- Titre :
- Le choix des logiciels libres en collectivité territoriale
- Intervenants :
- Pascal Kuczynski - Évelyne Jardin
- Lieu :
- Radio Agora - Nanterre
- Date :
- février 2018
- Durée :
- 32 min 15
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- Copie d’écran de la page d’accueil du site de l’ADULLACT ; mentions légales Droits de reproduction.
- transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l’April.
Transcription
Évelyne Jardin : Bonjour chers auditeurs et auditrices de Radio Agora. Nous accueillons aujourd’hui, mardi 27 février 2018, Pascal Kuczynski. Pascal, vous êtes délégué général de l’ADULLACT. L’ADULLACT est l’association des développeurs et utilisateurs de logiciels libres pour les administrations et les collectivités territoriales. Merci Pascal de venir de Montpellier, par cette journée glaciale, pour nous expliquer les missions de cette association. Pascal, quelles sont les activités de l’ADULLACT ?
Pascal Kuczynski : Bonjour et merci de m’avoir accueilli aujourd’hui. L’ADULLACT [1] est une association loi 1901, créée il y a quinze ans déjà — comme quoi ça doit être utile à quelque chose si ça continue de perdurer — dont l’objet est de promouvoir, développer et faire connaître des logiciels libres dans les métiers des collectivités. Je parle bien des métiers des collectivités. J’aime à citer comme exemple le cimetière : il n’y a que 36 000 communes en France qui ont un cimetière, qui doivent gérer un cimetière. Il y a un logiciel libre de gestion de cimetière qui s’appelle openCimetière [2]. Voilà notre mission : faire connaître ce genre de choses, aider les collectivités à partager leurs travaux sur ces outils-là.
Et c’est très important de comprendre l’intérêt de ce rouage. Nous, on est juste la goutte d’huile qui vient faire que les rouages fonctionnent ensemble. C’est très important de comprendre qu’on passe, grâce à ce genre d’initiative, d’un milieu où je me contente d’acheter des logiciels sur catalogue, je deviens, alors je caricature en disant un singe savant presse-boutons qui clique sur le bouton là où on m’a dit où il fallait pour enregistrer une nouvelle concession dans mon cimetière. C’est une chose.
Dans le contexte du logiciel libre, il faut bien comprendre la notion de partage, partage d’informations, partage de savoir-faire. Et quand les agents s’intéressent à ce genre de choses, ils se réattribuent leur métier, en l’occurrence, là, le métier de la gestion de cimetière ; mais je peux vous citer une centaine d’autres métiers au sein de nos collectivités, y compris la ville de Nanterre qui doit avoir 200-250 métiers à gérer de ce type-là, et une bonne moitié sont couverts par des logiciels libres. Et je disais, les agents des collectivités peuvent se réattribuer leurs propres métiers, non plus être des singes savants clique-boutons, mais comprendre ce qu’il y a : tiens, au prochain groupe de travail – parce que c’est notre rôle d’organiser des groupes de travail pour faire parler de ces outils et les faire évoluer, surtout – l’agent en question pourra dire « moi j’ai besoin de ci, moi j’ai besoin de ça ; j’ai besoin d’un bouton qui fait ça » et de participer à l’évolution du logiciel avec, en toile de fond bien évidemment, l’économie d’argent public. Puisque je garantis, parce que c’est du logiciel libre – je reviendrai là-dessus sur la définition du logiciel libre pour en parler –, mais parce que c’est du logiciel libre, j’ai la garantie que lorsqu’une collectivité va investir pour ajouter le bouton bleu qui a été jugé nécessaire, ça a été payé une fois oui, mais ça ne sera payé qu’une fois ! Un de nos leitmotivs est de dire « l’argent public ne paye qu’une fois ». Et c’est quelque chose qu’on a très largement oublié dans le monde des logiciels dans les services publics.
Évelyne Jardin : Pascal, si je reprends votre exemple, beaucoup de collectivités ont des logiciels pour gérer des cimetières, c’est ça ? Et ces logiciels-là sont plutôt privateurs, généralement, et vous, à l’ADULLACT, vous proposez une solution libre ? Est-ce que j’ai bien compris ? Et du coup, quel est l’avantage de passer d’un logiciel privateur à un logiciel libre ? Est-ce que c’est intéressant d’un point de vue pécuniaire pour la collectivité territoriale ? Donc première question, est-ce que c’est moins cher ? Et si je vous comprends bien, est-ce que c’est aussi plus intéressant pour les membres de la collectivité pour s’emparer des outils et les faire évoluer ?
Pascal Kuczynski : Plus intéressant, c’est ce que je venais de raconter, effectivement oui, puisque que chacun se réattribue son métier et participe à l’évolution du logiciel. Quand je dis évolution, ça peut être des besoins purement fonctionnels, pour le confort de chacun et pour le bien-être des citoyens qui voient leurs services s’améliorer, le service qui leur était offert s’améliorer, mais aussi pour les suivis réglementaires. Par exemple il y a une nouvelle réglementation qui vient, je vais l’opérer, cette nouvelle réglementation je vais l’intégrer dans mon logiciel de telle ou telle façon : l’agent est le premier acteur de son logiciel. Ça c’est sur l’aspect confort amélioré.
Maintenant sur l’aspect pécuniaire, je vais vous citer un autre exemple. Sans vouloir être trop complexe dans la vie des collectivités, mais sachez qu’à la mairie de Nanterre, il y a un conseil municipal, comme dans toutes les villes. Ce conseil municipal se réunit régulièrement, sans doute au moins une fois par mois, et puis il y a des commissions, enfin il y a tout plein de réunions qui se font comme ça ; chacune de ces réunions, de ces conseils municipaux, sert à prendre des décisions ; c’est ce qu’on appelle les délibérations : une délibération va fermer la rue machin parce qu’il y a une fête, parce qu’on doit faire préempter la maison de madame Michu, parce qu’on va faire des travaux. Bref ! Il y a tout plein de décisions qui sont prises. Chacune de ces décisions, prise par le conseil municipal, est envoyée à l’État, la préfecture en l’occurrence des Hauts-de-Seine, pour valider la décision : est-ce qu’elle est dans la loi ? C’est ce qu’on appelle le contrôle de la légalité.
Depuis dix ans maintenant, ce contrôle de la légalité est dématérialisé à l’initiative de l’État ; il a décidé de dématérialiser plutôt que d’envoyer des papiers, parce qu’il faut vraiment se mettre dans le contexte : il y a un agent de la mairie qui prenait le tas de papiers en sortie du conseil municipal ; qui allait à la préfecture à pied, en voiture ou comme il voulait, se faire tamponner chacune des 30, 40, 50 délibérations qui sortent du conseil municipal et revenait avec ses papiers tamponnés après avoir fait des photocopies pour que la préfecture puisse travailler dessus. Fini tout ça ! Aujourd’hui c’est dématérialisé ; ça passe par des plateformes homologuées. Il y a une quinzaine de services de ce type-là, opérés par des entreprises qui ont été homologuées par le ministère de l’Intérieur pour opérer ce service de dématérialisation des délibérations en question. Donc les mairies, aujourd’hui, postent les fichiers qu’elles ont fabriqués en sortie de conseil municipal et, en quelques clics, j’ai envoyé tout ça ! Et la réponse ce n’est pas un coup de tampon, c’est un coup de tampon électronique, je l’ai au bout de quelques minutes, donc sans me déplacer ; il y a économie aussi d’argent public à ce niveau-là. Et l’économie d’argent public est prouvée par ADULLACT. Sachez que nous sommes opérateur depuis plus de dix ans sur ce service-là. Nous sommes devenus depuis un an numéro 1 sur le marché français devant tous les éditeurs, qui ne sont pas libres du tout, eux.
Donc voilà un exemple concret où on a prouvé, de part simplement un fait : nous sommes le premier opérateur de dématérialisation des actes administratifs, les délibérations, en France aujourd’hui. Pourquoi ? Ce n’est pas pour nos beaux yeux, ce n’est pas parce qu’on est une association – les gens s’en moquent –, c’est parce qu’on coûte moins cher en global.
D’ailleurs un deuxième point, c’est que c’est nous qui collectionnons le plus de collectivités inscrites sur notre plateforme. D’autres sont plus forts que nous en termes de nombre de documents envoyés. Ça va devenir un petit peu technique, pardon, mais ça veut dire que des grosses collectivités vont continuer à travailler avec des privateurs, pour reprendre votre terme de tout à l’heure, alors que nous on va avoir plein de petites communes. Ce qui veut dire aussi que non seulement on est moins cher dans l’ensemble, globalement, mais en plus, on couvre beaucoup mieux le territoire national avec les toutes petites communes qui n’ont pas les moyens de se payer la Rolls-Royce de l’outil, etc. Sachant que notre outil est loin d’être à rougir de quelque Rolls-Royce que ce soit, encore une fois : il est tout à fait conforme aux critères et aux usages nécessaires sur le domaine.
Évelyne Jardin : Donc si j’en viens à vos missions, vous faites de l’offre de services, vous faites de l’offre de services pour les collectivités territoriales. Pour bénéficier de cette offre de services, il faut être adhérent de l’ADULLACT ? Comment ça se passe ?
Pascal Kuczynski : Effectivement. On n’est pas vraiment offreur de services. On est offreur de services en ligne, ce qui est un petit peu différent. C’est-à-dire que l’association, par exemple, ne fait pas de formation, ne fait pas d’accompagnement, ne fait pas ce genre de choses. Il y a des entreprises qui font ça très bien et avec un modèle économique. Je vous rappelle que le modèle économique du logiciel libre s’appuie sur le service. Donc nous, association qui ne vivons que des cotisations de nos membres, nous ne marchons pas sur les plates-bandes des entreprises qui font des services sur les outils libres. Nous, ce qu’on fait c’est quoi ? On choisit des outils libres qui répondent à un besoin métier d’une collectivité ; on les met sur une de nos machines – là, en l’occurrence, on se fait homologuer par le ministère de l’Intérieur pour travailler sur le sujet qu’on vient d’aborder – et on offre ça gratuitement à nos membres. Aujourd’hui, la mairie de Nanterre dépense une somme non négligeable pour avoir accès à une telle plateforme. Je ne doute pas que la mairie de Nanterre dématérialise ses actes administratifs. Elle n’est pas inscrite sur notre plateforme qui s’appelle S2LOW [Service Sécurisé Libre inter-Opérable pour la Vérification et la Validation]. S2LOW c’est parce que, petite parenthèse, le numéro 1 à l’époque s’appelait Fast ; on a joué au lièvre et à la tortue et vous voyez, on a gagné, tel La Fontaine. La mairie de Nanterre, disais-je, dépense des sommes non négligeables pour opérer ce service. Si elle était adhérente à l’association ça ne lui coûterait rien du tout.
Évelyne Jardin : J’ai regardé un peu vos barèmes d’adhésion. Ils sont en fonction de la grosseur de la collectivité territoriale, si je ne me trompe pas. Donc une ville comme Nanterre aurait un coût de cotisation à peu près de 4 000 euros par an pour pouvoir bénéficier de vos services en ligne. C’est ça ?
Pascal Kuczynski : Là on a cité un service en ligne. Mais il n’y en a pas qu’un qui est offert par l’association. Si j’ajoute à ça les marchés publics qui sont aussi dématérialisés, les tablettes des élus pour avoir leurs projets de délibération qui sont aussi dématérialisables, les sites web : je vous rappelle qu’il y a des réglementations pour les collectivités territoriales, leurs sites web, tous leurs sites web intranet, extranet, etc., doivent être accessibles à tout handicap. Nous avons un outil pour auditer automatiquement ce genre de choses. J’ai hâte de faire fonctionner mon outil sur le site des communes non adhérentes pour voir. Elles auraient à gagner à utiliser des outils de ce type-là, certainement.
Il ne s’agit pas de crier haro après les gens qui ne sont pas au niveau. C’est juste qu’on offre des outils dans le contexte de cette adhésion, sans bourse délier supplémentaire au-dessus de l’adhésion, pour augmenter le savoir-faire et la qualité offerte aux citoyens – en l’occurrence on parle des citoyens handicapés, qui sont trop souvent la dernière roue du carrosse – et augmenter le niveau d’accessibilité de ces sites web. Voilà une vraie œuvre de salut public.
Évelyne Jardin : Vous parlez donc de l’accessibilité des sites internet et en effet d’un outil que vous mettez à disposition. Son nom m’échappe, il a nom basque qui veut dire libre je crois.
Pascal Kuczynski : C’est liberté en basque, asqatasun.
Évelyne Jardin : Voilà, c’est ça. Un outil qui permet de tester si les sites internet des collectivités sont bien accessibles à tout public. Vous proposez de très nombreux services en ligne comme vous venez de le dire. Il y a aussi un autre aspect qui m’intéresse et qui intéressera probablement nos auditeurs, c’est un label que vous avez aussi lancé récemment, un label qui s’appelle Territoire Numérique Libre. Donc certaines villes ont obtenu ce label. Ce label permet de faire quoi ? Et comment on peut l’obtenir ?
Pascal Kuczynski : On vient de voir et de parler ensemble d’un certain nombre de services offerts à nos membres. On parlait du contrôle de légalité, des tablettes des élus, etc., j’en passe et des meilleurs, des jetons d’horodatage, des formulaires en ligne pour s’inscrire à la bibliothèque municipale, etc. Tout ça, ce sont des services réservés aux adhérents de l’association. Au passage je ferai remarquer, vous parliez de tarifs tout à l’heure, la mairie de Nanterre serait la bienvenue bien évidemment et gagnerait certainement à adhérer à ADULLACT – pardon aux agents de la collectivité, je ne veux pas … –, gagnerait en argent public : nous gagnerions tous s’il y avait plus de logiciels libres bien évidemment. Ce que je voulais dire c’est que les tarifs sont dégressifs en fonction du nombre de collectivités. Exemple : la mairie de Nanterre fait partie d’une communauté d’agglomérations, tout ça étant dans le Grand Paris, je ne vais pas rentrer dans les détails ; il y a des tarifs bien évidemment très avantageux lorsqu’on fait un tir groupé. C’est ce qu’on appelle la mutualisation, c’est notre cheval de bataille pour faire économiser, là aussi, de l’argent public. Le logiciel libre est un excellent vecteur de mutualisation et nous jouons dans cette cour-là.
Donc je disais un certain nombre de services, on l’a vu, réservés à nos membres, mais nous avons également, à côté de ça, des initiatives propres à l’association qui, elles, sont ouvertes à tous.
Je commencerai par le commencement puisque, je vous l’ai dit, l’association existe depuis 15 ans à l’initiative de certains élus qui, comment dire, voulaient sortir des menottes imposées par les, vous avez dit tout à l’heure outils privateurs, sous-entendu des éditeurs de logiciels qui vous enferment un petit peu dans leurs solutions dont il est très difficile de sortir. On parle souvent des coûts d’acquisition, on ne parle pas assez des coûts de sortie d’un logiciel quand j’ai besoin de changer de source.
Donc c’est là qu’ADULLACT est née et, à l’époque, on a créé un outil – vous l’aurez compris, l’objet de l’association c’est de promouvoir et développer des logiciels libres ou au moins aider à faire développer de nouveaux logiciels libres. Finalement, un logiciel libre c’est quoi par rapport à un logiciel pas libre ? C’est un logiciel dont j’ai la recette de cuisine. Autrement dit, vous savez très bien faire un plat cuisiné quelconque, un lapin avec une sauce aux champignons ; c’est encore mieux quand vous savez écrire la recette, la transmettre à quelqu’un et le quelqu’un, fort de cette recette, sait également faire le même lapin et décide de lui-même « tiens, c’est mieux si je rajoute un petit peu de sel ; tiens, c’est mieux si je rajoute un petit peu de crème fraîche à ce moment-là de la cuisson, etc. » C’est ça le logiciel libre. C’est avoir la recette de cuisine et autoriser les autres à modifier cette recette de cuisine pour améliorer le plat. Le logiciel libre c’est ça : je donne en partage le code que j’ai fabriqué, ou peut-être j’ai payé quelqu’un pour le faire dans le cas d’une collectivité, j’ai payé une entreprise pour développer mon logiciel libre. Mon logiciel, je le libère sous une licence adéquate – la licence libre c’est une autre aventure, c’est l’aspect juridique du logiciel libre –, sous une licence adéquate. Je vais ensuite publier la recette de cuisine. Évidemment, ce n’est pas un simple bout de papier qui se transmet de mère en fille, c’est une recette de cuisine de logiciel ; c’est un outil un petit peu compliqué, fait pour les développeurs, fait pour les gens spécialisés. C’est un outil qui prend son nom dans les racines des travaux ancestraux : ça s’appelle une forge.
Comme le forgeron forge ses outils, le développeur de logiciels forge ses outils, lui aussi, et les partage sur des outils de partage dédiés à cette chose-là ; ça s’appelle une forge. L’ADULLACT a créé une forge dédiée aux logiciels libres, financée par de l’argent public, depuis 15 ans. C’est une forge unique en Europe. Même l’État français qui avait, à l’époque, initié un travail équivalent, nous a rejoints parce que, bien évidemment, nous sommes la plus grosse aujourd’hui et la plus importante en France en termes de forge, donc livres de recettes de cuisine « écrivables », modifiables par tout un chacun, pour permettre de faire évoluer les choses dans nos groupes de travail. Ça sert à ça.
Donc cette forge, c’était le premier outil qu’on a mis au service de tous pour faire avancer le schmilblick de logiciels libres dans les services des collectivités territoriales.
Évelyne Jardin : Alors les villes labellisées Territoire Numérique Libre sont des villes qui détiennent de nombreux forgerons ?
Pascal Kuczynski : Pas tout à fait. Parce qu’on va le voir on n’est pas non plus obligé d’être un cuisinier hors pair pour faire du logiciel libre. Je peux aussi simplement être un goutteur ou déguster le lapin aux champignons dont on parlait tout à l’heure. Et c’est souvent, bien évidemment, ce qu’on trouve.
Maintenant c’est intéressant de savoir, parce que le fait d’ouvrir mon code, ma recette de cuisine à tous, modifie le modèle économique de tout l’écosystème en question. Autrement dit, l’entreprise qui va développer le logiciel en question et que je paye pour ça, elle n’a plus l’exclusivité de cette chose-là. Je peux prendre un exemple très simple. Aujourd’hui vous utilisez l’outil Microsoft Word pour rédiger un document, lettre ou autre, il n’y a qu’une seule entité au monde capable de modifier et de faire évoluer ce logiciel, ou décider d’arrêter telle version et de passer à une autre qui n’est pas forcément compatible, c’est l’entreprise Microsoft. Dans le contexte des administrations françaises, on aimerait bien que les métiers de nos administrations ne soient pas sous le contrôle d’un pilote, américain qui plus est ! Et c’est ça l’intérêt que nous mettons en avant : c’est la possibilité de redonner les clefs de leurs infrastructures informatiques aux administrations françaises. Et vous comprenez donc toute cette mécanique – on parle de recette de cuisine, on s’amuse un petit peu autour de ça –, mais vous comprenez le sérieux qu’il y a derrière et l’impact que ça peut avoir d’un point de vue global, voire au niveau mondial parce que tout le monde s’y met un petit peu ; la France n’est pas exclusive. Par contre notre forge, nous, elle est effectivement exclusive en Europe.
Et je disais donc la forge c’était le numéro 1 dans ces initiatives ouvertes et offertes à tout le monde. Il y a deux ans, on a créé une autre initiative à destination des collectivités, encore une fois, c’est ce qu’on appelle le Comptoir du Libre. En effet, il ne se passe pas une semaine sans qu’on n’ait pas un appel d’une collectivité qui nous demande : « Est-ce que vous avez un logiciel libre pour notre bibliothèque ? Est-ce que vous avez un logiciel libre pour notre cimetière par exemple ? Est-ce que vous avez un logiciel libre pour, j’aimerais créer un formulaire pour faire ci ? » Bref ! Des questions comme ça on en a tous les jours. Plutôt que d’appeler l’ADULLACT, ou même de ne pas avoir forcément de réponse parce qu’on ne sait pas tout tout de suite, on a créé une plateforme, lisible par tous, donc on n’est plus dans la forge technique faite pour les techniciens, on est dans un outil comptoir-du-libre.org [3] ; tout un chacun peut y aller. On voit très bien ce qui se passe. Il y a petit moteur de recherche. Je cherche un logiciel de gestion de courrier parce que le courrier c’est très important dans une collectivité : les citoyens écrivent, envoient des courriers électroniques, papier, ou que sais-je ; dans quel service ça va ? Comment est-ce que c’est traité ? Il y a l’accusé de réception envoyé à la personne qui a écrit ? Etc. C’est un logiciel de gestion qui est très important. Je cherche « courrier », je vais trouver des logiciels de gestion de courrier sur le Comptoir du Libre.
Et ce qui est très important dans le monde des collectivités, c’est de mesurer très rapidement la qualité de ces logiciels, parce qu’il n’y en a souvent pas un seul, il y en a beaucoup, donc j’ai un choix devant moi ; lequel est-ce que je choisis ? Je vais avoir la possibilité d’échanger avec d’autres collectivités, mes collègues qui font le même métier que moi, qui font le même travail que moi, mais dans une autre collectivité. En tout cas on partage le même besoin et on est des collègues. Je vais pouvoir interroger un collègue de l’autre côté sur la France qui fait le même métier sur « qu’est-ce que tu penses de ce logiciel de courrier ? J’ai vu que tu l’utilisais, tu l’as déclaré sur la plateforme le Comptoir du Libre de l’ADULLACT. » Et ça s’échange et c’est notre objectif à nous, c’est de mettre les gens qui partagent un métier de collectivité avec d’autres agents qui font le même métier de collectivité. Ça c’est primordial et c’est l’intérêt du Comptoir du Libre.
Cerise sur le gâteau, une fois que je suis convaincu que c’est le logiciel qu’il me faut parce que les collègues qui l’utilisent m’ont convaincu que c’était un bel outil, je ne suis pas informaticien, ce n’est pas forcément facile, il ne suffit pas de cliquer sur un bouton : j’ai besoin d’aide pour le mettre en place, pour peut-être me former dessus. Des entreprises sont effectivement invitées à se déclarer sur le même Comptoir du Libre pour déclarer leur savoir-faire sur le sujet et je saurai donc à qui m’adresser : il y a une, deux, trois, cinq entreprises qui me proposent des services un peu partout en France pour m’aider à mettre en place ce logiciel libre-là. Et après, eh bien c’est la loi du marché qui s’active : que le meilleur gagne ! En tout cas le logiciel est là, nos groupes de travail sont là pour le faire évoluer et on continue de faire avancer le schmilblick de cette façon-là.
Donc c’est pour ça que je parlais d’initiatives. Toujours dans cette rubrique initiatives, depuis deux ans, nous avons effectivement initié, puisqu’on arrive à la troisième année maintenant, le fameux Territoire Numérique Libre [4].
Évelyne Jardin : Oui. J’ai vu qu’il y a un petit nombre de villes qui ont un label Territoire Numérique Libre. Et apparemment je n’en ai repéré aucune en Île-de-France. Donc comment se fait-ce ça ? Comment on peut obtenir ce label et pourquoi il y a si peu de villes qui sont encore labellisées ?
Pascal Kuczynski : Si peu de villes, c’est beaucoup dire ou c’est peu dire ! Il y a quand même plus de 25 collectivités qui ont participé au label depuis deux ans, on attaque la troisième année seulement, donc c’est très récent, c’est un bébé ce label ! L’idée de ce label, label Territoire Numérique Libre, c’est de, entre guillemets, « encourager » les collectivités à faire du logiciel libre, à introduire le logiciel libre dans leurs métiers, dans leurs services d’information et, derrière la notion de label, il y a aussi une notion de communication. On voit tous à la télé, sur les panneaux du métro, des collectivités faire de la publicité pour telle ou telle raison : « Venez me voir chez moi il y a du soleil ! Venez me voir chez moi il y a des bains moussants ! », etc. Ça coûte très cher. L’idée, là, avec le logiciel libre, c’est de permettre à une collectivité de communiquer d’une autre façon, peut-être en expliquant : « Regardez comme j’ai bien économisé l’argent public parce que j’ai utilisé des logiciels libres ». Et on peut les aider à mesurer cette chose-là. Je peux annoncer aujourd’hui qu’on a fait économiser des millions d’euros, depuis 15 ans, grâce aux logiciels libres qu’on met en avant et qu’on défend. C’est à partager certes entre plusieurs collectivités, mais les chiffres sont là.
Pourquoi une collectivité qui a fait l’effort de remplacer toutes ses licences Microsoft Word dont on parlait tout à l’heure – je n’ai rien contre monsieur Microsoft, c’est juste que ça coûte un petit plus cher d’utiliser Microsoft Word que LibreOffice [5], et c’est mon argent d’impôts, votre argent d’impôts, nos impôts à nous tous qui payons ces licences Microsoft pour les agents des collectivités qui doivent faire leur travail. Il s’avère que de nombreuses collectivités aujourd’hui ont migré déjà, je ne prends qu’un exemple, la bureautique avec Microsoft Word. Si je remplace Microsoft Word par LibreOffice, je fais tout de suite des centaines ou des millions d’euros d’économies à l’échelle nationale.
Évelyne Jardin : Donc vous nous annoncez des économies budgétaires non négligeables à l’heure où les restrictions sont de mise. Je suis un petit peu étonnée. Pourquoi si peu de citoyens semblent concernés par ce sujet-là ?
Pascal Kuczynski : Qui en parle ? Qui s’insère dans la vie de la collectivité ? Elle est complètement autonome et c’est le travail de la collectivité et de ses agents de savoir comment ils opèrent leur métier. Donc c’est leur responsabilité ; ils n’ont de leçons à recevoir de personne sur le sujet. Après, ce qu’on peut faire, c’est ouvrir des portes, voire des fenêtres, pour montrer « regardez comment ça peut se passer autrement ». Et on a de nombreux exemples de villes, je peux citer Nantes, je peux citer Rennes, je peux citer des départements, même des pompiers se sont mis à LibreOffice. Donc tous les corps de métier sont concernés. Encore une fois on ne parle que de la bureautique, mais il y a de nombreux autres outils libres, que ce soit pour l’administration système de mes machines ou les outils métiers dont on parlait tout à l’heure, de cimetière ou de contrôle de légalité pour ne citer qu’eux, mais encore une fois, il y entre 200 et 250 métiers dans une collectivité qui peuvent être couverts par un outil libre. Donc revenons à l’exemple de la bureautique que tout le monde peut comprendre, on a tous, un jour ou l’autre, touché un outil bureautique de ce type-là. Vous voyez bien le coût d’une licence, même négocié au niveau d’une collectivité aussi grosse que la ville de Nanterre, vous imaginez les économies qu’on peut réaliser chaque année.
C’est vrai que ça ne se fait pas en claquant des doigts une migration telle que celle-là. Ça veut dire que la première année, même peut-être les deux premières années, on ne va pas faire d’économies, parce que je vais remplacer le coût que me coûtait le renouvellement de mes licences Microsoft par des formations, des accompagnements : mes agents qui ont besoin, à qui on va expliquer « maintenant tu cliques ici pour faire ça ; tu changes ta façon de faire » ; c’est ce qu’on appelle de la formation, de l’accompagnement, de l’accompagnement au changement. C’est le but et c’est l’investissement qui sera nécessaire pour mettre les agents sur un nouvel outil qui va les concerner au quotidien.
Je laisse de côté les quelques cas particuliers. On a toujours un outil qui va nécessiter : j’ai besoin d’un outil Microsoft du type Word ici parce que cet outil qui me sert à faire la paye, par exemple, a besoin de Word ; ceux-là, on les laisse ; c’est une dizaine de personnes qui vont être concernées par ça par rapport aux milliers d’agents qui sont concernés au sein de la collectivité pour faire le même travail, si je reste sur la mairie de Nanterre.
N’empêche que l’économie est là, au bout du compte, et c’est bien notre argent, c’est bien de l’argent public dont on est en train de parler.
Évelyne Jardin : Est-ce que vous constatez qu’il y a de plus en plus de collectivités territoriales qui viennent frapper à votre porte ? Est-ce que vous sentez qu’il y a un mouvement qui change par rapport au logiciel libre ?
Pascal Kuczynski : J’ai des chiffres assez faciles à comprendre et à mesurer. Vous voyez, notre S2LOW qui faisait concurrence au FAST. FAST est un outil né de la Caisse des dépôts et consignation ; ce n’est pas une petite chose ! C’était eux le numéro 1 ; aujourd’hui c’est nous parce que c’est du logiciel libre et, du coup, ça plaît aussi aux éditeurs qui doivent se coller dessus, parce qu’il y a de l’ouverture. On est numéro 1 en nombre de collectivités, mais on est aussi numéro 1 en nombre de fois où ce logiciel, puisque c’est un logiciel libre, a été repris par une collectivité, voire par une entreprise privée, par une collectivité pour l’installer chez elle, se faire homologuer elle dans son coin, pour « moi aussi j’opère ce service-là et je suis un opérateur. »
Évelyne Jardin : Combien de collectivités sont passées à S2LOW ? Ont quitté FAST et sont passées à S2LOW ?
Pascal Kuczynski : Ont quitté FAST, je ne sais pas, mais il y a plus de 6 000 collectivités aujourd’hui qui sont reliées à S2LOW et c’est le numéro 1 sur le marché. Je vais citer, par exemple, nos amis de l’Agence Landaise Pour l’Informatique ; il y a un syndicat informatique au niveau des Landes ; c’est près de 600 communes. L’Agence Landaise Pour l’Informatique a pris le logiciel libre qui s’appelle S2LOW, le même que le nôtre, l’a installé sur ses machines, s’est faite homologuer par le ministère de l’Intérieur et ces 600 collectivités travaillent sur cet outil-là, à moindre coût bien évidemment parce que le syndicat en question a investi, lui, pour faire faire des économies à ses membres, comme nous le faisons, nous, au niveau national. Et il y a une demi-douzaine de structures, comme ça, qui ont fait ça chacune de son côté.
Voilà une façon d’économiser de l’argent public et vous notez au passage que oui, ça draine beaucoup de monde. Un autre chiffre peut-être, eh bien ce sont simplement les chiffres de l’association ADULLACT, parce que des collectivités qui font du logiciel libre, je ne doute pas qu’il en ait des dizaines de milliers en France. Si on compte 70 000 ou 80 000 collectivités en tout, les communes, les départements, les syndicats, les communautés de communes, etc., ça fait un certain nombre.
De notre petite lorgnette ADULLACT, vous voyez on est très humbles, on a 300 membres ; ce n’est pas beaucoup sur 70 000 ou plus collectivités. Mais parmi ces 300 membres, il y a un certain nombre de mutualisants dont je viens de parler. La région Bourgogne-Franche-Comté, par exemple, est adhérente au travers d’un groupement d’intérêt public qui regroupe toutes les collectivités de toute cette nouvelle grande région, adhérente ADULLACT. Ça veut dire que derrière une adhésion il y a 2 000 collectivités qui sont derrière.
La Bretagne, pareil, avec le syndicat Mégalis qui fait cette chose-là. Dans l’Ardèche — vous voyez on couvre tout le territoire — il y a un syndicat informatique qui couvre plus de 500 collectivités ardéchoises, qui est adhérent et qui fait profiter ses 500 membres de nos services au travers d’une adhésion dite mutualisée. Bref ! Là on n’est plus à 300, on est à plus de 5 000 collectivités qui utilisent toutes nos services. Et ces 5 000 collectivités, je peux les citer toutes ; je les connais parce que ce sont les membres de nos membres. Donc vous voyez ce sont des cercles concentriques : 300, 5 000, vous voyez que ça s’étend déjà ; on n’est déjà plus si ridicules que ça même face à 70 000 !
Au-delà de ça, on a aussi des membres qui ne sont pas mutualisants, c’est-à-dire qui ne partagent pas nos services.
Mais l’ALPI par exemple, je la citais tout à l’heure, l’Agence Landaise Pour l’Informatique, reprend les logiciels libres de l’ADULLACT, se les installe, travaille avec. Finalement ça fait aussi partie de la sphère ADULLACT : si nous n’étions pas là ces logiciels-là n’existeraient pas et l’action de l’Agence Landaise Pour l’Informatique ne serait pas la même non plus. Ils seraient obligés, eux aussi, de bourse délier pour acheter du savoir-faire auprès d’une entreprise pour faire la même chose. Ça leur coûterait plus cher en argent public que de se servir sur notre Comptoir du Libre qui met tout ça à disposition gratuitement. Et là on arrive plutôt à 15 000 collectivités concernées par les outils de l’ADULLACT.
Alors vous voyez, via la petite lorgnette de l’ADULLACT, finalement j’arrive à un phénomène grossissant où je suis passé de 300 à 15 000 grâce au fait que c’est du logiciel libre et que ça se partage.
Évelyne Jardin : Oui. Donc il y a un effet de levier qui est généré par le logiciel libre. On voit aussi qu’il y a des territoires qui sont quand même assez en pointe et qui l’ont été depuis assez longtemps comme, je dirais, toute la façade ouest de la France. Mais certaines collectivités ne sont pas particulièrement en avance, suivez mon regard. Est-ce que vous venez titiller aussi certaines collectivités qui ne vous contactent pas ? Ou vous laissez venir à vous ?
Pascal Kuczynski : Vous savez, l’association avec ses petits moyens, nous ne sommes que neuf permanents au sein de l’association dont des alternants, enfin bref ! on a un nombre de mains limité et donc de bouches pour parler au téléphone et de bras pour et de jambes pour se déplacer sur le territoire national, ce qui fait qu’on ne peut voir tout le monde tout le temps. On aime à dorloter nos membres, donc à aller les voir régulièrement pour savoir si tout va bien, de quoi ils ont besoin, pour initier de nouveaux services, pour initier de nouvelles initiatives, comme on vient de le voir, et répondre à leurs attentes ; tant que faire se peut rencontrer, effectivement, de nouvelles collectivités. J’adorerais être invité par la mairie de Nanterre pour venir vanter les mérites de l’association ADULLACT et ce qu’ils pourraient en retirer.
Évelyne Jardin : Merci beaucoup Pascal Kuczynski pour cette invitation qu’on retransmettra à notre élu Gilles Gauché-Cazalis puisque cette émission aura une suite. En effet, nous serons accueillis au centre social et culturel Parc en ciel vendredi 16 mars à 18 heures, pour poursuivre cette discussion autour des logiciels libres et des collectivités territoriales. Donc nous accueillerons au micro notre adjoint au maire Gilles Gauché-Cazalis, responsable du numérique. Merci beaucoup, Monsieur Kuczynski, de vous être déplacé de Montpellier pour nous parler de toutes ces choses bien passionnantes. Merci.
Pascal Kuczynski : Merci à vous. À bientôt.