- Titre :
- La place du logiciel libre dans la société
- Intervenants :
- Adrien Blind - Sébastien Dinot - Pierre-Yves Gosset - Jean-Baptiste Kempf - Christophe Sauthier - David Keribin - Lionel Porcheron
- Lieu :
- Toulouse - Capitole du Libre
- Date :
- novembre 2017
- Durée :
- 1 h 35 min
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- copie d’écran de la vidéo
- transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l’April.
Transcription
David Keribin : Allez, c’est parti. Bonjour à tous. Je suis heureux d’être là avec vous aujourd’hui. Je me présente très rapidement et on va surtout laisser la place aujourd’hui aux intervenants sur cette table ronde. Je vous rappelle le thème de cette table ronde, c’est donc « La place du logiciel libre dans la société ». Je m’appelle David Keribin, je suis le fondateur d’une société qui s’appelle CityMeo et, dans mon quotidien, j’utilise Android, Tyson, Microsoft Office, Mac OS X, Slack, Google Apps, mais aussi VLC. Donc je suis un peu un utilisateur du Libre, mais aussi là pour faire réagir les intervenants autour de cette table et je vais laisser Christophe Sauthier se présenter.
Christophe Sauthier : Merci. Vous pouvez l’applaudir quand même.
[Applaudissements]
Il faut en profiter parce qu’après, ses questions, on ne va pas les aimer. Donc Christophe Sauthier : je suis le fondateur d’une société qui s’appelle Objectif Libre] [1]. Comme le nom l’indique on travaille dans le logiciel libre avec uniquement, quasiment, de la transformation vers le cloud. J’ai un passif et un passé de libriste convaincu puisque j’ai été président d’Ubuntu-FR pendant huit ans et je suis un des cofondateurs de Capitole du Libre.
[Applaudissements]
Jean-Baptiste Kempf : Ils ne vont pas applaudir à chaque fois ! Donc moi je suis, comme vous voyez, avec le chapeau ; je suis le président de VideoLAN [2] ; je bosse sur VLC depuis 12 ans et j’ai géré le projet et guidé le projet. Je suis plutôt geek, mais, pour survivre dans le Libre, moi j’ai monté une start-up autour du Libre.
[Applaudissements]
Adrien Blind : Pour ma part je m’appelle Adrien Blind, je travaille dans une grande banque comme Thought Leader, en gros un évangéliste technologique. À côté de ça, je suis Docker Captain et j’anime plusieurs meet-up ou co-anime comme les meet-up Docker, Kubernetes, Serverless sur la place parisienne.
[Applaudissements]
Sébastien Dinot : Bonjour. Sébastien Dinot. Au niveau professionnel, je conseille mon entreprise, une ESN, qui s’appelle C-S, sur le Libre dans ses quatre dimensions technique, économique, juridique et communautaire. Et, au niveau privé, j’ai été pendant 13 ans au conseil d’administration de l’April [3]
, j’en ai été vice-président, et je suis un contributeur massif d’OpenStreetMapOpenStreetMap.
[Applaudissements]
Pierre-Yves Gosset : Je suis le dernier. Donc Pierre-Yves Gosset ; je suis directeur et délégué général de l’association Framasoft [4], qui promeut le logiciel libre et la culture libre, et coordinateur des campagnes « Dégooglisons Internet » et de la campagne « Contributopia ».
[Applaudissements]
David Keribin : Pierre-Yves, on va profiter que tu aies le micro, tu l’as déjà c’est bon, tu viens juste de le retrouver. Pour commencer, tout d’abord, on va parler logiciel libre. Inévitablement le terme va être à définir. On va parler aussi open source pendant ce moment. Est-ce que tu peux rapidement nous donner, toi, ta définition de l’open source, du logiciel libre, pour qu’on commence à discuter dessus ?
Pierre-Yves Gosset : Du coup la définition pour moi va être très simple. Le logiciel libre c’est l’open source plus des valeurs éthiques et sociales. Ce qui veut dire que l’open source c’est du logiciel libre moins des valeurs éthiques et sociales.
David Keribin : Très bien. On va continuer avec Jean-Baptiste. Jean-Baptiste, tout à l’heure tu me disais que VLC c’était bien parce que personne ne sait que c’est libre. Est-ce que je peux te lancer dessus pour qu’on commence à parler de qu’est-ce que c’est que le logiciel libre vraiment dans la société avec le nombre d’utilisateurs que peut avoir VLC ?
Jean-Baptiste Kempf : Tu tapes directement tout de suite, toi ! Cash ! En fait, ouais, c’est vrai que je dis ça souvent. En fait, les gens utilisent VLC parce que VLC c’est bien et après, ils savent que c’est libre ou, la plupart du temps, ils ne savent pas du tout. Je pense que 99,9999 % de nos utilisateurs n’ont aucune idée que c’est libre. Et c’est vraiment important, c’est qu’il faut qu’on ait un niveau de qualité qui ne soit pas aussi bien mais au moins assez proche. Aujourd’hui il manque beaucoup d’alternatives à plein de logiciels propriétaires, logiciels qui sont parfois juste des services internet complètement propriétaires. Et surtout, pire que propriétaires, il y a les propriétaires dans lesquels on n’a pas nos données et on n’a pas accès à nos données. C’est parfois difficile de vivre de logiciels libres, mais je pense que c’est vraiment important d’aller vers plus de logiciels libres, comme ça, et surtout de faire comprendre aux gens l’utilité du soft. Mais pour arriver à une comparaison avec l’utilité du soft, il faut vraiment qu’on arrive au moins à un niveau de performance qui soit aussi bon. Et ça, c’est vraiment galère !
David Keribin : Et du coup, la sécurité des données c’est quelque chose qui est le plus important, qui pousse à faire du Libre ? Ou est-ce que c’est juste indépendant et un des volets ?
Jean-Baptiste Kempf : Pour moi c’est indépendant. Parce qu’en fait, aujourd’hui, il y a plein de gens qui font du Libre, qui utilisent du Libre dans du cloud et c’est encore pire parce qu’ils utilisent le travail des gens du Libre, ils font tout contre la philosophie ; ils n’ont pas les valeurs comme on venait de dire et on ne peut pas récupérer les données. Et puis, comme en fait tu récupères juste le service, ils trichent complètement. C’est-à-dire que tu te fais complètement avoir et, en plus, tu ne peux pas récupérer tes données, je pense à Google, mais ils ne sont pas les seuls.
David Keribin : Tout à l’heure, Christophe, tu me parlais du paradoxe du pro avec les données libres. Est-ce que tu peux étayer ça parce que ça va dans ce sens ?
Christophe Sauthier : C’est un peu ça. Je trouve qu’aujourd’hui on n’a jamais eu autant d’utilisation du logiciel libre en entreprise. Toutes les entreprises utilisent du logiciel libre ou même en produisent pour beaucoup, mais pourtant, d’un point de vue utilisateur final, plus personne ne s’y intéresse. La majorité des utilisateurs finaux, aujourd’hui, délaissent complètement le côté libre et le côté éthique par simplicité, parce qu’ils se disent de toutes façons j’ai un logiciel, j’ai Chrome aujourd’hui, ça marche bien ; je l’ai sur ma tablette, je l’ai sur mon téléphone, je l’ai sur mon ordinateur, ça me va ! Alors que c’est tout sauf libre aussi et c’est le vrai problème qu’on peut rencontrer pour tous les utilisateurs qui n’utilisent, eux, plus de logiciels libres en tant qu’utilisateur final, alors que tous ces logiciels qu’ils utilisent sont eux bâtis sur des briques open source et beaucoup de logiciel libre.
David Keribin : Avant d’être un utilisateur pro on est un utilisateur particulier. Sébastien, tout à l’heure tu m’expliquais que, à titre personnel, tu étais militant mais que dans ta société, toutes les données ne se reflétaient pas. Est-ce que tu peux détailler ça ?
Sébastien Dinot : Disons que je distingue ma position personnelle, qui est une motivation éthique, de ma motivation professionnelle où là, j’ai un devoir de conseil et je suis un mercenaire dans le niveau professionnel. Donc je ne vais pas forcément forcer les gens qui ne veulent pas faire du Libre à en faire. Je veux qu’ils aient une expérience positive du Libre. Si je sens une volonté, si je sens une ouverture, je vais leur montrer que c’est une carte à jouer et puis, quand je sens que les gens ne veulent pas, je ne vais pas les contraindre ; ça serait un échec, ils auraient une mauvaise expérience parce qu’ils auraient, finalement, tous les mauvais côtés sans bénéficier, puisqu’ils ne joueraient pas pleinement le jeu, ils n’auraient pas les côtés positifs. Donc je saisis toutes les opportunités, mais quand je sens que ce n’est pas la peine, je ne joue pas cette carte-là.
David Keribin : OK ! Comment on lutte sans pour autant générer sa propre mort ? On parlait tout à l’heure de communiquer sur les réseaux sociaux. On évoquait le cas de Diaspora et notamment de Framasoft qui communiquait dessus. Comment aujourd’hui on arrive à communiquer, à rendre pérenne le logiciel libre tout en communiquant sur ce type de réseaux ?
Pierre-Yves Gosset : Je fais une réponse violente : on n’y arrive pas ou très difficilement. Non. Le logiciel libre est un bien commun et donc il faut en prendre soin. Évidemment, on est beaucoup moins nombreux sur un réseau social comme Diaspora. Framasphère qui est notre instance de Diaspora, il doit y avoir à peu près 40 000 inscrits et en gros 10 000 utilisateurs actifs qui viennent vraiment régulièrement poster des informations et échanger dessus. Évidemment c’est peanuts par rapport aux 2 milliards 500 millions d’utilisateurs de Facebook. La question, après, c’est est-ce qu’on fait bien de continuer ou est-ce qu’on laisse tomber ? Et ma réponse est on doit continuer, même si on n’est pas très nombreux, même si c’est plus difficile parce que, encore une fois, sinon on part du principe que Facebook, qui est un énorme contributeur à l’open source et non pas au logiciel libre, propose à travers React et compagnie des solutions libres qui fonctionnent et donc autant tous aller chez Facebook quand bien même c’est un captateur de données absolument monstrueux au niveau planétaire. L’intérêt c’est que chacun va pouvoir choisir quelles vont être les plateformes qui l’intéressent suivant les sujets qui l’intéressent, suivant ce qu’il veut mettre dessus. Et finalement, c’est ce qu’on a tendance à dire à Framasoft, que dans le logiciel libre on s’en fiche que le logiciel soit libre, mais il faut que l’utilisateur le soit et l’utilisateur, sur un réseau social libre, est beaucoup plus libre de ses paroles, de ce qu’il peut dire, dans les échanges qu’il va avoir avec les autres, que sur un réseau tiers comme Facebook. Même si on n’est pas nombreux, venez, rejoignez-nous, pas forcément sur Framasphère mais sur d’autres réseaux et c’est comme ça que, petit à petit, on fera en sorte que le Libre fonctionne.
Christophe Sauthier : Tu rejoins un petit peu ce que disait Sébastien tout à l’heure, c’est de dire quand il rencontre, et j’ai la même position que toi Seb là-dessus, quand je rencontre des gens qui ne vont pas être convaincus ou pour qui le logiciel libre ne serait pas adapté, parce qu’il y a des cas dans lesquels ce n’est pas adapté, il ne faut pas leur imposer. Parce que, au contraire, tu vas les dégoûter !
Pierre-Yves Gosset : Je propose aux gens de venir. Nous sommes une association d’éducation populaire, nous n’imposons aucun choix et même, nous ne jugeons pas. Je veux dire, les gens qui sont sur Facebook, ils peuvent être sur Facebook. L’idée n’est pas du tout de les insulter et de leur dire « quittez Facebook ». On essaye de mettre en valeur quels sont les mécanismes de l’économie de l’attention, de ce qu’on appelle le capitalisme de surveillance, qui font fonctionner Facebook, de façon à ce que les gens puissent avoir un choix éclairé. Après ils viennent sur Framasphère ou ils viennent sur Mastodon ; ils font ce qu’ils veulent. On ne force pas.
Sébastien Dinot : Juste, si je peux me permettre, toi je sais que je ne vais rien t’apprendre, mais le logiciel libre c’est une condition nécessaire, ce n’est pas une condition suffisante. Parce qu’on peut imaginer qu’un jour tous les grands opérateurs, les GAFAM et compagnie, utilisent tous du logiciel libre. Il y a la notion de qui héberge la donnée : est-ce que c’est moi ou est-ce que c’est un opérateur de confiance ou est-ce que c’est une entité que je ne connais absolument pas ? Et ce sont des questions différentes et vous luttez sur ce point-là à Framasoft ; vous invitez les gens à s’auto-héberger. ce n’est pas qu’une question de… [logiciel libre, NdT]
David Keribin : Et comment on arrive à atteindre la masse critique qui va permettre d’être une société qui va compter et qui va permettre de devenir pérenne et vraiment d’amener les utilisateurs sur notre réseau ?
Pierre-Yves Gosset : Je peux être radical ? Je peux dire il ne faut pas atteindre une masse critique, il faut atteindre des masses critiques et les mettre en réseau. C’est-à-dire que si on veut lutter contre la centralisation des données, si un Google du Libre qui arrive demain ou si Google, même, libère l’ensemble de ses outils, ça ne changera rien vu que son modèle, enfin son business modèle, est basé sur un modèle de captation et d’exploitation financière des données ; je ne vois pas comment est-ce qu’on pourrait avoir un Google du Libre ; ce serait absolument stupide. L’idée est plutôt d’utiliser l’intelligence collective des personnes qui sont dans cette salle et ailleurs, et qui sont volontaires et militantes dans le milieu du logiciel libre, pour construire plein de petits réseaux fédérés. Si c’est pour faire un Airbus numérique du Libre, si je comprends le sens de ta question, comment est-ce qu’on fait pour avoir un acteur qui atteindrait une telle taille ? Je ne crois pas dans l’Airbus numérique du Libre. Je pense qu’il faut plutôt plein de petits acteurs qui sont capables de fonctionner ensemble. Ça gagnera sans doute beaucoup moins d’argent, mais je suis très content : Christophe et Jean-Baptiste sont la preuve vivante qu’on peut être fondateur de société de logiciel libre et vivre ainsi.
David Keribin : Justement, sans parler de Google, qui va avoir énormément de braquets et d’activités, un VLC aujourd’hui qui pour a pour principale activité un lecteur vidéo, comment on devient aujourd’hui pérenne et comment on continue à grossir ?
Jean-Baptiste Kempf : C’est la blague que je fais habituellement, notamment quand je vois des politiques en France, je me présente en disant que je suis l’éditeur du logiciel français le plus utilisé au monde et le moins rentable.
[Applaudissements]
Si on parle en termes d’art pur, c’est absolument une catastrophe. Et en plus on a la difficulté, il n’existe pas de business model B to C open source et libre. Ça n’existe pas. Il y a juste un exemple qui était Mozilla, qui a réussi à faire de la pub pour Google pendant dix ans et récupérer 400 millions d’euros par an ; à part ça, ça n’existe pas. Donc résultat, tu fais des trucs B to B et résultat, tu fais des briques technologiques et donc, finalement, le Libre est invisible. Donc c’est très difficile aujourd’hui. Moi j’ai trouvé des solutions. Elles marchent parce que VLC ; elles marchent parce que j’ai profité un petit peu de la partie start-up et donc, auprès de pouvoirs publics, etc., je dis que je suis une start-up alors qu’en fait, ce que je fais, je suis un éditeur de Libre. Ce n’est pas toujours marrant mais ça ne marche pas trop mal et surtout j’ai des services qui sont B to B autour. Mais c’est très compliqué et en plus, quand on est dans le multimédia où il y a des gens, d’autres méchants qui sont encore plus méchants que les GAFAM et mes potes d’HADOPI, c’est encore plus dur quoi !
Sébastien Dinot : Non, mais ils vont nous voir ! HADOPI !
Jean-Baptiste Kempf : Très bien, ça réveille tout le monde.
David Keribin : Ça marche HADOPI ? Et quand le logiciel commence à grossir, est déjà relativement gros et très gros même, comment on recrute des gens qui ont envie de bosser et de continuer à développer un produit comme VLC ?
Jean-Baptiste Kempf : Mais on ne le fait pas ! En fait, VLC ça date de bien avant moi, même s’il y a des gens qui aiment bien dire que je suis le créateur. Le problème c’est que moi, quand je suis arrivé, j’ai créé l’association pour sortir du projet étudiant qui était à l’école, justement parce que c’était déjà trop gros pour juste des étudiants. En fait, le modèle a marché de 2008 à 2012 et après on a eu le même problème, c’est-à-dire comment on passe à l’étape d’après, parce qu’il faut des gens professionnels. Et donc c’est ça qui est difficile. Moi, jusqu’à il y a quelques années, avant j’allais faire des conférences, j’allais voir des étudiants et ils me disaient : « Ah c’est trop bien VLC, etc. » Je dis « Eh bien, venez ». Moi, quand j’étais étudiant, les cadors c’étaient les mecs qui faisaient du Libre mais c’étaient des gros tueurs ! Et quand je vais voir, dans plein d’écoles ce qu’ils veulent c’est faire le nouveau Flappy Bird parce que, tu comprends, ils vont faire un million d’euros par jour, ou alors le Uber de la farine. Ça peut marcher ! Ou le Uber des pierres tombales, je pense que ça marche encore mieux ! On peut en parler, après, s’il y a des gens qui veulent discuter. Bref, pour revenir au sujet, c’est hyper difficile. Et donc moi, c’est vrai qu’on fait des trucs techniques et il faut payer, etc. Mais des mecs qui bossent sur VLC, quand ils vont chez Facebook ou chez YouTube, on multiplie le salaire par six, huit, dix. Les étudiants n’ont pas envie d’aller se faire chier !
David Keribin : Du coup est-ce qu’il faut une société systématiquement derrière un logiciel libre pour y arriver ? Je prends le cas de Docker par exemple.
Adrien Blind : Je ne sais pas s’il faut nécessairement une société, mais je pense qu’il y a de bonnes synergies, en fait, qui peuvent se créer entre ces mondes-là parce que, du coup, ça permet d’une part de faire en sorte d’avoir une structure qui permette d’avoir de l’animation et qui permette de sortir un produit qui va séduire un public complémentaire dans les entreprises, parfois, mais aussi au-delà. Je pense surtout que cette complémentarité va permettre, finalement, d’aller au-delà, justement, d’un produit fermé d’entreprise, de lui donner beaucoup plus de valeur, de lui trouver un public plus large et puis voilà !
Christophe Sauthier : Dans ce cas-là, est-ce que la description que tu as faite de la société, est-ce qu’elle ne pourrait pas être remplie par une fondation ? Parce que ce que tu décris de la société, par exemple par rapport à Docker, dans le monde dans lequel j’évolue, OpenStack, c’est la fondation OpenStack qui fait ça, qui va après s’appuyer sur les différentes sociétés qui peuvent participer, mais c’est une fondation qui le fait.
Adrien Blind : Je ne dis pas que ça soit impossible. Le cas de Docker est un peu particulier parce que son histoire c’est celle, au départ, d’un hébergeur de solutions de pass, de cloud et finalement, un jour, ils se sont mis à partager leur outil et je trouvais que déjà la démarche était très intéressante, justement, d’open sourcer le code et ils se sont rendu compte qu’ils avaient un asset de grande valeur et je trouve que c’était une très bonne chose de l’ouvrir, de ne pas le garder pour eux et d’en faire une solution éditeur traditionnelle. Après, la réalité c’est que Docker, dans leur cas, ils étaient déjà une entreprise. Ils se sont rendu compte que leur outil avait plus de valeur que leur business historique. Donc ils ont pivoté, ils se sont recentrés sur l’outil. Après, vu que c’est une entreprise, elle a besoin de trouver un public, de gagner de l’argent parce qu’elle n’a pas les mêmes attendus ; elle ne s’est pas construite autour de la même finalité au départ. Pour autant, ce que je trouve intéressant, autant je suis d’accord avec ce que tu dis sur le fait que des fondations remplissent très bien ce genre de rôle et tu le cites, avec grande justesse, sur OpenStack, autant là c’est intéressant de voir que finalement une entreprise s’est mise, justement, à changer de paradigme, à s’ouvrir, mais après, vu qu’elle part du principe qu’elle était déjà une entreprise, elle a besoin de continuer à fonctionner, à gagner de l’argent pour vivre.
Sébastien Dinot : Si vous permettez, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Parce qu’on a l’impression que d’un côté il y a des fondations, comment dire, qui essaieraient de faire évoluer, créer et d’entretenir les communautés, et des entreprises qui se soucieraient essentiellement de marketing, à la limite. Or, par exemple, l’entreprise pour laquelle je travaille développe certains de ses logiciels et les publie sous licence libre et ce dont nous nous rendons compte au fil du temps, c’est que notre trésor, ce qui est le plus précieux, c’est notre communauté. Et donc actuellement, nos efforts visent à entretenir cette communauté, à se montrer bienveillants, à lui permettre de se développer. Dans dix jours, il y a une rencontre à Toulouse qui va réunir tout un tas d’acteurs, utilisateurs et contributeurs du monde entier. Et même pour les entreprises, la communauté, quand vous avez vraiment compris ce qu’est le Libre, la communauté devient une valeur centrale.
David : Je pense que la question que tu poses, Christophe, c’est est-ce que, aujourd’hui, supporter un logiciel par une société c’est systématiquement être mauvais éthiquement parlant ?
Sébastien Dinot : Non. Non, parce que si vous êtes mauvais éthiquement, vous avez la sanction. Il y a plein d’histoires dans le Libre d’entreprises qui ont commencé à faire du Libre et puis, tout d’un coup, qui ont trouvé qu’elles avaient un problème économique : « Et puis si on refermait un petit peu ? Oui, on va refermer, et ça on va le vendre en propriétaire. » Et tout de suite qu’est-ce qui se passe ? La réaction de la communauté est violente, parce qu’elle se sent flouée. Elle a contribué à un projet qui était annoncé comme communautaire et, tout d’un coup, elle se retrouve avec des composants qui sont fermés. Et ça, c’est la mort des projets.
David Keribin : Est-ce que, pour autant, ça suffit à être la mort des projets ?
Christophe Sauthier : Je ne suis pas d’accord avec toi Seb. J’ai une société en tête clairement, que je ne citerai pas. J’ai une société en tête. Non c’est vrai, Oracle était une hypothèse aussi, mais non, j’ai une société en tête où moi j’ai été clairement menacé par le PDG de la boîte parce qu’il me disait : « Attends, tu fais du logiciel libre, tu vends des services sur les logiciels libres que nous on édite ». J’ai dit : « Ouais, d’ailleurs je respecte ta marque et compagnie. » Il dit : « Non, mais ce n’est pas pareil, c’est mon gagne-pain ! » Voilà ! Je veux dire il y a des boîtes, et ils ont toujours pignon sur rue et ils continuent à le faire. Non, non, le côté éthique, ce n’est pas parce que tu fais du Libre que tu as une éthique derrière.
Sébastien Dinot : Oui ! Dans ce cas-là, je rejoins. Il faut faire la distinction entre les margoulins de l’open source et les gens qui essayent d’être dans le mouv’ et qui ont compris les défis, mais qui ont aussi compris la richesse et les codes, ce qu’on doit faire et ce qu’on ne doit pas faire.
David Keribin : Vas-y Adrien.
Adrien Blind : Je pense aussi, si on reprend l’exemple de Docker, c’est une structure qui est partie en ouvrant finalement son outil au départ et qui, ensuite, a commencé à chercher un business modèle pour pouvoir, justement, fructifier autour de ça. À un moment donné, je me souviens, elle commençait justement à se recentrer beaucoup plus fortement sur ces aspects-là et puis la communauté a commencé à être moins derrière elle, à moins suivre, et ils ont fait pas mal de choses, notamment autour du projet Moby pour relancer de la dynamique, pour remettre l’open source au premier plan parce qu’il y a de grosses synergies évidemment ; parce que quand eux ils entretiennent cette ouverture, cette porosité, évidemment ils peuvent profiter de tout l’essor des communautés pour faire vivre ces projets sur lesquels ils adossent leurs produits. Mais dans l’autre sens, ça permet aussi à ces produits d’entretenir plus de dynamique et, peut-être, avec un peu plus de force aujourd’hui.
Christophe Sauthier : Dans le cas de Docker, est-ce qu’ils n’ont pas été, quelque part je dirais, poussés et forcés à le faire, effectivement pour continuer cette dynamique, parce que, justement, il y avait d’autres je dirais entités bien plus grosses qu’eux qui ont créé une dynamique, un petit peu parallèle à la leur et donc ils ont trouvé cette alternative de dire « eh bien finalement on va pousser notre ouverture un peu plus loin, on va relancer une dynamique » parce qu’en fait ils la perdaient ?
Adrien Blind : Peut-être. Après, moi je ne suis pas le porte-parole de Docker, mais le fait est que je pense que ce qui est intéressant c’est que c’est une entreprise qui est très jeune. Contrairement à des acteurs très établis, qui avaient une force de frappe pour comprendre le marché dans lequel ils évoluaient, se positionner, je pense que ce qui a été intéressant c’est qu’ils ont dû plusieurs fois évoluer et changer de stratégie. Et justement, effectivement au début, il n’y avait pas forcément l’Open Container Initiative qui s’est créée par le jeu d’un certain nombre d’acteurs qui sont intervenus à un moment donné aussi. Et je pense qu’aujourd’hui il y a différentes phases qui ont évolué. Le projet Moby en est peut-être le dernier aboutissement avec, finalement, la « componétisation » en différents projets de Docker, procédure d’autant de communautés de ce produit qui peuvent en ressortir. Mais ce qui est intéressant là-dedans, je pense, c’est que justement ça évolue et c’est une entreprise qui essaye de se chercher pour trouver une bonne interaction avec les communautés. Et je pense qu’il n’y a pas de recette toute faite et qu’il n’y a pas de cas de solution absolue. Tu citais le fait que ça peut être porté par des fondations comme chez OpenStack. Oui, bien sûr que ça marche très bien ! Docker est une entreprise, elle essaye de trouver sa voie avec d’autres acteurs et je trouve que c’est intéressant parce que, pour moi, c’est une espèce de laboratoire, j’ai l’impression, où on peut voir, justement, un petit peu différents modèles, différents types d’interactions avec les communautés émergées et je pense que ça va continuer à évoluer.
David Keribin : Et pour reprendre un peu, pour remonter un tout petit peu, un peu plus haut, sur la place du logiciel libre dans la société et revenir sur le thème de départ ; je me permets de remonter un peu d’un cran, pas le niveau évidemment, on l’a compris.
Sébastien Dinot : Non, non. Je pense qu’on mettra les quotes.
David : C’est quoi la barrière militante à laquelle je dois m’arrêter quand je veux utiliser du Libre ? Est-ce que c’est l’OS de mon téléphone ? L’OS de mon ordinateur ? Ça c’est facile de changer, mais ça devient quoi aujourd’hui quand c’est dans notre domotique, dans notre maison, dans des enceintes connectées ?
Sébastien Dinot : Je vais me risquer à une réponse. Je suis un militant du Libre. J’en voudrais partout, à tous les étages, à toutes les sauces. J’ai même acheté, à une époque, une carte mère parce qu’on pouvait mettre un firmware libre dessus, et puis je me suis aperçu que pour flasher la carte mère il fallait que je dessoude un composant. Dessouder un composant, non ! Finalement, j’ai dit je vais faire avec un firmware proprio. Il y a un moment il faut être pragmatique. On peut porter des valeurs mais il faut transiger ; nous avons tous des besoins. Aujourd’hui, vous pouvez faire quasiment tout ce que voulez avec du Libre. Ça ne s’est pas créé du jour au lendemain. Au début il y a eu un compilateur, puis il y a eu un éditeur ; il y a eu différentes briques. Il faut toujours avoir en vision la direction. Le Libre on en veut toujours plus, partout, mais à un instant donné il faut savoir faire avec la réalité et c’est valable aussi pour les systèmes de communication.
Typiquement oui, il y a du décentralisé. Oui, il y a Diaspora. Oui, il y a tous ces outils mais, à un moment, si vous voulez communiquer et attirer du monde à vous, eh bien vous allez dire peut-être que les gens communiquent sur Twitter, ils communiquent sur LinkedIn ou sur Meetup.com. Bon, eh bien allons chercher des gens sur ces plateformes, ayons l’intelligence de les ramener vers nous.
Pierre-Yves Gosset : Évidemment, c’est une démarche. Nous, on rapproche ça souvent de la métaphore avec l’écologie : on peut être militant écologiste et prendre sa voiture quand il faut faire 90 bornes un jour ; on peut les faire en vélo, mais c’est un peu compliqué ; des fois c’est plus simple de prendre une voiture. Il n’y a pas de barrière. En fait l’important c’est, effectivement, une démarche et c’est une conviction et c’est pour ça que nous on affirme que le logiciel libre est quelque chose de politique – l’open source n’est pas politique, l’open source c’est la qualité, l’efficacité, la transparence ; c’est très bien ; ce sont des qualités tout à fait valables ; c’est quelque chose de politique.
Maintenant le logiciel libre, le problème c’est qu’on est indigents. Je parle du logiciel libre pas de l’open source. Je suis content de savoir que Docker se porte bien, que VLC se porte bien, qu’OpenStack se porte bien. C’est évidemment une base importante pour que de plus en plus de gens utilisent du Libre. Mais il y a un pote, Lunar, qui prenait cet exemple et qui disait : « Ça sert à quoi si jamais il y a un drone qui balance des bombes dans un pays quelconque et que ce drone tourne sous Linux ? Est-ce qu’on a fait avancer le sujet ? » Encore une fois, je suis très content que l’open source se porte très bien, mais le logiciel libre se porte très, très mal. VLC qui est le logiciel libre le plus utilisé dans le monde, quasiment – je pourrais dire Apache, etc., mais le logiciel grand public utilisé dans le monde avec Firefox, à peu près équivalent en termes d’utilisateurs, pas très loin en tout cas –, du coup c’est quoi ? Dix développeurs. Alors pas tous dans ta boîte, il y a des contributeurs, j’imagine, bénévoles. Le corps c’est dix développeurs.
Jean-Baptiste Kempf : Le corps c’était cinq.
Pierre-Yves Gosset : Est-ce que vous savez combien il y a de gens ? Par exemple qui, ici dans la salle, a déjà utilisé du Pad, que ça soit Framapad ou un autre ? Levez la main. Merci. Donc quasiment tout le monde. Est-ce que vous savez combien il y a de développeurs qui ont fait plus de 50 contributions sur les 12 derniers mois sur Etherpad ? Zéro ! C’est vite fait ! Combien il y a de développeurs, du coup, qui ont travaillé sur Gimp et qui ont fait plus de 50 contributions ces 12 derniers mois ? Il y en a quatre. Bénévoles.
Si on parle de la place de l’open source dans le logiciel libre, je pense que globalement, Christophe ouvrait là-dessus, effectivement, ça se porte bien et c’est chouette. Le problème c’est qu’on voit la part de l’éthique et des valeurs sociales du logiciel libre se réduire, parce que finalement les logiciels que vous, vous utilisez en tant qu’utilisateurs finaux et en tant que logiciels finaux, eh bien ils ne se portent pas très bien. Et c’est pour ça que nous on a lancé une campagne qui s’appelle « Contributopia ». On essaye de favoriser, on veut essayer de favoriser la contribution au logiciel libre, parce que, excusez-moi, mais c’est la merde !
Jean-Baptiste Kempf : Nous on est un peu schizophrènes là-dessus. C’est-à-dire que ça c’est un vrai truc : VideoLAN, on utilise uniquement du logiciel libre, sur tout, tout, tout ! Et ça, c’est un truc qu’il y a plein d’autres communautés open source et libres ne font pas. Ouais ce n’est pas grave d’utiliser Slack, c’est pas grave d’utiliser plein d’autres softs. Par exemple CoD, qui est une communauté qui est proche de VLC, eux ils n’utilisent que des logiciels pas libres. Ils n’en ont rien à péter !
Pierre-Yves Gosset : Ils utilisent Framateam.
Jean-Baptiste Kempf : Ils utilisent Framateam, peut-être. Mais en tout cas, ils font vraiment… Nous on a toujours forcé à faire ça, mais souvent nous, on nous a reproché l’inverse. C’est-à-dire que nous on utilise Windows pour tester VLC ; c’est con ! On compile tout sous Linux, évidemment même les versions en Mac et Windows. On nous a reproché en fait « oui mais vous n’aidez pas la cause du logiciel libre en ayant VLC qui tourne sur des plateformes non libres ». C’est peut-être stupide mais tu vois, c’est un peu embêtant. Nous on dit toujours on n’utilise que du tout libre, à part les plateformes de communication Twitter et Facebook, ça c’est vrai et c’est difficile. Et c’est une question à laquelle il n’y a pas de bonne réponse. Moi je peux leur dire non, moi j’introduis les gens au Libre, mais en même temps ce n’est pas vrai : comme je disais, personne ne sait que VLC est open source, est libre. Donc c’est très compliqué, en fait, sur ce point-là.
David Keribin : Tout à l’heure, Sébastien, tu disais quelque chose d’intéressant, tu disais : « On peut tout faire avec du Libre ». La question c’est à quel prix on peut tout faire avec du Libre et à quel moment, en fait, on a une rentabilité nécessaire ? Parce que quand on parle du monde du particulier, on est peut être, à ses temps perdus, heureux de perdre quelques minutes pour faire gagner la cause du Libre. Quand on est une entreprise et qu’on ne fait pas que de l’humanitaire et du social, à quel moment, en fait, on doit utiliser du Libre ?
Sébastien Dinot : Ça c’est très intéressant comme question, parce que est-ce que la rentabilité doit être la mesure de toute chose ? Y compris pour une entreprise ?
[Applaudissements]
Je connais une entreprise que je ne citerai pas, qui est un opérateur minier, opérateur minier donc il exploite des ressources premières. Combien y a-t-il eu de guerres, combien y a-t-il de coups fourrés pour des ressources, pour des matières premières ? Eh bien cette société, j’ai rencontré récemment un de ses informaticiens qui m’a dit : « C’est super : on a migré toute la messagerie sur Google. On utilise Office 365, ce sont des clouds, on ne s’occupe plus de rien ! » Non seulement j’ai trouvé ça étrange parce que j’ai trouvé qu’il sciait un peu la branche sur laquelle il était : « c’est bien, bientôt ton patron va comprendre qu’il n’a plus besoin de toi ». Mais surtout ça m’a choqué : il est content, enfin ils sont contents, ils ont transféré toutes leurs données à des entreprises américaines, sachant que le Patriot Act contraint les entreprises américaines à collaborer avec le gouvernement. Donc si à un moment il y a un enjeu géopolitique, le gouvernement américain dira aux entreprises en question : « Donnez-nous accès aux données, nous voulons savoir quels sont leurs plans. » Ça c’est grave ! Dans mon entreprise, l’utilisation des moyens fournis par Google est interdite, est proscrite. Les gens peuvent se prendre un avertissement et, s’ils ne comprennent pas, ça peut aller plus loin. « S’il y a des besoins, dites-le-nous et nous montons en interne des outils. Ils ne seront pas aussi sexy, ils ne seront pas aussi intégrés, ils vous demanderont peut-être plus d’efforts, mais nous maîtriserons l’information ». Et ça, pour l’entreprise dans laquelle je travaille, c’est crucial.
Christophe Sauthier : Vous avez un côté défense, dans la boîte ? À minimum.
Sébastien Dinot : Il y a un côté défense. Il y a un côté, aussi, enfin concurrence économique, voilà !
Christophe Sauthier : Tu parles d’éthique. Pierre-Yves tout à l’heure en parlait. On en a parlé tout à l’heure. Je connais une des plus grosses boîtes en Europe qui fait du logiciel libre et qui se vante, justement, de faire du logiciel libre par rapport à tout ça. Ils sont en train de basculer toute leur messagerie à Google, moi ça me choque ! Moi ça me choque !
Pierre-Yves Gosset : Du coup tu posais la question de la rentabilité. Je rejoins Sébastien, tout n’a pas à être rentable économiquement, mais admettons qu’il faille l’être parce qu’il y un business à faire tourner, pour moi ça peut complètement s’entendre. Mais du coup, pourquoi est-ce que le logiciel libre pour les utilisateurs finaux est moins rentable ? C’est parce qu’il y a des coûts, du coup, de formation ; il y a des coûts d’adaptation, mais il y a aussi des coûts d’installation, de maintenance qui peuvent être potentiellement plus élevés. Si, encore une fois, il y avait des gens qui contribuaient ! Par exemple, si vous travaillez avec des graphistes ils vont vous dire « oui mais Inkscape, Gimp, la couche CMJN pour le print, machin – ce qui n’est pas vrai mais admettons –, c’est compliqué pour imprimer des documents avec Gimp, etc. » Mais forcément, ils sont quatre ! Bénévoles ! Ils font ça quand ils ont couché les enfants ! Ou ils sont au RSA depuis des années ! Si on contribuait un petit peu plus, tous, au logiciel libre, potentiellement il ferait plus de choses et il deviendrait économiquement beaucoup plus intéressant d’utiliser du logiciel libre pour tout le monde, y compris l’utilisateur final. Vas-y.
Jean-Baptiste Kempf : Oui, mais les gens s’en foutent quoi !
Pierre-Yves Gosset : Non, non !
Jean-Baptiste Kempf : Ça c’est un truc.
Pierre-Yves Gosset : C’est une très bonne question.
Jean-Baptiste Kempf : Moi, j’ai le problème régulièrement, quand je dis que VLC d’abord ce n’est pas américain et que c’est français, et ensuite qu’on n’est pas une grosse boîte avec plein de gens derrière, les gens regardent avec des gros yeux. Parce que, aujourd’hui, sur Internet, ça c’est un des vrais problème, les gens ils n’en ont rien à péter du business modèle. Ils te disent : « Mais de toutes façons Facebook c’est gratuit ; Google c’est gratuit ; Twitter c’est gratuit ; VLC c’est gratuit ! Donc eux ils sont 10 000, vous devez être 500 ! » Les gens, en fait, ils ne veulent pas payer sur Internet parce que tout est gratuit et ils ne comprennent pas comment ils payent aujourd’hui.
Pierre-Yves Gosset : Justement, nous notre boulot, en tant qu’association et en tant qu’entreprise, c’est peut-être de leur expliquer que ce n’est pas gratuit. Effectivement, tu ne payes pas pour accéder à Twitter, mais ça ne veut pas dire que c’est gratuit pour autant. Tu ne payes pas pour accéder à Facebook, sauf qu’on voit bien qu’avec 100 000 dollars tu peux influencer une élection américaine. Il y a un moment donné où il faut peut-être être conscient du coût caché. Si on n’explique pas aux gens quels sont ces coûts, les coûts cachés de ces plateformes, évidemment ils vont avoir cette impression-là. Je suis d’accord que l’immense majorité s’en fout ! Ça c’est évident, je te rejoins complètement là-dessus. Maintenant, est-ce qu’on n’a pas intérêt à travailler avec la minorité qui ne s’en fout pas et à s’intéresser et nous on essaye. Framasoft a été pendant longtemps porte d’entrée du logiciel libre, on veut devenir porte de sortie pour permettre aux développeurs et aux militants du logiciel libre de se mettre au service, de mettre leurs compétences et leurs savoirs au service de ce que nous on appelle la société de contribution. C’est-à-dire des gens qui ont envie de changer la société et de faire que si tu t’en fous, eh bien ce n’est pas grave, tu peux utiliser Twitter ou tu peux utiliser Diaspora, tu es le bienvenu des deux côtés, tant mieux. Mais si tu t’intéresses vraiment à vouloir changer des choses, eh bien viens plutôt à la fois nous aider à travailler avec le logiciel libre et nous on va aller essayer d’écouter quels sont tes besoins. Moi je passe mon temps à faire des conférences dans des MJC, des bibliothèques, etc., les gens ne s’en foutent pas du tout du logiciel libre. C’est juste que c’est trop compliqué pour eux de comprendre ce que c’est et de venir contribuer. Et si on travaillait un petit peu ces points-là, peut-être qu’on arriverait à faire plus de choses.
[Applaudissements]
Christophe Sauthier : J’attends. Je ne t’enlève pas tes applaudissements. Je pense, Pierre-Yves, que les GAFA aujourd’hui, en fait, le côté gratuit qu’ils ont rendu sur tous leurs services, ça donne bonne conscience aux gens qui n’ont plus besoin de pirater quelque chose pour avoir quelque chose de gratuit.
Public : Il y a quelqu’un qui voulait intervenir pour poser une question.
David Keribin : On reviendra tout à l’heure sur les questions d’ici 20 minutes. Je crois que, au-delà de la question du prix, il y a un moment où on veut utiliser nous, simples mortels, un logiciel qui est, ergonomiquement parlant, utilisable, qui est simple d’utilisation, qui est facile et peu importe, en fait, la question gratuite.
Pierre-Yves Gosset : Même s’il est non éthique ? C’est une question.
David Keribin : C’est la vraie question aujourd’hui.
Pierre-Yves Gosset : Il faut répondre oui ou non.
David Keribin : Et à quel moment et comment on mesure l’éthique aujourd’hui ? Comment on sait qu’un FastMail, par exemple, est plus éthique qu’un autre et pourquoi on veut aller sur ce type de service. On parlait tout à l’heure, l’exemple de FastMail, à quel moment, en fait, et comment on mesure nous, l’éthique d’une société ?
Pierre-Yves Gosset : Justement, chacun peut avoir ses propres critères. En tout cas, est-ce qu’aujourd’hui on se pose la question ? Non. Et nous, ce qu’on souhaiterait, c’est que la question de l’éthique revienne au cœur de ça. Je ne dis pas que c’est simple. Je n’ai pas une solution aujourd’hui, magique, pour vous dire tiens, tel logiciel c’est éthique ou tel logiciel ce n’est pas éthique. Mais est-ce qu’on ne peut pas réfléchir ensemble, justement, à des critères ? On vient de publier un article sur le Framablog – j’en parle beaucoup plus simplement puisque ce n’est pas nous qui l’avons écrit – d’un professeur d’informatique qui s’appelle Daniel Pascot, qui a fondé une association qui s’appelle FACIL au Québec, qui est un petit le pendant de l’April au Québec, et il disait : « À un moment donné on a peut-être intérêt à écrire une charte éthique du logiciel libre et 98 % de la population s’en foutra, mais les 2 % qui comptent, eh bien ils comptent ! »
Adrien Blind : Ouais, mais moi ce que je pense c’est qu’effectivement ces 2 %, tu en parles très bien ! Mais je pense que c’est très important d’aller chercher ces 98 %. Effectivement les gens, aujourd’hui, cherchent quelque chose d’ergonomique et quelque chose qui leur rende service, qui fonctionne. Et c’est sur ces leviers que les Facebook, les Twitter et les Google prospèrent. Ils engagent beaucoup de moyens, justement, pour trouver des solutions séduisantes pour capter du public.
Je pense qu’il y a un vrai enjeu, plutôt, à aller chercher l’éducation mais pour répondre à des problématiques égoïstes des gens. On disait tout à l’heure c’est gratuit, mais ça ne l’est pas ! Je pense que ce qui est intéressant c’est de bien, justement, mettre en perspective aux gens ce qu’ils donnent en réalité, sans s’en rendre compte, en contrepartie de ces services. Parce que ce n’est pas gratuit, c’est vrai, et peut-être que s’ils comprennent ce que eux, égoïstement, ils perdront, les data qu’ils donnent et ce que peuvent en faire ces structures à posteriori, je pense que, finalement, ça les amènera aussi à évoluer et peut-être commencer à se dire peut-être qu’il faut que je me tourne vers d’autres solutions dans lesquelles j’ai plus de visibilité dans l’offre, dans lesquelles j’ai plus de capacités à maîtriser ma donnée. Parce que les gens, aujourd’hui, ne se rendent pas compte de l’impact de perdre leurs données. Ils s’en foutent, ils disent « je raconte ma vie sur Twitter ce n’est pas grave ! » Je pense que si on commence à leur expliquer ce que les gens peuvent en faire, ça fait réfléchir !
Je me souviens, il y a quelques années, je crois que c’était une expérimentation ou une étude, je crois chez Google, qui avait démontré qu’ils savaient prédire qu’une femme était enceinte avant qu’elle-même le sache par la nature des recherches qu’elle faisait. Je trouve que c’est un exemple marquant parce qu’on va au-delà, en fait, du cas d’usage à la con, de raconter un petit peu sa vie sur Twitter, d’aller faire des recherches sans intérêt. On se rend compte qu’on touche à l’intimité des gens à la fin. Et ça, peut-être que si les gens commencent à bien comprendre à quel point, finalement, ça peut les impacter eux, peut-être qu’ils feront ce pas-là.
David Keribin : Pierre-Yves, tu disais tout à l’heure que le manque d’ergonomie que pouvaient avoir des logiciels du Libre venait tout simplement du fait que pas assez de personnes contribuaient et donc qu’il fallait aller chercher des contributeurs. Aujourd’hui est-ce que, pour aller chercher des contributeurs, le moyen le plus simple, ce n’est pas de payer des gens ? D’avoir des salariés ? Alors salariés, pas forcément sous une forme de société, ça peut être une fondation et pourquoi aujourd’hui Framasoft ne le fait pas ? Parce que ça permettrait peut-être d’être un peu plus utilisé que ça ne l’est aujourd’hui.
Pierre-Yves Gosset : Framasoft le fait. Framasoft vient d’embaucher un développeur. Merci.
[Applaudissements]
David Keribin : Pardon. Je ne parlais pas d’embaucher, je parlais du modèle payant.
Pierre-Yves Gosset : Du coup j’ai deux niveaux de réponse. Le premier c’est que Framasoft le fait. On vient d’embaucher un développeur qu’on va donc salarier, qui est salarié au sein de Framasoft pour développer un logiciel qui s’appelle PeerTube qui sera, on l’espère, enfin, qui permettra de briser l’hégémonie de YouTube. C’est-à-dire un YouTube qui serait fédéré, décentralisé et pair à pair. Voilà ! Il faut payer, à un moment donné, pour l’avoir, parce que si on attend que ça soit fait de façon bénévole il y en a pour dix ans. Ça c’est une réponse, donc on peut payer les gens et je suis pour qu’on le fasse.
La deuxième chose c’est qu’il ne faut pas qu’on aille chercher des contributeurs, des designers et autres ; il faut qu’on aille leur parler ; il faut qu’on boive des coups avec eux. Parce qu’aujourd’hui on ne parle pas leur langue et ils ne parlent pas la nôtre.
David Keribin : Je pense que je me suis mal exprimé.
Pierre-Yves Gosset : Juste, je termine là-dessus. Pour nous c’est un point important, on est enfermés. Pour moi on est dans une ornière technique du Libre où, effectivement, entre nous ça marche bien ; c’est chouette ! Mais il y a un moment donné où, si on n’est pas capables d’aller parler à quelqu’un qui fait du développement durable, quelqu’un qui fait du journalisme citoyen, voilà ! Il y a des choses qui se mettent en place ; une Chiffrofête permet d’expliquer à des journalistes comment protéger ses mails, etc. C’est chouette ! Mais pourquoi est-ce qu’on ne fait pas ça dans d’autres domaines ? Donc il faut aller chercher les contributeurs, mais ce n’est pas pour les faire venir à nous ; c’est juste pour qu’on discute et qu’on se mélange.
David Keribin : La question portait plus sur le business modèle, en fait, du produit direct. Ça veut dire qu’aujourd’hui pourquoi ne pas faire payer, ne serait-ce qu’un euro par mois, l’utilisation d’un outil type Framasoft, des outils de Framasoft, parce que ça, ça génère du business modèle qui permet d’embaucher des gens, qui permet de développer plus rapidement les outils ?
Pierre-Yves Gosset : Des entreprises peuvent le faire. On a monté un collectif qui s’appelle CHATONS [5] pour Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires — bravo pour l’acronyme quand même, miaou — et dans ce collectif vous avez Framasoft. Framasoft est une association d’éducation populaire à but non lucratif. Notre objectif n’est pas de gagner de l’argent ; on vous demande des dons régulièrement et on vous fait chier à vous demander des dons parce qu’on veut pouvoir payer des développeurs ; parce qu’on veut pouvoir payer aussi les gens qui travaillent pour vous au quotidien, notamment. Aujourd’hui, Framasoft c’est 400 000 personnes qui visitent tous les mois et il y a un admin sys. Je vous laisse envisager ce qui se passe s’il se pète un bras !
Nous ce n’est pas notre business modèle. Par contre, dans CHATONS, il y a des entreprises. Et moi je souhaite qu’il y ait de plus en plus d’entreprises qui se montent et qui proposent du logiciel libre avec des solutions à la Google Apps, concrètement, qui proposent du Nextcloud, du Pad, du Collabora Online, enfin du LibreOffice on line par exemple, et qui proposent ça à des entreprises à un tarif ! Évidemment ce sera payant mais, du coup, il n’y aura pas d’exploitation des données personnelles. Nous c’est quelque chose qu’on pousse, mais ce n’est pas Framasoft qui le fera. Jamais !
David Keribin : C’est étonnant parce que du coup, ce que tu dis, le seul moyen c’est de le faire de manière à aller voir les gens avec notre bâton de pèlerin ; c’est la seule façon que nous on veut utiliser pour capter les utilisateurs ? Parce que, aujourd’hui, vraiment rendre le modèle payant c’est la capacité, enfin, d’avoir les capacités financières d’avancer ? Et ça ce n’est pas un sujet qui se pose pour vous ?
Pierre-Yves Gosset : Non, pour nous ce n’est pas ça. Framasoft c’est comme une AMAP, les associations de maintien de l’agriculture paysanne, sauf qu’au lieu de fournir des paniers de légumes avec des carottes, on fournit du service libre. C’est bien, mais notre objectif ce n’est pas de devenir l’AMAP qui fournit la France entière, sinon c’est contradictoire avec ce qu’on porte comme valeurs. On essaye de promouvoir et d’expliquer notre modèle pour que d’autres le reprennent, y compris s’il y en a qui veulent vendre du service. Donc ça n’est pas le rôle que s’est fixé Framasoft. Le succès de « Dégooglisons Internet » c’est presque une erreur : on était là au bon moment, au bon endroit. Youpi ! On est très contents – enfin on peut être fiers de ça, je parle au nom de mes collègues et de toute l’association – on peut être fiers d’avoir réussi à montrer que le logiciel libre était une solution qui était une véritable alternative. Ça n’est pas concurrentiel, on en est conscients, vis-à-vis de Google Apps. Mais ça prouve ! Maintenant est-ce qu’on pourrait faire mieux. Si ce « on » ce sont toutes les communautés du logiciel libre, la réponse est oui. Si ce « on » c’est Framasoft, la réponse est non, parce que ce n’est pas notre boulot. Nous, notre boulot, c’est d’aller expliquer aux gens ce que c’est que le capitalisme de surveillance, c’est d’aller expliquer ce que c’est que le logiciel libre ; ce n’est pas d’en produire.
Sébastien Dinot : Notre responsabilité, en tant que membres de communautés, elle est double. D’une part, effectivement, il faut porter le discours auprès des utilisateurs pour qu’ils comprennent l’intérêt d’utiliser des solutions telles que celles que nous décrivons, mais aussi, vous parliez tout à l’heure de forces vives pour développer ces logiciels – tu as donné des chiffres qui sont assez effarants où on sent un danger. Ce matin il y avait, peut-être que certains d’entre vous y ont assisté, il y avait une réflexion en ce sens. Kevin Ottens a fait une conférence, qui est technique sans l’être trop, mais il expliquait que nous avions un problème c’est que le coût d’entrée dans les projets était trop élevé et que les différentes communautés n’étaient pas assez éveillées à ce sujet-là, à ce problème-là, et ne veillaient pas à faciliter l’arrivée de nouveaux contributeurs. Donc il expliquait ce qui était en cours au sein de KDE, notamment, pour que des gens puissent beaucoup plus facilement contribuer ; que la mise en place de l’environnement soit simple et tout ça. Et je pense que c’est une des difficultés que nous avons actuellement, c’est que nos projets se complexifient comme l’informatique se complexifie et il faut vraiment veiller à faciliter, c’est notre responsabilité, veiller à faciliter les contributions.
David Keribin : Jean-Baptiste, d’après toi qu’est-ce qui va aider à amener le logiciel libre dans la société ? Est-ce que ça peut passer le gouvernement ? L’État doit-il aider ?
Jean-Baptiste Kempf : Pour moi, Christophe ne va pas être d’accord, mais moi je ne suis absolument pas content sur les 150 millions qui ont été dépensés sur Numergy et Cloudwatt. Alors il paraît que finalement ce ne sont pas 150 millions. Quand on voit avec quels moyens, avec peu de moyens, on peut faire des choses bien et puis, comme je connais pas mal le monde des start-ups, vu le pognon qui est investi dans certaines start-ups, quand on regarde ce qu’on pourrait faire avec cet argent : on peut faire beaucoup de choses. Le problème c’est que la politique, en tout cas les hommes politiques ne comprennent vraiment rien à ça. Et les seuls qui pourraient un peu comprendre, style Mounir [Mahjoubi], il a cinq personnes dans son cabinet et il n’a aucune direction derrière. Mounir, si tu me regardes ! Il est top mais il ne peut rien faire quoi ! Et l’argent qu’il faut est très important et, je pense, il y a un problème de souveraineté numérique sur les données. Et tu vois j’investirais plus, désolé, sur un concurrent d’un Google Apps qu’on puisse auto-héberger, qu’on puisse fédérer, plus que sur des logiciels libres de bureau aujourd’hui ; c’est triste à dire.
Christophe Sauthier : Le problème, si tu vas là-dessus ! OK, le montant on n’est pas tout à fait d’accord, mais à la limite…
Jean-Baptiste Kempf : Je trollais un peu, j’ai le droit, non !
Christophe Sauthier : Tu as le droit ! On en a déjà parlé tout à l’heure. Le montant, on n’est pas forcément d’accord. Je pense que là-dessus, ni l’un ni l’autre on aura le réel montant. Le problème aujourd’hui que je vois c’est que le gouvernement s’il doit investir, eh bien il investira sur ses copains. Ça n’ira pas sur les start-ups innovantes. Ça ira sur des boîtes qui ont déjà une taille minimale, qui sont capables de faire un lobbying assez intensif et qui, au final, ne produiront rien.
David Keribin : Ce n’est pas ce qui s’est pourtant passé avec un Qwant [6], par exemple, au niveau européen ?
Jean-Baptiste Kempf : Qwant, c’est une exception. Mais je te rappelle qu’avant Qwant, il y avait eu un autre projet de moteur de recherche européen dont j’ai oublié le nom. Quaero, c’est ça, un truc franco-allemand, à plein de pognon, et ça n’a rien donné. Et c’est pareil. Moi je pense que c’est très difficile, justement, que le gouvernement ne mette pas du pognon dans ses potes.
Sébastien Dinot : Il y a un vrai problème, si vous permettez, par rapport ça, c’est que nos ministères ne savent pas gérer le Libre avec le code actuel des marchés publics. Par exemple vous prenez le ministère de l’Environnement. Le ministère de l’Environnement, avant, utilisait des systèmes SIG [système d’information géographique] de bureau, propriétaires, qui lui coûtaient une fortune. Il y a quelques années, ils se sont dit « mais une large partie de mes besoins, QJIS fait parfaitement l’affaire. QJIS fait parfaitement l’affaire ! Donc adoptons massivement QJIS ! » Et maintenant, dans le ministère de l’Environnement, vous avez QJIS sauf si vous démontrez qu’il y a une fonction dont vous avez absolument besoin et qui n’est pas fournie par QJIS. Est-ce que pour autant le ministère de l’Environnement a contribué, a financé des choses sous QJIS ? Non ! Non et pourquoi ? Parce que si, à la limite, ils savent qu’il y a des opérateurs commerciaux derrière, ils vont peut-être pouvoir lancer un appel d’offres, mais demander une prestation sur QJIS, là encore il faut qu’ils en aient le réflexe – après tout c’est gratuit, pourquoi je paierais pour quelque chose ! C’est grave, mais ils en sont là ! Et puis il y a tout un tas de projets où il n’y a pas d’opérateur commercial derrière, et là, quand vous êtes agent de la fonction publique, vous dites bon, là, quand même, on économise des millions grâce à ce logiciel donc ce serait bien qu’une partie de l’économie… Vous vous souvenez de la directive Ayrault de 2012 [7], un super vœu pieux : les ministères, les collectivités doivent privilégier le logiciel libre, à qualité égale elles doivent privilégier le logiciel libre et elles devraient reverser une partie des économies réalisées aux logiciels libres en question, les logiciels qui permettent ces économies. Expliquez-moi aujourd’hui, comment, sans être poursuivi ensuite, quand vous êtes agent de la fonction publique, vous décidez de filer 100 000 euros, comme ça, de votre pochette, parce que vous avez économisé 50 millions d’euros, comment vous filez 100 000 euros à un projet libre ?
Jean-Baptiste Kempf : Oui, mais même sans les projets libres. Tu as quand même plein de SS2L [sociétés de services en logiciels libres], Smile, Linagora, des gens comme ça qui pourraient faire du développement qui reparte dans le Libre après.
Sébastien Dinot : Il y a vraiment un problème de culture au niveau des ministères et il faut travailler à ce niveau-là ; parce que c’est quand même compliqué actuellement pour les agents de la fonction publique.
David Keribin : Je crois qu’il y a deux problèmes : le premier c’est qu’il n’y a pas assez d’argent qui arrive, en fin de compte ; et le deuxième c’est : quand il arrive, il est mal utilisé.
Pierre-Yves Gosset : Je reviens là-dessus et sur les ministères. Enfin, je veux dire qui est dupe ? Qui équipe le ministère de la Défense ? Qui équipe le ministère de l’Éducation nationale ? C’est quoi les partenariats ? C’est qui les entreprises ? Bizarrement ! Enfin je parle de l’Éducation nationale parce que Framasoft c’était français-mathématiques au départ, on vient quand même de là. En dehors des partenariats ministère de l’Éducation nationale et Microsoft, qu’on peut évidemment critiquer et qu’on critique d’ailleurs. Je rappelle que les GAFAM sont les cinq plus grosses capitalisations boursières mondiales. Est-ce que vous croyez que c’est une bonne trois félos qui viennent à Toulouse et qui disent on n’est pas contents, qui vont aller lutter contre les 100 milliards de trésorerie d’un Apple. Non mais sérieusement ! Les ministères je ne dis pas qu’ils sont corrompus. Je veux dire qu’il y a une forme de lobbying qui est très, très forte des entreprises qui sont extrêmement fortes et sur lesquelles elles vont laisser des miettes au logiciel libre parce que voilà, il faut qu’il y ait une pseudo-concurrence. Nous, on nous a dit, je tiens ça de quelqu’un qui travaille au ministère, « on veut mettre en tension le logiciel libre et le logiciel propriétaire ». Sauf que nous on le regarde avec des grands yeux ,on lui fait : « Mais on ne veut pas nous, être mis en concurrence avec le logiciel propriétaire et on ne peut pas, vu comment est-ce qu’on fonctionne ». Encore une fois Thunderbird qui est un logiciel utilisé par des millions d’utilisateurs sur la planète, on est à moins de dix contributeurs par an. C’est juste ! On est dans une situation qui est catastrophique. On se base sur des logiciels qui ont parfois 20 ans, type Sympa, par exemple. Sympa c’est un logiciel qui permet de créer des mailings-listes et d’envoyer à des listes, c’est un super logiciel mais qui n’était pas maintenu ces dernières années et qui est hyper compliqué à installer, etc. Juste on oublie c’est quoi nos outils de production et on n’en prend pas soin. Si vous avez une pelle et que le manche est cassé vous allez vous péter le dos, donc réparez le manche ! Donc à un moment donné, forcément, il y a Google qui arrive avec une super tractopelle et qui vous dit : « Allez-y, servez-vous-en, c’est gratos ! » Évidemment qu’ils vont le prendre. Et les ministères ne sont pas dupes, ils ont de moins en moins d’argent et, forcément, ils vont choisir un Google qui va leur dire « OK, tu as une fac de 40 000 étudiants, plutôt que de payer deux gonzes à maintenir le mail pour ces 40 000 étudiants, envoie-moi la liste dans un fichier texte des 40 000 étudiants », le lendemain Google te file les 40 000 adresses gratos. Aujourd’hui, quasiment toutes les rédactions de journalistes sont sur Gmail !
Christophe Sauthier : Sur les ministères !
Sébastien Dinot : Question ambiance, t’es nul ! L’année prochaine ne le réinvitez pas ! C’est une cata ! Regardez comme il nous plombe tout le monde ! On pourrait t’envoyer en stage.
Christophe Sauthier : Seb, sur les ministères, j’ai un discours un petit peu différent puisqu’on a quelques ministères, notamment un qui nous a dit, on est en train de discuter avec eux, on voudrait cette fonctionnalité sur OpenStack et on voudrait que vous le fassiez pour nous et que vous le reversiez, que vous fassiez en sorte que ça soit incorporé dans la version, après dedans. Donc il y en quelques-uns qui sont quand même sensibles à ce discours-là ; c’est un petit peu différent. Mais je pense que tout ce qu’on dit là, en fait, on revient tous au niveau de la même chose : le logiciel libre va mal, par contre l’open source et l’open source professionnelle ne s’est jamais aussi bien portée. C’est juste ça ! Et c’est ça qui est dommage, c’est qu’en fait le côté éthique va mal !
David Keribin : Je ne comprends pas trop parce que tu dis effectivement on se retrouve face à du Google, on ne peut pas lutter, et ça je l’entends très bien vu la capitalisation qu’ils ont aujourd’hui. Maintenant un Slack, il y a trois ans ça n’existait pas. Ils sont devenus hégémoniques, pourquoi, en fait, personne ne lutte aujourd’hui ? Est-ce que le gouvernement, en mettant 100 euros dans une start-up, ils n’arriveraient pas à faire un Slack ?
Pierre-Yves Gosset : Si, ils auraient parfaitement pu le faire. Oh, là, là, je vais rentrer dans un discours, j’ai peur que ça fasse peur aux gens politiquement. Mais à un moment donné ! En plus, Framasoft est assez a-partisan, donc du coup, puisque je représente le côté association militante du Libre, je vais essayer de dire ça calmement, mais évidemment que le gouvernement pourrait le faire ! Évidemment ! Pourquoi est-ce que tu veux qu’il sorte 100 euros de sa poche quand il se dit en fait on peut laisser les citoyens et les entreprises se débrouiller. On revient à quelque chose qui est beaucoup plus vaste comme problème, c’est que vous aviez, normalement, une espèce de triptyque entre les entreprises, la société civile au sens large et l’État. Et aujourd’hui, c’est un discours que je tiens en mon nom propre, l’État est soumis à l’économie. Et surtout, à aucun moment, l’État ne va vouloir faire d’ingérence dans la façon dont fonctionnent les entreprises et donc l’État ne va pas vouloir investir sur des logiciels alors qu’il y a des entreprises qui peuvent vivre parce que des ventes de ça. Et donc Slack se crée. Slack, pour ceux qui ne voient pas ce que c’est, c’est un chat d’équipe ; ça permet à des équipes que ça soit de développeurs ou pas de développeurs, d’ailleurs, de travailler entre eux de façon relativement efficace. Il y a des alternatives dans logiciel libre, Rocket.Chat et Mattermost par exemple, qui sont deux logiciels libres alternatifs à Slack, mais il est évident que Slack ayant un business modèle relativement agressif et évolutif – au départ c’était tout gratuit et puis maintenant, si vous avez échangé plus de x messages c’est tant d’euros et puis dans trois mois ce sera encore plus cher – et donc forcément eux gagnent de l’argent et il y a une espèce de bouche à oreille qui se fait sur ces solutions-là ; mais il ne faudra pas grand-chose comme moyens pour améliorer Mattermost ou Rocket.Chat.
Et j’en reviens au problème de la contribution, Jean-Baptiste en parlait tout à l’heure, il faut réussir à attirer des bons développeurs et forcément, si Slack propose à un développeur qui sort de l’ENSET un salaire à, je ne sais pas, on va dire 7 000, 8 000, 10 000 euros par mois et que les développeurs de Mattermost lui proposent un salaire à 1 800 ou 2 500 euros, ça va être compliqué de lutter. Donc encore une fois, pour moi le logiciel libre est un bien commun, ce n’est pas vraiment un service public mais c’est un bien commun et si on n’en prend pas soin, il ne faut pas s’étonner qu’il se porte mal.
Jean-Baptiste Kempf : Moi on m’a déjà sorti, c’est un peu différent, mais je me souviens avoir eu une discussion avec le cabinet à l’époque de Le Maire où le mec m’a dit : « En fait, le problème c’est que vous êtes trop efficace. Parce qu’en fait, vous détruisez la concurrence. Nous, on est intéressés un petit peu par des boîtes qui font de l’économie ». Et en fait, oui, tu veux dire, ce n’est pas normal qu’avec une petite équipe on soit capables de faire aussi bien. Ça m’a un peu embêté, mais c’est aussi vrai. C’est que ce n’est pas forcément facile d’aller voir l’État pour lui dire je vais faire un truc quasiment aussi bien qu’une capitalisation boursière de plusieurs milliards. Il va dire mais moi, plusieurs milliards c’est de l’économie alors que vous, vous n’êtes rien, vous faites chier quoi !
Sur Slack, juste comme ça, c’est aussi parce qu’on est des gros nuls et là je parle des libristes. On n’a vraiment aucune projection, aucune projection produit et on est vraiment tous très mauvais là-dessus. Je veux dire ça fait 20 ans qu’on fait de l’IRC.
Pierre-Yves Gosset : C’est vrai.
[Applaudissements]
Jean-Baptiste Kempf : Slack c’est un IRC web dans lequel on a eu la capacité, en plus c’est un bouncer IRC web, dans lequel on a rajouté le support des GIF, une API [Application Programming Interface] pour faire des bots — mais c’est vrai, vous rigolez, mais c’est vrai — et accepté une extension IRC, pour lquelle les gens se sont battus, qui est celle d’édition de messages. Et tu arrives, tu cliques et tu as ça. Et c’est complètement de notre faute, parce qu’on utilise tous Slack !
Public : Inaudible.
Jean-Baptiste Kempf : Non ! Pas du tout, mais c’est du pipeau, la visio est arrivée hyper tard ; et puis la visio et les chats, c’est Mumble, ce sont les trucs de gamers et ça c’était open source avant Slack. Slack est arrivé. On n’est pas bons en vision produits, et ça il faut l’accepter qu’on ne soit pas bons !
Pierre-Yves Gosset : Il ne faut pas l’accepter.
Jean-Baptiste Kempf : Il faut faire quelque chose, OK ! Mais il faut le reconnaître quoi !
Christophe Sauthier : Ouais, reconnaître, vous parlez mieux français que moi.
David Keribin : Alors c’est quoi la solution, du coup, à être mauvais en vision produit ? On s’en achète une ?
Pierre-Yves Gosset : Déjà il faut penser à l’utilisateur avant de penser à soi-même.
[Applaudissements]
Et pour nous, vraiment la solution à relativement court terme qu’il faut mettre en place dans le logiciel libre, ça va être de favoriser les contributions, sinon, si on ne fait pas prendre conscience aux utilisateurs de ce que c’est qu’un logiciel libre et que donc il faut en prendre soin, pourquoi est-ce que vous voudriez qu’ils viennent en prendre en soin ? Nous, dans les solutions qu’on promeut, il y a rapprocher les utilisateurs et les développeurs ; ça va être compliqué ; ça va être essayer de trouver des moyens de financement pour que les logiciels… Tu parlais de Slack, l’exemple que je vais prendre demain dans ma conférence c’est celui de Mumble. Mumble [8], pour ceux qui ne voient pas ce qu’est, c’est une alternative, un petit peu, on va dire à Discord ou à Teamspeak. En gros, c’est un logiciel qui permet de faire de la voix, à plusieurs voire à plusieurs dizaines et nous on a souvent la question d’associations qui nous disent : « Nos membres sont répartis partout en France, on voudrait faire une conférence audio à 40 personnes. Qu’est-ce que vous proposez ? » Il y a un logiciel qui s’appelle Mumble, qui fonctionne très bien. Mais allez voir le site ! Il est dégueulasse ; c’est un wiki, il n’y a pas une image, il n’y a pas un screenshot, c’est juste horrible ! On vous dit : « Qu’est-ce que tu veux télécharger ? La version x 64 pour AMD machin et tout. » Nous on sait ce que ça veut dire mais pour le grand public non, c’est clair ! Le logiciel est développé en technologie qui s’appelle GT4 3, qui rappelle les années 90, voilà ! Et, en face de ça, vous avez du Discord ou du Teamspeak, qu’utilisent notamment les gamers et qui marchent super bien. Et forcément, je n’ai même pas été vérifier, mais je suis sûr que si je reprends mon petit calcul il y a zéro développeur qui fait plus de 50 contributions à Mumble par an ; je suis à peu près prêt à en mettre ma main à couper. Donc si on n’est pas fichus de dire ceci est un point important, il faut qu’on le travaille pour répondre au besoin de Jean-Baptiste qui dit : « Moi ce que je voudrais c’est une alternative à Google Apps qui juste marche et dont je n’ai pas à m’occuper parce que moi, en tant que chef d’entreprise, ce n’est pas mon boulot de gérer une Stack bureautique cloud. » ; il a tout à fait raison !
Jean-Baptiste Kempf : D’ailleurs, j’aimerais bien que ce soit Framasoft qui le fasse !
Pierre-Yves Gosset : Jamais ! Jamais ! Non, mais concrètement ! Du coup, moi je fais un appel à des entreprises numériques libres : coucou, si vous nous regardez à la télé. À ce moment-là, montez des boîtes qui vont proposer ça comme services parce qu’il y a une vraie demande et que tant qu’on n’investira pas pour que, par exemple, une solution comme NextCloud soit encore plus performante, etc., on n’aura pas de solutions à proposer à des gens comme Jean-Baptiste et c’est catastrophique ! Aujourd’hui il résiste et je l’en félicite, mais ça lui coûte, quoi ! Ça lui coûte financièrement, ça lui coûte en temps, ça lui coûte en productivité : il pourrait être plus efficace ailleurs. Et si c’est le cas déjà pour quelqu’un qui est libriste, je vous laisse imaginer pour le plombier du coin.
Sébastien Dinot : Là on est en train de monter un plan d’action. On va rapprocher les utilisateurs des développeurs, sachant que les utilisateurs ce ne sont pas eux qui vont faire le premier pas, donc c’est aux contributeurs, aux développeurs d’aller vers les utilisateurs. Deux, on va faciliter les contributions et c’est quoi après la suite ?
David Keribin : Il y a une question de marketing aussi je crois parce que aujourd’hui VLC est bien « markété », pourquoi le reste ne l’est pas ? Le reste du logiciel libre ?
Jean-Baptiste Kempf : Une des premières choses que j’ai faite quand je suis arrivé à bosser sur VeoLAN, c’est refaire le site web. Aujourd’hui, quand tu regardes le site web de VeoLAN, alors il y a plein de choses à dire, mais il est responsive ; il pèse moins de 400 kilooctets ; quand tu as arrives, tu as un gros bouton « télécharger ». C’est marrant j’ai parlé une fois à une conférence de web « marketeux » qui font de l’optimisation pour que les gens restent le plus longtemps possible et moi je leur ai montré comment on faisait pour que les gens restent le moins longtemps possible.
[Applaudissements]
En particulier parce que, à l’époque, on avait un serveur et demi et en fait, chaque requête coûtait cher, quoi ! Donc nous on fait un peu l’inverse. En tout cas, nous on a fait énormément de travail, surtout moi personnellement parce que les autres n’en avaient rien à foutre, mais VideoLAN, franchement, alors pas l’interface graphique de VLC, d’ailleurs qui a une très bonne UX [User eXperience] et une très mauvaise UI [User Interface], c’est-à-dire que ça juste marche ; il y a quelques boutons ça fonctionne, c’est très moche ; ça, ça va être réparé et d’ailleurs, sur le mobile on a fait beaucoup d’efforts. Mais rien que le premier look, le wiki, etc., ça prend beaucoup de temps, mais nous on a fait ça. Et ce marketing qui marche aussi avec le cône. C’est une blague le cône parce que personne de sain d’esprit n’utiliserait un cône pour un lecteur vidéo, mais résultat, en fait c’est super fort et on en joue énormément. Et ça, c’est hyper important, parce que le marketing aujourd’hui c’est fort et la marque VLC c’est important.
Jean-Baptiste Kempf : Je crois que Docker il y a une question de marketing aussi derrière ?
Adrien Blind : Vous êtes durs !
[Sifflements de Sébastien Dinot]
Adrien Blind : Oui, je pense que l’entreprise Docker, en tant que telle, elle a une question et elle a un enjeu de marketing pour effectivement se placer, mettre en avant ses produits. Ce qui est très intéressant, je trouve, c’est que finalement Docker, il y a l’entreprise qui propose toute sa palette de services et une version entreprise du produit, bien sûr, mais ce que je trouve intéressant dans cette logique de synergie c’est que l’image de Docker, parce que les gens parlent de Docker, Docker, Docker, mais derrière, en fait, maintenant, tous les morceaux de Docker on les retrouve dans des projets open source qui sont gérés justement avec l’Open Container Initiative de façon indépendante de Docker. Et je trouve que ce qui est intéressant, bien que tout ça, ça peut vivre sans Docker, ça bénéficie aussi de l’aura de Docker. Et je trouve qu’il y a une certaine synergie qui s’installe dans laquelle, finalement, on a des projets qui sont complètement open source et vous pouvez tout à fait monter votre propre solution de « contenairisation » en toute indépendance de Docker si vous le voulez, puisque, finalement, un Docker Community, ce n’est plus finalement aujourd’hui que l’assembly de référence, en fait, du projet Moby dans les grandes lignes. Ce qui est intéressant c’est que, du coup, vous pouvez faire ça de votre côté, mais il y a de la dynamique autour des communautés, il y a de la dynamique autour de ce sujet, parce qu’il y a aussi cette image de Docker. Et l’entreprise, finalement, elle est porteuse de cette dynamique, de cette image ; elle a une force de frappe, elle organise ses conférences, ses événements, bien sûr, mais, du coup, je pense que c’est une synergie qui est gagnante-gagnante. C’est un peu comme ça que je le vois : je ne sais pas si c’est une bonne réponse.
Sébastien Dinot : Tout à l’heure j’ai lancé deux premières actions mais comme personne n’a donné suite, je vais donner une suite moi-même. Donc je répète : les développeurs doivent s’intéresser aux utilisateurs pour savoir ce qu’ils peuvent faire de sympa pour eux. Ensuite, il faut faciliter la contribution, pour que plus de gens contribuent. Mais ensuite, il y a un autre problème, il faut garder les contributeurs et garder les contributeurs, ça veut dire quoi ? Ça veut dire être bienveillant envers eux, voir s’ils ont besoin d’aide. Christophe, un de mes collègues et ami qui est, comme moi, très actif sur OpenStreetMap me racontait il y a quelques jours que dans les zones dont il s’occupe, lorsqu’il voit qu’un contributeur a fait une modification, eh bien s’il voit que la modification n’est pas parfaite et que ce contributeur est plutôt jeune, il lui envoie un message bienveillant disant « ah tiens, j’ai vu que tu as contribué. C’est bien ! Regarde, alors ça on ne le fait pas comme ça ; ça on le fait comme ça et puis, bon si tu as besoin d’aide, dis-moi, je te file un coup de main. » Voilà ! Et le gars ou la fille qui a contribué reçoit un message sympa qui l’invite à améliorer sa pratique en lui proposant du support, en lui proposant du conseil et ça, c’est génial ! C’est un super réflexe ! Et le problème c’est que plus souvent dans le Libre, j’entends des gens dire « oh purée, il y a un boulet qui vient de me pousser du code ! Mais je ne comprends pas comment on ose écrire du code comme ça ! Alors lui, avant que j’accepte sa pull request ! » Non ! Ce n’est pas ça ! Il faut prendre soin. La chose la plus importante que nous ayons, la chose vraiment la plus précieuse pour le Libre, c’est la contribution et il faut être bienveillant envers les nouveaux contributeurs ; il faut les aider ; s’ils ont faux au début, il faut les accompagner. Et ça vous permettra d’augmenter la masse.
Christophe Sauthier : CGM [Consumer-generated content]
[Applaudissements]
Christophe Sauthier : J’ai une vision beaucoup plus noire que toi ! J’ai géré le mentoring sur Ubuntu pendant trois ans, au niveau mondial. On a dû avoir un développeur qui est resté. Trois ans ! Un développeur qui a été vraiment et qui a passé plein d’étapes et qui a fini core et tout ce que tu veux ; mais un en trois ans ! Et on a mis un effort dedans énorme. On faisait des rappels, on faisait des re-rappels, on faisait des re-re-rappels. On disait aux gens tout ce que tu veux. Le problème c’est que les gens, au bout d’un certain temps ! Quand on a lancé le mentoring il y a plein de gens qui sont venus, plein de gens qui ont dit : « Ah je veux participer, je veux participer ! » Mais au bout d’un certain temps, le produit Ubuntu marchait plutôt bien, on était la « distro » la plus utilisée, et puis plus personne ne voulait contribuer. En fait, les gens prenaient le produit tel quel et ça marchait. Qu’est-ce qu’ils en avaient à faire ! Plus personne ne voulait participer. Donc je suis un peu plus mitigé que toi sur la facilité qu’on pourrait avoir à attirer de nouveaux développeurs parce que je pense que tout simplement les gens sont, comme on le disait tout à l’heure, dans une culture du « j’ai quelque chose qui fonctionne, ça me suffit ». Tu sais c’est du temps de cerveau disponible. Ils ne vont pas passer du temps à travailler dessus alors qu’ils peuvent avoir la même chose, qui marchera aussi bien, que quelqu’un d’autre fera à leur place.
Adrien Blind : Après, je pense aussi qu’il y a de nouvelles formes de contribution qu’on peut aller chercher. Souvent, effectivement en entreprise ou dans les gouvernements, on a tendance à associer le Libre ou l’open source au gratuit, à la facilité, finalement, de capter quelque chose sans avoir de contrepartie. Je pense qu’on peut faire des choses un peu plus smart que ça. Dans une des entreprises dans lesquelles j’ai bossé, à un moment donné on voulait se tourner vers une solution qui était justement libre. Et ce que j’expliquais, j’expliquais que eh bien finalement, certes, en apparence c’est gratuit tout ça, il n’y a plus de frais de licences, ce genre de choses, il n’y a plus de support, mais justement, j’avais joué sur la fibre du support pour essayer de chercher quelque chose d’autre, en expliquant que si on ne paye plus de support, les entreprises et les décideurs, parfois, se retrouvent un petit peu apeurés : ils se disent comment je vais m’en sortir si je commence à avoir des problèmes. Et ce que leur avait expliqué c’est de se dire qu’une autre façon d’aborder la question c’est que ce que tu payais en licences ou que tu investissais dans du support à un tiers, pourquoi tu ne l’investirais pas dans la formation, dans la capitalisation de tes équipes ? Et pourquoi tu ne ferais pas en sorte qu’un certain nombre de personnes, chez toi, commencent à commiter du code, à participer, à s’investir. Parce qu’en s’investissant dans ces projets c’est une façon de gagner en compétences, de s’approprier l’expertise pour utiliser ses outils et finalement de rendre quelque chose aussi en contrepartie. Donc je trouvais que c’était un modèle assez intéressant à explorer et ce sont des choses qui parlent parce que, en fait, il y a des bonnes intentions, il y a plein de choses qu’on peut vouloir faire, mais souvent, et particulièrement en entreprise, il y a un enjeu, c’est de faire raisonner une fibre qui parle aux dirigeants et leur expliquer que pour un modèle pour des entreprises qui avaient l’habitude d’être, finalement, dans une position de confort en disant : je paye du support, tout ça ; les entreprises qui me fournissent, finalement, devront assumer si jamais j’ai des problèmes. Ah oui, mais si on prend du Libre, si on prend d’autres choses, il va falloir qu’on se débrouille. Eh bien capitalisons et une façon de capitaliser c’est d’apprendre, c’est de donner, c’est de contribuer pour, justement, être un acteur et pas simplement un consommateur passif. Et on y gagnera notre compte. Et ça, ils comprennent leur propre intérêt et c’est quelque chose qui peut marcher.
David Keribin : On se rapproche de la fin de cette table ronde. Ce que je vous propose, on va passer aux questions, mais avant de passer aux questions, je vais vous laisser chacun une toute petite minute pour donner un dernier point. Le thème c’était « La place du logiciel libre dans la société ». Je pense que la question que je vous poserai sur la toute fin, c’est une solution qui existerait – Adrien tu viens de griller ta cartouche –, une solution qui existerait pour améliorer cette place du logiciel libre ? Et Christophe je te laisse commencer.
Christophe Sauthier : Une solution qui existerait ? Que les gens prennent conscience de l’éthique qu’il y a derrière. Que les gens s’engagent en fait ! Qu’il y ait un peu plus d’engagement « citoyen », entre guillemets, et qu’on ne prenne pas pour acquis et se dire : oui, les autres le feront à ma place. Je pense que c’est quelque chose qui est valable pour le logiciel libre ici, puisque c’est notre propos, mais c’est valable pour beaucoup de choses. Si les gens s’engageaient un peu plus, on ferait un peu plus avancer les choses. Mais il n’y a pas de solution miracle pour moi. On le disait tout à l’heure, le côté pro marche parfaitement bien dans l’open source aujourd’hui. C’est le côté éthique qui pèche. C’est l’engagement personnel qu’il peut y avoir par rapport à ça. Et cet engagement personnel se retrouvera au niveau des entreprises aussi, se retrouvera au niveau des particuliers, au niveau des gouvernements, parce que je pense que les gouvernements, malheureusement, le côté éthique du logiciel libre, il s’en moquent un peu.
David Keribin : Merci.
Jean-Baptiste Kempf : Moi je n’ai pas de solution. Je n’ai pas de solution miracle. Je pense, évidemment, ce que vous avez dit et vous avez bien recouvert, je pense juste qu’il faut vraiment que nous, en tant que contributeurs, on pense un peu plus produit ; je sais que c’est un gros mot, on pense un peu plus marketing. Mais aussi il faut que, alors là je vais taper sur toutes les associations du Libre en France, mais c’est imbitable. Im-bi-ta-ble. Franchement entre l’AFUL [Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres], l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales], la FSF [Free Software Foundation], la FSFE [Free Software Foundation Europe], l’April [Association pour la promotion et la défense du logiciel libre], le machin, etc., il y en plein qui font plein de boulot. C’est imbitable. Résultat, on n’arrive pas à parler à des gros acteurs et on n’arrive pas à parler au gouvernement en soi et ça, je pense qu’il y a un vrai souci !
Adrien Blind : Moi je l’ai grillée ma cartouche, je pense qu’effectivement c’est un axe important, mais je pense qu’il faut aussi beaucoup faire résonner les intérêts des entreprises ou de chacun, parce que l’éthique, c’est un relais, c’est une motivation supplémentaire, mais ça ne rentre pas, malheureusement trop souvent, dans le radar des objectifs de court terme. On est toujours dans des questions de rentabilité, d’optimisation et souvent j’ai tendance, personnellement, à essayer de ramener des objectifs très terre à terre l’intérêt de pouvoir contribuer, de pouvoir s’investir dans le Libre. Parce que, justement, je crois assez peu au fait que la plupart des entreprises aient vocation à être sincèrement éthiques, en fait. Ce n’est pas la finalité d’une entreprise, c’est la finalité d’une fondation et je pense que, pour la plupart des entreprises, ça peut être du marketing, ça peut être de la communication, ça peut être des actions, mais ce n’est pas un levier profond. Elles sont beaucoup plus portées par de la rentabilité ou des choses beaucoup plus terre à terre, malheureusement, et leur servir des centres d’intérêt qui peuvent résonner chez elles, pour faire avancer des bonnes causes, au fond, c’est une façon, je pense, de trouver un autre tableau pour essayer de faire avancer les choses.
David Keribin : Merci.
Sébastien Dinot : Je pense qu’il y a des solutions locales. Enfin il y a des solutions, on va dire, qui concernent certains écosystèmes. Par exemple, pour OpenStreetMap, les gens ne comprennent pas pourquoi par exemple en France nous perdons notre temps à créer des cartes alors qu’il y a déjà Google Maps et qu’il y a l’IGN. Et c’est très dur de leur expliquer, comme ça, pourquoi nous faisons ça. Par contre nous avons un super projet qui s’appelle HOT, Humanitarian OpenStreetMap Team [9]. C’est la cartographie de crises. Quand il y a un événement, une catastrophe naturelle, les contributeurs se mobilisent et créent pour les ONG qui sont sur le terrain des cartes, en quelques heures ou quelques jours, et après les ONG ne veulent plus que ces cartes. Et ça, c’est une mission noble, que nous devrions plus mettre en avant pour que les gens comprennent l’intérêt qu’il peut y avoir à faire des cartes comme ça.
Mais après, de manière plus globale, si on cherche des solutions globales, je pense qu’il faut utiliser ce qui pour les libristes est un vilain mot : le marketing. Tu parlais de produit, mais au-delà du produit il y a le marketing. Il y a, vraiment, oui, savoir vendre nos solutions et les rendre sexy.
David Keribin : Merci.
Pierre-Yves Gosset : Je suis 100 % d’accord avec Christophe sur le côté engagement. Je suis 100 % d’accord avec Jean-Baptiste sur le côté il faut pouvoir penser produit et penser utilisateur. Sur le côté dialogue avec le gouvernement, les associations qui essayent de dialoguer avec le gouvernement c’est parfois compliqué, je pense notamment à La Quadrature du Net [10] qui vient de lancer sa campagne, donc faites un don, et qui s’épuisent là-dessus.
Sur le côté éthique je suis d’accord et pas d’accord. C’est-à-dire que je ne crois pas que quand on est coupé en deux, c’est-à-dire quand on est entrepreneur, quand on a créé une start-up ou autre, on est une seule personne, on n’est pas deux dans sa tête, et donc on peut être entrepreneur et éthique – ce qui n’est pas forcément le cas de tout le monde, chacun fait ce qu’il veut, mais voilà –, on peut être les deux à la fois ; même si un objectif c’est la rentabilité, on peut ne pas vouloir une rentabilité maximum. Et nous, ce qu’on essaye de promouvoir c’est, au début on disait « convergence des luttes » et du coup Pouhiou m’a dit : « Convergence des buts, ça sonne mieux ! » Effectivement, je pense qu’on doit essayer de trouver ce qui fait qu’on a un but commun, quels sont les gens avec qui on partage des valeurs. Et essayer de faire en sorte qu’on décloisonne ces différents secteurs et qu’on n’ait pas d’un côté les informaticiennes et les informaticiens et de l’autre le bas peuple qui galère à utiliser Thunderbird ou d’autres logiciels ; et c’est pour nous une solution à mettre en œuvre ; je ne sais pas si c’est la solution, mais c’est celle qu’on veut essayer de promouvoir pendant les trois prochaines années, en tout cas.
David Keribin : Merci Pierre-Yves. On va donc passer aux questions. Mais avant, je pense qu’on peut applaudir les participants.
[Applaudissements]
Et un micro va passer pour les personnes qui lèvent la main, qui souhaitent poser des questions.
Public : Bonjour. Vous avez commencé cette table ronde avec une définition qui était très belle, qui m’a beaucoup plu, qui était que le logiciel libre c’était de l’open source avec une éthique. Moi je veux juste faire un petit point d’histoire. Au tout début d’Apple, quand les deux Steve étaient des Babas-cool, ils ont mis, dans les licences de leurs ordinateurs, l’interdiction pour les pouvoirs publics d’utiliser leurs ordinateurs ; ceci dans l’optique d’empêcher que la police et l’armée s’en servent. La contrepartie, et ce pourquoi ça a été retiré, c’est que ni l’éducation publique n’y a eu accès, ni les hôpitaux publics, bien évidemment. En fait, moi ce qui m’inquiète c’est que quand vous faites cette définition, j’ai surtout l’impression que le logiciel libre, pour vous, c’est de l’open source moins une liberté. Et moi, ça m’inquiète tout simplement parce que ça veut dire que, peut-être, on est en train de réduire, avec ce mode de pensée aussi, la diffusion du logiciel libre ; ça m’inquiète !
David Keribin : Qui est-ce qui souhaite répondre ? On essaie de répondre rapidement pour avoir un maximum de questions.
Pierre-Yves Gosset : Oui. Comme c’était ma définition qui n’engage que moi, je vais me permettre la réponse. Dans les licences vous avez différents types de licences. Vous avez des licences qu’on va dire avec copyleft et des licences sans copyleft ; c’est-à-dire est-ce qu’on doit conserver les attributs au fur et à mesure des modifications du logiciel libre – je caricature, je vais extrêmement vite, je suis désolé, mais on est pris par le temps. Je ne pense pas que le copyleft soit une liberté en moins par rapport à d’autres types de licences type BSD [Berkeley Software Distribution License]. Et donc pour moi dire qu’il y a de l’éthique dans le logiciel libre c’est potentiellement un frein à sa diffusion, je l’entends, je peux le comprendre. Tout comme le copyleft c’est moi, personnellement, quelque chose que je peux défendre.
David Keribin : Merci.
Public : J’ai un souci. En tant que développeur j’ai l’impression que quand je développe un logiciel pour aider les gens, parce que j’aime beaucoup le Libre, j’ai écrit un livre, et on a Google, Facebook, Apple, qui écrivent des très bons livres et que quand je propose à mon entourage de contribuer, eh bien je demande à une société d’illettrés d’écrire des livres, parce que personne ne sait coder. Personne ne sait programmer. Pour pas mal de gens, c’est de la magie ! Du coup, comment régler ce problème de demander au Libre, de dire « contribuez ! », mais ils ne savent pas coder !
Jean-Baptiste Kempf : Ouais mais ça s’apprend !
Public : Oui, mais tu peux utiliser Google à la place de l’apprendre.
Jean-Baptiste Kempf : Ouais, mais tu vois, ça s’apprend. Moi j’ai commencé sur VLC je ne savais pas coder. J’ai appris à coder en codant VLC. Donc ça se fait, mais il faut éduquer. Et donc tu demandes à Framasoft de le faire !
[Rires]
Public : D’accord !
Christophe Sauthier : Juste pour te répondre, ton entourage peut contribuer aussi sans coder. Il peut parler de ton logiciel. Il peut dire « regarde, ce logiciel je l’utilise et je fais ça ». Ton entourage peut te dire « ta fonctionnalité, là, elle ne marche pas ! » ; il peut tester. Tout ça c’est contribuer à un logiciel ; le faire avancer.
David Keribin : Vas-y, prochaine question.
Public : Moi j’avais une question c’est que le monde du soft, que ce soit open ou libre ou pas libre d’ailleurs, en fait il a quand même pas mal « shifté » ces dix dernières années, pour se transformer en des plateformes de run. Et d’ailleurs je pense que le succès des plateformes Framasoft est aussi lié à ça. C’est-à-dire que quand vous parlez d’open source, tout le long de la table ronde qui était très intéressante, vous parlez de l’open source installée sur un poste, de l’open source locale ou du logiciel libre local. Un des gros problèmes, de mon point de vue aujourd’hui, qui se pose au logiciel libre, c’est qui le run, en fait ? Qui le run ? Où est-ce qu’il tourne ? Qui maintient les serveurs sur lesquels il tourne et qui en a la gouvernance ? Ce qui peut être d’ailleurs un axe, comment dire, un axe d’amélioration au niveau économique. Puis qu’aujourd’hui, avec les plateformes de paiement communautaire, on a la capacité, en fait, de procéder à une économie militante par rapport à ça et moi je trouve que, justement, la démarche de Framasoft par rapport à cette gestion du logiciel libre au niveau de la plateforme qui le run, c’est finalement un modèle qui peut s’avérer vertueux et vers lequel il faudrait tendre.
Pierre-Yves Gosset : Évidemment, oui, je suis d’accord avec toi, il se pose cette question-là. Maintenant encore fois, qui le fait tourner ce logiciel, nous on préfère que ça soit des milliers de petites structures plutôt qu’une seule. Et donc nous on ne souhaite pas, encore une fois, avoir une position de silo et être le Google du Libre. S’il y en a qui veulent essayer lancez-vous, moi ça ne me dérange pas plus que ça. Encore une fois, on a essayé de répondre à cette question-là via CHATONS. L’idée de CHATONS c’est de dire « on veut essayer de résoudre cette problématique-là en buvant des coups ». On veut essayer de sauver l’informatique en buvant des bières.
David Keribin : On s’en rapproche, ça sera juste après.
Pierre-Yves Gosset : Et du coup, le fait de boire un coup avec la personne qui fait tourner ton serveur te redonne confiance, quelque part. Qui est le tiers de confiance ? Aujourd’hui, le tiers de confiance c’est Google ou c’est Facebook, etc. Et donc, le fait de dire eh bien moi je vais monter une asso à Toulouse qui va accueillir les associations ou des entreprises toulousaines qui ne veulent pas aller chez Facebook, Google et compagnie, c’est un modèle économique parce que tu peux le vendre et tu diras aux gens « eh bien vous pouvez me rencontrer, etc. » Donc pour ça, pour moi encore une fois, ce qui fait la différence et pourquoi est-ce que ça a marché avec Framasoft ? Je rappelle que Framasoft c’est uniquement à titre de démonstration. Si vous utilisez Framasoft sur le long terme ne venez pas vous étonner, ne venez pas pleurer si à un moment donné on coupe l’accès. On s’est donné ça à travers les conditions générales d’utilisation de Framasoft de pouvoir vous virer ou de pouvoir couper le service du jour au lendemain. Donc quand vous venez utiliser nos services, ça peut être coupé.
Par contre, on prend l’engagement éthique de ne pas exploiter vos données, de ne pas mettre de publicité, de chiffrer au maximum les données qu’on va héberger et ça, n’importe qui peut le faire à son niveau. Nus on est pour l’auto-hébergement, mais je ne crois pas que l’auto-hébergement soit là à court terme. Il y a La Brique Internet [11], par exemple, ça fonctionne, mais ce n’est pas demain que mon frère ou ma sœur vont utiliser La Brique Internet. On est là uniquement en tant qu’intermédiaires sur cette démarche de savoir qui fait tourner le logiciel. Voilà ! En faisant de la proximité et du local, on espère que ça sera compréhensible pour le grand public.
David Keribin : Merci. On va prendre encore deux questions. Au milieu là. Allez-y. Voilà, son micro.
Public : Merci. Donc voilà. Bonsoir, je suis Frédéric ***. Je vous dis déjà bonsoir les gars, parce que sur le podium il n’y a que des garçons. La seule femme c’est la traductrice LSF et elle a beaucoup de mérite d’ailleurs. Bravo ! Les deux, deux traductrices.
[Applaudissements]
Je me suis beaucoup amusé et ça fait longtemps que j’ai envie de réagir parce que je vous entendais tout à l’heure parler d’éthique et de gratuité. Et je me suis dit merde, j’ai regardé ma montre, on est en 2017, j’avais l’impression d’être aux RMLL en 2000. C’est-à-dire que je vais vous parler de moi. De l’éthique, je n’en ai aucune. Mais vraiment aucune ! C’est très important. Ma banque c’est N26, elle est en Allemagne et que les banques françaises crèvent mais tant mieux quoi ! Elles se font du fric sur le dos des pauvres. Mon fournisseur de billets de train c’est Trainline, anciennement Capitaine Train. Merde ! La SNCF va souffrir, mais tant mieux ! Tant mieux ! Vous avez vu ce que c’est la SNCF ? Je ne vais pas développer.
Aujourd’hui vous continuez à débattre donc d’éthique et de gratuité. Mais le Libre, s’il veut encore avoir un avenir, il ne doit pas seulement être gratuit : il doit être simple. Vous l’avez un petit abordé. Sébastien l’a dit le plus. Je crois que c’est un de ceux qui a bien compris ; Framasoft aussi. Mais la simplicité c’est essentiel ! Il a aussi parlé Sébastien, qui ne dit que des bonnes choses, de la bienveillance. C’est sûr que ce n’est pas pareil quand on va dans OpenStreetMap et quelqu’un vous dit : « Oh tu as fait une erreur je vais t’expliquer » que : « Putain ! Il y a un mec qui a fait une contrib, j’ai tout effacé parce que c’était encore merdique quoi ! » Il y a la même chose dans Wikipédia, qui a le même problème avec les contributeurs, donc la bienveillance c’est essentiel. Maintenant j’arrive à…
David Keribin : La question.
Frédéric du public : La question c’est comment est-ce qu’on fait marcher le Libre ? Je continue à parler de moi justement. Pourquoi est-ce que moi je fais du Libre ? Ce n’est pas par éthique, je vous ai dit que je n’en ai aucune. Ce n’est pas pour la gratuité, parce que, de toutes façons, ça ne me rapporte pas beaucoup de tune. Mais il y a quand même des choses intéressantes dans le Libre. C’est que dans le Libre, déjà, on peut s’amuser et c’est une raison essentielle. J’espère que dans la salle, vous partagez ça, sinon, vous vous êtes un peu plantés. La deuxième des choses c’est que dans le Libre on peut s’instruire. Je parle encore de moi, moi j’ai appris à programmer dans Hebdogiciel. Il y en a dans la salle qui connaissent Hebdogiciel ?
[Cris du public : oui]
Frédéric du public : Ouais !
David Keribin : Si on peut arriver à la question, ce serait top !
Frédéric du public : Dans le Libre on rencontre aussi des gens sympas et je pense aussi dans la salle ; les gars sympas levez-vous ! Les filles aussi, les filles sympas ; tous les gens sympas levez-vous ! Voilà !
David Keribin : Ils sont sept.
Frédéric du public : C’est bien ; ça me suffit. Ce sont eux qui nous font avancer tous. C’est le taux de contribution qu’il y a à VLC, c’est la même chose, en fait.
David Keribin : C’est un grand remerciement, en fait, général.
Frédéric du public : Non, non ! J’arrive au dernier point. Moi je vous dis pourquoi, le point fondamental, pourquoi est-ce que je fais du Libre, c’est que le Libre me donne du pouvoir. C’est que, avec du Libre, je suis capable dans mon garage, avec ma petite connexion de merde, de faire la même chose que Google, en fait. Et ça, c’est juste en ayant appris dans Hebdogiciel, juste en ayant fait des réunions avec des gens sympas.
Pierre-Yves Gosset : Je n’ai pas compris ta question. Par contre, en tout cas ce qui est clair, c’est que tu n’es pas le public qu’on cherche aujourd’hui à Framasoft.
Frédéric du public : Mais heureusement !
[Applaudissements]
Frédéric du public : Ma question c’est : l’avenir du Libre est dans la simplicité. Et tant que vous n’aurez pas compris ça ! Si aujourd’hui il y a dans la salle des gens qui bossent sur du Libre et que leur logiciel est libre mais compliqué, ils peuvent arrêter tout de suite ; il n’a aucun avenir.
Jean-Baptiste Kempf : En fait, je suis désolé, mais on parle de questions. Il n’y a toujours pas de question dans ta question, donc ce n’est pas cool ! Ça c’est la première remarque. La deuxième c’est que tu n’as pas écouté ce qu’on a dit donc en plus c’est gênant. Justement, j’ai dit plusieurs fois que l’important dans VLC c’est qu’il y avait du marketing, un bon produit, que c’était simple, qu’il y avait une bonne UX et que les gens l’utilisaient parce que c’était mieux que le reste. Donc en fait, tu n’as pas écouté ou tu n’as pas bien écouté. Ensuite si tu poses une question, on te demande de vraiment poser une question. Et la question ce n’était pas vis-à-vis de toi, vis-à-vis des gens de la salle, mais la question c’est dans la société et malheureusement on n’est pas juste la société. Voilà ! Est-ce qu’il y a quelqu’un qui a une vraie question ?
David Keribin : Allez, merci pour la dernière question s’il vous plaît. Merci Jean-Baptiste. Celle-là doit se finir par un point d’interrogation si c’est possible.
Public : J’ai une question : quand je vais dans un magasin et que je veux acheter un ordinateur avec des logiciels libres dedans, quel que soit l’ordinateur, ils ne sont jamais, en fait, implémentés dans l’ordinateur. C’est compliqué pour les utilisateurs, en fait.
David Keribin : Du coup on va répondre aux deux questions qui sont pourquoi ? Et comment faire pour que ça change ?
Pierre-Yves Gosset : Comment faire pour que ça change ? Ça a été un combat du logiciel libre pendant quasiment quinze-vingt ans de lutter contre les « racketiciels », de lutter contre les logiciels pré-installés. On a échoué. Je ne sais pas répondre aujourd’hui. Pour moi la réponse elle est, encore une fois, dans la capitalisation boursière de ces entreprises qui sont tout à fait capables, aujourd’hui, de payer des tombereaux d’avocats payés des milliers d’euros chaque mois, et qui vont faire en sorte que des lois qui permettraient que le logiciel libre soit pré-installé d’office et qu’on puisse se faire simplement rembourser le fait que quand on achète un ordinateur avec Windows, on va se faire se rembourser son Windows ; c’est possible mais c’est un parcours du combattant ; on en revient à la question de la simplicité. Et du coup, aujourd’hui, non ça n’est pas simple. Je n’ai pas d’autre réponse et solution à ça que d’y aller à plus nombreux que ce qu’on y a été. Je pense que Sébastien connaît bien le sujet parce que ça a été traité aussi à l’April. C’est un combat qui n’est pas perdu. Aujourd’hui on peut acheter des ordinateurs avec du Ubuntu, Debian, pré-installé dessus. Mais ça ne représente pas la majorité de l’informatique. À la fois j’en suis désolé et, à la fois, c’est un combat qu’on a perdu. Est-ce qu’on avance ou est-ce qu’on reste ?
David Keribin : Est-ce qu’aujourd’hui on n’est pas capable de le remporter avec l’avènement des solutions cloud ? Est-ce que aujourd’hui avoir un logiciel installé, de toutes façons il ne va pas être utilisé et tout va se passer dans le cloud ? Alors ce sera un navigateur qui ne sera peut-être pas libre, mais est-ce que, en fait, les solutions du Libre ne sont pas là ?
Pierre-Yves Gosset : Qui peut aujourd’hui proposer, moi je suis pour, mais on la brique technique. Par exemple on pourrait dire qu’OpenStack permet, entre autres, de proposer à du grand public un déploiement d’une infrastructure libre à laquelle on pourrait accéder de la même façon dont on accède à du Office 365, à du Google Apps, etc. Mais c’est pareil ! Je refais mon appel, coucou la caméra : « entreprises du Libre, si Framasoft a réussi avec un adminsys et entouré, quand même, d’une équipe de bénévoles, de salariés, de contributeurs et de contributrices, à proposer du service à 400 000 personnes, qu’est-ce qui vous empêche de monter une boîte et de vendre ce service auquel les gens accéderont ? » Du coup ils achèteront un ordinateur. J’espère qu’il y aura un navigateur libre dedans et depuis ce navigateur libre ils accèderont à du contenu libre. Mais aujourd’hui ça n’est pas le cas et on n’a pas d’offres. Que ça soit clair, ça n’est pas la faute de Framasoft !
David Keribin : Merci. Juste avant de repasser la main à Lionel, j’aimerais bien qu’on félicite, une nouvelle fois, les intervenants de la table ronde, mais également toute l’équipe qui a permis à cette table ronde d’exister ; les traductrices en langue des signes ; toutes les équipes techniques. Je suppose qu’il y a TVn7 et CAn7 derrière, donc spéciale dédicace à TVn7. Et en règle générale à toute l’association qui a permis à cette journée d’exister. Et je passe la main à Lionel [Porcheron], avant que vous ne partiez, s’il vous plaît.
[Applaudissements]
Sébastien Dinot : Juste un petit remerciement à l’animateur qui n’a pas été trop méchant avec nous !
[Applaudissements]
Lionel Porcheron : Merci à tous. Merci David. Quelques mots pratiques. Du coup, vous êtes tous conviés à un pot qui se déroule dans le foyer des étudiants qui est offert par l’association Toulibre.
Sébastien Dinot : Tu vois, lui il s’y connaît en ambiance !
Lionel Porcheron : C’est simple. C’est tout droit.
Sébastien Dinot : Je vous rappelle c’est l’action numéro 4 dans le plan d’actions. Tu grilles un peu les étapes.
[Indications pratiques]
Public : Merci beaucoup.