Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
L’Institut national de l’information géographique et forestière, ou IGN, et les géocommuns, nous en discuterons, peut-être, avec Sébastien Soriano, directeur général de l’IGN, car nous attendons toujours Sébastien. Ce sera le sujet principal de l’émission du jour.
Également au programme, les données géographiques libres pour les territoires et, en fin d’émission, « Critiquer le numérique », la deuxième conférence du triptyque de Louis Derrac.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 5 mars 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast
À la réalisation de l’émission du jour, Julie Chaumard. Bonjour Julie.
Julie Chaumard : Bonjour à tous. Bonne émission.
Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, sur le thème des données géographiques libres pour les territoires (rediffusion)
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par une pépite libre de Jean-Christophe Becquet. Jean-Christophe est exceptionnellement avec nous au studio. Nous allons d’abord la rediffusion de sa chronique du 23 mars 2021, qui n’est pas sans lien avec le sujet principal de l’émission du jour, puisqu’elle est consacrée aux données géographies libres pour les territoires.
On se retrouve dans moins d’une dizaine de minutes, en direct avec Jean-Christophe et son invité, Sébastien Soriano, qui vient d’arriver, directeur général de l’IGN, pour poursuivre la réflexion sur les géocommuns.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : La chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April.
Salut Jean-Christophe, est-ce que tu es avec nous ?
Jean-Christophe Becquet : Je suis là. Bonjour à tous. Bonjour à toutes.
Étienne Gonnu : Salut. Je crois bien qu’aujourd’hui tu vas nous parler de données géographiques libres.
Jean-Christophe Becquet : Oui, absolument. Le 9 mars dernier, j’ai eu le plaisir d’animer le sujet principal de Libre à vous ! consacré au système d’information géographique libre QGIS. Pour profiter librement d’un tel logiciel, il faut des données ouvertes.
Je voudrais saluer aujourd’hui l’ouverture, au premier trimestre 2021, de plusieurs jeux de données par un établissement public qui fêtait récemment ses 80 ans, j’ai nommé l’Institut national de l’information géographique et forestière, plus connu sous l’acronyme IGN. Cela représente plusieurs téraoctets de données sous Licence Ouverte Etalab parmi lesquelles :
- la BD TOPO, une base de données vectorielles qui contient notamment la description des contours administratifs, des bâtiments, des réseaux de transport, des lacs, fleuves et rivières ;
- la BD ORTHO, qui donne une couverture photo aérienne de tout le territoire avec une précision de 20 cm par pixel ;
- ou encore le RGE ALTI, pour Référentiel Grande Échelle, un modèle numérique de terrain qui renseigne l’altitude de chaque point du territoire.
On peut signaler, au passage, que l’IGN s’appuie sur du logiciel libre, notamment PostgreSQL/PostGIS, pour produire la BD TOPO.
Il me semble intéressant de reparcourir quelques-uns des jalons qui ont permis d’aboutir à une décision que les défenseurs de l’open data appelaient de leurs vœux depuis de nombreuses années, le partage sous licence libre des données de l’IGN.
Dans son rapport publié en 2018, la députée Valéria Faure-Muntian préconisait de « diffuser à terme l’ensemble des données géographiques souveraines sous licence libre de type Etalab ». Elle expliquait fort à propos que « l’économie de la donnée n’est pas régie pas les mêmes règles que l’économie réelle. On constate que la richesse de la donnée est établie à partir de l’utilisation qui en est faite, donc de l’accès qui lui est donné. Ainsi, "ce n’est pas la vente de données qui crée de la valeur, mais sa circulation" ».
Quelques mois plus tard, la Cour des comptes adressait au Premier ministre un référé sur l’enjeu de l’ouverture des données publiques de l’IGN, de Météo-France et du Cerema [Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement]. Elle posait alors très clairement le problème : « Pour mettre fin à l’injonction paradoxale qui menace l’équilibre économique de ces établissements, auxquels il est demandé de développer leurs ressources propres grâce à la vente de leurs données tout en procédant à la diffusion libre et gratuite de celles-ci, il est indispensable que l’État clarifie la réglementation relative à l’ouverture des données et accompagne la redéfinition des modèles économiques de ses opérateurs. »
Dans sa réponse à l’interpellation de la Cour des comptes, Édouard Philippe, en mars 2019, annonçait sa décision « de généraliser la gratuité de la réutilisation des données notamment à l’IGN ». Il ajoutait : « Enfin, je partage le constat de la Cour que les services de l’État eux-mêmes n’utilisent pas systématiquement les données ouvertes en open data produites par d’autres acteurs publics. J’ai donc demandé que ces efforts d’ouverture soient soutenus par les services de l’État que j’ai invités à utiliser préférentiellement ces données ouvertes. »
Daniel Bursaux, le directeur général de l’IGN, déclarait à travers une tribune dans le journal Les Échos : « Désormais, la production des données géographiques doit donc s’organiser autour de trois concepts : mutualisation, collaboratif et libre accès. » Il faudra encore deux ans pour que cette décision devienne effective.
J’aimerais prendre un moment pour analyser cette ouverture des données de l’IGN par rapport à la base de données libre OpenStreetMap. Nous avions consacré notre émission du 11 juin 2019 à ce projet collaboratif mondial que l’on désigne souvent comme le Wikipédia de la cartographie. On pourrait penser que ces initiatives sont concurrentes. Je dirais que c’est absolument le contraire. OpenStreetMap reste un projet absolument remarquable par sa diversité et sa réactivité. La communauté OpenStreetMap, qui compte plus de sept millions de personnes, jardine chaque jour la base de données pour l’enrichir, la compléter, la corriger, la mettre à jour. Les contributeurs expérimentent, ils innovent, et la dimension mondiale du projet permet de produire des cartes qui ne s’arrêtent pas aux frontières.
Les données de l’IGN, quant à elles, ont l’avantage d’offrir une couverture homogène et standardisée, de grande qualité sur l’ensemble du territoire national.
Les contributeurs OpenStreetMap vont pouvoir s’appuyer sur les données ouvertes par l’IGN pour aller encore plus vite et plus loin. Les collectivités et les administrations doivent apprendre à contribuer sur OpenStreetMap qui fait aujourd’hui référence pour de nombreux usages comme le vélo ou l’accessibilité. Les réutilisateurs, qu’ils soient services publics, entreprises, associations, écoles, universités et laboratoires de recherche, élus et citoyens, bénéficieront du meilleur des deux mondes. C’est pourquoi il est indispensable que nos décideurs politiques pérennisent le financement de l’IGN pour entretenir les données de référence, renforcer leur diffusion et traduire, dans les faits, la recommandation n°7 du rapport Bothorel : « engager la puissance publique sur la voie d’une participation plus active aux communs numériques ». Jean Castex saluait d’ailleurs récemment « l’utilisation des données qui peut contribuer très significativement à l’amélioration des politiques publiques ».
Je voudrais conclure sur un jeu de mots emprunté à Sébastien Soriano, haut fonctionnaire, nommé directeur général de l’IGN au début de l’année 2021. Pour bien comprendre, il faut se souvenir qu’OSM est le raccourci d’OpenStreetMap et SIG l’acronyme de Système d’Information Géographique. Sébastien Soriano s’amusait de constater : « OSM IGN » est une anagramme de « MON SIG ».
Étienne Gonnu : Pas mal ! Une petite question : est-ce que les cartes de randonnée SCAN 25, et tu pourras peut-être nous préciser en deux mots ce que c’est, basculent aussi sous licence libre ?
Jean-Christophe Becquet : Non. Les cartes SCAN 25 sont les cartes bleues de l’IGN, très connues des randonneurs. Elles ne sont pas concernées par l’ouverture des données de l’IGN en open data parce qu’elles intègrent des données qui n’appartiennent à l’IGN, qui sont gérées par d’autres détenteurs de droits, notamment la FFRP, la Fédération française de randonnée pédestre, pour tout ce qui a trait aux itinéraires de grande randonnée et de petite randonnée, donc l’IGN n’a pas les droits pour ouvrir ces cartes.
Étienne Gonnu : Entendu. On voit bien toute la complexité juridique qu’il y a autour de ce sujet.
Merci beaucoup pour ces chroniques et en plus, pour les personnes qui s’intéressent à la question de l’ouverture des données, on sait que l’IGN était un peu emblématique et résistante à l’ouverture, donc c’est intéressant de voir qu’on progresse enfin. J’ai trouvé très intéressant comment, justement, tu montres qu’à la fois les communautés peuvent s’appuyer et profiter de ces ouvertures, mais que les administrations elles-mêmes peuvent aussi en profiter. Une sorte de modèle gagnant-gagnant, même si je n’aime pas particulièrement l’expression.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Nous sommes de retour en direct dans Libre à vous ! en 2024. Il s’agissait d’une chronique « Pépites libres » proposée par Christophe Becquet, enregistrée en mars 2021. L’autre voix, que vous avez entendue, était celle de mon collègue Étienne Gonnu qui parlait, à l’époque, « des résistances de l’IGN ». Je crois que les résistances ont été levées, on va en parler après la pause musicale.
Au passage, je remercie Étienne pour la préparation de l’émission. Aujourd’hui, en fait, je me contente un peu de suivre le séquentiel.
On va donc faire une petite pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous poursuivrons la réflexion de la chronique, puisque nous parlerons de géocommuns avec Sébastien Soriano, directeur général de l’IGN.
En attendant, nous allons écouter Nakturnal par Kellee Maize. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Nakturnal par Kellee Maize.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Nakturnal par Kellee Maize, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By 3.0.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par le sujet principal.
[Virgule musicale]
L’IGN et les géocommuns, avec Sébastien Soriano, sujet préparé et animé par Jean-Christophe Becquet
Frédéric Couchet : Jean-Christophe Becquet, chroniqueur dans Libre à vous !, vice-président de l’April et membre du bureau de la Fédération des professionnels d’OpenStreetMap, reçoit aujourd’hui Sébastien Soriano, directeur général de l’IGN, l’Institut national de l’information géographique et forestière, pour un échange qui s’annonce passionnant. Je vous laisse donc la parole.
Jean-Christophe Becquet : Merci Fred. Bonjour à tous. Bonjour à toutes. Bonjour Sébastien.
Sébastien Soriano : Bonjour.
Jean-Christophe Becquet : Sébastien Soriano, vous êtes, depuis janvier 2021, le directeur général de l’IGN, l’Institut national de l’information géographique et forestière en version longue.
Janvier 2021, c’est précisément à ce moment-là que l’IGN partage, sous licence libre, d’importantes bases de données référentielles, notamment la BD TOPO, la BD ORTHO et le RGE ALTI®. Nous en reparlerons et nous expliquerons tout cela, bien entendu, dans cette émission.
Dans votre poste précédent, à la présidence de l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, vous voyez Internet comme un bien commun qu’il convient de réguler pour le prémunir de la position dominante des GAFAM. Vous encouragez notamment la régulation par la donnée, à travers les outils développés par l’Arcep, pour recueillir des retours utilisateurs sur les atteintes au réseau.
Aujourd’hui, vous portez au sein de l’IGN, la notion de géocommuns qui se traduit par un rapprochement avec la communauté OpenStreetMap, notamment à travers le projet Panoramax, une pépite libre, comme j’aime à le dire.
Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes ensemble pour une petite heure. Nous allons parler de données ouvertes ou open data, du Libre dans le secteur public et des géocommuns. Cela vous convient-il comme présentation ?
Sébastien Soriano : Avec plaisir.
Jean-Christophe Becquet : Pour commencer, sur les données ouvertes de l’IGN, je voulais recueillir votre avis sur un constat. Ce n’est pas du tout scientifique, c’est une observation personnelle, une observation que j’ai faite à plusieurs titres, que ce soit dans des échanges informels, en famille ou entre amis, ou dans des interventions d’enseignement que je peux réaliser à l’université, notamment dans des formations de master en géographie et urbanisme, ou encore avec des collectivités que j’accompagne à titre professionnel. Je constate, pour ma part, que les données ouvertes de l’IGN sont mal connues. Est-ce que vous partagez ce constat ?
Sébastien Soriano : Oui, sans doute. Je dirais que nous sommes un service public et, comme tous les services publics, nous sommes face à des enjeux qu’on appelle de transformation, de modernisation, appelez ça comme vous voulez. Parmi ces enjeux, il y a effectivement le défi numérique qui nous oblige à nous immerger dans un espace différent.
L’IGN, historiquement, publiait des cartes en papier qui étaient distribuées dans des papeteries ou Au vieux campeur, dans tout un tas d’institutions de ce type et, être présent dans un écosystème numérique, ce n’est pas pareil parce que, en fait, ce ne sont pas les mêmes intermédiaires qui vont porter vos données, qui vont accéder à vos données. Il faut donc un peu refaire son trou, exister dans cet écosystème et montrer l’intérêt de ces données pour des acteurs qui font appel à d’autres données, donc, il faut convaincre, parfois, des utilisateurs de Google Maps d’aller utiliser des fonds de plan de l’IGN. Dans la chronique il était question du SCAN 25 qui est l’impression de la carte papier en fait, mais nous fournissons un plan qui lui est libre, qui s’appelle Plan IGN. Aujourd’hui, on trouve encore des mairies ou des acteurs publics, quand ce n’est pas Doctolib, qui vont utiliser des fonds Google plutôt que des fonds gratuits, en accès libre, tel que celui de l’GN.
Il y a donc ce travail de conviction et, ensuite, il y a des acteurs qui ne sont pas forcément conscients de l’intérêt des données. On a des données de tout type, ça foisonne, on a les données de descriptif du territoire : on va avoir, par exemple, des données qui décrivent les bases agricoles, qui vont dire « autour de vous, voilà quelles sont les prairies de plus de cinq ans », on a des bases de données qui vont décrire la forêt, où sont les hêtraies, où sont les chênaies, et il faut aller chercher ces données, il y a donc un chemin à faire.
Il y a parfois, un peu, une pensée magique de l’open data, c’est-à-dire qu’on va ouvrir les données et, tout d’un coup, les usages vont se déployer d’eux-mêmes. Non ! Il y a une espèce de vallée de la Mort, en fait, entre la donnée et son usage, c’est donc un effort d’aller vers les acteurs pour qu’ils se saisissent des données. C’est aussi, je pense, un effort d’éducation, de culture de tous, c’est-à-dire qu’il y a un réflexe de l’ensemble des acteurs de se saisir des données et ça prend aussi un peu de temps de créer ces nouveaux réflexes.
Jean-Christophe Becquet : Vous avez tout à fait raison. Cette démarche open data s’accompagne si on veut qu’elle soit suivie de succès. En tout cas, je trouve cela assez déconcertant. Il y a eu une quinzaine, une vingtaine d’années, j’ai vu dans des administrations, dans des collectivités, des projets nécessitant les données de l’IGN ne pas se faire parce qu’il n’y avait pas le budget pour acheter, à l’époque, les données de l’IGN. Aujourd’hui, ces données sont disponibles, librement accessibles, gratuitement accessibles et, pour autant, effectivement, un grand nombre d’acteurs soit n’a pas connaissance de la disponibilité de ces données, soit fait appel à d’autres fournisseurs de données. Du coup, basculer sur les données de l’IGN exigerait un effort, un effort d’information et de formation, un effort, éventuellement, d’adaptation de leurs outils et de leurs procédures, donc, ça demande du temps.
Un des objectifs de notre émission Libre à vous !, c’est aussi, justement, de participer à faire connaître cette opportunité que constituent les données ouvertes de l’IGN.
Est-ce qu’on peut revenir, peut-être, par type de public ou par thématique, comme vous avez commencé à le faire en parlant d’agriculture ? Si on voulait dresser un peu un catalogue des données disponibles, qu’est-ce qu’on pourrait dire ?
Sébastien Soriano : Il y a d’abord des données qu’on appelle des données sources. Typiquement, notre donnée source la plus connue, ce sont les orthophotographies. En fait, ce sont des photographies aériennes qui sont réalisées à angle droit, d’où « ortho », qui permettent de donner une vue aérienne qui est totalement en licence ouverte.
Aujourd’hui, si vous allez, par exemple, sur votre Google Maps ou sur votre application Apple Plans, vous avez une petite indication qui s’appelle « Satellite » pour avoir une vue d’en haut et, en fait, ce n’est pas du satellite. Non ! Tout ça, c’est de la vue aérienne ; ça s’appelle « Satellite » parce qu’il y a des endroits où la définition est plus faible, où ils n’ont pas les moyens d’aller en avion, donc ils appellent ça « Satellite » pour se couvrir, mais, sur le territoire français, c’est essentiellement de l’avion.
On fournit cette donnée de vues du ciel du territoire français, avec une précision qui est quand même très forte : une image numérique, vous le savez, est constituée de pixels et un pixel représente 25 cm sur 25 cm au sol, c’est donc vraiment une image extrêmement précise qui permet de voir, y compris, des détails. Par ailleurs, on fournit ces informations ce qu’on appelle en stéréoscopie, excusez-moi du terme, cela veut dire que c’est comme l’œil humain, les yeux, qui ont besoin d’avoir deux angles pour restituer la 3D. On produit ces données avec cette dimension-là, qui permet, notamment, de restituer des reliefs.
C’est une première donnée source qui peut être exploitée en licence ouverte.
Ensuite, il y a toutes les bases de données de description, je dirais génériques, du territoire, donc la base topographique qui va donner le relief, les toponymes, c’est-à-dire les noms de lieux — le mont Aigoual, la ville de Paris, le chemin de l’Église, tout ça —, donc la toponymie.
Ensuite vous avez les grands thèmes qui vont arriver : vous avez le thème bâti, c’est-à-dire qu’on va donner les différents bâtiments en relief avec le nombre d’étages, leur emprise au sol ; on va donner le filaire routier, c’est-à-dire les routes, leur sens de circulation qui est vrai à 95 %, ce qui est à la fois bien et pas bien, puisque, si on s’en sert comme un navigateur GPS, ce n’est pas forcément suffisant, mais, pour des usages d’aménagement du territoire, c’est largement utile.
Et puis, tout ce qui est description de l’occupation des sols naturels, par exemple tout ce qui est cours d’eau, plan d’eau, les reliefs, la forêt bien sûr, et, comme je le disais, les zones agricoles.
Ce sont vraiment toutes les descriptions génériques du territoire.
Et puis, « au-dessus de ça », entre guillemets, on va travailler un peu au cas par cas au service des ministères, ce qu’on appelle l’appui aux politiques publiques.
Aujourd’hui, j’ai envie de dire que la donnée un peu générique de description du territoire, c’est fait. Évidemment, il faut la mettre à jour, mais aujourd’hui le vrai enjeu de la data, de la donnée, c’est qu’elle est utilisée par les acteurs publics, elle est activée pour des besoins particuliers. Par exemple, le ministère de l’Agriculture, qui est en charge de la forêt en France, va avoir besoin de statistiques forestières précises pour pouvoir suivre l’état de santé général des forêts : est-ce que la forêt est en train de croître ou pas ? On sait qu’il y a des problèmes de sécheresse, des maladies, de tout un tas de choses. Vous avez le ministère de l’Écologie, qui lui, par exemple, veut suivre ce qu’on appelle la bétonisation ou, en mots plus techniques, l’artificialisation des sols qui est ce phénomène par lequel les communes ont bâti des zones commerciales, des lotissements, parfois sur des emprises anciennes agricoles et qui conduisent à un mauvais écoulement de l’eau, comme on l’a vu récemment avec les inondations dans le Nord de la France. Cet excès d’artificialisation des sols est, aujourd’hui, combattu par une politique de sobriété foncière qui est portée au Gouvernement par le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, avec un principe qui s’appelle le ZAN, Zéro Artificialisation Nette, qui vise à ce que, à terme, les communes rendent à la nature autant de mètres carrés qu’elles en bétonnent, je simplifie. Nous fournissons donc cette carte d’occupation des sols qui va permettre cette discussion.
Voilà un peu les trois étages :
- des données sources qui sont des données brutes essentiellement d’imagerie, on y reviendra sans doute, il y a aussi d’autres technologiques qu’on mobilise comme le lidar ;
- les données génériques de description du territoire ;
- et puis des données plus thématiques qu’on produit pour le compte des ministères, mais qui sont aussi en open data.
Jean-Christophe Becquet : J’ai le souvenir, il y a une dizaine, une douzaine d’années en arrière, que ces orthophotos étaient un cadeau qu’on pouvait faire à nos grands-parents : leur offrir la vue aérienne de leur maison encadrée en format A4. Aujourd’hui, n’importe qui peut, en allant sur le site de l’IGN, télécharger la photo aérienne avec, comme vous l’avez dit, une précision impressionnante 25 cm par pixel. On voit les containers de tri sélectif et on peut reconnaître la couleur du couvercle pour savoir si c’est un container à verre, à emballage ou à déchets ultimes. C’est donc effectivement une donnée extrêmement précise, extrêmement qualitative et accessible sous licence libre pour tout un chacun, chacune, réutilisable pour quelque usage que ce soit, sans restriction aucune, y compris à des fins commerciales.
Sébastien Soriano : Tout à fait.
Jean-Christophe Becquet : Ce que vous évoquez sur le lidar m’intéresse, on y reviendra plus tard pour expliquer à nos auditeurs et auditrices ce dont il s’agit. Vous avez parlé de la nécessité, pour certaines de ces données, d’entretenir la donnée, de la mettre à jour, de la faire vivre. Cette nécessité de mise à jour des données soulève une autre question que j’avais envie de vous poser, un sujet que je voulais aborder avec vous, qui est, du coup, le modèle économique de l’IGN. comment finance-t-on la mise à jour de ces données ?
Sébastien Soriano : C’est compliqué, comme on dit sur les internets. C’est un défi. Nous sommes un service public, donc nous recevons ce qu’on appelle une subvention de l’État qui permet de couvrir nos coûts. Sauf que le système, tel qu’il est pensé aujourd’hui, le modèle économique de l’IGN, fait que nous devons compléter cette subvention par ce qu’on appelle des ressources propres, c’est-à-dire des revenus que nous allons tirer ailleurs.
Une partie de ces revenus, qui est de plus en plus faible, sont des revenus commerciaux. On a un certain nombre de contrats historiques dans le domaine du spatial avec des grands acteurs et nos activités commerciales c’était surtout la vente de cartes papier. On continue à en vendre, n’hésitez pas à acheter des cartes papier IGN, nous avons changé la gamme, notamment du 100 millième qui est en train d’arriver, donc n’hésitez pas ! Mais je ne cacherais pas que la carte papier est quand même globalement en déclin, ça ne vous étonnera pas.
La plupart de nos recettes vient, en fait, de ces acteurs publics. Quand je vous disais qu’on est en appui aux politiques publiques, en fait ces acteurs publics, le ministère de l’Écologie, le ministère de l’Agriculture, vont nous financer la production de ces données.
C’est un système qui est relativement vertueux puisque, finalement, cette donnée est un peu comme une levée de fonds : on préfinance la donnée, elle est payée par celui qui l’a commanditée, mais, ensuite, c’est ouvert à tous. C’est comme si, au moment de construire une route, quelqu’un avait accepté de construire une petite bretelle supplémentaire de la route et, qu’après, il n’y ait pas de péage, tout le monde peut s’en servir. C’est ça le modèle, c’est un peu un modèle de construction d’une infrastructure informationnelle, excusez-moi de cette terminologie, qu’on construit en fonction des personnes qui sont prêtes à la financer, et, ensuite on l’ouvre. C’est assez vertueux, mais c’est assez exigeant, puisque ça suppose qu’on reçoive effectivement des commandes de ces différents acteurs publics, d’où la nécessité, que vous mentionniez tout à l’heure, que les acteurs publics soient conscients de ce qu’on peut faire avec la donnée. C’est-à-dire que si nous étions face à une administration qui n’ait pas l’habitude de se saisir de la donnée, eh bien nous n’aurions pas de commandes. Cela suppose qu’il y ait une marche générale de l’État vers la donnée, ce qu’on appelle la politique publique de la donnée, qui aille dans cette direction et qui nous tire pour que ça puisse fonctionner.
Par ailleurs, pour être complet, je dois mentionner que notre principal commanditaire public, aujourd’hui, est le ministère des Armées, puisque nous sommes un institut dual. En fait, jusque dans les années 90, le ministère des Armées avait des services de géographie propres, il en a encore, mais, à cette époque, ils étaient, entre guillemets, un peu « en miroir » des compétences de l’IGN. Le choix a donc été fait de s’appuyer sur l’IGN qui produit des référentiels pour les Armées, à la fois sur le territoire national mais aussi sur les théâtres d’opérations à partir de vues satellites – évidemment, on ne va pas voler en avion sur des théâtres d’opérations. C’est un commanditaire important. Notre décret prévoit que c’est un commanditaire qui a une priorité, c’est-à-dire dire que s’il y a une urgence, une crise, on se met en quatre pour répondre à sa demande, en priorité, par rapport au reste. Ça permet, je dirais, à la fois d’équilibrer notre budget, puisque ça nous fait un commanditaire, et puis il y a une vraie synergie, finalement on est dual, comme on dit. Quand on développe des technologies, on travaille beaucoup sur l’intelligence artificielle, la 3D, les sujets de jumeau numérique, on y reviendra, on peut en faire bénéficier à la fois des besoins des politiques publiques, écologiques ou agro-environnementales, et, d’autre part, des applications militaires.
Jean-Christophe Becquet : Il me semble qu’il y a également un aspect intéressant à souligner, on l’évoque aussi quand on parle des modèles économiques du Libre, du logiciel libre en particulier quand on parle au sein de l’April, qui est cette notion de mutualisation des coûts.
Il me semble que dans l’ancien modèle, lorsque les collectivités achetaient leurs données à l’IGN, notamment les communes, on pouvait penser que l’argent des collectivités, qui est donc l’argent de nos impôts, était dépensé plusieurs fois pour acheter une donnée produite et vendue, commercialisée par l’IGN. Aujourd’hui, le modèle c’est plutôt : on affecte une dotation issue de nos impôts au fonctionnement de l’IGN, l’IGN produit et entretient cette donnée et la met à disposition gratuitement des collectivités, mais pas que.
Sébastien Soriano : Tout à fait. C’est effectivement beaucoup plus vertueux pour favoriser l’usage de ces données qui, du coup, se diffusent plus largement.
Un exemple a été assez marquant ces derniers temps, si vous voulez bien qu’on évoque la question du lidar. L’IGN conduit à un programme inédit d’acquisition de technologie lidar. Le lidar, c’est de l’impulsion laser. En fait, quand l’avion est en vol, au lieu de prendre des photos, on envoie des impulsions laser au sol qui répondent, comme un écho, et ça nous permet, du coup, d’avoir ce qu’on appelle un nuage de points, un nuage d’impacts qui nous permet d’avoir une modélisation 3D : on peut naviguer en 3D dans une description du territoire avec un nuage de points extrêmement dense puisqu’on parle d’environ dix impacts de laser au sol au mètre carré, ce qui fait à peu près une vingtaine de points de retour. C’est donc un nuage de points d’une densité vraiment exceptionnelle. Ce nuage de points va permettre de répondre à des applications sur la prévention des risques d’inondation en modélisant beaucoup mieux les bassins versants, va permettre de modéliser la forêt, notamment pour le compte de l’Office national des forêts, l’ONF, pour pouvoir beaucoup mieux piloter la forêt publique et puis, également, pour mieux modéliser les surfaces agricoles par rapport au contrôle de la PAC, la politique agricole commune et des subventions qui sont amenées aux agriculteurs.
Ce lidar avait donc ces trois commanditaires, que j’ai mentionnés. Quand on a réalisé ce recensement, on l’a mis en open data et, là, on a vraiment vu le petit miracle de l’open data : des gens qui s’en sont saisis, pour des usages complètement inattendus, avec un appétit complètement étonnant. On a, par exemple, une des grandes entreprises de SIG [Système d’information géographique] de notre secteur, dont je ne mentionnerai pas le nom pour ne pas lui faire de publicité, qui est bien connue, qui a développé un tutoriel en dix épisodes sur comment se saisir de la donnée lidar de l’IGN quand on a un SIG, pour pouvoir naviguer à l’intérieur de cette donnée, typiquement pour des collectivités locales qui vont s’en servir pour caler d’autres modèles de bâti, de représentation du territoire ou de tout type d’usage. On a vu aussi un usage bien connu du lidar, l’archéologie. La politique publique d’archéologie ne finance pas le lidar, mais elle s’en sert. On a vu des relevés qui ont pu être utilisés à cette fin et bien d’autres modèles qui peuvent être faits.
C’est aussi un peu un enjeu de démocratie : que chacun puisse se saisir de données extrêmement précises pour développer des modèles, pour avoir une connaissance des enjeux de connaissance du territoire, de la forêt, de la végétation, de la dimension urbaine.
Ce sont un peu les petits miracles de l’open data où des usages, parfois inattendus, se développent en plus de ceux qu’on avait anticipés et qui avaient amené à financer cette production de données.
Jean-Christophe Becquet : Avec le lidar, on voit à la fois la forme du sol, c’est-à-dire une information très précise du relief, mais également ce qui se trouve sur le sol : la forme et la hauteur des bâtiments, le type d’arbre, la présence ou absence de feuillage ; on a un niveau vraiment très précis de détails. Je confirme ce que vous venez de dire parce que dans la communauté QGIS, qui est le logiciel libre de SIG, Système d’information géographique libre, c’est aussi très dans le vent et très demandé d’organiser des ateliers sur la façon dont on manipule les données 3D dans QGIS, notamment les données lidar de l’IGN. Je vous rejoins sur le fait de dire que c’est un véritable trésor.
Du coup, cette couverture intégrale du territoire national, avec un très haut niveau de précision en données lidar, est-elle achevée aujourd’hui ? Est-elle livrée ou est-ce en train d’être finalisé département par département ?
Sébastien Soriano : On a réalisé à peu près les deux tiers de la France et, là, on est en train de caler avec les partenaires comment on termine, parce que, aujourd’hui, le financement n’est pas complètement bouclé. On est en train de voir, notamment, si on termine la couverture en été ou en hiver, ça peut paraître technique. En gros, si vous le faites en été, vous avez une très belle modélisation des arbres puisque vous avez des feuilles, en revanche vous ne voyez pas très bien sol et, si vous le faites en hiver, c’est le contraire. Donc, si vous voulez plutôt décrire la forêt et l’agriculture, faites-le en été ; si vous voulez plutôt prévenir les risques d’inondation, faites-le en hiver.
On est encore en train de caler, avec les partenaires, la façon dont on termine. Par ailleurs, on a des partenariats qui éclosent avec des collectivités locales, justement pour terminer la couverture lidar en fonction de différents besoins qu’elles peuvent rencontrer sur le territoire.
J’ai bon espoir qu’on puisse achever cette couverture en fonction du choix, hiver ou été, ou bien dès cette année ou bien l’année prochaine.
Jean-Christophe Becquet : À vous entendre parler de la saisonnalité de cette donnée, j’ai l’impression que c’est un petit peu comme ce qu’on évoquait tout à l’heure, cette, en fait, va nécessiter des millésimes, des mises à jour, c’est-à-dire qu’on est presque dans une course sans fin : dès qu’on aura fini la couverture du territoire, va-t-il falloir faire la nouvelle édition des premières zones qu’on a capturées il y a deux ou trois ans ?
Sébastien Soriano : Oui et non. En fait, la donnée lidar est utile même en one-shot, si vous me permettez cette expression, parce qu’elle permet de caler des modèles. Quand vous avez plusieurs sources de données, si vous avez, par exemple, une vue aérienne ou une vue satellite pas très précise et une vue lidar très précise de la même description du sol, vous pouvez faire des corrélations. Donc, à partir de la donnée lidar très précise, vous pouvez mieux faire parler la donnée qui était moins précise, parce que vous avez créé cette corrélation, donc cette capacité de la donnée moins précise à être plus riche – excusez-moi, ce que je raconte est un peu abstrait – est acquise, parce que vous avez permis de caler des modèles prédictifs, des modèles de détection, donc ça a une valeur en soi. Néanmoins, on pressent que la donnée lidar va quand même avoir un intérêt sur ce qu’on appelle des zones à enjeu, notamment, typiquement, sur la forêt ; il y a quand même des tensions particulièrement fortes sur la forêt française, je le mentionnais tout à l’heure avec des maladies, avec les scolytes, avec des sécheresses et le changement climatique qui fait que les essences qui sont plantées à un endroit donné ne sont plus forcément adaptées par rapport au nouveau climat. Avoir un suivi très fin de cette forêt est quelque chose qui va certainement s’imposer dans la durée, donc, une mise à jour du lidar sera certainement utile.
Jean-Christophe Becquet : Pour finir sur cette première partie, on parlait tout à l’heure de la nécessaire médiation autour de ces données ouvertes. Avec ce que vous venez d’expliquer sur le lidar, on comprend bien que c’est très technique, c’est une donnée qui s’adresse à des spécialistes. Est-ce que l’IGN fournira, à un moment donné, une version, une interprétation de cette donnée ou une manière d’accéder à cette donnée grand public ? Je zoome sur mon quartier, ma rue, et je vois, non pas le nuage de points, mais un rendu en 3D de mon environnement ?
Sébastien Soriano : On va regarder ça. Je dirais que la trajectoire dans laquelle on est, c’est de développer un site internet qui va s’appeler cartes.gouv.fr, cartes au pluriel, qui va être la nouvelle interface pour, à la fois, les citoyens et tous les acteurs qui souhaitent se saisir de la donnée géographique et où on aura à cœur de mettre des interfaces qui soient extrêmement faciles d’utilisation, de développer des outils, comme on dit, no-code, c’est-à-dire qui permettent simplement, en déplaçant des fichiers ou de manière très intuitive, de pouvoir générer sa propre carte, sa propre data visualisation. Ce dispositif prévoit bien un visualiseur de données lidar, plutôt pour les experts, mais j’entends votre suggestion d’en faire aussi un outil pour le grand public.
Jean-Christophe Becquet : Merci.
Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale avant la deuxième partie. Qu’est-ce que nous a choisi Étienne ? Nous allons écouter Intención par Sapajou. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Intención par Sapajou.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Intención par Sapajou, disponible sous licence libre Creative Commons, CC By SA 3.0.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre notre discussion sur les géocommuns. Vous êtes toujours sur radio Cause Commune 93.1 FM à Paris, sur causecommune.fm partout dans le monde.
Avant de redonner la parole à Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, et à Sébastien Soriano, directeur général de l’IGN, je vais relayer une question qui est sur le salon web, d’ailleurs, si vous voulez rejoindre le salon web, c’est sur causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous, tout simplement. On revient un petit peu au moment où vous avez parlé de vos relations avec les différents ministères. Le Gouvernement a lancé un « Plan d’action logiciels libres et communs numériques » en 2021, entraînant, notamment, la création des « Administrateurs Ministériels des Données, des Algorithmes et des Codes sources » dans les différents ministères, la question est : est-ce que ça a eu un effet en termes de culture, d’ouverture et de réutilisation des données dans les ministères ? Sébastien Soriano.
Sébastien Soriano : Oui, je crois qu’on peut le dire. Il y a une continuité des différents ministres sur ce sujet qui est incontestable, avec la création du ministère de la Fonction et de la Transformation publiques qui a d’abord été dans les mains d’Amélie de Montchalin et, maintenant, de Stanislas Guerini, qui porte vraiment une ambition de développer la culture de la data à l’intérieur des ministères, je dirais donc que ça devient de plus en plus un réflexe. Ce qui n’est pas forcément évident, c’est le lien entre ouverture et communautés. Ouvrir, si c’est juste pour mettre, par exemple, un code sur un git, s’il y a pas de travail avec une communauté, si on est seul à mettre son code et que personne ne vient l’enrichir, ce n’est pas toujours très efficace, ce n’est pas forcément d’un intérêt foudroyant. Je dirais que c’est cela qui reste encore, de mon point de vue, à approfondir, cette notion d’animation de communauté, de faire communauté, ce qui veut dire aussi s’insérer dans un écosystème qui, parfois, existe, on en reparlera à propos d’OpenStreetMap. Il y a un écosystème riche de librairies applicatives, etc., qui existe, je pense, qu’à l’IGN, c’est un de nos défis de s’inscrire aussi dans cette dynamique-là, parce que le service public ne va pas faire communauté tout seul ! Je dirais qu’on a bien avancé, mais il reste ce côté de s’immerger dans un écosystème qui n’est sans doute pas assez systématique.
Jean-Christophe Becquet : Je vais m’appuyer sur cette question pour aborder le deuxième sujet dont je voulais discuter avec vous, Sébastien Soriano.
L’April, c’est l’association de promotion et de défense du logiciel libre. On a parlé d’open data, mais, à l’IGN, utilisez-vous et développez-vous, deuxième question, du logiciel libre ?
Sébastien Soriano : Oui. Honnêtement, je dirais que notre action n’est pas encore totalement structurée là-dessus, c’est-à-dire qu’on voit encore un peu de tout. On a notamment une tradition, à l’IGN, celle de développer des outils internes. On a, par exemple, toute une chaîne de traitement de la donnée sur satellite qui a été développée par des équipes internes de l’IGN. Ce sont des développements qui commencent à être un petit peu anciens et on n’a pas forcément eu le réflexe, justement, de faire communauté avec d’autres pour utiliser ces logiciels, ce qui pose maintenant un certain nombre de questions de maintenance : comment on continue à les faire vivre ? On peut donc trouver cela.
Et puis, à l’autre extrémité du spectre, je parlais, par exemple, du Zéro Artificialisation Nette. Sur le Zéro Artificialisation Nette, nous sommes allés assez loin puisqu’il est généré par intelligence artificielle. On part de l’imagerie qui est vue d’avion et l’intelligence artificielle va faire une espèce de découpage pour dire « ça c’est une route, ça c’est un bâti, ça c’est une zone agricole, etc. ». Pour faire ce travail, il y a un algorithme et il y a aussi ce qu’on appelle des données d’entraînement. C’est la même technologie que celle qu’on appelle computer vision, c’est la même technologie pour détecter les petits chats sur une page web : vous injectez à l’intelligence artificielle des centaines, voire des milliers d’images de chats ou sans chats et vous lui apprenez, à chaque fois, « oui il y a un chat, non il n’y a pas de chats » et elle va finir par les détecter. En fait, nous faisons la même chose, sauf qu’au lieu de détecter des chats, on lui demande de détecter une route, une piscine, un champ, etc.
On a mis en open source non seulement le logiciel qui opère cette classification, qui est assez simple, mais on a mis aussi, en open data, les données d’entraînement, ce qui nous paraît presque plus important dans ce type de situation, pour, finalement, permettre à un autre de pouvoir répliquer ce qu’on a réalisé et de partager, y compris, notamment, avec des acteurs industriels qui souhaitent utiliser ces données d’apprentissage à d’autres fins.
Pour en revenir vraiment spécifiquement à la question de l’open source, je dirais qu’on a vraiment différentes pratiques. On a notamment plusieurs lignes de production, à l’intérieur de l’IGN, qui s’appuient sur un grand acteur privé de SIG, on n’est pas nécessairement toujours sur QGIS, donc il y a de tout, ce n’est pas encore complètement systématisé.
Jean-Christophe Becquet : Est-ce qu’il y a une volonté d’aller vers un usage plus systématique du logiciel libre ou, parmi tous les sujets qu’il y a à porter aujourd’hui, il n’y a pas forcément de place pour en faire un sujet prioritaire ?
Sébastien Soriano : Si, c’est clairement une dynamique dans laquelle on veut s’inscrire, encore une fois, pour une raison de communauté. C’est-à-dire que faire communauté c’est s’assurer que ce sur quoi on travaille est utilisé par un écosystème d’acteurs. C’est donc une manière de se garantir qu’on est à l’état de l’art, qu’on n’est pas à côté de la plaque, tout seul en train de faire un petit silo qui va mal vieillir. Donc, travailler en communauté, c’est pour nous un impératif.
Il y a évidemment la vision flemmarde de travailler en communauté, qui est d’acheter un logiciel à un éditeur qui, lui, va le faire utiliser par plusieurs utilisateurs et qui va l’entretenir, bon !
Il y a l’autre manière de faire communauté qui est effectivement d’aller sur des outils libres et c’est ce qu’on souhaite faire. Je dirais qu’aujourd’hui nous sommes en train de développer les outils, les forges, etc., qui vont permettre de travailler plus en open source dans nos développements. Nous ne nous sommes pas encore complètement organisés pour le faire de manière systématique ni pour documenter systématiquement tous nos codes pour pouvoir les déverser. C’est pour cela que je ne veux pas faire de la sur-promesse, je dirais que c’est bien une trajectoire dans laquelle nous sommes inscrits, mais, du fait de la dette technique que nous avons, ça va prendre un peu de temps.
Jean-Christophe Becquet : En tout cas, la démarche que vous venez d’expliquer sur les algorithmes d’intelligence artificielle me paraît assez exemplaire. Vous avez évoqué ce souci de libérer non seulement les codes sources mais également les jeux de données, ce qui est un des nouveaux défis que les technologies d’intelligence artificielle posent au monde du logiciel libre, selon moi. J’imagine aussi les documentations et toutes les publications autour du code source, parce que, aujourd’hui, un code source seul ne suffit plus pour fonctionner et pour utiliser le logiciel.
Du coup, avec votre regard et votre connaissance fine du secteur public, si vous aviez des conseils à souffler à l’April pour mieux propager les enjeux et les opportunités du Libre dans le secteur public, qu’est-ce que vous nous conseilleriez comme posture ou comme actions à mener pour être plus efficaces ? Nous, nous appelons de nos vœux une priorité au logiciel libre dans le secteur public. Pensez-vous qu’il y a des choses que nous pourrions faire pour tendre vers cet objectif ?
Sébastien Soriano : Je vais vous faire un aveu : j’ai été directeur de cabinet, il y a une dizaine d’années, d’une ministre du Numérique, Fleur Pellerin, à qui cette proposition avait été soumise. Quand on l’a examinée, nos juristes nous ont dit « ça n’est pas possible » ; cet obstacle s’était présenté.
Frédéric Couchet : Je réagirai là-dessus.
Sébastien Soriano : Nous avons certainement des points de vue différents sur le sujet. Indépendamment de cela, je dirais qu’il y a quand même quelque chose qui se développe beaucoup à l’intérieur de l’État, c’est ce qu’on appelle la méthode produit qui, autrefois, s’appelait la méthode bêta, qui a été poussée par la Direction interministérielle du numérique. Aujourd’hui, dans la nouvelle feuille de route de la Direction interministérielle du numérique, qui est dirigée par Stéphanie Schaer, la priorité numéro un c’est de développer la méthode produit dans l’État. La méthode produit, ce sont des équipes très autonomes de développement qui sont en contact direct des utilisateurs, qui sont en autonomie, qui sont drivées par l’impact et par l’usage, et qui vont produire des résultats réguliers pour éviter les effets tunnels et les cycles en V, et rendre compte à des comités d’investissement qui vont accepter de remettre de l’argent, ou pas, dans le développement du produit. Je pense que cette méthode produit peut vraiment très bien être le cheval de Troie, si vous me permettez cette suggestion, du Libre, dans la mesure où ce sont des développements pour lesquels on part des librairies qui existent et on fait des développements qui ont vocation à être d’emblée, comme je le disais, portés par des équipes produit qui vont être immergées dans des écosystèmes, donc en lien avec des tiers. Je crois donc que ça peut être un atout intéressant à jouer.
Jean-Christophe Becquet : On part d’un besoin qui existe dans un ministère ou dans une collectivité, on propose une solution technique à ce besoin et cette solution est partagée en logiciel libre avec les réutilisateurs potentiels, avec aussi cet objectif, que vous évoquiez, de faire communauté autour des développements.
Fred veut réagir.
Frédéric Couchet : Très rapidement. Effectivement à l’époque, entre 2012 et 2014, vous étiez directeur de cabinet de la ministre Fleur Pellerin. C’était sans doute une note de Bercy qui est ressortie, quelques années plus tard, autour de 2016, notamment lors du projet de loi pour une République numérique porté par Axelle Lemaire. À l’époque, nous avions publié une contre analyse démontrant que la priorité était, en fait, faisable de façon purement juridique. On va préciser que, depuis, les choses ont effectivement beaucoup évolué de façon positive, notamment avec le travail que fait la Direction interministérielle du numérique, notamment l’équipe logiciels libres de Bastien Guerry. Mais voilà ! Nous sommes toujours partisans d’une priorité inscrite dans la loi, qui ne veut pas dire une exclusivité. Petite précision.
Sébastien Soriano : Sur ce sujet, si vous permettez un petit complément, je pense qu’il y a un enjeu de souveraineté. C’est quand même compliqué, pour un service public, de s’appuyer sur des outils qui sont propriétaires, surtout, qui plus est, quand ces outils appartiennent à des acteurs extra-européens, les GAFAM pour ne pas les citer. De manière générale, on voit bien que le service public est en train de devenir de plus en plus numérique, non pas par une espèce de technophilie, mais simplement parce que la réalité des Français est numérique. Aujourd’hui, quand vous allez chez le médecin, vous utilisez des outils numériques ; quand vous avez votre ordonnance, vous pouvez la passer à votre pharmacien par un système de messagerie ; quand vous avez des enfants vous allez sur Pronote, etc.
On voit que nos vies sont de plus en plus numériques, ça veut dire que le service public, entre guillemets « les agents publics de demain » doivent être de plus en plus des gens qui fabriquent du numérique. Si nous ne fabriquons pas du numérique par nous-mêmes, cela veut dire que le service public va dépendre d’autres acteurs, qui vont, d’une part, avoir des revenus tirés de ça, parfois avec des positions dominantes, avec, parfois, des effets de dépendance à des logiciels, et puis, ça veut dire qu’on n’est pas en maîtrise de l’évolution de ces logiciels, c’est-à-dire qu’on ne décide pas de la roadmap, de la feuille de route de développement. Il y a donc un vrai enjeu de souveraineté. Jusqu’à présent on gérait ça plutôt via des ESN, des entreprises de services numériques, on parle de Capgemini, Sopra Steria, etc., qui peuvent poser d’autres problèmes parce que les coûts sont parfois difficiles à maîtriser, il y a de l’infogérance qui n’est pas évidente, il y a quand même des personnes qui peuvent facturer parfois assez cher derrière.
Cette méthode produit, dont je parlais tout à l’heure, vise plutôt à internaliser les développements propres à l’intérieur de l’État, ou bien par des fonctionnaires et des agents publics ou bien, parfois, par des free-lances aussi, ce qui permet, du coup, d’être en maîtrise sur le code lui-même. C’est quand même un enjeu important si on veut avoir des services publics qui soient entre nos mains, qui soient vraiment l’outil partagé de la nation, qui soient quelque chose qu’on sait piloter, faire évoluer. Il y a un enjeu de maîtrise — si vous n’aimez pas le mot souveraineté, on va dire maîtrise —, de ce code, pour lequel le logiciel libre peut être un atout réel.
Jean-Christophe Becquet : En tout cas, à vous écouter, il me semble clair que, aujourd’hui, on a des hauts-fonctionnaires qui maîtrisent le plaidoyer logiciel libre. En fait, ce que vous venez dire, ce sont les arguments qu’on donne quand on veut promouvoir le logiciel libre dans le secteur public : cette notion de retrouver la maîtrise, de maîtriser les coûts, de ne pas être dépendant d’un éditeur ou d’un prestataire. Je pense que ces enjeux sont de mieux en mieux compris dans le secteur public, c’est loin d’être fini, c’est loin d’être gagné, mais, comme l’a dit Fred, on a énormément progressé, on progresse énormément, et l’April ne va pas s’arrêter de tenir cette ligne. En tout cas, je pense que des progrès importants ont effectivement été faits.
Sébastien Soriano : Est-ce que je peux encore ajouter quelque chose ?
Jean-Christophe Becquet : Bien sûr !
Sébastien Soriano : Il se trouve que j’ai commis un certain nombre d’écrits sur le service public en général. Une des choses qui rend difficile cette maîtrise, c’est une règle qui s’appelle – excusez-moi, c’est vraiment du charabia administratif – la fongibilité asymétrique. Quand vous donnez de l’argent à une administration, au lieu de payer des salaires à des gens, elle a le droit de prendre cet argent et de payer des prestataires privés pour faire le travail à leur place. Bon, quand c’est du gardiennage ou, pour un certain nombre de fonctions, ça peut se comprendre, mais c’est le cas aussi pour les développements informatiques. C’est-à-dire que vous pouvez choisir de ne pas recruter des développeurs et, à la place, d’acheter un logiciel. En revanche, vous ne pouvez pas faire le contraire. C’est pour cela que cette fongibilité est asymétrique – excusez l’expression –, c’est-à-dire que vous n’avez pas le droit de prendre sur votre budget de fonctionnement pour dire « je vais moins dépenser en logiciel et, à la place, recruter des fonctionnaires, ou des agents publics contractuels, pour les payer », vous n’avez pas le droit de le faire. Vous avez quand même une manière de piloter l’argent public, ça s’appelle la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances de 2000, qui, structurellement, défavorise encore les développements internes. On a quand même là un obstacle !
Une directive de la Première ministre, de janvier 2023, va dans le sens de favoriser cette ré-internalisation des compétences, mais elle est quand même plutôt à contre-courant de cette règle générale qui a été posée sur la gestion de l’argent public. Donc, dans votre plaidoyer, n’hésitez pas à mentionner cette fongibilité asymétrique, si je puis me permettre.
Jean-Christophe Becquet : C’est donc, selon vous, un aspect de la loi qu’il faudrait changer, en tout cas pour le sujet dont on parle ?
Sébastien Soriano : Pour le citoyen Soriano, oui. Le directeur général de l’IGN ne peut pas se prononcer dessus.
Jean-Christophe Becquet : J’entends !
Frédéric Couchet : Ça tombe bien, on a invité les deux aujourd’hui !
Jean-Christophe Becquet : Merci.
Si vous le voulez bien, on va passer à la troisième et dernière partie de notre entretien. Vous n’êtes peut-être pas l’inventeur du terme, en tout cas vous portez cette parole, le terme géocommuns, que vous allez nous expliquer dans le détail, mais, je crois, qui traduit, qui fait écho à la nécessité que vous évoquiez tout à l’heure de faire communauté, de s’ouvrir à d’autres acteurs. Je vais reprendre cette citation qui m’avait beaucoup amusé, que je citais, que je reprenais en conclusion de ma chronique sur l’ouverture des données de l’IGN, en mars 2021, vous disiez : « OSM – pour OpenStreetMap –, IGN, est une anagramme de « MON SIG, SIG » pour système d’information géographique ». Donc, peut-être venu le moment, dans notre discussion, de parler d’OpenStreetMap. Quelles relations, aujourd’hui, entre l’IGN et OpenStreetMap ?
Sébastien Soriano : Quand j’ai été nommé, en janvier 2021, j’ai été étonné parce que j’avais l’impression que l’IGN avait, dans son histoire, agacé beaucoup de monde à cause de cette donnée payante, à cause de cette fermeture, et notamment OpenStreetMap et que, pour une part, OpenStreetMap s’était affirmé par le fait que, comme il n’y avait pas de données publiques librement accessibles, c’étaient les citoyens qui devaient, enfin qui avaient, comme ça, cette faculté de se mobiliser par eux-mêmes pour produire cette donnée.
Jean-Christophe Becquet : C’est d’ailleurs ce problème qui a préfiguré à la création du projet OpenStreetMap. C’est parce que l’Ordnance Survey, l’équivalent anglo-saxon de notre IGN, refusait de lui donner des données librement réutilisables que le fondateur d’OpenStreetMap s’est mis à cartographier son territoire et a appelé à des contributions pour produire des données libres.
Sébastien Soriano : On était effectivement un peu dans cette situation et j’ai eu la chance d’arriver avec l’ouverture des données. C’est-à-dire que, tout d’un coup, ce qui était notre principal point faible devenait finalement un atout. Avec l’ouverture des données nous devenions, entre guillemets, « des gentils » : il y avait Google d’un côté et puis OpenStreetMap et l’IGN de l’autre. Ce renversement est quand même très important, parce que, du coup, ça nous a mis dans une trajectoire commune de pouvoir enfin partager, pouvoir être enfin dans une logique de travailler main dans la main.
Aujourd’hui, je dirais que la relation avec OpenStreetMap France s’est beaucoup enrichie. OpenStreetMap organise, chaque année, un événement qui s’appelle State of the Map, dans lequel, régulièrement, un certain nombre d’agents de l’IGN se rendent.
Jean-Christophe Becquet : Je confirme : on voit plein de badges IGN !
Sébastien Soriano : On se retrouve parfois, dans certains événements de notre petit milieu de la cartographie, à être main dans la main, à présenter ce Panoramax dont on parlera peut-être tout à l’heure, ce projet commun que nous avons avec OpenStreetMap.
Je dirais qu’en gros nous, IGN, par rapport à nos productions propres, nous avons fait un recentrage qui est de se positionner sur les sujets agroécologiques, j’ai appelé cela la cartographie de l’anthropocène. Aujourd’hui, finalement, la grande affaire du cartographe public n’est pas de faire une description générique du territoire, ni, non plus, seulement de faire une cartographie, ni, non plus, seulement de faire des vues aériennes, ce que nous continuons à faire et qui est évidemment essentiel, c’est aussi de montrer comment le territoire change, c’est donc montrer l’évolution du littoral, montrer l’évolution de la forêt, montrer l’évolution de l’urbanisation. On parlait tout à l’heure d’artificialisation des sols, montrer comment les trames de biodiversité sont potentiellement menacées ou peuvent être protégées par des stratégies de biodiversité. Ce recentrage, quelque part, nous a éloignés d’OpenStreetMap. Nous étions parfois un peu à touche-touche sur certains sujets et là, ça c’est un petit peu éloigné.
Par exemple sur les POI, les Points Of Interest, les points d’intérêt. Qu’est-ce qu’un POI quand vous allez sur une carte en ligne ? C’est ce qui apparaît pour désigner des commerces ou un lieu public. À l’IGN, nous nous sommes beaucoup recentrés sur les POI, on fait simplement les édifices publics, la toponymie, un nombre très limité de choses, et on sait très bien, par exemple, qu’on ne fera pas les commerces. Actuellement, on étudie la possibilité d’utiliser les POI OpenStreetMap pour un certain nombre d’applications. Je ne veux pas trop spoiler, ce sont les choses qu’on annoncera plutôt au mois de mai, ce sont des choses qu’on pourrait faire en valorisant justement les POI OpenStreetMap, parce qu’il y a une complémentarité naturelle qui se fait entre les deux.
On a donc ce projet commun, Panoramax dont on va parler après. Je dirais qu’il y a un sujet sur lequel on n’a pas encore complètement trouvé la complémentarité, c’est le sujet de la carte de la représentation du territoire, puisque OpenStreetMap nous a libérés de Google Maps. Aujourd’hui, vous avez beaucoup de collectivités territoriales, d’associations, qui utilisent des fonds de carte. Le fond de carte, c’est la représentation numérique du territoire sur laquelle vous pouvez ensuite positionner des points, où vous pouvez faire de la médiation de différentes manières ; vous êtes un service public, vous pouvez, par exemple, publier la carte de France de tous vos sites en utilisant un fond de carte.
Historiquement, OpenStreetMap a proposé des fonds de cartes et c’est très bien. Pour autant, nous en tant qu’IGN, en tant que service public, on considère qu’on doit aussi à nos concitoyens une représentation du territoire. On n’a pas encore complètement trouvé la bonne synergie, sachant qu’OpenStreetMap fait le monde entier et que ça n’est pas notre vocation, que c’est le territoire français qui nous intéresse : comment arrive-t-on à bien travailler ensemble pour produire, ensemble, ces représentations du territoire ?, c’est le petit maillon qui est qui reste encore à cracker dans notre relation.
En tout cas, du point de vue de l’IGN, je ne peux pas me prononcer à la place d’OpenStreetMap, je pense que c’est une relation qui est aujourd’hui apaisée, constructive, pour relever ensemble des challenges, tout en restant, chacun, dans sa légitimité. Nous ne sommes pas des communs, nous sommes l’État, pour autant nous pensons que nous avons beaucoup à faire ensemble.
Jean-Christophe Becquet : Je vous rejoins. Lorsque Google a rendu l’accès à certains de ses fonds cartographiques Google Maps payants, qui, initialement, étaient gratuits pour acquérir une clientèle captive de ses fonds cartographiques, un grand nombre d’acteurs, publics et privés, pour ne pas payer, ont migré sur OpenStreetMap.
Comme vous vous avez l’air d’accord sur la complémentarité entre les données de l’IGN et les données OSM, on pourrait tout à fait imaginer que l’IGN, en tant qu’opérateur public, soit l’opérateur qui produit ce fond cartographique mutualisé pour les services publics, que ce fond cartographique soit dessiné à partir des données de l’IGN, mais pour partie, pourquoi pas, notamment les fameux POI que vous évoquiez, les points d’intérêt, pourraient être pris dans OpenStreetMap. J’ai d’ailleurs un exemple récent là-dessus, c’est le SMMAG, le Syndicat Mixte des Mobilités de l’Aire Grenobloise, qui nous expliquait qu’il prend les points d’intérêt dans OpenStreetMap pour son calculateur d’itinéraire : quand les gens vont dans un calculateur d’itinéraire de transports publics, ils veulent aller à tel commerce, à tel bâtiment ou à tel centre culturel.
Un des projets emblématiques de la réussite de ce travail en commun entre OpenStreetMap et l’IGN, c’est Panoramax. Panoramax est un outil aujourd’hui disponible, en production sur Internet. À quel besoin répond-il ? En quoi consiste-t-il ?
Sébastien Soriano : L’idée de Panoramax c’est de faire, vous le disiez en introduction, un géocommun. Un géocommun c’est quoi ? En fait, c’est se dire que personne, tout seul, n’arrive à rassembler certaines informations. Il faut donc mettre ensemble de l’énergie collective : l’énergie de la communauté OpenStreetMap, l’énergie d’un service public comme l’IGN, mais aussi, potentiellement, d’autres services publics comme les pompiers, comme du ramassage d’ordures ou autres. Panoramax est emblématique de cela.
Panoramax, en fait, c’est l’idée d’apporter une alternative libre et ouverte au petit bonhomme jaune de Google. Le petit bonhomme jaune de Google, c’est la vue immersive, c’est super pour se balader, c’est très bien pour regarder quand on va louer une maison pour les vacances, ou autre, quel est l’environnement autour. En revanche, si on veut en faire un usage un petit peu plus trapu, qui consisterait à analyser l’image et à en extraire des choses, on n’a pas le droit, parce que la licence l’interdit.
L’idée de Panoramax, c’est de créer une banque de données, en l’occurrence une banque de données distribuée, qui va permettre à tout un chacun de mettre sa GoPro ou son smartphone sur son vélo, sa voiture, ou, éventuellement, un service public d’équiper ses véhicules de la sorte, et, ensuite, de capturer de l’imagerie de rue qui va être versée dans cette banque. La banque de données, ensuite, va indexer cette information, donc va la référencer dans le temps – qui l’a prise, sous quel angle, évidemment quelle est sa position géographique –, et, à partir de là, va pouvoir offrir un certain nombre de services qui vont se construire dessus. Le service de base c’est la navigation, c’est pouvoir se balader à l’intérieur de ces images, avancer dans la rue et voir défiler et puis vous pouvez imaginer d’autres services. L’équipe est en train de développer notamment un service d’analyse automatique des panneaux de signalisation, entraîné par intelligence artificielle pour reconnaître automatiquement ces panneaux, avec l’idée de créer une boucle vertueuse, notamment avec les communes. Les communes ont besoin de connaître ces panneaux pour tout un tas de sujets et, aujourd’hui, la seule solution qu’elles ont, c’est effectivement de faire tourner ces voitures qui vont prendre ces images. On incite donc les communes, de ce fait, à verser leurs images dans la banque de données Panoramax, qui, du coup, est partagée par tous, mais elles en tirent un bénéfice : comme elles sont dans la communauté technique de Panoramax, elles peuvent avoir très facilement l’analyse automatique de leurs panneaux.
C’est la boucle vertueuse qu’on essaye de dégager : créer des petites briques de services qui vont être utiles à différentes catégories d’utilisateurs pour les inciter à verser leurs données. Plus, évidemment, le plaisir qu’a tout mappeur, tout contributeur OpenStreetMap de contribuer à un effort collectif.
Jean-Christophe Becquet : Et Panoramax est un pur projet libre : le code source des applications qui font fonctionner les serveurs cartographiques est libre, les images sont sous licence libre, pas la même licence entre l’IGN et OpenStreetMap, mais, dans les deux cas, des licences libres ; les algorithmes de reconnaissance d’images pour extraire les panneaux routiers ou les passages piétons sont des logiciels libres. À mon sens, on est vraiment dans un projet emblématique de ce que l’April appelle de ses vœux.
Fred me fait signe qu’on arrive au bout du temps qui nous est imparti.
Frédéric Couchet : Il reste encore deux/trois minutes max. On ne fera pas la prochaine pause musicale, comme ça, si vous voulez compléter ou apporter une information.
Sébastien Soriano : Je peux chanter !
Frédéric Couchet : Vous pouvez chanter !
Jean-Christophe Becquet : C’était ma dernière question : Sébastien Soriano, y a-t-il une question que vous auriez aimé que je vous pose ou un autre sujet que vous auriez aimé évoquer avec nous ? Il nous reste deux/trois minutes.
Sébastien Soriano : Oui, j’ai un petit cadeau à vous faire, ce n’est pas très visible à la radio, c’est un autocollant que j’ai créé, qui s’appelle « En mode Commundo », il y en a un aussi pour la régie.
Je pense que cette question des communs doit être plus largement une inspiration pour le service public. Il ne s’agit pas de singer les communs, les communs ce sont des gouvernances propres. Wikipédia, c’est une gouvernance propre, qui a ses propres règles, qui font que, à la fois c’est foisonnant et que, parfois, on ne peut pas être 100 % complètement certain de la chose parce qu’il y a un processus de modération. Nous, le service public, on amène une information fiable et homogène, comme vous l’avez dit tout à l’heure, donc ce n’est pas la même chose.
Pour autant, je crois qu’on peut énormément s’inspirer des communs dans l’action publique, parce que, les communs, c’est une manière de rassembler. Or, un des maux profonds de l’action publique, aujourd’hui, c’est que nous travaillons en silos. Dans l’actualité récente, vous avez entendu parler des haies bocagères qui, selon la manière dont elles sont décrites par les détracteurs de la réglementation européenne, feraient appel à 16 réglementations différentes ; c’est peut-être un petit peu exagéré, n’empêche que c’est vrai que les haies font appel à tout un tas de réglementations différentes. Si on avait travaillé plus selon une méthode de communs, c’est-à-dire que si on avait créé une communauté de la haie entre les administrations en charge de l’agriculture, les administrations en charge de la biodiversité, les administrations en charge de tout un tas d’enjeux, qu’on ait essayé d’avoir une définition commune de la haie, peut-être qu’on aurait moins généré de complexité administrative. Quand je dis cela, ce n’est certainement pas une critique des administrations concernées, parce que chacune a son mode de fonctionnement dans lequel elle travaille pour son ministre, pour son administration, c’est comme cela que le monde public fonctionne aujourd’hui, mais je pense que c’est un de ses grands problèmes : on ne sait pas assez travailler ensemble et cette question des communs, peut être une solution.
On a ce sujet Panoramax sur lequel on travaille avec beaucoup d’acteurs, mais on a aussi des projets public/public sur lesquels on travaille. On travaille, par exemple, sur l’adresse, on rassemble l’ensemble des adresses qui sont déclarées par les communes, ou sur un identifiant unique du bâtiment, sur lequel on travaille avec l’Insee [Institut national de la statistique et des études économiques], avec l’Ademe [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie], avec le Centre supérieur du bâtiment, avec la Direction générale des Finances publiques, pour avoir une définition unique du bâtiment et éviter de créer de la bureaucratie, de la complexité administrative.
Jean-Christophe Becquet : Et ce mode silo.
Sébastien Soriano : Donc cet autocollant « En mode Commundo », c’est une manière de dire qu’il faut à la fois être dans une logique de communs, de rassemblement et, à la fois, un peu en mode « commando », c’est-à-dire en mode agile, et pas commencer à vouloir faire des grands trucs institutionnels, avec des commissions où il y a 10 000 personnes qui sont là juste pour représenter leur institution et pas pour agir !
C’est un peu cela mon appel de la fin : si on peut s’inspirer de ce qui a été fait dans les communs dans le monde public, on fera un grand pas.
Jean-Christophe Becquet : Si on le lit en version anglophone, ça m’évoque common do, faire ensemble, faire en commun, faire en commun une émission de radio, faire en commun des logiciels libres, faire en commun des données ouvertes.
Merci, Sébastien Soriano, pour cet échange passionné et passionnant.
Frédéric Couchet : C’est exactement la réflexion que je me faisais. Une question de Marie-Odile : est-ce que le dessin de l’autocollant est sous licence libre ? Pas encore ?
Sébastien Soriano : Il peut l’être !
Frédéric Couchet : Il peut l’être. En tout cas, on fera une photo pour vous montrer.
Merci à Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April et membre du bureau de la Fédération des pros d’OpenStreetMap et à Sébastien Soriano, directeur général de l’IGN, l’Institut national de l’information géographique et forestière.
Belle fin de journée à vous et on va passer directement au sujet suivant.
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Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi sur « Critiquer le numérique », deuxième conférence du triptyque de Louis Derrac
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Marie-Odile Morandi, avec la voix de Laure-Élise Déniel : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Lors de la chronique précédente, « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture », vous a été présentée la transcription de la première conférence du triptyque proposé par Louis Derrac, en juin 2023, intitulée « Comprendre le numérique ». Nous allons nous intéresser, aujourd’hui, à la seconde de ces trois conférences, intitulée « Critiquer le numérique ».
Les technologies numériques sont aujourd’hui tellement importantes qu’il est indispensable qu’on en discute. Pour en discuter, il faut comprendre ce dont on parle pour, ensuite, formuler une critique, positive et négative, et savoir ce qu’on peut, ou pas, transformer. Comprendre, critiquer et transformer sont les trois étapes de ce triptyque de conférences.
Louis Derrac rappelle qu’il est un acteur indépendant et militant de l’éducation numérique au sens de la formation des citoyens et des citoyennes à la chose numérique. Son travail est un exercice de vulgarisation suite à sa propre analyse, qui peut, évidemment, prêter à la critique. Il souhaite de l’indulgence à l’égard de son propos qu’il reconnaît engagé, le numérique étant effectivement tellement vaste qu’il est impossible d’être expert en tout.
Tout ce travail de vulgarisation est accessible sous licence Creative Commons Attribution Partage dans les mêmes conditions, By SA, sur le site de Louis Derrac. Il nous invite à l’utiliser et, dit-il, tant mieux si ce travail peut servir à d’autres !
Si on admet que « le numérique », entre guillemets, ce sont toutes les choses techniques qui transmettent des informations codées en nombre, c’est très difficile de le critiquer. En effet, c’est autant Facebook que Wikipédia, autant une console de jeux qu’un navigateur web, qu’un logiciel, qu’une imprimante 3D. Raison pour laquelle, quand on fait une techno-critique, on adresse, en général, des sujets plus précis.
En préambule de cette seconde conférence, diverses mises en garde sont rappelées.
On entend souvent « c’était mieux avant », tentative récurrente de glorifier le passé face à un présent mal compris, souvent limité au ressenti de chacun et chacune avec ses propres biais. Ou bien, « c’est la faute du numérique ». Aujourd’hui, le numérique est un fait social total puisqu’il régit tous les aspects de la société, c’est donc facile de faire un bouc émissaire de cet objet qui occupe tant de place. L’expression « panique morale », qu’on entend parfois, se réfère au temps que les jeunes passent devant leurs appareils, à leur utilisation jugée excessive, voire addictive.
Louis Derrac développe les grands points sur lesquels les impacts du numérique sont avérés. Quelques-uns de ces points sont évoqués ici.
Nous avons véritablement changé notre rapport à l’information. Nous vivons une ère dans laquelle on peut avoir une information tout de suite, tout le temps, partout. Mais ne sommes-nous pas arrivés à un stade où l’on croule sous un tel flot ? Les intermédiaires, Google en tête, les agencent grâce à leurs algorithmes, ce qui influe énormément notre vision du monde. Le modèle économique de la publicité, omniprésente, ne vise pas la qualité de l’information, mais est destiné à faire gagner de l’argent à ces « infomédiaires », ces intermédiaires de l’information. Le statut d’hébergeur, nous dit Louis, déresponsabilise les plateformes, alors que leurs algorithmes décident de ce qui passe sur notre fil d’actualité, avec une fâcheuse tendance à montrer ce qu’il y a de moins bien.
Les outils numériques ont augmenté le pouvoir d’agir individuel mais aussi collectif, donnant la possibilité de s’organiser, permettant à des luttes de se mettre en place. Sauf qu’en parallèle, grâce à ces mêmes outils, l’impact sur les libertés publiques est très négatif, la surveillance de masse se développant de plus en plus.
Nous laissons des traces de toutes nos activités – son, photos, vidéos, géolocalisation –, de façon personnelle, délibérément ou non, et, souvent, les autres laissent aussi des traces nous concernant. Toutes ces données, captées, vont être interprétées afin de classer chacun et chacune d’entre nous dans une catégorie, amplifiant potentiellement nos biais, puisque nous enfermant dans une bulle. Le risque d’influence sur nos comportements inquiète, car il n’est pas anodin, surtout si l’on songe aux dérives démocratiques qui pourraient s’ensuivre.
Dans le domaine du travail, on assiste au développement d’un nouveau prolétariat, avec de nouvelles formes d’exploitation. Celles et ceux qu’on appelle les travailleurs du clic vivent dans des pays pauvres, sont payés une misère, exécutent des tâches de modération, voire de censure des contenus des grandes plateformes, travail qui, parfois, porte atteinte à leur santé mentale.
On numérise exagérément les services publics. Comment peut-on parler de dématérialisation alors qu’il n’y a rien de plus matériel que le numérique ? L’impact sur l’environnement est réel, peu au moment de l’usage des matériels, surtout au moment de leur fabrication et de leur devenir en fin de vie, l’un et l’autre se déroulant dans des pays pauvres, encore !, dans des conditions déplorables, ce qui devrait nous indigner quand on sait qu’il s’agit le plus souvent d’enfants.
Quelle sera la résilience d’un système aussi complexe qui demande des ressources en métaux rares, en énergie, en eau, face aux aléas climatiques présents et prochains et face aux limites non seulement environnementales mais humaines et sociales ?
Louis Derrac nous interpelle : est-on vraiment émancipé quand on utilise un outil qu’on ne peut pas modifier, qu’on ne peut pas contrôler, dont on ne connaît pas le code source ? Le numérique est-il émancipateur, ou aliénant, quand il nous empêche de changer de service facilement ? Ce qui nous amène à la question des logiciels privateurs, des formats propriétaires et de l’interopérabilité, cette possibilité de circuler d’un service à un autre en emportant avec soi ses données, sa vie numérique.
Un fait marquant est à noter : nous n’avons jamais voté quoi que ce soit concernant le numérique, il n’y a jamais eu de débat de société à son sujet. Nous faisons face à une politique du fait accompli dans ce domaine, à une accoutumance technologique forcée, avec invasion de nos imaginaires. Nous subissons ce numérique. Mais, les 13 millions de Français, dont on dit qu’ils sont en exclusion numérique, ne seraient-ils pas plutôt en exclusion sociale ? Innovation, progrès technique, ces expressions répétées à l’envi mènent-elles réellement à un progrès social comme cela devrait être le cas ?
Louis Derrac affirme et assume ses propos : pour lui, ce numérique qui repose sur la captation de nos données, avec son modèle économique publicitaire, ne peut pas être un numérique vertueux, il est même largement toxique. Ce numérique n’a pas notre intérêt en tête, il a un intérêt économique, avec des entreprises qui ont pour but de gagner de l’argent, dans un contexte capitaliste.
Le numérique a été confisqué très largement par les géants américains et chinois, les Big Tech en général, pour former un numérique dominant, complexe et qui nous échappe. Il représente la masse des usages, de manière monopolistique, avec de très grandes difficultés à s’en passer et à envisager un numérique alternatif.
Nous sommes encore loin d’un numérique éthique, responsable, soutenable !
Cependant, Louis Derrac se méfie de l’expression « numérique responsable » qu’il rapproche de croissance verte, développement durable, énergie propre, capitalisme vert, ces oxymores qui empêchent une réflexion sérieuse. Il regrette qu’on cherche à nous convaincre que « transition numérique » et « transition environnementale » sont des expressions liées, qu’en opérant la transition numérique, on va aider la transition environnementale. Selon lui, quand on essaye de régler des problèmes sociaux, politiques, avec des réponses et des solutions technologiques, on a un peu tendance à aggraver les problèmes existants ou à en créer de nouveaux ; le solutionnisme technologique, avec algorithmes et intelligence artificielle, n’est pas la bonne stratégie face au harcèlement, à la propagation des discours de haine et des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux.
Il nous propose l’expression « numérique acceptable », c’est-à-dire émancipateur et non aliénant, choisi et non subi, soutenable humainement et environnementalement, le numérique dominant actuellement n’étant rien de tout cela.
Le problème ce sont certes certains outils, certains équipements, certaines plateformes, certains comportements, mais c’est aussi l’humain, puisque ce numérique amplifie des problèmes humains.
Nous sommes donc un peu à l’heure des choix concernant ce sujet citoyen majeur : faut-il de la décroissance numérique, ou pas ? Louis Derrac affirme que l’on peut encore transformer ce numérique-là, car il existe des alternatives. Dans la troisième conférence de son triptyque, intitulée justement « Transformer le numérique », il présente des pistes, nous signalant que la question libriste sera abordée. Nous verrons cela lors de la prochaine chronique.
N’hésitez pas à lire, voire relire, la transcription de cette seconde conférence de Louis Derrac. Tous les liens sont à votre disposition sur la page de l’émission d’aujourd’hui, sur le site libreavous.org.
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Frédéric Couchet : De retour en direct sur la radio Cause Commune, la voix des possibles 93.1 FM. Je n’ai pas fait le lancement tout à l’heure parce que Julie a été plus rapide que moi.
Nous venons d’écouter la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » sur le thème « Critiquer le numérique », chronique de Marie-Odile Morandi et lue par Laure-Élise Déniel.
Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.
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Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Frédéric Couchet : Samedi 16 mars 2024 aura lieu l’assemblée générale de l’April de 14 heures à 18 heures à Paris. Nouveauté. Cette année, l’AG sera ouverte par une conférencière : à 14 heures, la journaliste Mathilde Saliou fera une présentation sur le thème de la diversité de genre et de l’inclusivité. Cette AG est réservée aux membres de l’April, mais vous avez toujours le temps d’adhérer d’ici au samedi 16 mars.
Le matin, une session ouverte à toute personne, qu’elle soit membre ou pas de l’April, de 10 heures à 12 heures, pour écouter des conférences éclairs sur une variété de sujets en lien avec le logiciel libre entendu au sens large. C’est au même endroit. Vous allez sur april.org et vous aurez les références utiles sur l’adresse concernant cette matinée et l’AG.
Le dimanche, nous poursuivrons notre travail avec un April Camp, lui aussi ouvert à toute personne, membre ou pas de l’April, toujours à Paris, mais dans un autre lieu. Pareil, vous allez sur april.org et vous retrouverez les informations.
Jean-Christophe, tu voulais faire deux annonces d’événements géographiques libristes dans la continuité de notre sujet long sur les géocommuns. Quelles sont ces deux annonces ?
Jean-Christophe Becquet : Deux dates grenobloises :
première date, le mardi 26 mars, la première rencontre OpenStreetMap et Territoires se tiendra à l’IUGA, l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine à Grenoble, une composante de l’Université Grenoble-Alpes. Se tiendra donc une journée de conférences, tables rondes et ateliers sur les usages professionnels d’OpenStreetMap, avec des invités de marque, notamment Montpellier Métropole, le Parc naturel régional du Vercors et l’académie d’Aix-Marseille ;
deuxième événement, ce sont les Rencontres francophones des utilisateurs GGIS, aussi à Grenoble à l’IUGA, les 27 et 28 mars.
Donc trois jours d’événements autour du Libre et de la donnée géographique ouverte, à Grenoble, 26,27 et 28 mars 2024.
Frédéric Couchet : Grenoble où tu résides.
Vous retrouvez tous ces éléments évidemment sur l’Agenda du Libre, agendadulibre.org et je vous rappelle également que l’arrivée du printemps correspond à l’arrivée du Libre en Fête, des événements festifs et d’initiation autour du logiciel libre. Pareil, vous allez sur agendadulibre.org et vous retrouverez les événements qui sont organisés dans le cadre du Libre en Fête.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Jean-Christophe Becquet, Sébastien Soriano, Marie-Odile Morandi. Laure-Élise Déniel et mon collègue Étienne Gonnu.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Julie Chaumard.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, directeur d’antenne de la radio.
Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm, et également les moyens de nous contacter. Vous pouvez nous poser toute question et nous y répondrons soit en direct, soit lors d’une prochaine émission.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission du jour.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et faites également connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.
Pas d’émission la semaine prochaine, le 12 mars 2024, car nous préparons notre assemblée générale du samedi 16 mars 2024.
On se retrouvera en direct mardi 19 mars à 15 heures 30. J’aurai le plaisir d’accueillir deux invités du Consortium international des journalistes d’investigation pour parler de logiciel libre pour les journalistes d’investigation.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 19 mars 2024 et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.