Formation au numérique : une solution à la crise et au chômage de masse ?

Titre :
La formation au numérique : une solution à la crise et au chômage de masse ?
Intervenants :
Fatiha Gas, Roberto Di Cosmo, Kwame Yamgnane, Jean-Marie Gilliot, Philippe Montargès
Lieu :
Paris, Open World Forum
Date :
Octobre 2013
Durée :
38 min 38
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Transcription

Présentateur : Bonjour à tous. Donc on est en tout petit peu en retard comme vous avez dû vous y attendre. Si vous pensiez avoir les sujets suivants il faudra attendre un tout petit peu.

Là on va parler d’une question qui dépasse le logiciel libre et qui est pourtant portée aujourd’hui par des acteurs du Libre. On parle beaucoup de chômage de masse, on parle beaucoup de problèmes d’emploi et, de l’autre côté, on a une économie numérique qui est en très forte croissance, qui génère beaucoup d’emplois, dans laquelle les entreprises se plaignent de ne pas avoir assez de compétences. La question du panel aujourd’hui c’est : est-ce qu’on a une solution ? On a des cycles longs, on a des cycles courts, est-ce qu’on a vraiment une solution, aujourd’hui, pour combler ce besoin de compétences en France et dans une logique, peut-être, soit de court terme soit de moyen terme ? On va commencer par la première personne à ma droite.

Fatiha Gas :
Par les dames. C’est ça ?
Présentateur :
Par les dames, oui.
Fatiha Gas :
Bonsoir à tous. Je voudrais commencer d’abord par réagir à la remarque qui a été faite tout à l’heure qui disait que les formations ne sont pas bonnes. Moi je dis et je répète les formations sont bonnes, elles sont bien pensées, mais parfois elles ne sont pas forcément pensées en adéquation avec le besoin des entreprises. Et pour que ces formations soient pensées en adéquation avec votre besoin il faut qu’il y ait plus de dialogue, il faut qu’il y ait plus de partage, plus de travail en commun, pour qu’on réussisse à mettre, entre guillemets « sur le marché », un produit qui convienne aux entreprises. Voila, ça c’était ma première remarque. La seconde par rapport à : est-ce qu’il y a une solution ? Eh bien ma foi, s’il y avait une solution je crois qu’on ne serait pas là.
Présentateur :
Très bien. Alors là il y a une question, je connais un peu Roberto. Je pense qu’il va beaucoup avoir aimé le côté « on met un produit sur le marché » en parlant d’étudiants qu’on va former.
Fatiha Gas :
Formations.
Présentateur :
Par rapport à ça justement, aujourd’hui, il y a différentes notions. Aujourd’hui on doit former des ingénieurs, on doit former des développeurs, on a des cursus en France, on a un historique même d’enseignement qui est fort. L’idée ce n’est pas remettre en cause cet historique. Mais d’où vient ce sentiment aujourd’hui partagé par des entreprises et certaines activités, de ce décalage entre la demande d’emplois et l’offre aujourd’hui ? Roberto !
Roberto Di Cosmo :
Est-ce que je peux répondre à une question différente de celle que tu as posée ?
Présentateur :
Oui tu as le droit.
Roberto Di Cosmo :
Je vais essayer de le faire quand même. Je vais juste revenir un instant sur une question qui me parait très importante. Ça a été évoqué tout au long des interventions antérieures par Patrice, par Tony [1]. On a besoin de plus en plus de faire en sorte qu’on prenne conscience de l’importance essentielle du logiciel dans notre vie d’aujourd’hui, donc de la compréhension du logiciel, de la maîtrise de ce logiciel. Maîtriser le logiciel est essentiel pour maîtriser, finalement, nos vies. Vous savez que ce sont les logiciels qui contrôlent nos vies aujourd’hui. Donc ça ne se résume pas juste à répondre aux besoins d’entreprises qui ont besoin d’embaucher un peu plus d’ingénieurs. Évidemment ce serait une partie de la question, mais ça ne s’arrête pas là.

Je vais essayer de donner quelques éléments de réponses et des réflexions. Si vous regardez un instant, on vit, aujourd’hui, une révolution industrielle majeure. L’arrivée de l’informatique fait en sorte que tout un tas de choses qui étaient difficiles à faire, aujourd’hui disparaissent, parce qu’il y a des automatismes pour les simplifier. On construit des programmes qui remplacent des personnes anciennes et on a une grosse tendance, de la part d’un certain nombre d’entreprises, d’essayer de transformer l’ensemble de la population en utilisateurs plutôt qu’en acteurs du logiciel. C’est pour ça que, finalement, on s’étonne trop tard du fait que notre vie privée est compromise, que nos connaissances sont prises en otage, que nos données disparaissent, etc., alors que ce devrait être quelque chose d’assez évident, qui était assez évident pour un certain nombre d’entre nous. Si on veut répondre à tout ça, il est absolument important que la plus grande partie de la population, donc pas seulement les ingénieurs qu’on va former dans nos écoles, aient une bonne idée, un bon modèle mental, de ce qu’est un ordinateur, ce qu’est l’informatique, ce qu’est cette révolution qui est en train de changer nos vies. Il n’y a pas d’autre façon, c’est triste à dire, mais il n’y a pas de choses gratuites dans la vie. Si vous voulez avoir un bon modèle mental de quelque chose, il faut mettre la main à la pâte, jouer avec, essayer d’apprendre. Les mathématiques, on apprend dès qu’on est tout petit, on commence à compter sur nos doigts, un, deux, trois, quatre, puis on fait trois plus deux, deux plus trois, on s’aperçoit que c’est la même chose, on apprend la commutativité, etc., depuis qu’on est tout petit.

Qu’est-ce qui se passe avec les logiciels ? Eh bien les logiciels, on a essayé de faire des efforts, de très bonne volonté, mais insuffisants. C’est-à-dire mettre des enfants devant des ordinateurs pour jouer avec des traitements de texte ou des jeux vidéos. Ça c’est sûrement très intéressant pour leur faire perdre la peur du mulot, de la souris, mais ça ne leur donne pas un modèle mental de ce qu’un ordinateur peut faire. C’est absolument essentiel qu’ils apprennent à coder, à savoir, aussi, quelle est la limite du code. Un certain nombre de choses que des chercheurs ont découvert il y a très longtemps, il ne faut pas que ce soit caché parce que c’est difficile. Il y a des résultats importants. On ne peut pas tout faire avec un ordinateur. Il y a des résultats limitatifs importants et ça, il faut que ce soit porté à la portée de tout le monde de la façon la plus large possible. C’est essentiel pour que cette révolution informatique, dans laquelle on vit, soit profitable pour tout le monde.
Maintenant je vais arriver à la réponse. Je vois le temps qui passe. Je vais essayer de m’arrêter relativement vite. Après, pour ce qui concerne les formations en France, la France vit dans un monde un petit peu paradoxal, parce que souvent on nous dit : « En France vous avez des personnes qui sont des ingénieurs, des développeurs fantastiques, mais ils se tirent tous pour aller s’installer en Californie, là où il y a 150 000 ingénieurs, par ailleurs ». Ce n’est complètement fou ! Regardez un instant. Il y a un paradoxe, un peu, chez nous, qui n’existe pas ailleurs. Regardez aux États-Unis, les meilleurs étudiants sont dans les meilleures universités, en contact avec les meilleures équipes de recherche, qui leur transmettent, dans le cadre de leur formation, une vision de ce qu’ils pensent que va être le monde dans dix ans, dans quinze ans. Donc ces étudiants sortent avec une avance technologique formidable.
Ici en France, pour des raisons qui me dépassent, étant italien je n’ai pas vécu ça, je le découvre maintenant avec mes enfants, l’idée c’est : on essaye de prendre les meilleurs étudiants possibles, on les met dans des écoles, séparées, dans lesquelles on ne met pas les laboratoires de recherche où les personnes font du développement technologique super avancé et dans lesquelles on essaye de répondre un peu trop directement aux besoins directs des entreprises. Je pense que là c’est une erreur fondamentale. Il faut remettre en contact tout ça : la recherche, l’enseignement et le développement.
N’oubliez que, en France. vous avez une énorme quantité de contributeurs au monde du logiciel libre, qui est issu du monde de la recherche, on l’a vu ce matin, pas que, évidemment et heureusement, pas que issu du monde de la recherche, mais c’est un avantage compétitif énorme dont il faudrait tirer partie et ne pas se laisser juste, disons, bloquer par l’ancien carcan dans lequel on est habitué, dans la séparation écoles d’ingénieurs, universités, etc. Tout ceci il faut le remettre en question et essayer de remettre un peu plus de contacts entre l’activité d’innovation moderne dont on dispose et l’enseignement qu’on donne qui ne peut pas, je le répète ça c’est mon rôle d’académique de le rappeler, ne peut pas se résoudre en formation spécifique pour les besoins ponctuels d’une entreprise aujourd’hui.
Présentateur : D’accord. Donc là, sur le passage de fond et cette question-là, j’allais dire plus fondamentale, de l’enseignement, du rôle de l’enseignement de l’informatique dedans, il y a aussi une réalité, une réalité qui est actuelle. C’est-à-dire qu’il y a notre grande capacité, on le sait bien, à pouvoir faire de la prospective, à voir à dix ans, à essayer d’enseigner, et l’enseignement, mais aujourd’hui, concrètement, on a une situation actuelle. Il y a des réponses que vous essayez d’apporter à l’École 42, de se dire « bon est-ce qu’on ne peut pas donner une deuxième chance à des gens qui ont envie, qui n’ont peut-être pas eu l’occasion ni l’envie de faire ces cursus-là, et qui ne se sont peut-être pas retrouvés dans ce qu’on a actuellement, pas ce qu’on a à construire, mais ce qu’on a actuellement ? » Et c’est quoi votre approche, justement, chez 42 ?
Kwame Yamgnane : C’est une question qui est hyper large. La première chose, un peu pour répondre d’où le débat est parti, mais un peu sur les premières questions. Il y a un fait déjà majeur, moi je ne suis pas capable d’y répondre, mais en tous les cas, ce qui est certain, c’est que ça fait à peu près vingt ans ou plus qu’il n’y a pas de croissance et je ne sais pas si on n’est pas en train de courir derrière une chimère. Globalement elle n’existera plus. Ensuite je ne suis pas en plus certain que faire reposer sur la formation et le numérique la croissance de demain, si l’éducation est capable de supporter d’avoir comme rôle de redonner de la croissance à cinq milliards d’humains sur terre. Ça me parait compliqué, mais je ne suis pas un grand spécialiste du sujet. Ce que je veux juste dire c’est qu’il y a peut-être des décalages là-dedans. Je suis tout à fait d’accord avec Roberto sur ce qu’il a dit.
La programmation. Pour parler crûment, vous me filez à peu près n’importe qui, au bout d’un moment je vais réussir à lui faire pondre trois lignes de C ou alors c’est qu’il lui manque des doigts. Ce n’est pas possible ! Les langages sont ridicules en termes d’apprentissage.U ne fois qu’on a appris vingt mots de langage, in, parenthèse ouvrante, fermante, crochet, point virgule et virgule, avec ça on peut commencer à faire des choses. La problématique n’est pas là. La problématique est de savoir qu’effectivement programmer c’est un schéma de pensée et ce schéma de pensée-là, c’est le schéma de pensée qui va permettre d’aborder, effectivement, le monde de demain dans lequel on est numérique. Et qu’aujourd’hui, ce schéma de pensée, en France, il a été directement, ni plus ni moins, qu’attrapé et complètement fermé, au niveau de l’Éducation nationale, sur une tranche de population extrêmement faible.
Effectivement les écoles d’ingénieurs, je suis né à Brest, j’ai fait le lycée naval donc je connais bien l’ENSTB [2], j’ai plein de collègues qui l’ont faite. Ce n’est pas un problème, on sort des super ingénieurs. Au-delà du fait qu’ils ne soient pas du tout formés pour entrer dans les entreprises, mais ça, c’est encore un autre sujet, bon là ça ne sert à rien de… Vous allez sur le site de la Conférence des grandes écoles, vous téléchargez l’enquête insertion 2009, et vous voyez qu’il y a 76 % des étudiants qui ont un travail six mois après être sortis des grandes écoles. Ça sous-entend qu’il y en a quand même un sur quatre qui n’est pas en situation d’emploi. Ça d’accord, mais il y a tout un tas de raisons autour de ça. En tous les cas, aujourd’hui ça été fermé, et ça a été cerné, pour une toute petite part de la population. Et je suis tout à fait d’accord avec Roberto, aujourd’hui si on veut former des gens qui soient capables de comprendre les problématiques du numérique et de savoir quand on clique qu’est-ce qui est en train de se passer derrière ! Et au-delà de ça, on va encore beaucoup plus loin. C’est que je ne vois pas comment et je vais faire rapide, mais comment est-ce que la prochaine directrice marketing de chez Chanel va pouvoir être directrice de marketing de chez Chanel si elle ne sait pas ce que c’est que la big data et si elle n’est pas capable de concevoir des choses là-dedans. De la même façon qu’aujourd’hui la directrice marketing de chez Chanel ne peut pas être directrice de marketing de chez Chanel si elle ne sait pas comment fonctionne Excel. Vous voyez ce que je veux dire ? Si on ne sait pas compter, on ne peut pas devenir directeur marketing. On a appris à compter aux gens, on leur a appris à parler, on leur a appris à écrire. Moi je pense qu’il faut tout simplement leur apprendre à coder.
Nous, notre réponse a été de dire, qu’après s’être un peu débattus depuis une dizaine d’années sur d’autres écoles, je suis un ancien, moi-même, d’Epitech [3], on a décidé de passer à une autre échelle, avec d’autres gens, dans un autre cadre, en faisant des choses effectivement gratuites, ouvertes à tous, avec et sans le bac. Parce que nous, ça ne nous intéresse pas, effectivement, de bosser sur les quelques pour cent de gens qui ont la capacité de rentrer en école d’ingénieur et qui, à la sortie, sont extrêmement bons et hyper reconnus par tout le marché, effectivement quand ils partent aux États-Unis, etc. Nous, notre réponse se situe à ce niveau-là. C’est apprendre à coder pour tous. Il se trouve qu’en plus, quand on leur apprend à coder avec notre méthode, le marché les adore. Ça tombe bien ! Mais en soi, à la base, on ne les a pas du tout formés pour leur apprendre à faire du C. Vous allez sur le site du Zéro, vous allez apprendre tout seul, ça marche très bien. Nous on leur apprend vraiment autre chose à l’intérieur de ce code.

Présentateur :
Très bien. Parlons du site du Zéro, c’est bien, qui a changé maintenant de nom justement pour prendre la mode du MOOC dans le sens.
Jean-Marie Gilliot :
Openclassrooms.
Présentateur :
Voila. Je voudrais savoir en tant que dirigeant d’entreprise Philippe, on entend « les ingénieurs sont d’un très bon niveau ». On ne remet pas en cause le niveau d’un ingénieur. Après, pour une entreprise, une PME, en France, du logiciel libre, qui n’est pas une très grande multinationale, ça représente quoi l’ingénieur ? Ça représente quoi ces besoins-là ? Est-ce qu’on a besoin de toujours quelqu’un ? C’est quoi le profil aujourd’hui idéal ou ce dont vous, vous avez besoin en tant qu’entreprise ?
Philippe Montargès :
Je vais jouer à l’ancien, encore. Mais depuis trente ans les entreprises de l’informatique, du numérique maintenant, recrutent, cherchent à recruter toujours le même type de profil, c’est-à-dire le bac plus cinq, école d’ingénieur, qui est capable de faire papa/maman, qui est un mouton à cinq pattes et qui pourrait être facturé, de manière directe ou indirecte, très cher. C’est à peu près le business modèle de beaucoup des entreprises informatiques depuis trente ans. Je pense qu’effectivement, là, on arrive à une rupture par rapport à ce modèle-là. Et vu le besoin, et là je ramène ça à la filière open source, vu le besoin propre de notre filière en termes de compétences, en termes de développeurs, puisqu’il y a un mot qui n’a pas été utilisé encore, c’est le mot développeur, ce dont on a besoin par exemple chez nous, dans les entreprises du logiciel libre et de l’open source, c’est une étude qui était sortie l’année dernière, c’est à 60 %, quand même, des besoins en termes d’ingénieurs développement, logiciel, web. Et donc on est confronté nous, effectivement tu l’as souligné, sur un modèle économique où on ne peut pas rentrer forcément dans une surenchère systématique par rapport au niveau de qualification, au niveau d’école, donc au niveau de salaire, donc au niveau de tarification, derrière, par rapport au client. Donc effectivement, on suit de près les initiatives, de très près, tout ce qui a trait actuellement sur le marché, qui bouscule un peu les lignes, le projet 42 par exemple, mais aussi l’arrivée des MOOC qui peuvent être d’autres modèles pour accélérer la formation.

Par contre je ne suis pas dupe sur le fait, aussi, qu’on est sur un secteur où la technologie ne s’improvise pas. Ce n’est pas que de l’usage. Il faut que les gens soient formés, effectivement, et soient qualifiés. On a besoin de qualification. Et je pense que la problématique qui se pose essentiellement, que ce soit pour 42, pour les écoles d’ingénieurs, pour les cycles universitaires, c’est où met-on la barre ? Comment détermine t-on cette notion de certification ? Cette notion de qualification ? Et je crois que là on est vraiment au cœur du problème. C’est-à-dire à tel degré de qualification, j’ai tel niveau de rémunération, ça génère un business modèle, que ce soit chez les éditeurs ou dans les sociétés de service, les ESN [4] comme dirait le président du Syntec numérique puisqu’il a changé de nom, on est tous confrontés au même business modèle. On doit recruter. On doit faire face à une demande croissante, notamment dans le secteur de l’open source, qui est forte. Il est prévu, je crois, sur les trois ans qui viennent, plus de dix mille recrutements, rien que sur notre filière de l’open source. Je ne parle pas du monde web au sens large et ainsi de suite. Comment on fait pour alimenter ça ? En restant dans un business modèle qui tient. Et moi je crois effectivement que si on arrive à garantir un niveau de qualification et qu’on puisse baisser un petit peu le coût de la fabrication et éviter de rentrer dans la surenchère des écoles d’ingénieurs où quand le gars sort, le premier truc qu’il veut c’est être chef de projet sans avoir fait de développement et avoir un salaire à 45 000 euros, ça me parait bien si ça va dans ce sens-là.
Présentateur : Très bien. Justement, Jean-Marie, on parlait de qualification, de validation, de toute cette partie-là. En gros, on va avoir des nouvelles solutions, on va parler des MOOC, Massive Open Online Coursive, donc une sorte de miracle où tout le monde va se former tout seul, en ligne. Mais comment moi je valide ? Comment on valide une compétence dans ce cas-là ? Comment on peut savoir ? Qu’est-ce qu’un MOOC dans cet univers de la formation et dans cet univers de l’enseignement ? Parce qu’on se dit, on va sur des sites, le site du Zéro et tout ça, on se dit on peut apprendre PHP, on peut apprendre tout ça. C’est quoi le sens du MOOC dans cet univers-là ?
Jean-Marie Gilliot : Je vais faire comme Roberto, je vais d’abord répondre à une autre question et ensuite répondre à la tienne. En passant, c’est amusant, depuis quelques temps quand je me promène je rencontre toujours quelqu’un qui a fait le lycée naval de Brest et ça fait super plaisir, surtout que mon fils va y rentrer, mais ça ce n’est pas l’histoire. Premier point, sur les écoles d’ingénieurs qui ont 76% des gens formés au bout de six mois. Je pense qu’il ne faut pas faire du global sur ce genre de choses-là. Toutes les écoles sont très indépendantes, ont chacune leur modèle et démarrent chacune un petit peu avec leur profil et font ce qu’elles peuvent. Il y a dans certaines écoles des contacts réguliers avec les entreprises. Il y a des écoles qui intègrent complètement la problématique de la recherche dans leur formation. Je suis dans une école, pas loin du lycée naval à Brest, puisque Télécom Bretagne on est voisins, ce sont des choses qu’on intègre dans notre formation. Et on a une qualité, c’est que vu qu’on est petits comme des petites entreprises, on peut évoluer, on peut faire ce qu’on veut, on peut tester des choses, et on peut avancer, et à la sortie avoir, non pas 75 %, mais tous nos élèves qui quasiment ont un boulot avant de sortir, dans l’entreprise, et qui ne sont pas mal payés, ce qui nous fait plaisir. Mais je suis bien d’accord sur deux choses, ça ne représente qu’une toute petite partie de la population formée et ça intègre bien le fait qu’il faut former les gens à avoir la culture informatique, Computer Thinking, pour reprendre ce que dirait Jeannette Wing. Donc ça, OK.
Deuxième chose que je voudrais dire avant de répondre à la question, c’est qu’en fait ce qui m’étonne à chaque fois que je croise les gens du logiciel libre, c’est qu’il nous disent : « Il faut comprendre le logiciel libre, il faut maîtriser le logiciel, etc. » On est tout à fait d’accord. Il me semble qu’on manque un point quand on fait ça. C’est qu’en fait il y a une culture derrière le logiciel libre, il y a la culture du Libre qui, quelque part, est la culture du bien commun et qui pose la question de comment on gère une connaissance commune, comment on la fait évoluer, comment on la fait grandir et comment on travaille ensemble à coproduire cette connaissance commune. Ce truc-là c’est une notion qui est en ce moment en train d’être, je dirais, théorisée, qui s’appelle le bien commun. Cette notion de bien commun elle marche dans la santé, elle marche dans la culture, dans la construction de nourriture et elle marche aussi dans la construction de l’éducation. Et je vais arriver à ta réponse, quand même je ne perds pas le fil. Cette culture-là, qu’on a là, il faut qu’on la valorise aussi et qu’on dise qu’on a compris le logiciel, mais on a compris aussi une manière d’être et une culture, pour pouvoir faire avancer des biens communs ensemble.
La bonne nouvelle, si on parle des MOOC, excuse-moi je vais garder le terme à l’anglaise, on parle de FLOSS, de machin, c’est qu’il y a l’université, les écoles et des entreprises, on parlait de l’OpenClassrooms, ce qui était le site du Zéro il n’y a pas si longtemps, font un pas dans le domaine de l’éducation en disant on va ouvrir des choses, on va permettre aux gens de venir apprendre quelque chose en ligne dans un contenu qui n’est pas seulement déposé mais qui est emballé pour que les gens puissent apprendre avec un prof, avec des gens qui sont autour d’eux. Il y a cette culture de la collaboration qui se met en place qui est celle du Libre. Ça tombe bien ! Donc ce truc là va dans le bon sens. Ça n’emmène sans doute pas tout le monde. La personne qui est réticente à aller sur un ordinateur, qui n’a pas la culture minimum, ne va sans doute pas accrocher à ces trucs-là, mais c’est un pas et c’est un pas qui a l’air de ne pas mal marcher parce qu’il y a quand même pas mal de monde qui apprend au travers de ça.
Un deuxième pas qui est intéressant, c’est que, certes on parle de MOOC, on pense aux élèves, mais nous sommes tous des élèves, toute notre vie. C’est-à-dire que tu disais PHP, je suis désolé moi, quand je suis sorti de l’école, PHP n’existait pas. J’ai eu la chance d’avoir une culture informatique qui soit suffisante pour que je puisse me dire OK je prends un petit temps et je vais appendre PHP, si j’ai besoin de PHP ou de Python, etc. J’en profiterai pour évoluer sur quelques concepts par rapport à un schéma global. Donc le MOOC on peut le voir aussi comme un outil ouvert, partagé, qu’on peut améliorer ensemble, pour pouvoir se former tout au long de la vie. Ça, il me semble que ça fait sens pour les entreprises. OK. Donc ça c’est un premier point.
Après la question que tu posais, c’était le problème de la certification de ces apprentissages sur ces cours en ligne. Ce mouvement des MOOC est un mouvement qui est tout récent. France Université Numérique, ça été annoncé le deux octobre, on est le trois octobre. Donc voilà ! On a un jour qui s’est passé on n’a pas répondu à toutes les questions en une journée. Heureusement, sinon on n’aurait plus de boulot, comme on disait tout à l’heure. Donc il y a un mouvement qui se met en place qui donne de l’accès. La question de la certification va se mettre en place doucement, enfin doucement, assez rapidement. Je crois que des entreprises comme OpenClassrooms imaginent assez rapidement de faire des certifications qui soient, en gros, l’équivalent de ce qu’on fait dans pas mal d’universités et de facs, c’est de faire des examens sur site, éventuellement avec machine. Donc on les moyens de faire aussi bien que ce qu’on faisait avant. Après, c’est clair que si on veut une évaluation sur des compétences et tout, eh bien il faudra y passer du temps, il faudra retourner à un endroit et faire ce que mes anciens collègues appelaient un examen de labo, c’est-à-dire mettre les mains dans la pâte et valider qu’on est capable de mettre les mains dans la pâte. Mais ce n’est pas lié aux MOOC c’est lié, quelque part, à tous nos modes d’évaluation, dans toutes nos formations, de la maternelle, enfin peut-être pas de la maternelle, de la primaire jusqu’à la fin de la formation, au moment où on la termine. Donc effectivement, ce n’est pas un objet idéal en termes de certification, mais c’est un objet comme un autre.
Dernier point. On a quand même un truc, je finis sur la certif quand même, on a un truc qui n’est pas mal en France dont on ne parle pas très fort, c’est la validation des acquis de l’expérience, qui permet de valider, de faire reconnaître des choses. Quelque part en Europe on a des mécanismes qui vont nous permettre de certifier des expériences qu’on a eues dans l’entreprise, des cours qu’on a suivis, que ce soit un MOOC, ou que ce soit un truc en ligne, ou que ce soit un truc qu’on a fait ailleurs. Donc on a des outils qu’on va pouvoir mettre en œuvre qui vont compléter le numérique pour pouvoir dire où est-ce que ce gars-là ou cette personne-là elle est compétente sur tel sujet.
Présentateur : Très bien. Donc c’est intéressant. Pour la partie Public Goods, biens communs, ça fait très longtemps qu’on en parle dans le logiciel libre, depuis des années. On peut tomber sur des débats, même il y a encore cinq six ans aux RMLL ou à d’autres, où il y a des grands économistes. Ça fait même partie de l’essence du logiciel libre. Ça c’était pour fermer la parenthèse. Par rapport aux MOOC, justement, Fatiha, vous travaillez, vous, au sein d’une école d’ingénieurs, vous dirigez une école d’ingénieurs, vous travaillez aussi au sein de Pasc@line [5], moi, quand j’entends ce que j’entends sur le MOOC, il y a un mot qui est arrivé à la fin des années 90, qui n’a pas réussi à percer, ça s’appelait le e-learning. Et depuis, j’ai eu l’occasion de travailler dans le e-learning et c’était un peu ça : on met des cours en ligne, avec plus ou moins de vidéos, plus ou moins d’interaction et on essaye de certifier les gens. Et comme généralement les diplômes ça se passe à l’université ou dans des écoles qui sont certifiées, à la fin on les envoyait dans des universités passer des diplômes. Qu’est-ce que ça apporte de plus le MOOC ? Est-ce qu’il y a vraiment une révolution ou c’est un effet de mode ?
Fatiha Gas : C’est vrai que la frontière est ténue. On voit bien que le MOOC, finalement c’est un petit peu ce fameux enseignement à distance, ce e-learning. Aujourd’hui avec les infrastructures, avec l’arrivée d’Internet de façon massive, pour un petit peu monsieur et madame Toulemonde, les MOCC, finalement, se sont démocratisés. Ce n’est pas réservé à une population qui décide de… Il y a cet aspect-là. Mais les MOOC sont aujourd’hui victimes de leur succès, puisque l’apprentissage ou la formation, son intérêt c’est aussi l’interactivité. Or quand vous avez un million de personnes qui sont connectées, même vingt mille, même deux mille, même mille, c’est compliqué pour un enseignant qui est derrière son écran de faire un cours interactif et de répondre aux interrogations de toutes les personnes qui sont de l’autre côté. L’intérêt des MOOC, finalement, je dirais qu’il est là, mais il faut trouver le bon compromis, il faut trouver la bonne façon de fonctionner. Et je sais, aujourd’hui, qu’il y a certaines universités qui ont mis en stand-by leur projet de MOOC qui avait démarré, pour réfléchir à nouveau à comment offrir un enseignement qui permette soit une évolution de compétences, pour quelqu’un qui a déjà un diplôme, soit un changement de formation, soit une certification ou le passage d’un diplôme. Mais effectivement, ça reste une question.
Maintenant pour rebondir sur ce qui a été dit tout à l’heure, les MOOC c’est très bien, les formations d’ingénieurs c’est très bien, mais on ne peut pas forcer un jeune à s’intéresser à quelque chose. Qu’est-ce qu’on peut faire pour que les jeunes viennent vers nos métiers, vers les études qui les mènent aux métiers de l’informatique ou du numérique. Il y a aussi une question, vous l’avez dit tout à l’heure, d’introduire l’enseignement des langages informatiques dans des petites classes, au collège ou au lycée, c’est une bonne façon, c’est peut-être une bonne façon d’intéresser les jeunes au numérique. En général, une personne qui va pour s’auto-former sur un MOOC ou autre c’est parce qu’elle est intéressée par le sujet. Un jeune pour qu’on l’amène à nos sujets à nous, il faut, peut-être, le prendre un peu plus tôt et ne pas attendre le bac.

Présentateur :
Très bien. C’est un débat sur lequel on va parler. Je vous invite demain après-midi où on va traiter, justement, de ce débat très intéressant de l’enseignement de l’informatique en tant que science très tôt. Là Kwame, j’ai une autre question avec vous. Tout à l’heure vous avez dit « il faut mettre les mains dans le cambouis, il faut pratiquer ». Je veux bien que quelqu’un apprenne sur le MOOC comment on fait PHP, comment je fais, mais s’ils viennent chez vous, et vous me dites que vous pouvez les transformer en très peu de temps à faire les trois lignes de C, c’est parce qu’il n’y a pas qu’une capacité d’auto-apprentissage, il y a aussi une pédagogie, une relation.
Kwame Yamgnane :
Bien sûr. Après sur ce qui a été dit, c’est là que clairement on dévie quoi ! C’est-à-dire que moi je ne suis plus du tout d’accord avec vous. Vous dites comment est-ce qu’on fait pour attirer les jeunes dans nos écoles. Vous avez-vu les frontières qu’il y a pour accéder à une école d’ingénieurs, en France, aujourd’hui ?
Fatiha Gas
 : Pas forcément une école d’ingénieurs, mais une formation du numérique.
Kwame Yamgnane :
Non mais une formation, une école. Une formation en exemple. On parle des écoles d’ingénieurs, Pour rentrer à l’ENSTB, je vous conseille quand même d’être dans les trois premiers français. Ce n’est pas n’importe quoi.
Fatiha Gas :
Pour attirer les jeunes vers le numérique. Pas forcément une école d’ingénieurs.
Kwame Yamgnane :
Non, mais les jeunes vers le numérique. C’est ce que je vous ai dit. Les écoles d’ingénieurs et scientifiques ont accaparé, effectivement, la formation scientifique de l’informatique, ce qui n’est pas tout dans l’informatique d’ailleurs, je tiens vraiment à le préciser. C’est ce que vous dites tout à l’heure quand vous dites les sciences, l’informatique etc. Il y a beaucoup de pas du tout science dans l’informatique. C’est quand même un métier d’art, où on part, globalement, d’une feuille blanche avec son Emacs [6] et on commence à créer. Vous parlez des certifications. Les certifications, comme vous le savez, sur 42, on n’en a pas. Pourquoi on n’en a pas ? Parce qu’il n’y en pas besoin. Les certifications sont là pour certifier qu’une personne est individuellement bonne dans un endroit. On est quand même à l’Open World Forum. Notre métier, à tous, quand on fait de l’open source, c’est qu’on bosse tous ensemble. Dire qu’une personne on veut la certifier personnellement etc., ce qu’on appelle travailler à deux, au lycée, c’est ce qu’on appelle tricher. Ce qu’on appelle ici travailler à deux c’est collaborer. Donc la problématique qui se pose c’est qu’aujourd’hui on est dans un système d’enseignement où on fait de l’enseignement individuel, pour faire rentrer des gens dans un monde qui est partagé. La notion de hiérarchie mondiale de « on part du prix Nobel machin, ta ta ta ta et on descend, on descend, on descend », ce sont des choses qui sont en train de disparaître. On travaille, comme l’a dit tout à l’heure un des précédents intervenants, il a dit : « Voilà, il y a des choses qui sont en train de se passer dans l’open source où on est en train de redescendre dans la hiérarchie entre ceux qui te donnent les logiciels, ceux qui les font, etc. » On travaille dans un monde qui est global. Et aujourd’hui qui a certifié que Linus Torvalds savait faire du Linux ? Qui l’a dit ? Eh bien les autres. Il y en a un qui s’est mis à coder, on a dit il est bon, etc., et entre eux ils ont partagé.

Moi je pense que, justement, si on ne change pas effectivement profondément la pédagogie on n’y arrivera pas. On n’a jamais eu autant de moyens pour travailler. On n’a jamais eu autant de profs. On a la chance, en France, d’avoir effectivement une grande tradition de l’éducation, donc énormément de professeurs. Je rappelle juste que le ministère de l’Éducation nationale, tous les agents, c’est un million de personnes et il y a à peu près quinze millions d’élèves qui sont de la maternelle jusqu’à la terminale, ce qui sous-entend qu’il y a à peu près un agent pour quinze élèves. Donc le problème n’est pas là. Il n’empêche qu’on sort quand même cent cinquante mille personnes qui sont exclues du système. Cent cinquante mille personnes exclues du système par année, ça sous-entend quand même, une classe d’âge en France c’est un million de personnes, on envoie 15 % au casse-pipe.
La réflexion n’est pas de savoir… Le MOOC, pour moi, est un outil qui peut fonctionner. C’est fondamentalement qu’est-ce qu’on essaye de faire ? Or dans le MOOC, ce qu’on essaye de faire aujourd’hui et ce qui est fait aujourd’hui, c’est de la transmission de savoir. Transmettre le savoir dans notre milieu, c’est-à-dire le milieu du numérique, on pense que ça ne sert à rien. Vous allez sur Google si vous voulez apprendre à faire du C, vous allez apprendre du C. C’est Google. Si vous voulez aujourd’hui suivre des cours de maths de M. Wasserman vous allez directement sur le site du Carnegie Mellon [7] et vous regardez les cours. Vous n’avez pas besoin d’aller voir un prof, qui a été plus ou moins formé sur le sujet, qui va vous expliquer tout ça.
La question ce n’est pas d’appendre aux gens, faire de la transmission de savoir du numérique et de la transmission de savoir de trois lignes de code de C, ça franchement il n’y a vraiment besoin de personne pour le faire s’il est un peu motivé. La question c’est comment est-ce qu’on fabrique un schéma de pensée numérique ? Et on ne fabriquera pas un schéma de pensée numérique en assommant toute la journée des élèves à grands coups de « il faut faire ci, il faut faire ça, les tris c’est dans…, etc. C’est la raison pour laquelle nous on le fait pas. Et on forme, effectivement, un millier d’étudiants avec globalement zéro prof et zéro cours. Donc on n’a pas de profs, pas de cours. Donc on maintient une zone d’à peu près une dizaine effectivement d’organisateurs de l’école pour un millier d’étudiants qui sont dedans aujourd’hui.

Intervenant :
Inaudible
Présentateur :
S’il vous plaît pas de trolls dans la salle. Philippe tu voulais réagir.
Philippe Montargès :
Je voulais juste réagir. Je trouve ça séduisant sur le papier et effectivement je suis comme beaucoup d’entrepreneurs, j’attends de voir effectivement les premières promotions déboucher dans les entreprises et dans les projets que mènent ces entreprises par rapport à leurs clients. Je me demande, juste, s’il n’y a pas un risque, effectivement, en faisant cohabiter d’une part, une filière formation type ingénieur universitaire et une filière, on va dire, ouverte, comme vous la présentez. Si on ne risque pas d’avoir, je dirais, une filière « low cost », entre guillemets, d’informaticiens, de travailleurs dans le numérique et ce n’est pas cela qui peut se produire, et l’absence de certification, pour moi. En tout cas elle n’obéit pas tellement à un processus de pédagogie, mais elle obéit surtout, aussi, à un niveau de qualification et on le sait bien c’est la qualification quand même qui justifie, oui ou non, un salaire.
Présentateur :
Très bien, on va prendre Roberto. Une minute.
Roberto Di Cosmo :
Je voudrais juste réagir à un tas de choses qui ont été dites ici. Il y a plein de sujets différents. On voit qu’on a des opinions assez diverses et variées. Je me permets de donner la mienne aussi. Si on veut attirer plus de monde qui fasse de l’informatique, il faut les mettre en contact avec l’informatique dès le plus jeune âge. Il faut qu’on apprenne ce que c’est que la programmation assez rapidement, qu’on comprenne ce qu’il y a à l’intérieur d’un ordinateur assez rapidement. Évidemment ça peut être fait de façon très rébarbative ou de façon très amusante.

Je ne vais pas dévoiler un grand secret pour les gens qui me connaissent. En théorie, en étant italien, formé à une époque où on envoyait les bons étudiants faire du grec et du latin, je devrais être maintenant, en suivant le schéma, dans une conférence de philosophie sur, je ne sais pas, les auteurs latins du XIIIe siècle, etc. Non ! Je suis à l’Open World Forum. Je suis passionné d’informatique. C’est arrivé comment ? C’est arrivé parce qu’à dix-huit ans par hasard j’ai acheté un ZX80, comme c’est arrivé à plein de monde. J’ai commencé à toucher à ça, j’ai découvert cet objet et je n’ai plus jamais réussi à m’en remettre. Si on m’avait donné ça plus tôt, probablement je serais tombé dedans plus vite, n’est-ce pas ? Moi j’observe. Je suis désolé. J’ai des enfants. J’imagine que c’est le cas chez vous aussi. Regardez un peu dans les écoles à quoi ils sont confrontés. On leur apprend, c’est vrai, on leur fait toucher de temps à autre un éditeur de texte pour écrire le journal de l’école. On leur fait faire un peu de macros dans Excel, ce qui est peut-être la torture la plus grave pour quelqu’un qui a envie d’apprendre la programmation, qu’on puisse imaginer. Finalement ça les dégoûte pas mal. Si on pouvait faire autre chose, on aurait plus de monde passionné. C’est évident. Ce n’est pas la matière elle-même.
Et là, c’est triste, mais malheureusement ce que tu disais Kwame, c’est oui. Oui, il y a je ne sais pas combien de millions d’agents de l’État, mais on avait appris sous Charles V le fait qu’en moyenne il y a une poule dans chaque pot ça veut dire que, peut-être, il y a des gens qui ont plein de poules et des gens qui n’ont rien du tout. Donc là, on a effectivement beaucoup d’agents qui font de la formation. Il y en a très peu qui font de la formation des enfants sur ce qui concerne l’informatique. Ça c’est le vrai combat d’aujourd’hui. C’est un combat qu’il faut mener dès le départ. Il y a des petites tentatives qui arrivent grâce à l’effort de plein de personnes, y compris plein qui sont dans cette salle auxquelles il faut rendre hommage, pour avoir une option informatique au lycée. Mais c’est très peu, c’est très tard. Il faut quand même généraliser ça et commencer tôt pour intéresser les gens, pour qu’ils puissent arriver dans des bonnes formations.
Après il y a un deuxième débat qui est beaucoup plus compliqué. C’est quelle est la bonne façon de faire de la transmission de connaissances ou de la génération de connaissances ou de la validation des personnes ? Ça ce n’est pas spécifique à l’informatique en tant que telle. L’arrivée de l’informatique a introduit des nouveaux instruments. Les MOOC n’auraient pas été possibles sans des internets à grande vitesse. Il faut aussi le dire, à la belle époque du e-learning, à l’époque où on avait commencé, les débits n’étaient pas les mêmes, les serveurs ne coûtaient pas la même chose, les vidéos coûtaient beaucoup plus cher. Il y a aussi des phénomènes économiques qui font en sorte que, peut-être, les mêmes idées reviennent aujourd’hui de façon beaucoup plus efficace qu’il y a quinze ans ou vingt ans.
Est-ce que vraiment je dois aller tout de suite me suicider en sortant de cette salle, avec plein de collègues, en disant je ne sers plus à rien ? Est-ce que les professeurs universitaires ne servent plus à rien ? Il suffit de me filmer une fois, après on peut me mettre sous un camion. Les gens vont regarder des films et pendant quarante ans on va apprendre toutes les choses que j’ai à dire. Ce serait sympa. Je suis désolé, je m’inscris en faux sur cette vision. C’est un peu trop simpliste. Il y a des choses différentes qui se passent dans l’interaction dans une petite classe, en petit groupe.

Là il y a d’autres choses aussi qui ont été dites sur lesquelles par contre je peux être pleinement d’accord. La pédagogie par projets, le fait d’apprendre ensemble, d’arriver à travailler, à collaborer, dans un monde qui, je suis désolé de le dire pour les collègues qui sont ici dans le monde de l’open source depuis longtemps, qui est très dur. C’est-à-dire le monde du logiciel libre n’est pas un monde dans lequel on est très poli. Ça dépend des communautés dans lesquelles vous allez. Vous écrivez du code qui est mal fait, vous faites des contributions qui ne sont pas bonnes, on vous envoie dans la gueule des e-mails qui sont par ailleurs publics, donc ça déprime pas mal la première fois où vous récupérez, parce que c’est une mailing list dans laquelle il y a mille personnes inscrites, on vous dit votre code est nul. Bon bref, après le week-end est un peu gâché. Il faut s’y reprendre. Il y a ces éléments formateurs-là qui sont importants.
On arrive sur la partie qualification. On sait bien que pour un certain nombre de recruteurs, pas pour tous, le fait d’avoir contribué efficacement à un projet en logiciel libre c’est un élément, c’est une vraie case cochée, ça coche pas mal d’éléments. Ça coche capacité de gestion de projet, d’interaction, de collaboration, etc. Ça coche plein de cases qui correspondent à pas mal de cours qu’on pourrait avoir dans une école de management.
En même temps n’oubliez pas, on a parlé tout à l’heure des grands consommateurs de logiciels qui utilisent énormément et massivement du logiciel libre, je parle de Google, Amazon etc. Est-ce que vous avez regardé comment ils recrutent ? Vous avez fait, un peu, un petit test pour voir comment est fait le processus de sélection ? D’ailleurs je retourne la balle à Kwame ici. Vous dites, d’accord, c’est une école ouverte à tous la vôtre, mais vous vous permettez quelque chose qu’on m’interdit à moi, c’est-à-dire vous avez une phase de sélection qui est très rude. Parce que vous récupérez mille personnes, mais il y en a dix mille inscrites au début. Vous vous permettez une phase de sélection qui, finalement, vous garantit au moins que les personnes que vous avez prises… Finalement vous prenez des risques, peut-être, mais pas tellement. Dans le monde académique, universitaire en France, je vous rappelle que 85 % des informaticiens dans cette nation qui est la France sont quand même des professeurs et des maîtres de conférences et des enseignants-chercheurs dans les universités et pas ailleurs. Donc 85 %. Mais nous n’avons aucune possibilité de sélection de personne. Donc on se débrouille comme on peut. Des fois ça fait de la sélection par l’échec, etc. Il y a certainement mieux à faire pour employer les compétences dont nous disposons aujourd’hui. C’est un défi long. Il y a vraiment une véritable question sur comment traiter toutes ces questions qui ne sont pas forcément les mêmes.
Présentateur : Très bien. On me fait signe. On va essayer de respecter notre temps. Je vous remercie tous pour cette discussion. N’hésitez pas à venir discuter avec eux. Je vous invite à venir demain après-midi sur ce sujet-là et participer à ce débat, et vous pourrez plus facilement interagir avec les invités. Merci beaucoup et à demain.
Applaudissements.
[footnotes /]

Références

[2ENSTB

[3Epitech

[4ESN

[6Emacs

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.