Éducation, sanction, prospective : que peut (vraiment) la CNIL pour protéger nos données - Émission Soft Power

Titre :
Éducation, sanction, prospective : que peut (vraiment) la CNIL pour protéger nos données ?
Intervenant·e·s :
Marie-Laure Denis - Yves Citton - Gilles Fontaine - Sandrine Casilli - Zoé Sfez - Frédéric Martel
Lieu :
Soft Power, France Culture
Date :
juin 2019
Durée :
1 h 25 min (partie transcrite)
Écouter ou télécharger le podcast

Page de présentation de l’émission

Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
logo de la Commission nationale de l’informatique et des libertés - Licence CC BY-NC-ND 3.0

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Logo France Culture

Description

Un an après l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD), où en sommes-nous aujourd’hui ? Au-delà, qu’est-ce qui est mis en place pour protéger nos données ? Que peut (vraiment) la CNIL ? Nous en discutons avec sa présidente, Marie-Laure Denis.

Transcription

Voix off : Soft Power, Frédéric Martel.
Frédéric Martel : France Culture. Bienvenue dans Soft Power, le magazine des industries culturelles et du numérique, en direct jusqu’à 20 heures 30.

La CNIL, la Commission nationale de l’informatique et libertés, est là pour nous protéger. Cet organisme national a d’ailleurs comme devise, disons, protéger les données personnelles, accompagner l’innovation, préserver les libertés individuelles. Depuis février, la CNIL est présidée par la magistrate Marie-Laure Denis qui est mon invitée ce soir. Bonsoir Madame.
Marie-Laure Denis : Bonsoir Frédéric Martel.
Frédéric Martel : Vous êtes conseillère d’État. Avec vous nous parlerons des données comme enjeu de pouvoir, des données comme enjeu éthique. On dressera un premier bilan du RGPD, un an après, et on essaiera aussi d’imaginer l’avenir de la CNIL, au moment où tout ça s’accélère, où évidemment ces débats sont globaux et non pas simplement nationaux. La CNIL qui a 40 ans et peut-être pas tout à fait toutes ses dents !

Vous serez interrogée ce soir par trois journalistes, Marie-Laure Denis, sur France Culture en direct : Sandrine Cassini du journal Le Monde. Bonsoir Sandrine.
Sandrine Cassini : Bonsoir.
Frédéric Martel : Gilles Fontaine de Challenges.
Gilles Fontaine : Bonsoir Frédéric.
Frédéric Martel : Et Zoé Sfez de France Culture. Bonsoir Zoé.
Zoé Sfez : Bonsoir Frédéric. Bonsoir à tous.
Frédéric Martel : Toujours au sommaire de cette émission, nous parlerons ce soir de deux livres, celui de Françoise Nyssen, Plaisir et nécessité, un plaidoyer pro domo de l’ancienne ministre de la Culture et puis de East Village Blues de Chantal Thomas.

Et en seconde partie d’émission, à 20 heures, votre invité innovation ce soir, Zoé Sfez ?
Zoé Sfez : C’est, comment est-ce qu’on peut dire ça, le professeur de littérature et de médias, Yves Citton, qui travaille depuis très longtemps sur la question des médias et de l’attention et qui publie, qui codirige un ouvrage assez massif et important aux éditions UGA Écologies de l’attention et archéologie des média. On va essayer de poser les enjeux théoriques de sa recherche qui est une recherche qui, évidemment, éclaire toute une série de sujets dont nous parlons toute l’année ici, dans Soft Power.
Frédéric Martel : Et 20 heures 10, on continuera justement à parler de pensées et d’idées dans Le club de la presse numérique, car nous parlerons ce soir des penseurs du Web que sont ces auteurs qui nous aident justement à penser les mutations numériques. On fera un état des lieux, un tour d’horizon ; les penseurs du numérique et de la transition numérique.

Voilà pour le sommaire de ce magazine Soft Power ce soir. Cette émission est réalisée par Véronique Vila avec en régie Jacquez Hubert. Soft Power c’est aussi sur les réseaux sociaux au mot clé « soft power » et un podcast chaque semaine sur le site de France Culture. Sur itunes c’est sur l’application podcast de votre smartphone. Soft Power jusqu’à 20 heures 30 sur France culture en direct.
Plaisir et nécessité, tel est le titre d’un livre que l’ancienne ministre de la Culture, Françoise Nyssen, vient de publier aux Éditions Stock. Je commence cette émission en revenant sur ce récit à la première personne dont on a d’ailleurs déjà parlé sur France Culture, notamment, je crois, Mathide Serrell dans sa Chronique matinale et bien sûr Françoise Nyssen elle-même invitée des Matins.

Avec un peu de recul et après une lecture attentive, je dois dire que cet ouvrage m’a intéressé car il nous livre une vision interne, à vif, du pouvoir et notamment du fonctionnement du ministère de la Culture.

Avant d’en venir à sa fonction, Françoise Nyssen décrit minutieusement dans son livre son parcours, celui d’une femme de nationalité belge qui ne s’est jamais totalement sentie chez elle dans la politique française et dans les dîners en ville. Pourtant, ce parcours est plus militant qu’on ne le croyait, plus politique aussi, notamment plus à gauche. Les pages qu’elle consacre ensuite à Actes Sud, la maison d’éditions que son père, Hubert Nyssen, a fondée et dont elle a hérité sont passionnantes et bouleversantes. Celles aussi qu’elle dédie à son fils, Antoine, un jeune garçon surdoué qui s’est suicidé à 18 ans et dont le souvenir demeure à chaque minute d’une vie ainsi bouleversée, à chaque page de ce livre, et sans doute aussi à chaque moment de son action politique inattendue. En lisant ces pages on reste sans voix.

La tragédie de Françoise Nyssen, car c’en est une, est là dans sa brutalité ; une femme un peu hors-sol qui n’appartient à aucun parti, une éditrice brillante et convaincue qui n’avait aucun réseau politique, aucune connaissance des institutions, aucun allié dans la haute administration et pas non plus dans la presse. Tout ce beau monde, énarques et journalistes mêlés, lui a fait payer fort cher d’être une outsider.

Les chapitres qu’elle consacre à ces 17 mois passés au ministère de la Culture sont donc une description brute et parfois naïve de la rue de Valois et des egos démesurés que l’on y croise.

Le Premier ministre Édouard Philippe est la victime collatérale de ce livre. Il y est critiqué à de multiples reprises par Françoise Nyssen pour être un homme qui n’aurait pas le souci de l’art et ne s’intéresserait qu’aux questions de budget. On apprend au passage qu’Édouard Philippe était hostile au Pass Culture et il l’est sans doute toujours.

Les conseillers du Premier ministre, énarques et peu soucieux d’art eux non plus mais seulement d’audiovisuel, sont également raillés sans être nommés, tout comme la conseillère culture d’Emmanuel Macron, distante, réservée, pas assez franche. Stupéfaite, Françoise Nyssen découvre d’ailleurs que les notes qu’elle adresse au président de la République ne lui sont pas remises.

Dans son livre, elle sauve pourtant de ce jeu de massacre le président Macron dont elle trace un portrait chaleureux au chapitre 24. Un portrait, c’est beaucoup dire. Car ce livre est rédigé comme une longue interview orale, enregistrée puis retranscrite, sans aucun style. Souvent l’auteur se répète comme si elle ne s’était pas vraiment relue ou n’avait guère été éditée. D’ailleurs j’ai l’impression que ce quick book a été réalisé à partir d’entretiens oraux puis retranscrits par une plume, disons, bienveillante, comment savoir ?

Le livre est donc sans talent aucun. Il confirme à ses dépens qu’un éditeur est rarement un bon écrivain, une exception étant justement son père, Hubert Nyssen, dont les deux tomes de mémoires, L’éditeur et son double, que nous avons lus jadis, étaient de bonne tenue.

Dans son livre, Françoise Nyssen apparaît fondamentalement sympathique, avec une sincérité à fleur de ligne. Toute sa vie elle a cherché à corriger son image ; elle n’a pas voulu être seulement la fille de son père, ce qu’on lui a longtemps reproché. Elle a voulu être ministre en charge, qui ne se laissait imposer ni les nominations ni ne perdait ses arbitrages. Son directeur de cabinet, Marc Schwartz, c’est bien elle qui l’a voulu, insiste-t-elle, pourtant il a été bientôt viré.

La mission d’Erik Orsenna sur les bibliothèques, celle Stéphane Berne sur le patrimoine, Nyssen les a voulues aussi. La culture près de chez vous, son grand plan culturel qu’elle continue à juste titre à défendre, c’est elle encore.

Bien sûr elle aurait aimé avoir un secrétaire d’État chargé de l’audiovisuel auprès d’elle pour l’alléger, lui donner de l’oxygène quand déjà elle s’asphyxiait, mais son directeur de cabinet n’en a pas voulu.

Régulièrement dans son livre, Françoise Nyssen critique les nominations trop lentes, alors même qu’elle n’avait que dix conseillers dans son cabinet, qu’elle était censée travailler avec des directeurs d’administration centrale qui n’était pas nommés. On perçoit là une contradiction fondamentale du macronisme qui consiste à tout vouloir régenter depuis l’Élysée et, bien sûr, qui échoue à le faire dans le temps.

Françoise Nyssen est besogneuse, têtue et consciencieuse. Au ministère elle adopte une hygiène de vie rigoureuse : plus une goutte d’alcool, du yoga chaque jour et de la méditation.

Elle a été blessée, et le dit, qu’on dénonce des subventions abusives à Actes Sud ou encore un risque de conflit d’intérêt avec le milieu de l’édition, sans parler de ces fameuses mezzanines hors-normes, qui ont fait couler beaucoup d’encre. Dans le livre, l’éditrice millionnaire se défend bien ; elle est convaincue et on est plutôt enclin à croire son honnêteté. Après tout qu’Actes Sud, grande maison de littérature notamment étrangère, installée à Arles, ait bénéficié d’importantes subventions est tout à fait justifié : Actes Sud est une maison d’intérêt général.
À la lecture de ce livre, écrit comme un plaidoyer, on sourit quelquefois, par exemple lorsque Françoise Nyssen écrit, je la cite : « La marge de manœuvre dont je disposais était quasi nulle », ou quand elle tente de justifier son annonce, ridiculisée par tous, de faire circuler La Joconde.

Souvent elle dit qu’elle n’a pas compris, qu’elle ne comprend pas, qu’elle ne sait pas très bien ce qui s’est passé. Heureusement pour nous, elle rend à plusieurs reprises un bel hommage à France Culture, merci pour nous.
Françoise Nyssen a été beaucoup critiquée, y compris sur cette antenne et même dans cette émission. On oublie souvent, lorsqu’on critique l’action d’un ministre, que derrière la politique il y a une personne, derrière il y a un être humain qui peut être blessé. De cette blessure Françoise Nyssen a fait un livre.
Je retiendrai finalement sa passion pour ça, pour les livres, du moins pour ses propres livres. On est surpris, en effet, que la ministre cite majoritairement des auteurs d’Actes Sud dans son propre ouvrage : Paul Auster, Nina Berberova, Edgard Morin et Nancy Houston, Henry Mandras et le grand Alaa al-Aswany, ou même Nicolas Mathieu, un peu comme si Rimbaud, Shakespeare ou Dostoïevski n’existaient pas tant qu’ils ne sont pas publiés ou traduits par sa maison d’édition.

Lorsque j’ai lu le chapitre 32 de son livre, qui est construit sur le mode du Je me souviens de Gorges Pérec, j’ai commencé à douter. Le chapitre est médiocre, bien sûr, car n’importe quel auteur sans talent pourrait aligner ainsi ses « Je me souviens », mais Françoise Nyssen nous surprend d’abord agréablement. Au lieu de citer Pérec en modèle, elle cite, l’air de rien, le Je me souviens de Joe Brainard. On sait rarement en France que Pérec a plagié, du moins emprunté, sa grande idée à Joe Brainard qui avait créé avant lui ses I reember, même si Pérec a eu la délicatesse de le citer au début de son propre livre, édité à l’époque chez P.O.L puis chez Hachette et plus récemment chez Fayard. On se dit alors que Françoise Nyssen est lettrée et qu’au lieu de citer Pérec comme n’importe qui, elle cite Brainard. C’est habile et original, on l’aime davantage pour ça. Hélas, notre plaisir ne dure pas quand on découvre justement que l’éditeur français de ce Joe Brainard n’est autre qu’Actes Sud. C’est un détail bien sûr, mais le diable, on le sait, se cache dans les détails.

Françoise Nyssen était une ministre qui aimait les livres, une éditrice et maintenant une essayiste qui nous dit aimer les livres mais qui aime d’abord les seuls livres qu’elle édite et qu’elle veut nous vendre. C’est peut-être ici que réside fondamentalement le problème Nyssen.

Françoise Nyssen, Plaisir et nécessité chez Stock.
Pause musicale : Georgia, Kevin Abstract.
En écho à Tyler The Creator que nous avons écouté récemment dans cette émission, le rappeur Kevin Abstract à l’instant, lequel s’inscrit dans le même mouvement qui fait du hip-hop bien plus qu’un genre musical, mais aussi un style, un mode de vie, une attitude. Tyler The Creator et Kevin Abstract partagent d’ailleurs une même filiation : tous les deux sont ouvertement gays et en parlent dans leur rap, ce qui est rare, en tout cas reste rare, dans le hip-hop noir américain. Et tous les deux flirtent aussi avec la pop, certains titres du troisième album solo de Kevin Abstract ayant d’ailleurs été réalisés avec la complicité du producteur et auteur pop Jack Antonoff.
À l’instant c’était Georgia de Kevin Abstract.
Voix off : France Culture, Soft Power, Frédéric Martel.
Frédéric Martel : Marie-Laure Denis est la présidente de la CNIL [1]. La CNIL c’est la Commission nationale de l’informatique et des libertés, un organisme assez bien connu en fait en France et des Français ; créée en 1978 sous Valéry Giscard d’Estaing et dont le statut est celui d’une autorité administrative indépendante, pour parler du statut légal, c’est comme ça qu’on les appelle. Depuis le 2 février, la CNIL est présidée, donc dirigée par vous, Marie-Laure Denis. Vous avez succédé à Isabelle Falque-Pierrotin. Rebonsoir Madame.
Marie-Laure Denis : Bonsoir Frédéric.
Frédéric Martel : Je vais juste prendre un exemple parmi d’innombrables exemples, mais on a lu ces derniers jours que la CNIL venait d’infliger, début juin, 400 000 euros d’amende à un administrateur de biens qui s’appelle Sergic, ce n’est pas en soi le sujet de cette émission mais ça nous permet de comprendre comment ça fonctionne, en partant de cet exemple pour expliquer un peu comment travaille la CNIL. Vous avez découvert des fiches de paie, des avis d’imposition, des pièces d’identité que des locataires qui voulaient louer un appartement auprès de cet administrateur de biens avaient donc donnés, d’ailleurs des pièces dont sans doute certaines étaient illégales, qui avaient été réclamées pour pouvoir louer un appartement, sauf que cet administrateur de biens les avaient conservées. Des milliers de documents de candidats qui se sont accumulés dans les serveurs de cet administrateur de biens et qui, problème supplémentaire, se sont retrouvés en accès libre à la suite d’un défaut de sécurité informatique. Qu’est-ce que vous avez fait ? Comment vous avez su tout ça ? Comment vous avez enquêté et comment vous avez sanctionné ?
Marie-Laure Denis : Étant arrivée il y a quatre mois, le fait générateur du litige était probablement antérieur, je ne sais pas s’il y a eu une plainte ou si la CNIL s’est auto-saisie, elle peut faire les deux en tout état de cause, si ça a donné lieu à des contrôles sur place ou des contrôles en ligne, nous pouvons également faire les deux. Ce qui est certain c’est que la CNIL est dans son rôle en veillant à ce que les données et a fortiori les données qui sont sensibles, vous venez de les indiquer, ne se retrouvent pas dans la nature. Et elle est très attentive à ce qu’un certain nombre de principes soient respectés, c’est-à-dire que les responsables de traitement de données ne collectent que les données qui sont nécessaires à la finalité de leur traitement, que pour la durée de ces traitements et de façon proportionnée.
Frédéric Martel : Vous avez, par exemple, la possibilité d’aller dans une entreprise, quelle qu’elle soit, d’ouvrir les ordinateurs, de demander les clefs, d’ouvrir les coffres-forts ? Quel est votre pouvoir d’action dans ces cas-là ?
Marie-Laure Denis : À l’inverse d’autres autorités administratives indépendantes et comme par exemple l’autorité de la concurrence, nous avons un pouvoir d’enquête. Effectivement, nous pouvons nous rendre sur place sans prévenir et, comme vous dites, regarder concrètement les ordinateurs, ce qu’il en est des mesures de sécurité, s’il y a de la vidéo-surveillance et dans quelle mesure elle ne surveille pas trop scrupuleusement les salariés. C’est le genre d’enquête qu’on peut mener effectivement sur place et la sanction que vous avez évoquée, c’est la deuxième sanction émise par la CNIL depuis la mise en œuvre du RGPD [2], le fameux Règlement général sur la protection des données sur lequel on reviendra peut-être. La première était au mois de janvier, une sanction plus significative encore, de 50 millions d’euros contre Google pour défaut d’information, de transparence et là, Sergic, 400 000 euros, pour une PME, certes importante, à qui on avait demandé, parce qu’on n’agit pas non plus sans discernement ; on est sensibles, naturellement, à la taille de l’entreprise, notre but n’est pas…
Frédéric Martel : Vous mettez aussi des avertissements ?
Marie-Laure Denis : Oui, tout à fait. En général on met en demeure, on adresse une mise en demeure, on souligne les manquements auxquels il nous paraît devoir être remédié rapidement. Cette entreprise, au bout de plusieurs mois, ne s’était toujours pas mise en conformité et là, en l’espèce, c’est la formation restreinte de la CNIL à laquelle je ne participe pas, qui est composée de six personnes de la CNIL dont des magistrats d’ailleurs, qui a infligé cette sanction.
Frédéric Martel : Les entreprises peuvent faire appel dans ces cas-là ?
Marie-Laure Denis : Oui, elles peuvent faire appel auprès du Conseil d’État, tout à fait.
Frédéric Martel : Auprès du Conseil d’État. Donc vous pouvez, dans ce cas-là, être confirmés ou votre décision peut être annulée ?
Marie-Laure Denis : Annulée, modifiée, invalidée sur le montant de la sanction.
Frédéric Martel : On est dans un État de droit.
Marie-Laure Denis : On est dans un État de droit, fort heureusement, et nous essayons naturellement d’avoir des sanctions, lorsqu’on en a, qui sont proportionnées au manquement. À la fois il peut y avoir des sanctions beaucoup plus importantes maintenant quantitativement puisque le Règlement dont je parlais permet de monter jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial d’une entreprise. Là c’est nettement moins de 1 %, entre 0,5 et 1 %. Parfois une sanction de 10 000 euros, par exemple dans un cabinet dentaire, peut, en quelques mois, conduire à mettre en conformité, par un effet boule de neige, toute une profession. Notre but ce n’est pas de taper fort pour faire un coup d’éclat, mais c’est, dans des situations différentes, d’attirer l’attention de secteurs entiers sur la nécessité de se mettre en conformité.
Frédéric Martel : Marie-Laure Denis vous êtes la présidente de la CNIL. On va parler de la CNIL et de son avenir, du RGPD et de où en est un après. On évoquera la donnée comme enjeu éthique. On commence avec la donnée comme enjeu de pouvoir. Gilles Fontaine.
Gilles Fontaine : Bonsoir Marie-Laure Denis. Vous arrivez, je ne sais pas si c’est un bon ou un mauvais moment, en tout cas c’est un moment important. Les fameux GAFAM – Google, Amazon, Apple, Facebook et autres – après avoir été poursuivis, depuis maintenant deux décennies plus pour leurs pratiques anticoncurrentielles, sont aujourd’hui dans le viseur de pas mal de régulateurs pour leurs pratiques justement vis-à-vis de la protection de la vie privée et de la donnée personnelle. Par rapport à ces GAFAM, j’imagine que le rapport de force n’est pas le même, les moyens de pression non plus, le pouvoir de sanction est également différents. J’image qu’on ne sanctionne pas, vous l’avez dit, un cabinet dentaire comme on peut sanctionner un Google ou un Facebook. Vous êtes arrivée il y a peu de temps, vous l’avez dit et vous avez dit que vous alliez taper assez fort et avec plus de fermeté sur les entreprises qui ne respecteraient pas la régulation. Quelle est aujourd’hui votre analyse sur le comportement de ces géants américains de l’Internet ? Comment établissez-vous, justement aujourd’hui, la qualité de ce rapport de force, parce que c’est un rapport de force finalement, les moyens de pression ? Et puis est-ce que le pouvoir de sanction est suffisant, aujourd’hui, par rapport à ces grandes entreprises ?
Marie-Laure Denis : On tape fort, mais en même temps, juste en incidente, on essaye aussi d’accompagner les entreprises en leur fournissant beaucoup d’outils et beaucoup de pédagogie.
Frédéric Martel : Vous expliquez à Google comment ça marche ? Il mérite !
Gilles Fontaine : Je pense que Google est suffisamment équipé.
Marie-Laure Denis : C’est juste une incidente. Sur les GAFAM, je crois qu’ils ont tous les moyens, effectivement, de se mettre en conformité s’ils le veulent et probablement ont-ils d’ailleurs des pratiques, je ne sais pas si on peut les globaliser en un seul terme, je pense que chaque entreprise a peut-être des spécificités chez ces mastodontes américains et puis il y a aussi les mastodontes chinois, par exemple, ou autres.

Est-ce qu’on a les moyens d’agir contre les GAFAM ? D’abord, comme vous l’avez souligné Gilles Fontaine, je crois que depuis quelques années quand même, il y a beaucoup de leviers qui ont été utilisés : droit de la concurrence, vous l’avez dit, avec des amendes record, par exemple contre Google infligée par la Commission européenne notamment ; des débats sur la fiscalité on l’a vu ; le droit d’auteur ; des initiatives en matière de régulation de contenus, fake news, contenus haineux. Et le RGPD, le Règlement général sur la protection des données, qui est un règlement européen, a quand même cette vertu quasiment inédite dans l’Union européenne d’avoir un caractère extraterritorial, c’est-à-dire de jouer le même jeu, en réalité, que jouent d’autres pays envers nous. C’est-à-dire que même des entreprises qui n’ont pas nécessairement de siège en France mais qui utilisent les données des citoyens européens se voient appliquer ce règlement et toute la bulle de protection qui va avec.

Est-ce que c’est un règlement anti-GAFAM ? Non, mais comme le Règlement général sur la protection des données est un peu assis sur la notion de risque, naturellement les risques sont plus élevés quand vous vous adressez à Facebook qui, potentiellement, s’adresse à un tiers de l’humanité et potentiellement à 550 millions de citoyens européens qu’à d’autres responsables de traitement. Et comme je l’ai évoqué, 4 % du chiffre d’affaires mondial d’une entreprise qui est maintenant le montant maximal que peuvent sanctionner les autorités de protection de données dans les différents pays européens, ce sont naturellement des chiffres significatifs. On dira toujours que ce n’est pas assez ou que c’est trop, mais en tout cas avant ça n’était pas du tout ça. Il y a en plus un côté name and shame qui est plus important.
Gilles Fontaine : 4 % du chiffre d’affaires mondial, c’est beaucoup ! 50 millions d’euros, pour un Google, ce n’est pas beaucoup !
Marie-Laure Denis : Oui, ce n’est pas beaucoup, mais parce qu’en l’espèce le montant de la sanction que vous évoquez, qu’a infligée la CNIL au mois janvier, elle correspondait à une enquête précise, la création d’un compte sur Android en France et tout ça était proportionné. Il ne s’agit pas non plus, parce que c’est un très gros acteur, d’agir en dehors du cadre juridique qui doit être le nôtre.

Ensuite il y a la portabilité des données qui est un droit nouveau issu du RGPD. C’est-à-dire que vous pouvez demander à avoir les données qui sont utilisées par un responsable de traitement pour les transférer à un autre responsable de traitement ou ne pas les transférer, d’ailleurs, même pour des choses utiles, que vous jugez utiles, de la recherche par exemple ; c’est ce qu’on appelle un peu aussi la portabilité citoyenne. Donc ça c’est une façon aussi, c’est un outil ou un instrument pour être moins captif d’un réseau, donc c’est une arme supplémentaire.

Il y a une autre arme ou un autre outil, ce qui est peut-être plus adapté comme vocabulaire, pour contrecarrer la puissance des GAFA, et c’est aussi une nouveauté du RGPD, ce sont les plaintes collectives. Maintenant le Règlement européen permet notamment à des associations d’être la tête de pont.
Frédéric Martel : Class Action comme on dit.
Marie-Laure Denis : Oui, voilà. Il y a à la fois des actions de groupe envers les tribunaux pour obtenir cette fois-ci une réparation civile d’un préjudice supposé et puis, d’autre part, des plaintes collectives qui peuvent être déposées auprès des différentes autorités de protection des données.

Tous ça pour dire que nous avons des armes nouvelles ou des outils, je préfère quand même ce terme, des outils nouveaux pour, je crois, être en capacité d’influencer les GAFA en termes de protection des données, enfin dans leur montée en mise en conformité qui est nécessaire, effectivement.
Frédéric Martel : Sandrine Cassini.
Sandrine Cassini : Pour rebondir sur ce que vous dites par rapport au RGPD, on a l’impression, de manière un petit peu paradoxale que, finalement, ce Règlement a plutôt renforcé la position des GAFA dans l’écosystème parce que ce sont des entreprises énormes, qui ont des moyens énormes et qui ont des compétences qui leur permettent de maîtriser mieux que d’autres, mieux que toutes les PME françaises ce Règlement.
Frédéric Martel : Toutes les toutes petites startups françaises.
Sandrine Cassini : Est-ce que vous pensez vraiment aujourd’hui que ce Règlement a rempli sa mission ? Est-ce qu’on n’a pas un petit peu tapé à côté ? C’est un peu la question qu’on se pose un an après. On a l’impression que les petites PME ont vraiment du mal à se mettre en conformité, c’est-à-dire que ça rajoute une couche de complexité qui n’est quand même pas neutre. On voit bien qu’autour, comme dans toute création de couches complexes, il y a toute une série de petites entreprises qui se sont développées autour pour vendre du conseil, ce sont des phénomènes qu’on voit souvent quand il y a des couches administratives qui se créent.
Frédéric Martel : Des effets pervers finalement.
Zoé Sfez : Donc certaines étaient complètement illégales et qui ne servaient à rien et vous avez mis en garde contre, mais c’est un autre sujet. C’était des fausses entreprises de conseil qui ont extorqué… Beaucoup d’arnaques.
Frédéric Martel : Marie-Laure Denis.
Marie-Laure Denis : Des arnaques effectivement et on a saisi la direction générale de la concurrence, la répression générale des fraudes.
Sandrine Cassini : Excusez-moi, juste pour finir. Vous parliez de la portabilité des données, on peut demander ses données et les transporter porter ailleurs, je voulais savoir si vous avez regardé si la portabilité des données est finalement mise en œuvre par Facebook, Google ; est-ce que vraiment c’est effectif ? C’était un peu ce qu’on nous avait vendu : « vous pourrez très facilement retirer vos données de n’importe quel exploitant », on va dire, aujourd’hui est-ce que je peux retirer mes données facilement de mon assureur pour aller essayer de vendre mon profil d’assurance à un concurrent, par exemple ?
Frédéric Martel : Marie-Laure Denis.
Marie-Laure Denis : Merci beaucoup. Que le RGPD soit complexe, que ça ajoute des contraintes supplémentaires, que ça puisse être coûteux, que ça mobilise des énergies qui sont variées en plus, c’est peut-être ça la complexité, c’est-à-dire à la fois des informaticiens, des juristes, c’est vrai que c’est un sujet qui doit être porté au niveau de la gouvernance, finalement, d’une entreprise, même d’une petite entreprise parce qu’il y a des enjeux, même des enjeux de réputation, et parce que ce qui est quand même important dans l’économie numérique et son développement, si on veut qu’il soit soutenable, c’est la confiance. Et pour une petite entreprise le RGPD, la mise en conformité des données, on a cité un exemple tout à l’heure, c’est aussi important peut-être pour sa viabilité que pour un très gros opérateur qui aura d’autres avantages à faire valoir.

Ensuite, quand vous dites est-ce qu’on n’a pas tapé à côté, je crois que le RGPD favorise aussi, contrairement à ce qu’on peut penser, une certaine innovation d’entreprises ou de startups. Nous on est en contact très régulièrement avec environ 150 startups qui, précisément, essayent de développer tout ce qui favorise la protection de la vie privée, y compris, comme on dit maintenant, le privacy by design, c’est-à-dire dès la conception des interfaces ; par exemple les développeurs essayent ou doivent essayer de prendre en compte de plus en plus ces aspects de protection de la vie privée. Je ne crois pas qu’il faut opposer les petits et les grands et, au contraire, à côté de grosses entreprises pour lesquelles la confiance qu’on a dans la collecte de données n’est peut-être pas tout à fait avérée, il peut y avoir des alternatives utiles en matière de protection des données.
La portabilité est un nouveau droit. C’est toute la difficulté, effectivement, et je pense que c’est tout l’enjeu pour la CNIL. Si 70 % des Français se disent plus sensibles qu’avant — alors avant c’est quelques mois avant quelques années avant — à la protection de leurs données, il y en a quand même un certain nombre qui ne savent pas des choses très concrètes : qu’ils ont le droit d’être informés sur l’utilisation de leurs données, qu’ils doivent, dans la plupart des cas, donner leur consentement à l’utilisation de ces données et qu’ils peuvent s’opposer à un certain nombre de prospections commerciales ou autres, y compris celui de la portabilité des données. Peut-être que le premier enjeu pour nous c’est l’effectivité des droits et celui, entre autres, de la portabilité que vous évoquiez.
Frédéric Martel : Zoé.
Zoé Sfez : Je vais continuer la question de Sandrine en fait, finalement élargir avant qu’on parte, peut-être, à la question éthique, mais les deux sont liées. Effectivement vous l’avez dit, presque un soft power du RGPD qui sévit même outre-Atlantique. Le but, effectivement dès le début, c’était à la fois de sensibiliser des gens qui, parfois, n’étaient même pas conscients du fait qu’ils donnaient leurs données et, par ailleurs, de développer cette logique by design c’est-à-dire dès le début au lieu de corriger, de penser autrement. J’élargis un peu la question. Est-ce que la question de la vie privée, comme certains penseurs du Web le disent, Evgeny Morozov ou inversement Gaspard Koenig qui lui, de l’autre côté, est complètement libéral, n’est pas finalement complètement annexe voire n’est même plus pertinente aujourd’hui quand on comprend la place que la donnée va avoir et a déjà dans l’économie de demain de manière presque mondiale ? Est-ce que cette question de la vie privée, finalement, n’est pas caduque ? Gaspard Koenig fait partie des gens qui préconisent qu’aujourd’hui, dans une version très libérale de cette économie numérisée, on puisse, par exemple, être détenteur de ses propres données et, finalement, les vendre au plus offrant. Inversement, quelqu’un comme Evgeny Morozov considère que pour qu’on soit, disons, dans une conception économique pas trop catastrophique il faut établir le principe de la souveraineté des données, les donner aux États ou autres. Est-ce que finalement ce combat de la CNIL n’est pas un peu à côté de la plaque au sens où la vie privée n’est pas le domaine le plus important dans cet enjeu de la reconversion de la société vers un société numérisée on va dire ?
Marie-Laure Denis : Là où je vous rejoins c’est qu’il y a un certain nombre d’individus qui s’exposent sans avoir conscience, effectivement, de la traçabilité qui est faite de leurs données à des fins de ciblage publicitaire, puisque le business model, le modèle économique des entreprises dont vous parlez, c’est précisément de vendre de l’attention, « du temps de cerveau disponible » comme aurait dit avant un certain responsable de chaîne de télévision, à des fins de ciblage publicitaire.
Zoé Sfez : C’est-à-dire que Facebook n’est pas gratuit. En tout cas Facebook est gratuit, mais vous lui donnez vos données.
Marie-Laure Denis : Il y a une vision de la gratuité. C’est vrai que certains parlent des travailleurs du clic, en quelque sorte, d’où la question qui peut être posée de la propriété des données.

Nous à la CNIL, et en Europe d’une façon générale, on est très attachés à ce que les données ne soient pas cessibles, parce qu’on pense que c’est un peu un marché de dupes.
Frédéric Martel : De dupes. Mais en même temps c’est leur modèle économique.
Zoé Sfez : C’est-à-dire que de facto c’est une bataille.
Frédéric Martel : Donc c’est une bataille quasiment perdue d’avance à moins qu’ils n’existent plus, parce qu’ils vivent de ça : vous leur enlevez les données, il n’y a plus de Google, il n’y a plus de Facebook, il n’y a plus d’Amazon.
Gilles Fontaine : Il n’y aura pas non plus de géants européens de l’Internet puisque c’est vraiment le modèle, effectivement, de ces grands.
Zoé Sfez : Juste pour compléter là-dessus, on voit bien aux États-Unis ce renforcement des données. Par exemple quand vous allez aujourd’hui sur The Washington Post, on vous propose trois types d’abonnement : un complètement gratuit, un mi-gratuit mi-payant et un entièrement payant, c’est dans le cas où vous refusez qu’on exploite vos données. En fait est-ce qu’il n’y a pas un décalage entre ce qu’on propose et le modèle économique de l’Internet et de tout un tas de services, qui s’est développé justement sur cette exploitation-là ? Et là le RGPD ça a créé quoi pour l’utilisateur final ? Aujourd’hui on est envahi sur n’importe quel site – on ne parle même pas des GAFAM –, mais sur n’importe quel site où vous allez, vous cliquez votre consentement pour accéder à un site. Est-ce que ça veut dire pour l’utilisateur qu’il donne un consentement éclairé quand il a des pages et des pages à lire ? Il n’a pas du tout envie de lire, il a envie d’accéder au service, un service qu’il aime.
Frédéric Martel : Eh s’il dit non il ne peut pas avoir accès à son journal !
Zoé Sfez : S’il dit non, voilà ! Ou alors, aux États-Unis, il paye.
Sandrine Cassini : Pas sur tous les sites.
Zoé Sfez : Est-ce qu’il n’y a pas une espèce de décalage ?
Frédéric Martel : Marie-Laure Denis, comment vous réagissez sur ces problèmes ?
Marie-Laure Denis : Il y a beaucoup de questions en peu de temps sur des sujets qui sont quand même assez nouveaux.
Frédéric Martel : C’est l’exercice, vous avez 30 secondes.
Marie-Laure Denis : C’est l’exercice, écoutez merci, je vais m’y essayer alors.

Vous l’avez souligné, effectivement je pense qu’il faut veiller à ne pas aller vers un Internet à deux vitesses, un Internet faussement gratuit, en quelque sorte, où on moissonne vos données et on les transmet à des tiers, et puis un Internet payant qui lui serait un peu pur parce que vous avez les moyens de refuser, en quelque sorte, qu’on exploite vos données. Mais justement, toute la philosophie du RGPD, ce n’est pas « est-ce que vous voulez vendre vos données ? », c’est « est-ce que vous êtes d’accord pour l’usage qui va être fait de vos données ? » Le consentement, je suis d’accord avec vous, n’est pas nécessairement comme le souhaite le RGPD, libre, avec une alternative éclairée, explicite, etc. C’est tout le sens de la sanction de Google.
Gilles Fontaine : Est-ce qu’il ne faudrait pas clarifier un petit peu le dispositif et le faire évoluer ?
Marie-Laure Denis : Précisément j’ai réuni, à leur demande d’ailleurs, les professionnels de la publicité le 25 avril dernier et on va travailler avec eux, on va adopter des lignes directrices nous à la CNIL, en juillet vraisemblablement, et travailler avec eux pendant six mois sur, justement, la gestion des cookies, c’est-à-dire ces traceurs qui sont déposés sur vos téléphones portables, sur vos tablettes, sur vos ordinateurs et qui permettent de faire ce ciblage publicitaire et d’utiliser des données ; vous ne savez pas où elles vont, comment elles sont collectées.
Sandrine Cassini : Elles peuvent être revendues.
Marie-Laure Denis : Elles peuvent être revendues à des tiers, etc. Justement le RGPD a les outils pour essayer d’obtenir un consentement plus libre et éclairé de ce point de vue-là ; c’est un exemple parmi d’autres.

Sinon vous évoquez une sorte de défaite mondiale, si je résume, mettons une capitulation mondiale par rapport à la protection des données. Moi j’ai fait deux déplacements à l’étranger depuis que je suis à la CNIL et ce n’est pas du tout ce que j’ai ressenti. On aura peut-être l’occasion d’en dire un mot.
Frédéric Martel : Vous voulez dire qu’en Californie et chez Alibaba en Chine tout le monde se dit « attention Marie-Laure Denis arrive » et ils sont terrorisés. Google se méfie désormais.
Marie-Laure Denis : Il me reste quand même encore un peu de lucidité malgré la chaleur, je vous rassure Frédéric Martel, en tout cas la Californie a adopté une loi sur la protection des données qui devrait entrer en vigueur au mois de janvier prochain, dans le berceau de la Silicon Valley.
Sandrine Cassini : Qui s’inspire du RGPD européen.
Marie-Laure Denis : Qui n’est pas un copié-collé, mais qui s’est quand même inspirée très largement du RGPD. Les Américains sont en train de réfléchir à une loi fédérale sur la protection des données, peut-être pour qu’elle soit moins exigeante, d’ailleurs, que la loi californienne, je ne sais pas.
Frédéric Martel : Il y a aussi des organismes de régulation, on le sait, la FTC [Federal Trade Commission], la FCC [Federal Communications Commission], le Département d’État, le département of Justice qui dépend du ministère de la Justice, etc.
Marie-Laure Denis : Oui. Donc je ne suis pas du tout d’accord avec cette analyse que les différentes instances de régulation y compris mondiales, concurrence ou autres, protection des données, aient capitulé, au contraire, par rapport à la protection des données.
Frédéric Martel : Gilles Fontaine.
Gilles Fontaine : J’avais une question. On va sortir un tout petit peu de ce débat sur le RGPD et la gestion de la donnée personnelle, mais malgré tout c’est un enjeu qui est probablement encore plus fort, celui de la reconnaissance faciale. En Europe et en France en particulier, pour le moment il n’y a pas de débat puisqu’on a dit à peu près non. Il y a une pression assez forte des géants de l’Internet américains et chinois. Tous les téléphones chinois, de toute façon aujourd’hui, sont équipés, quand on les achète, d’un outil de reconnaissance faciale qui est bien plus efficace que la reconnaissance d’empreintes digitales. Quelle est votre position là-dessus ? Est-ce qu’il faut ouvrir le débat ? Est-ce qu’il faut réguler et autoriser certains acteurs à avoir effectivement recours à ce type de reconnaissante ? On dit que la reconnaissance faciale sera probablement ce qui remplacera un jour nos fameux mots de passe, qui peuvent être de plus en plus facilement décodés et qu’on retrouve éventuellement, d’ailleurs, sur le dark web et qui peuvent être utilisés par des hackers. Quelle est votre position là-dessus ? Est-ce vous en discutez avec vos homologues européens et avec les géants de l’High-Tech, qu’ils soient américains ou asiatiques ?
Marie-Laure Denis : C’est vrai qu’il y a une tendance à plus de reconnaissance faciale. Dans certains pays on le sait très bien, en Chine notamment, avec un modèle qui peut aller ou qui va dans des proportions déterminées…
Frédéric Martel : Bien au-delà de George Orwell.
Marie-Laure Denis : Vers un certain contrôle social.
Gilles Fontaine : On paye avec son visage en Chine aujourd’hui.
Frédéric Martel : On rentre aussi en France, vous le savez sans doute Marie-Laure Denis, on rentre aujourd’hui en France avec la reconnaissance faciale dans un certain nombre d’aéroports, notamment à Charles De Gaulle, dès lors qu’on utilise des passeports de type PARAFE [passage automatisé rapide aux frontières extérieures].
Marie-Laure Denis : Biométrique, avec un dispositif PARAFE effectivement, qui est assis sur un texte, qui présente un certain nombre de garanties. On en parle beaucoup au sein du collège de la CNIL, parce que c’est une instance collégiale de 18 membres. On n’est pas hostiles par principe à la reconnaissance faciale qui peut présenter des intérêts en termes de sécurité publique, pour retrouver les auteurs d’un attentat ou, plus simplement, pour authentifier, pour gérer les flux par exemple dans des aéroports ou autre. Simplement, la reconnaissance faciale se fait à partir d’éléments biométriques, donc c’est vraiment votre identité, c’est quand même quelque chose d’extrêmement intrusif en ce sens où, en termes de sécurité, si vous perdez votre mot de passe ou si vos données bancaires sont piratées, eh bien vous remplacerez votre mot de passe et vous remplacerez votre carte bancaire. En revanche, vous ne remplacerez pas une partie de votre identité qui permettra de vous identifier, par définition, n’importe où dans le monde. Donc il y a quand même des enjeux de sécurité et d’intrusion pour la vie privée qui sont extrêmement importants. Pour dire les choses clairement il y a, pour nous, des trous dans la raquette sur le plan juridique parce que les développements technologiques vont plus vite que le droit dans ces domaines, c’est tout l’intérêt de la régulation, justement, que de pouvoir essayer d’apporter des réponses.
Frédéric Martel : Tout le problème aussi de la régulation. Dans un monde où tout s’accélère, la vitesse de l’innovation numérique que vous évoquez, comment est-ce que vous êtes capables de suivre sans parler des lois et sans parler bien sûr des punitions qui arrivent parfois des années après que ces évolutions numériques ont eu lieu ?
Marie-Laure Denis : Je prends un exemple très concret. Maintenant la CNIL ne donne plus d’autorisation de déclaration, mais on peut lui demander des conseils et elle peut émettre un certain nombre de réserves. Pour le carnaval de Nice on nous a soumis un dispositif qui permettait d’accéder, avec un dispositif de reconnaissance faciale, au carnaval. Nous on a imposé un certain nombre de garanties. Ces garanties étaient : il faut qu’il y ait une alternative ; tout le monde n’est pas obligé de passer par la file de reconnaissance faciale ; il faut que les gens donnent leur consentement, qu’ils soient informés, que les durées, que ce soit conservé très peu de temps. Et ça c’était à des finalités de test d’un dispositif, ce n’était pas, parce que sinon n’aurait pas pu l’autoriser pour des raisons juridiques, pour arrêter quelqu’un, etc. Donc on n’est pas contre la recherche, les tests, l’innovation, mais, encore une fois, c’est très intrusif et ce qu’a fait la CNIL à l’automne dernier c’est qu’elle a appelé, parce qu’elle considère que la reconnaissance faciale et la façon de l’encadrer, quel que soit son intérêt, ça mérite un débat, que la société s’en saisisse, que les pouvoirs publics s’en emparent, la CNIL a appelé à l’automne dernier à ce qu’il y ait un débat sur ce sujet, qui pour nous est un sujet de société, et je constate que le ministre de l’Intérieur est allé à Nice vendredi et qu’il s’est, d’après ce que j’ai lu, dit ouvert à l’ouverture d’un débat sur la reconnaissance faciale. Donc en ce sens j’espère qu’on aura été un aiguillon à ce stade utile et en tout cas vigilant sur cette nouvelle technologie.
Sandrine Cassini : Donc sur cette technologie vous n’êtes pas fermés. Vous êtes plutôt pour une ouverture contrôlée. C’est un peu inexorable comme mouvement, finalement.
Marie-Laure Denis : Je pense qu’on n’a pas à être pour ou être contre. En tout cas il y a un mouvement et il s’agit de l’encadrer.
Sandrine Cassini : De l’accompagner.
Marie-Laure Denis : Parce qu’il peut être extrêmement intrusif. D’une façon générale, la CNIL n’est pas là pour opposer des intérêts qui peuvent être contradictoires ou sembler contradictoires, mais essayer d’apporter des garanties, en fait.
Voix off : France Culture, Soft Power, Frédéric Martel.
Frédéric Martel : France Culture, 19 heures 42. Mon invitée ce soir est Marie-Laure Denis, la présidente de la CNIL. Elle est interrogée par Sandrine Cassini du journal Le Monde, Gilles Fontaine de Challenges et Zoé Sfez de France Culture.


On a évoqué le RGPD, on est revenu sur les sanctions et la donnée, au fond, comme enjeu de pouvoir. On évoquait à l’instant l’intelligence artificielle, la reconnaissance faciale. Prenons, peut-être, un certain nombre de questions plus liées aux évolutions de ce secteur, notamment. D’abord c’est un secteur globalisé, c’est un secteur où la France peut dire ce qu’elle veut, mais elle est un petit ensemble d’un ensemble bien plus grand. Comment est-ce que vous travaillez avec les autres pays européens, d’abord, pour commencer, sachant qu’il y a des CNIL ou des équivalents un peu partout en Europe ? Elles sont organisées, elles se réunissent ? Est-ce que vous avez un moyen de structurer tout ça ?
Marie-Laure Denis : Avant les CNIL se réunissaient effectivement, mais elles n’avaient pas un mode de fonctionnement aussi intégré que maintenant. Moi, très concrètement, je vais à Bruxelles deux jours par mois, les équipes de la CNIL il y a entre 10 et 15 personnes qui sont à Bruxelles au sein de ce Comité européen de la protection des données qui a vocation à édicter des lignes directrices pour accompagner les individus, les entreprises essentiellement et les pouvoirs publics aussi, parce la protection des données c’est public et privé, pour leur donner les meilleurs outils possible. Donc déjà on réfléchit ensemble et on propose une lecture, une interprétation concrète du Règlement, ensemble.

Ensuite, il y a un autre thème qui est extrêmement concret c’est que lorsque les plaintes que l’on reçoit concernent plusieurs pays, plusieurs CNIL, aujourd’hui il y a mécanisme de guichet unique, c’est un plus maintenant pour les citoyens.
Sandrine Cassini : Depuis le RGPD ?
Marie-Laure Denis : Oui. Depuis le RGPD, ils n’ont plus à s’adresser à différentes CNIL, Ils s’adressent à la CNIL qui est dite leader, en quelque sorte lead, en général où est le siège de l’entreprise et on instruit dans ces cas-là ces plaintes entre les CNIL qui sont intéressées par la plainte.
Frédéric Martel : On n’a encore jamais vu de sanction européenne.
Marie-Laure Denis : Elles vont arriver. À mon sens elles vont arriver. Il y a 20 % de nos plaintes qui sont instruites de cette façon et notamment la CNIL irlandaise qui focalise particulièrement l’attention à cause du siège social d’un certain nombre.
Sandrine Cassini : Et à cause du régime fiscal, en tout cas de la politique fiscale irlandaise.
Marie-Laure Denis : En tout cas il y a des sièges, effectivement, qui sont là et l’autorité irlandaise est lead dans un certain nombre d’actions dont d’ailleurs des actions qui ont été initiées par des plaintes collectives portées par des Français et qui peuvent « embarquer », entre guillemets, 1000 ou 10 000 plaintes par exemple. On a des contacts avec l’autorité irlandaise.
Frédéric Martel : Comment ce monde-là s’organise et s’articule avec ce que fait l’Union européenne ? Je pense notamment à la Commissaire européenne qui, jusqu’à présent, était très active dans la question de concurrence, Margrethe Vestager. Vous travaillez avec elle ? C’est totalement indépendant ? Elle aussi met des amendes ? Comment tout ça s’organise ?
Marie-Laure Denis : La Commission européenne a d’ailleurs des représentants qui assistent à nos réunions, mais qui n’ont pas un droit de vote parce que ce sont les CNIL européennes qui se réunissent et qui décident. En tout cas il y a une articulation de point de vue-là. Mais je pense qu’il y a différents leviers qui sont actionnés pour que le numérique soit le plus soutenable et éthique possible et la commissaire que vous citez, comme ses fonctions la prédisposent, elle agit dans le domaine de la concurrence qui n’est pas le nôtre même s’il y a naturellement des points de convergence.
Frédéric Martel : Comment vous distinguez les deux : concurrence d’une part et puis vraiment défense des droits des citoyens, défense des libertés individuelles ?
Marie-Laure Denis : Il y a des liens et des recoupements dans la mesure où la donnée étant un élément central naturellement de l’économie aujourd’hui.
Frédéric Martel : C’est à la fois de la concurrence et à la fois de la vie privée.
Marie-Laure Denis : Voilà. Il y a au contraire plusieurs leviers. La protection des données ce sont les CNIL européennes.
Frédéric Martel : Gilles Fontaine.
Gilles Fontaine : Plus largement, c’est presque une question philosophique, mais on voit bien qu’en Europe on se bagarre contre des grands groupes qui utilisent la donnée personnelle, on l’a vu, pour leur business, que ce soit en Chine ou aux États-Unis. En Europe, justement, est-ce que votre action n’est pas antinomique par rapport au développement d’un grand groupe, finalement, européen sur Internet qui aurait la publicité comme principal commerce, puisque, encore une fois, la data, la donnée privée est leur matière première ? Comment est-ce que vous conciliez ces deux-choses-là ? Est-ce que c’est une chose que vous avez à l’esprit ? Encore une fois c’est très philosophique ; il n’est pas question d’arriver à une société comme la Chine où on est filmé en permanence, où toutes nos données sont utilisées, transformées, malaxées par ces grands groupes ; finalement c’est aussi une donnée… Vous participez à la création de ce climat concurrentiel.
Marie-Laure Denis : Si je comprends bien votre question, nous on ne cherche pas à opposer la vie des affaires et la protection de la vie privée. En quelque sorte, on pense que la vie des affaires se portera d’autant mieux qu’elle intégrera les questions de protection de vie privée auxquelles les gens, quoi qu’on en dise, sont de plus en plus sensibles. Il y a quand même eu un certain nombre de scandales. Tout à l’heure on a évoqué un moment l’éthique. On voit bien que des données de 90 millions d’utilisateurs d’un réseau social ont pu être utilisées pour influer sur des élections ou essayer d’influer sur des élections aux États-Unis ou en Angleterre. On voit bien que les plaintes que nous recevons à la CNIL, plus d’un tiers des plaintes concerne la réputation des gens sur Internet, donc ils ne sont pas contents de la façon dont leurs données sont utilisées. Donc je pense que les entreprises qui seront de plus en plus vertueuses en matière de protection des données — même les numéros 1 des GAFA aujourd’hui appellent, en quelque sorte, à une loi fédérale aux États-Unis ou au respect de la vie privée — auront un avantage complémentaire.
Frédéric Martel : Une question sur la santé Zoé Sfez.
Zoé Sfez : Oui, parce que là on parle des GAFAM, on parle des États-Unis, on parle des grands groupes, des médias sociaux, de ces économies qui reposent sur l’attention et donc sur les données, mais il y a un secteur en France où, d’ailleurs, il y a de gros acteurs français qui sont leaders européens, c’est le secteur de la santé. Je sais que la CNIL s’était opposée à l’existence du fameux dossier médical partagé, en tout cas vous aviez mis en garde plusieurs fois contre ça. On a beaucoup d’oracles, cassandres ou tibérias, qui aujourd’hui nous disent - d’ailleurs il y a eu un gros accord entre Sanofi et Google la semaine dernière sur cette question - « l’avenir est à la médecine prédictive ». On aura, en gros, une alliance entre les assurances, des gens qui collectent nos données, des groupes pharmaceutiques et là il y a des acteurs français majeurs, très importants dans ce système.là. Quelle place vous pourriez avoir là-dessus ? Est-ce que ce système de la médecine prédictive où, en fait, on se soigne quasiment intégralement par la donnée, voire presque, on est responsable de sa propre bonne santé, quel rôle vous pourriez jouer là-dedans ? On n’est même plus sur de la vie privée, là on est carrément au-delà. Est-ce qu’il ne faut pas disons une métamorphose, voire une montée en puissance d’autorités comme la vôtre ? J’imagine que vous allez me répondre oui, mais bon !
Marie-Laure Denis : Oui.
Zoé Sfez : Merci.
Marie-Laure Denis : Par exemple il y a eu un projet de loi sur la santé. Il y a un élément d’activité de la CNIL qui est peu connu à l’extérieur c’est qu’on rend des avis sur les projets de décrets, les projets de lois et, par exemple l’année dernière, on a en a rendus 120, ce n’est quand même pas rien tant la donnée est maintenant transversale, que ce soit Parcoursup la création du Health Data Hub. Effectivement, dans le domaine de la santé, il y a un intérêt à ce que de plus en plus de données soient utilisées pour faire un certain nombre de pronostics, pour faire de la recherche, etc.
Zoé Sfez : En même temps vous tapez sur la Sécurité sociale très souvent en disant qu’ils gardent très mal nos données.
Marie-Laure Denis : Tout ça n’est pas antinomique et on est effectivement très attentifs à la sécurité des données ; toute violation de données doit nous être notifiée maintenant sous 72 heures, etc. J’ai vu effectivement l’accord ou le renforcement probablement de l’accord entre Google et Sanofi.

Vous avez évoqué la médecine prédictive donc l’utilisation d’algorithmes. Nous on a aussi, à la CNIL, un rôle d’éclaireur, de rendre plus lisibles des écosystèmes qui sont complexes. On a une équipe d’expertise technologique qui, je crois, est réputée et fait des choses utiles. On a mené toute une réflexion à la CNIL sur les algorithmes et l’intelligence artificielle en 2017-2018 et on en a dégagé un certain nombre de principes. En ce qui concerne les algorithmes, on pense qu’il doit y avoir une transparence aussi lisible que possible sur l’utilisation de ces algorithmes, qu’il doit y avoir une intervention humaine aux différentes étapes de la chaîne et que les choix fondamentaux doivent relever d’un décideur qui ne soit pas une machine. Par exemple on peut comprendre que pour affecter 800 000 bacheliers dans 13 000 formations ça soit utile d’utiliser des algorithmes, mais est-ce que la société a accepté ? Les pouvoirs publics ont aussi dû évoluer par rapport au fait que c’était une machine par tirage au sort qui affectait des bacheliers dans les filières sous tension.
Zoé Sfez : On parle là de Parcoursup, particulièrement.
Marie-Laure Denis : Parcoursup. Mais la même chose est valable pour la santé qui est a fortiori considérée comme une donnée sensible au sens européen sur laquelle on est particulièrement vigilants.
Zoé Sfez : C’est hyper-intéressant ce que vous nous dites. Vous dites que vous avez effectivement ce pouvoir de conseil, etc., que vous êtes pour la transparence des algorithmes. Question un peu violente, ça donne quoi concrètement ? Qui vous écoute ? Est-ce que vous avez un pouvoir, on va dire, sanctionnant ou impératif ? Tout ça reste quand même consultatif, ce sont des avis.
Frédéric Martel : Là ce sont des avis.
Zoé Sfez : Et les avis ça reste consultatif.
Marie-Laure Denis : C’est beaucoup de pédagogie. Les avis restent facultatifs, enfin facultatifs non. On doit être suivis.
Zoé Sfez : Consultatifs.
Marie-Laure Denis : Consultatifs. Cela dit quand nos avis sont publiés, c’est le cas.
Frédéric Martel : Les députés peuvent s’en emparer lors de débats.
Marie-Laure Denis : Nos avis sont publiés au moment de la publication des décrets et des lois. Par définition, on est les seuls à avoir un regard extrêmement attentif sur la protection de la vie privée, même si d’autres instances l’ont, le Conseil d’État, etc., mais un avis expert et je peux vous dire que les avis de la CNIL, j’ai la faiblesse de penser…
Zoé Sfez : Sont suivis.
Marie-Laure Denis : Alors suivis, peut-être pas toujours, mais en tout cas j’ai la faiblesse de penser qu’ils sont utiles.
Zoé Sfez : Écoutés.
Marie-Laure Denis : Écoutés et participent au débat public justement.
Frédéric Martel : Une dernière question peut-être, Gilles Fontaine.
Gilles Fontaine : Juste une question.
Frédéric Martel : Une à chacun mais très rapidement.
Gilles Fontaine : Concrètement. Vous parliez de vos discussions avec les représentants des GAFAM, on avait commencé par là tout à l’heure, qu’est-ce que vous vous racontez ? On a effectivement l’impression, vous l’avez dit, que les gens, les citoyens français sont de plus en plus concernés quand même, comme les Américains, sont inquiets de ce qu’on fait de leurs données personnelles. Sans violer des secrets professionnels, quelle est la nature… ?
Marie-Laure Denis : Il n’y a aucune violation de secrets en ce sens où on a les contacts avec les GAFA qu’on a, aussi curieusement que ça puisse paraître, avec d’autres entreprises qu’on accompagne. On n’a pas un sort GAFA particulier, ou alors il faut répondre de façon plus globale sur les GAFA en disant que la CNIL qui a une antériorité en Europe sur ces questions, parce que, vous l’avez rappelé, elle a 40 ans ou l’Europe qui a maintenant une voix sur la protection des données qui porte réellement à l’étranger. J’étais par exemple au Japon, invitée par les CNIL asiatiques, il va y avoir un G20 à la fin de la semaine prochaine sur les GAFA, il est tout à fait possible que pour la première foism, dans une déclaration d’un G20, il y ait des déclarations sur la protection des données. Donc on parle aux GAFA par RGPD interposé si j’ose dire. Il y a maintenant un standard européen qui est très exigeant et dont les autres pays et les entreprises, les grandes entreprises des autres pays sont obligés de tenir compte.
Frédéric Martel : Une dernière question Sandrine Cassini, très brièvement.
Sandrine Cassini : Juste pour revenir sur les algorithmes, vous en parliez, je pense que c’est quand même le sujet d’avenir, jusqu’où peut aller cette transparence ? Est-ce que vous travaillez sur les biais des algorithmes, parce c’est quand même une grande question avec l’intelligence artificielle : est-ce qu’on transmet nos propres biais cognitifs à l’algorithme ? À savoir l’algorithme va plus favoriser les hommes blancs de 40 ans, plutôt que les femmes ou…
Marie-Laure Denis : Oui, bien sûr, on travaille sur les biais et on essaie justement de les mettre en valeur, enfin les mettre en valeur pour les contrer par définition en tout cas. Un algorithme doit aider à la prise de décision mais ne pas prendre la décision nécessairement à la place de… Finalement c’est une succession d’étapes pour prendre une décision. Une recette de tarte aux pommes c’est un algorithme en quelque sorte. La justice, si on prend 50 années de jurisprudence pour aider le juge à prendre une décision, mais qu’on se fonde sur la jurisprudence pénale aux États-Unis depuis les années 50-60, il y aura un biais racial par exemple. Si en matière de RH pour un recrutement en termes de salaire, on prend les salaires déjà existants entre les hommes et les femmes, on dupliquera, effectivement, les différences de traitement existant. Donc il faut rendre lisible tout ça pour qu’il y ait des interventions humaines et qu’on ne soit pas nous-mêmes les victimes de la machine et de ceux qui auront entraîné l’algorithme en quelque sorte.
Frédéric Martel : Ce que nous sommes un peu pour l’instant, mais heureusement la CNIL veille !
Marie-Laure Denis : On essaye, on essaye de veiller !
Frédéric Martel : Merci infiniment d’avoir été notre invitée, de toute façon ce sont des sujets sur lesquels on reviendra. On vous invitera à nouveau puisque tous les ans, tous les deux ans, ce sont des sujets qu’on aime traiter et retraiter avec vous et avec d’autres invités sur ces questions de vie privée.

Soft Power. Dans un instant la seconde partie de l’émission avec à 20 heures 10 Le club de la presse numérique, nous parlerons ce soir des penseurs du numérique et dans un instant à 20 heures, Zoé Sfez, votre invité innovation qui vient de rentrer dans le studio.
Zoé Sfez : Il s’appelle Yves Citton et il codirige, il cosigne cet ouvrage Écologies de l’attention et archéologie des media avec Estelle Doudet qui pose des jalons, disons théoriques, le cadre de sa pensée théorique est assez fascinant et on avait envie de discuter avec vous en cette fin d’année dans Soft Power.
Frédéric Martel : Vous pouvez vous abonner au podcast de l’émission Soft Power disponible gratuitement sur iTunes, sur la page de Soft Power sur le site de France Culture ainsi que sur l’application podcast de votre smartphone. Tout ça à suivre après Sunday Morning du Velvet Underground sur France Culture en direct en ce dimanche soir.
Pause musicale : Sunday Morning du Velvet Underground.
Frédéric Martel : À l’instant le Velvet Underground avec Sunday Morning pour évoquer un livre qui vient de paraître, de Chantal Thomas, East Village Blues
[Partie non transcrite]
Voix off : France Culture Soft Power, L’invité de Zoé Sfez.
Zoé Sfez : Bonsoir Yves Citton.
Yves Citton : Bonsoir.
Zoé Sfez : Merci beaucoup d’être avec nous en cette presque fin d’année. Sur Soft Power on avait envie de vous recevoir. Vous êtes professeur de littérature et médias à l’université Paris 8, vous codirigez l’excellente revue Multitudes qu’on ne peut que vivement recommander à auditeurs et vous êtes surtout l’auteur de plus d’une centaine d’articles et au moins une dizaine de livres, je ne vais citer que les derniers en raison du fait, tout simplement, que le dernier que vous sortez est une belle fusion, en tout cas une continuité de la réflexion que vous aviez menée dans, par exemple, Pour une écologie de l’attention, c’était au Seuil en 2014, Contre-courants politiques, c‘était chez Fayard en 2018 et Médiarchie, c’était au Seuil en 2017. Aujourd’hui vous codirigez avec Estelle Doudet ce livre Écologies de l’attention et archéologie des media qui vient de paraître aux UGA Éditions.

Un livre qui, en réalité, regroupe toute une série d’articles avec des types d’auteurs très divers, des universitaires mais pas que, oh combien pas que, et vous y tenez. Ce livre, dans lequel vous livrez une introduction qui, disons, pose les jalons théoriques de votre cadre de pensée qui sont assez originaux. Ici j’ai reçu cette année beaucoup de penseurs ou d’analystes qui dénoncent ou en tout cas réfléchissent sur cette fameuse économie de l’attention. Nous en parlions à l’instant avec la dame qui dirige la CNIL, cette fameuse économie de l’attention, on parle essentiellement de celle des réseaux sociaux qui consiste finalement à capter le plus d’attention possible et toutes vos données et à faire, effectivement, extraire de la valeur de cela. Vous dites, vous dénoncez l’idée même de parler uniquement d’une économie ou d’une crise de l’attention. Vous dites qu’il faut penser les écologies de l’attention. Qu’est-ce que c’est que l’écologie de l’attention ?
Yves Citton : Merci pour l’invitation.

L’écologie de l’attention c’est un déplacement ; c’est de dire que tout ce qu’on a dit tout à l’heure sur vendre du temps de cerveau disponible, etc., sur les données, sur la marchandisation des données, c’est très vrai et c’est absolument important de le comprendre, mais c’est en termes de vente, d’échange, de prix, en termes économiques et c’est central. Mais il y a quelque chose d’autre qui est aussi central, on le sait parce que nos sociétés sont en voie d’effondrement parce qu’on ne pense qu’en termes économiques et on a oublié qu’il y avait des phénomènes écologiques au moins aussi importants. C’est un petit peu la même chose, je dirais, pour l’attention, il s’agit de se demander comment les milieux attentionnels sont soutenables ou insoutenables. Qu’est-ce que c’est qu’un burn-out ? Un burn-out ce n’est pas seulement une information qui vient de trop, c’est un milieu attentionnel qui surcharge ce que le système nerveux humain peut tolérer.

De même qu’est-ce que c’est que l’attention à l’école ? Ce n’est pas seulement un enfant qui regarde sa tablette pendant que le professeur parle, c’est tout un milieu attentionnel avec oui, l’enseignant, avec le proviseur, avec ce que les parents disent de l’école, avec ce que les ministres de l’Éducation font pour structurer l’environnement scolaire.
Zoé Sfez : Effectivement. C’est l’exemple de la classe que vous donnez. Vous évoquez tous ces gens qui disent « aujourd’hui les jeunes regardent leur smartphone » comme d’ailleurs il y a 20 ans on disait « les jeunes lisent des livres », en tout cas au 19e siècle quand on avait peur des Livres de poche – c’était beau ce moment où on avait peur des Livres de poche – or vous dites « l’enfant même quand il lit des livres ou des smartphones parfois son attention est ailleurs », donc vous évoquez la nécessité de parler « d’attentions » au pluriel.
Yves Citton : L’attention dont on parle toujours au singulier, en fait ça recoupe toute une série de choses très différentes : l’attention que j’ai en conduisant, l’attention que j’ai pour un enfant malade, l’attention que j’ai lorsque je lis un livre de poésie. On ne peut l’homogénéiser — c’est quelqu’un qui s’appelle Georg Franck qui a bien dit ça — qu’à partir du moment où on a un outil de mesure qui justement l’homogénéise. Et là il se trouve que c’est Google ; le ranking de Google permet justement de tout homogénéiser
Zoé Sfez : Le référencement de Google, effectivement.
Yves Citton : Exactement. Mais c’est un point de vue très particulier, économiste, alors que la réalité est une diversité énorme de régimes attentionnels, de modes attentionnels, de qualités attentionnelles, etc.
Zoé Sfez : Effectivement. Et vous continuez à relire notre présent, en tout cas essayer de le décrypter à l’aune d’un autre concept qui est tout aussi important qui est celui de l’archéologie des média, qui n’est pas nécessairement d’ailleurs un concept ; il y a deux mots très importants « archéologie » et « média ». Déjà vous nous dites, et ça vous le disiez depuis longtemps, depuis votre livre Médiarchie, qui reprend d’ailleurs le même terme grec celui de l’arkhè, arkhè en grec ça veut autant dire « pouvoir » que origine d’où le mot « archéologie des média », et là vous nous dites que quand on parle de médias, nous, quand on dit « le média » ou les « média » avec accent ou sans « s » on pense très vite aux mass media, parfois aux réseaux sociaux, on dit social media en anglais et que c’est une acception finalement extrêmement réduite, là encore, de ce qu’est un média. Vous donnez d’ailleurs dans cette introduction, vous posez les jalons vous dites « quand on parlera de media sans mettre d’accent, on parlera de toute interaction, en tout cas toute manière de communiquer. Quand on dira « médias » « é » accent aigu « s » on parlera de mass media et quand on parlera de medium, on parle de quoi ?
Yves Citton : On parle du fait qu’il y a toujours une excédence dans la communication humaine, de la communication elle-même par rapport au contenu. À savoir le fait qu’ici on se voit, vous me faites des petits signes de la tête, on est en commun ; la communication c’est aussi du commun. Il y a quelque chose qui est produit justement par cet environnement, par ce commun, qui transcendante, qui excède l’information qui peut passer d’une bouche à une oreille. Tenir compte de ceci nous amène à revenir à ce qui s’appelait chamanisme, ce qui s’appelait sorcellerie, ce qui est de l’ordre de la magie parce qu’on ne sait pas très bien comment le saisir, comment le rationaliser, comment le calculer, comment le vendre, et pourtant c’est omniprésent. Donc parler de médiumnisme et non seulement de médiaticité c’est quelque chose d’important. Et dans ce volume collectif qui était en fait un colloque à Cerisy où, pendant une semaine, on a construit un petit milieu attentionnel de discussions très interdisciplinaires avec des artistes et autres, on a fait durant ce colloque une sorte de manifeste.
Zoé Sfez : Pas une sorte, un manifeste d’ailleurs qu’on nomme médiarchéologiste.
Yves Citton : Un manifeste médiarchéologiste qui ouvre un petit peu le volume où, justement, on essaye en trois ou quatre pages, de donner un certain nombre de principes de décalage par rapport à la théorie des média dominants, par rapport à l’histoire des média dominants qui sont merveilleux, qui font des choses absolument admirables, nous on essaye justement d’amener quelque chose d’autre et cette dimension mediumnique, cette dimension d’environnement qui nous envoûte est tout aussi importante que de réfléchir simplement en termes de données qui se vendent ou qui s’achètent.
Zoé Sfez : On va revenir sur ce thème d’archéologie des média et vous le dites, vous dites en fait « l’histoire des média est une discipline qui existe mais qui a pour nous l’énorme défaut d’être trop linéaire ». C’est-à-dire qu’on va parler des premiers codes de l’écriture mésopotamienne, puis de l’arrivée des journaux, puis de l’arrivée de la télévision, puis de l’arrivée de ce que vous appelez, ce qu’on appelle tous les nouvelles technologies comme si elles arrivaient ex nihilo, or pourtant cette vision linéaire ne nous aide pas à penser ce qui nous arrive. Il nous faut penser plutôt une archéologie ; ça veut dire quoi tout simplement ?
Yves Citton : Une archéologie, très pratiquement, ça veut dire que l’archéologue creuse et que le passé ce n’est pas quelque chose qui est mort, qui est révolu, c’est quelque chose qui est dessous. Donc se dire, par exemple, les pigeons voyageurs on les utilise peu aujourd’hui. Il y a toujours des pigeons voyageurs, un bon pigeon voyageur peut coûter 200 000 euros, mais c’est pour autre chose que pour communiquer des informations. Le télégraphe ça ne s’utilise plus et pourtant…
Zoé Sfez : Médias zombies vous dites.
Yves Citton : On peut appeler ça des médias zombies, on a tout un vocabulaire pour ça. Et pourtant, qu’est-ce que c’était aussi le télégraphe ? C’était des phénomènes de codage pour crypter ; c’était des phénomènes de codage pour raccourcir la communication. Ce qu’on fait aujourd’hui avec nos téléphones intelligents, avec des SMS où les jeunes inventent des codes, ce qu’on fait avec de la cryptographie, etc., c’est bien la survivance de quelque chose qui s’est mis en place à travers le télégraphe, qui est là ; de même que si on regarde par où passent les câbles internet, c’est souvent des câbles de télégraphe, que ça soit sous l’océan ou que ce soit dans les forêts, qui ont coupé les lignes de train. Donc il y a toute une présence du passé qui n’est pas résolue par le nouveau médium, il faut comprendre que le nouveau médium, justement, réinvestit quelque chose, il s’appuie dessus, il essaie de comprendre ces structurations par couches qu’invite à faire l’archéologie des médias.
Zoé Sfez : D’ailleurs vous invitez à faire les deux, c’est-à-dire à regarder évidemment ce qui se passe aujourd’hui à l’aune de ce qui s’est passé dans le passé et inversement, de questionner à nouveau des choses du passé à l’aune de ce qu’on sait aujourd’hui. Vous donnez cet exemple merveilleux que j’ai découvert, notamment qui existe dans les livres de Villiers de L’Isle-Adam, avec cet historien de la claque au théâtre, qui a essayé de travailler sur qui étaient ces gens et quelle était l’économie de la claque ; ces gens qu’on engageait pour venir applaudir au théâtre et Villiers de L’Isle-Adam déjà à l’époque imagine un robot qui pourrait produire de la claque et clairement on est sur un ancêtre de Facebook ou d’Instagram ou des bots numériques.
Yves Citton : Ou des canned laughters comme on appelle à la télévision.
Zoé Sfez : Des rires enregistrés sur les sitcoms.
Yves Citton : Des rires enregistrés, tout ceci, c’est Marcel Poirson qui étudie ça. Donc on peut voir ça à travers la littérature, on peut voir ça avec les gens qui font du travail historique. On a Erkki Huhtamo qui fait un très bel article sur le miroir magique. Qu’est-ce que c’était que le miroir magique ? C’étaient des miroirs dans toute une tradition qui remonte à cinq ou six siècles, un miroir qui nous permettait de voir l’avenir. On se dit que ça n’existe pas, c’est de la sorcellerie, c’est de la magie, etc. En fait encore aujourd’hui vous pouvez acheter des miroirs magiques sur Internet qui vous permettent de voir l’avenir, là ; on se dit « il y a des naïfs qui payent de l’argent pour acheter ça ». Moi, quand l’écoute les nouvelles à la radio ou lorsqu’on m’annonce qu’il va y avoir un remaniement ministériel à la télévision, c’est bien un petit ça. On ne me dit pas ce qui s’est passé. On fait des sortes d’hypothèses pour me faire comprendre que le nouveau ministre de ceci va être cela et c’est bien une sorte de miroir magique qui passe par TF1, qui passe par France 2.
Zoé Sfez : Effectivement dans cet ouvrage il y a évidemment toute une foule d’articles passionnants, notamment une archéologie de la notification. Ça c’est pareil, il y a vraiment des choses à explorer à la fois du côté de l’esthétique et du côté de la recherche sur tout ce matériau infini qu’on accumule, on va dire, avec ce changement numérique ; vous réfutez ce terme et vous avez bien raison, mais on est dans une accumulation de matériaux presque unique.
Yves Citton : Absolument. Quand je disais que le passé est toujours présent sous le présent, il y a toujours des choses absolument nouvelles qui se mettent en place, on a vu tout à l’heure avec les problèmes que se pose la CNIL, ces problèmes moi je peux vous dire « ça ressemble un petit peu à ça » et on fait le malin en disant qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. C’est absolument faux, il y a toujours du nouveau et justement, on voit avec les questions que vous posiez, à quel point on est démuni pour essayer de comprendre ce nouveau dans ce qu’il a de nouveau et souvent parce que, justement, on ne voit pas ce qui se répète. Et là un petit peu le défi de l’archéologie des médias c’est de se dire c’est très difficile de trouver quelque chose de véritablement nouveau, quand on creuse un peu on voit que ça répète, mais c’est nécessaire.
Zoé Sfez : De réaliser justement ce qui relève de la nouveauté et ce qui n’en relève pas, alors qu’on parle de distributions et de nouvelles technologies constamment.

Yves Citton vous restez avec nous, il est 20 heures 12. Je rappelle le titre de ce livre Écologies de l’attention et archéologie des media, la promesse finalement est dans le titre sous votre direction et celle d’Estelle Doudet. Je crois qu’on est sur une quarantaine de contributions voire plus que ça ! Merci.
Yves Citton : Dans ces eaux-là.
Frédéric Martel : Merci Zoé Sfez. 20 heures 12 sur France Culture.
Frédéric Martel : Soft Power, Le club de la presse numérique, Frédéric Martel.
Frédéric Martel : Le club de la presse numérique, on parle ce soir des penseurs du Web. Qui sont les plus importants penseurs du Web et d’Internet ? Quels sont les livres majeurs qu’il faut absolument, ou essayer en tout cas, d’avoir lu pour comprendre le numérique ce qui peut vous donner des idées de lecture pour l’été ? Les idées et concepts à connaître, les sujets qui font débat.
En 2015, nous avions déjà consacré une émission Soft Power, une émission entière à ces penseurs, depuis les pères fondateurs — George Orwell, Marshall McLuhan ou encore Gilles Deleuze — aux écrivains — on avait cité Jonathan Franzen, Dave Eggers, Thomas Pynchon — en passant par les économistes tels Jeremy Rifkin ou Chris Anderson, les intellectuels, Zygmunt Bauman, Bruno Latour et quelques penseurs atypiques, je me souviens qu’on avait cité Lawrence Lessig, Donald Boyle, Ray Kurzweil, etc. Une émission qui avait provoqué de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, chacun souhaitant bien sûr ajouter ses propres penseurs ou penseuses, Fred Turner, Jacques Ellul, Norbert Wiener, etc.
Aujourd’hui je vous propose dans les minutes qui suivent, on ne va pas tout refaire, mais on a décidé de mettre à jour un tout petit peu à jour cette liste avec quelques auteurs et quelques réflexions qui nous semblent, en toute subjectivité et sans aucune volonté d’exhaustivité une nouvelle fois, mériter que l’on s’attarde sur leurs œuvres.

Pour en discuter ce soir dans ce studio sont restés avec nous Sandrine Cassini du Journal Le Monde, Gilles Fontaine de Challenges ; Yves Citton est également resté avec nous et Zoé Sfez de France Culture.

On commence peut-être avec vous, Sandrine Cassini, vous souhaitiez ajouter deux penseurs par rapport aux listes qu’on avait déjà faites.
Sandrine Cassini : Oui, tout à fait. Je souhaitais ajouter Erik Brynjolfsson et Andrew Mac Afee, ce sont deux économistes chercheurs du MIT. Ils ont contribué pour trois ouvrages à la pensée de l’Internet, du numérique, de la technologie ; ils ont commencé avec un ouvrage qui s’appelait Race Against the Machine en 2011, puis un autre ouvrage qui a connu un succès mondial, qui peut paraître un petit vieux, mais qui est très actuel qui est Le Deuxième âge de la machine et un dernier ouvrage Des machines, des plateformes et des foules il y a deux ans.

Tout ça s’inscrit dans une continuité. Ce qui est intéressant chez eux c’est la façon dont ils expliquent. Ils veulent démontrer pourquoi la technologie, d’une manière générale, c’est-à-dire Internet, les ordinateurs, la puissance de calcul, l’intelligence artificielle, etc., est une nouvelle révolution industrielle au même titre, de la même importance que l’a été la machine à vapeur ou l’électricité il y a deux siècles. Peut-être chez nous, parce qu’on aime bien la technologie, on peut considérer ça comme évident, mais ça ne l’est pas du tout chez les économistes, ça a d’ailleurs fait débat. Personne ne le considère parce que ça n’a pas, pour l’instant, les caractéristiques d’une révolution industrielle, à savoir il n’y a pas de croissance, il n’y a pas de productivité issue des technologies, ça n’a pas résolu le problème de l’emploi, ce qui était un petit peu le contraire des innovations précédentes. Et là, eux s’attachent à le démontrer. Ils font cette comparaison qui est assez fondatrice, ils comparent la technologie à la machine à vapeur. La machine à vapeur a permis de renforcer la puissance musculaire, à automatiser la tâche, à renforcer la puissance on va dire physique, et l’ordinateur lui, de façon extensible, permet de renforcer la puissance intellectuelle et c’est ça qui fait pour eux la caractéristique de cette révolution.

Pourquoi aujourd’hui ça ne se traduit pas dans les chiffres de manière macroéconomique ? C’est parce que, selon eux, on est au tout début de cette révolution, même si l’ordinateur existe depuis, on va dire, l’après guerre, Internet n’est pas si vieux, Internet, de manière générale, c’est 1995, donc on est au tout début. L’électricité, ça a mis quasiment 100 ans avant d’être dans tous les foyers. Donc il faut être patients.
Frédéric Martel : On n’est qu’au début de cette révolution.
Sandrine Cassini : On n’est qu’au début selon eux, exactement. Souvent, quand il y a une technologie, il y a toujours après un moment où il y a un effet cliquet et il y a une croissante exponentielle, enfin les effets sont démultipliés à un certain moment. On n’en est pas encore là.
Frédéric Martel : On y est déjà un petit peu quand même !
Sandrine Cassini : Oui dans les innovations, mais on peut dire que, par exemple, l’intelligence artificielle peut aller beaucoup plus loin. Aujourd’hui l’intelligence artificielle n’est pas vraiment intelligente. Selon les chercheurs elle n’a pas du tout atteint les capacités de l’homme, on n’est pas encore capables de faire des diagnostics médicaux, elle ne remplace pas du tout la pensée humaine – peut-être qu’on n’arrivera pas là –, mais en tout cas on n’est qu’au début. C’est de ces deux personnes dont je voulais vous parler.
Frédéric Martel : Une réaction de quelqu’un sur ces auteurs ?
Gilles Fontaine : Je ne connaissais pas en fait. Ça m’intéresse beaucoup. C’est vrai qu’on en parle souvent de cette mutation en cours.
Frédéric Martel : L’idée que la machine renforçait le physique, remplaçait l’effort physique, mais que l‘intelligence est remplacée par l’ordinateur ou en tout cas renforcée.
Sandrine Cassini : En tout cas démultipliée.
Frédéric Martel : Démultipliée.
Gilles Fontaine : Et que ces lycles sont beaucoup plus courts surtout. La machine à vapeur, comme le disait Sandrine, c’était des décennies et des décennies.
Frédéric Martel : Vous étiez encore assez jeune à l’époque !
Gilles Fontaine : J’étais encore assez jeune, on était ensemble dans le bac à sable. C’est vrai que ça mérite ; d’abord c’est un petit effrayant aussi. Je fais peut-être la transition avec mon auteur si vous voulez.
Frédéric Martel : Absolument. Votre auteur.
Gilles Fontaine : Je voulais parler de Jean-Claude Van Damme au départ, mais nos auditeurs n’étaient pas forcément très aware, donc je vous propose de parler de Kai-Fu Lee.
Frédéric Martel : On connaît beaucoup plus !
Gilles Fontaine : Qui est beaucoup mieux, qui n’est pas un champion de karaté.
Frédéric Martel : Quand même un superbe power.
Gilles Fontaine : Voilà, exactement, qui est un grand penseur chinois à la fois de l’Internet et de l’intelligence artificielle. Ce monsieur a 57 ans aujourd’hui, il a passé une grande partie, quand même 25 ans de sa vie aux États-Unis, il est diplômé de Carnegie Mellon. À l’époque son sujet de thèse c’était déjà la reconnaissance vocale. Il s’est passé pas mal de choses depuis sur ce terrain-là et, effectivement, il a sorti un livre aux États-Unis l’an dernier, qui va paraître en France à la rentrée, enfin en français, et qui évoque justement ces super powers, alors ça ne s’appellera pas comme ça en français, malheureusement je trouve que le titre était très bien et allait très bien en français, qui évoque très bien cette bagarre entre les États-Unis — la Silicon Valley pour être plus précis — et la Chine sur ce terrain de l’intelligence artificielle. L’Europe, n’en parlons même plus parce que, de toute façon, on est complètement largués, parce qu’on a raté tous les rendez-vous et finalement on n’a pas du tout profité des effets de levier qu’ont réussi à mettre en place notamment les États-Unis
Frédéric Martel : Au moins on a une CNIL, ce n’est déjà pas mal !
Gilles Fontaine : On a une très bonne CNIL, très efficace et qui fédère les autres CNIL européennes comme nous l’expliquait tout à l’heure Marie-Laure Denis.

Le gros travail de la Silicon Valley c’était cette espèce d’ultra-collaboration interdisciplinaire entre les différents acteurs. C’est-à-dire que les gens des semi-conducteurs ont travaillé avec les gens du PC, qui ont travaillé avec les gens du logiciel, qui ont travaillé avec les gens de l’Internet, qui ont travaillé avec les gens des réseaux sociaux et avec les gens du… Tout ça a créé une espèce de grand cercle vertueux qui a très bien fonctionné et maintenant tous ces gens travaillent avec les gens qui font de l’intelligence artificielle.

La Chine est arrivée beaucoup plus tard. Ils sont à la traîne sur tout, donc ils font ce qu’on fait dans ces cas-là, c’est-à-dire qu’ils font le fameux leap of toad, le saut du crapaud, ils passent aux technologies les plus récentes. Ils ont un autre avantage c’est quand même leur marché, près d’un milliard et demi de consommateurs, une culture unique, une langue unique.
Frédéric Martel : Quasi unique.
Gilles Fontaine : Une dictature, on peut le dire aussi, un peu unique, donc ça va beaucoup plus vite et Kai-Fu Lee raconte tout ça dans son livre. Finalement ça ce n’est pas forcément dans le livre, mais il le dit, je vous conseille d’ailleurs ses conférences TED qui sont assez courtes et remarquables pour des gens comme moi, je comprends à peu près tout ce qu’il me dit, il me parle d’intelligence artificielle et j’arrive à comprendre tous les enjeux ; il est très clair et il est drôle en plus. Là où il est moins drôle c’est qu’il dit que pour les Américains c’est fini aussi et que la Silicon Valley c’est mort, pour une seule raison, c’est qu’ils n’ont pas la masse critique pour cette fameuse intelligence artificielle. La matière brute de l’intelligence artificielle c’est de la donnée et la donnée, ils l’ont massivement en Chine aujourd’hui. Les géants chinois de l’Internet suivent, enfin sont effectivement très présents sur ce marché chinois, les Américains sont plus sur les États-Unis et sur les pays développés où on a justement toutes ces contraintes réglementaires, etc., qui n’existent pas en Chine, donc l’intelligence artificielle ça va encore plus vite en Chine.
Frédéric Martel : Sandra Cassini brièvement.
Sandra Cassini : J’ai l’impression, juste pour modérer le propos de Kai-Fu Lee, qu’il prêche un peu pour sa paroisse, parce qu’il y a tout un mouvement dans l’intelligence artificielle aujourd’hui de la part des GAFA qui voient bien ces contraintes réglementaires arriver, en tout cas l’attention qui est portée par les utilisateurs à leurs données. Aujourd’hui il y a quand même beaucoup de travaux et d’essais pour faire de l’intelligence artificielle avec le moins possible de données, parce que aujourd’hui les algorithmes sont très puissants.
Gilles Fontaine : Machine learning. On apprend aux machines à apprendre et à faire des choses toutes seules.
Zoé Sfez : Le dur de l’intelligence artificielle aujourd’hui c’est le machine learning, le deep learning, donc il faut traiter énormément la donnée pour entraîner les machines. Son livre évoque effectivement le fait qu’il y a aussi plein d’autres pistes mais qui sont beaucoup moins mûres que celles-ci.
Sandra Cassini : Du coup, juste pour revenir là-dessus, est-ce que demain il faudra vraiment une capacité de données immense pour faire de l’intelligence artificielle ou est-ce que ça va juste dépendre du talent des ingénieurs ? Quand on voit tous les rachats d’entreprises par les Google et compagnie, on peut dire que la bataille n’est pas forcément perdue.
Frédéric Martel : La bataille entre la Chine et les États-Unis continue, on en reparlera dans cette émission. Yves Citton, professeur Citton, vous aviez envie de défendre un auteur qui s’appelle Benjamin Bratton.
Yves Citton : Benjamin Bratton est quelqu’un qui enseigne aussi en Californie, plutôt le design, et qui a fait un livre qui s’appelle en anglais The Stack, qu’on a traduit en français par Le Stack ; Le Stack ça veut dire l’empilement. Qu’est-ce que c’est que ce que nous décrit Le Stack. Il appelle ça une mégastructure accidentelle. Il essaye de représenter, comment vu depuis Saturne ce que c’est qu’Internet sur la planète Terre. Quand on pense ça habituellement, il me semble qu’on se dit « eh bien c’est justement de la donnée, c’est quelque chose qui serait à la surface ». On avait des gens comme Thomas Friedman du New York Times qui nous disaient « le monde est plat ; la mondialisation, la globalisation font que le monde est plat ». D’accord. Bratton nous dit le contraire ; il nous dit qu’il faut comprendre la verticalité dans cette censée platitude des données qui circulent à travers nous, et donc il distingue six couches. On va commencer par le bas.

  • La couche du bas, yout à l’heure vous disiez la matière brute ce sont des données, la matière brute c’est aussi du silicium, c’est aussi quelque chose qui doit produire de l’électricité, c’est du nucléaire, c’est tout ceci. D’abord on commence avec la terre, première couche la terre, et on se rend de plus en plus compte que le numérique, le virtuel, etc., ça épuise aussi la terre. Première couche.
  • Deuxième couche le cloud, le nuage ! On comprend bien que ce n’est pas le nuage qui flotte sur nous mais ce sont justement ces données qui ne flottent pas, mais qui sont dans des serveurs ; serveur c’est le disque dur de quelqu’un d’autre. Donc on a le cloud avec des plateformes, avec les GAFAM dont on parlait tout à l’heure.
  • Couche supérieure, la ville. Parce que les données ça fonctionne à travers des corps humains ; 50 % de la population humaine vit en ville et il faut toute une logistique pour alimenter ces villes. Donc ville.
  • Ensuite couche supérieure, l’adresse. Ce qui fait qu’on existe dans ce monde du stack ce n’est pas tellement des identités, même si vous avez discuté tout à l’heure le fait que la reconnaissance faciale ça essaye de lier quoi ? De lier des identités à des corps, mais ça passe par des adresses.
  • Couche supérieure, des interfaces ; toutes ces données n’existent pour nous, nous ne pouvons les utiliser qu’à travers tout un jeu de logiciels, d’interfaces
  • et dernière couche les utilisateurs.

Qu’est-ce qui se passe lorsque je fais une recherche sur Google ? Moi utilisateur je fais une demande ou je clique, ça passe par des interfaces ; ça passe par mon adresse ; ça mobilise des choses qui vivent autour des villes — s’il n’y avait pas ces villes et toute cette logistique, si ceci s’effondre il n’y a plus rien qui existe autour ; ça va sur des serveurs lesquels pompent de l’énergie pour faire fonctionner et ensuite faire remonter tout ça vers l’utilisateur.

Donc il nous donne une théorie des souverainetés ; tout ceci ce sont des couches de souveraineté ; il n’y a pas seulement la souveraineté des États qu’on a vue tout à l’heure, mais chaque couche a sa souveraineté propre.
Frédéric Martel : Voilà. Ça s’appelle Benjamin Bratton, The Stack. Zoé Sfez maintenant.
Zoé Sfez : Moi je vais être très courte, je voudrais vous parler de Trebor Scholz et d’un tout petit livre qu’il a publié en France très récemment. Trebor Scholz, il faut le dire, est donc enseignant chercheur au New School for Social Research de New York et c’est lui le père du digital labor qui a été repris ensuite par Dominique Cardon et Antonio Casilli qu’on a souvent reçus ici. C’est lui qui le premier a été chercher cette fameuse question de dire « en fait tout ce qu’on nous vend comme de la gratuité est évidemment le fruit d’un travail » ; il y a à la fois ceux qui travaillent, les livreurs Deliveroo, mais aussi le travail que vous, en tant qu’utilisateur et consommateur vous faites sans imaginer que c’est du travail, celui du référencement, celui qui consiste à entraîner les intelligences artificielles souvent à votre insu et c’est un des principaux détracteurs du concept de la plateforme aujourd’hui. Il a publié cet excellent tout petit livre que vous pouvez lire en une heure qui s’appelle Le coopérativisme de plateforme – 10 principes contre l’ubérisation et le business de l’économie du partage, qui définit, dans une première partie, ce qu’est ce coopérativisme de plateforme ; il dit que c’est une révolution industrielle sans en être une parce que ça ne crée pas de valeur ; il dit « cette économie se nourrit des restes, c’est une réganisation ». Et il va juste un tout petit peu, en dix principes, en se basant sur des exemples existants et d’autres qui sont fictifs, souhaitables, donner dix règles pour que finalement on reprenne la substantifique moëlle de ce qu’a inventé Uber, de ce qu’a inventé Amazon, qu’on le reprenne à notre compte et qu’on crée des coopératives. L’un des premiers principes pour que ça fonctionne, eh bien c’est la propriété. Il dit : « L’économie du partage nous a fait croire qu’il ne fallait plus être propriétaire et il faut de la propriété, de la propriété évidemment bien répartie ». Trebor Scholz, très beau livre.
Frédéric Martel : Comme on manque de temps, je me limiterai pour terminer à un ouvrage. Vous avez parlé dix règles, moi j’ai dix arguments pour tout simplement supprimer vos réseaux sociaux. C’est un livre de Jaron Lanier qu’on connaissait déjà pour avoir critiqué la démocratie et son évolution à cause du numérique, son ouvrage s’appelait Who Owns the Future ?, À qui appartient le futur ?. Dans ce nouveau livre Ten Arguments for Deleting Your Social Media Accounts Right Now, maintenant, eh bien il décrit comment on devient méchant, menteur, on perd son empathie, on devient malheureux aussi, on a des addictions et enfin on menace la démocratie, tout ça à cause des réseaux sociaux.

Ça a l’air comme ça un peu simple, mais c’est une analyse assez pertinente, assez forte et qui revient à diminuer très fortement ou, dans certains cas, fermer ses comptes des réseaux sociaux pour une vie sociale saine et une bonne hygiène de vie numérique. L’auteur s’appelle Jaron Lanier.
On a évoqué ce soir beaucoup de noms d’auteurs, beaucoup d’ouvrages. Tous ces noms et cette liste mise à jour est à retrouver sur le site de France Culture avec les auteurs dont on avait déjà parlé au cours d’émissions antérieures et on continuera à faire ce travail, à mettre à jour cette liste et sans doute on refera l’année prochaine une émission sur les penseurs et les penseuses du Web. Ce soir d’ailleurs c’était beaucoup des hommes, je crois.
Zoé Sfez : Oui. Il n’y avait pas une fille et ça vraiment ce n’est pas bien.
Gilles Fontaine : On fera attention aux choix la prochaine fois.
Frédéric Martel : On a beaucoup de filles dans notre liste en ligne.

On en reste là pour ce soir. Merci infiniment à tous les autres, oui tous les quatre : Sandrine Cassini du Monde, Gilles Fontaine de Challenges, Zoé Sfez de France Culture et Yves Citton.
Yves Citton : Qu dit que Le Stack vient de paraître en français à UGA Éditions.
Frédéric Martel : On avait oublié de le signaler.

Vous pouvez vous abonner au podcast de Soft Power sur notre site de France Culture. Dans un instant Carbone 14 de Vincent Charpentier, en attendant et à dimanche prochain. Bonne soirée à l’écoute de notre chaîne et bonne fin de week-end.

Références

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.