- Titre :
- Les données personnelles
- Intervenants :
- Judith Rochfeld, professeur en droit privé et sciences criminelles - Bertrand Warusfel, Professeur de droit privé - Antoine Garapon
- Lieu :
- Radio Amicus Curiae - Émission Le Bien commun
- Date :
- janvier 2017
- Durée :
- 52 min 07
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
- transcription réalisée par nos soins.
Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l’April.
Description
Le numérique a bousculé nos vies, nous le ressentons tous, tous les jours, pour le meilleur comme pour le pire. Mais celui-ci a également bousculé le droit. Les substrats sur lequel il a construit ses catégories et ses concepts : un rapport au temps, à l’espace, aux objets. Le travail de reconstruction de catégories pertinentes, de création d’un statut juridique à la donnée, de redéfinition de la propriété son des enjeux qui attendent les générations de juristes à venir.
Transcription
Voix off : C’est un très grand honneur que vous m’avez fait en m’appelant à la présidence du Parlement européen.
Voix off : J’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France.
Antoine Garapon : Bonjour. C’est rien de dire que le numérique a bousculé nos vies, nous le ressentons tous, tous les jours, pour le meilleur ou pour le pire. Mais le numérique a également bouleversé le droit. Celui-ci a vu, en effet, se transformer le substrat sur lequel il avait construit ses catégories et ses concepts : un certain rapport au temps, à l’espace, aux objets, aux sujets.
Le monde matériel ancien n’a pas disparu mais, au contraire, il s’est surchargé d’un second monde, dématérialisé, mais qui ne cesse d’interférer avec lui pour le dérouter. L’enjeu monumental qui attend les générations de juristes à venir est donc non pas de s’arrêter aux usages, mais de reconstruire des catégories pertinentes ; de donner un statut juridique à la donnée, par exemple de redéfinir la propriété ; de proposer une nouvelle répartition de la valeur. Ce travail ne se fera pas seulement dans les cénacles universitaires, ni même législatifs ; il se fera par tâtonnements successifs, par des combats, par la pratique, car les modes de production du droit aussi sont affectés par le numérique. Comment, dans ces conditions, imaginer une nouvelle régulation plus participative ?
Pour traiter ce thème aujourd’hui du bien commun, j’ai réuni deux invités, deux spécialistes : Judith Rochfeld, qui est professeur de droit privé et de sciences criminelles à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; qui est co-auteure d’un ouvrage publié dans cette excellente collection, chez Odile Jacob, la collection Corpus, qu’elle a rédigé avec Valérie-Laure Bénabou et intitulé À qui profite le clic ? Le partage de la valeur à l’heure numérique. On lui doit aussi un ouvrage de référence, Les grandes notions du droit privé qui a été publié en 2011 aux PUF, réédité en 2013. Et, pour en débattre avec elle, Bertrand Warusfel, professeur de droit public à l’Université de Lille-II, avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies. Et les deux étaient réunis dans un programme de l’initiative Conventions, organisé par le ministère des Affaires étrangères, et consacré précisément à la régulation internationale du numérique. Bonjour à tous les deux.
Judith Rochfeld : Bonjour.
Bertrand Warusfel : Bonjour.
Antoine Garapon : Et je commencerai par vous, Bertrand Warusfel, pour nous expliquer, pour expliquer aux auditeurs exactement ce qu’est une donnée. Ils en produisent tous les jours, ils en consomment beaucoup, mais qu’est-ce que c’est exactement pour le droit qu’une donnée ?
Bertrand Warusfel : Bonjour Antoine. Si je voulais répondre d’une manière très courte à votre question, je pourrais dire que pour le droit, la donnée, aujourd’hui, n’est encore rien. C’est-à-dire qu’il y a certaines données qui sont caractérisées par le droit — la catégorie la plus célèbre c’est sûrement celle des données personnelles que nous connaissons depuis la loi 78, qu’on appelle d’abord données nominatives et que, maintenant, on appelle données personnelles. Il y a d’autres catégories de données sectorielles qui existent, mais il n’y a pas de définition juridique de la donnée. C’est-à-dire que, d’une certaine manière, jusqu’à présent, la donnée a essentiellement eu une existence technique.
Les données, si vous aviez ici un spécialiste en sciences de l’information, en traitement de l’information, il vous dirait que la donnée c’est le résultat, j’allais dire, du traitement numérique, du traitement d’un certain nombre d’informations qui se traduisent, en gros, par des 0 et des 1 dans des mémoires de systèmes d’information. Ça c’est une réalité technique. Jusqu’à présent, cette réalité technique n’avait pas, j’allais dire, une existence économique ou sociale unifiée.
Antoine Garapon : Quand vous expliquez le terme « donnée », parce que ça fait quand même une référence au don, à la gratuité, et qui nous induit déjà, peut-être, en erreur ?
Bertrand Warusfel : Alors je ne suis pas philologue, mais les lexicologues, les dictionnaires, nous disent qu’effectivement il y a deux étymologies possibles ou deux racines possibles : soit du côté du don, soit, plutôt, du côté des données d’un problème, au sens les éléments qui caractérisent une situation. Et je pense que c’est peut-être plutôt de ce deuxième côté-là qu’est venue la notion de donnée.
Je pense qu’au départ c’est quelque chose d’essentiellement technique et le droit ne s’en est pas préoccupé en tant que tel parce que, même si dans nos ordinateurs tout ce qui est contenu dans notre disque dur est de la donnée, en réalité les différents éléments que nous traitons relèvent ou relevaient de régimes juridiques différents, et donc on a fait des zooms sur un certain nombre d’eux.
Antoine Garapon : On va revenir sur ce régime juridique, mais les juristes ont une expression savoureuse pour désigner les choses qui n’appartiennent à personne, ils disent ce sont des res nullius. La res nullius ce sont des choses qu’on peut s’approprier. Judith Rochfeld, ça veut dire que la donnée serait une sorte de res nullius, de chose appropriable ?
Judith Rochfeld : Dans les catégories, là, qui viennent d’être évoquées, ça serait difficile, à mon sens, de dire, par exemple, que des données personnelles sont des res nullius ; ou, en tout cas, c’est une position de principe qu’il faut discuter parce que la donnée personnelle, celle que nous laissons à peu près dans tous nos comportements numériques, toutes nos traces, reflète quand même une partie de notre identité, une partie de notre personnalité, a des conséquences en termes de connaissance de la personne et puis d’une multitude de personnes ; et poser le principe que c’est une res nullius c’est d’abord avoir l’idée en tête que ce sont des choses, ce qui, à mon sens, n’est pas acquis ; on peut aussi les voir comme une émanation de la personne.
Antoine Garapon : Vous compliquez un peu les choses. Bertrand Warusfel nous dit : « C’est un fait technique, dans le fond, c’est un fait » et vous, vous nous dites : « C’est quelque chose qui est intermédiaire entre la personne, une partie de la personne et, en même temps, une chose. »
Judith Rochfeld : Oui. Disons que c’est un fait technique qui permet d’appréhender une partie de la personne ou de connaître la personne. Donc c’est ça qui complexifie les choses. Et, par ailleurs, on a cette émanation de la personne, mais ça, encore une fois, c’est une position qui se discute. On a eu beaucoup de thèses en faveur de la propriété des données comme des choses qui étaient tout à fait valorisables une fois dissociées de la personne. Pour ma part, je serais plutôt du côté de l’émanation de la personne, donc dans une vision personnaliste de la donnée : elle reflète une identité et une partie du comportement de quelqu’un. Et, du coup, ça n’est pas si évident de regarder les données comme des choses, même s’il y a déjà eu des choses avec personne : le travail de quelqu’un c’est une chose avec personne ; ce n’est pas si simple.
Antoine Garapon : Un animal, par exemple.
Judith Rochfeld : Par exemple. Voilà. Donc les catégories, on le voit, ne sont pas si simples à plaquer sur cet objet qui est un peu hybride.
Antoine Garapon : Alors Judith Rochfeld ou Bertrand Warusfel, comme vous voulez, cette chose elle navigue, elle voyage, elle circule et elle est peut-être l’émanation d’une personne tant qu’elle est encore proche de la personne, ça veut dire identifiable. À partir du moment où elle est rentrée dans des masses de données, des masses absolument considérables, où l’identité de la personne ne compte plus beaucoup, elle n’a plus rien d’une émanation personnelle, c’est totalement une chose !
Judith Rochfeld : Alors ça c’est un des arguments qu’on retrouve beaucoup sous la plume par exemple, ou dans les discours de Yahoo ou Google. C’est-à-dire je fais du big data, je traite des grandes masses de données et je n’ai rien à faire de la personne en particulier. Beaucoup d’études montrent quand même, d’un point de vue technique, que dans une énorme masse de données c’est très facile, aujourd’hui, de remonter à la personne. Donc le lien ne sera rompu avec la personne que par anonymisation, c’est-à-dire avec des processus techniques.
Antoine Garapon : Actifs, volontaires.
Judith Rochfeld : Actifs, qui rompent ce lien avec la personne. Et là, avec cette anonymisation, on aurait vraiment une chosification, si je peux dire, de ces données, qui nous ferait délaisser la protection de la personne ; mais ça n’est pas si simple.
Antoine Garapon : Alors on y reviendra. Bertrand Warusfel.
Bertrand Warusfel : Oui. Je voulais dire qu’une des grandes choses qui a changé dans les dernières années c’est que nous n’avons plus seulement des données qui sont produites en relation avec des personnes, qui est ce dont on vient de commencer à parler là, depuis quelques minutes, mais également, on a énormément de données, et ça ne va faire que croître, qui sont produites par les machines. Et c’est une des raisons pour lesquelles il va bien falloir, à mon sens, que l’on s’occupe des données en général. C’est que justement, à l’intérieur de ces grandes machines à traiter des données, que traitent Google, Facebook, mais aussi votre banque, votre supermarché du coin, c’est pareil ! Il y a de la même manière, techniquement identique, des données qui sont directement ou indirectement reliées à des personnes, qui sont liées effectivement à un comportement d’un individu, et qui posent des problématiques de droit de la personnalité, qui sont appréhendées par le droit des données personnelles. Et des données qui sont produites par des objets, qui sont produites par des systèmes techniques qui peuvent dialoguer entre eux.
Antoine Garapon : Est-ce que vous pourriez donner des exemples pour nos auditeurs ? Parce que là vous parlez de choses très abstraites. Qu’est-ce que c’est qu’une donnée qui est produite par une machine ?
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Bertrand Warusfel : Le propre d’un système de traitement de l’information, d’un ordinateur tel qu’il a été inventé pendant la Seconde guerre mondiale pour décrypter les codes secrets des armées allemande et japonaise, puisque c’est là qu’on a inventé les premiers ordinateurs.
Antoine Garapon : La machine de Turing.
Bertrand Warusfel : La machine de Turing. Turing a écrit un papier théorique sur les machines avant-guerre et il a été convié par le gouvernement britannique à la réaliser pour aider à la victoire des alliés. Ces machines-là ont comme caractéristique d’être programmables. Il existait déjà des calculateurs avant. À partir du moment où nous rentrons dans l’ère de l’informatique, nous rentrons dans l’ère de la programmabilité. La programmabilité c’est-à-dire qu’on peut par des programmes, des logiciels, donner à des machines une autonomie plus ou moins grande de traitement. Et donc, une machine programmée peut être programmée pour réagir toute seule à toutes sortes d’événements et pour produire de la donnée. Le feu rouge que vous avez au coin de votre rue peut très bien, s’il est équipé d’un certain nombre de capteurs, envoyer très régulièrement sur son réseau un état sur le fait de savoir s’il pleut, s’il ne pleut pas, s’il y a beaucoup de gens qui sont passés ou pas, etc.
Judith Rochfeld : Oui. Inversement, on a un autre mouvement de production exponentielle de la donnée, cette fois personnelle, puisque, avec nos objets connectés — et je prends l’exemple d’un frigo connecté qui va permettre qu’on connaisse absolument toute la consommation puisqu’il fera la liste de ce qui est dans le frigo ; il vous indiquera ce qui manque au vu de votre consommation normale ; il ira faire les courses par Internet. Et qu’est-ce que ça veut dire un frigo ? C’est le compte en banque, mais exposé vers votre supermarché, c’est-à-dire on sait combien vous êtes à la maison, on sait si vous avez une religion, on sait vos préférences alimentaires. Et donc, on aura des objets connectés, on a des objets connectés, mais c’est appelé à devenir vraiment exponentielle cette production de données ; on dit qu’en une semaine, aujourd’hui, on produit déjà plus que ce qu’on produisait au siècle dernier en termes de données ; donc on a des échelles de valeur qui sont vraiment énormes et donc on aura de plus en plus d’objets qui vont parler de nous.
Antoine Garapon : On va faire un pas en arrière dans la discussion. On reviendra aux objets ensuite, Judith Rochfeld. Quand je laisse une trace en écrivant un mail ou en utilisant mon téléphone portable, cette trace, en elle-même, elle ne vaut rien ; elle ne vaut que comme masse tout d’abord, agrégée à d’autres ; et puis, elle ne vaut que si elle a été traitée, si on a mis de l’intelligence dedans pour pouvoir lui faire dire des tas de choses ; des tas de choses qui vont bien au-delà de ma petite personne. Comment le droit appelle ce travail de traitement des données ?
Judith Rochfeld : Ça c’est assez intéressant parce que, pour nous les juristes, on a un article 571 qui parle de cette chose-là. C’est-à-dire qu’on aurait pu plaquer l’idée…
Antoine Garapon : Pour les auditeurs ?
Judith Rochfeld : Oui. Bien sûr, j’y viens. On aurait pu plaquer l’idée qu’il y avait à la fois de la matière, nos données, et à la fois un travail. Et que, en fonction de la valeur de chacune des moitiés, on sait qui l’emporte, si c’est le travail ou si c’est si la matière. Donc il y a eu toute une réflexion, comme ça, est-ce que par leur travail Google, Facebook, pour ne pas les donner, ou d’autres qui traitent les données en masse, ne donnent pas la valeur aux données. Bien évidemment ! Le problème ce n’est pas cette partie « ils travaillent », ça on n’a vraiment aucun mal à le reconnaître, c’est plutôt la partie « est-ce que c’est de la matière ? »
Antoine Garapon : Est-ce que c’est une matière appropriable ?
Judith Rochfeld : Voilà. Est-ce que c’est une chose ? On a un problème parallèle, par exemple pour les éléments du corps humain. Est-ce que c’est si simple de faire circuler des éléments du corps humain ? Est-ce que le sang, les cellules, même détachés, ce qu’on sait faire depuis un certain nombre d’années, est-ce que c’est si simple de les détacher de la personne ou est-ce qu’il y a toujours ce lien de rattachement possible avec la personne ? Parce que même, je le répète, si on a des traitements de données à très grande échelle, là où vous avez tout à fait raison c’est que le traitement de données d’une personne a moins de valeur, il n’a pas pas de valeur, mais il y a moins de valeur, c’est-à-dire qu’on peut séquencer son sociotype : on sait ce qu’elle mange, on sait quels sont ses goûts, on sait quelles sont les informations ; c’est déjà une chose. C’est déjà une chose parce que tout ça, on ne l’a pas dit, sert dans une société de prédictibilité. C’est ce vers quoi on va, c’est le but final que ce soit en termes sécuritaire ou commercial, c’est le but final de tous ces traitements, pour l’instant. Et du coup, pour une personne, ce n’est déjà pas mal de savoir tout ce qu’elle fait, mais ça vaut par la multitude.
Antoine Garapon : On va revenir sur la question, ensuite, de la justification de tout ça. Un mot Bertrand Warusfel.
Bertrand Warusfel : Oui, pour introduire un mot qui n’a pas encore été prononcé mais qui est déjà au cœur de notre discussion, qui est la notion d’algorithme, l’algorithmique. En réalité, nous ne sommes pas dans un processus dans lequel il y a des données et il y a des gens qui travaillent sur des données. Nous sommes essentiellement sur des données et des logiciels préprogrammés qui travaillent automatiquement sur ces données et qui, en fonction du traitement qu’ils font sur ces données, eux-mêmes réagissent, produisent de nouvelles données, activent un certain nombre de choses. C’est-à-dire qu’effectivement quand je suis en relation — restons pour l’instant sur la personne, encore une fois ça vaudrait également pour le feu rouge — mais quand je suis en relation par exemple avec un site web, j’interagis avec ce site et ce site réagit en fonction de ce que j’ai fait parce qu’un logiciel préprogrammé, qui est effectivement prédictif, tire des informations que je lui envoie, un certain nombre d’éléments qui lui préconisent de me renvoyer telle page, de me proposer telle chose, etc.
Antoine Garapon : Mais Bertrand Warusfel, quel problème l’algorithme pose-t-il au droit ? C’est une machine, l’algorithme !
Bertrand Warusfel : Oui, bien sûr. Il pose le problème de la machine. La machine pose des problèmes au droit, j’allais dire depuis que le droit existe, mais, en tout cas, depuis que les machines se sont développées à l’ère industrielle. Je cite souvent un grand ancien dont on oublie parfois qu’il est issu des facultés de droit, il était professeur d’histoire du droit, Jacques Ellul, qui a été un grand critique de la technique, qui, étant à la fois juriste et sociologue, prédisait l’entrée de la technique dans le droit.
Antoine Garapon : C’est-à-dire que votre crainte, pour le dire en un mot, c’est que, en fait, la technique entraîne le droit. La technique force le droit. La technique dicte le droit. Ce qui est résumé par une formule saisissante de Lawrence Lessig Code is Law, le code c’est la loi.
Bertrand Warusfel : Exactement. Il peut y avoir une fusion entre la règle et l’outil sur lequel elle doit s’appliquer qui fait qu’en réalité l’outil produit sa propre règle, voire l’adapte, en quelque sorte, elle-même. Et c’est d’ailleurs ce que font aujourd’hui les grands opérateurs du Net dont on a déjà parlé. Ils produisent, en réalité, une règle invisible, ou très peu visible, qui est la manière dont ils arrangent leurs outils et dont ils nous proposent de les utiliser d’une certaine manière.
Judith Rochfeld : Non sans réaction du droit.
[Musique]
Antoine Garapon : Je vous rappelle que vous écoutez Amicus Radio, l’émission Le Bien commun qui traite aujourd’hui de la question des données personnelles avec mes invités que sont Judith Rochfeld et Bertrand Warusfel. Judith Rochfeld, quels problèmes ça pose, finalement ? Vous nous dites : « Chaque cellule comme chaque donnée personnelle, c’est comme la trace d’ADN, elle porte une petite carte de visite de nous-même ». Qu’est-ce qui est problématique pour le droit dans la circulation de ces toutes petites cartes de visite ? Qu’est-ce qu’on redoute exactement ?
Judith Rochfeld : On redoute, par exemple, des effets de discrimination. On sait tout de vous. On sait que, par exemple, grâce à votre téléphone portable si vous avez une certaine application, vous courez à telle vitesse, vous avez un rythme cardiaque un peu défaillant, vous avez… Donc on craint des effets de discrimination auxquels le droit réagit déjà. Parce que, par exemple, le droit français ne dit pas à votre assureur qu’il a le droit de tout faire dès qu’il a des informations sur vous. Donc ces effets de discrimination si on connaît tout de vous. Des effets de régulation de la vie privée qu’on a déjà rencontrés ; par exemple ces fameuses réactions en termes de droit à l’oubli des internautes : je ne veux pas que dix ans après avoir fait certaines activités, elles se retrouvent sur le Net alors que je n’ai plus envie, j’ai changé de vie. Ça on les a déjà rencontrés. Et puis il y a un problème qui est plus fondamental, à mon sens, qui est le fait qu’on est tellement connu de nos grands opérateurs qu’on nous renvoie toujours les informations, les services, les produits qui correspondent à notre sociotype, qui correspondent à la segmentation qu’on a faite de vous. Qu’est-ce que ça a comme conséquences dans notre société ? Et ça c’est un problème social vraiment fondamental, c’est que chacun reste avec ses informations, ses produits, ses services, sans plus croiser ceux des autres. Vous n’avez plus de résultats neutres. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’il n’y a plus de domaine public au sens noble, c’est-à-dire d’informations neutres que l’on partageraient tous et qu’on vit dans nos bulles. C’est une possibilité.
Antoine Garapon : Au sens il n’y plus d’espace public comme lieu de possible rencontre de l’altérité ?
Judith Rochfeld : C’est ça.
Antoine Garapon : C’est-à-dire que c’est une destination endogamique, on pourrait dire, de la société où on est de plus en plus enfermés dans un rapport spéculaire à nous-même ; où la machine nous connaît mieux que nous-même, c’est-à-dire elle sait mieux quelles sont nos habitudes, à quelle fréquence nous nous livrons à telle activité, Judith Rochfeld.
Judith Rochfeld : C’est ça. Et disons que les grandes inventions du moment, qui sont en activité sans qu’on le sache trop, c’est qu’est-ce que vous achèterez dans six mois ? C’est ça les programmes en ce moment. C’est qu’est-ce que je vais bien pouvoir vous proposer, au vu de toutes vos envies passées, au vu de toutes vos recherches passées pendant six mois. Et là, j’aurai gagné.
Ce n’est pas seulement je me referme sur moi-même. Il y a toujours de la multitude dans ces systèmes ; c’est : je me referme sur la segmentation de moi-même. C’est-à-dire avec l’analyse de plein de données d’autres personnes qui font la même chose que moi ou qui rencontrent les mêmes recherches que moi par leurs mots-clefs, par exemple, il y une segmentation, un sociotype qui s’est créé et je sais que dans six mois, peut-être, vous aurez envie de ça. Voilà !
Antoine Garapon : C’est-à-dire qu’il y a une crainte de disparition de l’espace public par un gonflement, on pourrait dire, non pas de moi, mais d’une section de moi, d’un fragment de moi. Finalement, on pourrait dire au point de vue plus philosophique, plus métaphysique, ce qui risque de disparaître c’est ce qu’apporte l’altérité comme tension vers autre chose, vers un horizon.
Judith Rochfeld : Vers le voisin, vers autre chose, vers une recherche qu’on n’aurait pas faite, etc.
Antoine Garapon : Vers le voisin, vers l’imprévisible ; vers l’inattendu, vers la surprise. Bertrand Warusfel.
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Bertrand Warusfel : Oui. Je voudrais rajouter sur ce que Judith vient de dire et qui est tout à fait vrai, mais qui correspond, j’allais dire, à mon sens, à une première époque du droit des données personnelles. C’est-à-dire celle des quarante dernières années dont nous ne sommes évidemment pas sortis ; c’est qu’on s’inquiète d’un certain nombre de déviances qui concernent la vie privée, la discrimination, etc. Mais je crois que la question, aujourd’hui, est en train de changer de nature et qu’elle nous envoie à des questions plus fondamentales. D’abord il n’y a pas que les personnes et notamment que les personnes physiques qui sont concernées par les données. Il y a également tout le monde économique, et notamment le monde des entreprises, qui a besoin d’avoir un cadre juridique sécurisant sur la manière dont il peut échanger et valoriser des données. En tant qu’avocat, je prends mon autre casquette, ça fait des années que moi et mes confrères nous faisons signer à nos clients un certain nombre de contrats dont nous connaissons par ailleurs parfaitement la vacuité juridique profonde : des contrats d’achat, de vente, de transfert, de mise à disposition de données.
Antoine Garapon : C’est du propre ! Vous nous révélez qu’en tant qu’avocat vous faites signer des conventions qui n’ont, dans le fond, pas de protection réelle.
Bertrand Warusfel : Il y a un accord de volonté entre les partis sur le fait qu’ils veulent faire certaines choses avec des choses qui se matérialisent par des 0 et des 1 sur un disque dur ou sur un serveur, mais nous savons qu’aujourd’hui nous marchons sur un fil. Or, de plus en plus, les entreprises vont échanger, monétiser, valoriser des données plus que l’objet lui-même. Puisque vous savez qu’aujourd’hui si, par exemple, j’ai une technologie pour développer un nouveau moteur pour une automobile, je vais peut-être, à la limite, simplement commercialiser le fichier, qui sera injecté dans le serveur qui pilotera, à l’autre bout du monde, la chaîne de production de l’industriel de l’automobile. Cette valorisation, j’allais dire du travail économique sous forme d’un fichier, aujourd’hui nous ne savons pas très bien dans quel cadre juridique elle s’inscrit.
Antoine Garapon : On va revenir sur la question de la valorisation. Mais je voudrais qu’on en termine avec les personnes, si tant est que ce soit possible, comme ça, en quelques minutes, parce qu’il y a quand même un problème c’est qu’on a l’impression que cette captation des données répond à une exposition aussi exponentielle des personnes qui acceptent de s’exposer. Pour le dire de manière peut-être un peu triviale, la situation actuelle me fait penser à des gens qui se promèneraient tout nus et qui reprocheraient aux autres de les regarder. Est-ce qu’il n’y a pas une complicité passive des personnes qui donnent très généreusement ces données, ou qui exposent ces données – ce serait plus juste parce qu’en fait elles ne les donnent pas, mais elles s’exposent ? Bertrand Warusfel, sur les personnes.
Bertrand Warusfel : Oui, tout à fait. Premièrement, je pense que la grande majorité des utilisateurs des systèmes d’information n’ont pas conscience qu’ils mettent à disposition des données, parce qu’en réalité, et là aussi il faut voir le basculement, lorsque la loi de 78 a été établie…
Antoine Garapon : Pour nos auditeurs ?
Bertrand Warusfel : La loi informatique et libertés, c’était pour organiser le moment où tel organisme public ou privé vous demandait de remplir un formulaire dans lequel vous mettiez votre nom, votre prénom, votre numéro de téléphone, etc.
Antoine Garapon : Donc là on donnait ! On signifiait quelque chose ; c’est ça.
Bertrand Warusfel : Là on savait qu’il y avait un acte et en bas il était écrit « La loi informatique et libertés du 6 janvier 78 vous garantit un droit d’accès ». Donc on voyait qu’il y avait un transfert d’informations. Aujourd’hui, quand j’allume mon smartphone et que j’active mon GPS, je ne sais pas forcément qu’en réalité j’envoie une donnée. Même si je sais que j’envoie une donnée, je ne sais pas à qui je l’envoie : est-ce que je l’envoie à mon opérateur ? Est-ce que je l’envoie, etc. ? Donc déjà il y a une première, c’est que peu d’entre nous sont conscients du fait qu’ils produisent de la donnée.
Antoine Garapon : Ça pose un petit problème ça, Judith Rochfeld, parce qu’il n’y a pas de consentement à partir de ce moment-là ; il n’y a même pas conscience de l’action !
Judith Rochfeld : Non. On y travaille beaucoup en tant que juristes parce que les textes, en tout cas en ce qui concerne les données personnelles, pas celles des machines, sont dans le sens d’une information, d’une transparence, d’un consentement.
Antoine Garapon : Elles préviennent.
Judith Rochfeld : Et c’est pour ça que vous avez vu apparaître, quand même, des bannières sur vos navigations de sites pour vous dire que des cookies, c’est-à-dire ces petits fichiers qui vont être mis sur votre disque dur pour, précisément, suivre tous vos cheminements sur Internet, vont être posés sur votre disque dur. Est-ce que vous acceptez ? Donc on a travaillé sur la transparence. Là il y a une deuxième étape qui est en train d’être franchie par divers organismes, comme la Commission des clauses abusives [1], sur la transparence. C’est-à-dire on est en train d’attaquer — et c’est une bonne chose, je pense — la gratuité, de front. Est-ce que c’est vraiment gratuit ? Ou est-ce qu’il y a une contrepartie qui est précisément cette collecte de données ? Si vous mettez au jour que, en fait, ça n’est pas gratuit.
Antoine Garapon : Qu’est-ce que vous voulez dire ce n’est pas gratuit ? C’est-à-dire que ça va rapporter quelque chose à quelqu’un ?
Judith Rochfeld : C’est-à-dire que Facebook ou Google, je suis désolée de prendre ceux-là alors que je ne voudrais pas qu’on ne soit que négatif, ce sont des services absolument extraordinaires. Voilà ; c’est ça notre problème ! C’est qu’on s’est tellement habitués à ces services extraordinaires, à leur gratuité, qu’on n’a d’abord plus de consentement pour payer des services qui seraient moins gourmands en données. Et puis, donc la réaction dont je parlais c’était précisément d’imposer, et c’est ce que font en ce moment la CNIL ou la Commission des clauses abusives, c’est d’arrêter d’appeler ça de la gratuité. C’est-à-dire, pour l’utilisateur c’est gratuit, mais il y a collecte de données pour servir un marché, ce qu’on appelle les marchés bifaces [2], pour servir un marché qui est derrière et qui est le marché de la publicité. À partir de toute la collecte de données que vous aurez faite au fil de la navigation de quelqu’un, vous allez valoriser la donnée sur ce marché qui est l’autre marché.
Antoine Garapon : Judith Rochfeld, ça ressemble beaucoup à ce que la langue française appelle l’exploitation. On exploite les données de quelqu’un. C’est-à-dire qu’on les prend, on les capte — je ne dis pas qu’on les détourne — on les exploite. C’est ça ce rapport, finalement !
Judith Rochfeld : Oui. Mais ce sur quoi beaucoup sont en train de travailler, les instances que j’ai citées sont en train de le faire, c’est de réinjecter de la transparence. C’est-à-dire que les personnes se rendent compte qu’il y a un échange ; ça n’est pas une vraie gratuité ; alors on peut le discuter, mais ça n’est pas la vraie gratuité. Après, ça ne règle pas la question que vous avez posée, c’est-à-dire que si vous demandez à beaucoup de gens s’ils sont prêts à donner leurs données – ce que je fais par exemple régulièrement avec mes étudiants pourtant spécialistes de numérique – s’ils sont prêts à donner leurs données en fonction de ces services extraordinaires, ils vous disent oui, bien sûr. L’échange leur convient ; ce qu’on appelle le privacy paradox, c’est-à-dire j’expose tout mais après, les conséquences je ne les assume pas toutes.
Antoine Garapon : C’est ça !
Judith Rochfeld : Dernier point et après j’arrête. Il y a aussi des effets de génération. C’est-à-dire que Antonio Casilli qui est un sociologue qui étudie beaucoup ces questions, pour lui, ça va durer vingt ans. C’est-à-dire que quand la génération qui s’est exposée à tout-va va vivre les conséquences que ça peut représenter, s’il y en a. On a par exemple ce site canadien de relations extra-conjugales qui a été hacké ; tous les profils ont été sortis à tous vents et là on voit une des conséquences possibles de cette collecte, sans sécurisation, etc.
Antoine Garapon : Exactement des suicides de la part de personnes.
Judith Rochfeld : Et donc il va y avoir des conséquences comme ça qui vont faire qu’un jour on sera plus prudents, peut-être !
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Antoine Garapon : Bertrand Warusfel.
Bertrand Warusfel : Juste pour signaler que dans ce marché biface dont Judith Rochfeld vient de parler, il y a, à mon sens, un élément important qui appelle l’intervention du droit c’est que nous sommes dans une asymétrie totale. C’est-à-dire que ces services font croire à l’utilisateur qu’en réalité c’est lui qui a la main ; c’est lui qui consent ou ne consent pas ; c’est lui qui accepte, qui clique sur un certain nombre de liens pour donner son aval. Donc on fait croire que nous avons la maîtrise de la machine avec laquelle nous interagissons, alors qu’en réalité le système est fait pour que ce soit la machine, à travers ses programmes, etc., qui oriente non seulement ce que nous faisons et nous, nous ne faisons que réagir aux stimulations de la machine. Donc on est exactement, j’allais dire, dans une réalité qui est l’inverse de celle que l’utilisateur voit à l’écran. C’est-à-dire que la virtualité du monde numérique fait que l’utilisateur croit être dans une certaine position alors qu’en réalité il est dans la situation inverse !
Antoine Garapon : C’est la fameuse phrase grecque disant que la conscience libère : « La conscience libère, mais le confort est plus fort que la conscience ». Et finalement, est-ce que le grand moteur social de tous ces moteurs de recherche, est-ce que ce n’est pas le confort ? Le confort comme sentiment moral, comme disponibilité infinie de la vie et comme accès facile. L’important étant le mot facile de la vie. Est-ce qu’il n’y a pas, Judith Rochfeld, une tension entre la conscience, qui conduit peut-être à une certaine ascèse, et le confort qui vient de cette sorte d’ivresse de disponibilité du monde ?
Judith Rochfeld : Oui, il y a de ça. Et puis il y a ce que les économistes comportementalistes connaissent assez bien, c’est-à-dire la sous-estimation de la catastrophe. L’idée que jusque-là tout va très bien et que, effectivement, tant qu’on n’a pas eu une grosse catastrophe ! Encore une fois, je ne voudrais pas être dans une note alarmiste, mais les juristes, on voit le mauvais côté et on doit l’anticiper aussi. Mais il y a cette tension-là, plus, de la sous-estimation de la catastrophe.
Antoine Garapon : Bertrand Warusfel, un mot.
Bertrand Warusfel : Oui. Je crois que l’une des limites du droit des données personnelles, aujourd’hui, c’est que ce droit est basé sur l’idée qu’effectivement la sanction c’est d’accepter ou de pas accepter ; d’ouvrir ou de fermer le robinet. En fait, nous savons que pour les raisons de confort que vous indiquez, pour les raisons de commodité, très peu de gens vont, en réalité, fermer le robinet. Donc la question c’est si on pense que dans cette relation il y a une dissymétrie qui peut être dangereuse, il faut toujours protéger la partie faible – c’est ce que fait le droit de la consommation, c’est ce que fait le droit des personnes, etc. – à ce moment-là il faut trouver d’autres mécanismes qui font que, sans aller jusqu’à fermer le robinet, eh bien on puisse gérer le flux d’une manière qui soit plus équilibrée.
[Musique]
Antoine Garapon : Je vous rappelle que vous écoutez Amicus Radio, l’émission Le Bien commun qui porte aujourd’hui sur la question des données personnelles.
Alors protéger la partie faible, ça veut dire d’ailleurs une régulation, Judith Rochfeld, qui repose sur une véritable anthropologie sociale de l’usage d’Internet et de l’usage numérique qui, en fait, n’est pas un usage conforme à un usage de notre évolution, de notre corps, dans le monde matériel. Comment est-ce qu’on peut imaginer cette régulation, cette régulation spécifique ? Et j’ajouterai immédiatement une autre question, on pourra y venir, je ne veux pas y venir tout de suite, qui est celle de la régulation par le marché.
Judith Rochfeld : La régulation spécifique, elle existe. Elle existe. On a cette loi, chez nous, de 1978 ; pour l’Europe on a une directive de 95 et on a un projet de règlement qui vient renforcer tout ça, qui vient d’être adopté [3] et qui sera en application en 2018.
Antoine Garapon : Ils disent quoi en gros ?
Judith Rochfeld : C’est ce compromis sur lequel on a disserté entre nous là, c’est la protection des personnes, mais ne pas bloquer parce qu’il y a quelque chose sur peut-être lequel on n’a pas encore insisté assez, c’est ne pas bloquer la valorisation de ces données qui est au fondement de tous ces modèles économiques et de cette nouvelle économie.
Antoine Garapon : C’est ça ; et de cette nouvelle économie extrêmement florissante.
Judith Rochfeld : Donc on ne peut pas être d’un côté ou de l’autre. Moi je trouve que la grande, anthropologiquement, la grande, si on peut employer ce terme, mais la grande révolution qui a eu lieu, a eu lieu par la Cour de justice avec cette reconnaissance comme valeur supérieure, quand même, à cette circulation – ce qui n’était pas du tout acquis – cette reconnaissance de l’existence et l’activation d’un droit fondamental à la protection des données.
Antoine Garapon : Est-ce que vous pourriez expliquer à nos auditeurs en deux mots quand est intervenu cet arrêt et qu’est-ce qu’il dit en substance ?
Judith Rochfeld : On a une charte des droits fondamentaux qui a un article 8, qui est assez moderne. Il y a un article 7 sur la vie privée, la protection de la vie privée, c’est très classique, on connaît. Mais il y a un article 8 sur « chacun a le droit au respect de ses données personnelles ». Et on l’active ou on ne l’active pas. C’est-à-dire il a une existence juridique. Il permet de sanctionner des choses ou d’exiger des comportements, ou il ne le permet pas. Et la Cour de justice, en 2014, a rendu deux arrêts coup sur coup, l’un à l’égard de l’État pour des aspects sécuritaires, le 8 avril, et puis un autre qui a fait les gros titres de la presse du 13 mai 2014, sur le fameux droit à l’oubli [4]. Mais c’était fondé sur l’idée que les internautes européens ou plus exactement, plus largement, les citoyens européens, avaient ce droit fondamental, activé cette année-là, à la protection de leurs données ; et que les États comme les sociétés commerciales qui nous entourent n’ont pas tous les droits en termes de circulation. Il y a un droit fondamental, ça veut dire un droit supérieur et ça, ça change d’échelle, quand même.
Antoine Garapon : Bertrand Warusfel, sur ce partage. Parce que dans le fond la question, si je vous entends bien l’un et l’autre, c’est comment est-ce qu’on protège au mieux les personnes sans tuer la poule aux œufs d’or ? Et sans tuer le moteur, le nerf de l’économie de demain, notamment dans nos pays occidentalisés ?
Bertrand Warusfel : Tout à fait. Alors, comme Judith Rochfeld l’a dit, le droit à la protection des données personnelles a été activé par la Cour de justice dans son arrêt Google Spain [5] notamment, ce qui, effectivement, en fait une norme, un droit fondamental, qui surplombe d’autres règles et notamment les règles du marché, notamment les règles du marché du numérique. Ça c’est un acquis tout à fait important.
Cela dit, il faut bien voir que pour arriver à cela, il a fallu que la Cour de justice trouve le moyen de démontrer que Google, puisqu’en l’occurrence il s’agit de Google, en faisant son métier classique de moteur de recherche, c’est-à-dire, en fait, la partie la plus neutre de l’activité de Google — c’est-à-dire celle où, effectivement, un certain nombre d’algorithmes très puissants produisent, classent un certain nombre de liens sur des pages — eh bien dise qu’en faisant ça il était, en réalité, un gestionnaire, un responsable d’un traitement de données personnelles. Ce qui en réalité, d’un point de vue purement technique, est un peu limité. Parce que si je me connecte d’une machine située un peu n’importe où dans le monde et que je tape deux mots, par exemple « droit des données personnelles », et que j’appuie sur mon bouton et que Google me dit les 3500 pages qu’il a trouvées sur « droit des données personnelles ».
Antoine Garapon : En citant l’émission Le Bien commun.
Bertrand Warusfel : Sûrement, très certainement. En réalité il ne traite pas tant que cela des données personnelles. Simplement, si la Cour de justice n’avait pas décidé que Google traitait des données personnelles en faisant tourner son moteur de recherche, elle n’aurait pas pu lui imposer le droit à l’oubli numérique. C’est là où, je reviens sur le sujet que j’évoquais au départ, je pense que nous serons nécessairement amenés à devoir passer du droit des données personnelles, qui devra toujours exister parce que je suis un fervent défenseur de ce droit et je pense qu’on est tous d’accord ici, vers un droit des données en général. Parce que Google est quelqu’un qui traite des données, qui collecte et qui traite des données, et pas simplement des données personnelles.
Antoine Garapon : Je voudrais que vous m’expliquiez une chose parce que je crois que c’est une grande différence du monde numérique avec le monde matériel. Si je vous vends ce stylo, le droit dit : « Il y a un accord sur le prix, consentement, transfert de la chose ». Depuis le droit romain c’est ça, transfert de la chose. Le problème de l’Internet c’est que je peux transférer une chose et la garder en même temps. Je peux à la fois vous vendre ce stylo, mais garder ce stylo. Et je peux même faire mieux : je peux vous vendre le stylo, garder ce stylo et vendre des tas de données sur ce stylo, sur les personnes qui l’ont utilisé et donc, finalement, le rapport sujet/objet est profondément perturbé dans ce monde numérique, Judith Rochfeld. Vous avez travaillé sur les catégories fondamentales du droit. Là, comment est-ce qu’on fait lorsque les choses peuvent être transférées et ne pas être transférées en même temps ?
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Judith Rochfeld : Ça c’est le problème des intangibles. C’est-à-dire la propriété, nos constructions, se sont très bien appliquées sur la matière. On a un rapport exclusif ; on a un rapport du sujet à l’objet ; on le visualise très bien, il est unique, il est non-rival [rival, NdT] comme diraient les économistes. Bon ! On a commencé à avoir quand même des problèmes avec la propriété intellectuelle. D’abord, on a eu un problème pour appliquer l’idée de propriété. Ce qu’on est en train de vivre est peut-être décuplé, mais ça n’est pas nouveau. C’est-à-dire l’idée selon laquelle c’est facile d’appliquer la propriété, ou c’est naturel, il faut s’en écarter, à mon sens, parce que c’est « facile » entre guillemets pour la matière. Ça ne l’est pas…
Antoine Garapon : Pour les choses de l’esprit.
Judith Rochfeld : Pour, par exemple, réserver au génie qui vient de créer cette œuvre un pouvoir d’exploitation de son œuvre, c’est déjà une construction ; c’est déjà une construction qui n’est pas si simple et on en voit, avec le numérique, les effets limités ou, en tout cas, la limite des effets plus exactement, parce que ça n’est pas facile de réserver sur Internet une œuvre. Ça été pareil avec le travail, on a eu ces interrogations avec le travail. On a eu ces interrogations avec ce qui était travail/personne ; la clientèle, qui est la confiance dans une personne. Donc on a ces hybrides.
Antoine Garapon : Donc on est déjà sortis de la matière.
Judith Rochfeld : On est déjà sortis de la matière.
Antoine Garapon : Le droit est déjà sorti de la matière.
Judith Rochfeld : Absolument ! Et il a déjà affronté des difficultés du fait d’être sorti de la matière. Alors là, c’est vrai que non seulement on sort de la matière, on est en face de biens, de biens, ma langue a fourché, mais d’éléments non-rivaux, l’information.
Antoine Garapon : En un mot pour nos auditeurs, élément non-rivaux ça veut dire ?
Judith Rochfeld : Ça veut dire que si je suis tout seul à pouvoir profiter de l’usage d’une chose c’est non-rival [rival, NdT]. Voilà ! Ça c’est ce que dit la classification des économistes. Rivaux, c’est si je peux profiter tout seul de l’usage, en écartant les autres, donc si l’exclusivité marche, fonctionne.
Antoine Garapon : C’est ça. Par exemple dans le monde matériel je possède cette maison, personne d’autre que moi ne peut y rentrer sans mon consentement, donc c’est un bien non-rival [rival, NdT] et là, le droit de propriété est parfait en quelque sorte, parce que l’idée, le concept correspond avec la matérialité de la chose. Dans le droit de la propriété intellectuelle ça change parce qu’on a un droit qui est immatériel sur une œuvre et sur sa reproduction, mais là, la reproduction d’une œuvre c’est toujours une œuvre. Là il y a quelque chose, comment dirais-je, il y a une différence majeure dans le fait que je prends un billet de train sur Internet et le fait que je prenne un billet… C’est un peu comme si nous parlions et que le langage, lui-même, devenait un objet commercial ; c’est quand même perturbant !
Judith Rochfeld : Oui, oui ! Et ce n’est pas du tout acquis que la propriété soit la bonne notion.
Antoine Garapon : La bonne notion, la bonne métaphore on pourrait dire. On pourrait dire comme ça.
Judith Rochfeld : D’abord parce qu’il y a beaucoup de personnes et on n’a pas éliminé dans les données personnelles cette question et il n’est pas sûr que la propriété soit la bonne notion.
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Antoine Garapon : C’est très intéressant, parce que ça veut dire que finalement le droit, contrairement à ce que pensent peut-être nos auditeurs, le droit, comment dirais-je, d’une manière un peu pédante, c’est une manière d’appliquer au monde des métaphores, des choses qui permettent de les qualifier et de pouvoir agir dessus. Et là, les notions dont on disposait : personne, contrat, propriété, on voit bien qu’elles ne correspondent plus à ce nouveau monde, Bertrand Warusfel.
Bertrand Warusfel : Oui. Je crois qu’on est dans une évolution qui, effectivement, cantonne de plus en plus la propriété, avec ses règles essentielles, au domaine des choses matérielles, des choses tangibles, sur lesquelles il est complètement possible de régir des mécanismes d’exclusivité par le droit classique, parce qu’à ce moment-là, le fait et le droit vont ensemble. C’est ce que vous disiez : quand je suis propriétaire de ma maison, je suis le seul à pouvoir l’habiter. Déjà la propriété intellectuelle n’est pas, je vais dire quelque chose qui va peut-être étonner, n’est en réalité déjà plus tout à fait une propriété.
Antoine Garapon : C’est plutôt un droit dessus, c’est un droit de regard, c’est un droit de percevoir.
Bertrand Warusfel : C’est un mécanisme de réservation auquel, pour des raisons j’allais dire de simplicité et d’acceptabilité par la société, on a fait une espèce de parallèle mais qui est déjà une métaphore entre la propriété des choses matérielles et la propriété des choses immatérielles, en oubliant que dans le monde de l’immatériel le principe c’est la non propriété et l’exception c’est la propriété, alors que dans les choses matérielles, c’est le contraire.
En ce qui concerne les données en tant que production de systèmes techniques, je pense que justement, une des raisons pour lesquelles on n’a pas voulu affronter le problème de fond il y a trente ou quarante ans c’est parce qu’effectivement, à l’époque, l’idée qu’avaient un certain nombre de juristes c’était de se dire si on veut traiter les données en tant que telles il faut de suite utiliser la notion de propriété. Et comme on n’arrivait pas à utiliser la notion de propriété, on s’est dit on va les laisser en jachère, on va faire en sorte que le droit ne s’y intéresse pas ou n’en saisisse que certains aspects très particuliers.
Antoine Garapon : À ce moment-là on a recréé une sorte de jungle où c’est l’appropriation, voire la prédation, qui est rémunérée.
Bertrand Warusfel : C’est-à-dire que c’est la force. C’est toujours le problème de la force et le droit. C’est de la force technique qui, du coup, est le seul élément qui régit l’utilisation.
Antoine Garapon : Je vois que Judith Rochfeld n’est pas aussi pessimiste que nous.
Judith Rochfeld : C’est-à-dire pas complètement. Le droit a quand même eu une réaction qui était une réaction de compromis. Quand on regarde les textes européens, notre directive source ou le règlement européen, je parle toujours des données personnelles, il y a quand même cette idée qu’il y a une certaine maîtrise, c’est pour ça, je ne parle pas en termes de propriété, je parlerai plus en termes de maîtrise, reconnue à celui qui est la source de la donnée, même si on essaye d’aménager ce compromis vers la circulation, la valorisation par les opérateurs de ces données-là. Donc il ne faut pas laisser penser que le droit n’a rien fait.
Antoine Garapon : Maîtrise, droit de blocage on pourrait dire. C’est-à-dire j’ai le droit, je peux empêcher que ces données aillent n’importe où.
Judith Rochfeld : Oui. J’ai un droit de regard. On est en train, quand même, d’approfondir l’idée que la personne aurait le droit à la portabilité de ses données, c’est-à-dire les reprendre pour les mettre ailleurs. On est en train de développer techniquement, juridiquement, des systèmes où on redonne la maîtrise à l’individu lui-même de toutes ses données, dans des petits coffre-forts personnels, et à lui de voir s’il veut participer à telle recherche avec ses données de santé ; à lui de voir s’il veut participer avec son opérateur à la prédiction de ses comportements.
Antoine Garapon : Une sorte de restauration de souveraineté de la personne sur ses données.
Judith Rochfeld : C’est ça.
Antoine Garapon : Bertrand Warusfel.
Bertrand Warusfel : C’est ça. En fait, je pense que les choses peuvent se jouer à deux niveaux. Il y a un premier niveau que le droit doit consacrer, qui n’est pas encore complètement consacré sauf en ce qui concerne les données personnelles, c’est la possibilité, à tout moment, de fermer le robinet. Je dois avoir la possibilité, à tout moment, de dire je clique ou je ne clique pas ; je laisse partir la donnée ; je transfère ou je ne transfère pas.
Antoine Garapon : C’est assez théorique parce que, dans le fond, très peu, quand ils sont pressés par le fait de prendre un billet d’avion ou un billet de train, vont refuser pour aller dans une agence, etc., où, de toutes façons leurs données seront prises.
Bertrand Warusfel : Le droit ne fonctionne pas tout à fait comme ça. Ça c’est l’argument habituel : à quoi sert-il de limiter la vitesse sur les routes, il y a beaucoup de gens qui vont la dépasser. Le droit doit organiser un recours pour que, le cas échéant, alors que je ne souhaitais pas ouvrir le robinet, le robinet s’est ouvert tout seul – ce qui est beaucoup le cas – j’aie éventuellement un recours et je puisse engager la responsabilité de celui qui l’a ouvert sans moi. Ça c’est le premier volet, mais qui restera toujours minoritaire puisque la majorité des gens voudront ouvrir le robinet pour des questions de confort, etc. ; on en est tous parfaitement conscients.
Le deuxième volet c’est que si, effectivement, j’ai ouvert le robinet, je dois pouvoir sur ce que font dans la chaîne les gens qui accèdent aux données que j’ai produites ou aux données qui j’ai laissées circuler, je dois avoir un certain nombre de prérogatives.
Antoine Garapon : Est-ce que ça peut aussi vouloir dire que non seulement j’ai des prérogatives, mais je touche une partie du butin ?
Bertrand Warusfel : Ces prérogatives sont notamment…
Antoine Garapon : C’est ça. Alors Judith Rochfeld.
Judith Rochfeld : Oui, ça serait reconnaître, effectivement, la souveraineté en termes de propriété.
Antoine Garapon : C’est-à-dire quand je dis droit du butin, une précision.
Judith Rochfeld : À des usages.
Antoine Garapon : À des usages. Qui n’est pas nécessairement individualiste. C’est-à-dire qu’il peut obliger. Parce que finalement ce qui manque dans ce dossier c’est le grand médiateur symbolique qui était auparavant l’État, ou qui était l’Église avant encore, c’est-à-dire qui fournit les concepts et qui fournit le cadre commun dans lequel on se pense soi et l’autre. Et là, ce qui est radicalement nouveau me semble-t-il dans le numérique c’est que, précisément, on est dans un univers qui se construit sans tiers de référence, sans cadre commun.
Judith Rochfeld : Il y de la loi, quand même !
Antoine Garapon : Il y a de la loi. C’est la loi des partis : c’est la loi européenne contre la loi américaine. C’est la loi française contre…
Judith Rochfeld : Non. Elle a été puissante, ça a été un grand modèle quand même. Je lutte un peu contre cette idée parce qu’on nous la renvoie souvent quand on travaille dans le numérique, l’idée selon laquelle il n’y aurait d’abord rien à faire parce que ça n’est pas possible : Code is Law, ça c’est le problème de Lessig, c’est le problème de la phrase de Lessig, c’est qu’à ce moment-là il n’y a plus rien à faire et ça je ne le crois pas du tout. Et puis l’idée selon laquelle le droit ne s’applique pas. Il s’applique !
Antoine Garapon : Ce n’est pas ce que je dis ! Je dis que le droit se coconstruit par des partis qui ont des intérêts antagoniques.
Judith Rochfeld : Il y a des arbitrages.
Antoine Garapon : Oui. Peut-être des arbitrages, mais l’arbitrage se fait toujours dans le duel ou dans le dual. Là je parle de ce qui peut donner du surplomb, ce qui peut donner des catégories. Et c’est très important parce que les catégories ça peut créer du commun. Ça peut dire, par exemple, eh bien l’argent que Google, finalement cet argent qu’il va prendre plus ou moins indûment en exploitant les données personnelles, ce n’est par une rémunération infinitésimale à chacun des donneurs qu’on s’en sortira, mais c’est, par exemple, par la fiscalité, par l’institution, c’est-à-dire par une caisse commune qui va ensuite produire du bien-être collectif, qui n’aura plus rien à voir avec les données. C’est ça cette immense caisse de compensation qu’est l’État et qui manque dans le monde. Je ne voulais dire rien d’autre que ça.
Judith Rochfeld : D’accord.
Bertrand Warusfel : Oui, je pense, parce qu’il ne faut pas être pessimiste du tout là-dessus, qu’il y a deux canaux par lesquels on peut surplomber, comme vous le disiez, on peut surplomber ces mécanismes. Un par le haut, ce qui est normal pour le surplomb, mais un autre qui est peut-être plus inattendu qui est par le bas, en réalité. C’est-à-dire que par le haut c’est la question, effectivement, des législations nationales, territoriales et on sait tous très bien qu’il y a, à un moment ou à un autre, la problématique du transatlantique. Parce que le jour où il y aura des accords transatlantiques sur un certain nombre de ces grandes catégories de régulation du numérique, nous aurons un progrès tout à fait important et je pense qu’il faut y travailler.
Et par le bas c’est en réalité que lorsque les opérateurs, les acteurs du marché du numérique qui sont à la fois les fabricants de machines, les développeurs de logiciels, les sociétés de services, les grands utilisateurs, etc., se retrouvent dans différents endroits, dans les structures communes de l’Internet comme l’IETF [Internet Engineering Task Force].
Antoine Garapon : Vous commencez à parler en hébreu ancien pour nos auditeurs.
Bertrand Warusfel : Qui est l’endroit où on établit les normes mais également on négocie un certain nombre de mécanismes contractuels ou de bonnes pratiques, on peut introduire entre les différents acteurs des règles communes, ce qu’on appelle du droit mou, de la soft law, qui, progressivement j’allais dire, va informer.
Antoine Garapon : Mais ça, ce sont des règles du jeu ; ça ne crée pas une caisse de compensation. Judith Rochfel, ça sera le mot de la fin. Comment est-ce que vous voyez l’avenir de cette régulation ? Par le haut ? Par le bas ? Par la création de quelque chose de commun mais qui excède le domaine national ?
Judith Rochfeld : Oui, ça je pense que là on le voit. Pour l’instant, l’échelle de réaction c’est l’échelle européenne et elle est efficace ! Je voudrais dire ça, quand même, parce que là, l’invalidation, le fait qu’on transfère les données vers les États-Unis sans ce droit de regard et sans contrôle effectif a été stoppé à l’échelle européenne. Donc ça c’est une grande chose. Moi, ma grande interrogation, c’est le marché. C’est-à-dire est-ce qu’il va y avoir développement, sous la pression de la loi et des utilisateurs, et ça on est tous en cause, d’alternatives éthiques ? Est-ce que je vais avoir un téléphone qui ne me suit pas ? Est-ce que je vais avoir la possibilité d’avoir des sites comme ça se développe mais qui n’ont pas encore d’audience, à la hauteur de ce dont on a parlé, qui ne me suivent pas ? Et là on a tous à prendre notre part dans ce destin.
Antoine Garapon : Tous, techniciens et usagers.
Judith Rochfeld : Et usagers !
Antoine Garapon : Judith Rochfeld, Bertrand Warusfel, merci.
Cette émission a été préparée par Élodie Poncet à la technique aujourd’hui, Adrien Meniau et Arnaud Dumanois. Je rappelle à nos auditeurs qu’ils peuvent se reporter sur le site d’Amicus Radio, à la page de l’émission Le Bien commun ; ils pourront réécouter cette émission et la télécharger ainsi que consulter toutes les références qui ont été abordées aujourd’hui.