Présentation
- Titre
- : Le net sera neutre aux États-Unis.
- Intervenant
- : Benjamin Bayart
- Lieu
- : Arte journal
- Date
- : 27 février 2015
- Durée
- : 6 min 10
- Lien vers la vidéo
Transcription
Ça fait six ans qu’on attendait une décision sur la neutralité du Net. On pensait que la première décision sérieuse viendrait d’Europe. Visiblement elle vient des États-Unis. C’est une décision majeure, c’est une question de société majeure qui était extrêmement débattue. Donc la décision américaine est très importante.
Il y a une question en suspens qui est de savoir qui a des droits sur les données qui transitent sur le réseau. Notre approche est de considérer que les données appartiennent à l’émetteur ou au récepteur, mais, en aucun cas, au transporteur. Le parallèle évident c’est la Poste. Le courrier qui est dans l’enveloppe, il appartient à l’expéditeur, il appartient au destinataire, comme on veut, mais certainement pas à la Poste et la Poste n’a aucun droit dessus. Eh bien de la même manière, les données qui circulent sur le réseau, on peut considérer qu’elles sont de la responsabilité du site émetteur, qu’elles sont de la responsabilité de l’ordinateur destinataire, mais jamais du transporteur. Et ça, ça n’arrange pas les opérateurs qui aimeraient bien considérer qu’ils ont des droits sur ces données, qu’ils peuvent choisir, filtrer, censurer et qu’ils peuvent dire « cher diffuseur de vidéos, si tu veux que je laisse passer tes vidéos, donne-moi de l’argent ». Donc le fond du débat, il est là.
En fait, par leur décision, les États-Unis disent que le réseau est une facilité publique, au même titre que le réseau routier, ou que le réseau d’eau, ou que le réseau postal. Et donc, que les opérateurs ont une obligation d’acheminement, mais que ça ne s’assortit pas d’un droit de faire ce qu’ils veulent avec les données qui circulent. Ça c’est une décision majeure, ça fait longtemps qu’on l’attendait. Il y avait d’autres façons d’interpréter. On aurait pu très bien considérer que les données appartenaient à l’opérateur pendant que c’était sur son réseau, ce n’est pas le cas. Ce que dit la décision américaine, c’est que les opérateurs n’ont pas le droit de toucher aux données qu’ils transportent. Ça paraît une évidence.
Le opérateurs considèrent que, par exemple, YouTube émet énormément de données et que ça coûte très cher à transporter et que donc il serait prié de financer le réseau de transport. Ça c’est le mensonge habituel qu’ils racontent. C’est, bien évidemment, parfaitement à l’envers. YouTube n’émet pas de données ! YouTube n’émet pas de données ! C’est l’utilisateur qui demande à voir. Tant que vous n’avez pas mis YouTube dans un onglet de votre navigateur, YouTube n’émet pas de données. C’est toujours l’utilisateur qui demande et l’utilisateur, il paye pour le transport de ses données : c’est son abonnement, il paye un abonnement à l’opérateur. Donc, en fait, les gens qui saturent les réseaux parce qu’ils regardent beaucoup de vidéos sont les abonnés des opérateurs et payent, financent tous les investissements et tous les déploiements, etc. Donc la vision qu’en ont les opérateurs, c’est, en fait, un fois qu’on a décrypté et qu’on a enlevé la couche de jargon et de mensonges, il en reste qu’ils sont en position de faire du racket et qu’ils aimeraient bien avoir le droit de le faire.
L’Europe était très en avance, puisque le débat a commencé en Europe en 2009, avec des positions assez claires, avec, en particulier, des travaux en France qui étaient assez puissants sur le sujet. Il y a eu une indécision politique, c’est-à-dire que, depuis 2009, les politiques ne veulent pas prendre de décision. Il y a eu un texte discuté au niveau européen qui a été proposé par la Commission, l’an dernier, qui était assez mauvais, qui était très pro opérateurs. Il a été profondément remanié par le Parlement européen pour donner un texte qui est assez voisin, sur les positions de principe, de ce qui a été voté hier aux États-Unis. Et, pour le moment, le texte proposé par le Parlement européen est bloqué. On attend que le Conseil des chefs d’État se réunisse et décide de ce qu’il faut faire de ce texte. Pour le moment, on craignait des décisions très défavorables, qui décident de jeter le texte. On craignait que le Conseil de l’Europe, donc le conseil des chefs d’État, décide de jeter le texte pour ressortir une version qui soit très pro-opérateurs et pro-grands groupes. La décision américaine peut avoir une vraie influence politique là-dessus. Il y a une bagarre. La discussion au Parlement européen, à la fin de la législature précédente sur ce texte-là, a été très tendue, beaucoup de lobbying, beaucoup de pression. Les grands opérateurs sont très combatifs, que ce soient les opérateurs réseaux, ou les fournisseurs de services Internet. On a affaire à une bataille au Parlement européen qui est assez musclée sur ces dossiers-là. Et, en fait, le grand champ de bataille était l’Europe il y a un an, et c’était les États-Unis depuis trois mois sur ce dossier-là.
Oui, il y a une très très grosse pression industrielle pour essayer de... En fait les opérateurs font pression partout où ils peuvent pour essayer d’avoir le droit de mettre en place le racket qui les arrange.
Pour nous c’est quelque chose de très simple. Ce n’est pas une question business, c’est une question de liberté fondamentale. Le secret du pli postal, c’est une évidence depuis le dix-huitième siècle. La neutralité du Net, qui est l’équivalent au vingt-et-unième siècle, est une évidence. Et ce qu’on attend, c’est juste que les institutions européennes reconnaissent cette évidence.
Techniquement la décision américaine n’engage que les États-Unis. Ce qu’on espère c’est que la décision prise par les États-Unis soit considérée comme un signal politique d’une tendance de fond, et que l’Europe se rallie à cette tendance de fond. On espère que la décision américaine soit traitée comme un message politique.
L’échelle française a un vrai intérêt. Il se trouve qu’à Bercy, Orange est hyper sur-représenté, par du lobbying traditionnel et puis par le fait qu’il y a une quantité surprenante d’anciens d’Orange dans les couloirs de Bercy. Et, de manière systématique, la France prend comme position les positions du lobby industriel, donc soit Orange, soit Alcatel, selon l’approche, mais c’est une constante en France, que ce soit le gouvernement précédent, l’actuel, quelle que soit la majorité. Et c’est lié à des raisons essentiellement industrielles, c’est-à-dire qu’on a des géants des télécom mais on n’a pas de géants des services ; on n’a pas été capable d’en faire.
crédit photo : Michael Bocchieri / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP