faire le constat que c’est difficile de maintenir une communauté, une communauté qui, en plus, n’a pas un portage officiel très net et très clair de la DINSIC, qui a eu un portage flottant – ça c’est un problème qui existait bien avant Nadi Bou Hanna – donc l’idée c’est si on manque de gens pour vraiment porter de la recommandation, cette recommandation perd de la valeur. Du coup, on s’engage plutôt dans une voie de remontée d’usages. C’est-à-dire que la richesse des échanges interministériels eh bien c’est d’aller publier ça pour toucher, au-delà des ministères centraux, les collectivités, les villes et l’ensemble des acteurs. Et de cette remontée d’usages réfléchir à des « systèmes de recommandation » entre guillemets plus latéraux parce que le besoin est sur la connaissance.

Un autre point important c’est que, au début du SILL, juste avant la circulaire Ayrault de 2012, les enjeux c’était de faire converger les systèmes d’information autour d’un logiciel unique, donc on allait chercher dans les bases de données, par exemple, quel était le logiciel de base de données qu’il fallait recommander. Aujourd’hui, moi je pense qu’il faut toujours tenir compte des contextes et qu’on ne pourra pas dire « ce logiciel libre de base de données est le meilleur des logiciels ».
Frédéric Couchet : Et le seul à utiliser ; il y en a d’autres.
Bastien Guerry : Voilà. On travaille sur de la remontée d’usages. Ce n’est pas facile parce qu’il faut embarquer l’ensemble des acteurs historiques qui sont souvent aussi des militants au sein de leurs structures et il faut clarifier le positionnement de la DINSIC sur la manière de les soutenir, ce qui n’est pas encore fait, ce qu’on fera dans les mois à venir et il faut juste faire circuler l’information autour des logiciels et remonter l’usage.
Frédéric Couchet : D’accord. Ces logiciels briques de base c’est ce que vous appelez dans votre terminologie les souches logiciels libres ?
Bastien Guerry : Oui. Ça s’appelle les souches parce que l’ensemble est aussi classé un peu en fonction des systèmes de classification des logiciels et de vue qu’une administration a sur les systèmes d’information.
Frédéric Couchet : D’accord. Je précise ça, parce que comme ce terme est souvent dans les documentations de la DINSIC, c’est important à savoir.

On reviendra tout à l’heure sur la partie de l’accompagnement des administrations dans la publication de codes sources, mais là on va parler d’une autre chose parce que c’est intéressant et d’un projet qui est né à la DINSIC, il y a quelques années maintenant, et qui, justement si j’ai bien compris, est basé sur une souche logiciel libre. C’est un projet, donc Tchap, de messagerie instantanée exclusivement, si j’ai bien compris, destiné aux agents de l’État, notamment pour échanger des informations sensibles. Je suppose que c’est en réaction ou en tout cas pour offrir une alternative libre, sécurisée et on va dire fiable, loyale, à WhatsApp, par exemple. Xavier Béchade, tu es le chef de projet Tchap. Ou non ?
Xavier Béchade : Je m’occupe du projet Tchap. Pour lui rendre honneur, le vrai chef de projet Tchap est mon collègue Jérôme Ploquin, mais l’émission étant en période estivale, il est malheureusement en congé, donc je vais le représenter pour ça ; mais je m’occupe aussi de ce projet.
Frédéric Couchet : Tchap ça vient d’où et, en fait, c’est quoi ?
Xavier Béchade : Ça vaut la peine de revenir sur la raison d’être de ce projet, le contexte qui, ce qui a été cité, à savoir qu’on est parti d’un constat qui était qu’on avait de nouveau usages qui se déployaient, effectivement WhatsApp mais aussi Telegram, tout ce qui est connu du grand public, et que ces applications tirent pas mal d’usages et, finalement, changent nos habitudes numériques, y compris dans toutes les communautés et jusqu’au sein de l’État. C’est-à-dire qu’il est très tentant, en fait, d’utiliser ces applications pour un usage professionnel, mais c’est au détriment de la confiance qu’on peut y porter, donc on a ressenti comme étant un des premiers intérêts de s’intéresser à ce sujet-là pour proposer une solution qui soit pérenne.

Ce qui nous a fait démarrer sur cette initiative ça a été de constater qu’on voulait sécuriser les communications des hautes autorités et on se rendait compte que ces gens-là, en fait, sont d’une nouvelle génération, que le SMS, c’est bien, la voix c’est bien aussi, mais si on ne peut pas faire du chat, eh bien ça ne marche pas.
Frédéric Couchet : Donc c’est la génération WhatsApp, en fait !
Xavier Béchade : Exactement ! Clairement c’était une époque politique, ça date de 2017. La question nous est arrivée collégialement et la DINSIC s’en est saisie à l’automne 2017 en disant « qu’est-ce qu’on fait ? »

On a fait un peu le tour des solutions, que ce soit éditeurs ou libres, on a regardé un petit peu l’ensemble du panorama pour voir ce qui pouvait être une bonne réponse à cette problématique.

On a fait un tour complet, avec ce besoin de développer un outil collaboratif. On a regardé avec l’aide de l’ANSSI, l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information, puisqu’on s’est entouré de sachants dans ce domaine pour être orientés. On a fait un tour de table à peu près de tout ce qu’on pensait exister dans le domaine, on a vu du Libre, de l’éditeur, et on a fini par prendre une orientation en retenant justement un produit existant et en s’orientant sur une stratégie libre. En fait, on a regardé un des produits, on a trouvé la ligne on va dire souche, un projet je préfère dire, qui est un projet qui s’appelle Matrix Riot qui, d’un point de vue de technicien, nous semblait avoir de bonnes garanties de développement et jusqu’à présent, on touche du bois, on est assez heureux là-dessus. Il y a une communauté active, un critère, parce que faire le pari du Libre c’est aussi faire le pari d’une évolutivité. On voit une communauté qui est active, un produit qui se développe et une synergie qui passe autour de ce projet.

Voilà à peu près le démarrage. Effectivement, début 2018, on s’est engagé, on a fait un petit test, on a vu que ça marchait et on est parti sur un projet à partir d’un cahier des charges d’exigences fonctionnelles. On a un petit peu fait le tour des popotes pour voir ce qu’on voulait. Il fallait que ça soit l’état de l’art, un certain nombre de choses qu’on ne retrouve pas non plus dans des messageries, comme avoir accès à un annuaire, des choses toutes bêtes, comment transposer une messagerie grand public à un usage professionnel. Il y a de choses en plus, je ne vais peut-être pas les détailler maintenant, on a beaucoup de choses qui ont été apportées, mais on a voulu rester dans l’esprit de « on colle au plus près du projet libre ».
Frédéric Couchet : Sur le fait que ce soit un projet libre, quel était l’avis de l’ANSSI ?
Xavier Béchade : L’ANSSI a toujours été très claire là-dessus, notamment sur la sécurité, je répéterai ce qu’on nous a dit : « La sécurité n’est pas dans le secret, donc ça ne sert à rien de cacher son code ». À partir de là le Libre est parfaitement ouvert et ils ont été très accompagnants là-dessus. Évidemment, faire du Libre, ça veut dire quelques réflexes élémentaires : si vous trouvez une faille de sécurité ne commencez pas par la mettre sur un répertoire ouvert au public avant de la corriger. Vous corrigez d’abord et après vous mettez votre correctif dans le code qui est partagé, on utilise des repositories ad hoc.

L’ANSSI a toujours été très accompagnante, partant aussi du fait que le constat de départ c’est que ne rien faire ça veut dire continuer à avoir l’utilisation de WhatsApp ou de Telegram, donc il faut voir aussi ce qu’on fait. Dans le domaine de la sécurité, on a toujours eu cette possible opposition entre la sécurité et l’ergonomie et là, on a cette démarche consistant à dire qu’il faut une sécurité d’un bon niveau et il faut surtout toucher le plus grand nombre. La vraie sécurité c’est le produit du niveau de sécurité par le nombre de personnes qu’on peut atteindre et si on sécurise parfaitement un produit fermé, il n’y a pas de sécurité.
Frédéric Couchet : D’accord. On va préciser que Tchap en lui-même est un logiciel libre dont les sources sont disponibles sur un dépôt de sources, on mettra le lien pour les personnes intéressées. Par contre, c’est un outil de messagerie qui est exclusivement destiné aux personnes de l’État. C’est ça ?
Xavier Béchade : On peut préciser qu’actuellement Tchap est ouvert depuis plusieurs mois et destiné aux agents de l’État.
Frédéric Couchet : Aux agents de l’État.
Xavier Béchade : Aujourd’hui on va dire que c’est exclusif et, sans rentrer dans des détails particuliers, il a aussi une vocation qui est de s’étendre pour qu’on puisse interagir avec des personnes avec qui on doit discuter qui ne sont pas forcément des agents de l’État, dans le cadre d’invitations, mais là j’anticipe un peu sur l’évolution du produit. Tchap est un produit jeune, qui démarre maintenant, et actuellement c’est ça.
Frédéric Couchet : OK. On reviendra sur l’évolution tout à l’heure, notamment ma question sur la volonté de pouvoir communiquer avec d’autres personnes qui utilisent Matrix mais n’étant pas sur l’État. On reviendra tout à l’heure sur l’évolution des fonctionnalités.

On va revenir un petit peu sur le deuxième sujet qu’a cité tout à l’heure Bastien Guerry qui est donc l’accompagnement de l’administration pour la publication de codes sources par l’État et déjà le recensement de codes sources. En tant que référent logiciels libres, je suppose que cette tâche est une partie de ta tâche. Est-ce que tu peux nous donner quelques détails sur l’importance de cette tâche et puis les bonnes pratiques, l’évolution ?
Bastien Guerry : Oui, tout à fait. D’abord, juste une parenthèse un peu, parce que c’est important dans l’esprit des gens, je pense, de mesurer les dimensions en termes d’administration. La DINSIC est une administration d’environ 140 agents, donc on est tout petit y compris par rapport à des grandes DSI des ministères.
Frédéric Couchet : DSI, Direction des systèmes d’information.
Bastien Guerry : Voilà. D’autres directions des systèmes d’information des ministères. Donc on est dans l’incitation, la valorisation et l’accompagnement au quotidien, au fil de l’eau j’allais dire. Par exemple, pour moi ça prend la forme d’un mail que je reçois de la Cour des comptes me disant « nous avons ce logiciel, nous aimerions l’ouvrir, comment fait-on ? » Le « comment fait-on ? », il y a une partie juridique de réponses aux questions sur quelles sont les licences à utiliser. Ces licences ont été fixées par décret. Pour ce qui est des licences permissives, on retrouve les licences habituelles Apache, MIT et autres, et on inclut aussi des licences à réciprocité type GNU Affero General Public License et autres. Donc c’est répondre sur le plan juridique.

Répondre aussi sur le plan technique parce qu’en fait, les personnes avec qui je discute ne sont pas tout le temps directement les développeurs ; ça peut être soit des développeurs si c’est un développeur interne à l’administration, soit le chef de projet qui récupère le code d’un prestataire. Donc ce chef de projet-là, eh bien il ne sait pas ce qu’est que le format Markdown pour un readme et il n’a pas forcément toutes ces habitudes-là qui font partie, pour nous, de la qualité qu’on veut encourager.

Donc au quotidien c’est ça, c’est accompagner des administrations sur leurs demandes d’ouverture.

Des fois c’est plus en amont. On peut imaginer soit une agence publique soit un ministère qui va lancer un appel à projet et donc, dans le cadre de cet appel à projet, il va faire des recommandations sur la publication des données en général, donc soit les données en open data, soit les données de logiciel produit dans le cadre de ces différents projets répondant à l’appel à projet. Donc là j’interviens un peu plus en amont pour essayer de mesurer les enjeux et, toujours pareil, de répondre aux questions sur : c’est quoi une licence libre ? C’est quoi l’intérêt de le faire et c’est quoi le risque de le faire ?

Il faut bien voir que c’est de l’énergie en plus, ça coûte d’ouvrir du code. Nous, on privilégie l’ouverture de nouveaux codes plutôt que d’aller chercher des projets déjà existants où je ne peux assumer seul la complexité et on n’est pas assez nombreux, en termes de ressources, pour accompagner l’ouverture de gros projets, mais ça fait aussi partie de cela. À titre d’exemple, en ce moment je discute avec le développeur de la plateforme HAL, la plateforme de partage des publications scientifiques.
Frédéric Couchet : H, A, L.
Bastien Guerry : H, A, L, voilà. La plateforme des publications scientifiques. On discute de comment ouvrir ce code qui est ancien, qui a du legacy, où c’est compliqué.
Frédéric Couchet : Du legacy ?
Bastien Guerry : Legacy, de l’héritage délicat à gérer. Le code est une matière vivante et périssable.

Donc c’est ça l’ouverture, c’est l’accompagnement en direct un à un.

En parallèle, avec un collègue d’Etalab, Antoine Augusti, on a commencé à essayer de faire un peu un recensement des comptes d’organisations présents sur GitHub, GitLab et d’autres forges et qui sont des comptes d’organisations d’organismes publics ; on a le ministère des Finances, on a la DINSIC, on a différents projets. Ce n’est pas un compte d’organisation par structure, ce serait trop simple, ça peut être des comptes d’organisations par projet. On en a référencé plus d’une centaine qui nous donnent, aujourd’hui, une vue sur à peu près 2000 dépôts de codes sources. Donc si on veut un état du code source ouvert par l’administration, on a 2000 dépôts ; évidemment, là-dedans il y a à boire et à manger : il y a des dépôts où il n’y a pas de licence ; il y a des dépôts où il ne faudrait pas que ce soit ouvert, enfin il y a de tout, mais c’est un point de départ. L’idée, un peu comme je disais pour le SILL, on va aller vers l’usage plutôt que la recommandation. Là c’est prendre ce point-là de départ, essayer d’identifier des dépôts critiques qui demandent à être valorisés pour qu’une mairie, demain, aille chercher sur ce moteur de recherche, trouver un dépôt qui l’intéresse et qu’il y ait, peut-être à terme, de la mutualisation.

La mutualisation c’est le Graal dans le Libre, mais souvent on l’invoque très tôt alors que c’est le plus compliqué à faire, encore plus quand on est une administration où il y a beaucoup de frictions et de petites cases [de mémoire, Note de l’intervenant].
Frédéric Couchet : D’accord. Tout ça c’est très intéressant et on va y revenir après la pause musicale. Là, on va changer de style par rapport à nos pauses musicales classiques et je remercie nos invités parce que ces pauses musicales c’est leur choix. On va écouter Nocturne de Frédéric Chopin mais par Frank Levy et on se retrouve juste après.
Pause musicale : Nocturne de Frédéric Chopin par Frank Levy.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Nocturne opus 9 n°2 en mi-bémol majeur, j’espère que je dis pas de bêtises, de Frédéric Chopin joué par Frank Levy. C’est dans le domaine public. Cette musique a été trouvée sur un projet que je ne connaissais pas, qui s’appelle Musopen, qui propose des enregistrements d’œuvres dont les partitions sont dans le domaine public et l’enregistrement est diffusé sous une licence libre. Eh oui, effectivement, il y a aussi les droits voisins, il n’y a pas que les droits d’auteur qui jouent. Quand on fera une émission sur les musiques libres, on parlera de ça. Vous retrouverez les références sur le site de l’April. Je remercie, je ne sais plus si c’est Xavier ou Bastien, c’est Bastien qui avait proposé ce titre. Tout à l’heure nous écouterons encore de la musique classique.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Avant de reprendre, je vais répondre à la première question du quiz du début d’émission. Il n’y a pas de réponse sur le salon ou sur les réseaux sociaux, en tout cas je n’en ai pas vu passer. Lors de l’émission du 2 juillet, nous avons parlé d’un outil en cours de développement, un outil libre, pour faciliter la gestion et la valorisation du bénévolat dans les associations. Je vous demandais son nom et son site web. Le nom c’est Bénévalibre et le site web c’est assez facile, c’est benevalibre.org. N’hésitez pas à le tester, notamment si vous êtes des associations car c’est en cours de développement ; il y a plusieurs partenaires qui participent : l‘April, Framasoft, le Crédit coopératif et la Crajep de Bourgogne Franche-Comté, si je ne dis pas de bêtises.
Nous allons reprendre le sujet. On va revenir sur Tchap. Tchap c’est t, c, h, a, p.
Xavier Béchade : Tout à fait.
Frédéric Couchet : Une petite question, Xavier Béchade, d’où vient le nom Tchap ?
Xavier Béchade : Merci de la question parce que c’est un nom qui a une petite histoire.

Tchap c’est déjà une marque qui est déposée, mais, au départ, en fait c’est un hommage au télégraphe Chappe. Alors qu’est-ce que c’était ? Claude Chappe est quelqu’un qui inventé un projet de transmission par réseau sémaphore optique, c’est-à-dire des transmissions optiques, qui datait de la Révolution et ça était, finalement, le premier système de communication nationale. Pour les Parisiens qui connaissent il y a un métro qui s’appelle Télégraphe ; c’était, en fait, un point haut de Paris au sommet duquel vous aviez les grands bras du télégraphe Chappe. Donc Tchap comme télégraphe Chappe ; c’est sorti directement de cette inspiration. Au départ, on avait pensé l’appeler « Chap », moi je trouvais que ça évoquait old chap, que ça faisait un petit peu anglais, sympathique, mais c’était plus difficile à challenger.
Frédéric Couchet : Old chap dans le sens « bon copain », quoi !
Xavier Béchade : Oui. Le copain. En revanche si ça avait été un petit lourd, ça aurait fait chape de plomb, on m’a dit que ce n’était pas une bonne idée, on a fini par ajouter un « T » et, du coup ça faisait aussi avec l’homophonie avec le chat anglais et on s’est dit « mais oui, c’est forcément une bonne idée ! »
Frédéric Couchet : D’accord. Tchap, T, c, h, a, p.

Tout à l’heure on a parlé un petit peu de la genèse, des objectifs ; on va voir aussi les évolutions à venir. J’avais une question que j’avais commencée tout à l’heure. Tchap est basé sur Matrix qui est un protocole de communication décentralisé. Le logiciel c’est Riot.
Xavier Béchade : Le logiciel client est Riot.
Frédéric Couchet : C’est Riot. Donc c’est de la messagerie instantanée pour les agents de l’État. Est-ce qu’il y a la volonté de pouvoir communiquer avec d’autres personnes qui sont sur d’autres messageries instantanées basées sur le même protocole, sur les mêmes outils.
Xavier Béchade : Au départ il y a le projet de pouvoir discuter avec d’autres personnes. Quand on est entre nous, une messagerie instantanée, on n’aura peut-être jamais quand même le milliard de WhatsApp, mais il faut une communauté suffisante. L’entre-nous ça n’existe pas dans ce domaine-là, sinon l’application est morte, l’usage n’est pas là. Le besoin ça va être, et ça faisait aussi partie de notre ambition au départ, de pouvoir discuter avec des gens qui ne sont pas eux-mêmes des agents de l’État. On a parlé de la sécurité tout à l’heure, le projet le plus court terme qu’on a, vraiment important, c’est de pouvoir proposer que cette application soit utilisée aussi par des gens qui ne sont pas des agents de l’État. Donc ça c’est le court terme et pour y répondre, la partie interopérabilité nécessite un certain nombre de contrôles. C’est une ouverture, mais je pense qu’on est vraiment focalisés actuellement sur la question de l’ouvrir au plus grand nombre en utilisant notre messagerie pour des gens qui ne sont pas agents de l’État.
Frédéric Couchet : C’est-à-dire le grand public ?
Xavier Béchade : Le grand public pourra être invité par un agent de l’État. On peut imaginer des cas d’usages qui restent à créer.
Frédéric Couchet : Peut-être des prestataires de l’État.
Xavier Béchade : Les prestataires sont autorisés par l’État et vous avez, par exemple, quelqu’un qui veut discuter avec un gendarme, je ne sais pas, mais, à l’initiative du gendarme, peut-être qu’il sera possible qu’il y ait une discussion vers l’administré ou le citoyen.
Frédéric Couchet : Par exemple on peut imaginer dans le cas d’un dépôt de plainte.
Xavier Béchade : Je n’imagine pas des cas d’usage, ils sont à créer. Au départ Tchap c’est vraiment fait pour faciliter les usages et développer l’environnement numérique de travail. Ce n’est pas un projet descendant, imposé ; c’est basé sur « l’agent se rend compte qu’il y a bénéfice ».
Frédéric Couchet : Ce qui facilite l’adoption, en fait.
Xavier Béchade : Pour faciliter l’adoption. C’est pour ça que c’est un projet qui a été piloté aussi par l’usage, le bénéfice pour l’utilisateur, la modernisation de l’environnement de travail de l’agent et le décloisonnement. Je pense que c’est important de parler du décloisonnement.
Frédéric Couchet : Explique-nous ce qu’est le décloisonnement ; je ne suis pas sûr de comprendre !
Xavier Béchade : Le décloisonnement c’est un grand mot. Je vais parler d’une cloison qui existerait, une cloison virtuelle bien sûr, entre différentes identités ; l’État est une grosse entité vue de l’extérieur, c’est plutôt beaucoup de petites entités en interne et chacun a sa direction des systèmes d’information et chacun a son système.

Avec Tchap, on a un système qui ne nécessite pas d’infrastructure locale. Ça veut dire que n’importe qui peut l’utiliser un peu comme n’importe qui peut utiliser WhatsApp. Le fait d’avoir un bien commun qui est cette messagerie et cette capacité à dialoguer, notamment en interministériel, c’est aussi quelque chose qu’on apporte en termes de transformation numérique au travers cet outil, parce que ça n’existait pas.
Frédéric Couchet : D’accord. Très bien. Je précise que sur le salon web de la radio – je rappelle causecommune.fm vous cliquez sur le bouton « chat » et non pas « tchap » mais en l’occurrence « chat » –, on a des retours sur la musique de Chopin, donc @macousine et mdk qui sont des pseudos, qui disent que la musique est très belle et mdk qui dit que la personne aime beaucoup travailler avec du Chopin ; donc ça lui plaît. On est ravis que ça vous plaise parce que nous ça nous a beaucoup plu ici je peux vous le dire, notamment Christian Momon, membre du CA, qui fait des photos aujourd’hui, était ravi. Je sais que la musique d’après lui plaira encore plus !
On va revenir à notre sujet parce que le temps passe quand même vite et ces sujets sont passionnants. Je pense qu’on aura l’occasion de refaire d’autres émissions. Tout à l’heure, juste avant la pause musicale, tu parlais de la mutualisation. Est-ce que tu veux faire un point sur le Graal mutualisation ou est-ce qu’on parle tout de suite de Blue Hats, les fameux chapeaux bleus ; il y avait un événement libriste il y a quelque temps. Bastien.
Bastien Guerry : Je ferai plutôt un pas de côté par rapport à la mutualisation, mais pour rebondir aussi sur ce que disait Xavier et dire que l’un des effets importants que Tchap a, par exemple, c’est de sensibiliser les agents à la question de la souveraineté, donc la souveraineté numérique dans l’utilisation des outils, le fait d’avoir mis cet outil à disposition. On n’est pas là pour simplement convaincre des convaincus. Des gens arrivent parce que l’outil est disponible et, arrivant parce que l’outil est disponible, se familiarisent avec les enjeux de souveraineté, donc c’est un vecteur important interne. Xavier a cité…
[Bruit de sonnerie]
Bastien Guerry : Qu’est-ce qui se passe ? J’ai dit une bêtise ?
Frédéric Couchet : En fait, c’est peut-être le prénom qui a fait réagir ! Je vais m’excuser. C’est mon laptop, mon ordinateur portable, qui a fait un bruit bizarre. Je vais préciser pourquoi. Je vais préciser très rapidement parce que, en plus, c’est en lien avec ce que tu viens de dire « souveraineté numérique ». En fait, au Sénat, il y a des auditions de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique, donc avant le début de l’émission on écoutait l’audition parce notamment mon collègue Gonnu est auditionné et j’avais oublié d’arrêter le son et là, visiblement, j’ai eu une notification.
Bastien Guerry : C’est du vrai direct !
Frédéric Couchet : Je m’excuse aussi auprès d’Olivier Grieco qui va traiter le podcast derrière, qui supprimera, donc on n’aura ça que sur le direct. Je te laisse continuer sur ce pas de côté.
Bastien Guerry : Le pas de côté c’était pour parler de cette sensibilisation, via les outils, du projet très important qui est l’environnement de travail numérique de l’agent qu’on appelle ETNA en interne.
Frédéric Couchet : ETNA ?
Bastien Guerry : ETNA pour environnement de travail numérique de l’agent, Xavier, tu m’arrêtes si je dis une bêtise.
Xavier Béchade : C’est tout à fait ça.
Bastien Guerry : On a des agents publics qui sont très nombreux et qui ont un poste de travail qui est parfois désuet, qui est parfois compliqué, avec des outils qui ne sont pas forcément à jour, et la DINSIC a vraiment à cœur de mettre ça dans ses priorités : la simplification des services pour les usagers, les citoyens, mais aussi l’amélioration des conditions de travail des agents. Là aussi, dès que le Libre, le logiciel libre, peut être utilisé comme un levier pour cet objectif-là, on le fait ; on le fait avec Tchap, on le fait aussi avec Jitsi, la solution de webconférence. Ce qui est intéressant de noter c’est que ce n’est pas tout le temps la DINSIC qui est faiseur, mais elle est en animation et en coordination de projets interministériels. Par exemple Jitsi, c’est porté notamment par le ministère de la Transition écologique et solidaire.

Voilà. C’était juste ce petit pas de côté pour dire que derrière les enjeux de souveraineté de façon un peu abstraite, il y aussi vraiment des enjeux de confort et d’efficacité au quotidien du travail de l’agent et, dès que le Libre a son mot à dire là-dedans, on y va.
Frédéric Couchet : De toute façon, récemment on faisait une émission sur la bureautique libre, notamment LibreOffice et la migration de la ville de Grenoble, et un point essentiel c’était aussi qu’il fallait partir des besoins et du confort d’utilisation des personnes qui allaient utiliser l’outil. On n’utilise pas un outil juste pour le plaisir de l’utiliser, il faut partir de là.

Tout à l’heure j’ai cité Blue Hats, les chapeaux bleus. Blue Hats c’est quoi ? C’est une communauté justement d’agents de l’État impliqués dans le logiciel libre ? Qu’est-ce que c’est exactement ?
Bastien Guerry : Moi je revenais de deux ans passés dans le programme Entrepreneurs d’intérêt général. J’avais compris l’intérêt non seulement d’avoir des profils atypiques dans chaque administration, mais aussi d’avoir une communauté. Blue Hats est né de l’idée que ce serait bien – Xavier a dit décloisonnement mais c’est un peu ça – de favoriser les échanges entre personnels compétents, agents publics compétents sur des profils techniques, donc développeurs, dans l’administration dès lors qu’il s’agit de logiciel libre, et d’ouvrir cet échange de compétences, ce qu’on appelle avec Laurent Joubert qui a conçu l’idée avec moi, compagnonnage. Donc c’est encourager un peu une forme de compagnonnage, d’accompagnement de communautés autour de problématiques techniques. Si on a une problématique, je ne sais pas, autour des bases de données, on a cité ça tout à l’heure, de la migration vers des bases de données relationnelles à des bases de données NoSQL, eh bien des gens qui font des bases de données non relationnelles peuvent se mettre ensemble pour tester les outils, expérimenter, partager. C’est surtout, aussi, l’idée de s’ouvrir hors administration à des gens qui peuvent apporter des compétences. On veut que les libristes qui sont engagés aujourd’hui dans de l’échange de compétences, que ce soit des ateliers de contribution comme Framasoft peut en organiser aussi, eh bien que dans ses ateliers-là il n’y ait pas de raison qu’il n’y ait pas d’agents publics, et donc c’est favoriser ça.

Aujourd’hui les ateliers Blue Hats ne sont pas formellement lancés parce qu’on ne voulait pas que ce soit un mouvement descendant et la contribution de la DINSIC c’est l’éditorialisation tous les deux mois d’une gazette, c’est la gazette #bluehats qui a aujourd’hui 570 inscrits, donc on diffuse des nouvelles de logiciels libres dans l’administration, donc des montées de version, des ateliers qui s’organisent ailleurs.
Frédéric Couchet : Précisons que n’importe qui peut s’inscrire, ce ne sont pas uniquement des personnes de l’administration : je suis inscrit à cette liste. On mettra évidemment le lien sur le site de l’April. Toute personne intéressée par ce qui se passe dans l’administration avec le logiciel libre peut s’inscrire à cette gazette, qui est une lettre d’information électronique, tous les deux mois. C’est ça ?
Bastien Guerry : Exactement. C’est ça. On envoie un e-mail et on reçoit aussi des contributions. Donc les gens qui ont à dire « moi je suis prestataire, je travaille avec telle collectivité territoriale, on a mis en place ça et voici l’URL du cas d’usage qu’on voudrait partager avec le reste de la communauté », on fait remonter ces informations.
Frédéric Couchet : URL, c’est l’adresse web à laquelle on trouve la page.
Bastien Guerry : Oui.
Frédéric Couchet : Excuse-moi de préciser.
Bastien Guerry : Non, tu fais bien de me déchiffrer.
Frédéric Couchet : C’est un défaut de toute personne qui est passionnée par son activité d’employer des acronymes ou des mots qu’on pense maîtrisés. Évidemment, on encourage les personnes qui nous écoutent à s’inscrire à cette gazette pour recevoir tous les deux mois l’état de l’art, on va dire, du logiciel libre dans l’administration et, si elles peuvent proposer des contributions, de ne pas hésiter à le faire.
Bastien Guerry : Voilà. C’est parti du constat de la force de l’échange communautaire au sein du programme Entrepreneurs d’intérêt général et aussi, si on regarde dans les dix organisations qui publient le plus de codes sources sur GitHub, parmi ces dix organisations il y en a deux qui sont beta.gouv et Etalab, sur l’ensemble des organisations en France.
Frédéric Couchet : En France, je croyais que tu parlais dans le monde. C’est bien !
Bastien Guerry : Non, non, en France, pas dans le monde, simplement en France ! Ça veut dire qu’on a du code libre, ouvert, qui n’est pas forcément connu des gens, qui n’a pas forcément vocation à être tout le temps mutualisé ou à recevoir des contributions, ça c’est aussi un point important, mais dès qu’on peut valoriser des choses qui se font et surtout augmenter la surface de contact avec la société civile et les libristes développeurs autres, parce que, dans les six priorités que j’ai citées, on a l’attractivité. L’État, et ce n’est pas un problème franco-français, toutes les structures publiques dans le monde ont le besoin d’attirer des profils techniques qui coûtent cher, qui sont différents, qui sont difficiles à recruter et on pense qu’en valorisant ce qui se fait dans le logiciel libre ça nous aidera à recruter.
Frédéric Couchet : Quand tu parles de recrutement, je confirme, parce que dans le domaine de l’entreprise du logiciel libre, toutes les entreprises du logiciel libre disent qu’elles ont du mal à recruter, c’est effectivement comparable à l’administration. Comme j’avais déjà dit lors de la première émission avec Laurent Joubert et Mathilde Bras, quelque chose que je trouve formidable depuis quelques années à la DINSIC et à Etalab, c’est justement la présence de personnes comme Bastien ou de Laurent Joubert et d’autres, qui viennent des communautés logiciel libre, qui apportent une expérience. On en parlait avant l’émission, tu viens initialement d’un autre monde, totalement différent, et tu apportes une vraie expérience totalement différente. Au-delà des inquiétudes qu’il pouvait y avoir en début d’année, il faut saluer ce travail-là, la présence de ces personnes vraiment impliquées depuis longtemps et qui apportent énormément de choses.
Le temps passe très vite. En fait, je vais vous laisser choisir ce dont vous voulez parler pour finir l’émission. Est-ce qu’il y a un point ou deux que vous souhaiteriez aborder ? Peut-être le marché de support, je ne sais pas, ou le contexte européen autour du Libre dans les administrations ou des messages à faire passer ? Je ne sais pas. Bastien, Xavier. Il nous reste trois-quatre minutes.
Bastien Guerry : Juste sur ce que tu viens de dire, moi je suis très heureux d’être à la DINSIC, à Etalab, il y a la même effervescence, la même créativité. Christian Quest avait déployé une instance de Mastodon. On réfléchit aussi à continuer ce travail.
Frédéric Couchet : Mastodon c’est un outil, j’allais dire microblogging, c’est moi que me plante, messages courts.
Bastien Guerry : Un outil de messages courts, fédéré.
Frédéric Couchet : Décentralisé.
Bastien Guerry : Voilà, décentralisé ; c’est pour remplacer Twitter. On est encore dans l’expérimentation et il y a vraiment cette effervescence qui est très agréable. C’est bien de venir, ce qui est difficile c’est de rester et de s’engager longtemps. Moi je m’engage au moins jusqu’à la fin de mon mandat qui dure trois ans.
Frédéric Couchet : Ma question : ça dure combien de temps, trois ans ?
Bastien Guerry : Ça dure trois ans et si je peux je resterai. Je pense que c’est important d’essayer d’incarner longtemps les problématiques parce qu’il y a forcément un temps d’apprentissage. Moi je ne suis pas arrivé avec des leçons à faire à qui que ce soit, j’apprends. On apprend parce qu’on ne connaît pas les contraintes d’avance et puis on avance doucement.

Peut-être un mot sur le contexte européen. Il y a des projets très intéressants, notamment un projet qui s’appelle The Foundation for Public Code, qui a travaillé un référentiel de métadonnées pour décrire les dépôts de codes sources partagés par le secteur public. Ça c’est l’un des chantiers qu’on voudrait enclencher, c’est-à-dire à partir de la liste des 2000 dépôts de codes sources publics qu’on trouve, commencer à éditorialiser et à inciter à utiliser ces métadonnées pour que les catalogues qui se construisent en Italie, en Hollande et dans d’autres pays puissent avoir un peu les mêmes données de référence et encouragent la mutualisation. Je sais qu’autour de Tchap il y a d’autres pays qui se sont montrés intéressés ; être capable de décrire Tchap avec des métadonnées claires sur quelles sont les contributions attendues, par où commencer quand on veut aider ou quelle est la licence, des questions factuelles, eh bien ça peut aider. Moi je crois beaucoup à cette forme de mobilisation.

Dire aussi qu’on a des rendez-vous un peu réguliers avec le service numérique canadien, par exemple, qui est un peu l’équivalent des startups d’État, qui va améliorer le service numérique, et qu’on a tous à cœur de voir comment le Libre, comme levier, peut aider. Le Libre est utilisé partout. Il faut, maintenant, pas seulement l’utiliser mais identifier là où il critique, et là où il est critique que l’administration elle-même contribue.
Frédéric Couchet : D’accord. Xavier Béchade, tu as le mot de conclusion.
Xavier Béchade : J’ai eu beaucoup de plaisir à vous présenter Tchap et ça aura ététrop court. Peut-être juste un mot pour ce qu’on n’a pas pu dire. Il y a une foire aux questions en ligne, donc si vous voulez y aller je vous renvoie sur www.tchap.gouv.fr/faq parce qu’on n’aura pas le temps de tout déployer. Et pour aller dans le sens Bastien, il y a aussi beaucoup d’intérêt à l’étranger aussi. Je pense qu’on a prouvé qu’on pouvait aussi adresser des sujets de souveraineté sous un autre angle que ce qu’on fait d’habitude et que ça suscite beaucoup d’intérêt.
Frédéric Couchet : Écoutez, c’est très bien ! Je vous remercie tous les deux, Xavier Béchade du projet Tchap, Bastien Guerry, référent logiciels libres à la DINSIC, Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État. Merci à vous, je vous souhaite une belle journée.
Bastien Guerry : Merci beaucoup.
Xavier Béchade : Merci.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons faire une petite pause musicale, également choisie par nos invités. Là c’est une pause musicale choisie par Xavier Béchade. On va écouter Bach’s Open Goldberg Variations, les Variations Goldberg de Bach par Kimiko Ishizaka et on se retrouve juste après.
Pause musicale : Bach’s Open Goldberg Variations par Kimiko Ishizaka.

Chronique de Xavier Berne sur l’IRFM et les algorithmes de Parcoursup

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Les Variations Open Goldberg par Kimiko Ishizaka, évidemment de Jean-Sébastien Bach. Je précise que, pareil, c’est sous licence libre, là c’est en licence Creative Commons Attribution. Excusez-moi, c’est la fin de saison, c’est un petit peu difficile. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, sur radio Cause Commune sur 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.

Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec une chronique de Xavier Berne, journaliste à Next INpact. Bonjour Xavier.
Xavier Berne : Bonjour.
Frédéric Couchet : Aujourd’hui, Xavier, tu vas nous parler de deux choses, et principalement de transparence.

Première chose : le Conseil d’État a rendu il y a peu une décision importante concernant les frais de mandat des parlementaires, ce qu’on appelle l’IRFM, pour Indemnité représentative de frais de mandat. Explique-nous un petit peu ça, s’il te plaît.
Xavier Berne : Oui, absolument. Donc l’IRFM, comme tu l’as dit a été supprimée, a été transformée en allocation de frais de mandat. mais si on en parle c’est parce qu’en fait, en 2017, l’association Regards Citoyens avait demandé à avoir accès aux détails d’attribution de cette enveloppe qui est attribuée à chaque parlementaire. L’IRFM c’était une enveloppe d’environ 5000 euros par mois qui étaient destinés à couvrir, en quelque sorte, les frais professionnels des députés comme la location de leur permanence ou s’ils avaient besoin d’acheter un gerbe de fleurs pour une cérémonie officielle, etc.

L’enjeu derrière tout ça ? En fait, Regards Citoyens cherchait à obtenir la transparence sur ces informations, d’une part pour démontrer que cet argent était aussi utile au bon fonctionnement de la démocratie et aussi, implicitement, c’était d’inciter les élus à être davantage précautionneux dans l’usage qu’ils pouvaient faire de ces deniers publics. On a par exemple entendu parler, il y a quelques années, de ce député qui avait acheté sa permanence grâce à l’IRFM et, plus récemment, dans le dernier rapport de la déontologue de l’Assemblée nationale, on a vu qu’il y avait des députés qui avaient cherché à savoir s’il était possible d’utiliser, grâce à cette enveloppe, par exemple les amendes qu’ils avaient pu avoir, des contraventions routières, ou même s’ils pouvaient s’acheter une trottinette électrique ou une paire de lunettes.

Tout ça pour dire que Regards citoyens avait demandé en 2017, aux députés de la précédente majorité, de communiquer leurs relevés bancaires de l’IRFM. Il y en avait uniquement sept qui avaient répondu favorablement. Regards Citoyens s’était donc tournée vers le juge administratif pour contraindre les parlementaires à faire la transparence sur l’utilisation qu’ils avaient eue de ces deniers publics. Sauf que l’année dernière, le tribunal administratif de Paris s’est jugé incompétent. Donc voilà, manque de chance pour Regards Citoyens qui, malgré tout, ne s’est pas laissé décourager puisqu’ils se sont tournés devant le Conseil d’État dans le cadre d’un pourvoi en cassation.

Le 27 juin dernier, surprise, le Conseil d’État a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris, jugeant, qu’en fait, le juge était bel et bien compétent pour savoir si, oui ou non, ces fameux relevés bancaires étaient des documents administratifs communicables à tout citoyen sur le fondement de la fameuse loi CADA sur l’accès aux administratifs. Mais problème, le même Conseil d’État a jugé que les fameux documents n’étaient pas communicables. Donc on arrive à peu près au même résultat !

Mais là où le bât blesse, c’est dans le peu de motivation de la décision du Conseil d’État puisqu’en fait c’est très court et le Conseil d’État laisse entendre qu’il pourrait y avoir une atteinte à la souveraineté nationale si ces documents étaient révélés au grand public.
Frédéric Couchet : L’excuse de la fameuse souveraineté nationale ? C’est ça ?
Xavier Berne : Oui, c’est ça. Le problème c’est qu’il y a très peu de motivation et ça a suscité une vive réaction de la part de l‘association Regards Citoyens pour qui c’était un pur argument d’autorité. En fait, le Conseil d’État a instauré, en quelque sorte, un écran opaque et pas forcément bien valide sur le plan juridique à leurs yeux, c’est comme ça en tout cas qu’on le ressent, et qui justifie l’opacité sur des informations qui, à leurs yeux, relèvent du public, de l’intérêt général, puisqu’il s’agit, comme je le disais, de deniers publics. On est quand même sur des sommes qui sont relativement importantes : 5000 euros par mois pour chaque député, sachant qu’ils sont quasiment 600, on est vite sur des montants qui atteignent plusieurs millions d’euros chaque année.
Frédéric Couchet : Tout à fait. Est-ce que ça signifie que l’affaire va en rester là ?
Xavier Berne : Il n’y a rien d’acté pour l’instant à ma connaissance. Regards Citoyens a simplement communiqué sur le fait qu’ils allaient étudier avec leurs avocats un possible recours devant la Cour européenne de droits de l’homme, mais, même dans une telle hypothèse, ça risque pendre beaucoup de temps et d’être assez fastidieux.
Frédéric Couchet : D’accord. Écoute, on va suivre un peu ce que fait Regards Citoyens et, s’ils nous écoutent, peut-être qu’ils peuvent envoyer directement un message soit sur le salon web, soit via les réseaux sociaux.

Le Conseil d’État, toujours lui, a également rendu une décision « remarquée », entre guillemets, sur un autre dossier, un des dossiers qui te passionne enfin qui passionne beaucoup de gens d’ailleurs, Parcoursup. Est-ce que tu peux nous faire un rappel sur la chronologie de ce dossier ?
Xavier Berne : Effectivement, je vais faire un petit rappel pour essayer de resituer un peu la chronique. C’est vrai qu’on est sur deux décisions, on est dans le même cas de figure : une demande de transparence de la part de la société civile et une réponse du Conseil d’État qui était vraiment très attendue et qui va avoir une importance capitale, vu qu’à chaque fois le Conseil statue, en fait, dans le cadre d’un pourvoi en cassation et on se retrouve avec une réponse, quelque chose de très peu motivé malheureusement, et une issue qui est peu favorable à la transparence.
Sur Parcoursup, pour rappeler un petit peu les enjeux, le syndicat étudiant l’UNEF avait demandé l’ouverture de ce qu’on appelle les algorithmes locaux de Parcoursup qui étaient utilisés par différentes universités. Là, dans cadre de l’affaire qui était examinée par le Conseil d’État, c’était avec l’université des Antilles.

Les fameux algorithmes locaux c’est un peu le cœur de la machine Parcoursup. En fait, ce sont des tableurs, type excel, qui sont utilisés par les jurys pour faire un pré-classement des candidats, à partir notamment de leurs notes, avant l’examen vraiment définitif par le jury.

Donc là, cette fois-ci, le tribunal administratif qui avait été saisi dans le cadre de la première instance avait donné gain de cause à l’UNEF en disant que les fameux algorithmes locaux étaient communicables. Ça a, bien sûr, suscité une vive réaction de la part de l’université des Antilles et aussi du ministère de l’Enseignement supérieur et des présidents d’université qui ont rapidement voulu mettre un terme à l’hémorragie qu’avait suscitée ce premier jugement du tribunal administratif, qui était aussi très attendu.

Le 12 juin dernier on a eu l’arrêt du Conseil d’État et là, cette fois-ci, en fait le Conseil d’État, pareil, s’appuie sur, je cite, « des travaux préparatoires », fin de citation, de la loi ORE sur l’orientation des étudiants de 2018 qui avait donc introduit le dispositif Parcoursup, pour juger que les fameux algorithmes locaux ne peuvent pas être communiqués à l’UNEF.

Pour moi on est vraiment dans un cas d’école, parce que, malheureusement, c’est aussi un triste exemple un petit peu de manœuvre politique parce qu’on a un gouvernement qui, durant les débats, avait promis la transparence sur les algorithmes de Parcoursup, y compris les algorithmes locaux, mais qui, dans le même temps, a fait passer, en plus en dernière ligne droite des débats, un amendement qui prévoyait le contraire de la transparence et qui était, au demeurant, mal rédigé. Ce qui fait qu’on s’est retrouvé devant les juridictions administratives et on arrive en bout de course devant un Conseil d’État qui sauve, d’une certaine manière, les universités, les administrations, le tout grâce à des arguments qui apparaissent bien minces et surtout discutables sur le plan juridique.
Frédéric Couchet : D’accord. Le Conseil d’État c’est la plus haute juridiction à ce niveau-là, mais est-ce qu’il y a des possibilités de recours, de nouveaux recours ?
Xavier Berne : Les gens avec qui j’ai parlé me disent qu’il pourrait y avoir des recours de type QPC, c’est une question prioritaire de constitutionnalité. Il s’agirait de faire reconnaître qu’en fait les dispositions qui ont été introduites dans la loi ORE et qui limitent la transparence sur Parcoursup, selon l’analyse du Conseil d’État, pourraient être contraires à la constitution. Sauf qu’il faut à nouveau une procédure pour pouvoir réactiver tout ça et, en l’occurrence, on ne peut soulever les QPC que dans le cadre d’un autre litige, en fait. On ne peut pas directement soulever une QCP devant une juridiction.
Frédéric Couchet : Donc l’UNEF ne peut rien faire à ce niveau-là ? C’est ça ?
Xavier Berne : Je pense que si. L’UNEF pourrait, malgré tout, solliciter la communication d’algorithmes locaux à d’autres universités, c’est juste qu’il faudrait qu’il réenclenche une procédure devant le tribunal administratif et demander, à ce moment-là, à ce qu’une QPC soit soulevée devant le Conseil d’État. Ça reste du domaine du possible, c’est juste que ça va être encore une nouvelle procédure qu’il va falloir enclencher, qui risque de prendre du temps et demander des moyens, etc. Voilà.
Frédéric Couchet : D’accord. En tout cas ces deux exemples, et ce ne sont pas forcément les seuls, pour toi montrent un symbole de politique politicienne anti-transparence quelque part, malgré les promesses ?
Xavier Berne : Oui. Ce qui est le plus frappant sur ce dossier c’est qu’on a vraiment un gouvernement qui, durant les débats parlementaires, a crié haut et fort qu’il y aurait de la transparence sur Parcoursup, que l’opacité sur APB, qui était le prédécesseur de Parcousup, c’était terminé, qu’il y aurait la transparence sur tous les algorithmes, y compris les algorithmes locaux. Et, finalement, il y eu cet amendement qui est passé dans le cadre des débats et aujourd’hui on se rend compte que cet amendement était destiné, au contraire, à limiter la transparence sur Parcoursup. C’est pour ça que, pour moi, il y a eu vraiment des mensonges sur ce dossier qui sont assez flagrants et on peut regretter que le Conseil d’État ne s’en soit pas plus inquiété, d’autant que dans sa décision, en fait, il motive, la solution qu’il retient ce sont les travaux préparatoires de la loi, sous-entendu les débats qu’il y avait eus au Parlement. Et ça paraît d’autant plus surprenant, vu justement tout ce qui a été dit durant les débats, mais le Conseil d’État ne détaille pas, en fait, quels sont les fameux travaux préparatoires sur lesquels il s’appuie.
Frédéric Couchet : D’accord. On te fait confiance pour suivre ces dossiers. Toutes les références, évidemment, sont sur le site de l’April, april.org et puis, pour tous les articles, vous cherchez sur le site de Next INpact, il y a plusieurs articles de Xavier Berne sur ce dossier. D’ailleurs je vous encourage plus globalement à lire Next Inpact, voire à vous abonner ; je vous rappelle que le modèle économique de Next INpact c’est l’abonnement et que nous n’avez pas le droit à de la pub, pas le droit à du profilage et que c’est une haute qualité d’articles, notamment de Xavier et de son collègue Marc Rees que je salue au passage. Est-ce que tu as quelque chose à ajouter ?
Xavier Berne : N’en jetez plus !
Frédéric Couchet : C’est tout à fait normal. Est-ce que tu as quelque chose à ajouter pour cette dernière chronique ? Ou c’est bon ?
Xavier Berne : Merci. Ça a été un plaisir de participer au fil de la saison et je serai content de vous retrouver l’année prochaine.
Frédéric Couchet : On se revoit en septembre. Écoute, je te souhaite de passer une belle journée et un bel été. Donc à la rentrée.
Xavier Berne : Merci beaucoup. Pareillement. Au revoir.
Frédéric Couchet : Au revoir.
[Virgule musicale]

Annonces

Frédéric Couchet : Je crois qu’on va mériter les vacances avec les camarades de la régie parce que je ne dois pas suivre le séquencier prévu, donc…

Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces. J’espère que, contrairement à la semaine dernière, je ne vais pas perdre l’horaire ; je m’excuse auprès des personnes qui écoutaient la bande FM la semaine dernière, ça a coupé avant la fin de l’émission parce qu’il y a eu petit problème technique de mon côté.
Dans les annonces, déjà pour ne pas oublier, la réponse au quiz de la deuxième question. D’ailleurs on va voir si mes invités connaissent la réponse.
Bastien Guerry : Oui. Toy Story.
Frédéric Couchet : Je ne sais pas si ton micro était branché, mais je dirais que tu as donné la bonne réponse. La question : la nouvelle version de la distribution libre Debian s’appelle Buster, donc Rasemotte, la précédente version s’appelait Jessie. Savez-vous quelle est la source d’inspiration pour ces noms ?
heures,
Eh bien effectivement, comme l’a dit Bastien Guerry, ce sont des personnages de Toy Story ; voilà !
Bastien Guerry : Qu’est-ce que j’ai gagné ?
Frédéric Couchet : Tu as gagné un verre d’une boisson fraîche qui est déjà dans le réfrigérateur, je ne citerai pas de marque ni de type de boisson.
Concernant les choix musicaux, vous avez écouté aujourd’hui de la musique classique. Je rappelle que sur le site, sur la page web consacrée à l’émission il y a un bloc-notes sur lequel vous pouvez proposer des musiques sous licence libre. N’hésitez pas à les proposer, nous nous ferons un plaisir de les diffuser. En gros c’est entre deux minutes et quatre minutes, quatre minutes trente maximum, donc n’hésitez pas, sur le site de l’April, april.org, sur la page consacrée à l’émission.

Toujours dans les annonces, vendredi soir 12 juillet 2019, à partir de 19 heures, il y a un apéro dans nos locaux à Paris. Il y a en un également à Montpellier le 18 juillet 2019.

Le 18 juillet également à Paris, à la FPH, il y a une réunion du groupe de travail Sensibilisation. N’hésitez pas à participer, c’est ouvert à toute personne.

La semaine dernière, je vous avais parlé de Battlemesh, les réseaux maillés, des réseaux où l’information circule d’un point à un autre mais en ne suivant pas un chemin fixe et qui peuvent être utilisés notamment contre la surveillance, également pour relier des endroits sur lesquels, par exemple, il y a des catastrophes naturelles. Ça se passe toujours à Saint-Denis, du 8 juillet au 14 juillet 2019, c’est battlemesh.org, au 6B [6-10 quai de Seine]. N’hésitez pas à aller à la rencontre de ces personnes, parce que même si c’est technique vous pourrez poser des questions, découvrir des choses intéressantes.

Autre annonce, ah oui, pour la rentrée ! On fait la saison 3 à la rentrée, ça sera le 3 septembre et je peux vous annoncer que le sujet long du 3 septembre vous intéressera forcément. J’ai eu le grand plaisir d’avoir confirmation aujourd’hui du sujet. Je vous laisse la surprise à la rentrée.

Par contre un appel la candidature. Si vous souhaitez rejoindre l’équipe des personnes qui font des chroniques dans l’émission, nous souhaiterions avoir une chronique drôle, avec un prisme humour, autour de nos sujets traités. Vous savez, ce sont des chroniques très courtes, deux-trois minutes qui sont écrites. Donc si vous avez des talents d’écriture reconnus par votre entourage, si vous avez envie de passionner les personnes qui nous écoutent en les faisant rire mais aussi en faisant passer des messages, n’hésitez pas à nous envoyer votre candidature, vos propositions de chroniques, de textes rédigés, voire une maquette sonore ou tout simplement pour en savoir plus.
Notre émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Antoine Viry, Bastien Guerry, Xavier Béchade, Xavier Berne. Aux manettes de la régie aujourd’hui Patrick Creusot.

Également un grand merci à Olivier Grieco qui va s’occuper du podcast et pour tout ce qu’il fait au niveau de la radio.
Vous retrouverez sur notre site web, april.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
La prochaine émission aura lieu mardi 3 septembre 2019 à 15 heures 30. Je vous dis que le sujet long lancera la saison 3 en beauté, mais je vous laisse la surprise pour la rentrée.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée et un très bel été. On se retrouve en direct mardi 3 septembre 2019 et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.