Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Première émission de l’année 2024, l’occasion de vous souhaiter une belle année et nos meilleurs vœux de santé, bonheur, succès, solidarité et liberté pour vous et vos proches.
L’occasion, également, de remercier les personnes qui ont participé à la campagne de financement participatif de la radio Cause Commune fin 2023. Un grand merci pour votre soutien. L’objectif initial a été atteint et même un peu dépassé, cela permet ainsi d’augmenter le budget de la radio au-delà du minimum vital et de respirer encore un peu mieux. Cela fait vraiment plaisir et c’est aussi un encouragement à continuer à proposer des émissions sur radio Cause Commune, la voix des possibles. La gestion des contreparties va être organisée dans les semaines qui viennent, ne vous inquiétez pas.
Passons au programme de l’émission du jour.
« Parcours libriste » avec Anca Luca, l’occasion d’en savoir plus sur une personne très active dans le monde du logiciel libre et des données ouvertes, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique de Gee sur Mickey dans le domaine public, en fin d’émission, et aussi la chronique de Jean-Christophe Becquet sur Markdown & vous.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter.
Nous sommes mardi 16 janvier 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission du jour, Julie Chaumard. Bonjour Julie.
Julie Chaumard : Bonjour depuis la régie.
Frédéric Couchet : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.
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Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet - Markdown & vous
Frédéric Couchet : Texte, image, vidéo ou base de données, sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile. Jean-Christophe Becquet nous présente une ressource sous une licence libre. Les auteurs et autrices de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés accordées à leur public, parfois avec la complicité du chroniqueur. C’est la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April.
Bonjour Jean-Christophe.
Jean-Christophe Becquet : Bonjour. Bonjour à tous, bonjour à toutes. Bonne année.
Dans ma chronique de janvier 2023, consacrée à la science ouverte, je rendais hommage à Aaron Swartz, ce jeune défenseur des libertés numériques, parti bien trop tôt et regretté par toutes les personnes attachées à un Internet libre et ouvert.
Aaron Swartz est aussi l’un des concepteurs du langage de balisage Markdown. Mais qu’est-ce donc que Markdown ? Quels en sont ses principes et ses avantages ? Quelle est sa syntaxe ? Quels sont les outils pour l’utiliser ?
Ma pépite du jour est un livre de Bernard Pochet, intitulé Markdown & vous, qui répond à toutes ces questions.
Markdown & vous est disponible sous licence libre Creative Commons By. Vous pouvez donc l’utiliser sans restriction, le copier, le modifier et le redistribuer. Votre seule obligation sera de, systématiquement, citer le nom de Bernard Pochet, on dit aussi créditer l’auteur.
Notons que le fait de partager son travail sous licence libre n’empêche absolument pas de commercialiser des exemplaires imprimés. Vous pouvez donc acheter le livre sur le site e-publish de l’Université de Liège.
L’ouvrage commence par questionner nos pratiques d’écriture numérique. Il met en évidence les difficultés liées à l’utilisation du traitement de texte et montre comment l’utilisation du langage Markdown, et des outils associés, peut nous venir en aide pour les résoudre.
Markdown est salué pour sa simplicité, donc sa facilité d’apprentissage, sa légèreté, donc sa sobriété en matière de stockage et de ressources de calcul, son ouverture et sa pérennité.
Bernard Pochet donne ensuite une documentation assez complète de la syntaxe Markdown pour l’édition de documents. Son usage porte sur la rédaction d’articles académiques, mais elle est complètement transposable à toute activité visant la production de documents structurés.
Enfin, il passe en revue les outils utilisables pour la plupart des logiciels libres, notamment Pandoc. Ce logiciel, partagé sous licence GPL [GNU General Public License], est présenté comme un véritable couteau-suisse de l’édition. Il permet, en effet, de convertir des documents d’un format de fichier à un autre. Plus de 40 formats sont supportés parmi lesquels OpenDocument, HTML ou PDF et, bien sûr, Markdown. La démarche consiste donc à écrire, très simplement, son texte source en Markdown puis à l’exporter vers les différents formats souhaités pour une lecture sur écran ou pour l’impression.
Je rejoins la vision de Bernard Pochet : des outils trop lourds et trop complexes ont envahi nos vies numériques, générant une surcharge cognitive qui nous détourne de l’essentiel. La forme prend le pas sur le fond et cela risque de nous faire perdre de vue le message qui motivait notre écriture.
Je vous partage donc l’invitation d’essayer le duo Markdown/Pandoc lors de votre prochain travail de rédaction. Cela s’applique pour un article, un livre, une prise de notes, un courrier et même le support de présentation de votre prochaine conférence.
Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe.
Comme d’habitude, les références utiles concernant cette chronique sont sur le site de l’émission, libreavous.org/196, vu que c’est la 196e émission.
Tu disais, en introduction, qu’il y a un an, tu avais consacré une chronique à Aaron Swartz et à la science ouverte. Il y a un an, Gee, qui fera sa chronique en fin d’émission, avait préparé et animé une émission consacrée à Aaron Swartz, avec Flore Vasseur et Amaëlle Guitton. Pareil, vous retrouverez les références sur le site libreavous.org/196. Dans cette émission, vous pourrez d’ailleurs écouter une chanson Hommage à Aaron Swartz, chantée par Gee. Toutes les références sont sur le site libreavous.org.
Merci Jean-Christophe pour avoir mis en lumière Markdown de façon très claire et très pédagogique. Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?
Jean-Christophe Becquet : Rien à ajouter, si ce n’est que j’ai écouté en podcast l’émission dont tu parles, consacrée à Aaron Swartz, elle est excellente. J’encourage nos auditeurs et auditrices à fouiller dans les archives pour réécouter cette émission, si ce n’est pas déjà fait, parce que cela en vaut la peine.
Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe et prochaine chronique en février.
Jean-Christophe Becquet : Ça marche. Rendez-vous le mois prochain. Bonne émission.
Frédéric Couchet : Belle journée à toi et à la prochaine.
Nous allons faire une pause musicale.
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Frédéric Couchet : Pendant l’intervention de Jean-Christophe, à a fin, vous avez peut-être entendu un peu de bruit dans le studio. C’était une de nos invitées qui s’installait, qui mettait aussi son manteau parce qu’elle a un peu froid, en l’occurrence Magali.
Après la pause musicale, nous aborderons notre sujet principal, « Parcours libriste », avec Anca Luca et l’interview sera gérée par Magali Garnero, la présidente de l’April.
En attendant, nous allons écouter Riverside II par Le Chaos Entre Deux Chaises. On se retrouve dans 3 minutes 40. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Riverside II par Le Chaos Entre Deux Chaises.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Riverside II par Le Chaos Entre Deux Chaises, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By 4.0.
Le Chaos Entre Deux Chaises est un groupe français. Sur la page consacrée à l’émission du jour, sur libreavous.org/196, vous trouverez un lien vers une présentation un peu plus détaillée. Je remercie encore le site auboutdufil.com pour la découverte de cette pépite libre.
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Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal.
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Parcours libriste avec Anca Luca
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal intitulé « Parcours libriste » qui doit être, de mémoire, le quatrième. L’idée étant d’inviter une seule personne pour parler avec elle de son parcours personnel et professionnel, un parcours individuel, mais qui va, bien sûr, être l’occasion de partager messages, suggestions et autres.
Notre invitée du jour est Anca Luca, directrice technique de l’équipe service client de la société XWiki, présidente bénévole d’Open Food Facts, on rentrera, bien sûr, un peu plus en détail tout à l’heure dans l’émission, et l’interview va être menée par la présidente de l’April, Magali Garnero.
Je vous laisse la parole. C’est à vous.
Magali Garnero : Salut Fred. Salut Anca.
Anca Luca : Salut Magali. Salut Fred. Salut tout le monde.
Magali Garnero : Ça me fait super plaisir de t’avoir avec moi. Avant l’émission, on a discuté et on s’est rendu compte qu’on se connaît depuis plus de dix ans, c’est rare !
Anca Luca : C’est bien. C’est normal de connaître les gens depuis longtemps.
Magali Garnero : Je vais faire ma petite vieille. Nous nous étions rencontrées lors des Soirées de contribution au Libre, organisées par Parinux et, à l’époque, ça se passait à la FPH, la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès humain. À l’époque, j’étais trésorière de Parinux, j’organisais ces Soirées de contribution. Tous les jeudis soir, on se réunissait à plusieurs geeks et on faisait de la contribution sur plusieurs logiciels. Moi c’était plutôt pour faire des trucs de l’April. Toi, tu es venue une fois et c’était pour Open Food Facts. C’est quoi Open Food Facts et comment es-tu venue à ça ?
Anca Luca : Open Food Facts est un projet de créer une base de données libre des données alimentaires, des informations alimentaires, c’est-à-dire tout ce qu’on retrouve sur les étiquettes des produits alimentaires dans les supermarchés et partout où ça se vend. On recueille tout ça, on scanne tout ça et on le met dans une énorme base de données libre. C’est important que ce genre de données soit libre parce que, en réalité, ça appartient à tout le monde, il y a plein de lois qui légifèrent sur ce qui doit être écrit sur les étiquettes pour informer le public. Par contre, le traitement, on va dire massif, de ces données ne peut pas se faire produit par produit, c’est donc très important d’avoir une base de données de la totalité et c’est extrêmement important que cette base de données soit libre parce que c’est, en réalité, un bien commun. C’est ça le projet Open Food Facts.
Je l’ai découvert parce que j’aime la nourriture.
Magali Garnero : Nous aussi on aime la nourriture, la bonne nourriture.
Anca Luca : Non seulement j’aime la nourriture, manger, mais la diversité, les goûts, les goûts différents, ce que les gens mangent là-bas. La nourriture, en réalité, c’est un moment de partage parce qu’on mange avec d’autres gens, on discute avec eux, on mange en famille ou on mange, avec des gens qu’on ne connaît pas, les plats de leur pays, par exemple, de leur culture, et on découvre pas mal de choses. C’est donc cette diversité qui est dans la nourriture qui me plaît.
J’avais découvert ce projet-là dans des salons du Libre. Stéphane Gigandet, le fondateur de la base de données, venait sur les salons. Il y avait toujours de la bouffe sur les stands. Je pense que la première fois j’y suis allée pour voir les fraises Tagada et j’ai découvert ce projet. Je l’ai croisé plusieurs fois avant de rentrer dans le projet, on va dire, et, à un moment, donné quelqu’un m’a ajoutée sur un chat
Magali Garnero : Est-ce qu’on peut dénoncer ?
Anca Luca : On va dénoncer, parce que ce n’est pas une dénonciation – plein de mots anglais me viennent, je vais essayer de trouver les mots français qui correspondent –, c’est plutôt un hommage à Pierre Slamich et à son travail pour construire des communautés, trouver des gens, ajouter des gens, inclure des gens dans des projets. C’est assez spectaculaire de voir comment ça se passe, ça passe par plusieurs méthodes, plusieurs techniques, et il arrive à trouver pas mal de gens, il arrive à les inclure dans les projets. Ça doit être lui qui m’a ajoutée sur un chat du groupe et, sur ce chat, j’ai découvert qu’il était annoncé « il y aura une contribution à la FPH », c’était plutôt sous forme de spam ! Il se trouve qu’à un moment donné, un soir de novembre, j’ai décidé d’y aller, j’ai décidé d’aller rencontrer les gens qui faisaient l’application. J’avais déjà un compte, je contribuais déjà à des produits, je scannais déjà des produits. La manière dont ça se passe c’est qu’on scanne les codes-barres des produits alimentaires avec son téléphone mobile, on retrouve les informations et, s’il y a des informations manquantes, on les copie des étiquettes des produits. À l’époque on les copiait, aujourd’hui on fait mieux : on prend des photos, on laisse le robot faire ; la technologie est passée à une autre époque depuis dix ans.
Magali Garnero : C’est merveilleux !
Anca Luca : Je suis allée aux soirées de contribution, je pense que je n’ai pas écrit une ligne de code de contribution. À cette occasion, j’ai également découvert qu’écrire du code sur un coin de table, ce n’est pas mon super pouvoir, pas sur un coin de table !
Magali Garnero : Directement sur le clavier avec un ordinateur.
Anca Luca : J’écris du code pour la prod, direct, j’ai envie de dire.
Magali Garnero : Tu ne testes pas, tu as confiance !
Frédéric Couchet : Peux-tu expliquer ce qu’est la prod ?
Anca Luca : La prod, c’est ce qu’on appelle la production, c’est le serveur de production, c’est-à-dire ce qui va être utilisé directement par les gens. Il n’y a pas de prototype, il n’y a pas de test : c’est un petit essai, on verra si ça marche ou pas ; la prod c’est le truc qui doit tenir debout. En fait je teste, je ne mets pas en prod du code que je ne teste pas, mais, justement parce que je teste, on ne peut pas le faire sur un coin de table, on ne peut pas le faire en 30 minutes. Ça va prendre trois heures parce qu’il y aura toutes les vérifications nécessaires, plus trois couches supplémentaires de vérifications de la vérification.
Magali Garnero : Les soirées de contribution ne duraient pas trois heures !
Anca Luca : Exactement, c’était bien ça le problème.
À cette occasion-là, j’ai découvert que mon super pouvoir n’est pas celui-là, du code écrit vite, un prototype, etc. Par contre, le projet me plaisait beaucoup, j’ai fait des présentations du projet, de la communication autour du projet, j’ai tenu des stands. Nous sommes allées ensemble au Village associatif à Beauvais, je ne me rappelle plus ce que c’était.
Magali Garnero : C’étaient Les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, à Beauvais.
Anca Luca : Les Rencontres Mondiales ? C’est possible. Je ne me souviens plus quel événement c’était.
Magali Garnero : Ça dépend si les bonbons c’étaient des Tagada ou des bananes ou des…
Anca Luca : J’ai tenu beaucoup de stands, j’ai fait des présentations, je suis restée proche du projet. À la base, je voulais contribuer du code, des fonctionnalités autres que ce que je faisais potentiellement au travail, on va en parler plus tard, et c’est devenu plutôt de l’activité beaucoup plus de communication qu’autre chose.
Magali Garnero : C’est vrai que pendant les Soirées de contribution on passait une heure à discuter en mangeant et puis on passait une heure à discuter sans manger.
Anca Luca : On passait dix minutes à scanner tous les produits que les gens apportaient.
Magali Garnero : Tu venais avec tes courses.
Anca Luca : On venait avec un petit goûter, on scannait tout et après on mangeait.
Magali Garnero : On mangeait avant, après. C’est vrai que j’ai goûté des choses assez originales, y compris des produits qui ne venaient pas de France puisque la base de données est assez vaste. Je me souviens de bonbons infects, je me souviens de petits gâteaux, avec inscriptions sur les boîtes en langue étrangère. C’est mémorable.
Anca Luca : OK. On ne va pas nommer de pays, on ne va pas insulter la cuisine d’autres pays.
Magali Garnero : Dans combien de pays cette base de données existe-t-elle ?
Anca Luca : Tous les pays. Je ne connais pas le nombre de produits dans chaque pays. Le principe du projet c’est d’être un projet international et mondial. Il n’y a pas besoin de faire quelque chose de spécifique pour que ça soit applicable dans un autre pays : on scanne un produit, on dit qu’on l’a acheté là-bas et ça devient le premier produit de là-bas.
Il y a une carte. Je me souviens d’une carte qu’il y avait sur le site, avec les pays en couleur en fonction du nombre de produits dans chaque pays. Effectivement, la France était en bleu le plus foncé qu’on avait, mais je pense qu’il n’y a pas d’endroits blancs, peut-être la Corée du Nord, uniquement, je ne sais pas si quelqu’un a scanné des choses de Corée du Nord. Je ne sais pas s’il y a un truc à scanner, si ça se trouve ils n’ont pas de code-barres, je ne sais pas comment ça marche.
Magali Garnero : On ne sait pas. Si quelqu’un sait, qu’il n’hésite pas nous le dire sur le chat de l’émission, comme ça on pourra apporter cette information à tout le monde.
Tu dis que tu ne faisais pas de code, que tu faisais beaucoup de communication, mais j’ai cru voir, dernièrement, que tu fais plus que de la communication, que tu as un poste assez enviable.
Anca Luca : Oui. Il s’est passé des choses entre-temps, d’ailleurs c’est assez beau comme histoire. Entre-temps, le projet Open Food Facts, qui est une association loi 1901 pour raconter un peu le la structure juridique, a eu des financements, des projets financés, des sous pour financer le développement de ce projet qui, à la base, au début, était complètement 100 % bénévole. Il y avait zéro revenu, tout était collecté par les contributeurs qui installaient l’application, qui scannaient les produits et qui remplissaient la base de données d’Open Food Facts de produits.
On a eu des financements, donc on a eu un peu de budget. Une des premières questions qu’on s’est posées c’était comment avoir une équipe permanente, plutôt dans le sens de rémunérer les gens qui passaient déjà tout leur temps à faire ça. Il y avait déjà des gens, dans le projet, qui n’avaient pas vraiment d’autre activité ou qui avaient peu d’autres activités en dehors d’Open Food Facts, qui passaient donc beaucoup de leur temps quotidien à travailler pour ce projet, à mettre leur énergie dans ce projet, et qui n’étaient pas rémunérés par le projet. On s’est dit que cela restait quand même un peu fragile : si jamais ces gens-là ont besoin de manger, comme tout le monde, ils vont devoir prendre un job, ils vont avoir moins de temps, etc. Donc, si on peut les rémunérer pour créer un commun et cela fait partie de mes convictions : pour moi il n’y a pas de commun, il n’y a pas d’open source, il y a pas de Libre qui puisse se matérialiser avec de l’eau claire, ça ne peut pas marcher ce n’est pas sustainable ! Beaucoup de risques sont associés au fait qu’on laisse les communs être produits par des gens qui font ça sur leur temps libre.
Magali Garnero : D’accord. Du coup, vous avez embauché des salariés ?
Anca Luca : On s’est posé la question : comment avoir une équipe permanente ? Dans les statuts de l’association, le président ne peut pas être rémunéré, Stéphane a donc dû laisser son poste de président. Le prochain sur la liste, bien placé parce que très actif dans l’association à l’époque, était Pierre, il était aussi sur la liste des personnes à embaucher, donc pas lui non plus comme président. Il y avait besoin d’un président, je me suis donc présentée aux élections et je suis présidente d’Open Food Facts depuis, je ne me souviens vraiment pas, ça doit être 2017/2018.
Magali Garnero : Avant le Covid.
Anca Luca : Avant le Covid ! Oui ! Carrément !
Magali Garnero : D’accord. Du coup, tu deviens présidente pour que Stéphane et Pierre soient embauchés. Vous avez d’autres salariés depuis ?
Anca Luca : On a beaucoup d’autres salariés depuis parce qu’on a eu aussi beaucoup d’autres financements. On a eu un très gros financement de la part d’un acteur qui fait partie des GAFAM, dont on ne va pas prononcer le nom, par son programme de financement des communs. En fait, ce n’est même pas un programme, on va prononcer quand même le nom, Google.org Impact Challenge, c’est un projet qui vise à financer des associations qui ont un impact sur le monde.
Magali Garnero : Qui vont changer le monde !
Anca Luca : Exactement, qui changent le monde, qui rendent le monde meilleur. C’est un peu grand comme ça, mais ça correspond au personnage, à sa vision, on va dire.
On a donc eu un financement, ce n’était pas notre premier financement. Par exemple, Santé publique France était avec nous, c’est un de nos premiers financeurs avec lequel on a travaillé quasi depuis le début. On avait donc déjà des acteurs en France qui nous faisaient confiance.
Le financement par Google.org Impact Challenge a été assez spectaculaire et nous a permis d’avoir une équipe permanente assez intéressante et, aujourd’hui, ils font un travail extraordinaire chez Open Food Facts. Je dis « ils font » parce que je suis présidente, mais que ce soit très clair, à part signer des papiers, je ne bosse pas, ce sont les permanents qui font la plupart du travail, les permanents et les contributeurs. Donc, tout ce que vous voyez comme résultats sur Open Food Facts, c’est le travail des permanents d’un côté et des contributeurs bénévoles qui contribuent dans la data sur leur temps libre, qui corrigent de la data, de la donnée.
Frédéric Couchet : Je vais faire un peu de bruit, je vais me lever pour mettre le chauffage. Le directeur d’antenne de la radio me rappelle qu’on peut allumer chauffage.
Magali Garnero : Est-ce que tu aurais une idée du nombre d’employés et de contributeurs/contributrices qui participent à ce projet ?
Anca Luca : Non, je n’ai pas préparé le sujet, je suis désolée.
En termes d’employés, je pense qu’on doit être à 7/8/10, quelque chose comme ça. Il y a des CDI, il y a des CDD. On essaye de voir comment transformer tout ça en CDI, de préférence.
Le financement d’un tel projet c’est un sujet, d’ailleurs, le financement du Libre, de l’open source et des communs est un sujet qui m’intéresse beaucoup. Une sorte de justice, dans le monde, doit être restaurée : mettre de l’ordre dans les choses et dans les valeurs du monde doit être fait par le financement du Libre et des communs. On va peut-être en parler plus tard. Le fait que l’open source soit gratuit ou que le Libre soit gratuit…
Magali Garnero : C’est indispensable !
Anca Luca : C’est peut-être indispensable, mais c’est aussi un piège. La gratuité veut dire que, potentiellement, on ne reconnaît pas le fait que des gens bossent pour faire ça, pour rendre ça possible. Des gens travaillent pour rendre ça possible, si on dit que ces gens-là vont travailler sur leur temps libre, qu’ils ne sont pas rémunérés, que c’est gratuit, ça enlève la valeur, ça enlève fondamentalement la valeur de ces choses-là et de ce travail, pourtant, il y a probablement bien plus de valeur dans ce travail-là que dans un travail très rémunéré qui n’est pas Libre ou qui est dans un autre contexte. Pour moi, il est important d’établir cette relation entre le financement et le résultat qui est le code libre : il y a une chaîne entre les deux et que cette chaîne fonctionne pour, justement, reconnaître la valeur de ce qui est produit.
Magali Garnero : La valeur du travail, en fait.
Anca Luca : Oui. C’est philosophique ! Du travail ou de ce qui est produit ?
Magali Garnero : Vu que le mot « travail » vient de « souffrir », effectivement, ce qui est produit.
Anca Luca : C’est une bonne question, c’est-à-dire que si les gens mettent de l’énergie, mais n’arrivent pas à un résultat tangible, ou mettent de l’énergie dans l’exploration d’une nouvelle idée qui ne mène nulle part, est-ce que cette énergie-là mérite rémunération ou pas vu qu’il n’y a pas de résultat ? Probablement oui, parce qu’il y a quand même un résultat quelque part, il y a un effort, il y a une énergie, quelqu’un a mis son être pour essayer de produire quelque chose.
Magali Garnero : Je me pose souvent cette question : toi, jeune femme, dans les années 2010, tu viens dans cette communauté libriste pour rencontrer les gens d’Open Food Facts, qu’avais-tu comme bagage scolaire, diplômes et compagnie, pour avoir ce courage-là ?
Anca Luca : Le courage ! Hou !
Je viens de Roumanie, je suis Roumaine, d’ailleurs j’aime bien dire que je suis Roumaine plutôt que je viens de Roumanie. Je considère que je suis Roumaine ou Française ou autre chose à partir du moment où je n’ai pas besoin qu’on m’explique la culture de ce pays-là, la culture et la société. J’ai vécu en Roumanie jusqu’à 26 ans, donc je n’ai pas besoin qu’on m’explique quoi que ce soit. Je comprends, je sais, j’ai les références, j’ai les blagues, j’ai la langue, j’ai tout ça.
J’ai fait toutes mes études là-bas, j’ai fait des études à l’université – le système est complètement différent, d’ailleurs je ne comprends pas le système français des études et tout ça, les écoles, les universités, les trucs, c’est compliqué ! J’ai donc fait des études d’informatique à l’université, en Roumanie, quatre ans, puisque ce n’était pas aligné avec le système européen, donc j’ai fait quatre plus deux années de master. Lors de ma deuxième année de master, j’ai fait un échange Erasmus. Erasmus c’est génial ! J’ai fait un échange Erasmus à l’Université de Strasbourg, donc j’ai eu ce contact avec la France, mais, même avant ça, j’avais commencé à travailler pour une boîte française, on va peut-être parler de ça après, donc j’avais des contacts avec la culture française.
J’ai fait cet échange Erasmus à Strasbourg, j’ai fini mes études en Roumanie, j’étais assistante travaux pratiques à l’université, en Roumanie, dans ma fac, sur les sujets de technologie web.
Mes études ce sont ces études d’informatique. C’est une informatique très logiciels et théorique. On n’a jamais soudé deux circuits ensemble. Pas de matériel du tout, on a fait plutôt maths, algorithmique et logiciels.
Magali Garnero : D’accord. Donc tu développes des logiciels ? Tu maintiens des logiciels ? Pour les noobs, pour les gens qui ne connaissent rien en informatique, que fais-tu exactement ?
Anca Luca : À la base, je suis développeuse, c’est mon métier. Je développe des logiciels et après, de ce métier-là, on évolue dans différentes directions en fonction de son travail, de son poste, de la situation et de ce qui plaît, finalement. Donc mon métier, aujourd’hui, c’est architecte de solutions chez XWiki SAS. On va peut-être en parler après.
Magali Garnero : Après la pause musicale. Je ne sais pas dans combien de temps tu veux lancer la pause musicale.
FrédéReic Couchet : Tout dépend si vous voulez une pause ou pas.
Magali Garnero : On fait une pause musicale.
FrédéReic Couchet : Dans cinq/six minutes.
Magali Garnero : D’accord. Du coup, on parlera de XWiki après. Je reviens sur Open Food Facts, est-ce que vos employés continuent à biper des codes-barres ou à photographier des paquets de produits alimentaires ?
Anca Luca : Les employés et les contributeurs également : on bipe, on photographie, on fait toutes ces choses-là. Depuis quelques années, on a aussi créé une plateforme producteurs sur laquelle les producteurs de l’alimentaire peuvent venir contribuer avec leurs données, parce que eux ont déjà les données, la liste des ingrédients de tous les produits qui sont produits par une marque, le jambon par exemple. On a voulu mettre en place cette plateforme et on l’a mise en place. D’ailleurs, c’était un financement de projet par un de nos partenaires — je me demande si ce n’était pas Santé publique France, j’espère que je ne me trompe pas —, pour construire cette plateforme producteurs sur laquelle les producteurs peuvent venir et contribuer directement à la base de données. On a donc réussi à convaincre les producteurs à venir contribuer à une base de données libre.
Magali Garnero : C’est génial ça !
Anca Luca : C’est génial. Le projet Open Food Facts, pas uniquement, d’autres projets, dont je vais pas prononcer le nom, ont contribué à ce changement du regard sur l’alimentation. On a insisté, on a toujours tenu à ce côté libre et à ce côté facts finalement. On peut faire plein de choses avec la donnée, ce qui est important c’est de l’avoir et de l’avoir en Libre avec le droit de l’utiliser et le droit de faire des choses avec. C’est donc cela qu’on a construit. Plein de changements sont liés à toutes les discussions qu’on a eues ces dernières dix années autour de l’alimentation et Open Food Facts a contribué à ça, a contribué à ce changement de regard, surtout par le Libre : la donnée appartient à tous, on a tous le droit de l’utiliser, il faut qu’elle existe sous une forme qui permet à tout le monde de l’utiliser. Et les producteurs viennent, ils contribuent et ils enrichissent la base de données.
Magali Garnero : Est-ce que vous savez combien de personnes utilisent votre base de données libre ? Est-ce qu’il y a un moyen de savoir ? Est-ce que des gens s’en vantent ? Des gens pas bien l’ont fait ?
Anca Luca : Utiliser la base ? Des applications ont utilisé la base, par exemple l’application Yuka qui est connue un peu partout, qui a été très connue, il y a eu plein de téléchargements, plein d’installations, plein de présence dans la presse et dans les médias. À la base, cette application a été construite sur notre base de données libre. Comme la licence de la base de données libre dit qu’à partir du moment où on construit des données, où on ajoute des données par-dessus des données libres, ces données qu’on ajoute par-dessus doivent également être libres, ça a permis d’enrichir la base de données. Donc la licence libre, la licence ODbL nous a aidés ou a aidé, on va dire, les communs à être enrichis par tout utilisateur potentiel de la base de données. C’est pour cela que c’est intéressant d’avoir une bonne licence.
Magali Garnero : Effectivement.
Frédéric Couchet : Avant la pause musicale, on va juste préciser : ODbL, Open Database License, donc licence de données ouvertes. Voulez-vous ajouter quelque chose avant la pause musicale ? Tu es la cheffe, Magali.
Magali Garnero : Je sais Fred ! Tu peux lancer la musique.
Frédéric Couchet : OK. Avant la musique, avant que j’oublie, si vous voulez en savoir encore plus sur Open Food Facts, je vous renvoie l’émission 44 de Libre à vous ! avec, déjà, Anca Luca et Pierre Slamich, c’était en 2019, c’est sur libreavous.org/44.
En attendant, on va faire une pause musicale. Nous allons écouter I Did the Thing I Said I’d Never Do par Chris Zabriskie. On se retrouve dans deux minutes dix. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : I Did the Thing I Said I’d Never Do par Chris Zabriskie.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter I Did the Thing I Said I’d Never Do par Chris Zabriskie, disponible sous licence libre Creative Commons Atttribution, CC By 4.0.
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Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre notre sujet principal, toujours avec Anca Luca, directrice technique de l’équipe service client chez XWiki, présidente bénévole d’Open Food Facts, qui a été bien abordé avant la pause musicale, interview menée par la présidente de l’April, Magali Garnero.
Magali Garnero : Du coup on revient à toi. Tout à l’heure tu as dit que tu faisais Erasmus en France, à Strasbourg, mais que tu avais déjà travaillé pour XWiki.
Anca Luca : Oui. Pas tout à fait à la fin de mes études, à la fin de ma licence, en Roumanie. XWiki SAS existait déjà depuis 2003, c’est une société qui fournit des services et édite le logiciel libre XWiki que vous pouvez retrouver sur xwiki.org, si vous voulez voir de quoi on parle et ce que c’est, on pourra peut-être raconter ça aussi, donc la société existait déjà et par un programme d’échanges sur l’open source, le Google Summer of Code organisé par Google, les gens de France, qui faisaient ce logiciel, ont rencontré des gens en Roumanie, des étudiants. Il se trouve que c’étaient mes profs à l’université ; c’étaient des étudiants en master qui faisait les TP, qui étaient assistants travaux pratiques à l’université.
Étonnés par la qualité et le prix bas de ces personnes-là, les dirigeants de la société en France, enfin le dirigeant puisqu’il n’y avait pas grand monde en France non plus, il y avait deux/trois personnes.
Frédéric Couchet : Tu peux même donner son nom, on l’a déjà invité dans l’émission.
Anca Luca : Je peux donner son nom, Ludovic Dubost, a dit : « C’est super intéressant, est-ce que vous avez d’autres copains comme vous qui sont méga-compétents et pas chers ». Donc XWiki Roumanie est née d’une opportunité, je le dis toujours. C’est très important de comprendre que XWiki n’a pas cherché à ouvrir une filiale en Roumanie, c’était une sorte de chance, une rencontre à travers les pays par l’Internet qui a fait que XWiki a ouvert un petit bureau de trois/quatre personnes en Roumanie.
Magali Garnero : Et ces trois/quatre personnes, c’étaient tes profs ?
Anca Luca : C’étaient deux collègues, moi et mon prof de TP.
Magali Garnero : Donc tu commences à travailler pour XWiki en Roumanie.
Anca Luca : Je commence à travailler pour XWiki en Roumanie, c’est mon premier travail. Il y avait d’autres offres, mais j’ai choisi ce travail-là parce que c’était open source, c’était vraiment exotique, ça n’existait pas et je pense que même aujourd’hui ça n’existe pas. On nous a parlé d’open source à l’université, on savait ce que c’était, c’était très intéressant. Le fait de pouvoir faire de l’open source et d’être payée pour ça, c’est quand même étonnant.
En plus de ça, c’était une plateforme web qui, pareil, était quelque chose d’exotique, je parle de 2008, en Roumanie. Pour nos auditeurs plus jeunes, en 2008, tout ne se passait pas dans le navigateur, tout ne se passait pas sur Internet. Il y avait toujours des logiciels classiques, des choses comme ça, il y avait donc une application web qui n’était pas un site de présentation où on met trois images et quatre textes, c’était extrêmement rare. En Roumanie, tout ce qui était travail dans le Web c’était plutôt pour faire de l’agence web, de la présentation, des images, des textes, etc. Faire une application web c’était donc quelque chose d’extraordinaire, j’étais plutôt de ce côté-là de la technologie informatique, le Web me plaisait beaucoup, je voulais faire ça. Donc faire une application et, qu’en plus, elle soit open source c’était vraiment extraordinaire.
Donc, quand on m’a proposé ça, j’ai dit « forcément je vais faire ça, les autres offres ne m’intéressent même pas, je veux faire ça ». Mes profs de TP étaient des personnes qu’on appréciait beaucoup, ça m’a donc aussi aidée à faire ça.
En Roumanie, la structure a pris un certain temps pour se créer du point de vue légal, je pense qu’on a travaillé deux mois sans salaire !
Frédéric Couchet : Vous étiez vraiment pas chers, en fait !
Anca Luca : Nous étions vraiment, on va dire, bon marché. La Roumanie a beaucoup changé depuis. J’ai commencé à travailler pour XWiki en Roumanie en 2007. À l’époque, elle était tout juste en Europe, elle est entrée en Europe en 2007 et, très peu de temps après, je suis partie à Strasbourg, avec Erasmus, et j’ai rencontré mes collègues de XWiki France et toutes ces choses-là.
Magali Garnero : Du coup, tu pars pour Strasbourg, tu t’y installes pour tes études et, à la fin de tes études, tu obtiens un diplôme.
Anca Luca : C’était un semestre de mon master. J’ai donc mon diplôme de master Systèmes distribués, en Roumanie. Je donne ensuite des TP aux étudiants à l’université, j’apprends beaucoup de choses sur la pédagogie.
Magali Garnero : Forcément, il faut que tu encadres des petits jeunes !
Anca Luca : Pas des petits jeunes, des personnes qui avaient deux ans de moins que moi, même pas en fait. La première année c’était assez spectaculaire parce que moi j’étais master 1 et eux étaient en dernière année de licence. C’étaient des gens que je rencontrais dans le campus, dans les bâtiments des étudiants et, le lendemain, ils étaient mes étudiants et je devais les évaluer ! Bon ! Mais j’ai appris beaucoup de choses sur la pédagogie, j’ai appris beaucoup de choses sur la façon dont on explique les choses aux gens, comment les gens comprennent des concepts, comment on structure, on va dire, un apprentissage, un cours, quelque chose comme ça. J’observais comment ça marchait pour les gens, pourquoi ça ne marchait pas, etc. Je ne savais pas que ça m’intéressait autant, j’ai passé toute ma vie étudiante à expliquer beaucoup de choses à mes collègues, ça m’a beaucoup aidée. D’ailleurs, si vous voulez progresser sur un sujet, trouvez des moyens à devoir l’expliquer aux autres et ça marche parfaitement, ça marche très bien pour bien comprendre un sujet, maîtriser un sujet. Mais je ne me suis jamais posé la question : comment ça fonctionne en fait, quel est le mécanisme qui fait que quelqu’un va retenir un concept, une réponse à une question ? Cette expérience-là m’a beaucoup aidée après, dans la vie professionnelle, quand je me suis retrouvée à devoir encadrer des juniors. Ça aide beaucoup, ça aide à avoir cette réflexion, à comprendre comment on explique les choses et que ça marche pour les gens.
Donc je finis mon master et, un an après ou deux ans après, je ne me souviens plus, j’ai décidé de déménager en France pour des raisons personnelles, on va dire ça comme ça... par amour !
Magali Garnero : Ah !
Anca Luca : La meilleure raison qui soit. J’ai mis beaucoup de temps. Dans ma tête, je me disais « mais non, il ne faut pas que ce soit pour l’amour, il faut que ce soit pour d’autres choses parce que ce n’est pas sustainable ! ». Comment dit-on sustainable ?
Frédéric Couchet : Soutenable. [Durable].
Anca Luca : Ce n’est pas durable ! Il faut être réaliste, il faut savoir que l’amour vient et passe, passe et vient, vient et passe. Il se trouve qu’il n’est pas passé, donc c’est très bien !
Magali Garnero : C’est bien ! Ça continue encore !
Anca Luca : Je ne voulais pas que ça soit pour ça, mais c’est bien.
J’ai aussi trouvé que la manière dont fonctionnait la société française, pas la société mais les gens très individuellement — en tant que société, ça m’intéresse plus ou moins —, me correspondait, d’une certaine manière : les valeurs, la manière dont les gens fonctionnent, comment les gens interagissent les uns avec les autres. C’est très important parce que ça fait partie de la vie, c’est le quotidien de la vie, c’est ce qui donne, ou pas, le bonheur, ce qui crée le bonheur, d’une certaine manière.
Beaucoup de gens déménagent à l’étranger de Roumanie, je pense que c’est le deuxième pays après la Syrie, et ils sont en guerre, les pauvres. Nous on a aucune guerre, on se casse de notre pays, c’est triste mais c’est comme ça ! Donc plein de gens déménagent. Un copain avait déménagé en Angleterre et nos copains, quand ils ont appris la nouvelle, ont tous dit : « Ça lui correspond parfaitement, c’est une culture qui lui correspond, il est british, il est britannique. »
Magali Garnero : Il boit du thé !
Anca Luca : Oui, par exemple, il buvait du thé, des choses comme ça !
Magali Garnero : Et toi, c’est la France qui te correspondait.
Anca Luca : Exactement. En me faisant cette réflexion, je me suis dit « la France me correspond, correspond à comment je suis. »
Magali Garnero : Du coup, tu bosses pour XWiki. Qu’y fais-tu exactement ? À priori, tu dois faire du code, peut-être pas sur un coin de table !
Anca Luca : Je fais du code, pas sur un coin de table !
Aujourd’hui je suis architecte de solutions. Pour expliquer cette partie-là, il faut expliquer que XWiki est un logiciel libre qui permet de faire des wikis, donc des bases de connaissances, de partage de connaissances.
Magali Garnero : Un peu comme Wikipédia.
Anca Luca : Un peu comme Wikipédia mais c’est un autre logiciel. Les fonctionnalités de XWiki sont orientées pour une utilisation en entreprise, pour les gens qui sont dans un contexte professionnel.
Wikipédia, c’est un peu pour les contributeurs geeks qui peuvent utiliser une syntaxe. Les wikis, à la base, étaient pour les gens geeks qui pouvaient utiliser une syntaxe pour décorer le texte ou des choses comme ça, XWiki est un logiciel qui est destiné à des utilisateurs qui ne sont pas du tout techniques ; l’idée c’est que tout le monde vienne, contribue avec des données et constitue une base de connaissances des gens qui travaillent ensemble, d’entreprises ou d’équipes d’entreprises, des choses comme ça, justement pour capitaliser les connaissances et profiter de la valeur de l’intelligence commune qui est l’intelligence d’une équipe de gens qui travaillent ensemble.
On fait ce logiciel libre qui permet de faire ce genre de base de connaissances. Beaucoup de gens veulent mettre en place ce genre de base de connaissances dans leur entreprise, mais ils n’arrivent pas à maîtriser le logiciel tout seuls ; ils veulent faire quelques personnalisations, quelques adaptations, la mise en place sur l’infrastructure technologique de leur entreprise, toutes ces choses-là. Pour cela, ils ont besoin d’aide, donc soit ils forment quelqu’un en interne, soit ils font appel à une équipe d’experts qui savent faire ça. Il se trouve que chez XWiki SAS, plein d’experts savent faire ça.
Magali Garnero : Ça tombe bien !
Anca Luca : Donc plusieurs dimensions. Moi je suis sur la dimension accompagnement à la mise en place, donc architecte de solutions : à un moment donné, un client a des besoins, veut faire des choses, a une vision de comment doit se passer le partage de connaissances dans son entreprise, il vient, il signe un contrat, il paie de l’argent, il le raconte à un expert.
Magali Garnero : Il te le raconte !
Anca Luca : Il me le raconte et je ponds, c’est le mot que j’utilise, c’est exactement ça. Ma responsabilité c’est de trouver une solution qui réponde à son besoin. Il y a donc l’écoute du besoin, la compréhension du besoin, l’architecture – c’est pour cela qu’on appelle cela architecte de solutions : l’idée c’est de trouver les composantes techniques qui vont donner une réponse au besoin. L’objectif, finalement, c’est de répondre au besoin par tous les moyens possibles, donc trouver es composants techniques qui vont permettre de le faire : assemblage des composants techniques ; si un bout de code n’existe pas, si une fonctionnalité n’existe pas, on va écrire le bout de code, on va coder la partie qui manque, donc toutes ces choses-là et tout cela en bonne relation avec le logiciel libre qui est édité par XWiki SAS, qui est donc logiciel XWiki.
On va construire ces solutions par-dessus XWiki. L’idée c’est de rapatrier toutes les bonnes idées sur le produit, c’est-à-dire faire avancer le produit à la fois par le financement qu’on apporte, parce que, comme je disais, ils signent un contrat, mais aussi par notre expérience et par ce qu’on voit et ce qu’on constate du problème de partage de connaissances dans l’entreprise.
Magali Garnero : Du coup, j’en conclus que le produit s’améliore au fur et à mesure que vous avez de nouveaux clients qui vont avoir des spécialités différentes et que ce sera, à chaque fois, intégré au logiciel de base.
Anca Luca : Nous avons aussi nos propres idées, les idées des clients ne sont pas intégrées directement, ce n’est pas l’idée, on ne les transfère pas directement. Nos clients nous permettent d’observer ce qui est nécessaire, comment l’utiliser, etc., mais on ne prend pas les idées pour les mettre directement dans le logiciel. On a une gouvernance du produit open source qui est une pure gouvernance communautaire, c’est-à-dire que tout est discuté sur le forum communauté, tous les contributeurs peuvent venir, voir comment les décisions sont prises et participer à la prise de décision. On a donc une gouvernance qui est 100 % open source. Beaucoup de gens qui participent à la communauté sont payés par XWiki SAS, parce que c’est comme ça, mais sinon l’entrée est ouverte, l’observation de ce process est aussi 100 % ouverte. À part le fait que XWiki SAS décide sur quoi travaillent les gens qui sont payés par XWiki SAS, ce qui est tout à fait son droit, le process est complètement en open source.
Magali Garnero : Je rappelle que XWiki est membre de l’April et on l’en remercie.
Frédéric Couchet : Je précise que vous si vous souhaitez en savoir encore plus XWiki, vous pouvez écouter le fameux Ludovic Dubost, dont on parlait tout à l’heure, dans l’émission 57, donc sur libreavous.org/57.
Magali Garnero : Je vais te poser une question que tu n’aimes pas, je le sais, on en a souvent discuté dans les salons : tu es une femme, tu es codeuse, tu es développeuse, tu as quand même une présence, quel est ton sentiment dans notre communauté libriste ? Est-ce que tu as des soucis avec le regard des autres ou pas du tout ? Est-ce que tu ne t’en rends pas compte ? Est-ce que tu te sens placée à la bonne valeur ?
Anca Luca : Malheureusement, je me suis rendu compte que j’étais une femme en informatique quand je suis arrivée en France !
Magali Garnero : Ce n’était pas le cas en Roumanie donc !
Anca Luca : Si, mais très peu. On entend très peu cette idée de métiers de femmes, métiers d’hommes en Roumanie. Je pense que c’est une conséquence des années communistes en Roumanie. Une expression était utilisée : tout le monde devait participer également à l’avancement de la société multilatéralement, développer, un truc comme ça, complètement propagandiste. Par exemple, mes parents, mes grands-parents travaillaient tous dans les usines pour le développement. Il n’y avait pas de métiers d’hommes, de métiers de femmes, tout le monde devait contribuer pareil.
De ce fait, cette idée que ce métier est un métier d’hommes, ce métier est un métier de femmes, a un peu disparu en fait. On n’en a pas parlé, je n’ai pas entendu « tu vas faire une école technique, tu vas fait une école d’informatique, ce n’est pas un métier de femmes, tu es sûre que tu veux faire ça ? Tu es sûre que tu ne veux pas choisir autre chose ? », je n’ai pas entendu ça. Si, je l’ai entendu, mais j’ai fermé mes oreilles, je n’ai pas voulu l’entendre, je l’ai entendu un tout petit peu. Il y avait cette légende urbaine qu’en binôme, les filles font le café, les garçons font le code. Bref !
Magali Garnero : Ce n’est pas ce que tu constatais !
Anca Luca : Non, en binôme je faisais le code et je me faisais faire le café, pour les peu de binômes que j’ai faits, c’était plutôt moi qui faisais le code.
Donc, je ne l’ai pas trop entendu. Par contre, en arrivant en France, on va dire dans le monde technique, j’ai peur d’avoir commencé à entendre ces discussions de femmes dans la technologie, en fait quand ça commençait déjà à être mieux. Je me souviens d’être allée au FOSDEM en 2008, le Free and Open Source Software Developers’ European Meeting, une grande conférence libre à Bruxelles qui a lieu chaque février avec des libristes de toute l’Europe et aussi du monde entier, il n’y avait pas de sanitaires femmes.
Magali Garnero : Il y avait des urinoirs hommes.
Anca Luca : Ça se passe à l’Université libre de Bruxelles, les locaux de l’université avaient déjà des étiquettes sur leurs sanitaires : les hommes étaient restés hommes, on les avait gardés, et, pour les toilettes femmes, c’était un papier mis par-dessus, marqué « mixte ». Il y avait tellement peu de femmes, qu’ils avaient redirigé un peu le truc sans se poser de questions. C’était en 2008 ; aujourd’hui, ce n’est plus possible de faire ce genre de choses. À l’époque, on parlait très peu du fait qu’il y ait peu de femmes, on n’en parlait pas tant que ça. Aujourd’hui, on en parle beaucoup.
Mon problème avec ça, c’est que nous sommes tous des professionnels de l’informatique, je préfère être regardée comme ça. Quand on me voit et qu’on m’entend parler, je préfère qu’on me regarde et qu’on m’écoute comme quelqu’un qui parle d’un sujet qu’il maîtrise, quel que soit le genre de la personne qui parle qui est très peu, pas du tout relevant.
Magali Garnero : Qui ne devrait pas rentrer en compte !
Anca Luca : Qui ne change rien au fait que ce que je dis sur l’informatique a du sens ou pas. C’est mon code. Il y a des gens qui vont dire « ça, c’est du code de femme ! ». Ça n’existe pas ce truc-là ! Je ne sais pas de quoi les gens parlent ! Je préfère qu’on regarde les gens comme des professionnels et qu’on arrête de parler de ce sujet-là.
Si je propose, aujourd’hui, des sujets pour une conférence et que je suis acceptée pour parler, ce qui me gêne beaucoup c’est que j’ai toujours une voix au fond de ma tête qui se demande : tu es sûre que tu parles parce que les gens ont envie d’écouter ce que tu dis ou es-tu là pour augmenter le nombre de femmes du programme parce qu’ils ont besoin de remplir des quotas ? Et c’est très mal. C’est extrêmement mal !
Magali Garnero : Ça te met mal à l’aise.
Anca Luca : Ce n’est pas que ça me met mal à l’aise, mais si j’ai ce doute, les gens qui voient des femmes au programme ont également ce doute et se disent « est-ce qu’elle est là parce qu’elle va dire un truc intéressant ? », pas de moi, mais de qui que ce soit d’autre. Est-ce qu’elle est là parce qu’elle a quelque chose d’intéressant à dire ou est-ce qu’elle est là parce qu’on a rempli des quotas ? Donc, on ne va pas aller la voir parce que, peut-être, elle ne va rien dire d’intéressant, puisqu’elle est là pour remplir des quotas, et ce n’est pas bien de faire ça !
Je pense, mais je me trompe peut-être – il y a quand même des avantages à la discrimination positive –, que ce serait peut-être plus intéressant de ne pas parler de genre du tout, dire « quel qu’il soit, ton genre ne nous intéresse pas », dans un sens comme dans l’autre.
Frédéric Couchet : Petite question. Aujourd’hui, sur les appels à conférences, en général on remplit une petite biblio avec nom, prénom, bio, est-ce que tu serais en faveur, est-ce que tu suggères de faire des appels à conférences, quelque part, anonymes, où il n’y aurait que le sujet qui soit présenté ?, même s’il est difficile de rester anonyme, si je vais me présenter pour expliquer XWiki, par exemple.
Anca Luca : Il y a une difficulté à ça. Je comprends tout à fait que les gens qui sélectionnent des conférenciers pour des conférences aient besoin d’avoir une idée de la capacité de cette personne à présenter des choses en public. S’ils veulent que ça soit intéressant, je peux comprendre qu’ils cherchent les gens sur Internet pour voir comment ils parlent Je le ferais ! Si je devais sélectionner, je regarderais qui est cette personne, où elle a parlé avant, etc.
Au FOSDEM, on parlait un peu de tout, tout le temps, et c’était, parfois, un peu une loterie. On allait pour un sujet hyper-intéressant et la personne qui présentait n’était pas du tout intéressante, c’était mal présenté, c’était mal fait. Je peux tout à fait comprendre qu’on veuille vérifier qui va venir, qui va parler, quelles sont ses capacités de public speaking, d’orateur ou d’oratrice de la personne qui présente.
Je veux juste qu’on arrête de parler de ça. En fait, ce n’est pas avec l’anonymisation qu’on va arrêter de parler du sujet, il faut juste le sortir de sa tête, se dire : ce n’est pas relevant, le genre des gens ne nous intéresse pas. Arrêtez de regarder quelqu’un et de voir, d’abord, le genre de la personne. Il y a plein de choses intéressantes sur les gens et, surtout, beaucoup de gens ne s’identifient pas de manière binaire.
C’est déjà une horreur absolue pour ces gens-là, on les regarde et on essaye de dire : quel est le genre de cette personne ? Je m’identifie de manière binaire, mais ça me gêne quand même qu’on me regarde, qu’on essaie de voir quel est mon genre et qu’on essaye de me mettre une étiquette avec des à priori, des trucs, des idées et des pensées dans la tête à base du genre qu’on a identifié en me regardant.
Magali Garnero : On a eu cette conversation à Toulouse, cette année, au Capitole du Libre. L’année dernière, cet événement avait été pointé par des participantes, comme quoi il n’y avait pas d’oratrices en nombre suffisant. Cette année, dans le comité de choix du programme, il y avait des filles et des mecs. Ils avaient essayé de bien équilibrer le comité et on choisissait – je dis « on » parce que j’ai la chance d’en faire partie – les conférences. Je ne me souviens pas qu’on ait dit « on va prendre cette conférence-là parce que c’est une fille, même si on sait que c’est nul ». Je pense qu’il y a quand même une barrière, une exigence de compétences de l’orateur ou de l’oratrice. Je pense que si tu disais de la merde, tu ne serais pas acceptée ! Je ne dis pas ça pour te rassurer, je dis juste que les gens qui font un programme veulent quand même un bon programme.
Anca Luca : C’est vrai que ce que je suis en train de dire manque légèrement de respect pour les gens qui font les programmes, ils vont faire du bon travail, on leur fait confiance quand même, ils vont faire du mieux qu’ils peuvent.
Magali Garnero : J’ai confiance en eux, comme ils ont confiance en toi.
Anca Luca : Tout à fait. Après, il y a une très bonne question, pas pour cette émission, parce que ça peut être extrêmement long : pourquoi, l’année d’avant, n’y avait-il pas assez de femmes dans le programme ? Est-ce que c’est parce qu’il n’y a pas eu de propositions ? Ou est-ce que c’est parce que la sélection fait que les projets plus intéressants ou les sujets plus intéressants, ou je n’en sais rien, étaient présentés par des hommes, de façon large, puisque on vient de dire que tout le monde n’est pas binaire ?
Frédéric Couchet : Je n’ai pas la réponse aux questions que tu te poses. À l’époque, il y avait aussi un petit souci : par exemple, des intervenants avaient eu trois ou quatre slots d’intervention ; on peut dire au moins ça. D’un point de vue organisateur, comme tu disais tout à l’heure, pour les personnes qui organisent, c’était rassurant de se dire « je sais comment cette personne parle, elle va bien parler, etc. », mais de là à lui donner trois ou quatre, je sais plus ! En plus, je sais très bien qui c’est, je ne donnerais pas son nom, ce n’est pas pour lui tomber dessus, en tout cas lui donner trois ou quatre slots d’intervention, ça laisse forcément moins de place pour les autres. C’est une des raisons qui faisait qu’en fait… Quand on donne autant de place à une personne, ça limite effectivement pour les autres.
Et ce que tu appelles discrimination positive, quelque part c’est de l’action positive pour essayer de rétablir une discrimination aujourd’hui très forte dans le monde des conférences, même dans le monde de l’informatique libre. Isabelle Collet le dit clairement, elle nous dit que ce n’est pas la solution idéale, mais c’est la seule qui fonctionne aujourd’hui, malheureusement !
Anca Luca : J’admets que je n’ai pas du tout de compétences pour dire si c’est la meilleure solution ou pas. Personnellement, je préfère que les gens ne voient pas mon genre, mais oui, ça passe peut-être par ça, ça passe peut-être par la diversité.
Frédéric Couchet : J’ai une question là-dessus. Récemment, je discutais avec une intervenante qui a vraiment beaucoup l’habitude d’intervenir et qui me disait qu’elle pouvait encore se faire démonter en conférence par des hommes. J’ai été très étonné.
Anca Luca : Ça ne m’est jamais arrivé.
Frédéric Couchet : Ça ne t’est jamais arrivé. D’accord. C’était ma question.
Anca Luca : Ou bien, si ça m’est arrivé, je ne l’ai pas vu comme ça. Tout à l’heure, à la pause, tu m’as posée la question : est-ce que j’ai jamais souffert, dans mon métier, du fait que je sois femme ? J’ai souffert des choses dans mon métier – souffert, c’est vite dit, il y a de la vraie souffrance dans le monde, ce n’est pas dans les métiers de l’informatique, que ça soit très clair !
Frédéric Couchet : Ce sont des souffrances différentes, c’est ta souffrance, donc si.
Magali Garnero : De la frustration, de l’humiliation.
Anca Luca : De la frustration. De l’humiliation non, je n’en ai jamais vécu. Frustration, oui, ou des choses comme ça, j’en ai vécu. Après, est-ce que c’est parce que je suis une femme ? Je n’en sais rien. Probablement non ! Tout le monde vit des choses désagréables. Après, ça dépend à quoi on veut les attribuer.
Des amis roumains sont venus en France quand on a commencé à crier discrimination à base de nationalité partout. Ils ont dit « ils me discriminent parce que je suis Roumain, ils me regardent comme ça parce que je suis Roumain », parce qu’il y a aussi une réputation qui n’est pas extrêmement favorable, en tout cas il y a cinq ans.
Frédéric Couchet : Toujours aujourd’hui !
Anca Luca : Ce n’est pas une super réputation. Donc, des copains criaient à la discrimination et je me suis rendu compte, à ce moment-là, que je n’ai pas vécu une seconde de discrimination et je me suis dit que ça dépend de la façon dont on regarde les choses. Il y aura des choses, il va se passer des choses, après, si tu cherches la discrimination, tu vas voir la discrimination, que ce soit à base de genre, à base de nationalité ou à base de culture. Si tu ne la cherches pas, tu ne la verras pas. C’est un biais cognitif, dont j’ai oublié le nom, qui explique ce phénomène-là, le biais de confirmation.
Magali Garnero : D’accord. On peut donc se mettre des œillères pour ne pas avoir la discrimination ?
Anca Luca : Ce ne sont pas des œillères : on ne sait pas s’il y en a ou pas. Je ne peux pas savoir ce qu’il y a dans la tête de quelqu’un d’autre, d’un collègue homme qui ne m’écoute pas quand je lui parle. Il ne m’écoute pas quand je lui parle parce que nos méthodes de travail ne fonctionnent pas ou parce que je suis une femme ? Je ne peux pas savoir ! Je ne suis pas dans sa tête, d’ailleurs, si ça se trouve, même lui ne le sait pas. Parfois les choses viennent de la culture, de l’éducation, on ne se pose pas trop de questions sur nos propres biais. Je ne peux pas le savoir. Et si je veux me dire, dans ma tête, c’est parce que je suis femme, je vais me dire qu’il y a de la discrimination partout. Si je veux me dire, dans ma tête, il faut que je comprenne ce à quoi réagit cette personne-là et comment il faut que je pose la question, comment il faut que j’explique le problème pour que ça corresponde à sa méthode de fonctionner, qu’il m’écoute, qu’il me suive, je n’en sais rien, je vais me poser cette question-là et je vais chercher dans cette direction-là et pas dans la direction de « je suis une femme, de toute manière, il ne va jamais m’écouter. »
Magali Garnero : D’accord. Donc, c’est un point de vue. Tu ne vas pas imaginer ce qui se passe dans la tête de l’autre, tu vas essayer de trouver une solution pour qu’il t’écoute.
Anca Luca : On ne peut pas savoir, de toute manière. C’est une vérité, on ne peut pas savoir ce qu’il y a dans la tête de l’autre. On s’imagine ce qu’il y a dans la tête de l’autre. Il ne faut pas s’imaginer la discrimination. Si on s’imagine de la discrimination, il y a de la discrimination partout. S’il n’y en a pas, il n’y en a pas et on cherche d’autres moyens.
Magali Garnero : Ce que tu viens de dire marche aussi avec le complot.
Anca Luca : Ça ressemble. Ça marche beaucoup avec le complot, tout à fait.
Magali Garnero : Est-ce que, du coup, tu voudrais nous dire autre chose sur ta vie de libriste ?
Anca Luca : Oh ! Sur ma vie de libriste ! Cela : la vie dans une entreprise d’informatique qui fait du Libre et l’expérience dans le financement du Libre qui m’a beaucoup appris. Je me suis rendu compte, par rapport à mes aînées étudiantes, que dès que je voyais une mention d’argent sur la page d’un projet open source, je criais au scandale « ah, mais non, ce ne sont pas des vrais ! », parce que je ne comprenais pas, personne ne m’avait expliqué comment ça marche. Globalement, l’amalgame le plus facile, c’est libre = gratuit, on fait beaucoup ce raccourci-là, c’est le raccourci que j’avais quand j’étais étudiante. On m’avait expliqué la licence, mais la licence c’est compliqué et assez technique. Je l’ai vécu dans ma vie professionnelle, chez XWiki, et ça m’a très vite appris comment ça marche vraiment, c’est-à-dire que les boutons « donnez-nous des sous » sur les pages des projets open source, avec des sommes dessus, avaient beaucoup plus de sens tout d’un coup.
Magali Garnero : Il faut cliquer.
Anca Luca : Il faut cliquer. En même temps, ce qui est compliqué, c’est que ce bouton-là ne s’adresse pas vraiment aux étudiants. Ce bouton-là s’adresse aux gens qui ont des budgets qu’ils peuvent dépenser.
Magali Garnero : Les parents des étudiants, les grands-parents des étudiants !
Anca Luca : Les parents des étudiants qui sont cadres dans des grosses entreprises, qui construisent toute leur infrastructure numérique à base de briques libres et qui ne contribuent pas, ni un rond, ni une ligne de code à ces projets libres ; on va dire à ces gens-là. En tant qu’étudiant, effectivement, on n’a pas cinq euros à donner à un projet libre ou à des choses comme ça, surtout en Roumanie.
Ça m’a appris beaucoup sur la façon dont fonctionne le financement du Libre. Ça m’a convaincue que la création de code libre et open source doit s’inscrire dans une économie, quelle que soit cette économie, que ce soit l’économie classique qu’on connaît ou des économies alternatives, des manières de fonctionner alternatives, mais doit s’inscrire dans une dynamique qui permet aux gens de vivre de ça. Donc, on revient à ça : si on met de l’énergie pour produire quelque chose dans le monde, on a tout à fait le droit de vivre de ça et c’est d’ailleurs beaucoup plus intéressant pour l’humanité en général qu’on puisse vivre de ça, que le fait qu’on le fasse sur son temps libre. Pour moi, c’est ça la grande valeur, on va dire, de l’expérience que j’ai dans le Libre ; c’est d’imaginer le monde comme ça, dire que j’ai envie de vivre dans un monde qui fonctionne comme ça.
Magali Garnero : Où chacun peut contribuer à sa manière, soit en donnant de l’argent, soit en donnant du temps, soit en donnant du code.
Anca Luca : Et en vivre : si on fait du code, si on fait des projets, on vit de ça, on peut vivre de ça.
Magali Garnero : On peut vivre de sa passion de faire du code, de maintenir un projet ? On aimerait bien.
Magali Garnero : On peut vivre de sa passion de faire du code, de maintenir un projet ? On aimerait bien.
Anca Luca : Oui, surtout ensemble. Quand on parle de ses contributions et quand on parle de vivre de ça, ce n’est pas forcément par l’argent, ça peut passer par un autre code libre : je fais une brique libre pour faire ça, quelqu’un d’autre fait une brique libre pour faire autre chose ; j’ai un besoin auquel répond la brique libre de l’autre, je l’utilise parce qu’elle est libre, je peux ; lui utilise ma brique, etc. Il y a aussi beaucoup d’échanges et beaucoup de communautés dans cette manière de fonctionner, la manière du partage du Libre ; le Libre représente le partage et permet à tout le monde de vivre heureux. Potentiellement s’enrichir ? C’est une bonne question : est-ce qu’on a besoin de s’enrichir pour être heureux dans la vie ou pour vivre ? Est-ce que ça fait partie du monde ? Pour certains, oui.
Magali Garnero : Pas pour moi, je ne suis pas riche, ce n’est pas ça qui contribue au bonheur !
Anca Luca : Pour certains peut-être oui, je ne vais pas dire que tu n’as pas le droit d’exister si tu veux t’enrichir. S’enrichir dans le respect de l’autre, j’ai envie de dire : si on peut s’enrichir dans le respect de l’autre, c’est génial.
Magali Garnero : Pas mal, du coup, on va s’arrêter là, et on va sûrement continuer à discuter après.
Frédéric Couchet : Vous avez encore deux/trois minutes, si vous voulez ; soit une dernière question, soit un message à faire passer, je ne sais pas.
Magali Garnero : As-tu un petite message à faire passer ?
Anca Luca : Ah, un petit message à faire passer. Je ne sais pas, je n’ai pas préparé de message à faire passer.
Magali Garnero : Moi, j’en ai un. Si vous voulez, vous pouvez donner à l’April, mais vous pouvez aussi adhérer à l’April, j’en profite, je prends ma casquette de présidente. En tout cas, pour ceux qui ne le sont pas encore, n’hésitez pas. Fred.
Frédéric Couchet : Anca.
Anca Luca : J’ai envie de dire quelque chose de plus conclusif sur ce dont on a discuté aujourd’hui, mais je n’ai aucune idée sur comment conclure ça.
Magali Garnero : Mettez en place un wiki. Faites un don à Open Food Facts. Trouvez un produit que personne ne connaît et allez le mettre sur la base de données.
Frédéric Couchet : Venez en France pour bien manger. Je fais le lien entre le début et la fin. J’ai piqué ça à mon collègue Étienne Gonnu qui est sur le salon, qui l’a dit. J’en profite le temps que tu réfléchisses, et puis si tu trouves pas, il y a pas de souci. Marie-Odile, qui est administratrice de l’April et qui s’occupe beaucoup des transcriptions, te félicite pour ce beau parcours. C’est effectivement une des choses qu’on aime bien dans ce Parcours libriste, dans ce format, mettre en valeur des beaux parcours. Même si c’est un format relativement court, 45 minutes, une heure.
Anca Luca : Je vous avoue que je ne trouve pas grand-chose d’extraordinaire à ce parcours, peut-être parce que je le vois de l’intérieur et c’est peut-être pour cela que je ne trouve pas de conclusion.
Magali Garnero : Parce que tu le vois tous les jours, alors que nous, qui le voyons rarement, nous sommes plutôt en admiration.
Anca Luca : S’il y a une conclusion à faire, sur tout d’ailleurs, sur le parcours, sur le changement de pays, venez en France pour bien manger, c’est de ne pas se poser trop de questions sur ce qui est métiers de femmes, métiers d’hommes, juste suivre son envie.
Magali Garnero : Faire ce qu’on aime.
Anca Luca : Oui, faire ce qu’on aime, suivre son envie, ça va mener au bon endroit si on a l’énergie. Je crois beaucoup à l’idée que si on veut retrouver quelque chose dans le monde, il faut le mettre soi-même, parce que, sinon, il n’y a pas moyen qu’il se retrouve dans le monde. Donc, mettez dans le monde ce que vous avez envie de retrouver dans le monde. J’ai envie de retrouver des logiciels libres, je les y mets ; j’ai envie de trouver de la bienveillance, j’essaye d’en mettre ; j’en envie de trouver du respect, j’essaye d’en mettre aussi.
Magali Garnero : Je trouve que c’est une magnifique conclusion !
Frédéric Couchet : Je crois qu’on peut difficilement rêver mieux ! Merci !
C’était Anca Luca, directrice technique de l’équipe service client de la société XWiki, présidente bénévole d’Open Food Facts ; Magali Garnero, présidente bénévole de l’April, dont le métier, la passion, est libraire, qui te permet t’enrichir.
Magali Garnero : On fait ce qu’on aime ! J’ai beaucoup d’épanouissement !
Frédéric Couchet : On a rajouté les références citées pendant l’émission sur la page consacrée à l’émission du jour, donc sur libreavous.org/196. Vous retrouvez les liens vers l’émission qui parle d’Open Food Facts, XWiki, le FOSDEM également. Je rajouterai les liens qui manquent.
Je vous souhaite une belle fin de journée.
Nous n’allons pas faire de pause musicale, nous allons enchaîner directement par le sujet qui suit.
[Virgule musicale]
Chronique « Les humeurs de Gee » - Mickey dans le domaine public
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par la chronique « Les humeurs de Gee ». Gee auteur du blog-BD Grise Bouille, vous expose son humeur du jour : des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique. Le thème du jour : Mickey dans le domaine public.
Bonjour Gee.
Gee : Bonjour Fred. Salut à toi, public de Libre à vous !
Eh bien oui, tu ne rêves pas, tu as bien entendu : Mickey Mouse, la célèbre souris, mascotte du géant de l’entertainment à l’américaine Disney, vient d’entrer dans le domaine de public. Et ça, c’est quelque chose que je n’étais pas sûr de voir de mon vivant. Pourquoi ? Eh bien pour la simple et bonne raison que le délai avant qu’une œuvre n’entre dans le domaine public s’est progressivement rallongé au fil des années, entre autres sous la pression de Disney que l’idée d’un Mickey Mouse dont ils n’auraient plus l’exclusivité faisait frémir.
La durée du copyright, le droit d’auteur américain, est passé de 50 à 75 ans en 1976 puis à 95 ans en 1998 ; la loi de 98 a même été surnommée le Mickey Mouse Protection Act, c’est dire ! Nous étions donc pas mal à nous attendre à des allongements réguliers de ce copyright pour que jamais, ô grand jamais, Mickey n’entre dans le domaine public, et finalement… non. Pas d’extension supplémentaire, et Mickey entre donc dans le domaine public en 2024, 96 ans après ses premières apparitions en 1928, notamment dans le célèbre court métrage Steamboat Willie.
Alors ? Que s’il s’est passé ? Alors, Disney ? On a jeté l’éponge ? On s’est dit « ouais, bof, tant pis, après tout, le profit, ce n’est quand même pas tout dans la vie ». Attends, Disney, ne me dis pas que tu as été infiltré par des libristes ? Des gauchistes du copyleft et de l’Art libre, là ?
À priori, non ! Rassurez-vous ! Chez Disney, on pille tranquillement le domaine public depuis des décennies — on ne compte plus les contes de Perrault, ou autres, adaptés en dessins animés, même notre Victor Hugo national adapté en Bossu de Notre-Dame — mais quand on pond des trucs originaux chez Disney, là, c’est verrouillé, cadenassé, avec des dépôts de marque de partout et carrément des lois sur mesure. Pas touche ! Et ce n’est pas parce que Mickey entre soi-disant dans le domaine public que ça va être la fête du slip pour autant, attention.
Déjà, on dit « Mickey », mais des Mickey, il y en a plein. Celui qui entre dans le domaine public n’est que la première version, celle du fameux Steamboat Willie, et elle n’a pas vraiment la même tête que la version d’aujourd’hui : elle est en noir et blanc, Mickey n’y a pas ses fameux gants blancs et il a, de manière générale, un design assez différent. Donc ça, d’accord, c’est dans le domaine public, mais ne vous amusez pas à utiliser le Mickey de Fantasia de 1940, avec son chapeau de magicien et tout le tintouin : ça, c’est toujours verrouillé et ce n’est pas près d’être libéré, délivré, tout ça.
On ajoute à ça la joyeuse confusion entre propriété intellectuelle, expirable comme on vient de le voir, et marque déposée, qui, quant à elle, est renouvelable indéfiniment. Bien évidemment, Mickey étant la mascotte de Disney, vous vous doutez bien que la souris a deux trois marques déposées au cul.
La séquence dans laquelle Mickey sifflote en tenant le gouvernail de son steamboat, dans le dessin animé de 1928, est dans le domaine public, d’accord ! Mais la même séquence, que Disney utilise comme animation d’intro pour l’intégralité de ses films d’animation depuis 2007, est-ce que ça ne serait pas une marque ? C’est sans doute un hasard si Disney a choisi cette séquence, n’y voyons sûrement pas un moyen de limiter au maximum les usages possibles d’un Mickey dans le domaine public ! C’est sans doute aussi un hasard si Disney a ressorti un nouveau design rétro pour Mickey en 2013 ; « nouveau-rétro », ça a l’air d’un oxymore, mais non ! C’est, comme on dit, le confort du neuf dans le charme de l’ancien : en gros, ça a la même tête que l’ancien, mais avec le copyright du nouveau. Pas con !
Bref, même si, théoriquement, vous avez désormais le droit de faire des œuvres dérivées du Mickey de 1928… renseignez-vous bien, quand même, sur l’étendu de ce que vous avez le droit de faire. Oui, parce que quand on s’attaque à la poule aux œufs d’or d’une entreprise tentaculaire, avec ses armées d’avocats et de lobbyistes, il vaut mieux ne pas y aller en slip, pas comme le Mickey de 1928, du coup. Mettez plutôt des gants, comme le Mickey de 1940, en faisant gaffe au copyright. Oui, je sais, c’est compliqué !
Je me moque des Américains avec leurs lois sur le copyright taillées sur mesure pour protéger les profits démentiels des grosses boîtes comme Disney, mais si on regarde de ce côté de l’Atlantique, ce n’est pas beaucoup plus reluisant !
Déjà, nous, on a ce truc des œuvres protégées 70 ans, mais pas après la publication de l’œuvre : 70 ans après la mort de l’artiste. Par exemple, Saint-Exupéry étant mort en 1944, Le Petit Prince n’est entré dans le domaine public qu’en 2015… et encore, pas en France. Pourquoi pas en France ? Eh bien parce qu’en France, à ces 70 ans s’ajoute une extension des droits d’auteur de 18 ans, Saint-Exupéry étant mort pour la France, Le Petit Prince n’entrera donc dans le domaine public qu’en 2033. La justification : comme il est mort pour la France, il est mort jeune, et, du coup, il n’a pas pu écrire tous les bouquins qu’il aurait dû écrire. À cause de la France ! C’est donc logique que les livres publiés soient protégés plus longtemps, comme ça, il peut, enfin, ses descendants, lointains, en 2030 !, ses descendants pourront continuer à gagner de la thune dessus, et, c’est juste ? C’est équitable ? Je n’en sais rien. Déjà, j’ai toujours trouvé débile que le droit d’auteur se transmette aux descendants, mais bon ! Je ne vais pas embrayer sur un débat sur l’héritage, sinon on va encore y passer deux heures. Et puis, de toute façon, domaine public ou pas, chez nous aussi on sait faire joujou avec le droit des marques, donc les héritiers de Saint-Ex ont déposé le personnage du Petit Prince comme marque de commerce, et puis voilà, c’est bon, c’est plié !
Eh bien moi, je serais pour qu’on arrête avec ces délires de décennies entières de soi-disant protection, mais qui ne protègent absolument pas les œuvres, surtout les profits. Des verrous qui ne servent en fait qu’à traire des vaches à lait et à bien asseoir le pouvoir des industries du divertissement.
La culture EST libre par essence, par construction de l’imaginaire humain. Une œuvre n’appartient à son auteur ou à son autrice que tant qu’elle n’est pas publiée : dès lors que quelqu’un en prend connaissance, dès lors qu’on lit ce livre, qu’on écoute cette musique, qu’on regarde ce film, alors cette œuvre vit dans notre esprit et elle y vit sa vie, elle s’y transforme, elle nous inspire, on la modifie, on la partage, tout comme on le ferait avec une œuvre sous licence libre, sans beaucoup d’égards pour les lois du copyright et des extensions à gogo.
J’irais même plus loin : qu’une poignée de puissants se réserve l’exclusivité des droits sur ce qui constitue notre imaginaire collectif, c’est un problème démocratique majeur, et heureusement que beaucoup n’attendent pas la libération du domaine public pour faire ce qui leur chante des œuvres sous copyright, que ce soit sous le radar, ou grâce à des exceptions comme le droit de parodie en France. Reconnaissons qu’on a aussi des trucs bien dans notre droit d’auteur et le droit de parodie en fait partie.
Pour conclure, je vous rappelle que, contrairement à la majorité des émissions de radio, Libre à vous ! est une émission sous licence libre, vous n’aurez donc pas à attendre 70 ans après ma mort pour faire absolument ce que vous voulez de cette chronique : la remixer, la partager, la vendre même, si ça vous chante. Au passage, si vous trouvez des acheteurs, je veux bien leurs noms, parce que ça m’intéresse.
Vive le domaine public, vive l’art libre, vive la toute petite partie de Mickey qui a été libérée, et salut !
Frédéric Couchet : Merci Gee. La fin de ton intervention m’a rappelé une citation de Victor Hugo que j’ai eu le temps de retrouver très rapidement et qui, je pense, parlera à Magali, c’est le Discours d’ouverture du Congrès littéraire international en 1878. Je cite : « Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient — le mot n’est pas trop vaste — au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous. » Victor Hugo, 1878.
Gee : Cet homme-là m’a tout piqué !
Frédéric Couchet : Pour rebondir sur les boutons « Donnez » dont parlait tout à l’heure Anca, si vous voulez soutenir Gee, sur le site grisebouille.net, le site de Gee, vous avez un bouton qui permet de soutenir son travail. Je rappelle que Gee est auteur à temps plein et chroniqueur à temps partiel, mais bénévole, dans Libre à vous !.
Je te remercie Gee. À la prochaine pour ta prochaine chronique et pour ta participation, en février, Au café libre, le 20 février, émission de débats que j’aurai le plaisir d’animer.
Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Frédéric Couchet : Scribus est un logiciel libre de publication assistée par ordinateur, selon Wikipédia, dont on a parlé tout à l’heure. Il permet de créer des présentations animées et interactives, des formulaires PDF, des dépliants, des plaquettes, des livres, des magazines et tout type de document destiné à être imprimé ou être visualisé sous forme numérique. Une nouvelle version de Scribus est disponible, la version 1.6. Sur la page consacrée à l’émission du jour, libreavous.org/196, vous trouverez un lien vers une description des nouveautés de cette version.
Dans l’émission, nous avons déjà parlé de Nextcloud, logiciel libre de sites d’hébergement de fichiers et plateforme de collaboration. Nos camarades de Oisux organisent, à Beauvais, le samedi 20 janvier 2024, de 9 heures 30 à 12 heures, un atelier de découverte de Nextcloud.
En Suisse, les 7e Rencontres Hivernales du Libre auront lieu du vendredi 26 janvier au dimanche 28 janvier 2024, à St-Cergue, avec des conférences et des ateliers.
Je rappelle que vous trouvez tous les événements libristes sur l’excellent site agendadulibre.org.
Prochain rendez-vous convivial de la radio Cause Commune, c’est chaque premier vendredi du mois, donc la prochaine aura lieu le 2 février 2024, à partir de 19 heures, dans les locaux de la radio, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement.
Je te souhaite une bonne sieste, Magali !
Magali Garnero : Je suis détendue.
Frédéric Couchet : Dans cette émission, on est très détendu, en plus, maintenant il fait chaud vu qu’on a mis le chauffage. La prochaine fois, on saura qu’on peut mettre le chauffage avant l’émission, c’est mieux.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Anca Luca, Magali Garnero, Gee, Jean-Christophe Becquet.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Julie Chaumard.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe les podcasts entiers en podcasts individuels par sujet.
Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez aussi nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur : 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous aimez cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire également connaître la radio Cause Commune, la voix de possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 23 janvier 2024 à 15 heures 30. Nous vous convions Au café libre, un débat autour de l’actualité du logiciel libre avec Magali qui sera de retour, avec Pierre Beyssac et, peut-être, la participation d’un nouveau participant, Vincent Calame, qui fera également une chronique. En fait, on parlera de l’Atelier du libre, vous débattrez. Si vous souhaitez que nos intervenants et intervenantes débattent de certains sujets, envoyez vos suggestions en vous connectant sur le site libreavous.org.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 23 janvier 2024 et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission :Wesh Tone par Realaze.