Claire Burgy : Notre invitée se définit par une traductrice Geek <-> Humain. Depuis plus de 20 ans elle s’engage pour une informatique durable et éthique via des associations comme itopie [1] ou Intergen [2]. Elle milite aussi pour plus d’éducation en matière numérique.
Bonjour Emmanuelle Germond.
Emmanuelle Germond : Bonjour Claire.
Claire Burgy : Merci d’être avec nous. Une information plus éthique. Au centre de ce combat, il y a l’idée de l’intégrité numérique. De quoi s’agit-il ?
Emmanuelle Germond : L’intégrité numérique de la personne. Il faut savoir qu’on a comme ça de grandes quantités de données qui sont créées via nos comportements, ce sont en général des résidus de ce que l’on fait sur Internet, de ce que l’on fait avec nos outils numériques d’une manière générale. Tous ces résidus ont une valeur parce qu‘ils permettent de savoir ce qu’on fait, comment on va le faire, ce qu’on peut nous pousser à faire. Tous ces résidus, eh bien on les laisse traîner, on ne s’en occupe pas.
Or, on le sait maintenant — dans le domaine médical, par exemple, on va bientôt avoir une votation sur la transplantation —, ce que nous sommes est une question d’intégrité. On a l’intégrité physique : si je vous mets un coup de poing dans la figure, évidemment je m‘en prends à votre intégrité. La question est de savoir, au moment où je puise dans votre comportement, à quel moment est-ce que je m’en prends aussi à votre intégrité.
Claire Burgy : Et là il n’y a pas encore de police à ce niveau-là.
Emmanuelle Germond : Il n’y a absolument aucune notion de cet ordre-là. Il n’y a pas cette notion. Aujourd’hui on a des routes et on a l’habitude de circuler sur ces routes normalement, ce n’est pas quelque chose de problématique. On sait aussi qu’on a maintenant la police. Si on a un problème on appelle la police, la police vient ; on a un problème on appelle une ambulance, on appelle un pompier, ils viennent nous aider. On n’a pas de cyber service de pompiers. On n’a pas un service « ah mon Dieu, mon ordinateur brûle, qu’est-ce que je fais ? »
Claire Burgy : Un des leviers pour atteindre justement une informatique plus éthique et plus durable, ce sont les logiciels libres. On vous explique, c’est surtout Nicolas Rossé qui va nous expliquer le concept.
Nicolas Rossé : Années 1970, Microsoft et autres grandes entreprises, souvent américaines, commencent à imposer leurs programmes informatiques et à les commercialiser, alors qu’auparavant l’échange de données, notamment les codes sources des logiciels, était la règle. Une privatisation, une commercialisation de l’informatique qui amène à la création, en 1984, de la Fondation pour le logiciel libre [3]. Elle milite pour la software freedom.
Un logiciel est dit libre quand on peut l’utiliser, l’étudier, le partager et l’améliorer, tout ça gratuitement et sans devoir payer de licence à Apple, Microsoft et autres géants de l’informatique. La communauté du logiciel libre poursuit aussi des buts éthiques.
En 2013, le Parti pirate avait écrit, en vain, au gouvernement suisse pour qu’il interdise l’exportation de data, nos données, aux États-Unis avec cette question : que deviennent nos données numériques ? Une question vitale pour la Fondation pour le logiciel libre qui prévient : « Quand les utilisateurs ne contrôlent pas le programme, c’est le programme qui contrôle les utilisateurs. »
Claire Burgy : Emmanuelle Germond, le Parti pirate vaudois que d’ailleurs vous présidez.
Ces logiciels libres c’est aussi une meilleure manière de se protéger contre les cyberattaques. On a vu que la Suisse manque de préparation dans le domaine.
Emmanuelle Germond : Ça a une influence très certaine dans la mesure où au moment où je donne ma recette de cuisine c’est plus facile de savoir s’il y a du poison dedans ou pas. On le sait, vous avez une émission à la RTS qui s’appelle À bon entendeur, on parle suffisamment de la composition des produits. On a le droit de tester la composition des produits qu’on achète. Lorsqu’on achète du logiciel qui est déjà tout préparé, en fait ce sont des logiciels tout prêts, on n’a pas la recette de cuisine. L’enjeu suivant c’est : est-ce qu’on pourrait avoir une population qui sait lire la recette de cuisine ?
Claire Burgy : En fait, pour le moment, on n’a aucune formation au code. C’est ça qu’il faudrait dès l’école primaire, apprendre justement à lire des logiciels ?
Emmanuelle Germond : C’est venu dans les initiatives scolaires, dans le programme HarmoS scolaire, parce que c’est justement une question de réflexion, on apprend à réfléchir sur soi-même, à réfléchir justement sur son intégrité. C’est aussi apprendre comment les choses autour de nous fonctionnent, apprendre à les observer, apprendre à lire, à écrire, à compter, eh bien apprendre à coder. Les gens pensent souvent que le code c’est très difficile, très compliqué. Vous savez tous, ou presque, cuire des pâtes, moi j’ai de la peine là-dedans, il n’y a pas de problème, j’assume, mais on sait tous à peu près faire des lasagnes. C’est pour ça qu’on sait, quand on voit la liste des ingrédients s’il y a un problème et qu’ensuite on les confie à un chimiste ou à la fédération romande des consommateurs, etc.
Claire Burgy : Là aussi, il manque en fait d’institutions vers qui se tourner.
Emmanuelle Germond : Exactement. L’audit du code est quelque chose de relativement rare et c’est là où c’est une vraie opportunité, je pense, pour le canton de Vaud ou au niveau des cantons en général, de la fonctionnalité confédérée de la Suisse, on a cette opportunité-là, on a l’habitude de travailler ensemble, même dans des buts différents. Le logiciel libre, par le fait que le code est ouvert, par le fait qu’on peut savoir comment c’est fabriqué, etc., qu‘on est obligé de savoir, qu’on peut le détourner ou en sortir, on peut prendre de nouvelles habitudes dans la manière de construire nos logiciels et de nouvelles manières de construire aussi nos prochains défis politiques,
Claire Burgy : Autre enjeu pour une informatique durable, c’est justement la durabilité.
Emmanuelle Germond : Aujourd’hui on a constaté que c’est à peu près entre 3 et 4 % de l’électricité suisse qui est utilisée pour ce qu’on appelle les centres de données, ces endroits qu’on va consulter quand on veut avoir des informations. Il y en a beaucoup de centres de données, on a relativement peu d’informations diffusées au public. Oui, ce serait peut-être le moment de se poser la question de savoir comment c’est dirigé, comment c’est géré, et puis là où on peut économiser, mais déjà dans nos comportements quotidiens.
Claire Burgy : Merci beaucoup Emmanuelle Germond.
Emmanuelle Germond : Merci à vous.
Claire Burgy : On avait encore d’autres points à aborder, mais on les abordera à d’autres occasions. Merci d’avoir été notre invitée.