Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Je vous propose aujourd’hui de découvrir Abbeville, une ville de 22 000 habitantes et habitants de la Somme qui œuvre pour le logiciel libre. Également au programme, Gee nous fera part de son humeur du jour sur les événements libristes et nous parlerons avec lui de la sortie de son premier jeu vidéo Superflu Riteurnz.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu de l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission, avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 16 mai. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission Isabella Vanni accompagnée de notre toute nouvelle recrue en formation pour la régie, Bookynette.
Isabella Vanni : Bonjour Étienne, bonne émission.
Étienne Gonnu : Merci et nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Les humeurs de Gee » sur les évènements libristes
Étienne Gonnu : Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille, nous expose chaque mois son humeur du jour : des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique.
Salut Gee.
Gee : Salut.
Étienne Gonnu : Il m’a semblé comprendre qu’aujourd’hui tu allais nous parler des évènements libristes.
Gee : C’est ça.
Salut à toi, public de Libre à vous !.
Pour commencer, j’ai une confidence à faire : cette semaine, pour ma chronique, je n’avais rien. Si si, je t’assure, ça me gêne de l’admettre, mais ce week-end encore, j’avais mon éditeur de texte ouvert, et paf !, page blanche.
Bon !, il faut dire que je sors d’une période de boulot assez intense, car hier je sortais mon premier jeu vidéo, Superflu Riteurnz. Et comme j’ai tout fait tout seul, eh bien à la fin je faisais des journées à rallonge et j’avais un peu de mal à penser à autre chose ! Malgré tout, il était hors de question que j’arrive à cette émission la gueule enfarinée comme Frédéric Beigbeder à France Inter en mode « ah bah, aujourd’hui j’ai rien, y’a mon chien qui a bouffé ma chronique ! » Et quand je dis « gueule enfarinée », c’est bien sûr au propre comme figuré.
Bref ! Pour trouver l’inspiration, je me suis dit que j’allais faire une humeur joyeuse, pour une fois : le retour des beaux jours, la sortie de mon jeu, la sortie du dernier Zelda aussi, sur lequel j’ai déjà passé un certain nombre d’heures. Tout cela me met plutôt de bonne humeur, alors autant en profiter.
Je vous ai déjà parlé plusieurs fois de mon amour pour les logiciels libres, évidemment, mais je dois préciser quelque chose : autant ce qui m’a fait venir au logiciel libre, ce sont les logiciels, oui ; autant ce qui m’a fait y rester, ce sont les gens, car, quand on dit que le logiciel libre est communautaire, on a parfois tendance à penser simplement la communauté en termes de développement : un logiciel développé à plusieurs. Mais la communauté c’est aussi, tout simplement, des gens qu’on croise, qu’on connaît, qu’on apprécie, qu’on aime retrouver, avec qui on aime aller boire des coups ou refaire le monde.
L’endroit le plus indiqué pour ça, c’est l’événement libriste. On appelle ça un festival ou des Journées du Logiciel Libre, peu importe.
En général, un événement libriste se matérialise de la façon suivante : quelques jours, souvent un week-end, où les associations et parfois les petites entreprises du Libre se rassemblent, présentent leurs travaux sur des stands et dans des conférences plus ou moins techniques.
Je ne vais pas tous vous les citer, mais on peut parler, par exemple, du Capitole du Libre qui se déroule à Toulouse en automne ou des Journées du Logiciel Libre à Lyon au printemps. Personnellement j’ai fait le compte et, depuis que je suis tombé dans la marmite du logiciel libre en 2009, j’ai participé à pas moins de 16 événements de ce type.
Oui, je sais Étienne, toi tu en fais 16 par an, mais c’est ton boulot, ce n’est pas pareil !
Je me souviens encore, avec émotion, de mon tout premier événement libriste. C’était à l’été 2011, à Strasbourg, un événement aujourd’hui malheureusement disparu mais qui était alors un moment fort pour les libristes : les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, ou RMLL de leur petit nom, ou Reumeuleuleu de leur autre petit nom. Rencontres MONDIALES, c’était un peu exagéré. Sur 18 éditions, il y en a eu 16 en France, une en Suisse et une en Belgique. Bon ! Plus européennes et francophones que mondiales, mais bon !
N’empêche. J’avais 22 ans à l’époque et, pour un tout jeune libriste, tout fier de son Ubuntu avec son bureau Compiz en 3D, c’était quelque chose ! Mettre enfin des visages sur tous ces pseudos croisés en ligne, rencontrer des gens de Framasoft, de l’April, de La Quadrature du Net ; faire le plein de stickers pour décorer son ordinateur jusqu’à ce que, couche après couche, la coque n’en soit même plus visible ; vérifier que oui, Benjamin Bayart porte bien des cravates Looney Tunes même dans la vraie vie ; vérifier que oui, Richard Stallman fait bien exactement la même conférence depuis 40 ans, c’était avant qu’il soit cancel, évidemment.
Et puis c’était émouvant de voir tous ces gens comme moi, tiraillés entre leur envie d’aller porter la bonne parole du logiciel libre au plus grand nombre et leur introversion maladive qui les pousse à se planquer derrière un écran d’ordinateur dès qu’un visiteur ou une visiteuse croise leur regard.
Je plaisante, mais qu’à moitié. La communauté du Libre m’a aussi mené à ma première expérience associative avec Framasoft et, mine de rien, je pense que cette expérience associative a beaucoup joué dans mon passage à l’âge adulte. Ouais, carrément !
Moi, adolescent, j’étais plutôt dans ce tempérament cynique branchouille, vous voyez ?, « de toute façon, le monde c’est d’la merde et les gens c’est des cons ! ». On peut le dire, la communauté du Libre m’a réconcilié avec l’humanité, rien que ça ! Je ne suis pas devenu béat d’optimisme, je grommelle encore régulièrement « monde de merde », comme George Abitbol, mais je me dis aussi que quand on se rassemble, avec des gens de bonne volonté, eh bien on peut faire des trucs chouettes !
Parfois c’est sportif ! On est plusieurs à se souvenir du gros zbeul des RMLL de Montpellier, en 2014. À Framasoft, on s’était retrouvés à dix personnes pour cinq lits simples, à peu près. Il a fallu jouer à Tetris pour tous tenir ! Et puis des fois, pendant ta conférence, c’est le câble vidéo qui ne marche pas, ou alors il y a juste une entrée VGA sur le projecteur et toi tu n’as que du HDMI ! Et puis tu dois gérer les questions du public après ta conf, avec Jean-Michel Vétéran « oui, moi, déjà en 95 sur Slackware », oh ça va Jean-Mi ! Et puis aussi ce mec, toujours le même, qui choppe le micro pour dire « alors moi ce n’est pas une question mais plutôt une remarque ». Mais va faire directement une conf et arrête de squatter la mienne !
Il faut aussi admettre que c’est symptomatique d’un problème un peu récurrent sur ce genre d’événements : l’entre-soi. En théorie, on organise des événements libristes pour faire la promotion du logiciel libre au plus grand nombre, mais ce n’est pas toujours un succès. Il faut dire que quand l’événement est en centre-ville, ça va, mais quand il est sur un campus à Perpète-lès-oies, complètement déserté le week-end, on se retrouve vite à faire des confs pour les potes des autres assos. Alors c’est sympa, mais ça tient plus de la soirée VIP entre initiés que de la foire populaire.
Heureusement, j’ai l’impression qu’on gère ça de mieux en mieux, en assumant, d’une part, ce côté événement entre potes dont, je pense, on a besoin, et en essayant d’étendre un peu la portée de nos actions, notamment en sortant du techno-centrisme des conférences pour aller vers des questionnements plus larges et, disons-le, plus politiques.
Ainsi, je me souviens d’un thème aux JDLL, les Journées du Logiciel Libre de Lyon, il y a quelques années, qui était : « Utopies concrètes et accessibles ». Ça a quand même une autre gueule que « Quelles nouveautés dans le dernier Firefox et quel logiciel libre pour faire sa compta ». Non pas que les confs techniques soient inintéressantes, mais c’est toujours bien d’étendre un peu les horizons !
Le logiciel libre a peut-être une part technique importante, mais ce qui fait qu’on le distingue parfois de l’open source, c’est l’aspect projet de société : au-delà du logiciel nous voulons, quelque part, à notre modeste échelle, un peu changer le monde. Et pour changer le monde, mine de rien, il faut déjà se mettre d’accord sur la façon dont on veut le changer. Et, pour cela, on n’a pas encore trouvé mieux que de se rassembler, discuter, boire des coups – pas forcément alcoolisés d’ailleurs. Bref ! Nos petits événements libristes, modestes et sympas, c’est aussi ce qui nous permet de faire le plein d’énergie, de se sentir moins seul, d’avoir la sensation d’appartenir à quelque chose qui nous dépasse. Et dans ce « monde de merde », eh bien ce n’est pas rien !
Je ne peux donc pas conclure cette chronique sans vous signaler un événement libriste qui arrive ce week-end et auquel j’aurai le plaisir de participer : ça s’appelle Entrée Libre, ça se passe à Quimper du jeudi 18 mai au samedi 20 mai. Viendez nombreux et nombreuses ! Moi, ce sera mon premier événement libriste en Bretagne et j’ai déjà hâte de retrouver tous les potes.
Bonne semaine. Surtout bon week-end prolongé aux personnes qui ont la chance de faire le pont et salut !
Étienne Gonnu : Merci beaucoup Gee. Je ne sais pas si, à l’antenne, vous avez entendu les rires de la régie passer à travers la vitre insonorisée. C’est vrai que, comme d’habitude, ton humour percute bien. Tu vas rester avec nous. On va faire pause musicale, mais, juste après, on va parler de ta toute nouvelle production, que tu as évoquée en tout début de chronique, le jeu vidéo Superflu Riteurnz.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Nous allons écouter Allons voir (cercle circassien) par Demi-sel. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Allons voir (cercle circassien) par Demi-sel.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Allons voir (cercle circassien) par Demi-sel, disponible sous licence libre Art Libre.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.
[Virgule musicale]
Entretien avec Gee sur la sortie de son jeu Superflu Riteurnz
Étienne Gonnu : D’habitude, nous proposons effectivement, en termes de deuxième sujet, un sujet long, mais Gee, puisque tu es avec nous, on va directement enchaîner sur ton interview.
Tu fais partie des chroniqueurs de l’émission. On rappelle à chaque fois que tu es l’auteur du blog BD Grise Bouille. Tu as déjà participé à des sujets longs, tu en as même préparé un sur Aaron Swartz. Sans doute que les personnes qui nous écoutent te connaissent maintenant assez bien, mais, peut-être que ça vaut quand même le coup que tu prennes la peine de te présenter, notamment que tu nous dises le choix professionnel que tu as fait il y a maintenant un peu plus d’un an, qui te permet aussi de venir nous proposer des chroniques et qui t’a permis de produire ton premier jeu vidéo.
Gee : Ça fait même quasiment deux ans maintenant.
Je suis développeur informatique de formation, je suis même docteur en informatique, j’aime bien dire conventionné 42, quand les gens demandent « y a-t-il un docteur dans la salle ? », oui, mais pas en médecine.
Il y a deux ans, j’ai décidé de quitter mon boulot pour faire auteur à plein temps, parce que ça fait presque 14 ans, je crois, que j’ai commencé à faire de la BD sur Internet. À l’époque c’était le Geektionnaire, je parlais du fait que j’étais tombé dans la marmite en 2009, c’est ça, donc 14 ans.
Après la Covid, un peu comme tous les gens qui, comme moi, avaient un boulot en télétravail et relativement bien payé — j’étais ingénieur en informatique —, j’avais mis pas mal de sous de côté et je me suis rendu compte que j’aimais bien ne plus me faire une heure de bouchons tous les matins et tous les soirs et que, finalement, ce mode de travail me plaisait bien. Comme j’avais pas mal d’épargne, je me suis dit « c’est peut-être le meilleur moment pour tester ça, j’ai un filet de sécurité si jamais ça ne marche pas », auteur c’est sympa mais c’est très dur de dégager un revenu avec, je me suis dit « je ne prends pas trop de risques. »
Ce projet, Superflu Riteurnz est un jeu vidéo. Comme je disais dans l’article que j’ai publié hier pour présenter le jeu, c’est la première fois que je mets vraiment toutes mes compétences au service d’un unique projet : il y a une grosse part de programmation, il y a beaucoup d’écriture puisque c’est un jeu vidéo d’aventure avec beaucoup de dialogues, j’ai aussi fait tous les graphismes, j’ai aussi fait la musique puisque je fais de la musique. Voilà. C’était fatigant, mais le fait d’avoir tout fait comme ça c’est aussi extrêmement satisfaisant.
Étienne Gonnu : Entendu. Je pense que tu as déjà dressé un beau portrait général de ce qu’est Superflu Riteurnz. La première question, et je pense que je ne suis pas le seul à me la poser : comment ça se prononce ? Est-ce qu’il faut vraiment prendre son bon gros accent français « Superflu riturns » ?
Gee : C’est exactement ça. J’ai mis du temps avant de trouver un titre. Techniquement, c’est la suite d’une BD que j’avais publiée il y a quelques années, qui s’appelle Les aventures inutiles de Superflu, qui est donc un super-héros qui ne sert à rien, comme son nom l’indique. Quand j’ai fait ce jeu, je me posais la question. Au début c’était « Superflu le jeu » ou des trucs comme ça. Au bout d’un moment je me suis dit qu’il faudrait donner à la fois la sensation que c’est une suite de Superflu et, en même temps, je ne veux pas que les gens qui n’ont pas lu la BD n’aient pas envie d’y jouer. En fait, il n’y a pas besoin d’avoir lu la BD pour y jouer, c’est le même univers mais ce n’est pas complètement lié. Tu as pas de mal de films comme ça, le premier qui me vient à l’esprit c’est Batman Returns qui a été traduit en français par Batman : Le Défi.
Étienne Gonnu : On aime bien traduire différemment.
Gee : Du coup, je me suis dit Superflu Riteurnz, mais en le prononçant vraiment à la française, allons-y complètement et, du coup, je l’ai écrit en phonétique. Là on est à la radio, mais ça s’écrit « riteurnz ».
J’en ai fait une version anglaise que j’ai appelée Superflous Returnz parce que la traduction de « superflu » existe en anglais et c’est superflous, donc c’est pratique parce que ça fait aussi un nom de super-héros. J’ai juste mis « returz » avec un « z » à la fin. Je me suis dit : on garde l’aspect un peu idiot du personnage avec cette façon de prononcer, sauf que cette fois c’est le mot anglais returns.
Étienne Gonnu : Il est sorti le 15 mai. Le 12 mai, c’est effectivement un autre jeu qui est sorti, The Legend of Zelda pour le nommer, sur lequel, personnellement, je n’ai pas encore passé plusieurs heures, je pense que ça viendra plus tard dans l’année.
Tu as dit que c’est un jeu d’aventure, qui se passe dans la campagne profonde française si j’ai bien suivi. Il n’y a pas besoin d’avoir lu la BD. Pour les personnes qui ont déjà lu la BD, y a-t-il quand même des clins d’œil ?
Gee : Oui, notamment au niveau des personnages. Superflu est le héros, encore que, est-ce que c’est vraiment le héros ?, en tout cas c’est le personnage central. Celle qui serait plutôt l’héroïne, en fait, c’est un personnage féminin qui s’appelle Sophie et qui est l’assistante de vie de Superflu. La BD, justement, commence comme ça : elle arrive dans ce grand manoir, parce que c’est un milliardaire, où elle a été envoyée par Pôle emploi ; elle est assistante de vie elle cherche du boulot, assistante de vie ce n’est pas un boulot facile. Elle se rend compte que ce type-là a embauché une assistante de vie mais, en fait, pour jouer le rôle d’Alfred dans Batman, c’est-à-dire pour être son assistante de super-héros. Elle comprend qu’elle va devoir supporter les idioties de son employeur.Donc, ces deux personnages-là reviennent. D’ailleurs, au départ, on contrôle Sophie ; au fil de l’aventure on va contrôler soit l’un soit l’autre.
D’autres personnages reviennent. Par exemple le méchant qui est un petit adolescent un peu teigneux, dont le nom de super-méchant est Superficiel, il est très superficiel, comme certain adolescents. Après je ne sais plus. Il y a aussi le capitaine de la gendarmerie ; c’est un petit village, mais il y a quand même une gendarmerie avec un capitaine qui est forcément le représentant officiel de la loi, qui passe son temps à expliquer à Superflu que non, il n’a pas le droit d’aller tabasser les super-méchants, surtout quand les super-méchants sont des adolescents qui n’ont pas fait grand-chose.
Étienne Gonnu : Comment se passe le jeu ? Je crois que c’est du Point & Click. Je vais te laisser expliquer ce qu’est ce type de jeu.
Gee : Je crois que la traduction française c’est « pointer et cliquer », tout bêtement, mais ça ne se dit pas trop.
Point & Click est un type de jeu qui a été très populaire dans les années 90. Une boîte qui s’appelait Lucas Arts, qui était la boîte de George Lucas mais pour le jeu vidéo, avait sorti pas mal de jeux qui sont devenus très populaires et qui sont un peu cultes aujourd’hui. Les plus connus je pense que ce sont Monkey Island, Day of the Tentacle que j’aimais beaucoup. Un qui était génial, qui était tiré d’Indiana Jones, que beaucoup de gens considèrent comme le vrai Indiana Jones 4 à la place du film, c’était vraiment un super jeu, Indiana Jones et le Mystère de l’Atlantide, excellent.
En fait, ce sont des jeux qui se jouent complètement à la souris, même si j’ai fait d’autres modes, je ne sais pas si on aura le temps d’en parler. L’idée c’est que vous êtes sur une scène et vous avez des objets sur lesquels vous pouvez cliquer, vous pouvez prendre des objets, vous pouvez combiner des objets ; vous pouvez dialoguer avec des gens, vous avez des choix de ce que vous allez dire qui déclenchent certains évènements. Tout le jeu se passe vraiment juste comme ça.
Dans les choses que j’aimais bien dans les Lucas Arts, que j’ai reprises, il y a deux choses principales : déjà l’humour. C’étaient des jeux qui, la plupart du temps, étaient assez marrants, à part peut-être Indiana Jones, justement, qui était plus sérieux. Étant donné que je suis plutôt un auteur humoristique, notamment sur les bandes dessinées, c’était logique, c’est aussi pour ça que j’ai pris le personnage de Superflu qui, je trouve, s’y prêtait bien. L’autre chose qui n’est pas mal, c’est que ce sont de jeux très tranquilles, c’est-à-dire que ce sont des jeux dans lesquels on ne peut pas perdre, on ne peut pas mourir et on ne peut pas rester coincé. Il y a eu des jeux d’aventure, comme ça, où on prenait des objets et, quand tu arrivais à la fin, que tu avais besoin d’un objet qu’il fallait prendre au niveau 2, tu ne l’avais pas et, du coup, tu étais coincé. Lucas Arts a très vite mis un point d’honneur à ce que ce genre de chose n’arrive pas dans les jeux ; c’est assez simple à faire, c’est juste au moment de designer les différentes énigmes : il faut juste faire en sorte qu’au moment A vous ayez vraiment tous les objets dont vous avez besoin. Du coup, la seule difficulté, puisqu’on ne peut pas mourir, on ne peut pas perdre, on ne peut être coincé, elle est juste dans la résolution des énigmes. Parfois, on peut rester bloqué vraiment des plombes parce qu’on ne comprend pas ce qu’il faut faire ou on a compris, mais on a loupé une subtilité. À part ça, je trouve que ce sont des jeux tranquilles, ce sont vraiment des jeux auxquels on peut jouer en buvant un café. Ce ne sont pas des jeux dans lesquels il faut tirer partout, il faut avoir des réflexes.
Étienne Gonnu : Qui permettent aussi, j’imagine, de bien développer un univers que tu avais envie de pouvoir étoffer.
Gee : C’est ça. C’est quelque chose que j’avais dit ; ça fait un peu mec qui se jette des fleurs. Il y a quelque temps, j’étais en plein dans le développement. J’avais écrit certains niveaux il y a des mois, en fait, j’ai passé trois ans et demi dessus en tout. J’avais écrit notamment plein de dialogues, parce que c’est un truc qui prend du temps, mais, comme avec les dialogues vous avez des choix, que tous les choix mènent à des branches de dialogues différentes que, mine de rien, il faut écrire un paquet de trucs, j’avais enfin créé les graphismes des niveaux que j’avais écrits il y a des mois, du coup j’avais fini de niveaux. Au moment où je le teste, je lance le dialogue, je ne m’en souvenais plus et, du coup, je suis fait marrer tout seul en relisant les dialogues ; j’ai relu des trucs, je me suis dit : je suis con quand même ! C’est quelque chose que j’ai dit quand j’ai fait la promotion du jeu. Je suis fier de tout ce que j’ai fait dans le jeu, mais je pense que la partie la plus drôle, et je pense que les gens qui l’ont testé sont d’accord, ce sont les dialogues. Les dialogues sont probablement ce qu’il y a de mieux dans le jeu. Ça permet vraiment de développer notamment les relations entre les personnages et le fait que Sophie est là parce que c’est une salariée et qu’elle ne choisit pas ses tâches, comme à peu près tous les salariés.
Étienne Gonnu : On sait que tu as une sensibilité politique assez marquée, est-ce qu’elle se ressent dans le jeu ? Est-ce que tu l’as voulu ?
Gee : Un petit peu. C’est marrant parce que Superflu n’était pas forcément la partie la plus politique dans ce que je faisais, c’était vraiment l’humour absurde du super-héros. Le fait qu’il soit milliardaire, qu’il emploie sa fortune à faire des bêtises comme ça, il y a forcément un moment où tu es obligé de politiser un peu le truc. Donc oui, il y a ce que j’appellerais l’humour de gauche, c’est-à-dire que celui qui est toujours le dindon de la farce c’est toujours lui, c’est toujours le riche. On lui rappelle assez régulièrement qu’il n’a vraiment rien d’autre à faire de son pognon, qu’il est vraiment inutile, comme son nom l’indique.
Étienne Gonnu : Tu nous as dit que tu as fait le dessin, la musique, c’est toi qui as développé le code, c’est une suite. Quel était, pour toi, le plus grand défi dans tout ce travail de conception ? Ça peut être un truc très précis.
Gee : Déjà au niveau du code : c’était de faire un logiciel abouti, qui fonctionne bien, sans bug, tout ça. J’étais développeur professionnel, je bossais sur des logiciels professionnels, mais je bossais sur des morceaux, quand on a un grand logiciel on est beaucoup de monde à bosser dessus. Faire quelque chose en entier, comme ça, c’était un peu défi.
Ce qui m’a pris finalement le plus de temps, je pense que ce sont les graphismes, notamment les animations. Je fais les animations à la main, un peu à l’ancienne, même si je fais des copier-coller, il y a des choses qui bougent, on a quand même des bons outils pour faire ça. C’est du 12 images par seconde, comme les Looney Tunes. Ce n’est pas tant que c’était dur, mais c’était long. Le jeu n’est finalement pas si long, il se finit entre quatre et six heures selon les gens qui l’ont bêta testé. Je me souviens qu’à un moment j’avais passé quatre heures, toute une après midi sur une animation et, à la fin, je fais « mon animation est super jolie », je la joue et elle faisait cinq secondes ! Ce n’est pas frustrant parce qu’à la fin j’étais super fier du résultat, mais c’est long.
Étienne Gonnu : C’est pour ça qu’en général les gens ne font pas des jeux tout seul, ce sont de grandes équipes.
Le temps avance. Il y a quand même aussi une question importante. Tu publies beaucoup de créations sous licence libre. Pour ce jeu je pense que tu t’es posé la question. Tu es arrivé à une conclusion. Tu peux rentrer dans les détails, mais pour le moment ce n’est pas tout à fait un logiciel libre, même s’il y a des parties qui le sont. Je crois que tu as l’intention, plus tard, de le rendre libre. Peux-tu nous expliquer un petit peu ?
Gee : Au départ, je comptais en faire un logiciel libre. C’est vrai que tout ce que je publie, depuis que je suis sur Internet, est sous licence libre, il n’y a vraiment pas d’exception, c’est vrai que c’est la première exception. Honnêtement on va dire que c’est venu d’une peur. Je disais tout à l’heure que je suis devenu auteur à 100 % en essayant d’en dégager un revenu. Le fait est que ça va faire deux ans et que, pour le moment, je suis toujours en train de creuser dans mon épargne, mais elle n’est pas infinie, plus je creuse et plus je vois le fond qui se rapproche. C’est vrai que je compte beaucoup sur ce jeu pour éventuellement m’apporter un revenu. J’ai des financements participatifs qui me rapportent un petit peu, ce n’est pas mal, sinon, le seul truc que je vends vraiment, ce sont des bouquins, mais les bouquins, finalement, se vendent assez peu. Je me suis dit qu’un jeu vidéo pouvait peut-être se vendre plus facilement. Mais, du coup, si le jeu vidéo est sous licence libre, même si je n’en fournis pas d’exécutable compilé — je m’étais dit : au pire je donne les sources, mais je ne le compile pas —, il suffit que quelqu’un le compile, le mette en ligne, et le jeu est disponible gratuitement pour tout le monde. J’ai vraiment eu peur de cet effet. D’autant plus que les gens qui me connaissent sont, la plupart du temps, des gens du logiciel libre, connaissent ce genre de mécanisme de licence libre, il y en pas mal qui savent compiler. Je me dis qu’il y en a beaucoup qui ne vont pas l’acheter, qui vont juste profiter de la version libre qui sera gratuite.
C’est un peu cette peur qui m’a poussé à me dire que, pour le moment, les données ne sont pas libres. Le moteur est toujours libre ; si vous achetez le jeu, vous avez les données, vous pouvez recompiler le jeu, vérifier que je ne mine pas de bitcoins sur votre ordi avec le code source, mais c’est vrai que les données ne sont pas disponibles librement. C’est une entorse. Je me suis dit qu’elles seront libérées sous licence libre plus tard ; je n’ai pas donné de date, mais, raisonnablement, je pense que ce sera à la fin de l’année 2023 ; honnêtement ce n’est pas arrêté, mais je pense que ce sera mon cadeau de Noël, avec la réflexion qui est soit le jeu a bien marché et, dans ce cas-là, je peux libérer les données, soit il n’a pas marché et, dans ce cas-là, de toute façon, je ne pourrai plus compter dessus, il faudra que je trouve une autre source de revenus qu’être auteur. La question se posera différemment.
Étienne Gonnu : On peut rappeler aux personnes qui te suivent, qui écoutent tes chroniques, qui vont lire ton bloc BD que c’est aussi une manière de te soutenir d’aller acheter ce jeu. Où peut-on l’acheter ? Sur quelles plateformes peut-on y jouer ?
Gee : Pour le moment on peut l’acheter sur Steam et sur Itch.io.
Steam est un peu le géant du marché, la plupart des gamers, on va dire, se trouvent sur ce site.
Itch.io est un site un peu moins connu, qui est un peu plus dédié aux jeux vidéos indépendants, du coup il est un peu moins bien fait, il n’y a pas la possibilité, notamment, de mettre des traductions. Si vous allez sur Itch.io vous allez avoir une page en anglais, avec des prix en dollars, mais sachez que vous aurez quand même accès à la version française du jeu si vous l’achetez là-dessus, il n’y a pas de souci.
Plus tard, il sera sur Google Play, pour le moment il est cours de validation par Google. Je sais, ça me fait un peu mal de me dire que je vais chez Google, mais c’est pour pouvoir en distribuer une version Android un peu plus facilement. Ce qui m’amène du coup à la suite de la réponse.
En termes de plateforme il est évidemment sur Linux parce que j’ai développé là-dessus. Je pense que c’est un des rares jeux dont la première version était sur Linux ; après Windows et Mac, Android, sachant que si vous l’achetez sur Itch.io vous avez quand même accès à la version Android, ce qui peur être sympa si vous ne voulez pas passer par Google Play, c’est juste que là il faudra l’installer séparément. Vous aurez le warning de Google « Attention, c’est dangereux d’installer des applications non vérifiées », mais vous pouvez.
Théoriquement je devrais pouvoir en faire une version iPhone, mais j’avoue que je ne me suis penché dessus, normalement ça ne doit pas être très différent d’une version Mac et, idéalement, j’aimerais bien faire une version pour la Nintendo Switch parce que je sais que la SDL [Simple DirectMedia Layer, la bibliothèque libre que j’ai utilisée pour faire ça, est portée sur Switch, donc c’est possible. Par contre Nintendo, en termes de fermeture, c’est pire que Apple. Il faut faire un dossier en expliquant si on en a déjà vendu. Ils veulent être sûrs que le jeu sert à quelque chose avant de le mettre sur leur store et avant de vous donner accès au kit de développement. Je vais donc attendre un peu, mais si j’en vends pas mal je pense que je ferai un dossier Nintendo pour essayer de le mettre sur Switch. J’ai fait un mode manettes qui marche plutôt pas mal.
Étienne Gonnu : Entendu. Dernière question, très rapide, on peut y jouer à partir de quel âge ?, par rapport à l’humour, on le sait, qui peut être adapté plus ou moins à certaines catégories d’âge.
Gee : C’est ça. Je l’ai présenté dans un festival, un petit gamin y jouait. Je pense qu’il aimait bien parce que les graphismes sont assez enfantins, c’est vrai que c’est mignon.
En termes d’humour je dirais qu’il faut au moins être ado, à partir de 14 ans je pense, quelque chose comme ça. Il n’y a rien de choquant, il y a un peu de grossièretés, très peu ce n’est pas non plus un truc hyper-vulgaire. C’est vrai qu’il y a de l’humour, il y a une cliente alcoolique dans un bar PMU, ce ne sont pas des trucs que je mettrais forcément aux petits enfants.
Étienne Gonnu : Merci beaucoup. Je te souhaite le meilleur pour ton jeu. Félicitations. On imagine la montagne que ça a dû être. Tu peux en être fier. Toutes mes félicitations.
Gee : Merci.
Étienne Gonnu : Je vous propose maintenant de faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Nous sommes en train d’écouter Dreamer par Johny Grimes. On se retrouve dans environ deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Dreamer par Johny Grimes.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Dreamer par Johny Grimes, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC BY.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April. Nous allons passer à notre sujet suivant.
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La politique et les actions d’Abbeville en faveur du logiciel libre
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur la politique et les actions d’Abbeville pour le logiciel libre, un sujet préenregistré le vendredi 12 mai pour des raisons de disponibilité de nos invités. Même si le sujet ne sera pas en direct, n’hésitez pas à nous retrouver sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommun.fm, bouton « chat », nous pourrons échanger.
Avant d’écouter cet échange, je vais corriger dès à présent une erreur de ma part dans mes propos introductifs de l’enregistrement : Abbeville n’est pas la première collectivité à obtenir le niveau 5 du label Territoire Numérique Libre, cet honneur revient à Nancy ; Abbeville est la première à l’avoir obtenu deux fois.
Je vous propose donc d’écouter cette interview et on se retrouve dans un peu moins d’une heure, toujours sur Cause Commune, la voix des possibles.
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Étienne Gonnu : Dans notre série de sujets consacrés aux collectivités qui œuvrent pour le logiciel libre, j’ai aujourd’hui le plaisir de recevoir Cédric Charpentier et Anaïs Rémy de la direction du système d’information d’Abbeville.
Abbeville est une ville de 22 000 habitants, située dans la Somme, qui mène une politique publique et des actions en faveur du logiciel libre. C’est la première collectivité à atteindre le niveau 5 du label Territoire Numérique Libre et nous y reviendrons.
Cédric, Anaïs bonjour. Merci de nous rejoindre.
Cédric Charpentier : Bonjour.
Étienne Gonnu : Je vais vous proposer de commencer de manière très traditionnelle : est-ce que vous pourriez vous présenter, s’il vous plaît ?
Cédric Charpentier : Je suis Cédric Charpentier. Je suis le directeur des systèmes d’information de la mairie d’Abbeville. Je suis en poste, dans cette collectivité, depuis 2007. J’ai un passé avant celui-là : je suis rentré tout simplement emploi jeune dans la collectivité, au service de l’informatique dans les écoles.
Étienne Gonnu : D’accord. Vous n’êtes pas arrivé directeur des systèmes d’information mais plutôt directement dans le service d’information. C’est intéressant, du coup vous avez pu voir l’évolution de ce service, on pourra d’ailleurs y revenir, depuis 2007 vous avez dit.
Cédric Charpentier : Oui, c’est cela : 2007, directeur et 1999 dans les écoles.
Étienne Gonnu : D’accord, donc vous avez aussi une vraie connaissance de l’historique de l’informatique de la ville et des décisions qui ont été prises. Ce sera intéressant pour notre échange.
Cédric Charpentier : Un petit peu de ça.
Étienne Gonnu : Anaïs, qu’en est-il de vous ?
Anaïs Rémy : Bonjour. Je suis Anaïs Rémy, je suis dans la collectivité depuis 2018 et je suis arrivée au service informatique depuis presque trois ans, depuis trois ans.
Étienne Gonnu : D’accord. Je vous remercie. Une question que j’aime bien poser à nos invités : quel est votre rapport au logiciel libre ? Comment avez-vous découvert le logiciel libre ? Avec une question qui, je pense, est liée, votre découverte de l’informatique : comment vous êtes-vous formés à l’informatique ? Est-ce que le logiciel libre a tout de suite été une évidence pour vous ? Comment l’avez-vous découvert et qu’est-ce que ça représente pour vous ?
Cédric Charpentier : En ce qui concerne, très sincèrement je vous dirais que je n’en ai plus vraiment beaucoup de souvenirs parce que j’ai débuté le logiciel libre quand j’étais emploi jeune dans les écoles de la ville, ça remonte donc, je dirais, aux années 2000 ou 2001. Le seul souvenir que je peux peut-être vous donner c’est qu’en fait, à l’époque, je cherchais une solution pour que les enfants puissent se connecter sur les différents postes des écoles et récupérer leurs données, des tas de choses comme ça. Je me suis donc lancé dans du Samba, Samba 3 à l’époque. Pour ceux qui ne connaissent pas, en fait c’était une centralisation des fichiers et des droits sur une machine ; tout simplement centraliser.
Anaïs Rémy : Moi, je suis plutôt sur la partie administrative, donc je découvre l’informatique et des logiciels libres grâce à Cédric.
Étienne Gonnu : Ce que j’ai trouvé intéressant, Anaïs, si ça ne vous ennuie pas de développer là-dessus, c’est que vous n’aviez pas, à la base, une formation d’informaticienne, si j’ai bien compris, lorsque nous avons préparé l’émission.
Anaïs Rémy : Non, pas du tout. Je viens des ressources humaines, donc rien à voir avec l’informatique.
Étienne Gonnu : Comment quelqu’un qui était aux ressources humaines se retrouve assistante du directeur, à la direction des systèmes d’information ?
Anaïs Rémy : Bonne question ! Je suis arrivée là uniquement pour la partie administrative. C’est vrai que Cédric m’apprend énormément de choses sur l’informatique. J’essaye de l’aider comme je peux sur certaines choses.
Étienne Gonnu : Excusez-moi, je me rends compte, et c’est aussi le propre des difficultés de langage parfois, j’entends « administrative » et j’entends « administration système ». En fait non, vous faites de l’administratif dans le sens premier du terme. C’est intéressant, parce que vous utilisez l’outil l’informatique j’imagine très bien, et c’est une opportunité d’appendre l’informatique à travers les outils que vous utilisez, si j’entends bien, en fait.
Anaïs Rémy : Oui. C’est cela.
Étienne Gonnu : Autre question en lien avec le logiciel libre : vu ce que fait la ville d’Abbeville, et on rentrera dans les détails, pourquoi le logiciel libre est-il important pour vous ? Que représente-t-il ? On a compris que vous en faites, mais pourquoi, pour vous, le logiciel libre est-il une chose politiquement importante, notamment dans la perspective d’une collectivité ?
Cédric Charpentier : On pourrait parler de cela pendant des heures et des heures, je pense !
Étienne Gonnu : On va en parler pendant une cinquantaine de minutes, ce sera déjà très bien !
Cédric Charpentier : Déjà, je dirais parce que, finalement, ça reste le nerf de la guerre. Aujourd’hui on manipule, on dépense les deniers publics. Pour commencer, l’idée n’est pas de dépenser l’argent à tort et à travers. Notre idée est là. Je commence toujours par là parce que c’est le point que les gens comprennent le plus.
Après, derrière ça, je vous dirais qu’il y a une autre dimension qui est plus une histoire de philosophie. Nous sommes une collectivité française. Aujourd’hui on nous parle de déficit public, on nous parle de points de PIB, on nous parle de choses comme ça et je me dis qu’il est quand même préférable aujourd’hui, avec la dette que la France a, qu’on fasse fonctionner les entreprises françaises, qu’on essaie au maximum de faire en sorte que ces points de PIB ne se sauvent plus vers les entreprises étrangères même si, cela dit en passant, je ne dis pas de mal de ce que font en particulier les Américains, ils font de très bons produits et forcément tout cela a un coût qu’on essaie de ne pas faire supporter à la collectivité et aux administrés.
Étienne Gonnu : C’est vrai que la bonne gestion des deniers publics est un argument qui vient souvent, qui est lié à des questions d’indépendance, de maîtrise des systèmes d’information. On va revenir sur tout cela, mais j’ai trouvé intéressant et j’aimerais bien qu’on reparle après de ce que vous faites avec les entreprises françaises. On sait que le logiciel libre s’inscrit souvent dans les tissus économiques locaux. On pourra revenir pour voir si c’est effectivement le cas à Abbeville. C’est vrai que cet argument de la bonne gestion des deniers publics irrigue tous les autres arguments et revient très souvent quand on parle avec les collectivités du pourquoi de leur engagement vers le logiciel libre.
On va reprendre un peu le fil de l’historique, notamment de la place des politiques publiques vis-à-vis du logiciel libre à Abbeville. Cédric, je me tourne vers vous parce que c’est vous qui avez effectivement, par rapport à Anaïs, un historique plus long, une vision plus longue de cet historique. Vous êtes arrivé en 1999 dans la collectivité, un peu plus tard, quelques années plus tard à la DSI [Direction des systèmes d’information]. Quand vous êtes arrivé, en 1999, est-ce qu’il y avait déjà cette volonté de faire du logiciel libre ? S’est-elle développée plus tard ? Est-ce que ça a été sous votre influence ? Comment le logiciel libre est-il arrivé à Abbeville ?
Cédric Charpentier : Il faut savoir qu’en 1999, quand j’ai été embauché dans les écoles, je gérais l’informatique des écoles de la ville, mais j’étais complètement indépendant de la DSI de la ville. À la fin de mon contrat d’emploi jeune, au bout des cinq ans, il s’avère que le parc informatique des écoles de la ville était passé d’une dizaine d’ordinateurs à plus de 250 PC. J’avais déjà lancé, dans mon petit coin, cette démarche vers le Libre. De mémoire, pour les plus nostalgiques, je dirais que j’ai commencé avec du Red Hat 5.2 et un truc qui s’appelait Mandriva, qui était une entreprise française. À la fin des cinq ans, les directeurs des écoles se sont tournés vers le maire en lui disant « on va avoir un problème : si vous ne gardez pas ce monsieur qui gère nos tous ordinateurs au quotidien, tout cela va tomber à l’eau. » Comme on ne pouvait pas continuer sur ce statut d’emploi jeune, la mairie d’Abbeville m’a embauché au sein de la DSI. Quand je suis arrivé à la DSI, ça va peut-être faire du mal à certaines oreilles, disons que c’était une collectivité pure et dure Microsoft, du Windows partout, de l’Office partout et de l’Exchange partout.
J’ai commencé à apporter un peu cette culture-là au niveau de mes collègues. Il y a eu des départs, il y a eu une opportunité et on m’a demandé de reprendre la DSI.
Comme on est dans une collectivité qui n’est pas forcément très riche, le fait d’amener des solutions qui permettaient de gagner de l’argent, je vous dirais que c’est un petit peu ce qui a fait basculer la collectivité en fait.
Étienne Gonnu : Ça a donc été le premier argument, la première manière de convaincre, on va peut-être dire, au niveau des élus notamment, qui vont prendre les décisions aussi en termes de choix, d’arbitrage, etc., celui d’une économie sur les coûts. On sait que le logiciel libre ce n’est pas toujours moins cher dans les premiers temps, ça va plutôt être un investissement parce qu’il faut se former, etc., mais, très rapidement, vous avez su convaincre avec cette idée-là que ça coûterait moins cher dans le temps, si j’entends bien ce que vous dites.
Cédric Charpentier : C’est un peu de ça. Vous le dites bien, quand on parle de logiciel libre, il y a deux façons de faire du logiciel libre. La première façon c’est de mettre ses mains dans le cambouis et de le faire soi-même. Auquel cas, ce sont des solutions qui ne coûtent rien du tout. Vous êtes d’accord avec moi ?
Étienne Gonnu : Ça coûte le prix du salaire des fonctionnaires, mais oui, effectivement.
Cédric Charpentier : Exactement. Après, vous avez la deuxième façon qui est de dire qu’on va faire du Libre, mais on va le faire faire par des entreprises. Même si ça coûte de l’argent, c’est certain, globalement ça coûte tout de même moins cher que de faire du propriétaire, j’en suis persuadé.
Étienne Gonnu : Parce que le propriétaire, on le dit, c’est effectivement un coût qui est basé sur une licence, mais on n’a pas de maîtrise du logiciel et puis, surtout, à la fin de la licence il ne nous reste en fait plus rien, on ne peut pas continuer à utiliser le logiciel, on est comme sur une location. Alors que quand on investit dans le logiciel libre, qu’on le fasse développer en interne, qu’on internalise les compétences ou qu’on fasse appel à des compétences externes, on garde une maîtrise. C’est là où « propriétaire », quelque part, est finalement un mauvais terme en français, qui est importé du terme proprietary en anglais. C’est pour cela qu’à l’April on aime bien utiliser le terme « privateur » qui remet le curseur sur la privation de liberté, mais aussi pour dire qu’en fait, quelque part, le vrai logiciel propriétaire c’est le logiciel libre : on reste propriétaire, on garde la maîtrise du logiciel et ce que vous dites est intéressant par rapport à ça.
Cédric Charpentier : C’est tout à fait ça. C’est pareil et, finalement, c’est une phase que j’ai tendance aussi à oublier. Quoi qu’on en dise, le Libre et tout ce qui gravite autour du Libre fait que c’est un véritable couteau suisse. Il s’avère que je me suis très souvent sorti de situations très rapidement parce que, dans le Libre, j’ai trouvé un outil capable de faire des choses fabuleuses.
Je voudrais justement vous parler d’un produit qui s’appelle le RaspiSMS. RaspiSMS est une solution libre qui vous permet d’envoyer des SMS. Il s’avère que nous, par exemple lors de la Covid, on a fait une énorme campagne pour pouvoir distribuer les masques en papier et en tissu à nos administrés à l’époque, je ne sais pas si vous vous souvenez. En fait, si on n’avait pas eu ce fameux RaspiSMS grâce auquel on avait collecté les numéros de téléphone des gens et qu’on a pu les recontacter très rapidement, on n’aurait pas réussi à faire un carton au niveau de la distribution de ces masques-là.
Étienne Gonnu : C’est un exemple très intéressant, merci de le partager. Je pense que ça nous rappelle une période durant laquelle on a effectivement tous partagé une expérience assez similaire sur ces questions-là.
Avant d’avancer, parce que je pense que la prochaine question c’est comment les élus se sont finalement accaparés, plutôt saisis politiquement de la question du logiciel libre puisqu’il y a eu des stratégies politiques actées et c’est une excellente chose parce qu’on sait très bien que ça ne peut pas venir que de la DSI ou que des élus, il faut qu’il y ait un travail en commun. Anaïs, je ne vous ai pas posé la question. Vous avez commencé à nous dire qu’au contact de Cédric vous avez commencé à découvrir le logiciel libre, ça fait quelque temps. Cédric nous a dit ce que ça représente pour lui. Est-ce que c’est plus l’aspect couteau suisse qui vous intéresse ? Est-ce que ce sont plus les aspects de liberté et d’indépendance ? C’est un tout ? C’est toujours intéressant d’avoir la perspective des gens qui l’ont découvert plus récemment, qui n’ont pas forcément une formation à l’informatique, parce que le logiciel libre concerne tout le monde et on aime bien aussi le répéter.
Cédric Charpentier : C’est plus difficile en fait.
Étienne Gonnu : Le but n’est pas de vous piéger. De toute façon, tout à l’heure j’aurai des questions pour vous sur l’accueil des agents et sur la question de la formation, je pense que vous aurez des choses à partager avec nous à ce moment-là Anaïs. Étant effectivement le directeur des systèmes d’information et aussi l’animateur, on va dire, de la politique logiciel libre, il est entendable, Cédric, que vous ayez plus de choses à nous raconter.
Penchons-nous sur cette question. Vous avez commencé à convaincre par l’exemple de la pertinence du logiciel libre. Comment les élus, les conseillers municipaux, ont-ils commencé à se saisir de ces questions-là et à leur donner forme dans une stratégie politique ?
Cédric Charpentier : Les auditeurs et les auditrices qui travaillent dans notre domaine seront, je pense, tout à fait d’accord avec moi. En fait, une DSI c’est quoi ? C’est un service qui est complètement transparent aux yeux des autres : on est là, il faut que ça fonctionne, on ne sait pas forcément ce que l’on fait et on ne sait pas forcément quelles sont nos difficultés. Du coup, vendre l’informatique, vendre le Libre au niveau des citoyens, c’est quelque chose d’un peu difficile. Là il y a un truc qui est génial, qu’on a découvert il y a quelques années et dont on va parler après, c’est le label Territoire Numérique Libre.
Comment les élus ont-ils pris en main le sujet du Libre ? Eh bien, je dirais, avec le label Territoire Numérique Libre. Pour nous, cette fois-ci, c’est une façon de pouvoir parler de notre travail, de pouvoir parler de ce que l’on fait des deniers publics, de pourquoi on a utilisé des logiciels libres. Je pense que si on n’avait pas participé à ce label-là, aujourd’hui on ne serait peut-être même pas avec vous à l’antenne, on serait dans notre petit coin, toujours en train de faire de l’informatique purement technique et personne n’aurait entendu parler de nous.
Étienne Gonnu : D’accord. Je vais peut-être saisir la balle au bond. À ce moment de l’émission, il peut être intéressant de préciser ce qu’est ce label Territoire Numérique Libre. C’est un label qui a été créé en 2016 — en 2023 ce sera donc la huitième édition —, un label qui a été créé par l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales], une association qui œuvre pour le logiciel libre, en particulier auprès des collectivités territoriales. L’April fait partie du jury d’attribution de ce label. Ce label s’inspire du modèle, par exemple, du label « Villes et Villages Fleuris » en attribuant sur la base des dossiers de candidature un niveau allant de 1 à 5, 5 étant le niveau le plus élevé. Abbeville est la première collectivité à avoir décroché ce plus haut niveau.
Si je vous entends bien, ce label a commencé en 2016. De mémoire, je ne me souviens quand Abbeville a candidaté pour la première candidaté. Vous dites qu’avant la candidature d’Abbeville il n’y avait pas encore de formalisation ou de politique autour du logiciel libre ? Ou le label a-t-il permis d’amplifier par rapport à ce qui était déjà existant ?
Cédric Charpentier : Disons qu’il y en avait, par contre les habitants n’étaient pas du tout informés de tout cela. C’est malheureux de le dire, mais, en fait, avant la participation au label, je dirais que l’attrait pour le logiciel libre était uniquement financier. Pour nos élus, c’était surtout comment gagner de l’argent, comment investir autrement. Par contre, une fois qu’on s’est mis en route avec cette histoire de label, en fait d’autres projets sont nés. On a nous vus, la DSI, de façon complètement différente, et c’est cela qui a vraiment beaucoup changé au niveau de nos élus.
Étienne Gonnu : Très intéressant. Quand vous dites « différente », ça veut dire que vous n’étiez plus seulement perçus comme un prestataire – ce n’est pas forcément le meilleur terme, comme le prestataire technique, tant pis je garde ce terme-là –, mais ça a permis de se rendre compte qu’il y avait des enjeux politiques attachés aux choix informatiques, si j’entends ce que vous dites.
Cédric Charpentier : C’est tout à fait ça. Je vais le dire autrement, même si ce n’est pas forcément plus joli. Je pense qu’au début, aux yeux des élus, nous sommes un peu comme des électriciens : il n’y a plus de lumière, il n’y a plus de courant, on est là pour rétablir, mais, derrière, on ne voit pas forcément tout le travail, comment il est fait et comment on peut mettre en avant la collectivité à travers le Libre. À partir du moment où le label a été intégré à la collectivité, ça a changé plein, plein de choses.
Étienne Gonnu : D’accord. Je sais que vous avez un projet. On va en parler en deuxième partie d’émission, un projet hyper-intéressant qui est tourné, justement, vers les habitants et les habitantes de votre commune.
Avant ça, j’aime bien commencer aussi par voir comment ça se passe en interne, vos usages internes du logiciel libre. C’est toujours intéressant de voir comment des DSI libristes avancent. Que pouvez-vous nous dire ? Si je refais quelques pas en arrière vous avez proposé, utilisé de plus en plus de logiciels. On sait que souvent il y a tout ce qui est l’aspect serveur, etc., qui ne concerne quelque part, entre guillemets, « que la DSI ». En revanche, là où il y a plus d’enjeux c’est pour les logiciels sur lesquels les agents ont la main, c’est-à-dire les logiciels métier et leur poste de travail. À priori, vous avez proposé des logiciels métiers, vous avez proposé des logiciels de bureautique et même, il me semble, des systèmes d’exploitation libres. Comment cela s’est-il développé et quel accueil a été fait par les agents et les agentes quand vous leur proposiez cela ? Quelle méthode d’accompagnement au changement, pour reprendre le terme habituel, avez-vous mise en place ?
Cédric Charpentier : C’est un peu les montagnes russes quand on fait du logiciel libre : vous avez les pro, vous avez les contre, vous avez ceux qui sont mitigés, ça a été extrêmement difficile.
Comment a-t-on commencé ? On a tout simplement commencé par la suite bureautique. En fait, on remonte quand même à une dizaine, une douzaine d’années. Il y a une dizaine d’années, une douzaine d’années, on reçoit un courrier de Microsoft qui nous demande : « Où est-ce que vous en êtes avec vos licences ? On aimerait bien vous faire un contrôle, on aimerait bien vérifier que tout est bien en règle chez vous. » Je venais de reprendre le service, je le dis très honnêtement, ce n’était pas forcément très clean, pas très clair pour moi le nombre de licences qu’on avait dans la collectivité. J’ai eu un entretien avec le maire de l’époque, qui n’est plus celui d’aujourd’hui, et je lui ai expliqué, je lui ai dit : « De toute façon, on n’est pas certain d’avoir toutes les licences, il existe aujourd’hui un produit qu’on maîtrise bien puisque c’est dans nos écoles depuis quelques années », à l’époque c’était Open Office, il n’y avait pas encore LibreOffice. Le maire a dit : « Banco, on va essayer de se tourner là-dessus. » Il m’a demandé : « Comment pourrait-on faire passer ça à nos agents sans que ça fasse trop de misères ? ». On était encore à l’époque où on avait des écrans à tubes cathodiques ; vous souvenez-vous de ces gros écrans tout blancs qui prenaient toute la place ?
Étienne Gonnu : Qui prenaient l’intégralité de la largeur du bureau, je vois le genre d’écran que vous décrivez.
Cédric Charpentier : Le deal, dans la collectivité, a été : si vous installez Open Office sur votre ordinateur, on vous mettra à disposition un écran plat. Ça a commencé comme ça, le deal c’était un peu ça. On a donc eu forcément quelques personnes intéressées et puis on a commencé à en mettre en route de cette façon-là. C’était il y a à peu près dix/douze ans.
Étienne Gonnu : Du coup plutôt sur le logiciel bureautique, si j’entends bien.
Cédric Charpentier : C’est exactement ça. Après, on avait dans la collectivité un serveur de messagerie propriétaire, je ne vous dis pas lequel, qui arrivait en fin de vie. On a cherché les solutions qui existaient en Libre, on a surtout cherché une entreprise française qui serait tout à fait capable de nous apporter ce service et de nous dépanner en cas de souci. Là je vais vous citer une entreprise française avec laquelle on travaille, avec laquelle on n’a aucun souci, qui s’appelle BlueMind.
Étienne Gonnu : Une entreprise française qui fait effectivement du logiciel libre.
Cédric Charpentier : Qui fait de la messagerie, qui le fait bien, qui le fait très bien, ça a été une solution.
Là pareil, même chose, on ne va pas se sentir, on a fait des études, on a regardé combien nous coûterait le renouvellement de la solution que l’on avait avec la même entreprise. On a regardé ce qui se faisait dans le Libre et combien ça nous coûterait : on s’est aperçu que ça nous coûterait quand même beaucoup moins cher.
Étienne Gonnu : D’accord. Vous avez déjà exprimé le fait qu’il y avait la question de la bonne gestion des deniers publics. Il ne s’agit pas de dire cela de manière incantatoire « le Libre c’est mieux par rapport à ça ». Non, on le voit et c’est finalement le cas à chaque fois : vous êtes détenteur d’une mission de service public, vous faites les choses rigoureusement en suivant les règles et en appliquant les principes. Très bien, c’est intéressant.
Du coup, Anaïs, si ça ne vous ennuie pas que je me tourne vers vous, vous êtes arrivée à la collectivité il y a quelques années, est-ce que tout cela était déjà en place ou est-ce que vous avez aussi vécu ce changement ?
Anaïs Rémy : Tout était déjà en place quand je suis arrivée dans le service.
Étienne Gonnu : Et vous ne connaissiez pas encore le logiciel libre. Quelle a été pour vous la découverte du logiciel libre, notamment en termes de pratique professionnelle ? Est-ce que vous avez eu une réticence ? Avez-vous tout de suite été convaincue ? Peut-être avez-vous eu des formations, ou pas ? Ça pourrait nous intéresser, je pense.
Anaïs Rémy : Avant j’utilisais le logiciel propriétaire. Quand je suis arrivée on m’a dit : « Il n’y a que ça ! ». Du coup j’ai fait avec, forcément. Je me suis adaptée très rapidement, via la suite bureautique, sans aucun souci.
Étienne Gonnu : Y avait-il des formations prévues ?, la question est ouverte à vous deux, ou c’est par la pratique que vous vous êtes rendu compte ? On sait qu’on a des habitudes, que ce sont des outils différents, donc, comme pour tout outil différent, il faut se former.
Cédric Charpentier : La Covid est évidemment venue bousculer les habitudes de la collectivité.
Il faut savoir que nous, tous les ans, on a pour habitude de créer des sessions de formation, on a une salle de formation ici à la DSI, on a un dix postes informatiques. On prend les agents pendant trois ou quatre jours et ce sont quatre jours pendant lesquels on refait entièrement le tour de tous les produits utilisés dans la collectivité. Le premier jour on revoit un peu l’ordinateur, le fonctionnement de l’ordinateur, le disque dur, comment se connecter à Internet, etc. Après on utilise LibreOffice, on va réapprendre – même si on sait déjà, ce n’est pas grave – à refaire un courrier à la méthode administrative avec les timbres, avec les bonnes tabulations, avec toutes ces bonnes choses. Ensuite, on repart vers du tableur, on réapprend pour que ceux qui savent déjà, sinon on apprend à faire les fonctions de base du tableur. On fait aussi un peu de sensibilisation à la cybersécurité. On consacre, pendant ces quatre jours-là, une demi-journée à la cybersécurité et puis enfin, on finit, le dernier jour, avec un petit peu de ce que j’appelle un pot-pourri, des questions libres. J’explique à nos agents quelles sont les solutions qu’on a, par exemple, pour retravailler des images : je leur explique qu’il y a tel logiciel et on fait quelques petits exercices à ce niveau-là. C’est un peu comme cela que l’on fonctionne. Depuis la Covid c’est un peu plus compliqué, disons que c’est à peu près le rythme que l’on avait.
Étienne Gonnu : Très intéressant. Peut-être que ça pourra inspirer d’autres collectivités qui se posent ces questions.
Je vois que le temps avance, je pense que ça pourrait être bien de se donner un petit peu de temps pour souffler. Je vous propose donc de faire une pause musicale. Nous allons écouter Oh Boy ! par Who Are You Lutra Lutra ??, sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. On se retrouve juste après sur Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Oh Boy ! par Who Are You Lutra Lutra ??.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Oh Boy ! par Who Are You Lutra Lutra ??, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC BY SA.
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Étienne Gonnu : Nous sommes de retour sur radio Cause Commune. Je suis Étienne Gonnu de l’April et j’ai le plaisir d’échanger avec Cédric Charpentier et Anaïs Rémy, de la direction des systèmes d’information d’Abbeville, une ville qui mène une politique publique et des actions en faveur du logiciel libre.
Je précise, une fois n’est pas coutume, que nous enregistrons ce sujet en avance. Au moment où je vous parle nous sommes vendredi 12 mai, il est 10 heures 32, mais n’hésitez pas à nous rejoindre sur le salon web de l’émission, sur causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous, pour échanger avec nous sur ce sujet passionnant.
En première partie, avant la pause musicale, nous avons évoqué l’historique du logiciel libre, de son arrivée au sein de la collectivité, aussi un peu de la question des usages internes et de la formation des agents. On a parlé du label Territoire Numérique Libre, ce label qui récompense les collectivités qui œuvrent pour le logiciel libre en leur attribuant un niveau allant de 1 à 5, 5 étant le plus fort. Abbeville a été la première collectivité à atteindre ce niveau 5. En tant que membre du jury, j’ai l’honneur de représenter l’April au jury au label Territoire Numérique Libre. Dans ce cadre, vous nous parliez d’un projet tourné vers les habitants et les habitantes, de ce projet que vous avez mis en avant et que vous allez nous décrire, qui est vraiment très intéressant et assez unique. Que pouvez-vous nous en dire, Cédric ? Je n’ai pas besoin d’en dire plus, vous savez très bien ce dont je parle.
Cédric Charpentier : On va vous parler de notre projet phare, le projet qui a fait découvrir, finalement, la DSI à nos élus, à nos administrés, peut-être à l’ADULLACT.
Je vais refaire simplement un historique de notre participation au label Territoire Numérique Libre.
Étienne Gonnu : Je vais rompre le suspense, ça s’appelle le jardin connecté. Ça crée un peu de suspense quand on parle de jardin connecté mis en place par Abbeville. Je vous rends la parole, excusez-moi.
Cédric Charpentier : C’est exactement ça. Par contre, je vais juste vous corriger : Abbeville n’est pas la première ville à obtenir le label niveau 5, ce n’est pas nous, par contre, nous sommes la première ville à l’avoir obtenu deux fois de suite.
Étienne Gonnu : Merci de me corriger, j’ai mal fait mes devoirs !
Cédric Charpentier : Je suis désolé, c’est pour le rendre à sa collectivité, pour mémoire c’est Nancy qui l’avait eu.
Étienne Gonnu : Absolument, c’était Nancy, merci de me corriger.
Cédric Charpentier : Rendons à César ce qui appartient à César.
Il y a quatre ans, on se présente au label Territoire Numérique Libre et on obtient le niveau 4 sur 5, donc pas mal pour une première participation. On nous dit : « On ne vous connaissait pas, vous arrivez là comme ça, c’est vraiment super, vous êtes déjà à fond dedans. »
On participe une deuxième année, on obtient de nouveau le niveau 4 et on nous donne le coup de cœur du jury. Ce n’est pas de la prétention mais, à Abbeville, on sait qu’on fait du logiciel libre et qu’on en fait vraiment beaucoup, beaucoup. On se demande pourquoi on n’arrive pas à décrocher ce fameux niveau 5. On s’adresse à l’ADULLACT qui nous répond : « On ne vous a pas donné le niveau 5 parce que vous avez un petit souci. En fait, vous faites du Libre, mais on n’en entend pas parler. Vous n’en parlez pas. On a regardé sur vos sites internet, on a regardé sur vos réseaux sociaux, etc., et nulle part il n’est fait référence à cette histoire de logiciel libre. » On s’est dit « mince comment faire pour parler d’informatique et de logiciel lire à nos administrés ? Comment pourrait-on faire pour attirer les gens vers ce domaine-là ? », parce que ce n’est quand même un truc facile à vendre. On sort de la Covid. La chose que je sais c’est que, ici, les gens font beaucoup de jardinage, les gens se sont remis à la terre, tout le monde est redevenu sage, donc on se dit « facile, on va faire un projet qui va permettre de vendre du Libre avec un autre vecteur. »
On a donc créé un jardin, qui s’appelle le jardin connecté, dans lequel on fait de la culture assistée par ordinateur. C’est-à-dire que dans notre parc vous allez trouver des arrosages automatiques, vous allez trouver des machines qui sont capables de propulser de la lumière s’il n’y a pas assez de lumière, et tout cela est fait grâce à du matériel qui est open source. OK ! Pour les spécialistes, on va parler d’Arduino. On utilise pas mal d’Arduino, ce sont des petites cartes contrôleurs, on va dire des petits ordinateurs. C’est du matériel open source.
On a ajouté à cela une dimension logicielle puisque, pour faire fonctionner ces matériels-là, il nous faut des logiciels, on a donc ajouté des logiciels libres et puis nous sommes allés un petit peu plus loin. On s’est dit qu’on pouvait faire une analogie entre le monde de la culture et le monde de l’informatique, c’est la graine open source. Pareil, je ne fais pas la guerre, mais je dis simplement qu’aujourd’hui il y a des grands laboratoires qui ont mis la main sur le monde vivant. On voulait montrer qu’il existe sur la planète, et en particulier en France, des associations et des entreprises qui, aujourd’hui, ont décidé de cultiver avec des graines open source, c’est-à-dire des graines qui sont sans brevet. Ça va même plus loin et, en fait, c’est là où ça ressemble vraiment étrangement au logiciel libre et aux forks que l’on peut trouver dans le monde du logiciel.
Étienne Gonnu : Pour préciser ce qu’est un fork dans le développement d’un logiciel libre : en gros, les source étant libres on peut partir et faire un branchement, faire un autre développement du logiciel en partant d’une source commune qui est ce qui permet de faire un fork. Ce sont des embranchements dans les développements.
Cédric Charpentier : C’est un petit peu ça. Quand on parle de logiciel propriétaire, en fait le logiciel propriétaire est lié à son propriétaire et, à partir de là, vous ne pouvez rien faire.
Il faut savoir que dans le monde de la graine il existe des variétés dites F1 qui sont des variétés hybrides. Les variétés hybrides existent dans la nature, la nature sait modifier le génome, elle sait modifier ses plantes avec le temps parce que le climat a changé, parce que la graine s’est envolée et elle est allée se planter ailleurs, dans un milieu qui n’était pas le même. Les industriels ont trouvé mieux que ça, ils ont créé des graines hybrides qui font que vous leur achetez des graines, vous les plantez, vous récoltez vos légumes, mais surtout, vous ne pouvez pas replanter ce que vous avez semé. Si je prends par exemple une tomate, impossible ou difficile de replanter une tomate à partir des tomates que vous avez eues en variété hybride.
Étienne Gonnu : On parlait de location et de licence, on a, en fait, exactement la même logique et ça paraît d’autant plus délétère lorsqu’on parle du vivant. C’est intéressant : vous êtes un libriste et vous parlez avec la même conviction des semences libres. On voit à quel point toutes ces questions et cette éthique sont transversales. Je trouve cela très intéressant.
Cédric Charpentier : On s’aperçoit qu’on a trouvé le vecteur. On a donc fait un parc. On a de la chance, là où la DSI se trouve on a un parc d’environ 1500 ou 2000 mètres carrés qui n’était pas du tout mis en valeur. On a donc fait une espèce de parcours où on va apprendre. En fait, c’est un parcours intergénérationnel, parce que souvent Papy et Mamie font du jardinage et le petit-fils ou la petite-fille font de l’informatique. Quand on rentre dans ce parc-là, et ça nous arrive très souvent, on a deux générations qui viennent. On a alterné des ateliers.
Quand vous rentrez, vous avez une première explication : pourquoi a-t-on fait ce parc, pourquoi s’est-on lancés dans cette aventure ?
Ensuite, on va commencer par montrer les outils du jardinier. C’est-à-dire que sur des panneaux qui sont affichés vous allez retrouver vraiment des vrais outils, ce ne sont pas des photos ou quoi que ce soit. On va retrouver un râteau qui est fixé sur un panneau, on va retrouver une binette, on va retrouver une bêche, on va retrouver une fourche, on va retrouver tous ces outils-là. On va retrouver un outil qui est lié, par exemple, à la ville, qui est ce qu’on appelle un arrache-betteraves. En fait, dans notre ville, on a perdu une sucrerie qui faisait énormément de bénéfices et pourtant cette sucrerie-là, qui faisait vivre la ville, est partie. Si vous avez assez de finesse pour comprendre, ce que l’on veut dire c’est que l’argent ne fait pas tout. On a beau faire des bénéfices, ces sociétés-là ont beau faire des bénéfices, aujourd’hui elles peuvent se sauver, elles peuvent partir, entre guillemets, « avec leurs brevets ». Vous voyez où je veux en venir ?
Étienne Gonnu : Oui, il me semble, c’est cohérent dans l’histoire que vous nous racontez.
Cédric Charpentier : Quand on fait ce petit clin d’œil, vous avez déjà là toutes les personnes âgées qui connaissent bien notre ville et qui ont adhéré. On les a déjà en partie conquises parce qu’elles se disent « c’est bizarre, en fait j’étais venue parler d’informatique et on ne commence pas par là, on ne fait pas ça. » C’est le premier atelier, parce qu’on a appelé ça des ateliers.
À l’atelier suivant, vous allez trouver les outils de l’informaticien. Symboliquement, on a enfermé dans des bocaux, pareil, accrochés sur des panneaux, des Raspberry, on a enfermé des détecteurs d’humidité, des détecteurs d’hygrométrie, on a enfermé des caméras, on a enfermé des relais qui permettent de mettre en route des appareils qui fonctionnent sur le 220. On a enfermé tous les composants que l’on va utiliser sur le parc. C’est à partir de là qu’on va commencer à expliquer aux gens « n’ayez pas peur de l’informatique, c’est comme ça, vous allez voir, on va vous montrer des choses un petit peu étranges ». Ça c’est le deuxième atelier.
Vient ensuite un autre atelier, l’atelier météo. Cette fois-ci on a accroché un thermomètre, un baromètre, un hygromètre et puis à côté, en parallèle, on a mis un écran connecté sur la météo agricole et on dit aux gens : « C’est à vous de voir : soit vous allez vous connecter sur la météo agricole qui est quand même un service public soit, de façon traditionnelle, vous allez utiliser par exemple le baromètre. » On a fabriqué, par exemple, un baromètre avec un pot à confiture, un petit ballon de baudruche et une petite baguette. On a fait le parc de façon à ce que les gens puissent refaire tout ce que l’on a fait dans notre parc.
Étienne Gonnu : Du coup ça rend matériellement accessible, on s’accapare les outils, on se rend compte avec ce côté qu’on appelle le do it yourself, « faites-le vous-même ». Je trouve que ça rend tangible l’informatique qui est souvent derrière des écrans et c’est un peu magique. J’ai l’impression que ça permet de rendre plus tangibles les outils et comment ça peut s’inscrire dans nos quotidiens.
Cédric Charpentier : C’est un petit peu ça.
Pour l’atelier suivant on a créé un hologramme. On a fait un hologramme dans lequel, de façon peut-être assez poétique, mais surtout de façon très philosophique, on explique aux gens pourquoi on a fait ce parc. On leur explique aussi, à ce moment-là, ce qu’est une graine open source et on leur explique, en parallèle, ce qu’est qu’un logiciel open source. On leur explique aussi, parce qu’on voulait faire passer plusieurs messages dans ce parc-là, que notre Terre est très fragile, qu’il faut y faire très attention, qu’on est peut-être parti dans un mauvais sens et que ce n’est pas nous, ville d’Abbeville, qui allons révolutionner le monde, mais, si chacun fait un effort, on arrivera peut-être à retrouver quelque chose de normal.
Vient ensuite un atelier où, cette fois-ci, on montre aux gens comment on produit nous-mêmes nos graines. On a une petite grainothèque dans laquelle on a accroché des radis qu’on a laissé monter en graine. Pour celui qui connaît le principe : on a planté nos radis, on les a laissé pousser sans jamais les arracher, ça a donné des petites fleurs, ces petites fleurs-là se sont transformées et on en récupère les graines. Ici, comme dans le monde du Libre, je veux faire passer le côté social. Je dis aux gens : « Vous savez jardiner. On peut croire que c’est quelque chose qui coûte cher, parce qu’un paquet de graines va coûter 3 euros 40, 3 euros 50 quand on achète des graines comme ça. Seulement, c’est un premier investissement que vous faites. Quand vous aurez planté une graine de radis qui vous en donnera 50, à partir de là, ça ne vous coûtera plus rien en fait. Mieux encore, vous pourrez échanger ces graines-là avec d’autres personnes qui auront produit d’autres choses, qui auront fait des graines de tomate, qui auront fait des graines de poireau », et j’aime bien ce côté social en fait. Je me dis qu’on pourrait croire que jardiner c’est cher, eh bien non, ça ne l’est pas.
Étienne Gonnu : Vous dites plein de choses intéressantes et je vois plein de ponts à faire avec le logiciel libre. Vous parlez du côté social, le logiciel libre est profondément social, il se construit sur des communautés. On sait que la mutualisation par le partage — peut-être qu’on pourra en dire un mot, est-ce que vous mutualisez avec d’autres collectivités ? — est essentielle quand on parle de logiciel libre. Ce pont est très intéressant.
Quel est le retour que vous avez des habitants et des habitantes concernant ce jardin connecté ? Il y a un enthousiasme, les gens reviennent ? D’ailleurs, viennent-ils de loin ? Est-ce que ce ne sont que des habitants d’Abbeville ou est-ce que des personnes viennent le voir de l’extérieur ? Avez-vous une vision de cela ?
Cédric Charpentier : Il faut savoir que le parc est libre, il faut qu’il soit sur la même philosophie que ce que l’on demande. À l’entrée du parc vous avez des explications qui vous disent « ce parc est là, il est là pour vous, il est libre. Si vous voulez en faire une visite libre, faites-la vous-même puisque vous avez des explications sur l’ensemble des ateliers. Par contre, si vous voulez échanger avec nous dans la mesure du possible, quand on est présents, on vous a mis le numéro de téléphone du service. » On laisse faire une visite libre ou on invite les gens à revenir à une date et une heure qu’on leur précise et on refait ensemble le tour de ce parc.
Il faut savoir que le tour de ce parc-là se fait en une heure un quart, une heure et demie, tellement les échanges entre les gens et nous peuvent être super intéressants, je dirais même super passionnants. En fait, j’ai appris énormément de choses dans ce parc parce qu’on a eu des anciens, on a eu des gens qui viennent nous donner leurs petites combines, qui viennent nous expliquer ce qu’il faut faire et ne pas faire. On a eu des gens qui sont ressortis en nous disant « ce que vous avez fait est complètement débile », tu te souviens Anaïs ?, on a eu ces gens-là avec qui on a refait un tour en visite guidée et qui, à la fin, nous ont dit : « En fait, on n’avait rien compris, on vous présente nos excuses tellement ce que vous avez fait est génial ! »
Étienne Gonnu : Comme quoi le contact humain ! En tout cas, on invite les gens, l’entrée est en accès libre et on peut prendre rendez-vous pour des visites guidées, si je dois résumer.
Cédric Charpentier : C’est un peu petit ça.
Vous demandez si ça ne concerne que les Abbevillois. Non. On a des gens qui sont là en vacances et qui viennent voir. On a même eu des visiteurs extrêmement amusants, on est tombé, par exemple, sur un jeune couple d’Allemands qui parlait anglais, à qui on a été obligé de faire la visite, c’était très amusant parce qu’on ne se comprenait pas forcément très bien. On a fini par se comprendre parce que la façon dont on voyait les choses était identique de chaque côté et j’avoue que je garde un excellent souvenir de cette visite-là.
Étienne Gonnu : La richesse des échanges.
Je vois que le temps file et j’aimerais vous poser une dernière question avant qu’on se tourne vers le mot de la fin. J’ai parlé de mutualisation, vous avez parlé du côté social, que ce soit du jardinage, du logiciel libre, en fait de toutes les activités humaines si on y pense. Est-ce que vous avez des pratiques de mutualisation avec d’autres collectivités ? Et une question qui me semble très liée : est-ce que vous contribuez à des logiciels libres, aux logiciels libres que vous utilisez ? On rappelle qu’Abbeville c’est 22 000 habitants, on imagine que vous êtes une DSI, une direction des systèmes d’information, de petite taille, vous n’avez pas forcément les ressources pour contribuer, mais est-ce que vous le faites ? Est-ce que c’est dans vos objectifs ?
Cédric Charpentier : Il y a plusieurs choses. La ville a, par exemple, en charge l’informatique du CCAS.
Étienne Gonnu : CCAS, pardon je ne suis pas familier de l’acronyme.
Cédric Charpentier : C’est le Centre communal d’action sociale, c’est un établissement qui va aider les gens en difficulté en particulier. Nous apportons notre soutien technique à cet établissement et pareil, on a essayé de leur faire passer nos pratiques et on a essayé de faire du logiciel libre là-bas. Pour moi, le côté social est encore plus important là-bas puisqu’on se retrouve avec des gens qui n’ont pas forcément d’argent, peut-être que le Libre est quelque chose de bien pour eux. C’est une première chose.
Après, il faut savoir que la ville d’Abbeville fait partie d’une communauté d’agglomération. C’est la ville la plus importante de la communauté d’agglomération. La communauté d’agglomération, elle, malheureusement n’a pas pris ce virage du logiciel libre, ce sont des décisions politiques, c’est comme ça, chacun son choix, chacun ses idées. Par contre, c’est vrai que je trouve cela un petit peu dommage.
Concernant enfin notre participation au Libre. Oui, en effet, on a développé deux/trois petites choses que l’on est prêt à mettre à disposition, qui ne sont pas forcément parfaites. On a eu, pendant deux ans, une apprentie en développement à qui on avait demandé de faire une application pour gérer la foire de la ville. Ce n’est pas une application très importante, mais ça peut aider d’autre à gérer, ça pourrait presque même aider à faire la gestion de brocantes, finalement, on pourrait presque aller jusque-là, Anaïs, puisque ce sont des emplacements que l’on loue et il y a une comptabilité. On a fait ça et c’est à peu près tout. Comme vous le dites, nous sommes une petite structure.
Étienne Gonnu : Après, c’est aussi la beauté du Libre : on développe des choses, on ne connaît pas la créativité des autres personnes, ce qu’elles pourront imaginer et rajouter par rapport à ce qu’on fait ; on peut penser que c’est une petite chose et, en fait, c’est une graine qui peut pousser et produire plein d’autres très belles choses.
J’aimerais maintenant vous proposer le mot de la fin. J’aimerais qu’on puisse continuer à discuter plus longtemps, mais le temps de la radio étant, de fait, contraint, il faut malheureusement que nous concluions notre échange. En deux minutes, disons même en une minute sans trop dépasser, qu’aimeriez-vous que les personnes qui ont écouté notre échange retiennent ?
Cédric Charpentier : C’est difficile. Je dirais aux collectivités qui nous écoutent si, comme nous, vous avez du mal à vendre cette histoire de Libre, commencez déjà par participer à ce fameux Territoire Numérique Libre. En plus, c’est un espace d’échange fabuleux. Le jour de la remise des labels, je dirais que c’est quelque chose d’assez amusant, on se croirait presque aux Oscars, on a l’impression d’être les stars du jour, c’est super amusant.
Pour le reste, pour ceux qui ont des difficultés à faire passer ce message ou qui font des marches arrière, parce qu’on voit aussi des marches arrière dans le monde du Libre, on leur dit bon courage et faites ce que vous pouvez pour revenir dans ce monde qui est open, qui est libre, qui est merveilleux, qui nous fait vivre plein de belles choses. Et n’hésitez pas à prendre contact avec nous, on se fera un plaisir d’échanger avec vous.
Étienne Gonnu : Merci beaucoup.
Anaïs, on rappelle que vous vous occupez plutôt de l’administration au sein de la DSI, administration au sens premier du terme. Que pourriez-vous dire à des personnes qui n’ont pas ce parcours informatique comme c’est votre cas, qui découvrent le logiciel libre, qui peuvent avoir une appréhension ? Visiblement vous avez été convaincue, que pourriez-vous leur dire pour les convaincre ?
Anaïs Rémy : Pour les convaincre. Je ne connaissais pas du tout, mais quand on a à côté de soi quelqu’un qui est très pédagogue, puisque Cédric, quand il explique on voit qu’il est passionné par ce qu’il fait et surtout par les logiciels libres, ça passe très bien.
Étienne Gonnu : Ça passe par l’humain en fait, si j’entends bien ce que vous dites.
Anaïs Rémy : C’est cela.
Étienne Gonnu : Entendu. En tout cas, un grand merci à tous les deux d’avoir contribué, d’avoir participé à cet échange, d’avoir participé à Libre à vous !. Un grand merci pour tout ce que vous faites pour le logiciel libre au sein de la collectivité d’Abbeville.
Je vous souhaite une excellente fin de journée, Cédric Charpentier et Anaïs Rémy, et je vous dis à très bientôt, peut-être pour la remise des labels Territoire Numérique Libre. En tout cas un grand merci à nouveau. Bonne journée.
Cédric Charpentier : Merci à vous.
Anaïs Rémy : Excellente journée.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : De retour en direct sur Cause Commune, la voix des possibles. J’espère que cet échange sur la politique et les actions d’Abbeville en faveur du logiciel, un échange enregistré vendredi 12 mai, vous aura intéressés, quant à moi, j’aurais eu beaucoup de plaisir à l’animer.
Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Étienne Gonnu : Nous avons besoin d’aide un mardi après-midi par mois de septembre à juin, sur Paris 18e, pour assurer la réalisation du direct de notre émission de radio. Même si vous n’avez aucune expérience de la radio, n’hésitez pas à nous contacter, l’équipe vous accueillera et nous serons ravis de vous former, de vous accompagner à la prise en main de ces outils.
Magali Garnero, présidente de l’April, continue son Tour des GULL, les Groupes d’Utilisateurs et d’Utilisatrices des Logiciels Libres. Rendez-vous au Mans le dimanche 21 mai, entre 11 heures et 13 heures, au festival Ecoparc / zéro déchet d’Ecommoy.
Le 24 mai 2023, à Lyon cette fois-ci, l’April tiendra un stand aux Rencontres Professionnelles du Logiciel Libre. N’hésitez pas à passer nous voir.
Les 2, 3 et 4 juin, au château de Selles-sur-Cher, se tiendra le festival Geek Faëries. Comme on peut lire sur leur site : « On y vient en costume pour y vivre en immersion deux jours et deux nuits. C’est un temps de fête, de jeux, d’échanges et de retrouvailles. On y célèbre la philosophie hacker qui, quoiqu’en disent ceux qui n’y connaissent rien, signifie partout dans le monde tout ce qui consiste à détourner, bidouiller, réinventer les choses et les idées, au service de l’imagination et de l’innovation. L’April y tiendra également un stand dans le village associatif.
Je profite de ces annonces de fin pour rappeler la sortie du jeu vidéo développé par notre ami Gee qui, en plus, a fait une chronique sur les évènements libristes tels que les Geek Faëries, même si le Libre n’est pas le cœur du festival, il en fait partie. On a échangé avec lui en début d’émission, mais on a oublié de parler du prix du jeu. Le jeu sera disponible notamment sur les plateformes Steam et Itch.io, comme Gee l’a précisé, et il sera vendu à 15 euros.
Je vous invite, comme à chaque fois, à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour retrouver des évènements en lien avec le logiciel libre et la culture libre près de chez vous, ainsi que les associations qui font vivre nos communautés.
Notre émission se termine, comme vous pouvez l’entendre au jingle.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Gee, Cédric Charpentier, Anaïs Rémy.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Isabella Vanni, accompagnée de notre nouvelle recrue en formation, Bookynette.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, qui sont tous les quatre bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpera le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm. N’hésitez à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 23 mai 2023 à 15 heures 30. Nous vous proposerons un nouveau Parcours libriste. Pour l’occasion, notre invitée sera Agnès Crepet, responsable de l’équipe informatique et de la longévité logicielle de Fairphone.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 23 mai et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.