- Titre :
- Émission Libre à vous ! diffusée mardi 29 septembre 2020 sur radio Cause Commune
- Intervenant·e·s :
- Vincent Calame - Adrien Parrot - Pierre-Yves Dillard - Philippe Montargès - Luk - Étienne Gonnu - Isabella Vanni à la régie
- Lieu :
- Radio Cause Commune
- Date :
- 29 septembre 2020
- Durée :
- 1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission
- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l’accord de Olivier Grieco.
- NB :
- transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Santé et logiciel libre, ce sera le sujet principal de l’émission du jour, avec également au programme la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame et aussi la « Pituite de Luk ». Voici le programme de l’émission du jour.
Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Cause Commune sur la bande FM c’est de midi à 17 heures, puis de 21 heures à quatre heures en semaine. Du vendredi 21 heures au samedi 16 heures et le dimanche de 14 heures à 22 heures. Sur Internet c’est 24 heures sur 24.
La radio dispose également d’une application Cause Commune pour téléphone mobile. La radio diffuse désormais en DAB+ 24 heures sur 24. Le DAB+ c’est la radio numérique terrestre avec notamment un meilleur son et c’est notamment le terme officiel choisi par le CSA. Pour capter le DAB+ c’est gratuit, sans abonnement, il faut juste avoir un récepteur compatible avec la réception DAB+.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Étienne Gonnu chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’April c’est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission et également les moyens de nous contacter. D’ailleurs n’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi, bien sûr, des points d’amélioration d’amélioration.
Nous sommes le 29 septembre 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission ma collègue Isabella. Salut Isa.
Isabella Vanni : Salut.
Étienne Gonnu : Si vous souhaitez réagir pour poser une question pendant le direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon #libreavous dédié à l’émission. Vous pouvez aussi participer à nos échanges en appelant le 01 77 62 75 04, vous trouvez le numéro sur le site de la radio.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.
Avant de vous présenter le programme de cette émission, je vais vous faire une petite confidence. J’ai un sacré trac. Ce n’est pas la première fois que j’anime Libre à vous !, mais c’est la première fois que je le fais depuis le studio de Cause Commune. J’ai le trac, mais je suis surtout très content et excité de pouvoir faire cette expérience et de la partager avec nos super auditrices et auditeurs de Libre à vous ! avec un programme qui, je l’espère, vous intéressera, je n’en doute pas.
Ce programme quel est-il ? Nous commencerons, comme je l’ai annoncé, par la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame intitulée « Maître et serviteur » et, si j’ai bien compris, il s’agira d’une réflexion critique sur le jargon informatique.
Nous enchaînerons ensuite avec le sujet principal sur le logiciel libre et la santé. Pour cela nous aurons le plaisir d’avoir avec nous Adrien Parrot, Pierre-Yves Dillard et Philippe Montargès.
L’incroyable Luk nous expliquera en fin d’émission que « Digital rime avec Médiéval » et nous finirons par quelques annonces.
Avant de commencer cette émission nous allons faire un petit quiz. Je vous donnerai la réponse en fin d’émission. Vous pouvez nous proposer vos réponses sur le salon web de la radio accessible, comme je vous le disais, via le site web causecommune.fm, bouton « chat ». Vous pouvez également nous répondre via les réseaux sociaux sur les comptes @aprilorg sur Twitter et @aprilorg chez pouet.april.org sur Mastodon, l’instance où est hébergé le compte de l’April étant april.org.
Cette question quelle est-elle ? Le 18 janvier 2020, dans le Libre à vous ! numéro 51 nous avions fait un sujet qui est directement lié à celui du jour, nous avions parlé du Health Data Hub, une plateforme de recherche sur les données de santé. Nous en reparlerons sans doute tout à l’heure. À l’époque, un des points de tension autour de cette plateforme portait sur un accord entre l’Europe et les États-Unis sur l’encadrement du traitement des données personnelles, un accord qui a récemment été invalidé par la Cour de justice de l’Union européenne. Quel est le nom de cet accord ? Petit indice : il fut le sujet d’une chronique la semaine dernière.
Tout de suite place au premier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame, bénévole à l’April, sur le thème « Maître et serviteur »
Étienne Gonnu : J’ai le plaisir d’avoir avec moi Vincent Calame, bonjour Vincent, et je dois dire que je suis ravi que pour la première chronique que je vais animer depuis ce studio ce soit la tienne, que ce soit donc avec toi, et que tu nous fasses le plaisir d’être avec nous, masqué bien sûr.
Vincent Calame : Bien sûr.
Étienne Gonnu : Si j’ai compris, comme je disais, derrière ce mystérieux titre « Maître et serviteur », tu vas nous parler jargon informatique.
Vincent Calame : Bonjour Étienne. Tout à fait.
C’est vrai que dans l’informatique nous avons l’habitude d’être dans un monde à part avec notre jargon, nos préoccupations, nos enjeux. Bien sûr, nous essayons de partager ces enjeux avec le plus grand nombre, comme ici même sur cette antenne, même si on a parfois l’impression de se heurter à un mur d’incompréhension. Quand on inverse, certains débats qui déchirent la société s’immiscent dans l’informatique, ça fait bizarre, tout d’un coup, de voir sa bulle éclater et se retrouver dans le fracas du monde.
Je vais prendre comme sujet de ma chronique, justement, un débat en cours sur la question de la pensée décoloniale qui a été illustré médiatiquement, cet été, par le déboulonnage de statues de personnages controversés, à Bristol notamment, mais aussi en France avec les statues de Colbert. Pourquoi ce sujet-là ? Parce que plusieurs projets de logiciel libre ont déclaré bannir de leur code l’utilisation de l’expression « maître esclave ». Le dernier en date de ces projets étant Mozilla Firefox, ces termes étant, je cite la déclaration de Firefox « identifiés comme étant péjoratifs ou excluants ».
Étienne Gonnu : Si on fait abstraction de ce à quoi t’avaient effectivement renvoyé ces termes, que désigne cette expression « maître et esclave » en informatique ?
Vincent Calame : En informatique, ça signifie une relation de dépendance. Par exemple, on parle d’une base de données esclave quand elle est la copie synchronisée d’une autre base de données qui est la base de données maître.
Dans le cadre de Firefox, c’était utilisé en particulier pour distinguer le mot de passe principal des autres mots de passe. Si jamais dans Firefox vous avez des mots de passe enregistrés, vous pouvez mettre un mot de passe principal qui va ouvrir la porte aux autres. En fait, dit comme ça, ce n’est rien de bien méchant et on ne peut pas dire que ça fasse l’apologie de l’esclavagisme. Et c’est vrai que souvent, quand ce type de sujet tombe, la première réaction c’est de trouver qu’on en fait un peu trop sur la question, qu’on cherche la petite bête.
Comme je ne sui pas chroniqueur sur CNews ou éditorialiste à Valeurs actuelles je ne vais pas partir ici, je vous rassure, dans une diatribe sur les méfaits du politiquement correct. Comme nous sommes dans l’émission Libre à vous ! et sur la radio Cause Commune, comme nous pensons que l’informatique n’est pas seulement un objet technique et que le logiciel libre est un projet éminemment politique qui n’est pas hors du monde, j’ai trouvé intéressant de pousser un peu plus loin la réflexion sur cette question « maître esclave ».
Il se trouve que dans mon propre code j’utilise les mots anglais master et slave, qui correspondent à maître et esclave, et franchement ce n’est vraiment pas un choix conscient de ma part. J’ai suivi ce qui me semblait l’usage en informatique, c’est répandu, pour que mon code soit le plus lisible possible par d’autres informaticiens.
En revanche, suite à ce sujet, ce que j’ai trouvé très significatif c’est que je n’utilise jamais le mot « esclave » dans ma propre documentation en français, également dans l’interface, et ça depuis toujours, bien avant la polémique et là aussi sans que ce soit un choix conscient de ma part. Je crois que c’est une preuve que pour moi aussi, qui suis un homme blanc de 47 ans, ni racialisé ni issu de minorité pour reprendre les termes actuels de ce débat, que le mot « esclave » avait une charge évocatrice très forte et qu’il n’avait pas du tout sa place dans la description d’un logiciel.
Étienne Gonnu : Donc tu ne serais plus partisan d’employer cette expression ?
Vincent Calame : En fait oui. Je suis d’accord avec cette position et j’irais même plus loin. En informatique et dans tout autre domaine technique c’est naturel de puiser dans d’autres champs sémantiques des termes pour désigner les concepts que l’on manipule. Un seul exemple « client serveur », pour désigner un ordinateur qui reçoit des informations, le client, et puis l’ordinateur qui lui fournit une information, le serveur ; ça vient directement de la restauration.
Comme c’est le monde anglophone qui est en pointe dans l’informatique, nous programmeurs, programmeuses francophones, nous récupérons les métaphores développées dans ce contexte culturel.
Du coup, je me suis demandé quelles images nous aurions pu utiliser si le concept était né dans le monde francophone.
Pour ce qui est d’exprimer une relation de dépendance, nous avons l’embarras du choix. En français on aurait pu dire « principale et subordonnée », comme en grammaire quand on parle de proposition principale et de proposition subordonnée ; « chef et subalterne » ; « suzerain et vassal » si on aime puiser dans l’histoire ; ou, j’ai pensé à Maître et serviteur qui est le titre d’une nouvelle de Tolstoï, un Tolstoï qui fait moins de 100 pages ce n’est pas courant et c’est agréable à lire. Mais je ne pense pas que nous aurions jamais utilisé le terme « maître et esclave ». Ce n’est pas que je pense que nous soyons plus vertueux que les États-Unis, je n’accuse personne de raciste, mais je constate seulement que c’est aux États-Unis que, pour nommer une relation de suggestion entre deux objets informatiques, c’est l’image du maître et de l’esclave qui est venue à l’esprit. Inconsciemment ou non, je pense que c’est une référence directe à l’histoire sombre de ce pays.
J’ai pris un exemple pour pousser le bouchon un peu loin, imaginons que j’aie, en informatique, à décrire une relation d’échange circulaire entre trois objets et que j’utilisais le terme « commerce triangulaire », « commerce » pour « échange », « triangulaire » pour « à trois ». Sauf qu’il se trouve que « commerce triangulaire » ça désigne le système économique de la traite des esclaves organisée par l’Occident pendant plusieurs siècles. Donc effectivement ce serait difficilement excusable et je ne pourrais pas dire que je ne l’ai pas fait en connaissance de cause.
C’est pour ça qu’après une première réaction de déni, un peu outré face, justement, à cette force-là de la déclaration, j’ai trouvé que le renommage des termes avait du sens et, après tout, ça ne me demande pas trop d’effort dans mon propre code.
Étienne Gonnu : Je dois dire que je partage complètement ton point de vue. Comme tu le dis les mots ont aussi une histoire et une charge politique et peuvent être porteurs de violence. Si on est attaché à l’idée de justice qu’incarne l’éthique du logiciel libre, comme toi je pense que cette vigilance me paraît indispensable pour n’exclure personne [du débat, Note de l’orateur]. C’est vrai que ça demande peu d’effort.
Toi du coup, par quoi as-tu remplacé ces termes ?
Vincent Calame : Dans ma documentation en français j’utilisais le terme « rattaché », terme qui est en fait très français, qui vient tout droit de l’administration, de notre culture administrative dont nous sommes très fiers, mais l’équivalent en anglais ne sonnait pas très bien. J’ai hésité avec « vassal » puisqu’il existe tel quel aussi en anglais et en français, mais j’ai trouvé que ça faisait un peu pompeux. J’ai finalement gardé « maître », master, parce que pour le coup c’est un terme qui a beaucoup de sens entre l’instituteur, entre l’avocat et ainsi de suite. Par contre, j’ai remplacé « esclave », donc slave, par « satellite », ce qui existe de la même manière en français et en anglais, un peu d’ailleurs à la fois en référence positive à la Lune satellite de la Terre et puis aussi un peu en référence à la guerre froide où c’était le nom qu’on donnait aux pays de l’Est qui étaient satellites du grand frère, l’Union soviétique. Je pense que la référence historique ne choquera ni un Polonais ni un Tchèque si je l’utilise.
Étienne Gonnu : Je pense que tu es à l’abri.
Merci beaucoup pour cette nouvelle chronique, la première de la saison 4, passionnante. Je pense qu’on se retrouve le mois prochain pour ta prochaine chronique.
Vincent Calame : Tout à fait.
Étienne Gonnu : Merci beaucoup Vincent. Bonne journée. Je vous propose de passer à une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Aujourd’hui notre programmateur musical Éric Fraudain, du site auboutdufil.com, nous fait découvrir CyberSDF, ou plutôt redécouvrir, car nous avions déjà eu le plaisir de diffuser cet artiste en suivant justement les recommandations de auboutdufi.com.
Le premier morceau s’intitule Flame and Go par CyberSDF. Je vous souhaite une excellente écoute. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Flame and Go par CyberSDF.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Flame and Go par CyberSDF, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site april.org, ainsi qu’une présentation de l’artiste sur le site auboutdufil.com.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur causecommune.fm. Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Passons maintenant au sujet principal.
[Virgule musicale]
Logiciel libre et santé – Appel d’offres de la Centrale d’Achat de l’Informatique Hospitalière sur le logiciel libre et du Health Data Hub, dont nous avions discuté lors du Libre à vous ! #51 du 28 janvier 2020
Étienne Gonnu : Nous avons choisi de vous parler aujourd’hui, comme je vous le disais, de santé et de logiciel libre et plus globalement des enjeux en termes de libertés informatiques qui s’attachent à la santé, donc vaste sujet s’il en est.
Pour cela j’ai le plaisir d’accueillir, pour en parler avec moi, Adrien Parrot président de l’association InterHop qui vise à fédérer des bases de données de recherche au niveau national avec un accent sur les logiciels et algorithmes libres. Adrien Parrot, tu es également médecin et ingénieur. Bonjour.
Adrien Parrot : Bonjour.
Étienne Gonnu : Nous avons également avec nous Philippe Montargès coprésident d’Alterway et Pierre-Yves Dillard, membre fondateur d’Easter-eggs, deux entreprises historiques, si vous me permettez le terme, du logiciel libre. Philippe, Pierre-Yves. Bonjour.
Pierre-Yves Dillard : Bonjour.
Philippe Montargès : Bonjour. Je tenais à préciser que je parlerai aussi au nom du hub open source du Pôle Systematic et du CNLL [Conseil National du Logiciel Libre].
Étienne Gonnu : D’accord. Donc Philippe Montargès. Entendu.
Pour mémoire, comme je le disais en introduction, nous avions réalisé le 28 janvier 2020 un sujet long sur le Health Data Hub, une plateforme publique de recherche sur les données de santé, qui a fait le choix – bien sûr fort discutable selon nous, mais nous ne sommes pas les seuls – d’utiliser le cloud Azure de Microsoft pour héberger les données. Nous avions, à cette occasion, déjà eu le plaisir de recevoir Adrien Parrot et Nicolas Paris, également membre d’InterHop, ainsi que Stéphanie Combes qui présidait à l’époque ce qui était le projet de plateforme, qui est donc devenu une plateforme en place.
Entre temps beaucoup de choses se sont produites et on reviendra en grande partie dessus, mais j’aimerais juste préciser rapidement, en quelques mots, on va dire la genèse de l’émission d’aujourd’hui.
Fin juin une sénatrice, Nathalie Goulet, a déposé une proposition de résolution pour demander la création d’une commission d’enquête sur le Health Data Hub. On s’était dit, bien sûr, que c’était une bonne occasion de revenir sur le sujet, voir ce qui avait pu progresser et particulièrement dans le cadre de la situation sanitaire que nous traversons, les données de santé, la recherche, apparaissent sous un jour d’autant plus important. Sauf que le temps d’organiser cela, en prenant en compte de la période estivale…
Une Centrale d’achat de l’informatique hospitalière, CAIH, a lancé un appel d’offres pour proposer du logiciel libre, un appel d’offres très large sur le logiciel libre pour qu’il soit proposé aux membres des établissements de santé qui sont membres de cette centrale d’achat. Encore un sujet qu’on ne peut pas ignorer. Puis le Privacy Shield, qui est donc un accord entre l’Europe et les États-Unis sur le l’encadrement du traitement des données personnelles, un accord qui est déterminant pour la plateforme Health Data Hub, a été invalidé en juillet 2020 par la Cour de justice de l’Union européenne. Noémie Bergez a d’ailleurs fait sa chronique du mardi 22 septembre sur le sujet. Donc à nouveau quelque chose qu’on pouvait difficilement ne pas aborder dans une émission sur la santé et le logiciel libre.
Donc il y a beaucoup de choses, d’ailleurs nous serons sans doute amenés à revenir sur ces sujets de manière plus ciblée dans des émissions. Je pense qu’il serait intéressant pour objectif de cette émission, comme j’ai dit, de faire ressortir les enjeux de l’informatique dans le domaine de la santé, même si je n’aime pas trop le terme de domaine, et en quoi le logiciel libre constitue un élément de réponse.
J’aimerais poser cette première question à nos invités à tour de rôle : quand on vous parle d’informatique et de santé, qu’est-ce que ça évoque chez vous que ce soit positivement, négativement ? Adrien Parrot, si tu souhaites et n’hésites pas à compléter l’introduction que j’ai pu faire de ta présentation.
Adrien Parrot : Déjà merci de parler de ce sujet qui est pour moi très important. Pour moi, le principal enjeu d’informatique en santé ce sont les données de santé, parce que c’est grâce à elles qu’on va entraîner nos futurs algorithmes, même pour faire de la recherche dans le domaine de l’informatique. Si on dit données de santé, tout de suite c’est où est-ce qu’on héberge ces données, où sont-elles et, du coup, un cadre de confiance qui doit rester vraiment primordial. Il ne faut surtout pas partir trop vite dans une direction si celle-ci n’est pas informée de façon transparente et si le patient reste en confiance dans le système de santé.
L’informatique en santé s’inscrit dans la santé en général et les valeurs de confiance et de secret sont vraiment au fondement de la médecine. Pour moi c’est vraiment l’enjeu majeur qui doit stresser aussi un peu les informaticiens parce que, à ce titre, ils deviennent aussi des professionnels de santé lorsqu’ils traitent des données de santé. Donc ça impose presque un code de déontologie, pourquoi pas, mais en tout cas ça doit vraiment obséder. Il faut que les patients aient confiance, il faut informer les patients.
Je voulais rapidement faire une petite référence à la chronique d’avant sur les rapports maître-esclave et, du coup, nous aussi peut-être qu’on est un peu dans une position, une mentalité un peu de colonisés où on pense qu’on ne peut pas faire autrement que appel à Microsoft, Apple, les GAFAM et les BATX [Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi], donc Google, Amazon, Facebook et Microsoft, donc on ne peut pas faire autrement que ça, on est obligé d’utiliser ça. Ils ont des budgets de développement absolument énormes. L’idée c’est de dire que si on peut, c’est une mentalité : le logiciel libre existe, il y a plein de choses qui existent, ce n’est pas parfait, mais on peut le faire.
Étienne Gonnu : C’est très juste. Et on voit comment la colonisation des imaginaires peut être importante.
Pierre-Yves Dillard, qu’est-ce que ça évoque chez toi l’informatique, la santé, quand on fait le parallèle entre les deux ?
Pierre-Yves Dillard : Déjà, de mon côté, c’est un monde qui est particulier et qu’on n’aborde pas comme un autre secteur parce que c’est un domaine sensible qui nous touche également forcément en tant que citoyens. On y a un intérêt en tant que citoyen, on ne l’aborde pas de la même façon que d’autres domaines.
Ensuite j’ai vu un choc, une rencontre avec une forme de choc de cultures où d’un côté on a, à quelques exceptions près, il y en a notamment à l’AP-HP [Assistance publique - Hôpitaux de Paris], un monde médical qui est souvent un peu otage du jargon et de l’informatique et qui, finalement, est en train d’apprendre à réfléchir différemment et à réfléchir les outils et non pas seulement à réfléchir en termes de solutions, de boîtes, de marques et de packages, mais à réfléchir à ses besoins en termes de solutions, d’organisation. C’est là où effectivement on a, nous prestataires du logiciel libre, des choses à leur dire et des choses à échanger. On s’aperçoit qu’on peut avoir des visions, on peut partager des visions sur comment on peut emmener une informatique en garantissant notamment et on en revient aux données, que la donnée des citoyens est bien traitée, n’est pas vendue ou commercialisée sans son aval.
Étienne Gonnu : Très juste. D’ailleurs un des points centraux du Réglement général sur la protection des données c’est bien la loyauté des traitements. Lorsqu’on parle effectivement des données de santé des citoyens, on peut voir à quel point la question est fondamentale.
Philippe Montargès, d’Alter Way notamment, qu’est-ce que ça évoque pour toi ?
Philippe Montargès : Ce que ça évoque pour moi c’est que ça met en exergue une problématique très large qui est survenue suite à cette crise et encore en cours de la covid, où on s’aperçoit que, effectivement, on peut avoir les meilleures intentions du monde au niveau des pouvoirs publics et même au niveau des citoyens pour pouvoir, quelque part, récupérer la main sur ses logiciels, sur ses données, mais ça met en exergue un point fondamental. L’industrie européenne, voire française, notamment en termes d’infrastructure a pris un retard tellement énorme qu’on en est à se demander comment on fait pour développer les applications métiers ou d’usage comme dans le domaine de la santé qui nécessitent vraiment une très grande spécialisation et qui ont, on le voit bien, un impact sociétal au niveau des citoyens qui est énorme. On peut avoir les meilleurs projets du monde, mais on s’aperçoit que si on n’a pas une maîtrise des infrastructures, là on parle notamment des données, des infrastructures en termes de cloud, en termes de réseau, on s’aperçoit qu’on peut avoir les meilleurs projets du monde, mais derrière ça débouche sur des hiatus comme le Health Data Hub qui, effectivement, a fait quelque part un choix par défaut parce qu’il n’y avait qu’un seul prestataire à l’instant t qui pouvait répondre, semble-t-il, au cahier des charges du Health Data Hub. Pour moi ça pose vraiment la question, quelque part, de la schizophrénie de nos pouvoirs publics qui poussent à digitaliser très vite, à offrir des solutions très vite.
Dans le cas de la santé on voit qu’il y a un intérêt énorme à exploiter toutes les données de santé qui existent pour pouvoir, effectivement, être capables de fournir des solutions, des analyses plus pertinentes et plus rapidement, mais s’il n’y a pas aussi derrière cette volonté d’investir et de se sortir quelque part, pas de ce poison, de cette dépendance à l’infrastructure qu’elle soit essentiellement anglo-saxonne, américaine, voire chinoise, quelque part c’est voué à l’échec. On ne peut pas d’un côté pousser à la souveraineté numérique et de l’autre côté continuer à ne pas, dans les appels d’offres, promouvoir les solutions d’infrastructures qui sont plutôt européennes, sachant qu’elles sont effectivement à un stade qui n’a rien à voir avec ce que peuvent proposer les sociétés dont on parle, américaines ou autres.
Donc pour moi c’est un vrai sujet, ça met en exergue ce point-là, surtout sur un domaine comme la santé qui est, comme le disait Pierre-Yves avant, un domaine qui est extrêmement sensible et qui demande vraiment à avancer avec précautions.
Étienne Gonnu : Très juste. C’est vrai que la question de souveraineté est assez récurrente. À l’April c’est vrai qu’on aime bien aussi dire que, au-delà de question de la souveraineté territoriale, par rapport à l’américaine et chinoise, d’avoir une souveraineté européenne, ce qui importe beaucoup aussi et qui est vraiment indispensable c’est l’usage de logiciels libres pour qu’on parle vraiment plutôt d’une souveraineté populaire, pour qu’on puisse accéder aux sources.
Je crois que Adrien souhaitait réagir également.
Adrien Parrot : Oui, pour préciser aussi que dans le cadre du choix du Health Data Hub il n’y a pas eu de concertation large avec les différents acteurs, notamment les industriels du logiciel libre. Ça n’a pas été fait, ça aurait pu. Et ce qui est qui est bien, comme Pierre-Yves disait, c’est qu’avec le logiciel libre on peut coconstruire, donc on aurait pu être dans une démarche de coconstruction et d’évolution par paliers, progressive. Déjà construire une communauté d’hôpitaux qui partagent et échangent leurs données, centrées sur l’interopérabilité, c’est déjà un travail de fond qui prend au moins des mois et des années je dirais. On aurait pu faire progressivement. Sur les infrastructures de l’AP-HP, les hôpitaux de Paris, je parle d’eux parce que je les connais, j’y ai travaillé, ont réussi en trois ans à monter une plateforme d’analyse big data à l’état de l’art, qui est centrée autour des logiciels open source et libres et qui traite 11 millions de patients avec plusieurs projets.
Donc je pense vraiment que, même sur les hébergements et les infrastructures, si on s’en donne les moyens, en tout cas peut-être centrer à Paris et aux hôpitaux de Paris, on peut y arriver.
Étienne Gonnu : Pierre-Yves Dillard.
Pierre-Yves Dillard : J’acquiesçais complètement parce que nous sommes au cœur de ces problématiques. Après l’hôpital n’est l’AP-HP et l’AP-HP est vraiment une exception dans le paysage. Quand on va dans d’autres établissements qui ont moins de moyens, finalement les réalités sont plus complexes et c’est plus compliqué à mettre en œuvre, il y a moins de ressources. Ce qui est frappant dans ce milieu-là, Adrien en est un exemple, c’est que les informaticiens sont des médecins. Je suis émerveillé dans les relations qu’on peut avoir avec les hôpitaux c’est de savoir qu’entre deux requêtes, il y a un service de réanimation en charge de la personne qui est que le jour elle soigne les patients du covid et la nuit elle fait des requêtes pour nous fournir des données, pour venir alimenter les applicatifs. C’est complètement fou comme situation. Ce sont des gens brillants, mais le système, dans certaines régions, tient grâce à la volonté incroyable de certaines personnes.
Étienne Gonnu : Est-ce que tu peux juste préciser ce que signifie « requête » pour les personnes qui ne sont pas forcément familières du jargon ?
Pierre-Yves Dillard : On a contexte où l’administrateur qui est en train de construire l’entrepôt de données et qui doit faire des requêtes pour aller récupérer des données pour venir alimenter le futur entrepôt de données de santé, eh bien c’est le responsable de la réanimation par ailleurs.
Étienne Gonnu : Merci. Philippe Montargès.
Philippe Montargès : Je reviens sur ce que disait Adrien tout à l’heure, effectivement, dans la consultation, l’écosystème des acteurs du logiciel libre et de l’open source en France n’a pas été forcément contacté dans le cadre du Health Data Hub. Mais surtout, pour travailler notamment dans le domaine de la donnée et de l’hébergement de la donnée, vous savez qu’il y a cette fameuse certification des données de santé [Certification HDS - Hébergement de données de santé] qu’il faut avoir pour travailler et notamment infogérer et administrer des données de santé en France. Il y a 6 niveaux de certification dans cette certification HDS. On s’aperçoit que, d’une part, il y a très peu d’acteurs qui la possèdent sur les 6 nivaux. Azure de Microsoft était un acteur qui la possédait sur les six niveaux. Et quand on a cette certification même avec les six niveaux, ça ne garantit en aucune façon que vos données sont gérées en France ou en Europe.
Pour moi, ça pose aussi un problème quasiment au niveau de ces certifications qui sont complètes pour gérer correctement à la fois la logistique, à la fois l’infrastructure logistique et à la fois l’administration des données, la façon dont est gérée l’information et aussi le stockage. Mais on peut être certifié données de santé sans avoir l’obligation, et c’est ce qui m’a frappé dans ce dossier-là, d’avoir ces données stockées en France voire en Europe.
Étienne Gonnu : C’est significatif. C’est vrai que l’hébergement est au cœur et on va revenir dessus parce qu’on va parler de la recherche sur la santé, on va notamment évoquer les actions en cours pour lutter contre ce choix du Health Data Hub.
Philippe Montargès, tu évoquais le cahier des charges du Health Data Hub. Ce qu’on doit aussi avoir à l’esprit c’est qu’il y a aussi des décisions politiques ou des absences de décisions politiques, que ce soit dans la définition des critères pour être hébergeur de données de santé, dans la manière dont va être rédigé le cahier des charges du Health Data Hub. Il faut aussi réfléchir en termes politiques à ce qu’on veut atteindre et qu’elle place on prend en compte pour les libertés informatiques.
Je propose, avant de passer à cette question qui nous prendra peut-être plus de temps puisqu’elle est peut-être plus présente, d’évoquer quand même la situation, parce que Pierre-Yves notamment a commencé à évoquer ça, de l’informatique hospitalière puisqu’il y a eu cet appel d’offres pendant l’été et c’est vrai qu’on ne s’y attendait pas particulièrement. Il faut savoir qu’il y a plusieurs manières pour les hôpitaux de se fournir en informatique. Cette Centrale d’achat en informatique hospitalière est sans doute une des principales, elle a 1200 établissements de santé qui sont membres et qui peuvent se fournir via cet intermédiaire et elle vendait plutôt du Microsoft, elle était quand même plutôt vendeuse de Microsoft. Et là un appel d’offres de logiciels libres, sur une très grande variété de services logiciel libre, a été réalisé cet été.
Avant de parler spécifiquement de cet appel d’offres, je suis extérieur, je ne connais pas du tout, on va dire, l’état de l’informatique hospitalière, quelles sont les spécificités – on imagine qu’elles sont là, les données de santé ont été évoquées – de l’informatique dans un hôpital ? Adrien, toi qui es médecin ?
Adrien Parrot : Déjà il y a beaucoup de logiciels qui ne sont pas totalement spécifiques à l’hôpital et, du coup, on peut aussi commencer par eux et grappiller progressivement un éditeur de texte collaboratif, un tableur, des gestions d’administration, etc., c’est vraiment quelque chose qui est très transversal et d’ailleurs les SI, les services d’information des hôpitaux, se sont équipés historiquement initialement déjà sur les entrées/sorties, des choses qui sont assez loin du métier. Après, les principaux besoins c’est le dossier patient informatisé, potentiellement connecté avec le DMP [Dossier médical partagé] qui est le dossier patient national cette fois-ci. Là il existe plusieurs acteurs dont des logiciels libres aussi, il y a par exemple un projet GNU qui s’appelle GNU Health qui pense à la fédération, à la décentralisation, aux standards d’interopérabilité. Donc il y a tout ça.
C’est vrai que ce qui m’a frappé c’est l’envergure du marché. Déjà, par exemple, si on remplace Oracle, si on commence par la base qui est la base de données, que progressivement on se libère d’Oracle qui coûte beaucoup d’argent pour aller vers PostgreSQL, c’est déjà un pas énorme pour les hôpitaux.
Étienne Gonnu : Merci. Tu devances une question que je voulais poser. C’était s’il y avait aussi des logiciels libres vraiment spécifiques pour les métiers de santé. Du coup j’ai envie de me tourner vers nos deux représentants d’entreprises du Libre. Pierre-Yves Dillard d’Easter-eggs.
Pierre-Yves Dillard : Nous sommes une boîte de service, notre métier c’est de travailler plutôt sur des projets à façon, on ne fournit pas d’outils, on fournit de l’assistance. Effectivement, quand on va parler d’une solution on va forcément proposer, en tout cas chez Easter-eggs, notamment PostgreSQL, ça fera partie d’une solution, mais on ne va pas fournir ou vendre PostgreSQL comme on vendrait un support Oracle. Ce sera intégré dans un projet plus global.
Juste pour répondre à la première question sur quels sont les logiciels de l’informatique hospitalière. Nous sommes amenés à les recenser à l’échelle notamment de l’AP-HM [Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille], on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de disparités, d’outils, de technos, de licences. Quand on doit regrouper le tout au sein d’un entrepôt on s’aperçoit qu’il y a pas mal de travail, déjà d’inventaire à faire, pour créer un vrai référentiel de données qui permet de faire un état de l’art du statut de la donnée, par où elle rentre, par où elle sort, où est-ce qu’on peut la récupérer et comment on peut garantir sa traçabilité. Pour moi c’est beaucoup de disparités et en même temps d’inégalités parce que d’un hôpital à l’autre on va avoir des outils avancés d’un côté et complètement à la traîne de l’autre. On peut être surpris de retrouver encore des traitements qui sont faits sous forme de fichiers classeurs notamment pour des besoins d’étude et des choses comme ça. Il y a des collectes qui se font non pas en base de données mais tout simplement via des tableurs.
Étienne Gonnu : Effectivement, ça paraît peut-être archaïque dans cette ère du big data qu’on nous vend.
Philippe Montargès, une réaction.
Philippe Montargès : Moi je trouve que c’est une très bonne nouvelle, effectivement, que le secteur hospitalier lance ce type d’appel d’offres spécifiquement autour de solutions open source et logiciels libres. Le seul bémol, et je connais un petit peu le dossier parce que nous, Alter Way, on fait partie d’un groupement qui répond concrètement à ce dossier-là. En fait, avec le CNLL on a une grosse réflexion, globalement on a mené une enquête sur sur tous les marchés de support open source et logiciels libres qu’il y a auprès de l’administration. Il y a quand même à « éduquer », entre guillemets, les acheteurs du secteur public à ce que c’est. On ne commande du logiciel libre comme on commande une solution propriétaire ou une solution sur étagère. Je pense que culturellement il faut que les mentalités des acheteurs évoluent. Il faut être bien conscient que l’argent qu’on investit, que ces centrales d’achat investissement dans ces appels d’offres, doivent profiter, derrière, à tout un écosystème d’acteurs industriels, de PME, d’éditeurs, d’infogéreurs, de sociétés de conseil et ainsi de suite.
En fait, on s’aperçoit que dans la constitution du modèle-même de ces appels d’offres c’est qu’il ne garantit quand même, et c’est un petit peu le sujet de cet appel d’offres, un montant forfaitaire qui sera attribué à telle ou telle PME. Pour les PME qui répondent à ces dossiers-là c’est très compliqué de pouvoir s’engager sans passer par un groupement et un groupement qui soit porté par un gros intégrateur. Parce que, effectivement, il y a une prise de risque et il y a quand même à garantir un certain niveau de service, de SLA [service-level agreement] parfois. Notamment dans le cadre de ce marché-là, qui est quand même un marché très large, qui dépasse le cadre de support de logiciel libre, qui va depuis des études de préconisation dans le choix d’outils open source, des études de migration pour migrer le système propriétaire à des systèmes logiciel libre, qui fournit des solutions d’éditeur en mode SaaS [software as a service] aux hôpitaux et aux établissements hospitaliers, qui puisse aussi apporter des solutions clefs en main sur tout ce qui est poste de travail Linux et tout, et derrière qui assure aussi une fonction de support. Donc c’est un marché qui est très ouvert, mais ce qu’on voit c’est que la centrale d’achat, en l’occurrence le CAIH, est un organisme qui, en fait, sera plutôt un référencement auprès des 1200 établissements, je ne sais pas si je suis clair dans ce que je dis, que vraiment un budget à dépenser qui sera alloué aux sociétés qui vont répondre à ce dossier-là.
C’est très compliqué de faire évoluer. Il y a une très grosse réflexion qui a lieu actuellement dans le secteur public. Au niveau du CNLL, avec ce type de groupement, on a répondu à un dossier récemment sur la DGFiP, sur la Direction générale des finances publiques. On essaye de faire évoluer le paradigme de ces dossiers d’appels d’offres. Il ne faut vraiment pas le penser uniquement à comment je massifie, comment j’optimise mon achat pour n utilisateurs derrière, mais il faut le penser vraiment comment j’investis dans un écosystème qui derrière va me fournir un service résilient, un service évolutif et qui va aussi, quelque part, contribuer à l’émergence d’acteurs industriels qui soient de taille suffisante.
Pour revenir à ce qu’on disait tout à l’heure, le problème qu’on a en France et en Europe c’est qu’on n’a pas d’acteurs dans le numérique et notamment dans le numérique ouvert et open source qui soient de très grosse taille, très importants. Si on veut faire en sorte qu’on ait des acteurs qui grossissent et qui acquièrent cette taille critique, il faut que le mécanisme des appels d’offres publics et notamment ce grand marché d’expertise de support ou ces contrats-cadres aille dans cette logique-là et favorise, quelque part, l’ensemble de l’écosystème derrière. C’est ça qu’on essaye de pousser et c’est ça que le gouvernement doit aussi mettre en avant dans cet appel d’offres-là.
Étienne Gonnu : C’est vrai que c’est un point et c’est vrai que la commande publique peut paraître hors sujet, mais en fait il ne l’est pas dans le sens où on voit bien les effets que ça peut produire, du coup comment va s’équiper une partie de l’informatique hospitalière. C’est vrai qu’une chose qu’on pousse, notamment nous on pousse pour une priorité au logiciel libre, ça c’est pour l’aspect juridique, mais aussi culturel comme tu l’évoquais, on le voit bien là, à nouveau.
Pour les personnes qui s’y connaissent et que ça intéresse, le contrat est un accord-cadre mono attributaire, non-alloti, c’est-à-dire qu’une seule réponse doit répondre à tout. Donc de fait, effectivement, c’est plutôt adapté aux gros acteurs uniques, qui caractérisent plus l’informatique privative, plutôt qu’à un environnement constitué d’une constellation de TPE-PME qui vont être complémentaires dans leur façon de faire et qui vont faire communauté autour d’un logiciel libre ou de plusieurs et qui, en plus, sont plus souvent inscrites dans le tissu économique local.
Pierre-Yves Dillard, tu as peut-être aussi une réflexion sur ce sujet.
Pierre-Yves Dillard : Oui. En fait ces accords-cadres, qu’ils soient spécifiques au logiciel libre ou à d’autres types de logiciels, c’est toujours la même chose, ils sont réservés forcément. Aujourd’hui il faut qu’il y ait un très gros acteur qui prenne le leadership pour pouvoir avoir la surface suffisante pour pouvoir répondre. C’est toujours pareil, en fait on a un inventaire absolument affolant de prestations attendues ou de logiciels à supporter, des listes assez étranges où on est en train de dire ça oui, ça non. Pour des acteurs comme nous, des petites PME avec des expertises sur certains sujets, on ne se sent pas tout à fait concernés par tout ça, sachant que dans la vraie vie, même les grands acteurs, quand ils vont répondre et à la fin être titulaires du marché, ils vont souvent se retourner et finalement sous-traiter vers des expertises, parce qu’en fait même les gros acteurs, aussi gros qu’ils soient, souvent n’ont pas la capacité à couvrir l’immensité des attentes de tels appels d’offres. À chaque fois je trouve ça toujours un peu frustrant. J’ai l’impression que dans le monde propriétaire on n’a pas cette exigence de dire on fait un appel d’offres sur tout et on veut que vous répondiez. C’est compliqué.
Je sais qu’on est assez contactés pour notamment s’aligner, on nous a proposé une liste d’outils qu’on voulait supporter. La plupart ce sont des outils dont on n’a pas toujours entendu parler ou qu’on utilise un petit peu, mais c’est sûrement anecdotique en termes d’expertise attendue. Il faut savoir qu’une société sérieuse, quand elle fait du support sur un outil ou qu’elle apporte un outil, ce n’est pas l’outil en lui-même, c’est l’outil inséré dans le système d’information qui est important. Ça veut dire qu’on répond normalement avant par un audit, par une étude, par une analyse du contexte. Ce sont des réflexes qu’on a et on ne sait pas répondre comme ça en disant « oui, OK, on est expert ceci, on est expert cela ». On est toujours assez dérangés par ces marchés, ces appels d’offres.
Étienne Gonnu : Philippe je te laisserai la parole peut-être pour un mot de conclusion parce que le temps file. J’aimerais qu’on puisse aussi aborder les questions de la recherche et de l’hébergement des données de santé.
Un dernier mot avant qu’on fasse une petite pause musicale, Philippe.
Philipe Montargès : Juste pour rebondir là-dessus. Je pense que c’est effectivement une question de culture dans la commande publique. Tu avais raison. Le secteur de la santé, s’il veut basculer massivement vers le logiciel libre, et je pense qu’il a un intérêt à le faire pour des raisons éthiques, des raisons sociétales, des raisons de favoriser aussi l’économie nationale et les entreprises de logiciel libre en France ; il y a quand même des entreprises, des PME, des TPE, donc il y a intérêt à favoriser ce tissu-là. Je pense que la culture d’achat des grands donneurs d’ordre de ces marchés-là est encore une culture de massification, d’optimisation et pas une culture où j’investis par la commande publique dans un écosystème industriel.
Étienne Gonnu : Super. Un dernier mot à Adrien.
Adrien Parrot : Pour rebondir sur Pierre-Yves sur la place des entrepôts, lui voit plutôt des systèmes qui sont éclatés, du coup ça fait la transition. Les entrepôts de données de santé des hôpitaux, justement, sont le lieu de passage et de standardisation, d’homogénéisation des données pour pouvoir réalimenter des outils, se libérer un peu des enclaves propriétaires et migrer progressivement vers des outils open source.
Je rejoins un peu sur la culture de la massification et de la centralisation. C’est typiquement ce qu’on voit dans le Health Data Hub qui est un entrepôt de données déconnecté des lieux de production et qui, du coup, met aussi à mal cette logique décentralisée d’écosystème, de gens qui essaient de construire, de coconstruire et de se libérer des enclaves. Ça me fait réagir aussi avec le prochain sujet.
Étienne Gonnu : C’est une super transition et qui nous amènera à la suite du sujet après une pause musicale. Je vous propose d’écouter Dolling par CyberSDF. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Dolling par CyberSDF.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Dolling, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Je suis Étienne Gonnu chargé de mission affaires publiques pour l’April et nous discutons de santé et de logiciel libre avec nos invités Adrien Parrot, Pierre-Yves Dillard et Philippe Montargès.
N’hésitez pas à participer à notre conversation. J’ai lancé un numéro de téléphone, c’est un numéro 01, vous pouvez le retrouver sur le site de la radio et pouvez nous retrouver aussi sur le site dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ». N’hésitez pas à nous rejoindre pour participer en direct.
Nous évoquions les problématiques de l’informatique hospitalière, la problématique de la commande publique, comment elle doit évoluer pour mieux pendre en compte également le logiciel libre qui est un élément déterminant pour une informatique plus juste, plus loyale. On évoquait, en début d’émission, cet enjeu de la recherche pour la santé, on voit bien en ce moment à quel point avoir une recherche efficace sur les questions de santé est indispensable. On a beaucoup parlé de données de santé. On imagine bien que pour la recherche la question de comment on accède à ces données de santé, à quelles données on peut accéder, comment on peut y accéder, est-ce qu’elles doivent être pseudonymisées, anonymisées ? Il y a énormément de questions.
Je pense que dans la continuité de nos échanges et parce qu’un point qu’on évoque beaucoup avec le Health Data Hub c’est cette question des hébergeurs de santé. Philippe Montargès évoquait justement ce système critiquable puisqu’il ne prend pas en compte le lieu d‘hébergement, il ne prend pas en compte non plus, il me semble, l’utilisation ou pas de logiciels libres, qui est donc la certification hébergeur de données de santé.
Philippe Montargès, puisque tu évoquais ces certifications, est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu en quoi elles consistent ? Tu as dit qu’il y a plusieurs niveaux ? Par qui est-elle attribuée ? Etc.
Philippe Montargès : En fait, la certification de santé c’est comme toute certification. Là il y a six niveaux.
- Ça va depuis l’aspect très physique, les dispositions de maintien en condition opérationnelle de sites physiques, donc là c’est vraiment sur le datacenter, l’aspect physique.
- La mise à disposition, maintien en condition opérationnelle de l’infrastructure matérielle du système d’information, c’est tout l’aspect serveurs, switchs.
- Ensuite il y a vraiment tout ce qui est la partie qui concerne la plateforme d’hébergement d’applications, donc l’application qui est traitée sur cette infrastructure on va dire physique.
- Il y a aussi tout ce qui est infrastructure virtuelle, donc toute la couche logicielle qui est aussi une autre catégorie.
- Après il y a vraiment la partie 5 qui est l’administration, l’exploitation du système d’information contenant les données de santé, qui est le niveau 5 de la certification.
- Il y a le niveau 6 qui est la sauvegarde des données santé, savoir effectivement où elles sont stockées, sauvegardées.
Il y a ces six certifications. En fait, on peut très bien être certifié par exemple sur les fournisseurs de datacenters en France, que ce soit des fournisseurs étrangers ou français, ils peuvent être certifiés 1 et 2, c’est-à-dire sur l’aspect purement physique et infrastructure matérielle, c’est le cas d’un opérateur comme Equinix qu’on connaît. Vous avez des gens comme OVH, qui est certifié sur tous les points sauf le point 5, c’est-à-dire qu’il n’a pas actuellement, peut-être qu’il l’a récupéré, mais il n’avait pas à la date l’administration, l’exploitation du système d’information contenant les données de santé.
On voit que là-dessus il y a beaucoup de choses importantes. C’est sûr que c’est une certification qui est quand même lourde pour les entreprises. C’est toujours pareil, les principes de certification s’adressent quand même à des entreprises qui ont déjà une certaine taille ou un certain volume d’activité dans ce domaine-là. Par exemple, même Amazon n’est pas sur le point 5, alors que Azure l’est, le cinquième niveau qui concerne effectivement l’administration des données de santé.
On voit la complexité du système et c’est ce que je disais tout à l’heure, on peut avoir les niveaux de certification HDS, mais ça ne garantit pas, de toute manière, le point qui peut être critique dans le cas des données de santé, c’est de savoir où est stockée, où techniquement peut être stockée ou transférer la donnée. Ça ne garantit pas que ça soit en France ou en Europe.
Étienne Gonnu : Juste pour résumer, si je comprends bien, en fait il faut avoir chacun de ces niveaux et ça dit ce qu’on est en mesure de faire avec les données de santé.
Philippe Montargès : On peut être HDS mais que sur les niveaux 1 et 2, c’est-à-dire que vous pouvez être HDS données de santé, vous êtes un offreur de datacenters parce que vous avez des opérateurs qui ne font que mettre des datacenters à disposition de prestataires, eux seront 1 et 2 parce qu’ils garantissent la sécurité, la pérennité, la résilience de leur infrastructure en termes d’établissements physiques, en termes de matériel physique sur tel lieu et sur le réseau et ainsi de suite. Mais ils ne seront pas forcément administrateurs de santé, ils ne pourront pas eux, directement, faire de l’hébergement sur leurs datacenters, ce sera un prestataire qui pourra le faire. Donc il peut y avoir aussi, comme ça, un mécanisme de couches de prestataires. Il peut y avoir un prestataire certifié 1 et 2 et un autre prestataire qui est certifié sur 3 et 4 et qui est en partenariat avec celui qui est certifié 1 et 2 et ainsi de suite. Donc il y a aussi ce type mécanisme qui peut être mis en œuvre.
Étienne Gonnu : On voit effectivement la complexité. Marie-Odile avait une question sur le salon #libreavous, une question tout à fait logique d’ailleurs : qui est-ce qui accorde cette certification ?
Philippe Montargès : C’est une bonne question, c’est comme pour les certifications ISO, c’est un organisme spécialisé qui les attribue. Il y a tout un process de préparation, d’examen. Je n’ai pas le nom de l’organisme.
Adrien Parrot : Le Cofrac [Comité français d’accréditation].
Étienne Gonnu : Cofrac entendu. On retrouvera.
Adrien, j’ai l’impression que tu souhaitais réagir.
Adrien Parrot : En effet, ça ne garantit pas de la localisation des données et surtout de la juridiction de l’entreprise qui héberge les données. Là on rentre dans des sphères dont on va peut-être parler un petit peu plus tard.
Souligner aussi le flou de l’activité 5 qui est l’infogérence, parce que, dans l’absolu, on pourrait très bien dire que tous les éditeurs de logiciels en santé devraient être certifiés activité 5, parce que, à partir du moment où ils ont accès aux données qu’ils ont dans leurs logiciels, qu’ils ont un accès à une base de données, ce qui est assez commun, par exemple Doctolib dit qu’il a accès aux données des patients. Du coup, le corollaire ça devrait peut-être d’avoir l’activité 5, chose qui serait énorme en termes de certification. C’est aussi ce flou que je voulais souligner.
Étienne Gonnu : Peut-être repréciser ce qu’est l’activité 5 pour les personnes qui sont moins familières ?
Pierre-Yves Dillard : C’est l’infogérence applicative, le fait d’administrer l’application et d’y accéder pour faire des opérations de maintenance sur la production. Aujourd’hui, pour moi, il y a un flou que le législateur a promis de clarifier parce que maintenir l’activité 5 de manière formelle sous certification c’est exclure un tissu d’éditeurs, souvent de petits éditeurs ou de petites sociétés de service qui ne vont pas pouvoir, finalement, assurer la TMA [Tierce maintenance applicative] d’un outil qu’elles vont développer. Ça me paraîtrait complémentent fou.
Philippe Montargès : Surtout que c’est quand même assez lourd pour une entreprise de passer ces certifications.
Pierre-Yves Dillard : Bien sûr.
Philippe Montargès : Les certifications ISO 27001 c’est déjà compliqué pour un domaine d’infogérence et passer dans la foulée sur une certification ! C’est un investissement lourd pour une PME, c’est sûr.
Étienne Gonnu : D’ailleurs Adrien, je crois que tu me disais qu’InterHop mettait en place quelque chose.
Adrien Parrot : Du coup nous on sous-traiterait justement cette activité 5, mais en effet, l’idée c’est un peu sur le modèle des Chatons et de Framasoft. CHATONS, je n’ai pas l’acronyme en tête.
Étienne Gonnu : Le Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires.
Adrien Parrot : C’est d’essayer de décentraliser un peu le Web et les serveurs. Nous, en s’alliant avec un hébergeur qui a l’activité 5, de faire installer du coup, parce qu’on n’aurait accès à aucune donnée, des logiciels libres chez un hébergeur de données de santé et permettre aux utilisateurs, typiquement aux médecins. Un des premiers services ce sera la visioconférence avec Jitsi qui est un logiciel de vidéoconférence libre qui est très bien.
Étienne Gonnu : On avait reçu le créateur de Jitsi.
Adrien Parrot : Oui, il était venu ici.
Étienne Gonnu : Donc disponible en podcast. Vous retrouvez la référence sur le site.
C’est très intéressant. J’évoquais de possibles émissions futures, ça pourra peut-être faire l’objet d’une.
Je vous propose quand même d’avancer puisque le temps file et on parlait des limites de cet hébergeur de données de santé. Microsoft détient ce sésame. Microsoft a donc été choisi comme hébergeur des données de santé pour la plateforme Health Data Hub avec toutes les problématiques qu’on peut imaginer, dont on avait parlé le 28 janvier 2020.
InterHop a été assez active et l’est toujours pour lutter un peu contre ce qu’on considère être, effectivement, un choix très regrettable politiquement. Peut-être faire un petit point. Il y a une pétition pour demander une commission d’enquête, je crois qu’il y a des recours devant le juge. Est-ce que tu peux nous faire un petit point Adrien ?
Adrien Parrot : En deux mots, le Health Data Hub c’est la centralisation dans un seul lieu de toutes les données de santé de tous les citoyens de français et toutes les données c’est vraiment tout : le kiné, le médecin généraliste, la pharmacie, etc., tout ce qui est santé va aller au Health Data Hub de façon pseudonymisée, donc on n’aura pas les infos directement identifiantes, mais c’est quand même une très grosse base de données qui recoupe 67 millions de patients au moins.
Donc en effet les actions. Tout de suite Microsoft ça nous a un peu émus, on va dire, et ce qui s’est passé aussi cet été, l’invalidation d’un texte fondamental qui est le Privacy Shield ou, en français, bouclier de protection des données. Ce texte permettait d’échanger dans un cadre légal des données entre l’Union européenne et les États-Unis. Par exemple Microsoft, parce que là c’est ce qui nous concerne, adhérait à ce texte donc il pouvait faire ces échanges.
Ce texte-là a été invalidé grâce à un militant de la vie privée, des droits et des libertés fondamentales, qui s’appelle Schrems. Donc depuis le 16 juillet 2020 tous les transferts entre l’Europe et les États-Unis sont réputés illégaux.
Étienne Gonnu : Pour préciser peut-être ce que tu viens de dire, invalidé grâce à ce militant, il faut vraiment saluer son action, l’action d’une personne, d’un individu. Il s’est saisi de son droit, il a amené ça jusqu’à la Cour de justice de l’Union européenne où il a obtenu l’invalidation de cet accord qui était censé dire que les deux régimes juridiques partageaient des valeurs communes, enfin les critères minimums, ce qu’a invalidé la Cour de justice. On peut aussi montrer à quoi peut aboutir une action militante.
Adrien Parrot : Peut aboutir, ça a peut-être mis dix ans, je n’ai pas la date, mais ça a l’air d’aboutir à tel point que Facebook menace la Cour de justice de partir de l’Union européenne avec Instagram au passage. Donc il y a une pression et un bras de fer qui se met comme ça entre les États-Unis et l’Union européenne.
Ce que la CNIL a dit aussi plusieurs fois c’est que, au sein du Health Data Hub, Microsoft ne s’engage pas à ce que les données restent dans l’Union européenne lorsque les données sont analysées, donc sur un processeur ou sur une carte graphique. À partir du moment où il y a de l’analyse et pas que du stockage, par contrat Microsoft ne s’engage pas à ce que les données restent dans l’Union européenne. À la suite de ça en effet on a fait un recours au Conseil d’État qui a été annulé récemment, mais on poursuit, il y aura d’autres actions et on se bat contre ça, en l’occurrence.
Étienne Gonnu : Il y a eu un communiqué, on mettra le lien sur le site.
Philippe.
Philippe Montargès : Le CNLL a été aussi assez actif là-dessus, sur ce recours.
Étienne Gonnu : Oui, ce n’était pas InterHop tout seul, c’était un collectif dont InterHop est l’initiateur.
Philippe Montargès : Il y a Ploss Rhône-Alpes, il y a beaucoup d’organisations derrière.
Par contre, je reviens sur cette question effectivement, la contradiction que je disais au début de ce débat. Cette contradiction c’est qu’en fait pourquoi on en arrive à n’avoir comme choix que Azure ? C’est ça pour moi la question qui doit nous interpeller, nous industriels. Nous on travaille dans la fabrication des logiciels et aussi sur le delivery. Ce qui nous a interpellé c’est qu’effectivement ce n’est pas sain et on est tous d’accord sur le fait que ce n’est pas éthique et ce n’est pas sain que les données puissent être transférées aux États-Unis ou être exploitées par d’autres. On est tout à fait d’accord. La question que je me pose c’est pourquoi on en arrive à ce type de choix par défaut. Je ne pense que les gestionnaires, je ne suis pas spécialiste du dossier, de Health Data Hub aient voulu absolument favoriser Microsoft. Je ne pense pas que ça vienne d’un choix volontaire, mais je pense que ça vient d’un choix par défaut. En fait, ça pose effectivement la question : est-ce qu’il y a des alternatives concrètes, industrielles, opérationnelles qui pourraient traiter le problème du Health Data Hub. C’est ça pour moi la question, en tout cas qu’on se pose au niveau du CNLL, au niveau du Pôle open source Systematic.
Il y a une initiative dans laquelle nous on investit beaucoup, c’est la réponse qu’apporte le fameux projet GAIA-X. Effectivement c’est une façon de construire en Europe, peut-être une alternative, peut-être une opportunité de construire en Europe une alternative en termes d’infrastructure de réseau de données qui soit souveraine. Nous on souhaiterait qu’elle soit le plus open source possible. Je pense que la question se pose. Il faut vraiment qu’on arrive à se doter. Outre le fait de récriminer effectivement et d’attaquer les GAFAM, ça me va, mais ce qui est surtout important c’est qu’on puisse construire à côté, en parallèle, des solutions opérationnelles qui puissent répondre à ce type de problématique.
Étienne Gonnu : Pierre-Yves, je vais ensuite te donner la parole, parce que justement vous avez une certification. Il y a des projets européens qui sont très intéressants et on va en parler.
Juste avant je vais redonner la parole à Adrien pour évoquer une autre action et on peut inviter nos auditeurs et auditrices à s’engager dedans. C’est une pétition pour obtenir une commission d’enquête. Tu peux nous en dire un mot en une minute peut-être pour inviter les personnes à faire cette action simple en réalité.
Adrien Parrot : C’est pour reprendre l’idée de Nathalie Goulet qui est sénatrice, que tu as mentionnée en début d’émission, qui, en effet, veut une commission d’enquête pour analyser les conditions de l’appel d’offres, pourquoi il n’y a pas eu d’appel d’offres et le choix de Microsoft, les enjeux de Microsoft et des données de santé en général. Elle est en ligne sur le Sénat, vous la retrouverez facilement.
Étienne Gonnu : On mettra le lien. Il faut 10 000 signatures pour que ça soit étudié en conférence des présidents.
Adrien Parrot : 100 000.
Étienne Gonnu : Oui, 100 000.
Adrien Parrot : C’est vraiment beaucoup. Vous avez six mois pour diffuser la pétition. Signer et diffuser.
Étienne Gonnu : C’est important. Une commission d’enquête a des pouvoirs forts, on est obligé de s’y présenter lorsqu’on est convoqué. On témoigne sous serment. C’est quelque chose de très important et on invite nos auditeurs et auditrices à soutenir cette initiative.
Adrien Parrot : Et ces actions, c’est plus que InterHop. En effet il y a des industriels, il y a aussi des patients, des associations de patients, des médecins qui se sont engagés, des syndicats de médecins, Didier Sicard aussi qui est connu pour l’éthique. C’est vraiment un collectif large.
Étienne Gonnu : C’est transversal. C’est très important de le préciser.
Du coup je vous propose d’avancer. Pierre-Yves j’aimerais te donner la parole parce que Easter-eggs a une certification EHDEN, European Health Data & Evidence Network, qui propose une approche avec, il me semble, le logiciel libre au centre, qui fait partie des critères, qui est basé sur une mise en réseau. Est-ce que tu peux nous expliquer quelle est cette certification, pourquoi vous avez fait le choix d’y recourir ? Nous parler de ce projet.
Pierre-YvesDillard : Je rebondis une seconde sur ce qu’a dit Philippe avant, sur la nécessité quand on a projet comme le Health Data Hub, d’avoir aussi une vision technique parce qu’en fait le problème c’est que souvent les politiques pensent que la technique est un point de détail. Or, il faut déjà savoir ce qu’on a dans la boutique pour savoir avec quoi on va faire et comment on veut faire. Quand j’ai entendu Laura Létourneau [Déléguée ministérielle au numérique en santé au sein du ministère des Solidarités et de la Santé], c’était l’hiver dernier, elle présentait une roadmap, un document extraordinaire, hyper bien ficelé, à la fin de son intervention elle dit « il nous manque encore notre directeur technique et le staff sera complet ». Voilà ! Et là j’avais ma réponse. Ils n’avaient personne qui avait la vision technique.
Étienne Gonnu : On voit souvent ce problème. C’est considéré comme une évidence alors que non, ce n’est jamais une évidence et la technique ce sont aussi des choix politiques.
Pierre-YvesDillard : Et dieu sait que nous, société hyper-technique, on part plutôt de la technique et après on regarde les possibles, mais bon !
Pour revenir sur le projet EHDEN, et là on revient tout de suite, évidemment, à ce que disait aussi Adrien au début. Aujourd’hui la capacité non pas de centraliser toute l’information, toutes les données des patients dans une super base de données, mais justement faire en sorte que les hôpitaux puissent conserver les données chez eux et puissent, après, les partager en adoptant des standards. Le projet EHDEN est un projet qui est mené par l’Union européenne et, derrière, les Big Pharma qui sont aussi à l’affût parce que ça les intéresse d’avoir accès à terme à ces données-là avec des standardisations et des outils qui permettront de faire tourner des algorithmes identiques partout. En contrepartie, les hôpitaux pourront vendre cet accès aux labos, donc il y aurait des contreparties.
Le projet EHDEN c’est l’émanation d’un organisme plus large, mondial, qui s’appelle l’OHDSI. L’OHDSI c’est un petit peu comme l‘EHDEN, c’est l’Observational Health Data Sciences and Informatics. C’est un projet qui vise justement à créer, à standardiser un format de base, ce qu’on appelle le format OMOP [Observational medical outcomes partnership], qui va permettre de faire en sorte que si toutes les bases de tous les hôpitaux du monde, tous les entrepôts de données de santé du monde ont ce même format et adoptent les mêmes standards, eh bien on va pouvoir lancer des recherches de Tokyo à Paris en passant par Rio avec le même algorithme, donc étendre ce qu’on appelle les cohortes, c’est-à-dire avoir des cohortes toujours plus importantes, donc un nombre de patients toujours plus important à mettre dans une étude pour que l’étude soit plus efficace.
Il se trouve que ce projet-là de l’OHDSI est un projet entièrement open source. Le choix du logiciel libre, enfin d’utiliser une suite de logiciels open source dans le cadre du projet de l’OHDSI, n’est pas du tout un choix lié à la notion de transparence, mais juste un choix lié à un côté pratique, le fait de pouvoir plus facilement et plus rapidement déployer ces outils-là à un large niveau et, en plus, gratuitement. En tout cas c’est comme ça que la position est défendue. Ce ne sont pas des libristes chevillés au corps, et d’ailleurs dans le cadre du projet EHDEN, ce qui est intéressant de voir c’est que, globalement, ce sont soit des partenaires comme nous qui travaillons et qui sommes des acteurs en lien avec les hôpitaux ; au sein du consortium, on est dans un monde parfaitement Microsoft. Donc c’est assez intéressant de voir qu’il n’y a pas non plus eu de choix fait, en fait. Ces gens-là à un moment on leur a dit une base de données c’est SQL Server, OK. C’est-à-dire que ce sont des médecins qui à un moment ont besoin d’un outil, ils demandent un outil, on leur donne un outil et ils se forment sur cet outil-là et il n’y a pas forcément de conscience du choix, de savoir si le logiciel est libre ou propriétaire. Ils ont besoin d’avoir un outil, ils ont besoin d’atteindre un but et en cela c’est intéressant et ça peut poser des problèmes à un moment.
Là on peut parler aussi des standardisations et des normes qui sont visées, puisque de la même façon qu’on doit définir des normes communes, faut-il encore faire attention que ces normes soient elles-mêmes, quelque part, publiques et libres et ne soient pas des normes qui soient, à terme, possédées par des organismes ou en tout cas gouvernées par des consortiums privés.
Étienne Gonnu : Merci beaucoup. C’est très juste. Je vois le temps filer, excusez-moi du coup je pense à plusieurs choses. Malheureusement on va conclure. Je vous laisse chacun un mot de la fin soit sur ce qu’il faut retenir de l’émission, si vous voulez rebondir effectivement sur ce projet. Ça m’évoquait aussi l’importance d’un pragmatisme dans l’éthique on voit que c’est ça qui a poussé, finalement, vers le logiciel libre, c’est ce que je retire de ce que tu nous as dit. Peut-être une minute chacun avec un mot.
Adrien Parrot : Pour moi la technique est politique, est vraiment éminemment politique, il faut vraiment y penser. À chaque fois qu’un ingénieur fait une action ça sous-entend de la politique.
On promeut aussi le modèle OMOP, on a déjà eu des discussions avec Easter-eggs sur ça.
Pour dire aussi les Big Pharma c’est qui ? C’est en partie IQVIA qui est le plus gros data broker de données de santé et le président de IQVIA c’est l’ancien directeur de l’adresse qui a mis en place le Health Data Hub. Donc il y a aussi tout cet enjeu de pouvoir très important.
Vous disiez, je crois que c’est Philippe, que le choix questionne les industriels dans leur réponse au Health Data Hub. Moi je pense c’est pourquoi le Health Data Hub est parti dans cette direction. Des alternatives décentralisées existaient. Si on veut faire de la recherche de qualité il faut des alternatives décentralisées comme OMOP. Et si on veut centraliser pour certaines études, sûrement pas toutes, sûrement que parfois on doit centraliser dans un lieu, eh bien il y a plein d’initiatives : TeraLab, le CASD [Centre d’accès sécurisé aux données], les hôpitaux peuvent centraliser d’autres hôpitaux pour certains projets. Il y a vraiment un écosystème qui existe, qui doit être développé et les industriels sont évidemment les bienvenus, mais autour du Libre.
Étienne Gonnu : Super. Philippe Montargès.
Philippe Montargès : Je repends ce que dit Adrien. C’est vrai que le sujet que ça pose c’est effectivement ce que j’ai dit tout à fait au début, c’est que si on ne reprend pas, nous, la maîtrise des infras à la fois en termes de développement, si on ne maîtrise techniquement les infras avec de l’open source et si ça on n’a pas une offre alternative conséquente, on ne pourra toujours que pleurer après ces logiques de souveraineté. Moi j’appelle les industriels qui seraient dans le secteur à rejoindre l’initiative, à s’investir par exemple dans l’initiative de GAIA-X. Après elle vaut ce qu’elle vaut, mais au moins, au niveau européen, il y a une initiative qui vise effectivement à reprendre le contrôle de l’infrastructure de réseaux de données puisque c’est un projet autour de ça, qui associe à la fois des grands utilisateurs, je crois qu’il y a European Health Data Space qui existe dans le cadre de GAIA-X. Je pense que c’est important que les acteurs de l’open source, les acteurs industriels de l’open source et du Libre en France s’investissent là-dedans pour effectivement imposer, quelque part, le Libre dans la fabrication de ces futures infrastructures qui vont être le socle de tout ces data spaces verticaux pour de grands domaines et la santé en est un. Il faut vraiment qu’il y ait cette logique-là. Il y a les Américains, mais il faut aussi qu’on soit capables de s’investir et de produire des choses qui tiennent la route. C’est un appel en ce sens-là.
Étienne Gonnu : Très bien. L’appel est passé. Pierre-Yves, si tu pouvais être d’une efficacité redoutable dans ton dernier mot.
Pierre-Yves Dillard : En une phrase. Vu le thème c’est pourquoi pas sensibiliser les médecins plus tôt, dans leurs études, à ces problématiques-là. Aujourd’hui ils doivent se sentir concernés et je pensent qu’ils arrivent désarmés quand ils sont confrontés au sujet très tard.
Étienne Gonnu : « Très juste – dit Isa –, je suis d’accord, on en revient toujours à la question de l’éducation. »
Un grand merci à vous trois pour ce sujet passionnant. Effectivement c’était peut-être un peu ambitieux dans ce temps si court d’aborder tous ces points, mais c’était passionnant. Merci. Je vous souhaite une très bonne fin de journée et à bientôt j’espère.
Nous allons faire une pause musicale. À nouveau nous allons écouter CyberSDF et cette fois-ci nous allons écouter Inaccessible Love. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Inaccessible Love par CyberSDF.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Inaccessible Love par CyberSDF, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les référence sur le site april.org, une recommandation d’Éric Fraudain de auboutdufil.com.
Vous écoutez toujours Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Je suis toujours Étienne Gonnu chargé des affaires publiques pour l’April.
Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « La pituite de Luk » sur le thème « Digital rime avec Médiéval »
Étienne Gonnu : Nous allons passer à notre dernier sujet. Il s’agit donc de la « Pituite de Luk ». Luk doit être avec nous, normalement.
Luk : Je suis là Étienne. Bonjour.
Étienne Gonnu : Bonjour, Luk. Si j’ai bien compris, tu vas nous expliquer aujourd’hui que « Digital rime avec Médiéval ».
Luk : Oui. Déjà, j’aurais bien voulu venir, c’est classique, mais là, je suis encore en mode vacances. J’ai baroudé cet été autour du Mont Lozère au contact de la nature et sous le soleil. J’ai toujours une allure d’aventurier au teint hâlé, tellement avantageuse que ça frise l’indécence. Du coup, j’évite de sortir parce que ça fait des jaloux.
Cet été, je me suis tout bonnement retiré de la civilisation. Alors, c’était extrême, il n’y avait pas de réseau partout. C’est le genre de vacances qui permet de se plonger dans l’ancien monde, que ce soit en visitant des châteaux ou en cheminant sur d’anciens béals qui croisent les ruines de moulins à châtaignes. Alors attention, je parle de l’ancien monde d’avant, pas du nouvel ancien monde d’avant la covid, ni même du précédent nouvel ancien monde d’avant l’Internet, mais bel et bien du vieil ancien monde d’avant la modernité.
À cette époque, les différends se réglaient à coups de masse dans le heaume. La vie était simple. On pouvait satisfaire son ambition en envahissant le royaume de son propre frère ou lui piquer son territoire et ses gueux. C’était une époque où on ne s’embêtait pas avec les faits, Dieu suffisait à expliquer toute chose et toute objection était cramée vive. La rumeur était la seule source d’information. Un illuminé affirmant, avec assez de conviction, qu’une apparition divine lui a soufflé un truc suffisait à déclencher une révolte, une guerre ou la construction d’un pont.
Et puis je suis rentré et je me suis demandé si les choses avaient vraiment changé. Ce qu’on appelle aujourd’hui la post-vérité n’est finalement pas bien différente. Il suffit d’être assez nombreux à y croire pour que ça devienne vrai. Inutile, d’ailleurs, que j’argumente plus là-dessus. Je suis à la radio là, ça devrait suffire pour atteindre la masse critique de véracité.
Et puis je me suis replongé dans l’actualité de l’été.
J’ai découvert que le seigneur Apple avait banni Fortnite de son royaume parce qu’il refusait de payer le cens, la taxe médiévale que tout vassal doit à son suzerain. Puis Apple a lancé ses troupes à l’assaut de WordPress pour les faire cracher au bassinet également, mais il a dû finalement se replier.
Toujours en matière de taxe médiévale, Amazon applique, semble-t-il, les prémisses, tels les ecclésiastiques d’autrefois. Comme eux, il aurait mis la main sur les premiers fruits de la récolte. Il est en effet accusé d’identifier les nouveaux produits à succès de start-ups et de ses vendeurs tiers pour sortir des produits concurrents et les mettre en avant sur sa propre foire médiévale en ligne.
Google a instauré la corvée, de longue date, en nous faisant cliquer sur des images pour passer l’identification.
L’architecture centralisée des GAFAM sur leur château-fort qui doit être assez solide pour résister aux armes de siège du type DDoS et suffisamment sécurisée contre les espions s’infiltrant pour tenter de les assassiner en rendant publiques leurs dick pics et autres infos compromettantes.
Les utilisateurs sont soumis à la dîme au travers de l’obsolescence programmée qui les force à racheter encore et toujours le même matériel.
La pub en ligne assure le contrôle des âmes comme l’Église catholique autrefois et permet de toucher l’obole.
La propriété intellectuelle et les services DRMisés les maintiennent dans leur condition de serfs. S’émanciper revient à partir sur les chemins de l’exil : plus de contacts avec ses proches, plus de photos, plus de musiques, plus d’historique des conversations.
Désormais, les titres de noblesse se reconnaissent au préfixe C, CO, CTO, CCO et j’en passe.
Le minimum pour participer aux intrigues de cour, c’est d’être VP dans une boîte cotée en bourse. En dessous, il n’y a que des larbins ou des intrigants. Cela permet de pérorer lors de keynotes, d’exhiber sa grosse réussite et de convaincre tout le monde que ses revenus indécents sont légitimes. Les ménestrels et troubadours de la presse chantent leurs louanges. Steve Jobs était un génie, doublé d’un bienfaiteur de l’humanité. Bill Gates est un philanthrope. Il faut baiser leurs pieds pour l’extrême charité dont ils font étalage quand ils tapent plus ou moins pour de vrai dans leurs trésors de quelques milliards.
Le logiciel libre n’est pas en reste. La Fondation Mozilla vire un quart de ses salariés, car le futur de ses revenus est incertain, mais Mitchell Baker touche 2,5 millions par an. Dans le monde des nouveaux aristocrates, c’est une paille, dit-elle, mais en Europe, Ton Roosendaal n’a jamais eu ce genre de prétention. Il a pourtant emmené Blender vers les sommets. Baker ne peut pas en prétendre autant avec Firefox qui est descendu à 4 % de fidèles. Le marché a remplacé Dieu, c’est lui qui définit les mérites et la légitimité.
En juin dernier, on a découvert les nouveaux supplices réservés aux gueux quand l’arbitraire des seigneurs leur tombe dessus. Trop critiques envers e-bay, Ina Steiner et son mari ont été l’objet d’un harcèlement par des hauts cadres de l’entreprise. Faire livrer des cafards vivants, un fœtus et du sang de porc ou des livres sur Comment survivre à la perte de son épouse remplacent les poussettes, brodequins et chevalets d’antan.
Les galériens et forçats de notre époque sont les miséreux qui travaillent plus ou moins volontairement dans les usines de matériel informatique, les services clients, services de modération et autres trucs du genre effectués dans des pays où les gueux sont adéquatement évalués selon les critères médiévaux contemporains.
Alors que les Américains constatent que leurs inégalités sont aujourd’hui supérieures à celles de la France de 1789 et où une guillotine a été symboliquement dressée devant la Maison-Blanche, je repars, pour ma part, pour une année à tenter de faire avancer le Libre avec mon bronzage et mes maigres moyens de gueux. Il y a peut-être à notre portée un nouveau monde d’après, qui ne ressemblerait pas à l’ancien monde d’avant.
Étienne Gonnu : Merci Luk de nous rappeler que c’est important aussi de garder notre colère comme énergie pour agir. Je ne désespère pas que tu puisses un jour nous rejoindre en studio.
Luk : Ça arrivera nécessairement un jour.
Étienne Gonnu : Je te souhaite une très belle fin de journée. Merci pour ta Pituite.
Luk : Merci.
Étienne Gonnu : À bientôt. Nous approchons à grands pas de la fin de l’émission. Je vous propose de faire quelques annonces.
[Virgule musicale]
Annonces
Étienne Gonnu : Tout d’abord et j’allais l’oublier, peut-être vous donner la réponse au quiz que je vous proposais. J’ai oublié de le répéter pendant l’émission, mais bref, nous y sommes. Je vous demandais le nom de l’accord invalidé pendant l’été par la Cour de Justice de l’Union européenne, suite à un recours de Max Schrems, et qui a été évoqué pendant l’émission. Un accord entre les États-Unis et l’Union européenne qui concerne le traitement des données personnelles. Il s’agissait du Privacy Shield auquel, comme je vous le disais, Noémie Bergez a consacré sa chronique lors du Libre à vous ! du 22 septembre.
Le journal La Croix – l’hebdo dans son numéro du 26 septembre 2020 a réalisé un dossier intitulé « Numérique, le guide pour reprendre le contrôle ». Une lecture très intéressante, une dizaine de pages, dossier qui passe en revue pas mal de choses très utiles – conseils, outils libres, sites web, lectures. Pour le lectorat de La Croix c’est un bon outil pour commencer à devenir « un jardinier de sa vie en ligne », comme il est écrit dans l’introduction. Avec aussi un encart à la fin « Comment nous l’avons fait » qui montre le sérieux du texte et de la démarche et aussi que c’est possible de le faire. Et on est plutôt fiers puisque Libre à vous ! est citée dans les ressources « pour aller plus loin ». Donc une lecture disponible en version papier et en version numérique pour la somme de 2,99 euros. Vous retrouverez les références sur april.org.
Jeudi 1er octobre, le groupe Sensibilisation de l’April continuera de se réunir à distance à partir de 17 heures 15, c’est ouvert à tous et à toutes, donc n’hésitez surtout pas. Retrouvez les détails pratiques sur la page dédiée à l’émission ou dans agendadulibre.org.
Vous trouverez d’autres évènements sur cet agendadulibre.org, d’autres évènements libristes.
Nous touchons donc à la fin de l’émission. Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé : Vincent Calame, Adrien Parrot, Pierre-Yves Dillard, Philippe Montagès et bien sûr l’incroyable Luk.
Aux manettes de la régie aujourd’hui ma collègue Isabella.
Merci également à Sylvain Kuntzmann, Antoine, Samuel Aubert, Olivier Humbert, Élodie Déniel-Girodon, bénévoles à l’April, qui est donc notre équipe podcast. Merci à Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio qui s’occupe de la post-production des podcasts. Merci également Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet et enfin, merci bien sûr à Frédéric Couchet, le principal artisan de cette superbe émission.
Vous retrouverez sur notre site web april.org toutes les références utiles ainsi que sur le site web de la radio, causecommune.fm. N’hésitez surtout pas à nous faire tout retour utile pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Toutes les remarques et questions sont les bienvenues à lireavous chez april.org
Nous vous remercions d’avoir écouté cette émission.
La prochaine émission aura lieu le 6 octobre 2020 à 15 heures 30. Nous ferons une émission spéciale musique libre.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 6 octobre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.