- Titre :
- La trépidante histoire du droit d’auteur - La crise
- Intervenant :
- Olivier Le Brouster de l’association Grésille
- Lieu :
- Ateliers de l’Information - Auditorium de la BU Sciences du campus de Saint-Martin-d’Hères
- Date :
- Juin 2014
- Durée :
- 42 min
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
Description
Le droit d’auteur est forcé de changer. Ses conditions d’existence ne tiennent plus : il est remis en cause par la possibilité de s’abstraire du support physique des œuvres, et de copier celles-ci pour un coût négligeable. L’industrie du divertissement l’a bien compris et déploie une énergie importante pour contrôler la distribution culturelle sur ce nouveau média. Si Internet et l’informatique révolutionnent la création, ils fournissent aussi aux industries du divertissements des moyens de contrôle pour préserver leur position et s’opposer à cette révolution. Dans cet atelier, nous aborderons cette crise et l’évolution de la création culturelle.
Transcription
Bonjour. Pour commencer, je vais vous présenter rapidement l’association Grésille [1], dans laquelle je donne cet exposé. Grésille est une association qui a pour objectif de porter une critique autour d’Internet et de l’informatique, à Grenoble essentiellement. Et pour cela, on se donne deux axes. Le premier, c’est d’essayer de nous réapproprier les outils sur Internet : les boîtes mails, les listes de diffusion, l’hébergement de sites web. Et le deuxième axe, c’est d’essayer de faire ce qu’on appelle un peu d’agitation politique en donnant des ateliers, des conférences ou des exposés comme celui-ci.
Mon exposé fait suite à celui de Louis, qu’il a donné la semaine dernière, en parlant de phrases chocs autour du droit d’auteur [2]. Et moi, je vais essayer de me concentrer, un peu, sur le droit d’auteur et Internet. Et je vais essayer de vous expliquer en quoi il y a une crise.
Pour commencer mon exposé, je vais vous parler d’un bonhomme qui s’appelle Aaron Swartz [3], qui est mort il y a un peu plus d’un an, en janvier 2013. Il s’est donné la mort dans son appartement, à Brooklyn. Et Aaron était un activiste, c’était un passionné d’informatique, c’était un hacker. Pardon ! C’était un passionné d’informatique et c’était aussi un activiste. Il militait pour différentes causes et, entre autres, il se battait contre les utilisations injustes du droit d’auteur.
Il se trouve que Aaron Swartz était étudiant au MIT et, qu’à ce titre-là, il avait accès à une base de données d’articles scientifiques, qui s’appelle JSTOR, et JSTOR diffuse des articles scientifiques de manière privée, enfin commerciale. Pour accéder aux articles de JSTOR, il faut payer sauf, parfois, comme lorsqu’on est étudiant au MIT. Et les chercheurs qui publient des articles via JSTOR ne sont absolument pas rémunérés. Aaron Swartz considérait que c’était une utilisation du droit d’auteur injuste, notamment parce que c’était une manière d’organiser de la rareté sur du savoir scientifique. Il avait donc entrepris de diffuser publiquement l’ensemble du contenu de cette base de données, et il a essayé de télécharger l’ensemble du contenu. Il a réussi. Cependant, ça a alerté JSTOR qui a lancé une enquête. C’est allé assez haut puisque le gouvernement fédéral a été alerté et le FBI a mené une enquête. Voyant la chose, Aaron Swartz a rendu tout le matériel qu’il avait téléchargé à JSTOR. JSTOR a cessé ses poursuites, mais le gouvernement fédéral a continué. Aaron Swartz a été arrêté, puis il a été relâché sous caution. Ses actes ont été requalifiés en crimes et il risquait une amende colossale et une peine de prison de 30 ans, je crois. Deux mois après sa mort, allait se dérouler ce procès-là. Et sa famille nous dit que c’est une raison très importante dans son choix de se donner la mort.
Pourquoi je vous parle de ça ? Je vous parle de ça parce que c’est une histoire qui montre à quel point le droit d’auteur est devenu un enjeu très important et amène des États, des entreprises, à créer des situations très inquiétantes. Et tout mon exposé va s’attacher à essayer de caractériser cette situation où, au final, on vit une espèce de crise du droit d’auteur.
Je vais commencer par essayer de vous faire un tout petit topo sur le droit d’auteur. D’abord, pour qu’il y ait droit d’auteur, il faut une œuvre de l’esprit. Une œuvre de l’esprit, ce n’est pas défini dans la loi, mais des exemples sont donnés : ça va du livre jusqu’au vêtement, en passant par des pièces de théâtre ou des logiciels.
Ensuite, dans le droit d’auteur, on distingue deux grandes branches. Il y a d’abord les droits moraux, qui sont inaliénables et perpétuels. Inaliénables, ça veut dire qu’on ne peut pas les céder, l’auteur ne peut pas céder ces droits-là, et perpétuels, c’est qu’ils durent à l’infini. Je ne vais pas vous détailler trop les droits d’auteur parce qu’on n’a pas beaucoup de temps, mais, dans ces droits moraux, il y a notamment le fait de revendiquer la paternité de l’œuvre. C’est quelque chose qu’on ne peut pas enlever à l’auteur. Il y a aussi le droit de première divulgation, le droit de retrait, etc.
La deuxième branche du droit d’auteur, ce sont les droits patrimoniaux. Ceux-là sont cessibles et temporaires. Donc c’est complètement à l’opposé des droits moraux. Dans les droits patrimoniaux, on retrouve le droit de reproduction, enfin, le privilège de reproduction, c’est-à-dire ce qui permet à un auteur d’être le seul à pouvoir faire des copies de l’œuvre. Et le privilège de reproduction [NdT, représentation], ce qui permet à l’auteur d’être le seul à pouvoir faire des exécutions de l’œuvre, le fait de projeter un film, chanter une chanson, etc.
Dit comme ça, on s’imagine bien que ça ne marche pas et il y a tout un tas d’exceptions au droit d’auteur, qui permettent de créer un équilibre entre l’auteur et les usages des œuvres. Ça va être, par exemple, le droit pour une bibliothèque de traduire une œuvre en braille, c’est ce qu’on appelle l’exception pour handicap ; ou ça va être, par exemple, le droit de citation qui permet, sans demander à l’auteur, de faire une citation d’une œuvre ; ça va être la copie de sauvegarde, copie privée. Il y a des multitudes d’exceptions.
Je vais aussi vous définir un terme que je vais utiliser par la suite. Je disais que les droits patrimoniaux sont cessibles et quand on cède les droits patrimoniaux à quelqu’un, ce quelqu’un devient un ayant droit. Un ayant droit est une personne à qui on a cédé les droits patrimoniaux, qui n’est pas auteur de l’œuvre. C’est assez important.
Le droit d’auteur est né au 18e siècle et, depuis le 18e siècle, on constate une croissance de l’importance des droits patrimoniaux pour, essentiellement, deux raisons. La première raison, c’est une raison technologique, qu’on peut résumer sur une thèse qui est développée par quelqu’un qui s’appelle Lawrence Lessig [4], qui est professeur de droit aux États-Unis, et qui dit qu’à la fin du 20e siècle on est arrivé dans un mode de développement de la culture « en lecture seule ». Il explique cela par l’évolution de la technologie : avant le phonographe, massivement, pour diffuser des œuvres, il fallait se les réapproprier et en faire une représentation. Avec l’arrivée du phonographe, puis de la radio et de la télévision, en fait, ce ne sont plus les humains qui transmettent les œuvres, mais la technologie. Et c’est un changement qui est très important. On est arrivé à une situation où quelques acteurs possèdent les moyens de diffusion de la culture. Ces acteurs-là sont massivement des ayants droit et, on va dire des consommateurs, même si je n’aime pas ce terme-là, qui sont passifs. Ça change comment est construite la culture.
La deuxième raison, c’est le cadre légal qui a changé. Le droit d’auteur, la structure du droit d’auteur, n’a pas tellement changée, par contre, elle s’est énormément complexifiée. Un des points notables, c’est que la durée des droits patrimoniaux a augmenté d’une manière très importante. Je vais parler seulement du cas de la France, mais quand le droit d’auteur est apparu, la durée des droits patrimoniaux, je vous disais que les droits patrimoniaux étaient temporaires, la durée des droits patrimoniaux était de 5 ans après la mort de l’auteur. Actuellement c’est uniformisé, notamment via un organisme qui s’appelle l’OMPI [5] au niveau mondial, et massivement et de manière générale, la durée des droits patrimoniaux est de 70 ans après la mort de l’auteur. Donc ça, c’est un gros changement.
Ces deux raisons-là nous amènent à une situation où, au final, on a l’impression qu’il y a un certain renversement du droit d’auteur, où ce n’est plus l’auteur qui est au centre de ces droits-là mais l’ayant droit. Le droit d’auteur, à la base, était prévu pour protéger les auteurs des commerçants. À la fin du 20e siècle et encore maintenant, le droit d’auteur protège massivement les ayants droit des consommateurs. C’est massivement son utilité.
L’informatique et Internet arrivent dans ce contexte-là, à la fin du 20e siècle, et ils viennent donner un coup de pied dans la fourmilière pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’Internet et l’informatique rétablissent massivement un mode de diffusion de la culture en « lecture/écriture », pour reprendre l’expression de tout à l’heure. Le fait qu’il y ait une certaine réciprocité sur Internet, qu’il soit très facile, pour n’importe qui, de publier du contenu, change forcément la manière avec laquelle est diffusée la culture. Les gens qui possédaient les moyens de diffusion, qui possédaient les canaux de télévision, voient leurs pouvoirs énormément remis en cause par l’arrivée d’Internet, pour cette raison-là.
Ensuite, un deuxième point qui vient perturber beaucoup la donne, c’est l’obsolescence de certaines activités, notamment toutes les industries qui visent à poser sur des galettes plastiques des œuvres. On a trouvé un moyen plus efficace et moins coûteux que ça. Du coup, ces industries-là tendent à, peut-être pas forcément disparaître parce que, dans l’histoire de l’humanité, quand il y a eu des révolutions les industries qui devenaient obsolètes ne disparaissaient pas forcément totalement, mais, en tous cas, il y a une forte crise dans ces industries-là.
Une troisième raison, c’est le fait que, globalement, on assiste à un partage massif de toute œuvre numérisée sur Internet. Ça, ça bouleverse aussi beaucoup les modes de diffusion de la culture et ça remet en cause la posture qu’avaient et qu’ont encore partiellement les ayants droit à la fin du 20e siècle.
Vous imaginez bien que ces ayants droit, qui avaient acquis une posture de pouvoir très importante, se défendent et organisent, depuis le 21e siècle, une riposte assez importante, même plusieurs ripostes. Il y a une citation de Mark Getty, qui est le PDG d’un des plus grands ayants droit sur des images, qui dit : « La propriété intellectuelle est le pétrole du 21e siècle ». J’aime bien cette citation parce qu’elle dit deux choses. Elle dit, premièrement, que les droits patrimoniaux tendent à disparaître. Ça, à mon avis, c’est plutôt une bonne nouvelle. La deuxième chose qu’elle dit, c’est qu’on est, en quelque sorte, en guerre sur cette question-là et que les ayants droit vont essayer de s’accaparer cette ressource rare qui est la propriété intellectuelle et qui tend à disparaître. On est en guerre, mais ce n’est pas sûr qu’on en sorte indemnes et que la diffusion de la culture, au final, en ressorte grandie. La riposte que mènent les ayants droit est multiple.
Il y a une riposte morale, je ne vais pas m’étendre, Louis en a parlé bien, très bien, la dernière fois, notamment sur la phrase choc « Pirater, c’est voler ».
Il y a ensuite une riposte juridique. Depuis les années 2000, on voit apparaître une multitude de lois qui visent toutes à criminaliser les pratiques de partage ou à renforcer les procédés technologiques qui visent à restreindre les droits numériques.
Ensuite, on assiste à une riposte judiciaire. L’exemple sur lequel j’ai commencé cet exposé l’illustre bien. Il y en a des tonnes. Si cela vous intéresse, on en reparlera tout à l’heure, pendant les questions.
Et enfin, la riposte qui est peut-être la plus importante, c’est la riposte technologique. On a commencé à voir apparaître ça avec ce qu’on appelle les DRM. DRM, ça veut dire Digital Rights Management, en français gestion des droits numériques [NdT, gestion numérique des droits]. Ça va de choses assez simples comme la gestion des zones géographiques sur les DVD. Je ne sais pas si vous vous souvenez, maintenant c’est moins présent, mais quand les DVD sont arrivés, la planète a été découpée en zones. Les appareils qui étaient capables de lire les DVD étaient associés à une zone et les DVD étaient aussi associés à une zone et si les deux ne correspondaient pas, on ne pouvait pas lire les DVD. Ça c’est un exemple de DRM. Il y a des exemples un peu plus compliqués et beaucoup plus poussés. Comme, par exemple, les liseuses des livres électroniques. Je vais donner une anecdote pour que vous compreniez. Amazon, via sa liseuse des livres électroniques Kindle, permet d’acheter des livres et notamment, a permis, pendant un moment donné, d’acheter le livre 1984 de Georges Orwell. Un certain nombre de gens ont acheté ce livre sur leur liseuse. Il se trouve que Amazon s’est rendu compte qu’ils n’avaient pas les droits de vendre ce livre-là. Un beau jour, les gens qui avaient acheté le livre, en fait, se sont retrouvés à ne plus pouvoir le lire sur leur liseuse. Ce qui s’est passé, en fait, c’est que les gens n’avaient pas acheté le livre : ils avaient acheté un droit, limité, de représentation du livre sur leur liseuse. Les DRM ça sert à ça. Ça sert à contrôler les droits sur des ordinateurs, sur des téléphones, sur des appareils électroniques.
C’est très problématique, notamment parce que l’environnement numérique confère un pouvoir de contrôle bien plus important que dans un environnement analogique. La copie est au cœur de tout, du fonctionnement de tout appareil numérique. Le droit d’auteur, qui régule spécifiquement la copie, prend une proportion énorme dans un environnement numérique. Ça, c’est très problématique. En plus, il y a une autre problématique qui est la question de qui fait la loi ? Qui garantit les droits ? Si, à un moment donné, ce sont vos appareils électroniques qui décident si vous pouvez, ou pas, faire telle ou telle chose, ça pose un vrai problème.
Toujours la même personne, Lawrence Lessig, a développé une thèse qui s’appelle Code is law, dans laquelle il dit une chose intéressante et je vais vous lire une citation de Michael Kirby, qui est juge suprême en Australie, et qui a essayé de résumer un peu cette pensée et il dit : « Nous sommes à un point de l’histoire où, de plus en plus, la loi sera explicitement exprimée non pas dans des textes, [discutés et validés par les institutions australiennes] mais dans la technologie elle-même […]. Embarquée dans les objets, valable sur le plan international, effective à travers les frontières, la loi s’appliquera, appliquée par la technologie elle-même. C’est une évolution nouvelle et très importante. Elle n’a pas été initiée par les législateurs d’une façon démocratique. Il ne s’agira pas de régler des équilibres et d’ajuster la balance entre les usages libres de droit, les usages légitimes, la liberté d’expression et la protection des droits d’auteur. Cela ne se fera pas ainsi. Cela se fera dans les grandes entreprises, qui protégeront leurs intérêts. »
ÇA, c’est pour essayer de bien vous faire comprendre ce qui est en train de se passer. Ce qui est en train de se passer, c’est que les usages qu’on peut faire des œuvres, vont être décidés par les gens qui fabriquent nos outils. Les juges, la justice de manière générale va tendre à être moins importante sur cette question-là.
Pour terminer mon exposé, je vais vous parler de l’informatique de confiance, qui illustre bien ça. À la base, l’informatique de confiance, c’est cette idée que nos appareils électroniques, nos ordinateurs, nos téléphones portables, nos tablettes, sont dans un environnement sujet à de nombreuses attaques informatiques, à des virus, etc., et il s’agit de vouloir protéger ces outils-là contre du code malicieux. Ça paraît quelque chose de très louable. Sauf que, si on regarde de plus près, on s’aperçoit que les gens qui portent cette dynamique-là, ce sont les principaux constructeurs de matériel, associés aux principaux éditeurs de logiciels et de contenus. Ils se sont réunis dans un consortium qui s’appelle Trusted Computing Group, depuis une petite dizaine d’années. Leur volonté c’est de, petit à petit, installer des procédés de chiffrement à l’intérieur de nos ordinateurs, de nos téléphones, etc., pour empêcher l’exécution de logiciels qui n’auraient pas été validés par le constructeur du matériel. Donc, sur une base matérielle, l’idée c’est que votre téléphone, ou ordinateur, ou tablette, n’exécutera plus du code qui n’aura pas été signé par son fabriquant. Ça pose un réel problème, parce qu’on imagine bien que des fabricants comme AMD, HP, ou Intel, ou autre, autoriseront sur la base de contrats qu’ils auront passés avec les éditeurs de contenus ou de logiciels. L’idée qu’il y a derrière ça c’est, en fait, de contrôler toute la chaîne de diffusion, de la source jusqu’à votre écran et d’empêcher, sur une base matérielle, qu’on puisse faire d’autres choses avec les œuvres que ce qui aura été décidé par les ayants droit, plus exactement. Pas par les auteurs, parce que les gens qui ont du pouvoir sur la diffusion des œuvres, ce ne sont pas les auteurs, ce sont les ayants droit actuellement, dans la société dans laquelle nous sommes.
Ça pose vraiment le problème de confiance. C’est-à-dire que l’idée, à la base, qui était louable, d’empêcher de faire fonctionner des logiciels néfastes, en fait, c’est une idée qui ne marche pas, parce qu’elle repose sur un principe où ce n’est pas vous qui décidez si le logiciel est néfaste ou pas, c’est le fabriquant de logiciel [NdT, de matériel]. Si ça vous intéresse, il y a un article qui été écrit par Stallman, qui s’intitule Pouvons-nous faire confiance à nos ordinateurs, qui est assez intéressant sur ce sujet.
Je vais finir par vous donner deux exemples, qui sont liés à l’informatique de confiance, des exemples que vous avez peut-être rencontrés. Le premier, c’est la norme HDCP [6]. La norme HDCP, c’est quelque chose qui est apparu avec, je ne sais pas si ça vous parle, les prises DVI et HDMI, qui sont les successeurs des prises VGA, derrière nos ordinateurs. Ce sont des prises qu’on retrouve derrière nos ordinateurs, mais aussi derrière des lecteurs de salon et sur des téléviseurs, comme sur des écrans. Ces normes-là permettent une autre norme, qui s’appelle donc HDCP, et dont l’objet est de chiffrer le flux d’informations entre le lecteur et l’écran. Et l’idée qu’il y a derrière, c’est d’empêcher qu’on puisse reproduire l’œuvre qui est lue. Ce qui se passe : en fait, si, par exemple, vous avez un lecteur HDCP et un écran pas HDCP, c’est que soit le contenu est dégradé — si vous avez, par exemple, une œuvre qui peut être lue en 1080p ou en 720p, elle sera lue dans une qualité bien plus médiocre — ou pire, l’œuvre ne se lit pas du tout. En fait, HDCP c’est encore présent, mais les clés de chiffrement qui sont à la base de ce protocole-là ont été dévoilées et un grand nombre de fabricants se sont mis à faire du matériel qui contourne cette norme-là.
Un autre exemple, plus questionnant, et qui, lui, va vraiment plus proche de ce qu’est l’informatique de confiance, c’est ce qui est appelé secure boot et qui est quelque chose qui est porté par Microsoft. Au démarrage de nos ordinateurs, il y a un petit programme qui est exécuté, qui est le premier programme. Jusqu’à il n’y a pas très longtemps, ce programme c’était ce qu’on appelait le BIOS. Récemment, il a été remplacé par un nouveau programme, et ce programme implémente donc cette norme secure boot, dont l’unique objectif est de faire en sorte que les seuls systèmes d’exploitation qui puissent être chargés derrière, ce sont les systèmes d’exploitation qui auront été signés par Microsoft. Sur votre ordinateur, il y a des clés de chiffrement, qui disent « ce système d’exploitation est homologué secure boot ». Actuellement, il y en a deux.
Vous imaginez bien que ça pose un vrai problème sur l’informatique et, notamment, au niveau des logiciels libres. C’est quelque chose qui est optionnel. Je ne suis pas utilisateur de Windows 8, parce que ça apparaît dans Windows 8, et je ne serais pas étonné qu’il y ait des usages de Windows qui soient bridés si cette fonctionnalité n’est pas activée. Pour l’instant, ça reste optionnel. Mais enfin, l’informatique de confiance avance, petit à petit. L’informatique de confiance c’est un vrai problème, et on peut se poser la question de « qu’est-ce qui se passerait si l’informatique de confiance gagnait ? Si c’était vraiment le monde dans lequel on vivait ? » Les anecdotes, je n’en ai pas citées beaucoup, parce que je n’ai pas beaucoup de temps, mais les anecdotes qu’on voit ici ou là autour du droit d’auteur, en fait ne seraient plus des anecdotes. Par exemple :
- Facebook qui interdit la diffusion d’un tableau sur son réseau social, ça deviendrait quelque chose de courant.
- Apple qui impose régulièrement sa morale sur ses outils, ça deviendrait quelque chose de courant.
- Amazon qui retire un livre parce qu’il se rend compte qu’il n’a plus les droits et ses utilisateurs ne peuvent plus lire le livre, ça deviendrait quelque chose de courant.
- Google ne permettrait que de rechercher dans du contenu homologué. C’est déjà en partie le cas, il y a des tonnes de contenus dans lesquels on ne peut pas chercher sur Google.
- Encore, Google vous imposerait de monétiser des vidéos sur sa plate-forme YouTube, et vous n’auriez probablement pas beaucoup d’autre choix pour diffuser des vidéos.
- Microsoft aurait réussi à tuer les logiciels libres.
- Disney continuerait… Ah oui, je ne vous ai pas dit la petite anecdote. Je vous ai dit que la durée des droits patrimoniaux avait augmenté. En fait, ce qui se passe, à chaque fois, quand elle augmente, c’est qu’il y a un lobbying énorme par les ayants droit pour augmenter les droits d’auteur, pour éviter que leurs œuvres ne s’élèvent dans le domaine public. Et à un tel point que ces lois-là, aux États-Unis d’Amérique, on les a appelées les lois Disney, les lois Mickey. Disney pourrait continuer à se réapproprier la culture populaire pour en faire quelque chose de propriétaire.
- Et etc.
Voilà. Merci.
Applaudissements
- Public :
- Est-ce qu’on trouve secure boot sur tous les ordinateurs actuellement ?
- Olivier :
- Oui. Je disais que, jusqu’à il n’y a pas très longtemps, le programme qui démarrait les ordinateurs s’appelait BIOS. En fait, il est remplacé par un autre programme qui s’appelle UEFI [7]. Dans la version qui est installée de base sur tous les ordinateurs qui sont diffusés actuellement, existe la possibilité d’activer secure boot. Ça va être la personne qui fabrique et qui configure le BIOS, donc le fabricant. Ça peut être désactivé manuellement, actuellement. Ce n’était pas le projet au départ, et ce n’est certainement pas le projet. le but, c’est de verrouiller le système qui peut être exécuté sur l’ordinateur, ou sur le téléphone.
- Public :
- Est-ce que ça existe aussi sur les Mac ?
- Olivier :
- Non, je ne suis pas sûr. Effectivement, ça ne m’étonnerait pas beaucoup. Je ne sais pas. Je ne suis pas sûr que ça existe sur les Mac. UEFI, c’est quand même une norme, comme toutes les normes à ce niveau-là, qui met du temps à apparaître. À mon avis, si ça n’existe pas sous Mac, ça va exister dans pas très longtemps.
- Public :
- Est-ce qu’il existe une solution pour redonner du pouvoir aux auteurs ?
- Olivier :
- C’est une vraie question. Oui, il en existe. Il existe des solutions légales et illégales. Dans les solutions légales, il y a de repenser l’économie autour du droit d’auteur. Il y a beaucoup de manières de financer les auteurs d’une œuvre. Je peux en donner quelques exemples. Il y a, par exemple, ce qu’on appelle le financement participatif. Il y a, depuis quelque temps, des plateformes qu’on appelle de crowdfunding, qui apparaissent sur Internet et qui permettent de financer, à priori, un projet sur la base d’une intention. C’est une manière de se détacher des ayants droit dont je parlais. Il y a, par exemple, tout ce qui est licences libres, qui peuvent être associées à ce type de financement. Tout ce qui est licences libres qui vont préserver le cadre de diffusion d’une œuvre, qui vont empêcher des gens de se réapproprier une œuvre pour en faire quelque chose, enfin qui vont empêcher quelqu’un de devenir propriétaire des droits d’une œuvre et d’empêcher des usages de cette œuvre-là. D’autres solutions, d’autres manières de repenser l’économie d’une œuvre, ça va être d’axer la diffusion d’une œuvre sur son premier droit de divulgation et d’essayer de décorréler la possibilité de partager une œuvre avec le fait de la diffuser, en gros. Ça peut être par les dons, par exemple. Enfin bon voilà.
- Public :
- Est-ce que les droits moraux et les droits patrimoniaux existent juridiquement ?
- Olivier :
- Oui. Ils existent juridiquement. La différence entre les droits moraux et les droits patrimoniaux, ça va être leurs caractéristiques. Par exemple, ce que je disais tout à l’heure, les droits moraux sont perpétuels et inaliénables. Les droits patrimoniaux sont cessibles et temporaires. Après, dans les types de droits qu’il y a dedans, les droits patrimoniaux ça va être essentiellement ce qui va être utilisé actuellement majoritairement pour monétiser une œuvre. Ce sont le privilège de représentation et le privilège de reproduction. Il y a d’autres choses dans les droits patrimoniaux, mais c’est essentiellement ça.
Les droits moraux, il va y avoir dedans le droit à la paternité : le fait d’associer une personne à une œuvre, le fait qu’elle en est l’auteur. Il va y avoir le droit de première divulgation de l’œuvre. Il va y avoir le droit de retrait : le fait d’imposer à ce qu’une œuvre ne soit plus diffusée, sous contrepartie financière, probablement. Il y en a d’autres. C’est ce type de droits-là. Ça répond à ta question ?
- Public :
- Est-ce que tu peux détailler la nouvelle politique concernant la diffusion de contenus sur Google ?
- Olivier :
- Sur YouTube, peut-être ? Je ne suis pas au courant des détails, du coup je ne peux pas en parler précisément. Je peux parler quand même, un petit peu, du mécanisme mis en place par Google là-dessus, qui existe depuis le début, en fait. Parce que l’activité de Google, enfin de YouTube, n’est pas de diffuser des vidéos. L’activité de YouTube c’est de vendre des espaces publicitaires. Ça, c’est son activité principale. Il se trouve qu’ils ont trouvé que les vidéos c’était un bon moyen. Depuis le début, Google a un algorithme qui s’appelle Content-ID, depuis que YouTube existe, en tout cas depuis que Google l’a racheté, il y a un algorithme qui s’appelle Content-ID, qui permet de rechercher des similitudes entre le contenu qui est publié et une base de données fournie par des ayants droit. C’est quelque chose qui est automatique : à chaque fois qu’une vidéo est publiée, il y a cet algorithme qui tourne et il peut se passer plusieurs choses. Selon la gravité qui est décrétée par cet algorithme, soit il peut y avoir ce que Google appelle un avertissement, qui n’est pas forcément visible pour la personne qui publie la vidéo. Et, au bout d’un certain nombre d’avertissements, la personne se voit contrainte de ne plus du tout, par exemple, mettre d’extraits d’œuvres protégées par des ayant droit dans sa vidéo. Ou on lui demande de ne pas faire de vidéos de plus d’une certaine durée. Ça c’est une chose qui peut se passer. Et la deuxième chose qui peut se passer, c’est qu’on vous oblige de, soit retirer votre œuvre, soit d’y mettre de la publicité, ce qui est l’activité première, quand même, de cette plateforme-là, dont les revenus iront aux soi-disant ayants droit de ce que vous avez publié. Mais c’est assez grave ! C’est-à-dire qu’actuellement, sur YouTube, le droit de citation n’est pas respecté.
- Public :
- Est-ce qu’il y a une loi qui dit que toute œuvre est libre jusqu’à une vingtaine de secondes ?
- Olivier :
- Je ne connais pas les détails. Je pense qu’il s’agit d’exception pour citation, par rapport aux droit patrimoniaux. Après, je ne connais pas les détails pour les œuvres audio-visuelles, qui caractérisent l’exception pour citation.
- Public :
- Est-ce que la distinction entre droits moraux et droits patrimoniaux est quelque chose d’international ou est-ce que c’est spécifique au droit français ?
- Olivier :
- En fait, c’est spécifique au droit français. Je ne sais pas si dans l’unification il n’y pas des bouts de droits moraux qui ont été rapportés, mais en tous cas, c’est quelque chose qui est fortement lié au droit français. Le droit de paternité, par exemple, c’est quelque chose qui est français.
- Public :
- Qui sont les ayants droit ?
- Olivier :
- Un ayant droit n’est, par définition, pas un auteur. L’ayant droit est la personne à qui l’auteur a cédé ses droit patrimoniaux. Du coup, ça va être des gens comme, si on veut parler des gros, ça va être les gens qui participent à des syndicats comme la MPAA — Motion Picture Association of America. Donc, ça va être des producteurs de films, les gros producteurs de films ou les grosses majors. Ça, ce sont des ayants droit et ce sont les principaux gros ayants droit. YouTube est probablement, je n’ai pas regardé précisément les contrats qui sont passés avec les gens qui publient des vidéos sur YouTube, mais YouTube est probablement un ayant droit.
- Public :
- La question des droits moraux et des héritiers de l’auteur.
- Olivier :
- Effectivement, je ne peux pas te répondre là-dessus. Effectivement, le droit au respect à l’intégrité d’une œuvre est un droit moral, si je ne me trompe pas. Les héritiers peuvent faire respecter ce droit-là ; je ne sais pas après, juridiquement, si les céder ou pas. Cela s’est déjà vu : par exemple, je ne sais plus en quelle année c’était, mais les héritiers de Victor Hugo ont tenté et ont réussi à interdire une suite ou plusieurs suites même, des Misérables, sous prétexte que les suites ne respectaient pas l’intégrité de l’œuvre. Donc oui, c’est possible.
- Public :
- Question d’une œuvre de Houellebecq qui utilisait beaucoup de citations de Wikipédia et du fait que cette œuvre a été publiée sur Internet sous ce prétexte-là.
- Olivier :
- Je ne connais pas l’affaire, du coup, je ne peux pas tellement en parler.
- Question du public :
- Est-ce qu’il existe des avancées politiques ou sociétales sur la problématique que la technologie prend le pas sur le politique ?
- Olivier :
- Il y a quelques victoires sur ce front-là. Je peux notamment citer la victoire qui a eu lieu contre ACTA au niveau européen. ACTA, cest un traité qui a été négocié en secret entre différents pays et qui est arrivé au Parlement européen. Il y a eu toute une discussion, il y a eu une bataille autour de ce traité-là parce que notamment, alors ACTA c’est énorme, mais dans ce traité-là, il y avait un ensemble de choses qui visaient à rendre responsables les intermédiaires techniques vis-à-vis de certains crimes, je ne sais pas, mais en tout cas, de certains usages non légaux. C’était très vicieux, parce que l’idée c’était de donner plus de pouvoirs aux intermédiaires techniques pour faire le travail de la justice. C’était problématique sur le plan de l’informatique, par rapport, par exemple, à tous les hébergeurs, qui se retrouvaient à devoir appliquer des choses avant même que ce ne soit passé par la case tribunal. Et c’était aussi problématique pour tout ce qui est semences agricoles ou médicaments génériques. ACTA n’a pas réussi à passer au niveau européen. Sur ce sujet-là, il y a une association, qui est plus sur le plan informatique, qui s’appelle La Quadrature du Net [8], qui a fait un énorme travail de lobbying. Ils sont en partie responsables, c’est en partie grâce à eux qu’on n’a pas ACTA au niveau européen.
Applaudissements
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