Émission Libre à vous ! diffusée mardi 13 décembre 2022 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous ! l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Les politiques logiciel libre de Lyon et de la métropole du Grand Lyon, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique d’Antanak sur les réseaux RéFIS et un hommage mérité au Fediverse et à Eugen Rochko, développeur de Mastodon, ce sera la chronique de Laurent et Lorette Costy.
Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 13 décembre 2022. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, Thierry Holleville. Salut, Thierry.

Thierry Holleville : Bonjour à tous !

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel », d’Antanak, sur le réseau RéFIS, Réemploi francilien et informatique solidaire, rediffusion de l’émission du 22 novembre 2022

Étienne Gonnu : « Que libérer d’autre que du logiciel », la chronique d’Antanak. Le sujet du jour porte sur le réseau RéFIS, une rediffusion de la chronique du 22 novembre suite à un contretemps de l’invité du jour. On se retrouve dans 12 minutes environ, en direct sur Cause Commune.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : « Que libérer d’autre que du logiciel », la chronique d’Antanak. Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées et mises en acte et en pratique au sein du collectif : le reconditionnement, la baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par tous et toutes.
Le sujet du jour c’est le réseau RéFIS et je passe la parole à Isabelle Carrère. Bonjour Isa.

Isabelle Carrère : Bonjour Fred. Merci beaucoup.
On a déjà parlé du réseau RéFIS, je crois, dans plusieurs chroniques d’Antanak, dans cette émission à laquelle nous sommes vraiment définitivement heureux de participer.
Le RéFIS est un réseau de reconditionneurs en Île-de-France, parce qu’on ne peut pas s’occuper de tout le territoire national. L’idée était de se mettre ensemble, à plusieurs, pour pouvoir, à la fois, faire des partages d’expériences, de pratiques, et aussi se soutenir sur les besoins de matériels que nous pourrions avoir les uns/les unes et les autres. Je suis très contente parce que, aujourd’hui, Selda était d’accord pour participer à cette chronique avec moi et est au téléphone avec nous. Bonjour Selda.

Selda Besnier : Bonjour Isabelle.

Isabelle Carrère : Ça va bien ?

Selda Besnier : Oui, merci.

Isabelle Carrère : C’est super. Je te laisse présenter un petit peu la structure dont tu es la présidente et qui fait partie, comme Antanak, du réseau RéFIS.

Selda Besnier : Je suis Selda Besnier, présidente de l’EVS Necker Falguière. L’EVS c’est « Espace de Vie Sociale » qui est une politique de la CAF, il y en a une quarantaine dans tout Paris. Ce sont des minis centres sociaux, un peu comme les maisons de quartier. Nous sommes là pour accompagner les habitants en leur proposant du soutien scolaire, des ateliers cuisine, des ateliers jardinage, des sorties et, bien sûr aussi, mettre en place les projets qu’ils ont envie de réaliser et le numérique, également, qui pose certains problèmes, notamment pour les seniors. Nous faisons partie du dispositif de la Ville de Paris, « Seniors connectés », pour aider, dans nos ateliers, au cas par cas, les seniors en difficulté. On fait aussi le Pass numérique qui est un essai pilotage pour accompagner numériquement les personnes en RSA dans leurs démarches administratives.

Isabelle Carrère : C’est aussi là-dessus que nous nous sommes effectivement rencontrées, retrouvées, parce que plusieurs des structures du RéFIS sont en accompagnement, en soutien, chacune avec sa façon et ses choix, à la fois politiques et de mise en œuvre. Ce sont effectivement des sujets sur lesquels nous sommes tous amenés à beaucoup réfléchir : que se passe-t-il dans la société ? Quels sont tous ceux qui sont exclus petit à petit, ou en continu, des actes administratifs et même des éléments culturels ou autres, de l’ensemble du numérique au sens large dans la société ? Et, du coup, il y a le matériel.

Selda Besnier : Il y a le matériel. J’ai oublié de signaler que nous sommes la seule structure dans le 15e à faire aussi une formation pour le logiciel libre, parce que c’est moins onéreux pour notre public, nos usagers. Donc nous récupérons des ordinateurs, grâce aussi au réseau RéFIS qui nous en procure et je tiens ici à le remercier, nous les reconditionnons et après nous les donnons, plutôt nous les prêtons, à des personnes qui sont en difficulté. Quand elles ont trouvé du travail ou une position plus stable financièrement, elles nous rapportent l’ordinateur qu’on avait reconditionné et prêté, pour ceci nous signons donc une charte, et nous récupérons ainsi les ordinateurs pour encore les redistribuer à d’autres qui sont dans le besoin.

Isabelle Carrère : Vous êtes uniquement sur le prêt ? Vous ne faites pas du don ?

Selda Besnier : C’est en fait un prêt à longue durée.

Isabelle Carrère : C’est ça. Si les gens ne les rapportent pas, c’est qu’ils en ont encore besoin, donc ils le conservent. Tu dis prêt, mais en fait ! D’accord. On aime beaucoup, à Antanak, la notion de droit d’usage, j’imagine que c’est un peu ça dont vous parlez aussi.

Selda Besnier : Oui, tout à fait.

Isabelle Carrère : Donc continuer à considérer à la fois les logiciels, les systèmes d’exploitation libres, mais aussi le matériel, comme des biens communs qui peuvent être fournis à des personnes au fur à mesure de leurs besoins et puis ça tourne.

Selda Besnier : Tout à fait.

Isabelle Carrère : Je crois que vous faites aussi des formations.

Selda Besnier : On fait de la formation les mercredis matin pour le logiciel libre. En général c’est un atelier en trois fois, mais si on constate que la personne n’est pas au point et ne maîtrise pas assez, on en ajoute d’autres jusqu’à une maîtrise du logiciel. Et, bien évidemment, on reste toujours en contact s’il y a des difficultés qui peuvent se présenter dans le futur.

Isabelle Carrère : Aurais-tu une idée du nombre de personnes que touchent les activités de l’EVS ? C’est compliqué ?

Selda Besnier : Ce n’est pas compliqué, je n’ai pas les chiffres. Pour ce qui concerne, par exemple, les seniors connectés, nous avons eu cette année entre 90 et 120 personnes qui changent, sans compter les sollicitations en dehors des vendredis et mercredis.

Isabelle Carrère : Oui, c’est ça, les demandes spontanées, sporadiques, des personnes. OK. À Antanak, sur à peu près les mêmes activités, nous sommes majoritairement des personnes qui agissons bénévolement, à part les écrivains numériques publics. De votre côté, à EVS, par contre, il y a des financements CAF et il y a des salaires.

Selda Besnier : Il n’y a pas de salaires, pas du tout, et toutes les prestations pour nos usagers sont gratuites. On tient beaucoup à cela.

Isabelle Carrère : Du coup, c’est simplement une subvention de la CAF et d’autres structures ?

Selda Besnier : Nous sommes subventionnés par la CAF et la Ville de Paris.

Isabelle Carrère : Et la ville aussi, d’accord. Et ça suffit à faire tout fonctionner, le loyer et le matériel, les choses ?

Selda Besnier : Il y a quelques difficultés ! Mais bon !, quand on croit en ce qu’on fait, on arrive à les aplanir.

Isabelle Carrère : Oui, absolument. Donc il n’y a pas de salaires. Est-ce un choix du dispositif ou c’est parce que les centres sociaux ou l’équivalent, le centre social dont tu parlais ? Est-ce une obligation ou est-ce un choix de votre part ?

Selda Besnier : C’est un choix de notre conseil d’administration.

Isabelle Carrère : D’accord. Pour autant, vous arrivez à ce qu’il y ait suffisamment de personnes pour assurer l’ensemble des opérations.

Selda Besnier : Oui. Nous sommes une petite douzaine de bénévoles pour les différentes activités énumérées en introduction. Pour tout ce qui est numérique, ça tourne autour d’un noyau du trois à quatre personnes.

Isabelle Carrère : OK. C’est pour ça que ce réseau est vraiment intéressant. Toi tu es dans le 15e, nous nous sommes dans le 18e, il y a d’autres structures qu’on va, j’espère, arriver à inviter aussi dans cette chronique. On avait invité Brice, du Garage numérique, qui lui est dans le 20e. Je pense que c’est intéressant qu’on puisse faire, comme ça, du partage d’expérience et qu’on signale aussi aux gens ce qu’il y a, peut-être, plus près de chez eux. À Antanak, on voit beaucoup de gens venir de très loin dont on dit « mais enfin, voyons, tu pourrais aller un peu ailleurs plutôt que jusque dans le 18e ! »
Tu voulais ajouter quelque chose, Selda, ou tu as dit l’essentiel ?

Selda Besnier : Je vous remercie de m’avoir invitée. Je suis tout à fait, comment dire, dans la philosophie de L’union fait la force. C’est fabuleux de se retrouver plusieurs structures sur le même socle commun.

Isabelle Carrère : Oui. C’est bien qu’on ait effectivement réussi à trouver, comme tu le dis, un socle minimaliste, parce que sur les grandes lignes, on est vraiment tous en phase : sur la question du réemploi, de la réparabilité, et puis, pour la majorité d’entre nous, sur les logiciels et systèmes d’exploitation libres. Ce n’est pas complètement le cas de toutes les structures, mais nobody’s perfect, en tout cas nous sommes sur la même ligne.
Merci beaucoup et à très bientôt, parce qu’on a prévu de se voir, on a une réunion le 30 novembre, donc on va se voir pour de vrai très bientôt. Merci beaucoup.

Selda Besnier : Avec plaisir. Merci beaucoup, merci à toi Isabelle. Au revoir.

Isabelle Carrère : Au revoir.

Frédéric Couchet : Eh bien merci Selda et merci Isabelle.

C’était la chronique d’Antanak « Que libérer d’autre que du logiciel ». Le réseau dont on parle c’est le RéFIS, Réemploi francilien et informatique solidaire, dont on aura l’occasion de reparler bientôt, qui n’a pas encore de site web, j’ai posé la question. Dès qu’il aura un site web, on vous préviendra.
Belle journée à toi, Isa, et au mois prochain pour la prochaine chronique.

Isabelle Carrère : Merci beaucoup. Absolument, au mois prochain.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter « Que libérer d’autre que du logiciel », la chronique d’Antanak. Comme vous avez pu le déduire, il s’agit bien d’une rediffusion de l’épisode enregistré le 22 novembre.

Nous allons à présent faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous parlerons des politiques menées par la ville de Lyon et la métropole du Grand Lyon en faveur des libertés informatiques. Nous allons d’abord écouter Throne Room par Zoo Sawtooth. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Throne Room par Zoo Sawtooth.

Voix off : Cause Comune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Throne Room par Zoo Sawtooth, disponible sous licence Creative Commons Attribution, CC BY 3.0.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Avant de passer au sujet suivant, une petite annonce de service. L’équipe de l’émission souhaite vous connaître et vous propose un questionnaire. Réponde à ce questionnaire ne vous prendra pas plus de cinq minutes, normalement, et nous aidera, avec vous, à améliorer l’émission pour toujours mieux répondre à vos attentes.

Je vous propose maintenant de passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Les politiques publiques en faveur du logiciel libre de Lyon et de la métropole du Grand Lyon

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur les politiques de la ville de Lyon et de la métropole du Grand Lyon menées en faveur du logiciel libre. Un sujet enregistré en avance, dans les conditions du direct, le jeudi 8 décembre, pour des questions de disponibilité de nos invités.
Je vous propose donc d’écouter cet échange.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Dans Libre à vous !, nous aimons mettre en valeur les collectivités qui œuvrent pour les libertés informatiques et mettent en place des politiques publiques en faveur du logiciel libre. C’est donc avec un grand plaisir que je reçois aujourd’hui Émeline Baume et Bertrand Maes, respectivement élus de la métropole du Grand Lyon et de la ville de Lyon. Deux niveaux de collectivités qui s’imbriquent, comme leur nom l’indique, et qui couvrent un large territoire, une population importante.

Lyon, comme la métropole du Grand Lyon, ont récemment voté des délibérations pour formaliser des politiques publiques en faveur du logiciel libre. Nous allons en parler avec nos invités pour essayer de comprendre quelles sont ces politiques publiques, comment elles peuvent s’articuler, comprendre comment elles sont mises en œuvre concrètement, qu’il s’agisse de politiques d’achats, de conduite du changement ou encore de sobriété numérique.

Pour en discuter, Émeline Baume, vice-présidente de la métropole de Lyon. Votre mandat porte sur l’économie, l’emploi, le commerce, le numérique et les communs publics. Bertrand Maes, vous êtes conseiller municipal à la ville de Lyon et votre mandat porte sur l’administration générale, l’informatique et la politique du numérique.

Bonjour à vous deux. Merci d’avoir d’avoir accepté de prendre ce temps pour échanger avec nous.
Tout d’abord, est-ce que vous souhaitez compléter la présentation très formelle que j’ai faite de vous respectivement, avec une question sous-jacente pour vous deux : quel est votre rapport à l’informatique, qu’il soit technique ou politique ? Émeline Baume, si vous souhaitez commencer.

Émeline Baume : D’accord. Déjà merci de nous avoir proposé d’intervenir ensemble, c’est très agréable.
À titre personnel, j’ai un rapport très distancié avec l’outil numérique, j’ai la chance d’avoir cette délégation numérique en n’étant absolument pas usagère fan de tous ces outils numériques. C’est important de le poser là parce que ça explique beaucoup de choses. J’ai aisément pu expliquer à mes collègues élus qui partageaient, pour le coup, une posture politique autour de la souveraineté, autour de nos données et aussi, finalement, une compréhension de ces usages du numérique, donc cheminer vers des pratiques sobres et revenir, pour faire simple, à l’essentiel : utiliser dans le bon sens l’outil numérique et le bon. Ça m’a été aisé de discuter avec l’ensemble de l’équipe qui gère le système d’information de la métropole de Lyon.
Il faut avoir en tête que la métropole de Lyon ce sont 9 600 agents plus des équipements et un service pour l’ensemble des 83 collèges du territoire. On n’est pas dans une petite organisation qui, à titre militant, peut faire le choix, en un an, deux ans – je caricature –, de changer de pratiques et de système. Il y a, comme vous l’avez indiqué très concrètement dans votre introduction, une conduite du changement à accompagner, donc un argumentaire politique à développer, une forme d’acceptabilité aussi à aller rechercher auprès des hommes et des femmes qui font le service public au quotidien sur la métropole de Lyon, donc une posture bien différente.

Étienne Gonnu : En fait, moi-même je ne suis pas technicien. Sans développer, je trouve intéressant de rappeler qu’on aime dire à l’April que le logiciel libre n’est pas seulement un enjeu, une question pour les informaticiens et les informaticiennes, mais qu’il concerne absolument tout le monde.
Bertrand Maes, même question.

Bertrand Maes : D’une certaine façon, un petit peu même réponse. C’est-à-dire qu’avant de prendre mon mandat je n’avais pas du tout passé dans l’informatique ou le numérique. C’est vraiment le fait d’avoir pris la délégation au numérique qui m’a incité à me plonger dans toutes les problématiques qui y sont liées. Je dis parfois, en plaisantant, que, d’une certaine façon, j’ai l’impression d’avoir ouvert les portes de l’enfer en me penchant sur toutes les problématiques liées au numérique, qu’elles soient environnementales ou les sujets dont va discuter aujourd’hui autour du logiciel libre ou au contraire privateur.
Finalement, à titre personnel, dans l’usage des outils j’ai un peu un usage lambda, je ne pense pas être très utilisateur par rapport à d’autres. En tout cas, j’ai une approche du numérique essentiellement politique et pas tant technique.

Étienne Gonnu : Très bien. C’est ce qui nous intéresse aujourd’hui. Je suis heureux de vous entendre utiliser le terme « logiciel privateur » ; je pense que les personnes qui nous écoutent souvent sont familières de ce terme. Je vais juste rappeler, puisque vous m’en donnez l’opportunité, que dans le langage courant on entend souvent parler de « logiciel propriétaire », qui est un dérivé du terme anglais. Nous préférons le terme « privateur » puisqu’on considère que ces logiciels nous privent de nos libertés fondamentales, ils nous privent de droits. Ce n’est pas un néologisme, c’est, en fait, un terme ancien, qui existe dans la langue française.

Je pense que la plupart de nos auditeurs et auditrices se représentent assez bien ce qu’est une ville et le rôle d’un conseil municipal, peut-être qu’on y reviendra, mais c’est sans doute un peu moins le cas pour une métropole, pour une collectivité comme la métropole du Grand Lyon. Comment fonctionne-t-elle ? Quelles sont ses compétences ? Comment ses membres sont-ils élus ? Et comment cela s’articule-t-il avec les municipalités, notamment celle de Lyon ? Je ne vous invite pas à nous faire un long exposé et d’en faire le cœur de notre sujet, mais je pense que ça peut aider à mieux comprendre, pour la suite de notre échange, comment vos deux collectivités territoriales peuvent notamment mener des politiques publiques, j’imagine concertées, en faveur du logiciel libre.

Émeline Baume : La métropole de Lyon est une collectivité assez jeune. Elle est née le premier janvier 2015, donc c’est normal que les personnes qui nous écoutent ne sachent pas exactement ce que trafique la métropole de Lyon.

La métropole de Lyon c’est la connexion avec le département. En général, le département est connu parce qu’il porte les compétences sociales d’avant la naissance jusqu’à la mort – la protection maternelle et infantile, l’aide sociale à l’enfance, l’accompagnement des personnes en situation de handicap, mais aussi l’accompagnement du vieillissement, pour faire très simple. Un volant qui nous relie à d’autres compétences de la métropole c’est tout ce qui est l’accompagnement des personnes qui sont suivies au titre du revenu de solidarité active [RSA]. Après, on est comme une communauté urbaine, il y a d’autres communautés urbaines en France, Dunkerque, Nantes, etc., et les communautés urbaines portent les compétences urbaines du quotidien, donc la voirie, l’eau potable, l’assainissement, la collecte des déchets entre autres, mais pas que. Et puis, au milieu, on retrouve des choses lourdes du type urbanisme, donc la destination des fonciers et de l’immobilier, et le développement économique. Donc c’est l’accompagnement à toutes les organisations sociaux-économiques, et puis j’ai oublié, mais je l’ai dit tout à l’heure, la compétence d’accompagnement des collèges. Une ville accompagne les écoles maternelles et élémentaires, un département accompagne les collèges, les régions accompagnent les lycées, pour faire simple.
Tout ça fait 9 600 agents, un énorme système d’information avec, du coup, des entrées très diverses ; un sujet de guichet unique de politiques sociales, de l’accompagnement à la transition écolo sur la rénovation des copropriétés, la rénovation pour les bailleurs sociaux et, en même temps, des choses très pratico-pratiques du quotidien — la prime vélo, la distribution de composteurs et plein d’autres éléments. Ça recouvre, comme vous l’avez dit dans votre introduction, un territoire qui compte 59 communes et à peu près 1,4 million d’habitants.

Étienne Gonnu : D’accord. Vous êtes élue dans le corps politique.

Émeline Baume : Élue au suffrage universel direct depuis juin 2020 ; c’était la première fois. Au moment des élections municipales, les habitants et habitantes du territoire de la métropole de Lyon étaient invités à voter deux fois, une première fois pour leur commune, Saint-Priest, Brou, Rillieux-la-Pape, etc. — Lyon c’est particulier puisque c’est aussi par arrondissements — et une deuxième fois en tant qu’habitants d’une circonscription métropolitaine. Pour donner un exemple, moi je dépends de la circonscription métropolitaine qui regroupe trois arrondissements de Lyon. Donc c’était la première fois. Un, je ne suis pas certaine que l’ensemble des habitantes et habitants aient bien identifié, ils ont voté deux fois souvent parce qu’on les y a invités une fois qu’ils étaient dans le bureau de vote, et deux, je ne suis pas certaine que plus de la moitié des habitantes et habitants voient au quotidien ce qu’est la métropole de Lyon en termes de service public.

Étienne Gonnu : Comme vous avez dit, c’est une collectivité jeune. Vous êtes donc élue sur liste, comme un conseil municipal.

Émeline Baume : On est élu sur liste, comme Bertrand, comme à la ville de Lyon, modulo la loi PLM [Paris Lyon Marseille].

Étienne Gonnu : Bertand Maes, justement, est-ce que vous souhaitez compléter avec votre regard d’élu d’un conseil municipal ?, que j’ai d’ailleurs présenté comme une évidence, mais ça ne l’est peut-être pas tant que ça. En quelques mots, comment fonctionne un conseil municipal et dans quel contexte politique vote-t-il des délibérations, par exemple ?

Bertrand Maes : Lyon est effectivement une ville à arrondissements, de la même façon que Marseille et Paris, ce qui apporte une petite particularité. Il y a des conseillers d’arrondissement et un certain nombre d’élus qui siègent au conseil d’arrondissement siègent également au conseil municipal.

Comment cela fonctionne-t-il politiquement ? On a un maire qui est entouré d’un exécutif composé d’adjoints et d’adjointes qui soumettent au conseil municipal, à intervalles de temps réguliers, c’est-à-dire à peu près sept ou huit fois par an, des délibérations. C’est une instance délibérante un petit peu classique : les délibérations sont adoptées ou refusées lors de votes en conseil municipal.

Étienne Gonnu : Entendu. Je pense que c’est bon de poser cette question.
J’imagine qu’informellement, au minimum, vous avez des interactions entre les élus de ces deux collectivités. Est-ce qu’il y a des moments formels ? Est-ce qu’il y a eu une organisation au moment de la création de la métropole du Grand Lyon ? Est-ce qu’il y a des interactions politiques prévues, des instances prévues pour les échanges politiques entre les deux niveaux ?

Émeline Baume : Il y a une instance hyper-formelle, dans la loi, qui s’appelle le CTM, le Conseil territorial métropolitain, au sein duquel le président de la métropole et le maire de Lyon – le maire de Lyon ayant fait le choix d’y associer l’ensemble des maires d’arrondissements – échangent, en gros, sur des sujets structurants de la métropole et de comment ça se met en place ou comment ça va se mettre en place normalement sur la ville de Lyon. Et on a un pacte de cohérence, c’est-à-dire que la ville de Lyon a travaillé avec l’exécutif métropolitain les éléments qu’ils souhaitaient partager en termes d’investissement avec de l’investissement métropole de Lyon ; en gros, c’est tout simplement un pacte d’accord financier. Ça c’est ce qui est dans la loi.

Après il y a, délégation par délégation, autrement dit sujet par sujet, à la bonne volonté des vice-présidentes/vice-présidents côté métropole et des adjointes/adjoints côté ville, des coopérations qui se nouent soit par intérêt commun parce qu’on est des instances en commun, soit parce qu’on sait qu’ensemble on ira plus vite ou ce sera peut-être plus simple. C’est ce qui nous arrive, entre autres, sur le sujet de l’espace numérique de travail des agents. Nous nous sommes mis à trois, avec un troisième organe qui s’appelle le SITIV [Syndicat Intercommunal des Technologies de l’Information pour les Villes], qui est le syndicat intercommunal sur des sujets informatiques et numériques, qui regroupe deux communes de la métropole et d’autres communes pour aller ensemble chercher de l’investissement public, donc auprès de l’État, auprès de France Relance, pour porter, entre autres, certaines ingénieries de projet, je vais le dire comme ça, pour la transformation de notre environnement numérique de travail. On part du principe qu’en mutualisant l’ingénierie de projet on s’évitera chacun des dépenses et peut-être aussi, mais ça on ne le saura qu’après – peut-être que Bertrand est plus au courant que moi – des bourdes en réfléchissant ensemble, services numériques/informatiques, adjoints et usagers. Peut-être qu’on s’évitera des bourdes magistrales que d’autres organisations publiques ont pu faire par le passé.

Étienne Gonnu : On parle de mutualisation. C’est vrai que c’est un sujet essentiel, on va d’ailleurs y revenir.
Vous parliez du SITIV. Le SITIV est un syndicat qui a été récompensé d’un label niveau 5 au label Territoire Numérique Libre, qui est le niveau maximal de ce label. Je vais également saluer Lyon qui a obtenu à nouveau un label 4, qui est aussi un très bon niveau, qui récompense des engagements en faveur du logiciel libre. Je salue le SITIV, vous le mentionnez, qui est exemplaire en termes d’utilisation et notamment de contribution au logiciel libre.
Souhaitez-vous compléter M. Maes ?

Bertrand Maes : Simplement un petit mot concernant les systèmes d’information. Je crois qu’il y a quelques années, disons une vingtaine d’années, les systèmes d’information de la ville et de la métropole étaient mutualisés. Pour des raisons que j’ignore ça s’est séparé il y a quelques années, donc nos DSI [Direction des services informatiques] respectives ont pris des chemins différents. Il faut savoir qu’il y a une particularité à la ville de Lyon : notre DSI ne possède pas de compétences de développement en interne. Tout ce qui est développement est externalisé, sous-traité, tandis qu’il me semble qu’à la métropole il y a de la production en interne.

Émeline Baume : Oui. À la métropole on a du développement.

Étienne Gonnu : J’ai prévu de vous interroger plus spécifiquement dans la deuxième partie de l’émission sur ces questions, qui sont très importantes en fait. Pas qu’il y ait une meilleure solution que l’autre, mais justement pour montrer la diversité des approches.

On a pris du temps, mais je trouve que c’est toujours intéressant de voir dans quel contexte politique et institutionnel peuvent être développées des politiques pour le logiciel libre et c’est aussi dans ce cadre-là qu’on doit évoluer quand on fait du plaidoyer politique. J’aime bien passer du temps là-dessus, je pense que ça va éclairer la suite de nos échanges. Bref !

Pour attaquer maintenant le cœur de notre sujet, j’ai d’abord envie de vous poser une question politique générale, d’ailleurs pas forcément en tant que représentant et représentante de vos collectivités respectives, mais, plus largement, en tant qu’élus et j’imagine, à priori quand même, comme personnes porteuses de convictions et de l’intérêt général : pour vous, pourquoi une collectivité territoriale doit-elle s’engager pour le logiciel libre ? Pourquoi, selon vous, cela répond-il justement à un enjeu d’intérêt général ? En quelques mots pour vous, quelle est l’idée forte ? M. Maes, allez-y.

Bertrand Maes : Pour moi, c’est peut-être un peu compliqué de donner une réponse générique. En tout cas, ce dont je me rends compte, c’est que selon le type de logiciel, le type d’application dont on parle, les raisons qui poussent à s’engager dans le logiciel libre peuvent un petit peu différer. Néanmoins, je vois quand même quelques grands intérêts. D’une part, une logique de transparence, donc de confiance vis-à-vis des citoyens et des citoyennes, à savoir que le logiciel libre c’est effectivement le seul type de logiciel qui permet d’être certain de ce que fait effectivement le logiciel et de s’assurer qu’il n’y a pas des fonctionnalités malveillantes cachées, ceci d’autant plus à l’heure du passage massif vers le cloud, qui concerne vraiment tout type de service, y compris les services publics dématérialisés.

Donc une logique de transparence, de confiance, quelque part, également, de protection des données.

Pour les collectivités, ça peut offrir la possibilité de mutualisation de solutions logicielles.
On pourra rentrer dans le détail après, c’est quand même un peu plus compliqué que ça. Éventuellement des économies de prix également.
Et puis par ces possibilités de mutualisation notamment, pour moi ça permet d’assurer une forme de souveraineté du service public, c’est-à-dire de garder des développements publics. Il faut bien avoir conscience que lorsqu’on dématérialise un service public, les collectivités ont souvent recours à des acteurs privés, éventuellement à des logiciels propriétaires, privateurs, ce qui, de mon point de vue, constitue une privatisation du service public.

Voilà, je dirais, les trois grands intérêts de mon point de vue.

Étienne Gonnu : Super. Est-ce que vous souhaitez compléter, Madame Baume ?

Émeline Baume : Je complète juste sur un élément qui était sous-jacent dans le propos de Bertrand, auquel j’adhère à 600 %. Il y a effectivement le sujet de l’économie de prix ; pareil, nous serons en capacité, Bertrand et moi, de l’affirmer dans deux ans, peut-être un petit plus tôt.

Un élément plus simple, c’est aussi notre capacité à l’effet d’entraînement. Là on va accompagner au changement des hommes et des femmes, des agents qui ont certaines habitudes, habitudes qu’ils ont dupliquées chez eux et dans leur environnement social, personnel, et je trouve qu’on a une responsabilité, en tant qu’élus justement, à proposer d’autres voies, d’autres trajectoires, y compris dans le quotidien, pour participer à la souveraineté, à la protection des données, etc. Ce qui revient vers moi ce sont forcément plutôt les éléments négatifs, mais je ne doute pas que parmi les 9 600 agents, dans trois/quatre/cinq/six ans, au moins un tiers auront partagé avec leur environnement personnel aussi bien la pratique, en gros, du logiciel libre, mais aussi la posture, en fait le pourquoi, l’argumentaire. C’est important de dire qu’on a une sacrée capacité, un sacré effet d’entraînement.

Idem, mais peut-être qu’on en parlera plus tard, lorsqu’on réalise nos achats publics, ce qui est un autre énorme effet levier transformationnel dans les organisations de notre territoire.

Étienne Gonnu : Super. Très clair. Merci beaucoup.

Comme je l’indiquais en introduction, la métropole du Grand Lyon et la ville de Lyon ont récemment voté des délibérations en faveur du logiciel libre, si je ne me trompe pas le Grand Lyon en septembre 2021 sur la transformation de l’environnement numérique de travail des agents de la métropole, et la ville de Lyon en juillet 2022. Cela fait suite à d’autres délibérations également sur l’espace numérique de l’agent 2022/2026, donc, à priori, des périmètres similaires. D’ailleurs quand on lit les textes, notamment au niveau des objectifs, on imagine bien qu’il y a une forme de coordination, en tout cas dans l’élaboration de ces délibérations, de ces politiques. Si je ne me trompe pas, dans les deux cas il y a aussi un constat similaire d’une forte dépendance à certains logiciels privateurs, en particulier à ceux de Microsoft, pour ne pas le citer, mais c’est cité dans cette délibération.
Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment respectivement et, du coup, conjointement j’imagine, ces délibérations ont été élaborées ? Émeline Baume, puisque vous parliez juste avant, si vous voulez continuer.

Émeline Baume : Un petit peu d’histoire. On a commencé le mandat, on a pris nos responsabilités en juillet 2020 et, assez rapidement, moi côté numérique. Je sais que vous portez des plaidoyers à chaque fois au moment des campagnes, ce n’est pas inutile et il est important que les gens qui nous écoutent entendent leur intérêt. On a été aidés puisque l’équipe en responsabilité, de gauche et écologiste, avait mis dans son programme, avait pris des engagements, avait signé, je ne sais pas si c’était un pacte, je ne m’en souviens pas.

Étienne Gonnu : Je vais me permettre. Le maire de Lyon [Grégory Doucet], qui était alors tête de liste pour les municipales de 2022, avait effectivement signé ce qu’on appelle Le Pacte du Logiciel Libre de l’April, par lequel il s’engage à mener une politique en faveur du logiciel libre.

Émeline Baume : Ça paraît simple à dire comme ça. D’abord, en tant que candidates et candidats on n’oublie pas ce type d’engagement ; j’étais candidate, ce n’est pas la première fois, donc je savais sur quelle ligne on était sur ces sujets-là. Donc quand nous sommes arrivés en responsabilité, assez naturellement le directeur des services numériques et du système d’information m’a posé la question ; l’entrée de la discussion a été autour du renouvellement des licences Microsoft et tout de suite j’ai dit « attendez, dans notre programme nous avions cette transformation — aller vers les logiciels libres —, donc comment peut-on se mettre en mouvement ? Comment voyez-vous les choses ? ». Il nous a fallu un peu de temps parce que le Grand Lyon — puisqu’avant ça s’appelait le Grand Lyon — sort de plusieurs mandats plutôt tournés vers la privatisation, du coup pas évident ! En tout cas quelques mois de discussion, on va dire ça comme ça, entre les équipes et moi pour arriver à une délibération.

Je dis aussi, c’est le deuxième élément à part le Pacte, qu’on a été élus côté métropole au bon moment. Je savais que courant 2022, et surtout en 2023, il y aurait des gros renouvellements des licences Microsoft à porter et je me doutais que le coût serait un frein. Du coup, c’est comme ça qu’on a commencé à travailler en disant « combien ça coûte ? ». On a porté trois scénarios en discussion au sein de l’exécutif : un scénario de continuité Microsoft ; un scénario éditeurs français sans accompagnement au changement et un scénario tout libre avec un fort accompagnement au changement, donc des pas de temps différents aussi. Au regard de l’expérience de Nantes et du ministère de la Transition écologique — c’étaient les deux expériences qui étaient revenues vers nous — accepter de dire que si on va vers du Libre on ne rachète pas de licences Microsoft, mais on se donne du temps.

Donc trois scénarios pour arriver finalement à un scénario pour l’espace numérique de travail et recours aux éditeurs français pour certaines fonctions urbaines du quotidien, je pense en particulier à l’eau potable, je le dis ici puisqu’on passe en régie publique de l’eau au premier janvier 2023 et, pour l’instant, le système d’information de la régie publique de l’eau, qui est à part de celui de la métropole — c’est peut-être un peu trop technique ce que je dis —, sera porté sur de l’éditeur français.

Étienne Gonnu : Entendu.
Bertrand Maes, si vous souhaitez compléter et nous indiquer comment cela s’est articulé, parce que j’imagine que vous avez fait ça en intelligence et pas chacun et chacune de son côté, surtout quand on voit que les périmètres des délibérations sont similaires.

Bertrand Maes : Tout à fait. Je confirme déjà ce que dit Émeline. Le fait d’inscrire ça dans nos programmes électoraux facilite, quelque part, le travail pour la suite, y compris pour la conviction au sein de nos propres exécutifs. Il faut bien avoir en tête que tous les sujets qui tournent du logiciel, etc., y compris dans les milieux politisés et dans les nôtres en l’occurrence écologistes, restent assez confidentiels, perçus comme assez techniques. Et puis, sur tous les sujets numériques d’une façon générale, il y a assez peu de remises en question. Donc les choses comme le Pacte pour la Transition, le Pacte du Logiciel Libre, etc., sont effectivement de réelles aides, y compris pour l’argumentaire derrière.

À la ville de Lyon on partait d’assez loin. Si vous faites des petites recherches sur Internet, vous pourrez trouver l’ancien maire de Lyon, Gérard Collomb, qui pose avec Bill Gates il y a quelques années. Autant dire qu’on est essentiellement aujourd’hui sur un environnement Microsoft, donc le sujet Microsoft s’est assez rapidement posé puisque, de la même façon qu’à la métropole, un certain nombre de licences arrivent à échéance les unes après les autres.

De mon point de vue, un élément assez important nous incite à sortir rapidement du système Microsoft, c’est le passage au cloud, encore une fois, donc le passage à Microsoft 365 qui pose un sérieux sujet de souveraineté pour une administration publique, avec toutes les problématiques de droit américain, droit extraterritorial américain, CLOUD Act, etc. : si, demain, nos données sont gérées par des systèmes Microsoft 365 sur le cloud, on ne peut plus en assurer la souveraineté et la protection.

Étienne Gonnu : On peut même dire qu’il y a eu des décisions, des avis, notamment de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui nous indiquent que, pour plein de raisons légales que vous avez évoquées, le recours à ces outils en ligne d’entreprises américaines — qu’il s’agisse de Microsoft, de Google ou d’autres — serait contraire au droit en vigueur sur les données personnelles. Il y a, en plus, une forme d’obligation légale, à priori, à s’en passer.

Bertrand Maes : Tout à fait. Qui là encore nous aide d’une certaine façon. Je trouve parfois qu’au niveau étatique il pourrait y avoir des incitations plus fortes à passer à des solutions libres, à en proposer.

Émeline Baume : Oui. Ce qui est quand même étrange ! Là nous sommes deux collectivités avec quand même, même s’il n’y a pas de développeurs côté ville de Lyon, une capacité d’ingénierie, une capacité à prendre du recul. Si vous pensez à toutes les intercommunalités de France, ne serait-ce que les départements qui gèrent des données personnelles avec le RSA, les départements ruraux qui ont peu de recul, je trouve que l’accompagnement de l’État en tant que garant, justement, des libertés fondamentales et tout, est minime ! Je suis extrêmement étonnée qu’avec l’arrivée du cloud on ne soit pas plus, à minima, interpellés ! Ça m’étonne !

Étienne Gonnu : Bertrand Maes.

Bertrand Maes : Je partage complètement. Et, sur le sujet Microsoft, de mon point de vue, il y a d’autres motifs qui devraient inciter la puissance publique à s’en éloigner. Je voyais qu’en 2019 Microsoft avait dû payer 350 millions d’euros à l’État français, à Bercy, pour des raisons d’évasion fiscale. Je trouve assez gênant que nous, qui représentons la puissance publique, filions tant à Microsoft aujourd’hui. Et puis nous sommes des exécutifs écologistes et, de mon point de vue, on va dire que Microsoft a, quelque part aujourd’hui, une grosse responsabilité sur l’impact environnemental du numérique en tant que moteur de l’obsolescence des machines par l’obsolescence des systèmes d’exploitation, etc. C’est une raison de plus, pour nous, de nous engager sur une sortie de ces systèmes-là.

Étienne Gonnu : Je ne vous ai pas poussé à prendre ces positions que j’aime bien, que je partage volontiers.

Je vois que le temps file et j’aimerais qu’on puisse aller un peu plus au cœur de comment, concrètement, vous œuvrez pour le Libre, notamment au sein de vos systèmes d’information, auprès de vos habitants et habitantes des territoires que vous représentez.
On imagine bien que c’est le scénario logiciel libre qui a été retenu. Est-ce que ça a été un arbitrage politique difficile ? Avez-vous vraiment dû pousser au sein de vos exécutifs respectifs ? Est-ce que ça a été facilement repris ? C’était dans le programme politique, vous l’avez dit. On ne l’a pas dit, mais je pense qu’on a tourné autour de la question, je voulais souligner que vous êtes, chacun, chacune, issus de la même formation politique, Europe Écologie Les Verts, j’imagine que ça facilite le travail.

Bertrand Maes : Pas tout à fait !

Étienne Gonnu : Très bien. Pouvez-vous préciser ?

Bertrand Maes : Je suis d’une petite formation écologiste qui s’appelle Génération écologie, mais on travaille effectivement ensemble dans nos exécutifs et on défend plutôt les mêmes objectifs.

Étienne Gonnu : Merci de la précision.
Du coup, est-ce que ça a été acté assez facilement ou est-ce qu’il y a eu quand même des arbitrages à gagner pour en arriver à ce vote ?

Émeline Baume : À la métropole de Lyon, comme dans n’importe quelle organisation et encore plus dans une grosse organisation — c’est pour ça que j’ai pris soin de dire qu’il y a 9 600 agents —, ça a été présenté aux organisations syndicales. Il y a vraiment eu un moment de questionnement et d’inquiétude de la part de ma collègue qui est en charge des ressources humaines et de ses équipes.

Étienne Gonnu : D’accord. Donc plutôt côté agents que politiques. Après la pause musicale on va revenir sur l’accompagnement au changement, je pense que c’est le cœur de la guerre. Et côté politique ?

Émeline Baume : Côté politique, comme le disait Bertrand, en fait c’était inscrit dans notre programme. À la métropole on est sur le même périmètre qu’à la ville de Lyon. Tous les collègues n’étaient pas à fond, comme l’indiquait Bertrand, parce que ce n’est pas non plus un sujet au cœur, sauf quand on est dans les mouvements écologistes. Quand on est dans d’autres mouvements de gauche ce n’est pas un sujet au cœur, voire, pire, ce n’est pas un sujet tout court.

En fait il y a eu un pari : il y a celles et ceux, comme Bertrand et moi, qui défendaient des questions de transparence, de souveraineté et d’efficacité du service public, et il y a celles et ceux qui ne sont que sur l’efficacité du service public, c’est-à-dire qu’on ne dépense pas, pas de renouvellements de licences Microsoft, mais aussi un gros questionnement sur les usages.
À titre personnel, je sais que dans un an, dans deux ans, dans trois ans, je repasserai à la moulinette de l’exécutif et, s’il y a des difficultés, j’aurai à argumenter.

Étienne Gonnu : D’accord. Cette distinction est importante et ça revient d’ailleurs à ce que vous disiez : vous n’êtes pas technicienne et, justement, ce ne sont pas que des questions techniques, ce sont des questions politiques et ce n’est pas toujours quelque chose qui est facile à faire entendre.

Je vous propose de faire une pause musicale avant d’attaquer, justement, ce que vous mettez en œuvre plus concrètement dans vos collectivités. Nous allons écouter La ville par ZinKaRo. On se retrouve dans 2 minutes 42. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : La ville par ZinKaRo.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter La ville par ZinKaRo, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC BY SA.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu pour l’April. Vous écoutez Libre à vous ! sur radio Cause Commune.
Nous enregistrons, ce jeudi 8 décembre 2022, dans les conditions du direct, avec mes invités, Émeline Baume, vice-présidente de la métropole de Lyon et Bertrand Maes, conseiller municipal à la ville de Lyon, un sujet sur les politiques conduites par ces deux collectivités en faveur du logiciel libre.

Avant la pause, nous discutions du fond de ces politiques publiques, de pourquoi un engagement en faveur du logiciel libre. Je vous propose à présent de nous arrêter plus précisément sur comment elles sont mises en œuvre dans les usages quotidiens de vos administrations, que ce soit au niveau de vos propres systèmes d’information, mais également à l’égard des habitants et habitantes de vos territoires. Avant ça, puisque vous parliez d’un passif Microsoft, d’une dépendance à un logiciel privateur, savoir comment vous avez mis en œuvre une migration vers du logiciel libre qui est en plus, j’imagine, au début d’un processus puisque vos délibérations ont à peine un an maintenant. Qui souhaite commencer ?

Bertrand Maes : Je voulais peut-être compléter ce qu’a dit Émeline, en tout cas abonder dans son sens. C’est-à-dire que rien n’est définitivement acquis sur le sujet. On sent que les efforts qu’il faut consentir pour passer au logiciel libre pourraient vite être montrés du doigt dans l’exécutif, parce que, de fait, ça nécessite par exemple certains coûts, notamment pour la formation, le changement, et aujourd’hui les collectivités sont, et risquent de l’être d’autant plus dans les années à venir, très pressurisées financièrement. Je pense qu’on vit un petit peu avec cette crainte que cette politique soit remise en cause.
Après, politiquement, nous nous y sommes engagés, mais je pense qu’on aura régulièrement à ressortir l’argumentaire, le pourquoi de notre démarche.

Étienne Gonnu : Et puis il y a des intérêts contraires, malheureusement, et aussi des moyens forts pour contredire les avancées en faveur du Libre.

Bertrand Maes : Tout à fait.

Étienne Gonnu : Du coup il y a des résistances qui peuvent être aussi simplement du fait des habitudes techniques, des habitudes d’usage. On arrive avec une proposition politique forte, comment aborde-t-on cette question du changement ? Je pense que ça peut intéresser beaucoup d’autres collectivités qui se posent des questions. Comment avez-vous abordé cet enjeu dans vos collectivités ? Madame Baume.

Émeline Baume : Côté métropole de Lyon avant même qu’on acte, qu’on prenne la délibération de septembre 2021 et après aussi, il y a eu des sortes de groupes projets par délégation, par grandes politiques publiques. On a demandé à des agents de tous les niveaux, catégories A, B, C, c’est-à-dire autant les encadrants que les exécutants et en particulier, j’insiste, les assistants et assistantes, secrétaires, de tester les choses, de regarder plus précisément quels outils ils et elles utilisent au quotidien. Quand je suis passée devant les instances pour assurer du dialogue social sur ce sujet-là, le retour qui m’a été fait — je fais une caricature, mais c’était vraiment ça :
parce qu’ils comprennent la démarche politique, parce qu’ils y adhèrent, 70 % de l’encadrement est OK, est aussi OK pour un accompagnement au changement des pratiques du quotidien et, en gros, en un an ou deux ans on y arrivera ;
chez les catégories B, ça dépendait vraiment des équipes et, en gros, des systèmes d’information déjà en place ;
et quand on arrivait à des postes d’accueil et de secrétariat, ce qui m’est revenu c’est « on ne pourra plus fusionner les agendas, comment va-t-on faire ? »
Voilà pour vous donner un peu ce qui se passe concrètement quand on est en situation de responsabilité. Du coup, mais je ne le sais pas par cœur de tête, à partir de là on a calibré ce que Bertrand a amené, les frais de fonctionnement conséquents et aller chercher cette enveloppe-là ce n’est pas forcément évident. On a calibré l’accompagnement au changement qui, de fait, est plus fort à la métropole pour les catégories C que pour les catégories A.
Après on a priorisé des délégations des services en priorisant les services qui sont en toute proximité avec les habitants et habitantes qui sont le plus en situation de fragilité, de précarité, donc les hommes et les femmes qui sont dans ce qu’on appelle les Maisons de la Métropole, mais pas que.

Et, pareil, aller chercher cet arbitrage n’a pas été évident, même si dans la méthode, auprès de mes collègues de l‘exécutif, du président et de la directrice générale du service, c’était évident qu’on ne migrerait pas, de toute façon, tant qu’il n’y aurait pas eu ce passage, cet accompagnement au changement. Cela s’est doublé d’un sujet sur le Pix, sur l’acquisition des compétences minimum.

Cela nous a permis de faire un gros paquet autour du numérique.

Bertrand a pris soin de dire, dans ses premiers propos, qu’il y a aussi un sujet de dématérialisation de certains services du quotidien ; on fera un sujet un autre jour là-dessus. On met en place des conseillers numériques dans les lieux de proximité et de quotidienneté et on se rend compte que nos propres agents vont se former auprès du conseiller numérique. Il y a un sujet de compétences numériques globales, et après de migration vers des outils libres.

Étienne Gonnu : Très clair. Monsieur Maes, souhaitez-vous compléter ?

Bertrand Maes : Peut-être juste élargir. C’est vrai qu’on a tous les deux, à la métropole et à la ville, cet énorme sujet du chantier Microsoft qui, même si c’est un seul item, représente en fait l’essentiel de l’effort.
Pour élargir sur le logiciel libre en général, je me rends compte que les choses ne sont quand même pas si simples. Il y a cette volonté politique d’aller vers plus de logiciel libre, néanmoins, quand on est confronté à la réalité de la situation, ce n’est pas toujours très évident, tout simplement parce qu’on a parfois des besoins très spécifiques pour des métiers très spécifiques. On est un petit peu confronté à ce qui est disponible sur le marché, qu’il n’y a pas systématiquement des solutions alternatives en logiciel libre et, si elles n’existent pas encore, on n’a pas toujours la possibilité, évidemment, de lancer un gros chantier de développement pour faire apparaître ces solutions.

Néanmoins une astuce que je partage, du moins c’est quelque chose que j’ai compris très récemment. Je me demandais comment on pouvait privilégier le logiciel libre dans les appels d’offre en marché public puisque, en réalité, vous pouvez difficilement lancer un appel d’offres et dire « je veux une solution libre ». La petite astuce que j’ai découverte, c’est que soit on met en concurrence des entreprises sur des solutions logicielles qui répondent à un besoin, c‘est-à-dire qu’on dit « j’ai tel besoin, quels sont les logiciels que vous me proposez ? » et, dans ce cas il est difficile de privilégier un logiciel libre ; soit vous dites « je veux tel logiciel libre » et vous mettez en concurrence des intégrateurs. C’est un petit peu l’astuce. Je le dis parce qu’il m’a fallu deux ans de mandat pour comprendre comment on pouvait s’en sortir de ce côté-là.

Au-delà de ça, rappeler que ce n’est pas du tout une évidence quand vous voulez passer à du logiciel libre dans l’administration, quand même pas mal d’obstacles peuvent se mettre sur le chemin.

Étienne Gonnu : Vous avez devancé la suggestion que je voulais évoquer sur comment se procurer du logiciel libre. Je voulais rappeler qu’en 2011 le Conseil d’État a validé qu’il est possible de passer un marché sur du logiciel libre parce qu’en fait, du fait même des caractéristiques intrinsèques du logiciel libre, il n’y a pas de rupture d’égalité : n’importe quelle entreprise qui s’en donne les moyens, qui a les compétences, peut participer à l’appel d’offres ; ça ne rompt pas l’égalité puisque, justement, ça garantit la liberté nécessaire. Je pense que c’est toujours intéressant de le rappeler.

En très peu de mots : est-ce que vous avez plutôt commencé par les postes de travail, les logiciels bureautiques ou plutôt par les logiciels métiers ? Quelle a été votre priorité ?

Émeline Baume : Côté métropole, on a commencé sur la bureautique, donc le quotidien et, en particulier, comme je le disais, les personnes qui sont à l’accueil, assistants/assistantes.

Je rejoins Bertrand sur le sujet, juste pour ajouter une brique : les métiers spécifiques où on est toujours dans l’urgence, comme dans n’importe quelle entreprise malheureusement, même si on est un service public. Il m’est arrivé des vendredis soir ou des samedis d’être obligée de signer des trucs, ça fait vraiment mal au cœur, mais on se rend compte qu’il y a un truc qui a planté, il faudrait aller vers autre chose, mais on n’a pas le temps d’aller sourcer ce qui pourrait être fait.

Je pense que c’est l’autre message qu’il faut faire passer, cette question du respect des libertés et de notre souveraineté, c’est finalement du temps long, donc ça doit se poser. Je pense que Bertrand le dit très souvent à la mairie, il faut qu’on le repose dans l’inconscient collectif.

Vous, vous faites très bien votre job, il faut l’amplifier. Portez encore plus de plaidoyer politique, je vous en prie ! Et nous, nous avons vraiment une capacité à en parler aux jeunes générations parce qu’on porte plein d’événements. La ville de Lyon porte aussi des actions vers les enfants. C’est un peu simpliste, mais je pense qu’il faut commencer par là parce que sinon, comme l’a indiqué Bertrand, on rencontre des murs parce qu’on est avec des hommes et des femmes qui ont de 25 à 58 ans et qui ont une habitude, des pratiques. Intellectuellement ils veulent bien recevoir nos arguments politiques, mais, dans leur quotidien, c’est tellement plus simple ! Au nom de l’efficacité du service public, on va toujours nous opposer les habitudes, les réflexes.

Donc vraiment, dans votre plaidoyer, gardez cette nécessité d’accompagner la jeune génération dès la prise en main des outils numériques pour qu’elle aille directement vers ces outils-là et que, pour elle, ce soit la norme, que la norme ne soit pas du logiciel privateur.

Étienne Gonnu : Je suis d’accord. Je suis persuadé qu’un des champs de bataille les plus importants est celui des imaginaires et là, clairement, ça s’inscrit dans le temps long.

Je sais, Émeline Baume, que vous allez devoir nous quitter très rapidement. Est-ce qu’il y a une idée forte que vous souhaiteriez qu’on retienne ? Il y a des sujets qu’on n’a pas encore pu aborder et on n’aura pas le temps, de toute façon on peut difficilement faire le tour entier d’une question aussi large. Vous avez parlé des écoles, des collèges, il y a la question de la sobriété numérique, il y a l’enjeu des compétences à internaliser ou plutôt s’appuyer sur la prestation de service et sur les entreprises locales. Est-ce qu’il y a un sujet, un thème, sur lequel vous souhaiteriez vous exprimer avant de nous quitter ?

Émeline Baume : Je voudrais revenir sur les messages et les expériences positives qu’on fait vivre à notre jeunesse. On a la chance sur notre territoire — je le dis parce que Bertrand la connaît bien aussi — d’avoir une association d’éducation populaire/laboratoire d’innovation des usages numériques, qui s’appelle Fréquence écoles, qui balaye beaucoup de choses et qui a eu une écoute dans le cadre d’un gros évènement qui s’appelle Super Demain. Petit point de progression pour moi et pour le territoire, j’aimerais juste que dans cet évènement-là on amène justement plus et mieux plus ces sujets-là. On parle beaucoup du sujet de la donnée, et c’est très bien, mais qu’on aille plus loin et qu’on arrive à y mettre la brique libre. C’est un évènement très familial et on peut se le permettre, donc osons ! Nous sommes sur un territoire sur lequel on peut se permettre ce genre de chose. Le fait de l’affirmer là, ça me permet aussi de m’appuyer dessus pour dire qu’il faut qu’on le fasse, que l’année prochaine Super Demain ait cette entrée-là, donc je compte sur vous.

Étienne Gonnu : On va participer à diffuser ce message. Je rappelle qu’on a un site web pour nos émissions où on liste les différentes références qui pourraient être évoquées. Je vous demanderai le lien, la référence à lister sur notre site web pour que les personnes qui nous écoutent puissent la retrouver.

Un grand merci Émeline Baume de vous être rendue disponible. Je vous souhaite une très bonne journée.

Émeline Baume : Merci à vous. Bonne journée.

Étienne Gonnu : Il nous reste encore un peu de temps pour continuer à creuser un peu ce sujet passionnant des politiques publiques pour le logiciel libre. Bertrand, vous êtes toujours avec nous ? Je ne me suis pas trompé ? C’est bon ?

Bertrand Maes : Je suis toujours avec vous. C’est tout bon.

Étienne Gonnu : Très bien. On a parlé un petit peu d’école. Je vais rappeler, peut-être pour contexte, que dans une réponse récente à une question écrite, le gouvernement a explicité que les solutions en ligne proposées par les GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft – ne seraient pas compatibles avec le droit des données personnelles, ce qu’on disait plus tôt, et, à ce titre devraient être exclues des écoles. À priori ça concerne Lyon puisque vous êtes responsable du premier degré. Est-ce que vous avez une politique publique spécifique sur la question de l’équipement informatique des écoles ? Pas encore ?

Bertrand Maes : Pas encore. Pour être tout à fait honnête, je vois de très loin le sujet numérique à l’éducation et, par ailleurs, on a une direction de l’éducation qui est quand même assez éprouvée par d’autres sujets en ce moment et ces dernières années, qui a été pas mal essorée par les années Covid et ça se poursuit. On a des problématiques d’enfants sans toit qui sont logés dans les écoles. Bref ! On a vraiment une direction de l’éducation qui est sur le pont sur beaucoup de sujets et c’est vrai que le sujet du numérique, encore une fois, n’était pas forcément la priorité.

Je me permets juste de revenir avec deux mots sur ce que disait Émeline tout à l’heure. De mes observations sur ce qui se passe dans les autres villes, je vois un peu deux types de configuration : les villes où la DSI est très convaincue par le logiciel libre et, à la limite, il se peut que l’élu n’en ait rien à faire, et la situation plus ou moins inverse, c’est-à-dire le logiciel libre est très poussé par les élus et la DSI n’y a pas forcément été sensibilisée jusqu’ici. Moi je suis plutôt dans le deuxième cas de figure et c’est vrai que ce n’est pas évident. Il y a évidemment cet enjeu, pour les élus, d’aller convaincre les DSI, etc. Néanmoins, les choses se passent forcément beaucoup plus vite et beaucoup mieux lorsque la DSI est elle-même porteuse et je pense que c’est plus facile dans les DSI qui ont gardé des capacités de développement. Dans une DSI qui développe encore du logiciel, on voit souvent des gens attachés aussi à cette notion de service public accessible à tous, donc de partage du logiciel.

Étienne Gonnu : Je n’ai pas en tête le numéro de l’émission [émission 50], mais je vais rappeler, pour les personnes qui nous écoutent, que nous avions reçu Nicolas Vivant qui était, à l’époque, DSI à la ville de Fontaine. En tant que DSI il avait convaincu les élus de l’intérêt du logiciel libre qu’il avait porté, donc il a pu nous raconter l’histoire de la politique d’une collectivité qui agit pour le logiciel libre sous une autre perspective. Différentes approches existent, effectivement.

Vous avez commencé à évoquer et vous avez évoqué à nouveau la question des compétences en interne, de comment une collectivité se procure du logiciel, parce qu’on sait que c’est une question extrêmement importante si on veut faire avancer le logiciel libre, c’est pour ça qu’à l’April nous défendons une priorité au logiciel et aux formats ouverts. Comment cela se passe-t-il ? Si je comprends bien, à Lyon vous n’avez pas de développement en interne, donc vous n’avez pas non plus de politique de contribution au logiciel libre à priori. Comment mettez-vous en œuvre une politique d’acquisition plutôt favorable au logiciel libre ?

Bertrand Maes : On peut éventuellement faire du reversement sur du logiciel qui n’aura pas été développé par des personnes de la ville de Lyon mais par des prestataires éditeurs. Historiquement, nous n’étions pas complètement tournés vers le logiciel libre même si des initiatives avaient quand même déjà existé. D’autres, nouvelles, ont vu le jour. Typiquement on a mis en place une plateforme d’initiative citoyenne qui a été et qui est toujours le support de notre budget participatif ; là-dessus on a eu recours à du logiciel libre avec Open Source Politics et Decidim. Parfois, effectivement, et c’est ce qui va se passer dans notre entente avec la métropole et le SITIV, des développements spécifiques vont être effectués et vont être reversés à la communauté, quand bien même ce sera effectué par un sous-traitant éditeur. Donc on peut contribuer à la communauté, même si ce n’est pas nous qui développons directement mais si ce sont des éditeurs sous-traitants.

Étienne Gonnu : D’accord. Du coup vous faites plus appel à de la prestation de services, à des entreprises plutôt locales, j’imagine, ou pas forcément ? Est-ce que vous prévoyez, dans les contrats de marché public, ce reversement ?

Bertrand Maes : J’aurais du mal à vous répondre. De fait, il arrive qu’on puisse privilégier des entreprises locales mais, encore une fois, le critère de localisme — je ne sais pas si c’est le terme — ne peut pas être utilisé dans les marchés publics, sauf à trouver des astuces un peu de détournement ; vous ne pouvez pas dire « je veux une entreprise qui soit située sur le territoire lyonnais » au nom du libre accès à la commande publique. Néanmoins, il arrive qu’on puisse avoir recours à des acteurs locaux, typiquement sur la solution collaborative que nous sommes en train de déployer. Quand je dis solution collaborative, c’est édition collaborative, visio, chat, etc., donc on a recours au prestataire Watcha qui est sur le territoire lyonnais, c’est plutôt une chance.
J’ai oublié le début de votre question. Désolé.

Étienne Gonnu : Vous y avez répondu. Le point de départ c’est, quand vous identifiez un besoin logiciel, que vous avez un besoin logiciel identifié soit pour remplacer un ancien logiciel privateur soit parce qu’un nouveau besoin émerge, comment faites-vous en sorte d’acquérir, de procurer du logiciel libre ?

Bertrand Maes : En fait, la situation ne s’est pratiquement pas posée jusqu’ici parce qu’on n’a pas eu tant de renouvellements de logiciels à faire que ça. Et j’ai en tête un logiciel pour lequel on n’a pas eu recours à du logiciel libre parce que la solution en libre ne répondait pas au besoin.

Étienne Gonnu : On comprend aussi la réalité. Vous avez des obligations de service public, de continuité notamment.

Bertrand Maes : On peut citer un logiciel qu’on a récemment mis en œuvre. Pour le coup on a utilisé un socle de la ville de Paris qui s’appelle Lutece, qu’on utilise sur pas mal de nos téléservices. Là encore, en fait, on a eu recours à un développeur externe, en l’occurrence on imposait la solution logicielle Lutece et on a pu mettre en concurrence des intégrateurs. Après, de la même façon, les développements spécifiques qui ont été effectués ont été reversés à la communauté, je ne sais plus exactement le nom de la plateforme, mais c’est Lutece de la ville de Paris.

Étienne Gonnu : On avait reçu Pierre Lévy, le développeur de cette solution logicielle pour la vile de Paris, dans l’émission Libre à vous ! 27, donc libreavous.org/27.

En première partie on a beaucoup évoqué une question qui est celle de la mutualisation. Avez-vous des politiques de mutualisation avec, j’imagine, la métropole et d’autres municipalités du territoire ?

Bertrand Maes : Comme je disais, en termes de mutualisation, je pense que la solution la plus présente sur notre système d’information c’est le fameux Lutece qu’on vient d’évoquer. Après, le gros chantier à venir, c’est ce qu’on est en train de lancer avec la métropole et le SITIV.

La mutualisation est effectivement quelque chose que je pousse beaucoup. Maintenant, je me rends compte également des difficultés. En fait, dans un projet de mutualisation, toutes les parties ont leurs petits besoins spécifiques. Quiconque ayant fait du mode projet dans une organisation sait déjà que ce n’est pas toujours simple de faire un projet au sein d’une organisation, mais, quand il faut en emmêler deux, trois en l’occurrence pour ce qui nous concerne, ou plus, ça peut vite devenir très compliqué. Les enjeux de gouvernance, d’organisation de façon générale, sont importants et peuvent rendre les choses un petit peu compliquées, voire décourageantes dans certains cas.

Étienne Gonnu : D’accord. Il faut aussi avoir en tête les limites et les difficultés pour pouvoir avancer plus efficacement.

Je vois le temps qui file. Vous m’avez signalé une question que vous souhaiteriez aborder, celle de la sobriété numérique. En d’autres termes, comment une collectivité peut s’appuyer sur les technologies informatiques pour remplir sa mission de service public en minimisant son impact environnemental, ce qui est aussi une considération essentielle d’intérêt général. Je crois que Lyon est active sur cette question qui fait partie de vos politiques publiques. Est-ce que vous souhaiteriez développer un peu sur cette question ?

Bertrand Maes : Tout à fait. Pour moi c’est la politique numéro 1 s’agissant du numérique. C’est, autant que possible, réduire l’impact environnemental de notre système d’information, donc ça passe, en premier lieu, par réfléchir à comment faire sans numérique, pour faire simple. Ceci pour dire que je suis très favorable au logiciel libre, mais je pense aussi qu’on peut faire des choses très inutiles, avec un très mauvais impact sur l’environnement, en logiciel libre. Pour moi, la première des priorités, c’est de réfléchir aux alternatives au numérique et ceci d’autant plus quand on parle de dématérialisation. On constate, après quelques années, que la dématérialisation du service public laisse quand même beaucoup de monde sur le côté. D’une certaine façon, de mon point de vue, la première des priorités qui s’impose aujourd’hui à nos sociétés c’est de réfléchir à comment on freine, tout simplement, la numérisation du monde.

Étienne Gonnu : Je pense que quand on défend le logiciel libre on défend une informatique émancipatrice, donc ça va de pair, en fait, avec cette question d’une informatique durable, d’une informatique qui préserve aussi nos conditions de vie. Je pense que le lien est là. Il n’y a pas photo, si vous me permettez l’expression.

Pour conclure, puisqu’on a déjà presque une heure d’enregistrement, quels sont, pour vous, en deux minutes on va dire, les éléments que vous aimeriez que les auditeurs et auditrices retiennent de notre échange ?

Bertrand Maes : Je pense que ce sont précisément les deux éléments que je viens de dire : réfléchissons aujourd’hui tous ensemble à comment on peut faire moins de numérique et arrêtons de penser au miracle numérique ; c’est vraiment ce que je constate par exemple aujourd’hui dans nos services : dès qu’il y a un dysfonctionnement, des difficultés, etc., on espère que le numérique sera la solution et on attend un certain miracle de l’application numérique qui va arriver. Premier message : réfléchissons à comment on peut faire sans numérique.

Le deuxième message est qu’il est temps de mettre un gros coup de frein à main sur la numérisation du service public. Rouvrons des guichets, rouvrons des solutions en présentiel, etc., parce qu’aujourd’hui il y a beaucoup trop de laissés-pour-compte.

Étienne Gonnu : Merci beaucoup pour ces paroles fortes.

Bertrand Maes, vous êtes conseiller municipal à la ville de Lyon, vous êtes adjoint notamment sur les questions de politique numérique. Émeline Baume, vice-présidente de la métropole du Grand Lyon, était également avec nous. Un grand merci à vous deux de nous avoir consacré ce temps d’échange. Tous mes encouragements pour les politiques publiques que vous menez en faveur des libertés informatiques. Je vous souhaite une excellente fin de journée.

Bertrand Maes : Merci beaucoup. Au revoir.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : De retour en direct sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et sur causecommune.fm. Nous venons d’écouter un sujet sur les politiques de la ville de Lyon et du Grand Lyon en faveur du logiciel libre avec Émeline Baume, vice-présidente de la métropole du Grand Lyon, et Bertrand Maes, conseiller municipal de la ville de Lyon.

Nous allons faire maintenant une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous entendrons une nouvelle chronique de Laurent et Lorette Costy.
Avant cela nous allons écouter Nozlani par Marcia Higelin. On se retrouve juste après. Belle journée, à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Nozlani par Marcia Higelin.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous sommes en train d’écouter la fin de Nozlani par Marcia Higelin, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April. Nous allons passer à notre dernier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy intitulée « Merci Eugen Rochko et Vive le Fédiverse »

Étienne Gonnu : « À cœur vaillant la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy. Comprendre Internet et ses techniques pour mieux l’utiliser, en particulier avec des logiciels libres et des services respectueux des utilisatrices et utilisateurs, pour son propre bien-être, en particulier, et celui de la société en général.
Aujourd’hui un hommage mérité au Fédiverse et à Eugen Rochko, développeur de Mastodon.
On se retrouve juste après, toujours sur la radio Cause Commune.

[Virgule sonore]

Lorette Costy : Allô papa, il faut qu’on cause de ce qui se passe avec Twitter et que je t’explique ce qu’est le Fédiverse et Mastodon ! Comme j’ai eu envie de comprendre, j’ai cherché et je vais te résumer ce que j’ai compris. Tu me diras si j’ai bon !

Laurent Costy : Waouh !, c’est une bonne chose de t’avoir envoyée en Espagne, de l’autre côté du globe, pour tes études ! Cette retraite tibétaine dans les boîtes de nuit hispaniques t’est absolument bénéfique ! Comment est vécu le rachat de Twitter par Elon Musk, là-bas ?

Lorette Costy : Je n’ai pas tout lu, mais les Espagnols trouvent que c’est bizarre, pour quelqu’un de réputé visionnaire, de n’avoir pas vu que le départ de plus de la moitié des salariés ferait que ça fonctionnerait moins bien. Ça vérifie au passage, une fois de plus, leur fameux dicton médiéval : « Dans le numérique, si tu n’es pas copain avec le châtelain, ça fait du boudin ! »

Laurent Costy : C’est en effet un dicton que ne renierait pas Yann Kervran, spécialiste du 3e quart du 12e siècle, même s’il objecterait sans doute quant à sa véracité ! En tous cas, n’hésite pas à lire ses livres que l’on trouve sur le site Framabook et à lui verser l’obole si ça te plaît. Comme on est dans les citations, je me permets de compléter avec une autre d’Ada Lovelace, souvent d’ailleurs faussement attribuée à Léonard De Vinci : « Si tu n’arrives pas à faire des bénéfices en vendant tes voitures électriques, tu n’as qu’à vendre tes crédits carbone ! ».

Lorette Costy : Oui, j’ai lu ça dans mes pérégrinations, en effet ! Alors que Tesla n’était pas rentable, des bénéfices ont pu être affichés à cause de cette revente de crédits carbone. Ça veut dire que la question environnementale, pour Elon Musk, ce serait juste une occasion de faire toujours plus de turbo-argent-indécent ? Je ne peux me résoudre à le croire ! Il ne peut pas y avoir de personnes comme ça, aussi vénales et cyniques sur Terre !

Laurent Costy : Pour lui, l’environnement c’est un business comme les autres pour lequel il promeut ses technologies, laissant croire qu’elles vont résoudre le problème environnemental. Il est juste hors de la réalité. Il se trompe lui-même ! C’est comme sa conception de la liberté de parole, elle est tout à fait particulière.

Lorette Costy : En effet ! J’ai lu dans France 24 qu’Elon Musk a tout fait pour censurer un jeune internaute qui publiait sur son compte Twitter les déplacements de son jet privé ! Et aussi, selon The Guardian, qu’un ancien ministre de Bill Clinton a été bloqué par ce pseudo-fervent défenseur de la liberté de parole sous prétexte qu’il avait critiqué la manière de traiter les ouvriers dans les usines Tesla. C’est hallucinant !

Laurent Costy : Rhô, ce n’est pas joli joli tout ça ! Mais il y a encore d’autres exemples. Elon Musk a aussi transformé la vie de Martin Tripp, un ancien employé de Tesla, en enfer parce que ce dernier avait parlé à un journaliste en 2019. Le téléphone de Martin Tripp a été mis sur écoute, il a été suivi par des détectives privés et assigné en justice par Tesla. « Une campagne pour ternir sa réputation a été organisée », raconte le site The Verge. « Martin Tripp a finalement décidé de s’installer en Hongrie pour protéger sa famille », rapporte une journaliste du New-York Times.

Lorette Costy : Donc, cette personne essaie de paraître différente et s’auto-persuade qu’elle l’est ! En plus de mon cursus boîte de nuit en Espagne, je pourrais en suivre un en psychologie mais, pour ce cas, pas besoin d’être visionnaire pour voir qu’il y a quelque chose qui cloche ! Bon ! Évitons de dissiper de l’énergie et du temps à parler de ce boloss, surtout qu’on risque de se retrouver confrontés à des hordes d’imbéciles qui ne sont pas capables de discernement, qui adulent leur maître et le défendent. Quand même à la limite de la secte ce truc !

Laurent Costy : Complètement d’accord avec toi et je sais déjà où tu veux en venir ! Je suis fier que tu te sois renseignée à son sujet !

Lorette Costy : Merci, mon Papounet, pour ce compliment dithyrambique ! Par contre, je crois que ce mot ne se dit plus trop, je ne sais même pas ce que ça veut dire [Prononcé en chuchotant, NdT]. Effectivement, s’intéresser à la vie de Louise Michel n’a pas été une sinécure. Pareil, celui-là ne se dit pas non plus, même si je sais ce que ça veut dire, il faut l’enlever de la liste [Prononcé en chuchotant, NdT]. Tu savais que, pendant la Commune, elle aurait dit : « Le logiciel libre est au numérique ce que le syndicalisme est au monde du travail : une conscience ! » ?

Laurent Costy : Euh, comment dire ! D’abord, je suis content que tu aies utilisé le conditionnel pour l’attribution de cette citation. Ensuite, la Commune n’est pas tout à fait son domaine mais je pourrai demander à Yann Kervran de vérifier. Et puis enfin, ça n’a pas de rapport direct avec le sujet que tu voulais aborder ? Si ?

Lorette Costy : C’est juste ! Mais je voulais d’abord prendre à contre-pied ton instinct visionnaire et prouver que si l’on peut être visionnaire une fois, on ne l’est pas forcément à vie ! Ensuite, j’avais envie d’évoquer Louise Michel qui a été une femme extraordinaire et dont on ne parle pas assez, je trouve.

Laurent Costy : OK, ça me va, je respecte alors ! Poursuivons avec la personne extraordinaire dont tu voulais me parler : Eugen Rochko.

Lorette Costy : Gagné ! Mais tu avais relu la chronique, du coup ça ne compte pas !
Eugen Rochko donc. Entre autres désormais connu, et reconnu, comme le développeur et initiateur du service de microblogging, libre et décentralisé, Mastodon. C’est un type qui aurait pu se conformer à l’image fantasmée, entretenue et néfaste du rêve américain. Autrement dit, faire un pognon de dingue pour écraser les autres et dominer. Eh bien, figure-toi qu’il n’a pas choisi cette voie.

Laurent Costy : Le vrai courage est là. Pour le coup, c’est quelqu’un que j’admire. D’ailleurs, il me fait penser à Jean-Baptiste Kempf, contributeur majeur du projet Videolan, autrement dit VLC, que tout le monde utilise. Il était l’invité de l’émission 42 de Libre à vous !. Il a résisté, devant le succès, aux sirènes du pognon et a choisi délibérément de faire passer le commun avant sa gueule. Il faut avoir une force colossale en soi pour tenir la ligne dans le temps !

Lorette Costy : Eugen Rochko, en faisant le choix de penser Mastodon en service décentralisé et en attachant une licence libre à son programme, a fait le choix de ne pas devenir un libertarien égocentré, dominateur et voulant influencer des choix démocratiques. Il a préféré doter le numérique d’outils alternatifs et moins corrosifs que ceux des géants du Web et ça, c’est stylé !

Laurent Costy : Cette décentralisation permet à chacun et à chacune d’avoir la capacité d’agir sur son petit bout d’Internet. Mais du coup, explique-moi ce que tu as compris de Mastodon, du Fédiverse et d’ActivityPub, trois gros mots qui sont effectivement plus d’actualité que dithyrambique et sinécure !

Lorette Costy : En effet, d’accord !
Commençons par Mastodon, outil libre de microblogging, puisque c’est ce dont nous parlions en mentionnant son créateur, Eugen Rochko. Peut-être que le point le plus important à comprendre, pour les personnes habituées aux réseaux sociaux centralisés, c’est cette possibilité qui est offerte d’installer son propre Mastodon pour une échelle déterminée, que ça soit la famille, une association, une structure, etc. Cette installation, que l’on appelle instance, peut ensuite être reliée avec d’autres instances de Mastodon et même d’autres choses d’ailleurs, que l’on le verra après.

Laurent Costy : C’est une manière de responsabiliser un groupe autour d’une instance pour en fixer les règles, la gérer en commun et faire que ce commun dure le plus longtemps possible et soit respecté. Tu as compris tout ça très vite, alors que moi il avait fallu qu’on m’explique longtemps.

Lorette Costy : Bien sûr, on peut choisir de se fédérer avec telle ou telle autre instance, en fonction des règles et des choix de publication posés par les personnes qui administrent l’instance. Ce qui permet de se connecter à une instance c’est le protocole ActivityPub, que je vais te laisser expliquer parce là, franchement, j’ai un peu la flemme !

Laurent Costy : Mais je n’ai pas préparé ! ActivityPub, déjà, ce n’est pas un truc qui mesure l’activité de la pub ; c’est déjà ça ! En passant, à ce sujet, n’hésite pas à installer l’extension GreenBeam dans Firefox pour appréhender toutes les communications qui s’opèrent via les cookies. On en a déjà parlé, mais c’est juste hallucinant !

Lorette Costy : Merci, j’essaierai, mais ta tentative de détournement tend à démontrer ton inculture en matière de protocole ActivityPub. Je prends le relais, tu peux aller te servir un rhum-orange ! Je vais faire simple. J’ai lu pour toi la page Wikipédia : « ActivityPub est un standard ouvert pour réseaux sociaux décentralisés basé sur le format ActivityStreams 2.0. Il a été officiellement publié comme recommandation du W3C le 23 janvier 2018. »

Laurent Costy : Ah si, ça je sais ça ! Le W3C c’est le World Wide Web Consortium, abrégé par le sigle W3C. C’est « un organisme de standardisation à but non lucratif, fondé en octobre 1994, et chargé de promouvoir la compatibilité des technologies du World Wide Web ». Voilà ! Moi aussi je maîtrise parfaitement le copier-coller sur Wikipédia ! Je peux même citer leur ligne directrice : « Le leitmotiv du W3C est "Un seul Web partout et pour tous" ». Des gens biens, à n’en pas douter !

Lorette Costy : Merci pour cette précision. Je poursuis. ActivityPub fournit une interface de programmation, appelée API pour Application Programming Interface, qui permet de faire plein de trucs. Cette API est principalement utilisée pour permettre, entre serveurs, la distribution de notifications et de contenus. Il est la base structurante du Fédiverse !

Laurent Costy : Et nous voilà donc dans le Fédiverse, cette fédération d’univers !

Lorette Costy : Et c’est là que l’on va commencer à mesurer tout l’intérêt du protocole. Il va permettre de lier non seulement des instances Mastodon mais aussi d’autres services qui se sont construits sur le protocole ActivityPub.

Laurent Costy : Exact ! Je suis admiratif de tout ce que tu as appris et de ta capacité à l’expliquer !

Lorette Costy : Attends ! Ce n’est pas fini ! Je voulais illustrer avec un exemple : dans le Fédiverse et grâce à ActivityPub, tu vas pouvoir interagir avec le logiciel libre d’annonce d’événements comme Mobilizon, ou mettre un commentaire sous une vidéo dans PeerTube, sur une instance qui aura été configurée pour le permettre !

Laurent Costy : Sur Twitter, certaines personnes se sont moquées de la complexité apparente de Mastodon, évidemment comparativement à l’outil centralisé qu’ils avaient l’habitude d’utiliser. Changer ses habitudes reste difficile et, si l’on n’est pas convaincu de la nocivité des réseaux centralisés, il manque sans doute la capsule d’énergie qui peut aider à faire l’effort nécessaire !

Lorette Costy : Oh tu sais, mon streamer préféré, Antoine Daniel, a avalé la capsule : il est sur Mastodon depuis cinq ans et il a désactivé son compte Twitter il y a quelques semaines.

Mon cher papa, pendant que j’enregistre cette chronique sur la télé du salon – oui, mon écran est toujours cassé –, mes colocs ont fait du pop-corn et je vais aller leur en voler ! Et ça va aussi être bientôt l’heure de mon cours de boîte de nuit au Tropicana.

Laurent Costy : Par les saintes écritures qui permettent d’afficher Hello World en Python, je vais cesser de t’accaparer et te rendre ta liberté. Merci pour ce dossier pour lequel je te mets un 20/20. Tiens-moi au courant si ton prof de boîte de nuit te met moins, j’irai négocier ! Et surtout, vraiment heureux de te retrouver en chair et en os à la fin du mois ! Tu me manque ! La bise, ma fée du Fédiverse !

Lorette Costy : À très bientôt mon Papa Potam, de la famille des Mastodon ! Bisous !

[Prononcé en chuchotant, NdT]

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter « À cœur vaillant, la voie est libre », la chronique de Laurent et Lorette Costy qui nous ont proposé un hommage mérité au Fédiverse et à Eugen Rochko, développeur de Mastodon. Je vous précise d’ailleurs que nous parlerons en détail du Fédiverse et d’ActivityPub en 2023. Si ce n’est pas fait, abonnez-vous à la lettre d’actu et au flux RSS de l’émission pour ne pas manquer l’annonce de l’émission.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Comme vous l’entendez, nous approchons de la fin de l’émission et nous allons terminer par quelques annonces.

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Comme je vous l’annonçais un peu plus tôt, nous proposons un questionnaire pour connaître l’auditorat de Libre à vous !. Vos réponses à ce questionnaire sont très précieuses pour nous. Elles nous permettront d’évaluer l’impact de notre émission, de mieux vous connaître et, de votre côté, ce questionnaire est une occasion pour nous faire des retours. Répondre à ce questionnaire ne vous prendra pas plus de cinq minutes. Rendez-vous sur libreavous.org pour le retrouver.

Si vous êtes en Île-de-France ce vendredi 16 décembre, n’hésitez pas à faire un tour dans le 14e arrondissement : l’April organise son apéro mensuel dans son local. Tout le monde est le bienvenu. Dans une période de progression importante du Covid, le port du masque sera recommandé pour permettre à tout le monde de participer le plus sereinement possible. Rendez-vous vendredi 16 décembre à 19 heures.

Si vous êtes du côté de Montpellier, ce même vendredi 16 décembre à 19 heures 30, projection du film LoL, logiciel libre, une affaire sérieuse au cinéma Utopia, suivie d’un débat en présence de François Pellegrini, vice-président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.

Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois, à partir de 19 heures, dans ses locaux de Paris, 22 rue Dimey, dans le 18e arrondissement ; une réunion d’équipe ouverte au public, avec apéro participatif à la clé. La prochaine soirée-rencontre aura lieu le 6 janvier 2023.

Je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour retrouver des événements en lien avec les logiciels libres ou la culture du Libre près de chez vous.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Isabelle Carrère, Bertrand Maes, Émeline Baume, Laurent et Lorette Costy.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Thierry Holleville.
Un énorme merci à mes collègues Frédéric Couchet et Isabella Vanni pour leur aide dans la préparation de cette émission.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Julien Osman, membre de notre équipe podcast, qui a traité le fichier du sujet long aujourd’hui, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpera le podcast complet en podcasts individuels par sujets.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.

Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 20 décembre 2022 à 15 heures 30, d’ailleurs la dernière de l’année d’ailleurs. Notre sujet principal portera sur les enjeux de diversité, de mixité, de recrutement et de logiciel libre.

Nous vous souhaitons de passer une très bonne fin de journée. On se retrouve en direct mardi 20 décembre 2022 et d’ici là, portez-vous bien !

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.