Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Je vous remercie d’être avec nous pour cette nouvelle émission de Libre à vous !, l’émission de l’April sur les libertés informatiques.
La radio dispose d’un webchat, utilisez votre navigateur web, rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur chat et vous pouvez nous retrouver sur le salon web dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 3 septembre 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast. Je précise que la radio dispose aussi d’une application Cause Commune.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, la troisième saison, Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’association est april.org et vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission et également les moyens de nous contacter, donc n’hésitez pas à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu mais également des points d’amélioration.
Nous espérons que vous avez passé un bel été. Nous sommes ravis, vraiment enchantés de vous retrouver et si vous découvrez l’émission avec cette saison 3 nous espérons que vous l’apprécierez.
Vous pouvez retrouver les podcasts des émissions passées sur le site de la radio, causecommune.fm, et sur le site de l’April, april.org.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.
Nous allons commencer par le programme de l’émission.
Nous commencerons par des annonces de rentrée avec notamment des nouveautés concernant cette nouvelle saison de Libre à vous ! dont la première chronique de Luk qui sera intitulée « La pituite de Luk » ; un peu de mystère !
D’ici 10 à 15 minutes nous aborderons notre sujet principal et nous avons l’honneur de recevoir la Gendarmerie nationale, l’occasion d’avoir son retour d’expérience sur une migration à grande échelle vers le logiciel libre, de la bureautique au système d’exploitation.
En fin d’émission nous aurons la chronique de Xavier Berne, journaliste à Next Inpact.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui Patrick Creusot. Bonjour Patrick.
Patrick Creusot : Bonjour tout le monde et bonne émission.
Frédéric Couchet : Merci Patrick.
Comme à chaque émission nous allons vous proposer un petit quiz. Je vous donnerai les réponses au cours de l’émission. Vous pouvez nous proposer les réponses sur le salon web de la radio, donc sur causecommune.fm, ou via les réseaux sociaux.
Première question : quel projet libre a fêté ses 15 ans cet été, particulièrement le 10 août ? On a déjà parlé de ce projet dans Libre à vous !.
Deuxième question : quel est le nom de la version d’Ubuntu adaptée pour être utilisée par la Gendarmerie nationale française ? Évidemment notre intervenant vous donnera tout à l’heure la réponse dans la discussion.
Tout de suite place au premier sujet.
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Annonces de rentrée
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par des annonces de rentrée concernant la nouvelle saison de Libre à vous ! et ensuite par la première chronique de Luk intitulée « La pituite de Luk ».
On va d’abord commencer par accueillir les personnes qui découvrent l’émission ; c’est une nouvelle saison donc forcément nous avons de nouvelles personnes qui nous écoutent. On va rappeler le concept.
L’April est l’association nationale de promotion et de défense du logiciel libre et, depuis mai 2018, nous animons une émission d’explications et d’échanges sur la radio Cause Commune, sur les thèmes des libertés informatiques. Libre à vous ! se veut avant tout une émission d’explications et d’échanges sur les dossiers juridiques et politiques que nous traitons et également sur les actions que nous menons pour les libertés informatiques en général et plus particulièrement, évidemment, pour le logiciel libre. Libre à vous ! c’est aussi un point sur les actualités du Libre, des personnes invitées aux profils variés, de la musique évidemment sous licence libre et des actions de sensibilisation.
Donner à chacun et chacune, de manière simple et accessible, les clefs pour comprendre les enjeux mais aussi proposer des moyens d’action, tel est l’objectif de cette émission hebdomadaire. L’émission est en effet diffusée en direct chaque mardi, de 15 heures 30 à 17 heures, sur la radio Cause Commune donc sur les ondes de la radio 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. Les podcasts sont ensuite disponibles sur le site de la radio et également sur le site de l’April ; il y a également des transcriptions qui sont disponibles généralement une semaine après les podcasts. Si vous avez manqué les deux premières saisons ou si vous avez envie de réécouter des podcasts, sachez que les podcasts des deux premières saisons sont à votre disposition : une trentaine d’émissions que nous avons également découpées en plusieurs sujets disponibles individuellement, la durée de chacun des sujets pouvant varier de dix minutes à une heure à peu près ; une heure je crois même que c’est le maximum.
La radio c’est évidemment des voix avant tout. Peut-être aimeriez-vous explorer les coulisses de notre émission Libre à vous !, même de la radio Cause Commune, voir par exemple ce qu’est en train de faire Patrick actuellement en régie ? Eh bien nous avons mis en ligne sur le site de l’April, april.org, une première bande annonce qui dure 38 secondes, pour vous montrer des images, des visages ; nous vous proposerons sans doute la semaine prochaine ou peut-être un peu plus tard une version un peu plus longue. Vous pouvez d’ores et déjà aller sur le site de l’April et découvrir un petit peu les coulisses de l’émission dans une petite vidéo. N’hésitez pas à la partager autour de vous, à l’envoyer à vos amis sur les réseaux sociaux ou ailleurs.
Je rappelle également que la radio dispose d’un webchat, donc sur le site causecommune.fm, vous pouvez cliquer sur chat et actuellement il y a des gens qui nous ont rejoints ; nous avons des petits coucous de personnes. Il y a notamment - je rigole - quelqu’un dont le pseudo est FanDeFred et qui dit : « Ça fait plaisir d’entendre ta voix après tout ce temps » ; je ne sais qui est cette personne mais en tout cas merci. Lonugem est également présent, Marie-Odile, Olicat, macousine. Bienvenue à toutes et tous sur le salon web.
Cette saison 3 est l’occasion d’initier de nouveaux rendez-vous réguliers et notamment « Livre à vous », j’ai bien dit « Livre à vous », donc des échanges avec des personnes ayant écrit des livres en lien avec nos sujets sur le format suivant : une interview dans l’émission Libre à vous ! puis le soir, normalement le même jour, donc le même soir, une rencontre dédicace à la librairie À Livr’Ouvert qui est située à Paris dans le 11e arrondissement. Bien sûr nous encourageons les libraires des autres régions à inviter ces personnes que nous inviterons dans l’émission et, si besoin, nous ferons la mise en relation.
Deuxième nouveauté : des chroniques courtes. Vous connaissez l’équipe des chroniques de l’April, chroniques qui durent dix/quinze minutes environ, tout à l’heure on aura Xavier Berne, mais là on initie un nouveau sujet avec des chroniques courtes, trois minutes maximum, au format billet d’humeur, pastiche, en gros une lecture libre, décalée, voire humoristique de l’actualité. Lors de la dernière émission de la saison 2 nous avions lancé un appel à candidatures pour rejoindre l’équipe des personnes qui font des chroniques dans l’émission pour, justement, avoir ces chroniques courtes. Nous avons reçu des propositions et nous allons donc avoir le plaisir d’écouter la première chronique avec notre premier invité.
[Virgule musicale]
Chronique « La pituite de Luk »
Frédéric Couchet : Normalement Luk est avec moi au téléphone. Bonjour Luk.
Luk : Salut Fred. Est-ce que tu m’entends ?
Frédéric Couchet : Je t’entends, oui.
Luk : Eh bien bonjour. Merci pour l’accueil
Frédéric Couchet : Je précise que c’est Luk avec un « k ». Avant d’écouter ta chronique, plusieurs questions quand même, vu que tu rejoins l’équipe. Nous aurions aimé avoir ta présence avec nous au studio. Pourquoi ne peux-tu ne pas être présent ? Et, seconde question, pourquoi ce surnom uniquement de Luk, je répète avec un « k » ?
Luk : J’aurais effectivement préféré être présent avec vous physiquement, c’est toujours beaucoup plus sympa, mais voilà, je bosse et puis j’ai changé de boulot il n’y a pas très longtemps, donc c’est un peu compliqué pour le moment pour moi de dégager du temps, mais j’espère bien, la prochaine fois, pouvoir venir physiquement dans le studio.
Côté pseudo, comme je vais raconter je pense un paquet d’imbécillités, j’aime bien séparer, même s’il n’y a pas de grand mystère derrière, mon identité réelle et mon pseudo. J’ai un pseudo complet qui est « L’incroyable Luk », mais ça fait un petit peu prétentieux, donc je préfère Luk tout court, avec un « k » ça change tout !
Frédéric Couchet : D’accord. Pour les personnes qui veulent en découvrir un peu plus sur toi, elles peuvent aller sur le site incroyableluk.org, tout attaché et avec un « k ». Écoute Luk, je te laisse la parole pour ta chronique.
Luk : « Je te l’avais bien dit ! » C’est un truc que j’aime bien balancer !
Quand la situation est bien foireuse, quand les murs sont mouchetés de caca, quand le regard trahit un esprit en équilibre précaire entre l’incrédulité et la panique, c’est le bon moment pour asséner « Je te l’avais bien dit ». D’accord, c’est mesquin mais bon… Si on l’avait bien dit et que c’est resté sans effet, on ne peut pas nous accuser de n’avoir rien tenté !
Oui, on profite d’un moment de faiblesse pour appuyer là où ça fait mal. Mais bon, voilà ! On a chacun nos petits travers. Certains donnent généreusement le cancer à leurs proches par le tabagisme passif. D’autres maximisent leurs chances de les broyer dans leur bagnole en roulant comme des cons. Il y en a même qui font les deux en même temps ! Alors je peux bien me permettre ce petit accès de mesquinerie qui ne blesse que l’égo et faire mienne cette citation d’Homer, attention ! : « C’est facile de critiquer mais c’est plus amusant de se moquer. » Je précise que la citation c’est Homer Simpson, pas Homère le poète grec qui a démontré que libre n’est pas gratuit au 8e siècle avant l’hypothétique naissance de Jésus-Christ. Enfin je crois ! Je n’ai peut-être pas tout compris !
Pourquoi parler de ça maintenant ? Parce que la Cour des comptes s’est penchée cet été sur le « service public du numérique éducatif ». Elle s’est notamment exprimée sur ce qu’elle désigne, avec des guillemets, « le plan tablettes ». Ça avait beaucoup fait râler les libristes et les défenseurs des libertés numériques de tout poil à l’époque : « le plan tablettes » consistait pour l’essentiel à distribuer généreusement le dernier machin technologique à la mode sans aucun plan pédagogique particulier. La Cour des comptes aurait dû l’appeler « plan verroterie numérique ET digitale », même avec des guillemets, c’est plus précis.
Cette absence totale de vision du ministère de l’intelligence n’a pas été perdue pour tout le monde. Bien entendu, les GAFAM ont fourni un matériel proprio, gavé aux DRM [digital rights management], centralisé, contrôlé comme il se doit. Ils ont pu ainsi placer les données personnelles des élèves à leur portée.
Si le ministère n’a pas de vision, ce n’est pas une tare dont on peut accabler ses copains de classe GAFAM. Eux savent où ils vont !
Au final, ce « plan verroterie numérique digitale », c’est plus le ministère offrant des clients aux GAFAM que le ministère offrant des tablettes aux élèves.
Je me demande parfois s’il n’y a pas un vrai souci de masochisme dans les ministères. Peut-être ne pondent-ils ces plans foireux et ignorent les critiques argumentées qu’on leur adresse, que dans le but de se faire étriller par la Cour des comptes quelques années plus tard. J’imagine qu’ils en discutent actuellement le midi à la cantine avec une petite lueur lubrique dans l’œil et une tache de mayonnaise au niveau du pectoral droit : « T’as vu ce que la Cour des comptes nous a mis ? », « Oui, on a vraiment pris cher ! »
En conséquence, nous autres libristes et autres militants des libertés numériques, devrions contribuer à leur plaisir trouble et leur asséner de vigoureux : « On vous l’avait bien dit ! » Ajouter une couche à leur plaisir honteux ne peut que nous faire remonter dans leur estime. Peut-être nous écouteront-ils un peu plus, peut-être qu’on pourrait leur faire découvrir d’autres types de plaisirs honteux comme : « J’avoue que j’ai installé Steam sur mon GNU/Linux », « J’ai Alexa dans mon salon du coup je n’ai de conversations sérieuses que dans la cuisine » ou « J’ai tout mis chez Apple parce que je crois qu’une boîte qui prend tout mon argent ne va pas, en plus, me voler ma vie ! » Ils n’auraient alors plus besoin de se faire fouetter par la Cour des comptes et on pourrait peut-être offrir aux enfants une éducation au numérique qui se respecte.
Frédéric Couchet : Merci Luk. C’était ta chronique « La pituite de Luk » et je pense qu’à un moment ou un autre on te posera la question de la signification. On va laisser les personnes qui nous écoutent proposer des significations possibles. On se retrouve le mois prochain ?
Luk : Oui. Merci. Bonne émission et on se retrouve le mois prochain.
Frédéric Couchet : Merci Luk. Bonne journée.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après cette chronique nous allons faire une pause musicale. Le titre a d’ailleurs été choisi par Luk. Le morceau s’appelle Bru in Jericho par Sebkha-Chott et on se retrouve juste après.
Pause musicale :
Bru in Jericho par Sebkha-Chott.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Bru in Jericho par Sebkha-Chott, disponible à la fois sous licence Art Libre et sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs, partout dans le monde, sur le site causecommune.fm.
Nous allons maintenant passer à notre sujet principal.
[Virgule musicale]
Gendarmerie nationale et logiciels libres
Frédéric Couchet : Ce matin j’écoutais les auditions de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique et la ministre des Armées, Florence Parly, était auditionnée. Le sénateur Pierre Ouzoulias a questionné la ministre sur le fameux accord Open Bar Microsoft/Défense, dont on a déjà parlé dans cette émission, mais surtout, le sénateur a indiqué qu’il souhaiterait avoir un retour d’expérience de la Gendarmerie nationale sur sa politique logiciel libre. Incroyable hasard et vraiment un hasard, ça tombe bien, car c’est notre sujet du jour. Nous avons en effet l’honneur de recevoir aujourd’hui la Gendarmerie nationale, l’occasion d’avoir son retour d’expérience sur une migration à grande échelle vers le logiciel libre, donc de la bureautique jusqu’au système d’exploitation. Le représentant est le lieutenant-colonel Stéphane Dumond, chef de bureau IT – IT pour Technologie de l’information – du Service des technologies et des systèmes d’information de la Sécurité intérieure. Bonjour Stéphane Dumond.
Stéphane Dumond : Bonjour Frédéric.
Frédéric Couchet : Un grand merci pour avoir accepté de participer à cette émission de rentrée de Libre à vous ! et de partager ce retour d’expérience.
Chers auditeurs et auditrices, n’hésitez pas à nous rejoindre sur le salon web de la radio, utilisez votre navigateur web, rendez-vous sur le site causecommune.fm, cliquez sur chat et vous pourrez poser vos questions ou donner vos réactions. Je surveille le webchat tout en animant l’émission.
Stéphane Dumond, vous avez été en charge de 2009 à 2015 de l’industrialisation des quelque 80 000 postes de travail des gendarmes vers un environnement informatique libre, donc système d’exploitation et logiciels. Vous avez donc, évidemment, une très bonne vision de l’historique de la migration de votre institution vers le logiciel libre, qui est une des plus grosses et plus belles success story, on va dire, du logiciel libre. Déjà, peut-être, une petite introduction de présentation personnelle et aussi de la Gendarmerie parce que tout le monde connaît la Gendarmerie sans doute pour un certain nombre de ses activités notamment de la route et autres, mais tout le monde ne sait pas, peut-être, ce que représente la Gendarmerie en termes de chiffres et c’est important dans le cadre d’une migration, on va dire, le facteur d’échelle.
Stéphane Dumond : Bien entendu. Je suis le lieutenant-colonel Stéphane Dumond, je travaille - je vais essayer d’éviter les acronymes assez barbares - au ST(SI)2, le Service des technologies et des systèmes d’information de la Sécurité intérieure qui est une entité commune Police Gendarmerie qui, sur certains domaines de compétence, gère l’informatique de la Police et de la Gendarmerie.
J’ai effectivement mené la migration d’OS, du système d’exploitation propriétaire vers le système d’exploitation libre, on y reviendra peut-être, pas à 100 % libre, en fait, Linux/Ubuntu sur environ 73 000 postes informatiques des 80 000 que compte la Gendarmerie.
La Gendarmerie nationale c’est 100 000 personnes d’active et environ 30 000 réservistes. Ça fait quand même 130 000 personnes qui sont réparties sur environ 4300 sites distants, en métropole comme en Outremer, avec des débits réseau assez divers et variés : on peut aller de la brigade de 5-6 personnels en milieu rural avec un débit assez limité en passant par le site d’État-Major central avec un tuyau assez conséquent et qui comprend environ 2000 personnes.
Ce qu’il faut savoir c’est que la migration vers le logiciel libre en Gendarmerie est intervenue, en fait, au début des années 2000 parce qu’on a eu la convergence de trois éléments qui sont intervenus de manière simultanée et qui ont conduit à cette migration à grande échelle :
- tout d’abord une contrainte budgétaire. Je reprends la célèbre phrase « quand on n’a pas de pétrole on a des idées ». Effectivement, si on a du pétrole, on a tendance à aller vers la solution de facilité qui consiste à acheter des solutions du marché puis gagner en tranquillité. Donc il faut une contrainte budgétaire pour qu’on en vienne à se poser la question ;
- ensuite, il faut une prise de conscience que continuer à rester dans le domaine du monde propriétaire conduit inévitablement, à partir du moment où on n’a plus suffisamment d’argent, à une perte de dépendance, une perte de souveraineté. Je détaillerai après comment ça se passe ;
- enfin, le troisième élément tout aussi important, il faut que les grands chefs, à commencer par le DSI donc le Directeur des systèmes d’information, le patron de l’informatique, de l’IT en général au sein d’une entité, d’un grand groupe, ainsi que le Directeur général, soient à la fois promoteurs, sponsors et vraiment en soutien des équipes techniques pour que la migration continue à bien se passer au fil des années, parce que vous verrez qu’une migration vers le logiciel libre c’est quelque chose de très longue haleine.
Frédéric Couchet : D’accord. On va justement y revenir en détail. Là c’est début des années 2000. Est-ce qu’il y a une date précise de réflexion pour donner une idée ?
Stéphane Dumond : Non, début des années 2000. En fait, ce qui s’est passé, c’est qu’avant les années 2000 on avait un réseau informatique qui reliait uniquement les sites d’État-Major, donc au niveau du département, de la région et le site central à Paris, qui comprenait environ 10 000 personnes et ces gens, ces personnels, avaient accès à de nombreux services informatiques, mais partout ailleurs, donc les 90 000 autres personnels de la Gendarmerie, le maillage territorial principal de la Gendarmerie, n’avaient accès à rien. À un moment donné on s’est posé la question de relier entre eux tous ces personnels, toutes ces brigades de Gendarmerie et on s’est rapidement aperçus que le passage de 10 000 personnels avec environ 120 sites distants à 100 000 personnels avec 4300 sites distants constituait un passage à l’échelle qui, d’un point de vue budgétaire, si on restait sur la même solution propriétaire telle qu’utilisée avant le début des années 2000, conduisait en fait à l’explosion du coût, du coût de licences direct, mais aussi des coûts induits par pas mal de choses différentes. Donc à ce moment-là on s’est posé la question, effectivement on s’est dit « est-ce qu’on va engager l’argent pour continuer à payer pour simplement avoir le droit d’exister, le droit de continuer à évoluer, le droit d’être protégé aussi par les solutions propriétaires – que je ne remets pas en cause, ça marche très bien, c’est super efficace, en termes de sécurité informatique c’est aussi très bien –, mais pour continuer à vivre et à évoluer dans le temps, il faut continuer à payer. À un moment donné on n’avait pas assez d’argent parce que le passage de 10 000 à 100 000 constituait un gap qui se chiffrait à l’époque en dizaines de millions d’euros. Donc on a préféré investir différemment et amorcer un virage vers le logiciel libre, à commencer par ce qu’on appelle le back office en informatique, donc le côté serveurs pour résumer.
Frédéric Couchet : Parce que c’était sans doute le côté le plus simple à gérer en termes de migration, parce que moins de personnes utilisatrices, en fait.
Stéphane Dumond : Exactement. Et on avait quasiment tout centralisé sur la plaque parisienne, on avait aussi les compétences pour ça, donc on a pu investir sur des systèmes d’exploitation libres, pour commencer l’OS Debian pour ne pas le citer.
Frédéric Couchet : Debian GNU/Linux, dont a déjà parlé dans l’émission, je ne sais plus, je crois que c’était en avril ou mai 2019, en tout cas il y a un podcast sur le site de l’April et de Cause commune.
Stéphane Dumond : D’accord. Puis les bases de données, à l’époque c’était MySQL, maintenant on est plus sur du PostgreSQL, et puis tous les logiciels, en fait, qui concourraient à ce back office, côté serveurs. Et, à un moment donné, on s’est intéressés au poste de travail.
Frédéric Couchet : Attendez Stéphane, juste avant de poursuivre sur le poste de travail, déjà à l’époque sur la partie serveurs vous étiez quasiment très logiciel libre, donc avec une distribution Debian GNU/Linux principalement ?
Stéphane Dumond : Oui. Tout à fait. Et toutes les piles logicielles présentes sur ces serveurs, en fait, étaient forcément libres aussi, donc tous les serveurs d’applications…
Frédéric Couchet : Serveurs web, tout ça, serveurs de bases de données, etc. D’accord.
Stéphane Dumond : Exactement. Tout est parti vers le Libre.
Frédéric Couchet : D’accord. Par contre il y a l’enjeu du poste de travail.
Stéphane Dumond : Après il y a eu l’enjeu du poste de travail. En fait, la question ne se posait pas à l’époque ; on s’est posé la question en 2008. Vous allez me dire : qu’est-ce qui s’est passé entre 2000 et 2008 ? Eh bien tout simplement, une des clefs du succès de la migration vers le logiciel libre en Gendarmerie ce n’est pas l’OS, en fait, c’est l’application.
Frédéric Couchet : Donc ce n’est pas le système d’exploitation, mais ce sont les logiciels utilisés au quotidien par les gens.
Stéphane Dumond : Exactement. Les logiciels utilisés au quotidien par les gens qui, pour ce que j’appelle le socle commun, donc en gros le navigateur web, le client de messagerie, la suite bureautique, le lecteur multimédia aussi, tous ces outils qui sont utilisés au quotidien par toute personne, en fait tout simplement quand on utilise un PC, ces outils-là étaient propriétaires et, pour continuer à les utiliser, il fallait toujours payer un peu plus.
Frédéric Couchet : Payer à chaque fois chaque mise à jour.
Stéphane Dumond : Tout à fait. C’est une forme de rente quelque part, pour bénéficier des mises à jour.
Frédéric Couchet : Ou de racket !
Stéphane Dumond : Je préfère le terme de rente, vous comprenez aisément pourquoi. Donc on a souhaité sortir de ce système pour regagner notre indépendance et notre souveraineté vis-à-vis des éditeurs.
Frédéric Couchet : Donc ce qui est important pour comprendre, et je vous laisse poursuivre, ce n’est pas le choix du logiciel libre pour le logiciel libre, c’est le choix du logiciel libre comme outil de réduction de coûts, mais aussi de récupération de la souveraineté dont vous avez parlé tout à l’heure, de la maîtrise et de la réduction de la dépendance.
Stéphane Dumond : Tout à fait. Parce qu’en fait on s’est aperçus, pour mener cette stratégie de retour à une forme d’indépendance, qu’il fallait mettre en place à la fois une centralisation poussée au niveau de la plaque parisienne, en gros récupérer toutes les compétences, récupérer aussi les ressources humaines nécessaires à cette migration. On a également récupéré les données, on les a toutes remises en centrale. On a récupéré aussi l’ensemble des applications parce que certaines applications étaient développées localement. On s’est rapidement aperçus que cette forte hétérogénéité était difficile à gérer par du logiciel libre et qu’il fallait absolument centraliser les applications pour réussir la migration. Je ne me suouviens pas du fil de mon propos.
Frédéric Couchet : Vous parliez de la recentralisation pour faciliter la migration. Je suppose que l’idée c’était d’avoir des applications légères sur le poste de travail, type navigateur web, qui permettraient de se connecter à des serveurs.
Stéphane Dumond : Exactement. L’idée c’était de tout rendre modulaire, en fait. C’est-à-dire que chaque brique logicielle, chaque pile logicielle employée, devait être respectueuse des normes et standards et être modulaire au niveau interopérabilité ; c’est un peu un jeu de Lego, en fait, quelque part. C’est-à-dire qu’à un moment donné, si j’ai une brique qui ne me plaît pas, on peut la changer par une autre. Pour arriver à parfaire cette stratégie, cette volonté-là, le logiciel libre est en fait le mieux placé dans l’ensemble des logiciels pour pouvoir satisfaire ce besoin.
Les progiciels ne sont pas non plus écartés.
Frédéric Couchet : Qu’est-ce que vous appelez un progiciel ?
Stéphane Dumond : Un progiciel c’est un logiciel sur étagère, propriétaire, que nous utilisons pour des besoins très spécifiques, je pense notamment, ce n’est pas un secret, à SAP [Systems, Applications and Products for data processing], qui est notre progiciel de gestion intégrée pour tout ce qui est gestion des personnels, d’organisation et même maintenant de la solde, qui est un progiciel certes, donc pas libre – on est dépendants notamment des montées de version, on continue à payer effectivement pour ça –, mais qui s’est adapté à notre écosystème et à cette stratégie, justement, de respect des normes et standards. Donc on a un client léger, basé sur le logiciel Mozilla Firefox, qui permet d’accéder à SAP alors que ce n’était pas le cas au moment où on a fait le choix de passer d’Internet Explorer à Mozilla Firefox notamment.
Frédéric Couchet : Donc c’est le fournisseur qui s’est adapté à vos besoins.
Stéphane Dumond : Exactement et pas l’inverse.
Frédéric Couchet : Ce qui permet quand même de préciser, quand on parle de la migration de la Gendarmerie nationale vers le logiciel libre, que ce n’est pas du 100 %, même si on y reviendra, il reste encore des briques propriétaires comme vous venez de le dire.
Stéphane Dumond : Exactement. Que ce soit d’ailleurs du côté du back office comme sur le poste de travail. Je pense à l’antivirus, on ne va pas déflorer le sujet, notamment l’antivirus est un antivirus qui est propriétaire.
Frédéric Couchet : D’accord. Dans la démarche de migration, notamment du poste de travail, vous avez commencé par les logiciels dont vous avez parlé tout à l’heure, donc la bureautique et le courrielleur finalement.
Stéphane Dumond : Exactement. Les quatre logiciels que j’ai mentionnés.
Frédéric Couchet : Les quatre. À l’époque c’était quoi ? C’était OpenOffice.
Stéphane Dumond : On a commencé effectivement par OpenOffice, par Mozilla Firefox, par Mozilla Thunderbird comme client de messagerie, et après VLC comme lecteur multimédia. Voilà. C’étaient les quatre briques de base, sachant qu’on se base aussi sur, j’allais dire LibreOffice, lapsus révélateur effectivement, à l’époque OpenOffice, pour notre logiciel de rédaction de procédures qui est, en fait, une surcouche Java qui sert d’interface utilisateur et qui permet de préremplir des templates, des modèles de documents, de procès-verbaux en l’occurrence, grâce au format ouvert. Je vois un magnifique poster en face de moi avec marqué « Formats ouverts pour quoi faire ? », effectivement on est basé sur le format OpenDocument.
Frédéric Couchet : Qui est un format ouvert normalisé par l’OASIS [Organization for the Advancement of Structured Information Standards], qui est notamment utilisé par OpenOffice et LibreOffice maintenant.
Stéphane Dumond : Tout à fait. Vous avez employé un mot important c’est « normalisé ». À partir du moment où on respecte les normes et standards, effectivement, de facto on devient interopérable et on dégage de l’indépendance.
Frédéric Couchet : Et à partir du moment où les éditeurs de logiciels, qu’ils soient propriétaires ou libres, implémentent correctement le standard, ce qui n’a pas été le cas par exemple du standard de Microsoft, OXML, où les implémentations n’étaient pas forcément conformes complètement entre guillemets « à la norme »·
Stéphane Dumond : Tout à fait !
Frédéric Couchet : Et on pourrait revenir sur la façon dont la norme a été obtenue, mais c’est un autre sujet.
Combien de temps a pris cette partie migration, on va dire, vraiment la première phase et quelle a été le travail d’accompagnement des personnes utilisatrices ? Comment les gendarmes ont-ils pris cette migration en fait ?
Stéphane Dumond : On a pris le temps.
Frédéric Couchet : C’est un moment important.
Stéphane Dumond : On a vraiment pris le temps. C’est une démarche de migration vers le logiciel libre qui a pris une bonne quinzaine d’années pour arriver au stade actuel de 73 000 postes sous Linux/Ubuntu et quasiment tout notre back office sur du logiciel libre.
On a commencé en 2004, de mémoire, par mettre les premières couches. On a commencé par le client de messagerie, puisque, effectivement, on avait ouvert la fonction messagerie à l’ensemble de nos utilisateurs. Au niveau back office on avait du CYRUS-IMAP, pour ceux qui connaissent, et le client Mozilla Thunderbird a permis d’offrir un nouveau service à l’ensemble des gendarmes qui, avant cette date-là, n’avaient pas de messagerie.
Frédéric Couchet : En fait, ils ont vu ça pas tellement parce que c’était une migration vers le logiciel libre mais parce que c’était un nouveau service, pas un nouveau jouet, mais un nouveau service utile qui arrive.
Stéphane Dumond : Un nouveau service. Oui. En fait c’est un élément important également : à chaque fois qu’on a fait soit une migration vers le logiciel libre, soit une nouveauté, il y a eu un apport significatif, fonctionnel, pour le travail du gendarme au quotidien. Donc Thunderbird est arrivé avec l’arrivée de la messagerie interpersonnelle et organique, donc en gros la messagerie de commandement et la messagerie personnelle, au profit de l’ensemble des gendarmes et ça c’était une grosse nouveauté. Il a fallu convaincre, effectivement, ceux qui avaient déjà une messagerie de rester pendant un temps sur un logiciel propriétaire, puis la migration s’est faite au fil des années vers Mozilla Thunderbird. Donc ça c’est la première étape.
Ensuite, je crois que c’est en 2006, j’en suis moins sûr maintenant, on a migré le navigateur web, donc on est passés sur Mozilla Firefox et, là encore, on est arrivés avec une nouveauté fonctionnelle, simplement l’accès à Internet – de manière un peu filtrée quand même puisqu’on ne fait pas n’importe quoi sur Internet lorsqu’on est gendarme – depuis le poste de travail, chose que n’avaient pas les gendarmes auparavant et pour ça ils étaient contraints de passer par le navigateur Firefox, donc je vous garantis qu’en une semaine…
Frédéric Couchet : L’adoption était faite.
Stéphane Dumond : L’adoption était rapidement, même très rapidement, faite. Et à chaque fois il a fallu trouver un apport fonctionnel, une nouveauté, qui a permis de favoriser l’acceptation et la conduite du changement par tous nos gendarmes.
Frédéric Couchet : Toute cette migration, et je vous laisse poursuivre, mais c’est une question, toute cette migration a été faite uniquement avec des services, des personnels internes ou est-ce que vous avez fait appel à des prestataires ?
Stéphane Dumond : Non, c’est essentiellement de l’internalisation.
Frédéric Couchet : D’accord.
Stéphane Dumond : C’est bien d’externaliser mais, quand on externalise, généralement c’est qu’on est pris par le temps ou qu’on n’a pas les compétences pour le faire soi-même. Quand on a une stratégie de souveraineté, d’indépendance, il y a quand même un minimum à internaliser pour pouvoir rester maître sur ce qu’on ce qu’on considère le cœur même d’information. C’est le cas quasiment pour tout ce qui est back office et, pour ce qui est poste de travail, effectivement ça a mis un petit peu de temps, mais maintenant on a internalisé de la compétence. Je ne vous cache pas que pour gérer environ 80 000 PC dont 7 000 Windows quand même – parce qu’on n’est pas dogmatiques, on est pragmatiques en Gendarmerie, donc on a quand même conservé une part de Windows réduite à sa plus simple expression – on a trois personnels en centrale qui gèrent le poste de travail, qui l’administrent, qui le mettent à jour, qui poussent les mises à jour par le réseau de la Gendarmerie.
Frédéric Couchet : D’accord. Ça c’est la période des quatre fameux logiciels phares, le système d’exploitation reste Windows.
Stéphane Dumond : Oui, toujours Windows.
Frédéric Couchet : Et après il y a l’étape, on va dire supplémentaire, qui est de migrer vers un système d’exploitation entièrement logiciel libre ou, en tout cas, le plus possible entièrement logiciel libre. Donc là vous faites le choix, vous allez nous expliquer pourquoi, de partir sur une distribution qui s’appelle Ubuntu, alors que vos serveurs, je le rappelle, sont sous Debian GNU/Linux. Sur le poste de travail, par contre, vous partez sur Ubuntu. Quelle est la raison rationnelle de ce choix ?
Stéphane Dumond : Avant de répondre à votre question, je voudrais revenir sur un élément important aussi : en 2008, grâce à un logiciel libre dans lequel nous étions d’ailleurs partie prenante de la communauté, le logiciel OCS Inventory qui est un logiciel d’inventaire et de télé-déploiement sur le parc informatique, on s’aperçoit, en établissant une cartographie des applications, des contraintes résiduelles qui nous empêcheraient, éventuellement, de passer à un OS libre – pas 100 % libre, c’est un abus de langage, effectivement, quand je dis libre, surtout face à un libriste comme vous. On a donc pris en compte ce besoin pour parvenir à déployer localement, sur chaque brigade, un PC. Donc un PC sous Linux/Ubuntu par unité – après je vous dirai pourquoi cette distribution en particulier et pas Debian GNU/Linux, effectivement – qui a servi de première approche et de première accroche auprès de nos personnels. Il a déjà permis de voir que Linux sur un poste de travail c’était largement acceptable, que ce n’était pas forcément disruptif par rapport à son environnement Windows – ceci étant dit on a fait quelques adaptations – parce qu’on arrivait avec plusieurs services supplémentaires, notamment un service de partage des fichiers qu’il n’y avait pas auparavant. Donc on a mis en place un serveur de fichiers, un partage Samba pour ceux qui connaissent, sur cette machine-là. Cette machine-là, en plus, est arrivée avec un écran, c’est pareil ça peut paraître goodie, ça peut paraître anecdotique, mais c’est super important, avec un écran qui n’était pas 16/9 mais pas loin, avec une machine assez puissante puisqu‘on a pris une workstation, pas un desktop.
Frédéric Couchet : Une machine puissante et belle.
Stéphane Dumond : Cette machine était puissante, elle était belle, elle était attractive.
Frédéric Couchet : Attractive. Ça envoyait du rêve comme diraient les jeunes aujourd’hui.
Stéphane Dumond : Ça envoyait du rêve, exactement ; ça envoie du rêve. Cette machine-là, en fait, a été rapidement adoptée par l’ensemble des personnels et nous a permis de montrer que c’était possible d’avoir un système autre que le système, je dirais, majoritaire, que ce soit chez eux comme à l’époque en Gendarmerie, l’OS Microsoft pour ne pas le citer.
C’est un pré-requis qui nous a permis de nous apercevoir que concrètement l’acceptation du changement pour les utilisateurs était possible assez facilement en fait, en tout cas il n’y avait pas de problèmes vraiment majeurs dans la migration ultérieure. D’autant plus que, pour l’emploi au quotidien des applications métiers, on avait fait le choix de tout réviser, ou presque : en fait, via le navigateur, ils avaient accès à la même chose que ce soit sous Windows comme sous Linux ; via leur messagerie Thunderbird ils avaient la même chose, le même rendu visuel, sous Linux comme sous Windows ; via VLC c’est la même chose ; via OpenOffice à l’époque c’était la même chose. Leur logiciel de rédaction de procédures, basé sur OpenOffice comme je l’ai précisé, c’est la même chose en fait. Donc il n’y a pas beaucoup de différences. Le fond d’écran aussi : on a mis le même fond d’écran, on l’a imposé partout. Donc grosso modo, ce qu’on appelle le look and feel, le rendu visuel, était vraiment proche et c’est aussi un des choix qui avait conduit au choix de la distribution Ubuntu, c’est un habillage qui ressemblait le plus possible, en fait, à l’OS Microsoft Windows, pour avoir le moins de perturbations possibles pour nos utilisateurs. Ce qui nous a même conduit, j’ai lu rapidement une question sur les forums, à mettre en place un petit plugin pour avoir une espèce de barre des tâches, qui est présente nativement sur GendBuntu en bas pour ressembler à l’OS Microsoft Windows.
C’est un des choix. Après il y a un autre choix, pour terminer sur la question. On partait quand même sur quelque chose d’inconnu, à l’époque on était vraiment pionniers sur le sujet. On avait une volonté, sous deux ans, de monter jusqu’à 35 000 PC sous Linux/Ubuntu. Ça fait un peu peur quand même, parce que si on achète pas mal de machines et qu’on n’est pas capables de s’en servir après, ça fait peur ! On engage de l’argent public pour rien et ça ce n’est pas acceptable. Donc on a fait le choix de partir sur une distribution la plus proche possible, à l’époque, de Debian, qui était supportée par un éditeur qui nous paraissait avoir une assise financière et, comment dire, un lien avec les communautés assez puissant pour nous assurer, en cas de pépin, que tout allait bien marcher.
Frédéric Couchet : L’éditeur en question de cette distribution libre c’est Canonical. J’en profite pour préciser que l’émission sur les distributions GNU/Linux dont je parlais - vous verrez pourquoi moi je dis GNU/Linux et pas simplement Linux - c’est l’émission du 30 avril 2019. Le podcast est disponible sur le site de la radio causecommune.fm et sur le site de l’April, april.org ; je remercie lonugem qui me l’a précisé sur le webchat.
Tout à l’heure vous parliez des questions sur le forum. En préparant l’émission j’avais questionné autour de moi : est-ce que vous avez des questions sur la Gendarmerie nationale ? Il y en a eu quand même pas mal, je vous en avais transmis certaines et une des questions était effectivement : est-ce que c’est perturbant pour des gens qui sont habitués à avoir la barre des tâches en bas de, tout d’un coup, avoir une barre des tâches en haut ? On peut penser que c’est mineur mais en fait ça peut être quelque chose de perturbant. Donc vous avez pris ça en compte pour l’adapter pour que, finalement, ça ressemble le plus possible à ce que les gens connaissaient avant.
Stéphane Dumond : Exactement. En fait la seule différence entre l’OS GendBuntu, je précise, ça a une incidence sur le quiz, donc sur l’OS GendBuntu, après je préciserai ce qu’est GendBuntu si vous le souhaitez - je vois « pause musicale à venir », je vais accélérer un petit peu.
Frédéric Couchet : Non, non. Au contraire, c’est en régie que je signalais. On m’a lancé un signe avec des petits papiers. Vous allez poursuivre, préciser ce qu’est GendBuntu, c’est la réponse au quiz que je posais tout à l’heure, à savoir quel était le nom de la distribution adaptée pour la Gendarmerie nationale. Je vous laisse poursuivre ; on fait une pause musicale juste après.
Stéphane Dumond : D’accord. On a essayé d’adapter cette distribution Linux/Ubuntu en l’occurrence pour qu’elle soit le plus en phase avec ce que les utilisateurs avaient l’habitude d’utiliser, donc l’OS Microsoft XP à l’époque, ce qui a conduit à cette nouvelle barre des tâches, ce qui a conduit, également, à mettre en place, comment dire, des applications communes – ça j’en ai déjà parlé. En fait, la seule différence notable pour l’utilisateur final, la seule chose que les techniciens IT de proximité avaient à expliquer à nos utilisateurs pour les initier, c’est simplement au niveau de l’explorateur de fichiers. On n’était plus sur l’Explorer Windows mais sur Nautilus, pour ceux qui connaissent, donc Nautilus sur Linux/Ubuntu et ça changeait un petit peu puisqu‘il n’y avait plus le C :, le D :, le E :, les partages réseau un peu à la sauce Microsoft, mais qu’on avait simplement un /home et, quelque part, une façon assez simple et assez intuitive d’ordonner ses données. Et en deux heures, sincèrement en deux heures, l’appropriation de Linux/Ubuntu par nos personnels a été réalisée. Il y a une formation d’une demi-journée qui a été organisée au niveau national sur la suite bureautique ; effectivement ce n’est pas tout à fait pareil. En plus, à l’époque, OpenOffice n’était aussi mature que l’est actuellement LibreOffice, il y avait quelques éléments perturbants donc il a fallu former l’ensemble de nos personnels à chacun des grands modules que propose une suite bureautique, donc le tableur, le traitement de texte, etc., et ça a pris une demi-journée par personnel, par module qui équipe une suite bureautique. Mais à part ça, il n’y a pas eu de formation en fait ! Il y avait une question relative aux formations des personnels, on n’a pas formé nos personnels, ça c’est fait naturellement, dans la continuité, tout au long des années de cette migration.
Frédéric Couchet : D’accord. Migration sur la durée ce qui peut expliquer aussi cet aspect.
On va faire une petite pause musicale. Nous allons écouter Música libre par San Blas Posse et on se retrouve juste après.
Pause musicale : Música libre par San Blas Posse.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Música libre par San Blas Posse, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons poursuivre notre échange avec Stéphane Dumond sur la migration de la Gendarmerie nationale et je vais prendre quelques questions que je vois sur le salon web. Je vais même en profiter pour préciser que pour cette saison 3 de Libre à vous ! vous pouvez également nous appeler, il y a un numéro de téléphone 09 50 39 67 59, je répète 09 50 39 67 59. Si vous appelez vous tomberez sur Patrick en régie, vous pourrez poser une question ou simplement réagir, donc n’hésitez pas, sinon vous venez sur le webchat de la radio sur le site causecommune.fm.
Je vais prendre justement quelques réactions, quelques questions qui sont sur le chat. J’ai une réaction de macousine qui dit que les migrations informatiques intéressent de nombreuses entreprises, c’est souvent une période d’implication forte pour les salariés selon leur métier, cela crée de la dynamique. Marie-Odile dit que cette migration s’est faite de manière très intelligente, que c’est une belle façon d’investir l’argent public et elle espère que vous pourrez faire des émules dans d’autres ministères, notamment l’Éducation nationale ; je suppute que Marie-Odile aimerait bien que vous passiez dans l’Éducation nationale, Stéphane Dumond.
Une question de debla sur le matériel parce que là, effectivement, là on a parlé du logiciel : comment le choix des matériels annexes est articulé dans cette migration ? Typiquement comment des matériels comme des photocopieurs avec des drivers uniquement Microsoft sont intégrés dans le système d’information de la Gendarmerie nationale ? Stéphane Dumond.
Stéphane Dumond : Il y a plusieurs questions dans la question, il y a plusieurs réponses à apporter. Tout d’abord on a une vision assez jacobine, dans la Gendarmerie, de la gestion du matériel. En gros, je vais le répéter, on centralise pas mal de choses et notamment le droit d’acquisition et d’achat de matériel. Que ce soit le matériel principal, le PC, c’est une commande centralisée qui est faite par le service dont je dépends, qui achète plusieurs dizaines de milliers de PC chaque année et ces PC doivent être compatibles avec l’OS Linux/Ubuntu dans la dernière version LTS.
Frédéric Couchet : LTS ça veut dire Long-term support, donc supporté sur le long terme, pendant plusieurs années.
Stéphane Dumond : Exactement. Supporté pendant cinq ans, ce qui est important pour un grand compte, parce qu’on a besoin de stabilité et pas forcément d’évolutions fonctionnelles tous les quatre matins ; le principe principal c’est d’avoir la stabilité. Donc le matériel principal, le PC, mais également les matériels annexes. On a à la fois une chance et un malheur, c’est qu’on est soumis aux marchés publics et les marchés publics c’est effectivement contraignant parce qu’il faut rédiger des appels d’offres, il faut pas mal de travail derrière, mais ça a un énorme avantage au-delà de l’aspect gain financier – parce que le marché public va permettre quand même d’économiser des centaines de millions d’euros au niveau de l’État – mais ils permettent aussi d’imposer ce que l’on souhaite et, à partir du moment où on impose pour un marché d’impression par exemple, impression et scan, ce qu’on appelle un photocopieur multifonction, à partir du moment où on impose dans la rédaction de l’appel d’offres d’être 100 % compatible avec Linux/Ubuntu, que ce soit avec le poste de travail mais surtout aussi côté serveur, ne pas dépendre d’un système d’exploitation propriétaire, donc pouvoir s’installer sur Debian, eh bien les grands groupes qui répondent, s’ils répondent à côté de la plaque, ils ne sont pas sélectionnés, tout simplement. Et on a toujours eu des grands groupes qui ont répondu présent et qui se sont adaptés face à nos spécifications qui sont toujours d’être, ce que je disais, respect des normes et standards et capacité de modularité et d’interchangeabilité, d’interopérabilité avec l’ensemble nos systèmes d’information.
Frédéric Couchet : Votre réponse est très intéressante. Ça montre aussi la puissance des marchés publics et, comme on le dit depuis de nombreuses années, via les marchés publics on peut imposer notamment le recours aux logiciels libres ; ça n’exclut pas des prestataires : tous les prestataires peuvent répondre, simplement il faut qu’ils répondent par rapport aux critères fonctionnels et politiques du logiciel libre.
Concernant les PC que vous commandez, ce sont de PC qui sont sans système d’exploitation, donc sans la licence Microsoft Windows ?
Stéphane Dumond : Tout à fait.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est excellent !
Je passe en revue les autres questions. Tout à l’heure vous avez parlé de l’importance des relations avec les communautés. J’ai trois questions : est-ce que la Gendarmerie a dû modifier le code de certains logiciels pour ses besoins ? Est-ce que vous avez des relations avec les communautés de certains de vos logiciels ? Est-ce que vous contribuez ? Et, dernière question : dans les outils internes que vous développez, je suppose en interne, est-ce que vous en avez déjà libérés certains sous licence libre ou est-ce que c’est prévu ? Trois questions pour faire le lien avec les communautés, on va dire.
Stéphane Dumond : Tout à fait. Pour reprendre la question sous l’angle de ce qu’on développe, en fait on ne développe pas grand-chose - j’entends côté poste de travail, d’accord ? On intègre beaucoup de choses, mais on ne développe pas beaucoup. Par contre, indirectement, comme on prend contact avec les communautés, je pense notamment à Mozilla Firefox, on a d’ailleurs des contacts récents puisqu’ils sont fortement intéressés par notre retour d’expérience également, avec VLC puisqu’on a notamment pas mal de vidéo-protection ou de vidéosurveillance dont les vidéos sont saisies dans un cadre judiciaire qu’on doit exploiter et souvent, le logiciel qui permet de lire le flux vidéo est propriétaire et ne fonctionne que sur un OS propriétaire, donc ça nous embête un peu parce qu’on n’a pas beaucoup d’OS propriétaires dans la Gendarmerie. On essaye généralement d’ouvrir le flux vidéo par VLC, mais parfois VLC n’arrive pas à lire ce flux vidéo, pas parce qu’il ne peut pas mais simplement parce que la ligne de commande qui est passée, en fait, ne correspond pas. Donc on a une prestation avec VLC qui permet d’intégrer ces formats vidéos propriétaires pour être lus nativement sous VLC et après c’est intégré dans la version n + 1 de VLC. Toutes ces contributions-là sont vraiment indirectes. C’est-à-dire qu’on investit dans des prestataires extérieurs, externes, qui vont modifier le code de l’applicatif et après, ce code est bien sûr reversé à la communauté. On n’a aucune volonté de ne pas reverser le code à la communauté.
Frédéric Couchet : Quand vous dites « bien sûr », je ne suis pas sûr que ce soit la politique de tout le monde. C’est une bonne politique, mais ce n’est pas forcément naturel pour toutes les personnes de dire à son prestataire « non seulement vous faites la modification parce qu’on en a besoin, mais, en plus, vous la reversez à la communauté », parce que c’est quand même un travail supplémentaire de l’intégrer dans le processus, on va dire, du logiciel d’origine.
Stéphane Dumond : C’est vrai, mais c’est de l’argent public ! Puisqu’il s’agit d’argent public, à un moment donné, si ça profite à tout le monde c’est mieux !
Frédéric Couchet : D’accord. Nous sommes tout à fait d’accord. Une petite question technique : à quelle version de GendBuntu êtes-vous actuellement sachant qu’Ubuntu doit être en version 19.04, si je me souviens bien ?
Stéphane Dumond : On est basé sur les versions LTS, je le rappelle, on est actuellement sur Ubuntu 16.04 et on a amorcé depuis environ trois-quatre mois la migration vers Linux/Ubuntu 18.04, sachant que la fin de support de la 16.04 est fixée cinq ans plus tard donc en avril 2021. On a jusqu’en avril 2021 pour amorcer la migration vers la distribution 18.04 LTS.
Frédéric Couchet : D’accord. Je passe en revue les questions du salon. Une question, je ne sais pas si vous pourrez répondre : est-ce que vous utilisez le correcteur grammatical Grammalecte et est-ce que vous aimeriez qu’il soit plus facilement installable en étant sous forme de paquet ou directement intégré au logiciel, notamment bureautique ? Question liée qui est intéressante, on parlait tout à l’heure d’interopérabilité : est-ce que le fait d’utiliser des logiciels, je reprends la question, alternatifs, vous pose des problèmes dans les échanges de documents ? Comment cela a-t-il évolué sur les années ?, puisqu’on parle quand même d’une migration qui a presque 20 ans.
Stéphane Dumond : Pour répondre à la première question sur Grammalecte, je suppose fortement que c’est quelqu’un du SILL, donc le Socle interministériel du logiciel libre, qui a posé la question.
Frédéric Couchet : Je ne pourrais pas vous dire, je ne connais que le pseudo.
Stéphane Dumond : Je soupçonne fortement quelqu’un du SILL d’avoir posé la question puisque, effectivement, comme annexe à la suite LibreOffice, le plugin, je ne sais plus si on dit plugin pour LibreOffice, mais Grammalecte est préconisé dans le cadre du SILL.
Frédéric Couchet : Un greffon, peut-être, je ne sais plus comment on appelle ça.
Stéphane Dumond : Un greffon. La réponse est non, mais effectivement ça peut être une bonne option. C’est vrai que nativement on n’y pense pas forcément puisque les retranscriptions doivent être fidèles, en fait, à ce qui est dit. Parfois les gens font des fautes de grammaire, on doit retranscrire fidèlement ce que disent les gens et ne pas corriger nous-mêmes pour faire du bon français, sachant que ça peut parfois avoir son importance.
Frédéric Couchet : Oui, effectivement.
Stéphane Dumond : Pour les besoins en État-Major, en échanges internes, pourquoi pas. Mais sinon, en tout cas, ça n’a pas forcément d’intérêt immédiat. Ça peut être à l’étude effectivement, j’en prends note.
Pour le second point, c’est un combat permanent, en fait, l’échange de documents avec les prestataires externes, parce qu’en interne c’est bouclé.
Frédéric Couchet : En interne c’est bouclé, c’est avec l’extérieur.
Stéphane Dumond : En interne c’est bouclé, mais ça a été compliqué et c’est toujours compliqué, on a toujours des résistances internes parce qu’on a toujours quelques packs Office qui existent pour des besoins très spécifiques, parfaitement justifiés d’ailleurs, et il faut quand même continuer à parfois se battre pour imposer le format OpenDocument en lieu et place d’autres formats.
La principale difficulté, effectivement, ce sont les partenaires extérieurs, mais, globalement, j’observe depuis plusieurs années, comment dire, un lissage, une atténuation de la différence entre les formats et on a de moins en moins de difficultés pour exploiter les formats un peu exotiques que l’on rencontre parfois.
Frédéric Couchet : D’accord. Avant la fin de l’émission on va évidemment parler des bénéfices, des enseignements et puis des projets, mais je ne peux pas passer totalement sous silence un sujet qui est l’Open Bar Microsoft/Défense, déjà parce que c’est un sujet que l’April suit depuis de très nombreuses années et c’était même le sujet de notre première émission en mai 2018. La migration de la Gendarmerie nationale, au début des années 2000, a généré des choses très positives côté ministère de la Défense à l’époque, notamment la première directive logiciel de 2006 du ministère de la Défense qui préconisait en tout cas le recours au logiciel libre et puis, en 2016, il y a eu un reportage dans Cash Investigation sur l’Open Bar Microsoft/Défense et, notamment, a été révélé un document interne à la Gendarmerie, daté de 2006, dans lequel il était écrit que « le choix des logiciels libres sera potentiellement vécu par Microsoft comme une nouvelle menace à son monopole et que cette situation peut justifier aujourd’hui – donc en 2006 – des actions ciblées pour empêcher ou discréditer la politique de la Gendarmerie en matière de poste de travail. » Ma question est simple : est-ce que la Gendarmerie ou vous-même avez subi des pressions soit par Microsoft soit, plus tard, peut-être, par le ministère de la Défense ?
Stéphane Dumond : Vous comprendrez aisément qu’en tant que militaire j’ai un devoir de réserve et que je ne pourrai pas répondre à cette question. Je ne l’ai pas fait, d’ailleurs, à l’occasion de l’émission Cash Investigation puisqu’à l’époque j’ai été interview par l’équipe du tournage, en plus en fonction sur le terrain, en opérationnel. Ce que je peux dire c’est que le choix du ministère de la Défense à l’époque, maintenant ministère des Armées, peut être compréhensible, enfin, je peux le comprendre. C’est-à-dire qu’à un moment donné il y a un choix qui est fait de continuer à utiliser des produits qui sont fonctionnellement satisfaisants et, à partir du moment où on décide de continuer dans cette démarche, eh bien ça a du sens d’avoir un contrat dit Open Bar.
Maintenant, ce n’est pas le choix qu’a fait la Gendarmerie, clairement. Notre choix c’est de se dire qu’à un moment donné on ne veut plus être tributaires de décisions unilatérales d’éditeurs, quels qu’ils soient d’ailleurs, que ce soit des communautés, puisque les communautés d’éditeurs aussi ; prenez par exemple OpenOffice, on n’est pas restés sur OpenOffice ; dès que le fork vers LibreOffice a été amorcé, effectivement, on s’est désengagés d’OpenOffice parce que la direction prise à l’époque par Sun, si je me souviens bien, ne nous convenait pas. On sentait bien que derrière il y avait un modèle commercial qui allait être établi pour exploiter le filon OpenOffice. Et ça c’est important pour nous. En fait, ce qui nous intéresse maintenant c’est plutôt la capacité à avoir le choix plus tard.
Frédéric Couchet : La maîtrise de votre avenir.
Stéphane Dumond : Exactement. La maîtrise de notre avenir, c’est ça, en fait, de notre propre chef. On ne souhaite pas dépendre de qui que ce soit. Un gendarme a ça chevillé en lui, même sur le terrain, il n’aime pas dépendre de quelqu’un d’autre. Il faut qu’il soit résilient et capable de s’adapter, capable de réagir selon ses propres décisions et c’est, quelque part, la stratégie qui a été adoptée à la Gendarmerie depuis le début des années 2000.
Frédéric Couchet : D’accord. Je regarde sur le salon pour savoir s’il y a de nouvelles questions, en tout cas il y a des réactions très positives sur ce que vous êtes en train de dire. Marie-Odile qui dit que maîtrise, indépendance et souveraineté ce sont des mots qui n’ont pas le même sens partout. Peut-être que d’autres, effectivement, ont une autre vision de ces mots-là. Je regarde… Le choix des pseudos sur le salon web est sans doute fait pour me faire rire, donc un-œuf-brouillet, concernant tout à l’heure dans notre échange sur le reversement des contributions, dit, précise que forcer à reverser les modifications permet d’être sûr que ces modifications seront disponibles nativement dans les prochaines versions du logiciel. Effectivement c’est important.
Stéphane Dumond : Exactement. C’est par exemple le cas de VLC.
Frédéric Couchet : C’est le cas de VLC.
Stéphane Dumond : Tout à fait. C’est le cas aussi de modifications, parce qu’on est aussi membre de communautés et on l’a été pour OSS Inventory dont j’ai parlé tout à l’heure, c’est un logiciel d’inventaire de parc et de télé-déploiement de logiciels, même si maintenant on a passé un peu la main, mais à l’époque tous les développements qui étaient faits étaient reversés à la communauté. On est également membre de la core team d’un SSO, Single Sign-On, qui permet de s’authentifier une seule fois sur le navigateur pour l’accès à une application, qui s’appelle LemonLDAP. Tous les développements qui sont faits par des gendarmes, donc payés sur des deniers publics sont également reversés à la communauté. C’est important, ça fait partie de l’ADN de la Gendarmerie d’un point de vue informatique. On sait qu’on consacre de l’argent public, indirectement par des ressources humaines, à des développements qui doivent servir à d’autres. On a d’autres administrations françaises, quasiment toutes en fait, qui se servent de LemonLDAP par exemple.
Frédéric Couchet : C’est une réflexion tout à fait personnelle parce que vous parlez de l’argent public, des marchés publics, je me dis que peut-être le fait que la Gendarmerie ait été très active dans les années 90 dans les enquêtes sur la corruption notamment des marchés publics, fait que peut-être les gendarmes sont moins sensibles aux pressions extérieures et plus sensibles aussi à cet usage, je dirais même pas raisonné, je dirais normal de l’argent public qui doit aller pour le public. C’est une réflexion tout à fait personnelle, je ne sais pas si vous voulez commenter.
Stéphane Dumond : Non, je ne pense pas qu’il y ait là une cause à effet directement entre ces deux choses-là. Il y avait vraiment le monde judiciaire et le monde IT. C’est quelque chose que j’observe, en tout cas de plus en plus, le bon emploi des fonds publics. Il y a quand même de gros moyens de contrôle qui sont maintenant mis en place, notamment la Cour des comptes dont on parlait tout à l’heure, les chambres régionales des comptes aussi, qui vérifient ce qui est fait de l’argent public. Même si du gaspillage a lieu parfois par endroits, en tout cas je pense que globalement la situation s’assainit.
Frédéric Couchet : D’accord. Le temps passe vite. On va passer aux bénéfices, aux enseignements. Vous avez donc une longue expérience, un long retour d’expérience sur cette migration réussie sur du presque 100 % logiciel libre, mais la route n’est pas encore terminée, la migration n’est pas encore terminée. Quels bénéfices vous en tirez ? Est-ce que ça correspond aux objectifs initiaux ? Quels enseignements vous pourriez donner, on va dire, à d’autres structures de taille équivalente, même plus grosses, parce que, évidemment, une migration dans une petite structure de 10 personnes et une migration sur 80 000 postes et une centaine de milliers de gendarmes ce n’est pas du tout la même chose, donc quels enseignements vous pourriez donner en résumé de cette émission ?
Stéphane Dumond : L’enseignement principal, pour réussir cette migration vers le logiciel libre, c’est qu’il faut d’abord raisonner applications, c’est vraiment le point clé. Si on raisonne poste de travail en premier en disant « je vais mettre du Linux par-ci par-là, c’est voué à l’échec, c’est-à-dire qu’il n’y aura rien qui va marcher et quand rien ne marche eh bien ça remonte vite aux oreilles du DSI, ça remonte vite aux oreilles du Directeur général qui va légitimement dire « écoutez, maintenant les geeks de service vous arrêtez vos bêtises, vous remettez tout comme avant, moi je veux que ça marche ! » Pour que ça marche il faut s’occuper des applications et une bonne pratique, à mon avis, c’est de « webiser » les applications, donc les rendre accessibles uniquement avec un navigateur web, en l’occurrence Firefox puisqu’il est respectueux des normes et standards, j’insiste, je martèle, mais la marteau thérapie a parfois du bon. L’idée c’est vraiment de s’attaquer aux applications, de réduire les adhérences via les applications avant de s’attaquer au système d’exploitation. Ça c’est pour la partie conseils. Maintenant la partie bénéfices, je pourrais vous citer des chiffres.
Frédéric Couchet : Citez des chiffres parce qu’on adore les chiffres, c’est important quand même !
Stéphane Dumond : Je pourrais le faire, mais il y a des choses dans la presse, c’est documenté. J’ai vu le post de ZDNet ce matin qui faisait référence à quelques présentations qu’on a déjà effectuées par le passé où on parle de deux millions d’euros économisés chaque année, ne serait-ce que pour les licences poste de travail. Mais je dirais que ça c’est la partie émergée de l’iceberg, parce que derrière, en fait, il y a des tas d’autres bénéfices faits par la centralisation. Cette centralisation poussée permet d’économiser des ressources humaines et rebasculer sur le terrain des gendarmes qui auparavant étaient dédiés à l’informatique. Il y a eu un rapport là-dessus : environ 35 % des ressources humaines techniques ont été ventilées à nouveau sur le terrain grâce à cette migration vers le logiciel libre, grâce à cette centralisation, en tout cas, de la compétence technique.
Maintenant, comme autre bénéfice dont je dirais qu’il est difficilement quantifiable, c’est justement la capacité à rester indépendants, c’est vraiment le maître mot. S’il n’y a qu’une seule chose que les auditeurs doivent retenir c’est ça, c’est la capacité à avoir le choix : c’est-à-dire qu’à un moment donné, si on n’est pas d’accord avec la direction prise par tel ou tel éditeur de logiciel, qu’on soit capables d’avoir le choix et un choix pas contraint par des considérations strictement pécuniaires, mais simplement par notre désir de continuer vers telle ou telle direction en fonction de nos souhaits fonctionnels.
Frédéric Couchet : D’accord. Et si vous aviez un message à faire passer au sénateur Pierre Ouzoulias et aux membres de la commission d’enquête de la souveraineté numérique ? Est-ce qu’il y en a un ?
Stéphane Dumond : On reste bien évidemment à leur disposition pour pouvoir en discuter assez longuement parce que je vois que le temps est passé très vite, je n’ai pas dit le quart de la moitié de ce que je pourrais dire sur le sujet et que, naturellement, je suis enclin à rencontrer toute personne qui souhaiterait bénéficier de notre expérience sur le sujet.
Frédéric Couchet : De toute façon on aura l’occasion de vous inviter à nouveau pour reparler de ce sujet et de parler de ce que vous vouliez parler et que vous n’avez pas eu l’occasion d’aborder, peut-être même sous forme de débat avec d’autres structures de même taille pour parler de migration. En tout cas c’était très intéressant. Je vous remercie encore une fois de ce retour d’expérience ; en 2016 vous n’aviez pas pu parler pour la télévision, eh bien pour Cause Commune vous pouvez parler. Je vérifie quand même sur le salon web s’il y a des questions ou des remarques. En tout cas il y a pas mal de félicitations pour cette action de la Gendarmerie nationale et cette migration sur le long terme.
En tout cas, Stéphane Dumond, grand merci, il y a écrit « merci la Gendarmerie ».
Stéphane Dumond : C’est toujours agréable à entendre, effectivement, et, au-delà de ma simple personne, en fait je ne suis qu’un maillon de la chaîne, j’ai vécu, j’ai piloté l’industrialisation uniquement de la partie poste de travail, mais pour tout le reste, en fait, ce sont des équipes entières qui ont travaillé et œuvré en la matière et qui ont eu l’appui, j’insiste aussi, des différents DSI, donc patrons de l’informatique dans la Gendarmerie ainsi que des différents directeurs généraux qui se sont succédé au fil des années tout au long de cette migration et ça, c’est primordial aussi.
Frédéric Couchet : Effectivement, le soutien de la hiérarchie dont vous parliez tout à l’heure est fondamental.
Stéphane Dumond : Il est fondamental pour éviter des retours arrière parce que des choses ne fonctionnent pas ou parce que d’un point de vue financier ça ne passe pas, ou parce qu’on n’a pas les RH [ressources humaines], parce que ça prend du temps, parce que les gens râlent, parce que plein de choses en fait. Il faut avoir foi en la stratégie et conserver cette ligne directrice quoi qu’il advienne en fait.
Frédéric Couchet : C’est une très belle conclusion. Patrick en régie vient de me dire qu’on a eu un appel téléphonique avec une question d’une personne et la question porte sur la prise en compte de l’accessibilité au niveau du système d’information de la Gendarmerie nationale. Je redonne la parole à Stéphane Dumond.
Stéphane Dumond : Effectivement ça a été pris en compte puisque, avec le Référentiel général d’accessibilité pour les administrations donc le v3, depuis 2015 on a pris en compte la situation de handicap visuel pour refondre un peu nos applications web centrales, mais pas uniquement, puisque depuis 2018 – c’est assez récent, on aurait pu le faire plus tôt, mais on a été quand même pas mal pris par d’autres sujets – on a développé, mis en place, un poste de travail informatique accessible. C’est un poste Ubuntu, bien entendu, qui dispose d’outils adaptés, donc un retour vocal, un zoom par loupe, un curseur cible, l’inversion des couleurs par exemple, qui permet aux personnels en situation de handicap visuel d’utiliser le PC mis à disposition par l’administration sans avoir à acquérir un PC un peu spécial.
Frédéric Couchet : D’accord. Merci pour cette réponse et on remercie la personne qui nous a appelés pour poser cette excellente question.
Je remercie de nouveau Stéphane Dumond qui est chef de bureau IT, Technologie de l’information, du Service des technologies et des systèmes d’information de la Sécurité intérieure et qui a fait partie de l’équipe qui a mené cette migration de la Gendarmerie nationale vers le logiciel libre, migration évidemment qui se poursuit.
Merci Stéphane et bonne journée.
Stéphane Dumond : Merci à vous. Au revoir.
Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale.
Pause musicale : Indie Rock Walk par Alex Nekita.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Indie Rock Walk par Alex Nekita. C’est disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune sur 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons maintenant passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique de Xavier Berne sur la taxe foncière et la transparence des algorithmes publics
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique de Xavier Berne, journaliste à Next INpact, qui va nous parler de taxe foncière, si, si, et aussi de transparence des algorithmes publics. Bonjour Xavier, normalement tu es avec nous au téléphone.
Xavier Berne : Je suis là. Bonjour à tous.
Frédéric Couchet : Xavier, alors que les propriétaires vont recevoir leur taxe foncière d’ici peu, il y a une dizaine de jours Bercy a ouvert le code source utilisé pour le calcul du fameux prélèvement. Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi ?
Xavier Berne : Absolument. Bercy ne s’en est pas forcément vanté, mais cette ouverture fait suite à une demande dite CADA que j’avais effectuée en janvier 2018 pour le compte de Next INpact, parce que depuis le vote de la loi numérique fin 2016, les codes sources des administrations sont expressément considérés comme des documents administratifs. Ça veut dire qu’ils sont communicables, en principe, aux citoyens, sur simple demande. Pour voir si les administrations jouaient bien le jeu j’étais allé frapper à la porte de différentes administrations, dont l’administration fiscale, afin de leur demander différents codes sources.
Le code source, pour ceux qui l’ignorent, ce sont en fait les lignes de code qui composent, en quelque sorte, la mécanique d’un programme informatique et, à l’époque, j’avais demandé l’ouverture du code source de la taxe d’habitation qui a été ouvert en fin d’année dernière et aussi celui de la taxe foncière qui a donc été ouvert fin août après, tout de même, un an et demi d’attente.
Frédéric Couchet : Je précise que ce que tu appelles la procédure CADA, c’est une demande d’accès aux documents administratifs et la CADA c’est la Commission d’accès aux documents administratifs vers laquelle on peut se retourner quand un ministère refuse de nous communiquer des documents.
Donc après plus d’un an et demi d’attente, il y a eu la publication de ce code source. Qu’est-ce qu’il y a concrètement dans ce code source ?
Xavier Berne : Ce code source est composé de différents fichiers destinés au calcul des différentes taxes qui, en fait, composent la taxe foncière : il y a la taxe sur le bâti, la taxe sur les propriétés non bâties, mais aussi différentes taxes locales comme la taxe sur les ordures ménagères. Après, ça c’est théorique parce qu’en pratique il faut quand même être très doué en informatique pour lire et comprendre toutes ces lignes de code qui sont vraiment un langage informatique. J’en discutais d’ailleurs il y a peu avec un développeur chevronné qui me disait que même lui n’y comprenait pas grand-chose, pour ne pas dire rien du tout, étant donné qu’il y avait, en fait, très peu de documentation qui expliquait comment fonctionne le programme dans son ensemble.
Après, ça ne veut pas dire que l’ouverture de ce code source ne servira à rien, ça veut simplement dire qu’il va falloir encore beaucoup travailler pour que ça puisse être réutilisé à des fins potentiellement très différentes : ça pourrait être développer des modèles de simulation de réforme de la fiscalité locale, vérifier que le logiciel des impôts applique bien les règles fiscales qui ont été fixées, notamment par le législateur, etc.
Frédéric Couchet : D’accord. On précise que le langage c’est un langage Cobol. C’est un langage qui existe depuis de très, très nombreuses années, mais qui est encore très, très utilisé, par exemple beaucoup de transactions bancaires sont faites dans ce langage et je suppose que c’est peut-être l’absence de commentaires ou de documentation afférente au code qui fait que les personnes que tu as pu contacter disent qu’elles ne comprennent pas grand-chose à ce code source.
Xavier Berne : Exactement.
Frédéric Couchet : Pour les personnes on va dire non spécialistes, qui voudraient y comprendre quelque chose, qu’est-il prévu par Bercy ?
Xavier Berne : Bercy a publié en même temps une notice, un document de quelques pages, qui explique grosso modo comment est calculée la taxe foncière étape par étape. C’est un effort qui mérite d’être salué, mais il ne décrit pas du tout le fonctionnement de l’algorithme en lui-même, ce qui est très problématique parce qu’en fait la loi impose désormais aux administrations d’être transparentes en matière, justement, de fonctionnement d’algorithmes. Depuis le vote de la fameuse loi numérique, en fait les administrations doivent ouvrir leur code source, on l’a déjà dit, mais elles doivent aussi et surtout être capables d’expliquer au citoyen comment ce fameux programme informatique qui s’est immiscé dans son dossier en est arrivé à prendre telle décision à son encontre. Très concrètement ça veut dire que les impôts, les allocations familiales ou Pôle emploi, à partir du moment où ils prennent une décision individuelle, au moins en partie à l’aide d’un algorithme, doivent tout d’abord vous prévenir qu’un programme est venu s’immiscer dans votre dossier, ça veut dire qu’il doit y avoir une petite ligne par exemple à la fin du courrier d’une attribution de bourse scolaire, de votre avis d’impôt sur le revenu, de votre affectation si vous êtes enseignant, qui doit vous signaler que la décision vous concernant a été prise à l’aide d’un algorithme.
Et la deuxième chose qui doit être intégrée, toujours à la fin du courrier qui vous est envoyé, c’est que vous avez le droit de connaître les règles de fonctionnement de l’algorithme. Là, les textes sont quand même extrêmement précis. L’administration doit vous expliquer, à partir du moment où vous faites la demande – c’est aussi quelque chose d’important, il faut qu’il y ait une demande de la part du citoyen – premièrement le degré du mode de contribution des traitements algorithmiques, c’est-à-dire, en clair, que l’administration doit vous dire si l’algorithme agit tout seul ou si, à un moment, il y a un humain qui intervient pour prendre la décision. Deuxièmement, l’administration doit vous préciser quelles sont les données traitées dans leurs sources : est-ce qu’on va chercher votre revenu fiscal pour calculer le montant de vos APL par exemple.
Troisièmement, on doit vous décrire les opérations effectuées par le traitement. Sur la taxe foncière, par exemple, on voit bien qu’il y a des valeurs locatives qui sont multipliées par des taux d’imposition, il peut y avoir différents dégrèvements, etc.
Et enfin, et c’est probablement le plus important, c’est que l’administration doit expliquer les paramètres de traitement appliqués à la situation de l’intéressé, c’est-à-dire que l’administration doit vraiment vous fournir une explication qui est individualisée sur votre situation, qui vous est propre. Et ça c’est effectivement très intéressant pour le citoyen qui ne sait pas du tout comment est calculée sa taxe d’habitation, son allocation chômage, etc.
Tout ceci est bien beau, mais le gros problème c’est que ça fait deux ans, quasiment jour pour jour, que cette obligation est entrée en vigueur puisqu’elle est entrée en vigueur le 1er septembre 2017, ça avait même été programmé depuis la loi numérique de 2016, il y a eu un décret qui a fixé cette entrée en vigueur ultérieure. Ça veut dire que ça fait quasiment trois ans que les administrations savent qu’elles doivent être transparentes à la fois en prévenant les usagers qu’il y a eu un algorithme et ensuite en expliquant, en cas de demande, comment cet algorithme fonctionne. Le problème c’est que c’est difficile de trouver une administration qui respecte ces nouvelles obligations, ne serait-ce que la fameuse mention explicite, la fameuse petite ligne qui avertit qu’il y a un algorithme. Même ça, je ne sais pas vous, mais moi je n’ai rien vu sur mon avis d’impôt sur le revenu d’il y a quelque temps, même la taxe d’habitation l’année dernière. Mettre une toute petite ligne en fin de courrier, en deux ans on n’arrive pas à le faire ! C’est quand même assez surprenant ! Certains parlementaires s’en étaient d’ailleurs alarmés l’année dernière et après moult échanges, assez tendus d’ailleurs, avec le gouvernement, il a été décidé que faute d’avertir les citoyens qu’une décision a été prise sur le seul fondement d’un algorithme, ça ne concernera que les décisions 100 % automatisées, eh bien les décisions concernées seront automatiquement considérées comme nulles à partir du 1er juillet prochain, le 1erjuillet 2020.
Je pense que Bercy n’a qu’à bien se tenir en dépit de l’ouverture du code source de la taxe foncière.
Frédéric Couchet : Cette nullité automatique à partir de juillet 2020, c’est dans la loi ou c’est simplement une annonce du gouvernement ?
Xavier Berne : C’est vraiment dans la loi.
Frédéric Couchet : C’est dans la loi. D’accord.
Xavier Berne : Ça a été introduit très exactement dans la loi sur les données personnelles du 21 juin 2018.
Frédéric Couchet : D’accord. Ton sentiment par rapport à cette situation, par rapport aux administrations, est-ce que c’est un manque de volonté ? Est-ce que c’est un manque de moyens ? Est-ce que c’est un manque d’accompagnement peut-être par le gouvernement ou autres ? Est-ce qu’il y a des raisons vraiment précises qui expliquent, selon toi, ce retard considérable ?
Xavier Berne : Je pense qu’il y a effectivement un manque de moyens et puis le fait qu’il n’y ait pas du tout de sanctions, ça n’aide pas on va dire aussi, vu que les administrations ne risquent rien à part, bientôt, une potentielle nullité uniquement pour des décisions 100 % automatisées. Je pense aussi que beaucoup d’administrations ne savent pas non plus comment fonctionne exactement leur système informatique et, du coup, forcément quand on ne sait pas ! Par exemple j’étais avec la Caf il y a quelque temps parce qu’on avait justement fait une demande CADA sur ça et je crois qu’il y avait 17 000 règles de droit qui étaient dans le logiciel, je crois qu’il s’appelle CRISTAL [Conception Relationnelle Intégrée du Système de Traitement des Allocations], qui sert à calculer toutes les prestations versées par la Caf. Du coup, si l’administration elle-même n’arrive pas à savoir comment le logiciel calcule les choses au regard de toutes les potentielles règles de droit ou etc., qui peuvent être appliquées, je peux comprendre que ce soit très difficile, ensuite, à expliquer au citoyen individuellement comment le programme en est arrivé à tel résultat.
Le problème aussi, avec tout ça, c’est que les administrations, en face, sont dans une situation de silence. C’est-à-dire qu’on a beau faire des demandes précises, on n’a jamais personne qui va nous répondre en nous disant « on ne peut pas le faire parce que c’est trop compliqué ». Je pense qu’on pourrait complètement être aptes à entendre ces arguments-là, que c’est trop compliqué, mais personne ne le dit en face ; au lieu de ça, on fait face à un mur, c’est-à-dire que quand on fait une demande d’explicitation il n’y a pas de réponse ou alors on donne une réponse qui est à côté de ce qui est prévu par la loi.
Voilà c’est quand même un vrai problème.
Frédéric Couchet : Même toi, en tant que journaliste, tu n’arrives pas à obtenir une réponse des administrations que tu contactes finalement ?
Xavier Berne : Je n’arrive pas à avoir de réponse sur pourquoi ils ne le font pas.
Frédéric Couchet : Pourquoi ils ne le font pas, d’accord.
Xavier Berne : J’ai tenté d’avoir des explications, je sais que par exemple Pôle emploi ou même plus récemment, en tout cas je suis sûr, les impôts justement pour le calcul de la taxe d’habitation notamment, eh bien ils renvoient à la fameuse notice qui explique, en fait, comment est calculée la taxe d’habitation, ou maintenant la taxe foncière, étape par étape, sauf que ça ne décrit pas du tout le fonctionnement de l’algorithme. Même quand on leur explique ça, soit ils ne comprennent pas, soit ils ne veulent pas entendre parce qu’ils ne répondent pas derrière aux remarques qu’on peut leur faire sur les lacunes de ces documents-là.
Frédéric Couchet : D’accord. Et côté CADA, donc la Commission, est-ce qu’elle fait quelque chose ? Est-ce qu’elle accompagne ou est-ce qu’elle est surchargée de demandes et, finalement, elle est comme les autres administrations ?
Xavier Berne : La CADA a incité globalement les administrations à répondre à ces demandes d’explicitation, mais ça manque un peu d’allant, on va dire, dans les avis qui sont prononcés par la CADA et je pense que ce manque de sévérité conforte les administrations à ne pas faire œuvre de transparence et de pédagogie, surtout, sur le fonctionnement des algorithmes. C’est d’autant plus dommage qu’on avait Emmanuel Macron qui, l’année dernière, avait promis plus de transparence sur les algorithmes publics. Malheureusement, comme souvent lorsqu’il est question de transparence, les actes ne suivent pas toujours les discours.
Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que tu as quelque chose à ajouter en conclusion ?
Xavier Berne : Non, je pense qu’on a fait le tour. Merci.
Frédéric Couchet : En tout cas tu as écrit plusieurs articles sur le sujet. On les retrouve sur le site nextinpact.com. C’était la chronique de Xavier Berne et on se retrouve le mois prochain.
Xavier Berne : Ça marche. Merci. Au revoir.
Frédéric Couchet : Je te souhaite une belle journée. Au revoir.
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Annonces
Frédéric Couchet : Nous approchons de la fin de l’émission, l’occasion de quelques annonces.
D’abord la réponse au quiz, parce qu’on a répondu à l’une des questions mais pas à la première. La première question c’était : quel projet libre a fêté ses 15 ans cet été, le 10 août ? Et je vous avais indiqué que nous avions déjà parlé de ce projet dans Libre à vous !. Eh bien c’est OpenStreetMap, le projet de cartographie libre et je vous précise que nous consacrerons une deuxième émission à OpenStreetMap le 24 septembre 2019, c’est le lendemain de leur réunion mondiale. Christian Quest viendra nous faire un petit point des nouveautés sur OpenStreetMap, donc l’émission du 24 septembre 2019.
Dans les annonces d’événements autour de Paris, donc pour les personnes qui nous écoutent en Île-de-France, il y a la soirée de contribution au libre jeudi 5 septembre 2019 à la FPH dans le 11e arrondissement.
Ce samedi 7 septembre vous avez le Premier samedi au Carrefour numérique de la cité des sciences et de l’industrie, notamment l’occasion de découvrir des distributions GNU/Linux comme Ubuntu mais aussi Debian et d’autres. C’est de 14 heures à 18 heures à la Cité des sciences et de l’industrie. Le site web c’est premier-samedi.org.
Une formation qu’on m’a signalée la semaine prochaine, du mardi 10 septembre au mercredi 11 septembre, au CICP [Centre international de culture populaire] rue Voltaire à Paris, c’est la formation « Pratiquer GNU/Linux au quotidien ». Il y a quinze places disponibles, il y a des frais pédagogiques qui dépendent de votre statut.
Évidemment il y a d’autres événements ailleurs qu’en région parisienne. Par exemple il y a un apéro April le 6 septembre, donc ce vendredi, à Marseille, au Foyer du peuple. Je ne sais pas qui y sera présent, je crois que Christian Momon sera peut-être là, mais je ne suis pas sûr. En tout cas n’hésitez pas à passer voir les membres de l’April présents sur place. Et bien sûr, tous les autres événements sont disponibles sur le site de l’Agenda du Libre.
Comme il me reste un petit peu de temps - c’est rare qu’on soit en avance - je rappelle que la radio a une boîte vocale pour faire connaître votre travail, si vous avez envie de parler d’un projet important, d’un projet qui vous tient à cœur ou simplement déclamer un poème, vous pouvez appeler le 01 88 32 54 33, c’est le numéro de la boîte vocale de radio Cause Commune. Je crois que la durée maximale des messages, si je me souviens bien, c’est une dizaine de minutes et je ne sais pas quand est-ce qu’ils seront diffusés à l’antenne, ça dépendra de l’équipe de la radio.
Je regarde si on a d’autres annonces.
Je vais vous rappeler, dans les nouveautés, nous avons les chroniques courtes. Je vous rappelle la disponibilité de la bande-annonce vidéo qui est sur le site de l’April, april.org, que je mettrai également sur le site causecommune.fm. C’est un peu l’occasion de découvrir les visages. Vous verrez sur la vidéo notamment le visage de ma collègue Isabella Vanni, de Noémie Bergez qui fera sa chronique la semaine prochaine ; vous avez aussi Denis Dordoigne de l’April et de INFINI, vous avez Christian Momon de l’April, vous avez Étienne Gonnu, donc l’occasion un petit peu de découvrir. C’est une vidéo courte, nous mettrons en ligne une vidéo un peu plus longue, 1 minute 30-2 minutes bientôt, et peut-être une version un peu plus longue encore, 5 minutes, pour vraiment montrer comment ça se passe ici ; effectivement, les gens nous ont demandé « comment ça se passe derrière les micros ? Comment vous êtes habillés ? » et tout, c’est un peu le mystère de la voix. Donc c’est la bande-annonce de l’émission Libre à vous ! qui est disponible sur le site et que je vous encourage, évidemment, à voir et à transmettre très largement.
Notre émission se termine. Je vais remercier les personnes qui ont participé à l’émission : Luk, Xavier Berne de Next INpact, le lieutenant-colonel Stéphane Dumond. Aux manettes de la régie aujourd’hui, Patrick Creusot. Merci Patrick. Un grand merci également à l’équipe de la radio Cause Commune que ce soit Olivier Grieco, Quentin Hernandez, qui s’occupent notamment des locaux, qui nous préparent plein de choses, qui traitent aussi les podcasts… Ah ! J’ai oublié de parler du traitement des podcasts mais ce sera pour la semaine prochaine.
Vous retrouverez sur notre site web, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm, toutes les références utiles. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 10 septembre à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur l’apprentissage de la programmation pour les enfants. Ce sera exceptionnellement une émission déjà enregistrée parce que l’une des intervenantes a tout simplement repris l’école ce mardi, donc elle n’était pas disponible.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 10 septembre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.