Interview Tangui Morlier sur France Inter le 23 mars 2010
Tangui Morlier, le nouveau président de l’April, était l’invité de Joe Farmer dans l’émission Allô la planète (France Inter) du 23 mars 2010.
Enregistrement audio de l’émission : 10121-23.03.2010-ITEMA_20220731-0.mp3 (à partir de 20mn30).
Extrait en OGG : france-inter_20100323.ogg
Transcription
Allô la planète sur FranceInter.com
Joe Farmer : ... Et la transmission peut se faire par Internet. Nous allons maintenant parler multimédia avec Tangui Morlier, bonsoir.
Tangui Morlier : Bonsoir.
Joe Farmer : Vous êtes le président de l’April, est-ce que vous pouvez déjà nous dire ce qu’est l’April ?
Tangui Morlier : Ah tout à fait. L’April c’est l’association de promotion et de défense du logiciel libre. C’est une association assez grande puisqu’on a plus de 5400 adhérents et donc le but du jeu c’est de faire connaître le logiciel libre.
Joe Farmer : D’accord. Donc, tout le monde parle de logiciel libre maintenant, aujourd’hui en 2010. Est-ce que vous pouvez nous expliquer le plus simplement possible ce que ça veut dire ? C’est quoi la définition d’un logiciel libre ?
Tangui Morlier : Alors un logiciel libre, grosso modo, c’est un logiciel qui se partage. Et, pour être un peu plus précis dans la définition, c’est un logiciel pour lequel on donne 4 libertés aux utilisateurs. La première, c’est la liberté d’utiliser le logiciel. Ça c’est relativement classique mais il se trouve que dans certains logiciels qui ne sont pas libres, ce n’est pas tout le temps le cas. Typiquement, si jamais vous n’avez pas d’argent pour vous payer un logiciel non libre par exemple, et bien vous ne pourrez pas l’utiliser. Dans les logiciels libres, quelques soient vos ressources, vous pourrez l’utiliser. Parfois, on ne lit pas forcément la licence assez compliquée qu’on doit forcément accepter pour utiliser des logiciels dits propriétaires et, quand on regarde bien, on nous interdit de les utiliser si jamais on est de telle ou telle nationalité, typiquement irakienne par exemple, ou si jamais vous dites du mal de ce logiciel en utilisant le logiciel, des choses un petit peu bizarres comme ça. Avec le logiciel libre, ça n’arrive jamais. Donc, ça c’est le premier élément de la définition, c’est la liberté d’utiliser.
Joe Farmer : Aucune contrainte !
Tangui Morlier : La deuxième c’est la liberté de diffuser.
Joe Farmer : Oui...
Tangui Morlier : C’est-à-dire, vous aimez un logiciel ? Et bien, vous pouvez le donner tout autour de vous. Vous aimez Firefox ? Eh bien, vous le donnez à votre grand-mère, à vos enfants, à vos petits enfants, etc.
Joe Farmer : Ma grand-mère utilise très souvent Firefox, d’ailleurs. Oui continuez, pardon.
Tangui Morlier : Oui, par exemple. C’est un logiciel libre qui est assez populaire.
Joe Farmer : C’est vrai.
Tangui Morlier : Et puis, il y a deux autres libertés qui sont peut-être un petit peu pour les experts mais dont les non-experts profitent beaucoup : c’est la liberté d’étudier le code source. On a tous eu des petits problèmes de sécurité, des fois de virus, ce genre de choses. Il se trouve que, pour être vraiment bon en sécurité, il faut qu’il y ait des gens, des experts qui viennent étudier ce logiciel-là.
Joe Farmer : Oui, mais nous ne sommes pas tous des experts !
Tangui Morlier : Oui, mais il se trouve qu’il y a des centaines d’experts connectés sur Internet et, si vous leur donnez la liberté d’étudier le code source, eux, ils vont le faire ! Ils vont aller regarder pour vous. On n’est pas des experts en sécurité mais il se trouve que, pour nous, il y a des gens qui regardent un peu tout le temps sur Internet, qui scrutent les changements de tous les logiciels pour venir voir s’il n’y a pas un petit problème de sécurité, si jamais on est vulnérable, etc. Et en plus de cette liberté d’étudier, eh bien on leur donne aussi la liberté de modifier. C’est-à-dire que dès qu’ils voient un petit problème de sécurité, plutôt que de rentrer dans un processus qui va demander beaucoup de temps, d’aller voir le service marketing, pour blablabla etc., etc., avant d’arriver au service technique, les gens peuvent modifier directement. Donc, cette centaine d’experts connectés sur Internet vont pouvoir venir corriger le petit bug ou alors ajouter une fonctionnalité dont vous avez toujours rêvée, ou ce genre de choses. Donc voilà, très simplement, le logiciel libre c’est 4 libertés : utiliser, diffuser, et puis étudier et modifier.
Joe Farmer : Donc c’est important dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, le logiciel libre ?
Tangui Morlier : Oui, c’est important. Vous avez entendu parler de Firefox, vous avez entendu parler peut-être de OpenOffice, une suite bureautique...
Joe Farmer : Ouais.
Tangui Morlier : Vous avez peut-être entendu parler de distributions Linux comme Ubuntu, qu’utilisent les députés, ou Mandriva qui est faite en France. Vous avez comme ça énormément de logiciels libres. Et il y a à peu près un logiciel libre pour tous nos besoins logiciels. Donc, si vous envoyez un mail, typiquement, vous allez peut-être utiliser Thunderbird, mais sachez qu’en interne, même si vous n’utilisez pas Thunderbird pour envoyer des mails, eh bien dans les rouages de l’Internet on utilise plein de logiciels libres, en fait, dans la réalité.
Joe Farmer : D’accord. Donc ça s’infiltre, progressivement, dans l’utilisation multimédia.
Tangui Morlier : Ce n’est pas que ça s’infiltre ! C’est que c’est tellement bien, que les gens les utilisent.
Joe Farmer : Sans le savoir...
Tangui Morlier : Sans le savoir forcément. Alors quand on le sait, c’est mieux parce que du coup, on va pouvoir en parler, ou étudier, ou diffuser... Il naît comme ça un écosystème du partage, puisqu’en fait, le fait de pouvoir diffuser le logiciel ou même le modifier à plusieurs, eh bien tout ça c’est une nouvelle société qui naît, qu’est la société du partage.
Joe Farmer : Nous sommes dans une émission qui s’appelle « Allô la planète », il y a donc clairement une dimension internationale, c’est une participation collégiale, planétaire, le logiciel libre.
Tangui Morlier : Oui, absolument. En fait, comme vous savez sans doute, écrire un logiciel c’est pas forcément simple, on a besoin de plusieurs personnes. Et puis là, comme le logiciel libre on le partage de fait et on le travaille à plusieurs, eh bien, les gens se réunissent sur Internet et ils n’ont plus besoin d’être dans la même chambre pour fabriquer le logiciel. Donc, le logiciel libre, il se fabrique tout autour de la planète. Typiquement, moi la semaine dernière je discutais de logiciel libre avec le président d’une association québécoise qui s’appelle [http://facil.qc.ca/ Facil], qui a des petits problèmes en ce moment avec l’État du Québec ; quelques jours avant, je discutais avec des belges ou des américains, sur la confection de logiciels. Et de logiciels libres. Et ça, c’est faisable parce qu’on partage la recette du logiciel qui est le code source.
Joe Farmer : Mais en même temps il y a des limites. Quand on utilise par exemple Wikipédia, qui est un logiciel libre, si je ne dis pas de bêtise...
Tangui Morlier : Alors, c’est basé sur un logiciel libre, et après, eux, ils appliquent notre philosophie du partage de l’information.
Joe Farmer : Et il y a beaucoup de coquilles ! Ce n’est pas très fiable...
Tangui Morlier : Alors ça, c’est parce que, à tout moment, quelqu’un peut modifier sur Wikipédia, mais ça c’est une encyclopédie. Moi je vous parle de logiciels, et donc là, en l’occurrence il y a beaucoup moins de problèmes liés au logiciel libre, puisqu’en fait, c’est validé par plein de personnes. Alors que Wikipédia, c’est vrai que chacun peut venir le modifier, du coup ça fait l’encyclopédie la plus riche du monde, et très ponctuellement, pendant très peu de temps, il se peut que vous tombiez sur une coquille. Et ce qui est génial, c’est que quand vous tombez sur une coquille, vous avez la possibilité de venir la modifier immédiatement et de vous assurer qu’elle ne soit plus là pour les prochains lecteurs.
Joe Farmer : Vous pouvez comprendre que beaucoup d’entre nous qui utilisons Internet et utilisons le multimédia, n’ayons pas vraiment confiance dans le logiciel libre, parce qu’on ne le touche pas vraiment, on ne sait pas exactement ce que c’est. Ça nous inquiète d’une certaine manière, le logiciel libre.
Tangui Morlier : Il ne faut pas être inquiet, parce que c’est ça qui fait tourner Internet. Donc ce formidable outil qui vous permet d’envoyer des mails, de consulter le site de France Inter, de même, parfois, téléphoner. Là en l’occurrence, en ce qui me concerne, je téléphone grâce à un logiciel libre. Et cela fait tourner énormément de choses en fait : l’armée, les députés, je vous le disais, ont du logiciel libre installé sur leur poste. Et il se trouve qu’il y a plein d’entreprises qui proposent du service autour du logiciel libre. Parce que ce n’est pas parce qu’on ne paie pas de frais de licence que cela ne génère pas une valeur économique et qu’il n’y a pas des gens qui arrivent à vivre de ce logiciel. Donc, si vous avez peur, vous pouvez contacter une entreprise qui va venir vous faire du support, vous aider, vous former à l’utilisation de tel et tel logiciel libre.
Joe Farmer : Donc quand on voit, par exemple comme aujourd’hui, qu’il y avait une faille critique chez Firefox, aujourd’hui, "faille critique", tout de suite on se dit : mais que se passe-t-il ? Quand on utilise le mot "critique", c’est grave docteur.
Tangui Morlier : Oui mais en fait, si vous regardez, il y a eu juste quelques minutes. Il me semble qu’en deux heures elle a été corrigée alors que tous les détenteurs d’un autre logiciel, qui n’est pas libre, et qui s’appelle Internet Explorer, sont peut-être encore vulnérables à la faille qui a été découverte il y a plus d’un mois.
Joe Farmer : D’accord.
Tangui Morlier : C’est aussi la force de ces centaines d’utilisateurs qui sont répartis dans le monde. Il y a peut-être quelqu’un qui va trouver très rapidement la solution, et puis du coup, la personne en charge du développement du logiciel libre va pouvoir l’intégrer encore plus rapidement.
Joe Farmer : Est-ce que...
Tangui Morlier : Un logiciel est fait par des humains, donc il peut y avoir, forcément très ponctuellement, des failles. Et le but du jeu c’est de mettre en place un système qui soit le plus réactif possible face à ces défaillances humaines. Puisque le logiciel c’est éminemment humain et fait par des humains.
Joe Farmer : Est-ce que la communauté du logiciel libre peut inquiéter Bill Gates ou Steve Jobs, de Microsoft et de Apple ?
Tangui Morlier : Inquiéter, je ne sais pas, mais, en tout cas, c’est vrai que le logiciel libre est de plus en plus utilisé. C’est un autre modèle, ce n’est pas un modèle basé sur de la rente parce que quand on vous vend un logiciel propriétaire, il existe déjà, il a déjà été fait. Donc on vous vend juste une copie supplémentaire. Nous, ce qu’on pense c’est que les gens qui font le logiciel, le fabriquent, sont passionnés, sont payés par des gens, par des centaines d’entreprises qui sont très intéressées par leur travail. Parce qu’ils font là un travail qui leur fait gagner de l’argent, et puis après, une fois que le logiciel a été financé, on peut l’utiliser librement, le partager et faire en sorte que l’informatique reste un outil et ne soit pas une espèce de caisse enregistreuse pour regarder le nombre de copies qui sont utilisées.
Joe Farmer : J’ai comme le sentiment que la conversation que nous venons d’avoir va susciter quelques commentaires à travers la planète, parce que c’est vrai que le logiciel libre est utilisé de plus en plus et suscite beaucoup de discussions entre les internautes où qu’ils soient sur cette planète.
Tangui Morlier : Oui, absolument, comme c’est une communauté planétaire. Typiquement, on parlait de Firefox tout à l’heure, c’est le logiciel qui est le plus traduit dans le monde. Si jamais vous êtes breton, basque ou coréen, vous trouverez une version pour vous, de Firefox. Donc évidemment, cela connecte les gens à travers le monde, à travers leurs différentes langues, et ça c’est quelque chose qui est très motivant pour y travailler bien sûr. Moi je travaille dans cette communauté-là.
Joe Farmer : Et bien, écoutez, nous allons nous pencher sur le cas du logiciel libre et nous vous remercions de vos éclairages, Tangui Morlier.
Tangui Morlier : Eh bien, merci Joe.
Joe Farmer : Merci à vous.
Tangui Morlier : Au revoir.
Joe Farmer : Au revoir.