- Titre :
- DRM, l’overdose
- Intervenantes :
- Marie Duponchelle - Magali Garnero
- Lieu :
- Université de technologie - Compiègne
- Date :
- novembre 2017
- Durée :
- 1 h 33 min
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- Documents de sensibilisation et de communication April - Domaine public et licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 3.0
- transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l’April.
Transcription
Marie Duponchelle : Merci beaucoup. Bonjour à tous. Je vais démarrer le temps que l’autre intervenante, Magali, qui arrive de Paris, arrive puisqu’on a les aléas de la SNCF. Elle a voulu quitter Paris et voir ce que c’était la province, elle s’en est rendu compte très vite. Elle est là d’ici cinq-dix minutes. On fonctionne en binôme généralement, mais il n’y a aucune difficulté, je peux démarrer sur la problématique des DRM sur laquelle on intervient très souvent dans le cadre de l’April. Puisque moi je suis donc membre de l’April ; c’est une association de promotion des logiciels libres. On est basé à Paris et Magali est également basée à Paris. Elle vous expliquera un peu son profil qui est différent du mien.
Ma particularité : je suis avocat à Compiègne et j’interviens aussi beaucoup à Paris parce que vous imaginez qu’il n’y a pas beaucoup d’informaticiens à Compiègne qui sont préoccupés par les problématiques de DRM et d’interopérabilité. On en reparlera. J’ai notamment travaillé, donc j’ai fait ma thèse sur tout ce qui est problématique de DRM et d’interopérabilité. Et je vous parlerai — là, pour le coup, je parle à un public d’informaticiens, sauf erreur de ma part — je vous parlerai donc des problématiques que j’ai concrètement avec certains de mes clients dont un dont je pourrai vous parler en particulier puisqu’on a rendu public le dossier : ce sont donc les membres de l’association VideoLan [1] qui gèrent le logiciel VLC, que vous devez j’imagine connaître, et vous donner un exemple concret de problématique.
Comment on va intervenir concrètement ? Je vais vous définir ce que sont les DRM, avec Magali qui vous mettra son volet, elle, purement pratique puisqu’elle travaille dans le domaine du livre et notamment des e-books. Et on verra en quoi ça pose des difficultés et en quoi vous, en particulier, informaticiens, vous risquez des condamnations très lourdes si vous faites joujou avec les DRM comme beaucoup font quand ils ont envie de réussir à mettre en œuvre un système qui lit à peu près toutes les plateformes, tous les formats et tout ça, puisque concrètement c’est ça que ça bloque : et on va voir véritablement cette problématique-là. Et on va voir que vous, concrètement, vous pouvez avoir une action, en fait, sur les DRM, et vous pouvez avoir vous, en tant que futurs informaticiens, futurs chefs d’entreprise j’espère, une action, on va dire de lobbying, pour que ça change, parce qu’il va falloir que ce système change. Parce que si vous voulez, vous, pouvoir innover et pouvoir développer des logiciels interopérables et donc qui ne portent pas atteinte au système des droits d’auteur et de propriété intellectuelle, il va falloir qu’on fasse bouger les cases. Et on vous expliquera comment nous à l’April on essaye, avec nos petits moyens, de faire bouger les cases concrètement.
Les DRM
Un DRM, la première fois qu’on m’en a parlé vous imaginez très bien, je ne suis pas informaticienne, la première fois qu’on m’en a parlé, c’étaient des informaticiens qui m’ont dit : « Tu penses quoi des DRM ? — Pff ! » Je ne savais même pas ce que c’était, concrètement, et j’étais incapable de le définir, incapable de voir ce que c’était. C’est vraiment un truc, à la base, purement informatique qui doit être vulgarisé pour qu’on puisse le comprendre et que vous, vous puissiez comprendre.
Et vous voyez la magie du direct, l’arrivée de Booky au moment de l’introduction. Bonjour Booky.
[Applaudissements]
Bookynette : Bonjour ! J’ai dû pousser le train, mais je suis là.
Marie : Ça va ?
Bookynette : Toujours !
Marie : Tu veux faire ta petite présentation. Elle a mis son tee-shirt, en plus, de l’April, vous voyez. Elle a même pris le temps de faire sa présentation. Je te laisse te présenter du coup, on profite de l’occasion.
Bookynette : OK. Bookynette, du vrai nom Magali Garnero. Je suis administratrice à l’April. Je suis aussi membre de Framasoft [2] ; je suis assez militante et active dans mon coin, mais sur Paris, ce qui fait qu’il m’a fallu à peu près deux heures pour venir. Mais je suis là !
Marie : On en était aux définitions. Tu vois, donc on venait de démarrer.
Bookynette : Effectivement.
Marie : Par contre fais attention, il y a la petite caméra qui va te prendre en enregistrement donc si tu peux rester dans le champ. Donc la définition des DRM. Le petit côté geek c’est qu’on va faire la définition technique et je vous parlerai après de la définition juridique puisque, bien évidemment, quand on a voulu plaquer un régime juridique sur un système technique, vous imaginez les problèmes qu’on a eus et vous imaginez les problématiques qu’on a encore.
Concrètement, on a déjà un problème : quand moi je vous parle et quand vous vous allez me parler de DRM. Puisque vous nous parlez donc de DRM, Digital rights management, puisque vous faites tout à l’anglaise, à l’américaine, ça rend bien, c’est super cool. Donc n’utilisez la première appellation. La première appellation, en tant que militants du logiciel libre, ne nous pose pas de difficulté.
Bookynette : Non ! Elle est parfaite.
Marie : Gestion des droits numériques, c’est-à-dire les droits que vous avez, je vous expliquerai, sur un système. Pas de souci sur la définition. Sauf qu’on est en France et quand on est en France eh bien quand on traduit des termes anglais, on n’utilise pas les mêmes termes. Pourquoi ? Parce qu’on considère que faire simple c’est trop facile. MTP, on utilise.
Bookynette : Mesures techniques de protection. La question que moi je vous pose, c’est que ça protège qui ? Franchement ?
Marie : Officiellement, moi en tant que juriste, je ne peux pas utiliser le terme de DRM ; c’est interdit ; ce n’est pas juridique et ça ne correspond à rien du tout dans notre système actuel. On parle, nous, de « Mesures techniques de protection ». Vous imaginez très bien qui a voulu utiliser le terme de « Mesures techniques de protection ». D’après vous qui a imaginé le système ? Qui a imaginé de mettre en œuvre ça ? Est-ce que ce sont des informaticiens ? D’après vous ? Comment vous voyez ? Qui a élaboré, d’après vous, le système des mesures techniques de protection ? Je pose la question.
Bookynette : Je crois qu’il y a un monsieur qui a la réponse sur la gauche, mais il est trop timide.
Public : Les ayants droit.
Marie : Voilà ! Ce qu’on va appeler, avec un joli mot juridique, les ayants droit. C’est-à-dire ceux qui ont, on va dire pour l’instant, des droits de propriété intellectuelle. Vous voyez très bien, ceux qui ont des droits d’auteur, les producteurs et compagnie. Eux ils considèrent que ça protège leur œuvre. Donc des mesures techniques visant à protéger leur œuvre. Ça c’est le terme qu’on utilise en France. Nous on préférerait qu’un jour on utilise le terme, donc la traduction, puisqu’on ne va pas mettre des termes anglais, quand même, « Gestion des droits numériques ». Vous le voyez parfois, vous le voyez dans certains textes, mais il y a une confusion qui est en marche et qu’on aimerait bien modifier sur ces problématiques-là. Mais on espère, on a toujours de l’espoir !
La définition technique. Là tu avais mis un petit Adobe, un petit logiciel que tu adores, n’est-ce pas ?
Bookynette : Oui. En plus d’être militante, je suis libraire et donc je lis des livres. Et donc je lis des livres numériques ! Oui, ça m’arrive de lire des livres numériques. Pour lire un livre numérique, il faut utiliser le logiciel Adobe Editions. Tout le monde le connaît puisqu’on est tous obligés de passer par là, quelle que soit la plateforme où vous achetez votre livre, vous êtes obligé d’installer Adobe Editions. Pour installer Adobe Editions, attention, il faut avoir soit Windows, soit Apple. Donc là je suis bien emmerdée, parce que moi je suis sous Linux, je suis sous Debian, donc ce n’est pas possible. Donc qu’est-ce que je suis obligée de faire ? Je suis obligée de mettre un Windows virtuel sur mon ordinateur pour installer Adobe. Et en plus, Adobe ça ne permet pas d’avoir des livres numériques ; ça permet des droits de lire du livre numérique. Donc on est vraiment en plein dans le cœur du DRM ; c’est vraiment pour moi la société qui fait le meilleur boulot pour les DRM : c’est eux. Je te laisse continuer techniquement ? Ou je continue techniquement ?
Marie : Comme tu veux. Présente les différentes techniques.
Bookynette : Trois manières d’utiliser des DRM pour nos chers ayants droit, éditeurs ou producteurs, tout ce que tu veux.
- Le DRM de chiffrement. Donc en gros ça prend votre fichier, que ce soit un livre, une vidéo ou de la musique ; il y a un petit script qui dit : « Attention contrainte », ou plutôt « Contrôle d’usage » et donc on ne peut rien faire tant que ce script est là. [Bookynette chuchote] Il y a des moyens de contourner les scripts surtout pour les livres numériques, mais ça on n’en parlera pas forcément en direct.
- Après il y a les DRM de tatouage. Là il n’y a pas de script, il y a juste une petite phrase d’identification qui dit : « Attention, ce fichier a été donné, acheté, offert, à telle personne. » Donc, eh bien en gros, on est identifié techniquement. Si je vais mettre un livre numérique dans la toile, les gens sauront que c’est moi qui l’ai téléchargé, que c’est moi qui le redonne à la communauté, que j’aie le droit ou pas. En tout cas c’est tatoué et le fichier est, comment dire, reconnu, en tout cas associé à une personne.
- Et puis le dernier, celui-là je ne l’aime pas non plus — je n’en aime aucun donc voilà — c’est celui qui est dans le cloud. Un exemple tout bête : je veux jouer à un jeu et pour jouer à ce jeu-là, il faut absolument que j’ai créé un compte sur une plateforme et donc il y a de nouveau un script qui contrôle le jeu et qui m’empêche de faire ce que je veux avec un jeu que j’ai acheté, sur une machine que j’ai achetée et un compte que, du coup, je vais être obligée d’ouvrir sur la plateforme.
Marie : La différence entre les trois est fondamentale, puisque vous l’avez bien compris, on a différents systèmes qui sont complètement différents.
Les mesures de chiffrement, concrètement, elles vont bloquer si vous n’avez pas les deux clefs : si vous n’avez pas la porte avec la bonne serrure et la clef qui va dans la serrure, vous n’allez pas pouvoir fonctionner.
Le système de tatouage ne va pas vous bloquer dans l’utilisation. Il va juste dire : « Ça, c’est Magali qui a acheté. Acheté ! Qui a souscrit les droits d’utilisation de ce livre numérique. Donc vous allez être identifié comme l’utilisateur des droits. Et si vous le mettez en ligne à un moment donné, on va savoir que c’est Magali qui a mis en ligne, au mépris des droits sur le e-book, sur la plateforme peer to peer ou n’importe quoi, puisqu’on va en parler forcément. Donc ça va permettre d’identifier qui est à l’origine de la diffusion de l’œuvre soumise aux droits d’auteur, par exemple.
Et donc la différence pour moi va être fondamentale, je vais vous expliquer pourquoi. Parce que, contrairement à mes petits camarades, j’ai mon œil de juriste qui fonctionne et parfois un peu trop, c’est que je ne suis pas forcément totalement opposée aux mesures de tatouage. Je vous expliquerai pourquoi, parce que, à mon avis, ça serait un bon compromis entre la préservation des droits d’auteur et la préservation de la libre utilisation et de la libre diffusion des œuvres ; avec n’importe quel logiciel et au choix ; mais on en discutera tout à l’heure, je vous expliquerai pourquoi.
En revanche, les systèmes en cloud, on les voit apparaître. C’est-à-dire que vous devez vous identifier au préalable, avant d’utiliser l’œuvre que vous avez acquise. Pour lire le DVD de La Reine des Neiges, vous devriez vous connecter sur la plateforme de Disney et vous mettez votre adresse mail, vous mettez tout ça. Vous imaginez la conséquence que ça peut avoir, d’avoir des DRM en cloud — ça existe, on commence à les voir — et ça peut avoir des conséquences qui pour nous sont graves, puisque du jour au lendemain, vu que vous devez vous connecter à un cloud, et d’une, vous devez avoir une connexion parce que sinon ça ne va pas fonctionner, et de deux, du jour au lendemain ils peuvent décider eh bien voilà, on vous coupe et on vous prive de votre accès. Et ce ne sont pas des paroles en l’air. Ce sont véritablement des choses qui peuvent arriver et qui vont arriver.
Bookynette : Après, si c’est La Reine des neiges, ce n’est pas trop grave !
Marie : Ça dépend ! Moi j’aime bien !
Les systèmes de chiffrement, ce sont les premiers qui sont arrivés. Systèmes de chiffrement, je vais vous donner l’exemple concret puisque moi j’ai eu concrètement à essayer de le comprendre : le Blu-ray pourri de DRM de chiffrement et ils le changeaient régulièrement. Donc vous imaginez le système.
Le DRM de chiffrement est arrivé en bout de course pour certains parce qu’ils se sont rendu compte des limites techniques. Un seul exemple qui a fait « scandale », entre guillemets, c’est que c’est devenu extrêmement compliqué et avec un suivi de mises à jour extrêmement problématique. Alors là tu vas me dire que tu n’aimes pas non plus. Le Blu-ray d’Avatar a posé problème puisque Avatar, en fait, avait été mis en ligne avec un système de chiffrement particulier. Mis en ligne ! Mis à disposition en vente à la Fnac, ce que vous voulez. Et certaines personnes avaient des lecteurs Blu-ray chez elles qui n’avaient pas le bon système de chiffrement. Ce qui fait qu’elles se sont retrouvées en achetant le Blu-ray à la Fnac — déjà c’est une erreur monumentale, mais ça on ne peut pas aller contre les gens —, elles ont acheté le Blu-ray à la Fnac et elles se sont retrouvées à ne pas pouvoir le lire sur leur lecteur Blu-ray. Pourquoi est-ce qu’ils ont fait ça dans le consortium Blu-ray ? Une raison toute simple. C’est pour obliger concrètement les gens à racheter le dernier lecteur Blu-ray. Il n’y a pas de secret ! Ils n’ont pas dit : « Oups ! On s’est trompés ! » Du coup les gens ont acheté le Blu-ray d’Avatar et en plus ils ont racheté un lecteur de Blu-ray, après, pour pouvoir lire le Blu-ray d’Avatar. Donc là vous avez un exemple concret.
Et on a les systèmes de chiffrement qui évoluent ; par exemple sur le système du Blu-ray, ils évoluent en permanence. Ce qui fait que quand vous êtes geek, que vous voulez mettre un système qui suit les mises à jour du Blu-ray, bon courage ! Là, au stade du bénévolat, ça devient une passion de suivre les mises à jour du Blu-ray.
Le tatouage on en reparlera sur l’avenir des DRM.
Le régime juridique
Alors là c’est mon dada, c’est ma petite partie, c’est mon cheval de bataille. Je ne vais pas m’ennuyer puisque, de toutes façons, ils vont continuer. Ce qu’il faut que vous ayez en tête c’est qu’on parle d’un système qui a été adopté en 1996. Vous imaginez ! Moi j’étais à peine née ! Certains ici aussi étaient à peine nés, concrètement. Adopté en 1996 au niveau des institutions internationales, ce qu’on appelle l’OMPI, Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Vous avez donc un système, donc des systèmes de protection sur les œuvres, qui a été adopté en 1996. Est-ce que vous voyez tout de suite le problème qu’on a ? Quand je vous parle de 1996 ?
Public : Internet n’existait pas.
Marie : Voilà, Internet existait, mais l’Internet grand public n’existait pas. Donc on a un système qui a été créé en 1996, qui vient dire « eh bien les titulaires de droits sur des œuvres ont le droit de mettre des systèmes numériques », puisque c’est ça, donc on met des petits logiciels numériques pour empêcher les copies – on ne va pas se leurrer, c’est pour ça. Vous avez le droit de mettre des systèmes pour empêcher les copies et on a créé tout ça avant l’avènement d’Internet. Et on est encore sur un système qui date d’avant Internet. D’où, aussi, notre « légitimité », entre guillemets, à pouvoir, à mon avis, remettre en question un système qui, potentiellement, est complètement obsolète. Parce qu’ils n’ont pas du tout, et c’est normal, anticipé ce qu’allait être Internet et ce qu’allaient être les problématiques afférentes.
Et deuxième problème, tout de suite, dans les traités de l’OMPI, c’est qu’on n’avait pas de définition des DRM. Qui dit pas de définition dit eh bien on fait ce qu’on veut. Concrètement c’est ça. Donc on a eu un système où les plus gros consortiums, notamment on parle de Disney, on parle de Sony, on parle de Philips, on parle de tout ça, ont mis en œuvre ce qu’ils voulaient dans le cadre des traités internationaux de l’OMPI.
Deuxième étape, puisque vous savez qu’on a le super, c’est l’internationale ; après on va arriver au niveau de l’Union européenne et on va arriver chez nous, donc là ça se dégrade à la fin, mais deuxième étape on a une directive, directive droit d’auteur.
Bookynette : Cinq ans plus tard !
Marie : Cinq ans plus tard : 2001. Directive droit d’auteur 2001, qui est intervenue et donc qui prend le régime qui a été fait dans le cadre de l’OMPI et qui dit : « Il faut qu’on fasse un régime juridique. On reconnaît les mesures techniques de protection, les DRM. Vous avez le droit de les utiliser sur les œuvres numériques dans l’Union européenne et en plus – et là c’est quand même vachement bien – on va vous définir quand même ce que c’est. »
Pour ceux qui connaissent un tout petit peu le logiciel libre et qui ont un peu lu Stallman, qui ont un peu lu tout ça, la directive, donc ce qu’on appelle la Directive EUCD [3], est le premier entre guillemets « grand combat » qu’il y a eu au niveau des problématiques de logiciel libre en 2001.
Bookynette : C’est à cette époque qu’on s’est rendu compte que le travail bénévole n’était juste pas suffisant et que nous, à l’April, on a décidé d’embaucher des salariés pour nous aider à combattre l’EUCD. Moi je n’y étais pas encore à cette époque-là, je suis trop jeune – c’est rare que je le dise, là pour une fois je me vante –, mais on a eu plein de manifestations, il y a eu plein de distributions de tracts. Bref, ça été une des plus grosses actions de l’April et on a rencontré plein de politiciens comme ça.
Marie : Et donc, concrètement, ça a été un des premiers grands combats. Je vous ai mis une petite photo, ils aiment bien c’est un peu de nostalgie quand je leur mets les photos que je retrouve sur les différents combats. Pourquoi est-ce que la communauté, informatique, essentiellement, s’est mobilisée sur cette directive ? Concrètement parce que le régime des mesures techniques de protection, vous le voyez, peut être un obstacle vous, à votre, on va dire, créativité, au niveau des logiciels. Puisque je vous expliquerai ce que vous risquez si vous violez des DRM. Il ne faut pas rigoler avec ça ! Je parle d’expérience. Mais concrètement, vous pouvez vous retrouver dans des situations où vous ne pourrez pas développer de logiciels au nom des droits d’auteur. Et vous pourrez vous retrouver dans des situations où parfois vous êtes contraints de développer certaines choses pour pouvoir, par exemple, lire différents formats, adapter un logiciel pour lire sur Mac, pour lire sur Windows. Concrètement ça touche tout le monde. Et donc vous avez des limites qui ont fait une forte une mobilisation et qui ont fait émerger, notamment en France, les problématiques du logiciel libre. Puisque si on a un logiciel libre, vous savez très bien dans la définition, il faut qu’on puisse l’installer sur l’ensemble des formats, qu’on puisse lire tous les formats, qu’on n’ait pas de contraintes, qu’on n’ait pas ce système de contraintes avec, notamment, si vous voulez installer et pouvoir lire mes DRM, eh bien il va falloir payer. Parce que c’est ça qu’ils mettent en place aussi. Donc on a un fort développement, à ce moment-là, lié directement aux DRM, des logiciels libres en France.
Et là vous avez, je vous l’ai mise pour le fun, la définition de la directive EUCD dont reparlera sur la fin, bien évidemment.
Et donc là vous avez, concrètement, la définition actuelle des DRM. Et vous voyez tout de suite, quand on lit cette définition – enfin c’est un peu compliqué, c’est du langage de juriste.
Bookynette : C’est fait exprès !
Marie : Ils ont voulu, en fait, faire un texte où il n’y a pas de connotation historique, on va dire, c’est-à-dire que vous n’avez pas de technologie qui est précisée ; vous n’avez pas de système qui est précisé ; vous n’avez pas de manière de faire qui est précisée. Ça signifie que ce texte-là, de 2001, s’applique encore parfaitement aujourd’hui. Vous avez « toute technologie », « composant », et ça, ça veut dire que vous pouvez imaginer n’importe quel système pour pouvoir contrôler les droits d’auteur, les droits des producteurs, sur les œuvres. Et on peut innover. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui on a des nouveaux DRM qui apparaissent avec, par exemple, le système en cloud.
Et on a la première problématique qui est apparue dès 2001 : la problématique de vous n’avez pas le droit donc de violer des DRM. C’est interdit. Je vous expliquerai des manières de contourner légalement, parce qu’il y a forcément des exceptions ; vous n’avez pas le droit de pirater, vous n’avez pas le droit de contourner, vous n’avez pas le droit de, comment vous dites ça quand j’arrive, cracker, voler, enfin, voilà, péter, tout ce que vous voulez, vous n’avez pas le droit de cracker des DRM. Faites très attention, vous pouvez très vite vous retrouver avec des systèmes avec des DRM. Une image, par exemple, peut être protégée par des DRM. Une vidéo peut être protégée par des DRM ; elles sont protégées par des DRM généralement. Une musique, un livre, parce que c’est l’exemple actuel auquel Magali est confrontée. Tous ces systèmes-là, toutes ces œuvres sont soumises aux DRM. Et vous aussi, directement, les logiciels peuvent être soumis aux DRM, parce que les logiciels sont des œuvres. Donc si vous voulez implémenter un logiciel soumis à des DRM, vous ne pouvez pas, concrètement, sauf exception que je vous expliquerai. Et le système a été mis en place en disant « vous n’avez pas le droit pour les DRM efficaces ». D’après vous qu’en ont conclu certains informaticiens ?
Bookynette : Si ce n’est pas efficace on a le droit !
Marie : Si ça ne marche pas, si j’ai réussi à le cracker c’est que ce n’est pas efficace !
Bookynette : Et c’est souvent pas efficace.
Marie : Voilà. C’est tout le temps pas efficace, puisqu’ils ont réussi. Concrètement aujourd’hui, on va le dire, techniquement, vous êtes capables de contourner presque tous les DRM. Techniquement ! Je parle peut-être pas tous, je ne connais pas votre niveau en informatique, mais d’expérience, concrètement, presque tous les informaticiens qui tâtent un peu et qui aiment bien développer un peu des logiciels sur ce système-là, sont capables de contourner des DRM. Et donc ils étaient partis du principe, en 2001, eh bien si j’arrive à le contourner, c’est que ce n’est pas efficace ! Donc si ce n’est pas efficace, c’est que ça ne marche pas. Donc je ne suis pas dans l’illégalité, et allons-y gaiement !
À ce moment-là il n’y avait pas les Blu-ray, parce que les Blu-ray je vous expliquerai un peu comment ça fonctionne, ils ont mis les moyens financiers pour contourner, on avait ce qu’on appelait les DVD ; vous vous souvenez des DVD quand même, ça existe encore, il y en a encore certains qui les utilisent et c’est concret, vraiment ! Il y a des informaticiens qui ont élaboré un système pour contourner les DRM des DVD en disant « eh bien voilà, comme ça je peux le mettre dans mon ordinateur et je peux le lire ». Bien évidemment, levée de boucliers du côté des ayants droit en disant « eh bien non, vous n’avez pas le droit puisqu’on a mis des DRM et si on a mis des DRM c’est qu’on voulait vous bloquer. Peu importe que vous ayez contourné. Ce n’est pas juste, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. » Vous imaginez donc les petits avocats. Jolis procès bien évidemment sur ça. Pas ici, pour une fois ! Pas ici ! Dans un pays de l’Union européenne, dans le Nord, c’était la Suède, je crois. Donc procès et une Cour de justice a suivi les informaticiens, une seule fois, en disant « eh bien oui, si ça ne marche pas c’est que ce n’est pas efficace ! Repassez nous voir plus tard. Donc vous avez raison, vous pouvez contourner ! » Première décision qu’il y a eue sur les DRM, qu’on a connue, dans une Cour de justice, une petite, c’était le premier niveau parce qu’après ça s’est gâté ; premier niveau de justice qui a dit : « Eh bien oui, si vous pouvez les contourner c’est qu’elles ne sont pas efficaces. Pas de directive EUCD, donc vous pouvez fabriquer votre logiciel qui contourne les DRM des DVD. Pas de souci ! »
Bookynette : C’était trop beau !
Marie : C’était trop beau ! Vous savez très bien qu’on a une première décision et, en France, on peut faire un recours, on peut aller à la Cour d’appel et à la Cour d’appel, dans leur pays, bien évidemment, il y a eu une décision qui a dit : « Non. Si vous avez voulu mettre une protection, rien que la volonté, ça rend le système efficace. Donc ce n’est pas parce que vous l’avez contourné, ce n’est pas parce que vous avez réussi à créer un logiciel qui contourne les DRM du DVD que vous avez le droit. C’est que dans l’esprit c’est efficace. » Voilà !
Donc aujourd’hui on en est là. On s’en fout concrètement de savoir si le DRM marche ou ne marche pas. D’accord ? Dès que vous avez un DRM qui est sur une œuvre, tout de suite vous stoppez vos développements et vous vous posez la question « est-ce que je peux le contourner ou pas ? » Si oui, comment ? Je vous expliquerai concrètement.
Tu as quelque chose à rajouter sur cette partie-là ?
Bookynette : Non.
Marie : Et dernier stade sur l’adoption, on en est là aujourd’hui.
Bookynette : Encore cinq ans plus tard, on est en 2010, imaginez le temps que ça prend à chaque fois !
Marie : Donc troisième niveau : niveau international, niveau européen, niveau national. On a donc intégré la directive EUCD dans ce qu’on appelle la loi DADVDSI [loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information] en France, 2006, et on a mis une définition qui est très proche de la définition européenne. Donc aujourd’hui, on a des dispositions dans le code de la propriété intellectuelle qui vous interdisent de contourner les DRM ; qui vous interdisent, donc vous en tant que consommateurs, je sais que tu n’aimes pas ce terme-là.
Bookynette : Non je n’aime pas !
Marie : D’utilisateurs ou de public, je ne sais pas comment vous voulez dire.
Bookynette : Utilisateurs.
Marie : D’utilisateurs d’œuvres, vous n’avez pas le droit de contourner les DRM, vous n’avez pas le droit d’utiliser un logiciel qui contourne les DRM, théoriquement, on en parlera après, et vous n’avez pas le droit, vous, de fabriquer des logiciels contournant les DRM en vous disant je vais faire un max de fric ; je vais inventer un truc qui permet de lire tous les systèmes, tous les supports et compagnie, et je vais pouvoir le vendre en contournant les DRM à loisir.
Sur cette base-là, un premier gros procès qu’on avait eu. Vous connaissez Deezer, j’imagine. Ça existe encore Deezer. Oui ! Peut-être pas, maintenant il y a moins de choses. Deezer avait mis des systèmes où il fallait — vous savez, c’est payant pour pouvoir lire tous les supports et compagnie —, il y en avait un qui avait eu la très bonne idée de se dire « je vais contourner les DRM de Deezer, je vais créer un logiciel qui permet de lire ce qu’il y a sur Deezer, mais sans payer Deezer. » Bien évidemment, avec le système qui a été mis en place, condamnation pour « fabrication » entre guillemets d’un logiciel qui permettait de contourner les DRM à des fins commerciales.
Là aussi, grosse manifestation à l’époque, en 2006. Il y a eu des recours, il y a eu une très forte mobilisation en France sur ces sujets-là. Et on aboutit, parce que quand on est juriste on ne peut pas faire simple, on aboutit à un texte qui fait donc moins de dix lignes quand même, dix lignes presque, sur la [4]. Voilà aujourd’hui la définition que vous avez en France des DRM dans le code de la propriété intellectuelle. Et vous avez, bien évidemment, tout un petit texte qui ne vous concerne pas forcément. C’est surtout la fin qui vous intéresse puisqu’on est sur un copier-coller de ce qu’il y avait dans la directive européenne, aujourd’hui.
Et là, vous avez le problème qui arrive, entre guillemets, « grâce » à la mobilisation qu’il y a eue. Vous savez comment on fonctionne pour élaborer des textes de loi en France ? Enfin comment ça marche ? La mobilisation qu’il y a eue, donc vous imaginez il y a eu d’un côté les manifestations d’informaticiens et de promoteurs du logiciel libre, de l’autre il y a eu un fort, on va utiliser le mot lobbying des ayants droit, pour avoir un texte ultra restrictif, en disant « aucune exception, aucun contournement des DRM. Interdiction stricte de développer quelque chose qui va à l’encontre des DRM. » Et vous avez donc, de l’autre côté, une forte mobilisation et comme quoi les mobilisations peuvent changer quelque chose parfois, une mobilisation des promoteurs du logiciel libre qui sont venus dire : « Oui, mais si vous faites ça, vous allez nous empêcher de développer des logiciels à des fins autres que de cracker les DRM. » Parce que parfois vous pouvez utiliser des logiciels, celui que vous connaissez tous c’est le logiciel VLC ; le logiciel VLC ne sert pas à contourner les DRM. Il sert à lire différents formats. Dans votre esprit vous ne prenez pas le logiciel VLC pour dire « ah ouais, cool, je vais cracker ! » Vous ne le faites pas pour ça. Vous le faites parce que c’est vachement bien et parce que vous pouvez lire toutes les plateformes. Concrètement c’est ça. Et donc, vous avez un texte qui a été adopté, qui vient dire que vous ne pouvez pas, avec les DRM, empêcher ce qu’on appelle la mise en œuvre de l’interopérabilité. C’est-à-dire que si vous utilisez des DRM, vous devez aussi permettre, et c’est là où ça se complique et c’est là où nous on s’en sert beaucoup, vous devez aussi permettre l’interopérabilité.
Alors là c’est un mot très geek, pour le coup. Est-ce que vous voyez à quoi ça correspond à peu près l’interopérabilité ? Et ça, ce n’est qu’en France. On est les seuls, on est les plus forts pour le coup ! [Rires]. Eh bien ce n’est déjà pas mal !
Bookynette : Pour une fois !
Marie : Pour une fois ! Est-ce que vous savez ce que c’est l’interopérabilité ?
Public : Inaudible.
Marie : Ouais. Concrètement quand vous faites du développement, vous voyez à peu près ce que c’est ou pas. C’est pur informaticien pour le coup ! Moi j’ai mis trois ans à comprendre !
Public : C’est un format qui puisse être lisible ou exploitable par plusieurs logiciels.
Marie : Voilà ! C’est ça en fait. Il faut que vous puissiez, avec n’importe quelle machine, on va dire ça concrètement comme ça, pouvoir lire n’importe quel logiciel. Et il faut que n’importe quel logiciel puisse s’installer sur n’importe quelle machine. C’est un enjeu pour vous énorme. Ça permet d’éviter ce qu’on appelle, on va dire les mots, les positions dominantes de certaines entreprises. Je vais vous donner un exemple concret. Aujourd’hui, 90 %, 90-95 % des ordinateurs ont le système d’exploitation Windows installé dessus. D’accord ! Si on interdit l’interopérabilité, ça veut dire que Windows peut bloquer tout développement de logiciel qu’il n’a pas autorisé.
Bookynette : Ce que fait Apple.
Marie : Oui, ce que fait Apple, concrètement, à peu près. C’est-à-dire que si on ne vous donne pas les moyens de communiquer avec Windows, eh bien vous pouvez développer tous les logiciels que vous voulez, vous ne ferez pas fortune ! Si vous n’arrivez pas à l’installer sur Windows, concrètement, ça ne va pas fonctionner. Donc un système d’exploitation peut vous empêcher de faire la communication en ne vous donnant pas l’accès au système de développement, les codes, concrètement, et puis autre chose, enfin tout ce dont vous avez besoin pour entrer en interaction.
Donc concrètement, si vous ne permettez pas l’échange entre différents logiciels, et si vous ne rendez pas obligatoire l’échange entre différents logiciels, vous pouvez avoir une société qui contrôle 90 % des ordinateurs aujourd’hui, qui vous empêche de développer votre propre logiciel. Et donc, si vous voulez créer la super bonne idée avec votre start-up, eh bien vous ne pourrez pas, parce qu’avant il va falloir passer à la caisse et donc payer les droits d’exploitation des codes de Windows. Voilà concrètement ce que c’est et voilà pourquoi on a nous, en France, une exception d’interopérabilité.
Et l’exemple d’Apple, si tu veux faire une toute petite parenthèse, c’est exactement le même.
Bookynette : Je ne vais pas faire que taper sur Apple, j’ai plein d’autres gens sur qui taper, mais Apple ils sont propriétaires de leur système d’exploitation, mais aussi de leur matériel. Si vous voulez mettre une application sur iPhone, vous devez leur payer des sous, vous devez avoir leur autorisation. Ils ont un gros monopole ; ils s’en foutent, c’est leur matériel ! Donc heureusement qu’il n’y a pas que Apple ou que Windows et qu’il y a plein d’autres choses parce que sinon on serait totalement censurés, enfermés dans ces entreprises-là. Donc pour vous qui développez ou qui développerez plus tard des petites applications, des petits logiciels, dites-vous bien que sous Linux vous ferez ce que vous voulez parce que vous aurez toutes les spécificités ; vous pourrez. Sous Apple, ce sera plus compliqué, il faudra passer à la caisse. Et sous Windows, il faudra demander l’autorisation dans l’espoir qu’ils vous estiment suffisamment intéressant pour le faire.
Marie : Concrètement on en est là aujourd’hui. Mais on a eu des petits progrès, on a eu des avancées et c’est vraiment dans votre intérêt de comprendre cet enjeu d’interopérabilité parce que de ça va dépendre votre capacité de développement de logiciels. Si vous n’avez pas la possibilité d’entrer en interaction avec le système d’exploitation Windows, eh bien autant ne pas développer, concrètement, sur certains. Ou si vous n’avez pas la possibilité de voir les codes sources, c’est ça notre cheval de bataille aussi, vous allez avoir des difficultés pour le développement. Et là, concrètement, on touche à vous, à votre future activité d’informaticien.
Donc moi l’exemple concret que je vais vous donner, sur lequel on a travaillé et on travaille encore, c’est le logiciel VLC. Le logiciel VLC, aujourd’hui, il y a un milliard d’utilisateurs dans le monde. Vous imaginez, quand même ! C’est le logiciel libre, parce qu’il est libre, aujourd’hui c’est, entre guillemets « le plus connu ». Peut-être que vous utilisez aussi LibreOffice ou ce genre de choses. L’avantage de ces logiciels-là, et le gros problème qu’ils ont aussi, c’est qu’ils peuvent lire, potentiellement, l’ensemble des formats et s’installer sur l’ensemble des systèmes d’exploitation. Mais pour faire ça, vous voyez concrètement le problème qu’ils ont directement. D’après vous quel est le problème qu’ils ont quand ils développent ? Le logiciel VLC.
Public : Ils ont besoin de contourner des DRM.
Marie : Ils ont nécessairement besoin de contourner des DRM. Ils ont eu une idée, il y a trois-quatre ans, quatre ans, de se dire « eh bien on va intégrer les formats du Blu-ray ». Eh bien oui ! Il y a des gens qui lisent des DVD, mais il y a des gens aussi qui ont des Blu-ray et donc ils ont eu l’idée d’intégrer dans le système de VLC les formats du Blu-ray. Problème des Blu-ray. Plein de DRM dessus, système de chiffrement et de tatouage. Et qui est plus est, système de chiffrement et vous pourrez, si vous voulez, il y a les détails sur certaines conférences qu’on a mises en ligne, système de chiffrement si ça vous intéresse, pour savoir comment ça fonctionne, avec clefs asymétriques et avec un système, en fait, qui change régulièrement.
Moi j’ai mis des semaines à comprendre pour qu’ils me disent comment ils ont réussi, mais concrètement un système extrêmement complexe. Extrêmement complexe, qui a coûté très cher au consortium Blu-ray. C’est qui le consortium Blu-ray ? C’est Sony, Disney et compagnie. Donc ce sont de très grosses entreprises qui ont mis énormément de moyens pour empêcher le contournement des DRM. Ce qui fait que quand on a un logiciel VLC en France, le logiciel VLC a voulu intégrer les DRM du Blu-ray, en se disant « eh bien on est en France et donc les DRM ne doivent pas m’empêcher d’entrer en communication avec les logiciels du Blu-ray, puisque j’ai l’interopérabilité qui est en jeu. » Et là vous avez l’application concrète de ça et de l’enjeu que vous avez.
On a ce système-là. Je ne vous ai pas mis tous les textes qu’il y a derrière pour mettre en œuvre ça, on a une vingtaine d’articles derrière dans le code de la propriété intellectuelle. Et le consortium Blu-ray se base sur ça pour dire : « Oui, mais secret, mise en danger du secret du développement de mes DRM et compagnie. » Ils n’ont jamais voulu permettre l’accès aux informations nécessaires aux DRM. Les informations sont arrivées sur Internet, forcément à un moment ou à un autre ça arrive toujours sur Internet, sur comment contourner les DRM.
Sachez que là je vais parler concrètement et je vous mets en garde si un jour ça vous prend l’envie de développer un logiciel pour contourner les DRM, vous n’avez le droit de contourner les DRM qu’à des fins d’interopérabilité. Si vous le faites pour autre chose, vous faites une infraction.
Comment est-ce qu’on contourne concrètement ? Vous n’avez que deux méthodes qui sont notées dans le cadre de la propriété intellectuelle. Là ça va plus vous parler en tant qu’informaticiens. Les deux seules méthodes que vous pouvez utiliser pour obtenir les informations à des fins d’interopérabilité pour contourner les DRM, c’est ce qu’on appelle l’ingénierie inverse, je pense que ça vous parle un petit peu, j’espère. Donc vous avez le droit d’utiliser l’ingénierie inverse [5] et vous avez le droit d’utiliser la décompilation [6]. Est-ce que vous voyez concrètement ? Est-ce que certains geeks veulent expliquer à leurs camarades la différence entre les deux, concrètement ? Et ce que sont les deux ? Ouais, non ?
Public : La rétro-ingénierie inverse c’est un système qui se base sur l’étude sans accès au code en fait.
Marie : Voilà. Vous n’avez pas accès au code, vous regardez comment ça fonctionne. Vous bidouillez un truc et vous voyez ce que ça change à la fin. Et à force de bidouiller, vous allez comprendre comment ça fonctionne. Ça c’est de l’ingénierie inverse. Vous avez le droit à des fins d’interopérabilité, pas de souci. Et la décompilation ?
Public : Ça va être la décompilation du code machine en instructions, en fait, qui vont être comprises.
Marie : Voilà, c’est ça. Concrètement vous allez passer du code machine, les 0, les 1, vous savez tout ce que vous aimez où moi je ne comprends pas tout !
Bookynette : Les 0 et les 1, on ne comprend pas non plus.
Marie : C’est ça. Mais eux ils aiment bien dès qu’ils voient. Vous allez ouvrir votre terminal, le truc que je sais pas ouvrir généralement parce qu’il faut que je cherche comment ça s’ouvre, et vous allez arriver au code source. Enfin, il faut que vous aboutissiez à un code source à un moment ou à un autre parce que sinon vous allez avoir du mal à développer, je pense. Concrètement, vous n’avez droit de faire que ça pour contourner les DRM, et je le répète et je le répéterai, à des fins d’interopérabilité. Donc tous ceux qui obtiennent des informations autrement, par miracle, par informations tombées du ciel sur Internet, par crackage, par violation de la porte des serveurs d’un système ou de quoi que ce soit, vous ne pouvez pas utiliser ces informations-là et vous ne pouvez pas les utiliser pour développer.
C’est très important de savoir comment vous développez, parce que de la situation, donc du système que vous avez utilisé, moi je vais pouvoir vous dire, ou un autre avocat, n’importe qui, si ce que vous avez fait, vous allez pouvoir le commercialiser, ou pas. Concrètement, j’ai déjà eu des exemples de propositions de logiciels où, quand je grattais un petit peu : « Oui mais la décompilation, l’ingénierie inverse, ça a été utilisé ? – Oui, oui ! – Mais jusqu’où ? – Eh bien il y a des trucs on était un peu embêtés ? – Un peu embêtés, c’est-à-dire ? – Eh bien on a fini par cracker ! » Vous imaginez ce qu’ils ont pu faire ! Concrètement stop ! Stop ! Si vous commercialisez ça, dans la semaine qui suit vous avez un procès, peut-être pas un procès, ils mettent la mise en demeure tout de suite, mais vous avez donc l’armada Sony, Blu-ray, Consortium et compagnie, qui vous envoie ses petits avocats, une mise en demeure, et qui vous dit : « Si vous ne faites pas, ça va vous coûter très cher. » Et je vous garantis que si vous ne le faites pas, ça va vous coûter très cher.
Donc voilà concrètement. Ayez conscience de la manière dont vous développez. Ayez conscience des systèmes que vous utilisez parce que ça peut avoir des conséquences juridiques.
Autre exemple, je fais une toute petite parenthèse parce que, généralement, ce que je vois c’est le contournement des DRM comme des gros bourrins, c’est à peu près ce qui se passe, et l’utilisation des données personnelles des gens. Vous n’avez pas le droit d’utiliser les données personnelles des gens dans le cadre d’un développement logiciel sans leur autorisation, sans déclaration à la CNIL, sans tout ça. Si un jour vous développez un logiciel, ce que j’espère pour vous, et si un jour vous avez la super bonne idée, respectez bien ce qui est avant, c’est-à-dire tous les textes juridiques, pour ne pas vous retrouver dans une situation où, finalement, vous allez devoir payer parce que vous avez créé un truc qui est complètement illégal, notamment sur les e-books. Puisque les e-books c’est le truc le plus protégé aujourd’hui par les DRM. La Fnac et son petit, comment il s’appelle ? Combo, cabot, covo ?
Bookynette : Kobo.
Marie : Kobo. La Kobo, concrètement aujourd’hui, il y avait eu des logiciels qui permettaient de lire les e-books uniquement lisibles sur la Kobo et sans interopérabilité, sans rien, ça pose problème quoi ! D’accord ? Est-ce que vous avez des questions jusque-là, parce que là on a vu la technique, la préoccupation qui, je pense, est le truc qui vous préoccupe le plus. Oui !
Public : Si une personne a contourné de manière légale les DRM, elle peut utiliser ce système pour une autre application, un autre logiciel, la même personne ?
Marie : Toujours à des fins d’interopérabilité. Il faut toujours que vous vous prévaliez de dire j’en ai besoin parce que sinon je ne peux pas mettre en œuvre l’interopérabilité.
Public : Ça peut passer comme ça sans que [inaudible].
Marie : Ça dépend du système que vous utilisez. Ça dépend, en plus, on va faire une toute petit parenthèse aussi, si vous utilisez un logiciel libre ou un logiciel propriétaire.
Oui, parce que si vous utilisez concrètement un logiciel propriétaire aussi, vous ne pouvez pas transférer ce que vous avez fait avec le logiciel propriétaire à quelqu’un d’autre qui n’a pas payé les droits pour pouvoir l’utiliser, aussi ; si vous utilisez à des fins d’interopérabilité. Le code source de VLC avec les DRM du DVD qui sont implémentés, puisque vous n’avez que les DRM du DVD aujourd’hui qui sont implémentés, pas le Blu-ray puisque c’est beaucoup trop compliqué juridiquement, est disponible, par exemple. Le code source de LibreOffice pour ça est disponible. Vous avez ça. En revanche, si vous créez un système uniquement pour cracker des DRM, vous n’avez pas le droit de le mettre à disposition. C’est ça la différence fondamentale, mais toujours à des fins d’interopérabilité.
Bookynette : Tu vas parler d’HADOPI ?
Marie : Tout de suite maintenant ?
Bookynette : Je te demande.
Marie : Est-ce que vous avez entendu parler de la procédure qu’on avait engagée sur VLC contre le Blu-ray ? Non !
Bookynette : Allons-y !
Marie : Rapidement. Concrètement, est-ce que c’est facile, là on va voir, ne regardez pas vos profs du coup, est-ce que c’est facile pour vous de faire de la décompilation et de l’ingénierie inverse ? Est-ce que vous considérez que c’est facile ?
Public : Non !
Marie : Non concrètement. Ça prend quand même du temps et c’est quand même un peu hard. Il faut quand même un peu maîtriser ! De ce que je vois, quand ils s’y mettent ils s’y mettent fort.
VLC est développé, alors ça va peut-être vous choquer, ils sont huit aujourd’hui à gérer le logiciel VLC et ils sont tous bénévoles. Ce qui est peut-être une erreur, c’est très personnel pour eux. Concrètement, quand vous êtes purement bénévole, vous faites du développement comme ça, vous n’avez pas le temps, vous n’avez pas les moyens de passer votre temps à faire de la décompilation et de l’ingénierie inverse du Blu-ray qui change toutes les semaines. Vous voyez le problème tout de suite. Si un bénévole de VLC avait voulu suivre les évolutions des DRM du Blu-ray, il aurait passé sa vie ; concrètement c’est à peu près ça. Le problème qu’on a eu, c’est ça. C’est se dire « ce n’est pas possible en ne faisant que de la décompilation et de l’ingénierie inverse, parce que techniquement c’est juste épuisant ». Donc vous avez une autre possibilité aussi, sur le papier, dans le code, vous savez le code, le petit code rouge ce que vous voyez, on vient vous dire que si vous n’avez pas les informations essentielles à l’interopérabilité, eh bien vous pouvez taper à la porte de l’éditeur du logiciel et lui dire : « Coucou, donne-moi les informations pour faire l’interopérabilité. » Vous avez le droit de taper à la porte. D’après vous qu’est-ce qu’on vous répond généralement ?
[Rires]
Bookynette : Je pense qu’ils ont tous compris.
Marie : Premier problème. Généralement les éditeurs de gros systèmes que vous voulez implémenter sont américains. Autant vous dire que le système français ils n’en ont rien à faire, ils vont dire : « Eh bien non, mais si tu le fais, je vais te poursuivre. » C’est ça concrètement. Et vous voyez qu’on a ce qu’on appelle, nous, un conflit de droits. C’est-à-dire que d’un côté on me permet l’interopérabilité, mais de l’autre côté on me dit : « Mais non, moi j’ai mes DRM », et donc les deux s’entrechoquent. Et le législateur, dans sa grande intelligence à l’époque, il y est encore donc ils ne vont pas forcément changer, il s’est dit s’il y a un problème, je vais créer une instance qui va pouvoir régler le problème. Parce que nous on crée toujours des instances spéciales. Cette instance vous la connaissez tous parce qu’elle a une autre fonction, elle sert essentiellement pour son autre fonction. L’instance qui doit régler les problèmes de conflits entre interopérabilité et DRM, c’est la HADOPI [Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet HADOPI]. Vous connaissez la HADOPI. La HADOPI, c’est elle qui est en charge de la lutte contre le téléchargement illégal. Ils ont le volet « je lutte contre le téléchargement illégal » et ils ont le volet aussi « je dois aussi permettre l’interopérabilité et régler les problèmes entre les éditeurs qui veulent mettre en avant l’interopérabilité et les éditeurs qui veulent préserver leurs droits d’auteur et leurs DRM ». C’est la deuxième fonction de la HADOPI. On ne le sait pas, eux ne le savaient pas non plus ! Mais ils ont cette fonction-là. Et on s’est dit, on était un peu bêtes à l’époque, peut-être, on s’est dit eh bien on a un problème, on ne peut pas intégrer le Blu-ray parce que c’est épuisant, techniquement c’est épuisant, donc on va demander à la HADOPI de nous expliquer comment on fait concrètement, alors qu’on n’a pas les informations et alors qu’on a véritablement un conflit de droits. Donc on a tapé à la porte de la HADOPI ; on a dit : « Coucou HADOPI, est-ce que tu peux m’expliquer comment je fais pour intégrer le Blu-ray ? »
Bookynette : Et là ça devient amusant, parce qu’en fait, vous leur posez la question, mais vous savez exactement quelle est la réponse qu’ils devraient vous donner sauf que eux, ils ne le savent pas. Et ils commencent à faire des recherches et à poser des questions aux gens qui savent. Il y a plein d’associations qui ont été démarchées par la HADOPI pour avoir une réponse. Je peux en parler parce que moi j’étais à l’April quand ils nous ont posé la question. Ça nous a bien fait rire parce que les gens de VideoLAN dont Marie était stagiaire, ils nous l’avaient déjà posée la question ; on savait déjà ce qu’on allait répondre. Et en gros on avait le choix : soit on leur donnait une réponse qu’ils ne voulaient pas entendre et qu’ils ne pourraient pas entendre et que, de toutes manières, ils ne pourraient pas faire respecter parce que Sony derrière, ils n’en auraient rien à faire des petites lois françaises ; soit on leur montrait à quel point ils étaient, comment dire, incompétents et inutiles, en ne leur répondant même pas. On ne leur a pas répondu. On se l’est jouée à fond désagréable, on ne leur a pas répondu parce qu’on estime qu’ils n’ont aucune légitimité à exister, la HADOPI. Et donc ils ne vous ont pas répondu, mais ils ont mis combien de temps à ne pas vous répondre ?
Marie : Ah si ! Ils ont répondu quand même. On avait engagé la procédure et on avait engagé la procédure ce qu’on appelle pour avis. C’est-à-dire que ce n’était une procédure contentieuse à l’encontre du Consortium Sony, mais on leur avait dit : « Expliquez-nous ! Expliquez-nous parce que j’ai des textes qui veulent dire tout et n’importe quoi ! » Et personne, en France, n’avait mis en œuvre ces textes-là — c’est pour ça aussi qu’on avait un souci, personne n’y était allé —, donc on s’est dit peut-être qu’eux ils savent. Ils nous ont dit, donc ils ont répondu vous pourrez aller regarder sur Internet, la question est en ligne et la réponse est en ligne aussi. Ils nous ont dit : « Très bonne question ». Voilà ! Le démarrage c’est ça : « Très bonne question, on va faire une consultation publique. » Et c’est là où on s’est dit oups ! Donc ils ont fait une consultation publique. Ils ont consulté les différentes associations et notamment aussi les ayants droit, puisqu’ils ont répondu — on n’a jamais eu le contenu de la réponse —, mais ils ont fait une consultation publique. On a eu un an pour avoir la consultation !
Bookynette : Un an ! Un an !
Marie : Et, après la consultation, on a eu une réponse. La réponse qui été donnée vous pouvez aller la voir, en fait qui vous montre l’enjeu, pour vous, des problématiques des DRM. Et finalement ils n’y sont pour rien parce que ce n’est pas de leur faute à la HADOPI, ce ne sont pas eux qui ont fait les textes. Ils disent : « Très bonne question, très gros problème qu’en l’état des textes on ne peut pas régler. » C’est ça, en fait, concrètement aujourd’hui. Pourquoi ? Donc ils nous disent : « Il faudrait changer le texte sur ça, effectivement, et il faudrait que vous fassiez une procédure contentieuse » : il faudrait qu’on attaque le Consortium Disney et compagnie pour obtenir les informations. Parce que quand ils ne vous les donnent pas, eh bien on peut les attaquer pour leur dire vous ne les avez pas données, vous devez ! Sauf que dans le texte et concrètement quand vous êtes une petite start-up vous allez voir tout de suite la limite, c’est qu’ils peuvent être contraints de vous les donner, mais ils peuvent aussi vous demander une rémunération sur ça. Vous imaginez la rémunération qu’il pourrait y avoir sur la lecture des DRM du Consortium Blu-ray !
Concrètement vous avez encore aujourd’hui des incohérences juridiques qui font que vous pouvez avoir des problèmes en développant et vous devez avoir conscience de ces problématiques-là pour ne aller dans le mur et vous taper une procédure si vous allez trop loin.
Donc on a des textes qui sont une réelle avancée, mais qui, pour moi, doivent évoluer et qui devront nécessairement évoluer.
Bookynette : Il va falloir attendre cinq ans, et puis encore cinq ans et puis encore cinq ans, donc vous imaginez le temps que ça va mettre pour évoluer !
Marie : Je veux vous faire peur aussi, parce que généralement, ce que j’ai vu pour être intervenue dans différentes écoles d’informatique aussi, j’ai vu des projets de fin d’études qui m’ont fait dresser les cheveux sur la tête, où, concrètement, on avait des atteintes aux DRM. Dans des projets de fin d’études ! Donc on se dit bouh ! Sachant que VLC est un projet de fin d’études, à la base, qui a été après diffusé. La sanction que vous risquez, il y en a trois types.
- La première c’est si vous créez un logiciel qui permet le contournement des DRM, vous avez une sanction particulière, je ne sais plus si c’est 15 000 euros et quelques et puis ça peut aller jusqu’à l’emprisonnement ; faites attention quand même !
- Vous avez une sanction aussi, et c’est là où on a aussi un problème parce que généralement les gens utilisent des logiciels sans trop savoir ce qu’ils font avec, vous avez uns sanction si vous utilisez un logiciel qui contourne les DRM. Les trois quarts des gens utilisent des logiciels, ils ne savent pas trop à quoi ça sert, mais vous avez une sanction 3750 euros d’amende si vous utilisez un logiciel qui contourne les DRM en violation de ce que je vous ai dit précédemment.
- Et la troisième sanction que vous avez, vous avez une sanction si vous possédez un logiciel qui, potentiellement, peut contourner les DRM. Dans votre ordinateur aujourd’hui, je suis pratiquement sûre que tous vous avez peut-être un logiciel qui peut, potentiellement, contourner les DRM. Puisque au-delà de VLC, au-delà de tout ça, vous avez tous des systèmes de lecture vidéo, vous avez tous tout ça qui, potentiellement, à terme, pourrait servir, en fait, d’armes contre les DRM.
Bookynette : Je peux les rassurer quand même ?
Marie : Oui.
Bookynette : Ce n’est pas grave. Ça n’a aucun intérêt pour ces entreprises de vous attaquer vous, en tant que particulier. C’est beaucoup plus intéressant d’attaquer l’association ou la société, voire de racheter la société qui le fait. Mais vous, à priori, vous ne risquez rien !
Marie : Pour vous donner un exemple concret. Pour être intervenue dans des projets de création de logiciels, je ne peux pas vous dire lesquels de toutes façons, mais sur des projets de création de logiciels, quand on a commencé à taper à la porte pour voir si c’était possible de commercialiser, toutes les start-ups ont aujourd’hui fait faillite ! Pour vous dire ! Parce que concrètement ils leur ont dit : « Oui, oui on va discuter, on va négocier ». Vous savez que le temps d’une start-up n’est pas illimité et donc quand vous prenez six mois en négociations pour voir comment vous pouvez intégrer les DRM, au bout d’un moment les fonds d’investissements ne vous suivent plus ! Donc vous avez des vraies problématiques et aujourd’hui, il y a plusieurs start-ups qui ont tenté de faire en se jouant des textes, qui n’ont pas réussi à faire aboutir leurs projets concrètement, pour aller plus loin de ce qu’elles avaient voulu faire. D’accord ? Donc vous avez des vraies problématiques et vous devez avoir conscience de ça quand vous développez.
Et donc les DRM, c’est pour ça qu’aujourd’hui c’est un de nos quatre combats, quatre dangers, que je te laisse expliquer.
Bookynette : Tu veux que j’explique les quatre dangers !
Marie : Pas forcément.
Bookynette : À l’April, il y a quelques années, on s’est rendu compte que le logiciel libre était menacé de quatre dangers : les DRM, le brevet logiciel, la vente forcée et j’oublie toujours le dernier, l’informatique déloyale ; je ne l’aime pas celui-là, il est passé de mode, donc on s’en fout ! Donc on a voulu prévenir les gens de ces dangers-là.
On vous parle, avec Marie, des DRM depuis tout à l’heure, mais vous avez aussi les brevets logiciels. Est-ce qu’il y a des gens qui savent ce que c’est qu’un brevet logiciel ?
Marie : Pour vous donner un exemple, le clic de la souris est aujourd’hui breveté.
Bookynette : Je vais vous donner un autre exemple de brevet qui n’est pas un brevet logiciel mais qui rentre très bien dans la définition. Vous voyez nos téléphones-là [Bookynette brandit son téléphone], tous nos téléphones, on en a tous des téléphones, ils ont tous des coins arrondis.
Marie : Tu en as un comme ça maintenant, toi !
Bookynette : Ouais, j’en ai un comme ça maintenant. Vous savez le coin arrondi, ça a été breveté par soit Apple, soit Samsung, ils sont en plein combat juridique ensemble. Bref ! Les brevets c’est quelque chose qui vous empêche de développer quelque chose qui existe déjà d’une certaine manière. Donc ils ont mis ça partout ! Le brevet c’est une rente. Il faut savoir que pour chaque téléphone avec Android dessus, Windows touche de la tune, parce que dedans, il y a un petit brevet dans l’Android qui appartient à Windows et donc gling, tiroir-caisse pouf ! Windows touche même quand il ne vend rien. Autre chose sur les brevets.
On peut peut-être passer à la vente forcée, je ne l’aime pas celle-là aussi. La vente forcée. Qui achète des ordinateurs en grande surface ? Logiquement vous êtes quasiment tous des informaticiens donc vous savez faire ça. Toi ? OK ! Alors quand tu achètes un ordinateur en grande surface, qu’est-ce qu’il y a sur ton ordinateur ?
Marie : Windows.
Bookynette : Voilà ! Windows et peut-être Internet Explorer, peut-être des « Office », des logiciels que tu n’utiliseras pas. Il y a Outlook et compagnie. En gros c’est très dur, alors moi je vais dire un utilisateur, mais Marie préfère le consommateur, d’acheter un ordinateur sans rien dessus. C’est très rare les plateformes de vente qui vont faire ça, il en existe ; moi je passe par LDLC, mais il en existe plein d’autres. Sur racketieciels.info [7], vous avez aussi la liste des bons vendeurs. Bref, quand vous achetez un ordinateur on va dire par une plateforme normale, ce que fait quasiment 95 % de la population, eh bien vous l’achetez avec plein de logiciels que vous payez, vous ne savez pas combien ça coûte, mais vous les payez ; vous ne les utiliserez pas, mais vous les avez quand même. Ce n’est même pas cadeau, j’avais envie de dire c’est cadeau, mais là ce n’est même pas cadeau, c’est compris dans le prix.
Il y a plein de gens qui ont essayé de faire des procès pour qu’il y ait une sorte de jurisprudence et se faire rembourser soit le système d’exploitation, soit les logiciels. Bon ! À ce jour il n’y a pas eu grande réussite. À l’April, on a un de nos administrateurs qui s’appelle Laurent Costy [8] qui a été longtemps en procès, ça lui a coûté une belle blende et finalement il n’arrive à rien. Il ne s’est pas fait rembourser les 50 euros parce qu’il y a eu un énorme lobbying des constructeurs, mais aussi des logiciels, pour qu’il n’y ait pas de jurisprudence, pour que personne ne se fasse rembourser ses 50 euros. Vous imaginez ! S’il y en a un qui se fait rembourser, on se fait tous rembourser. Voilà ! Donc ils se sont bien arrangés pour qu’il n’y ait eu aucun succès. Après il y en a eu mais dans des toutes petites cours dont personne n’a entendu parler, mais en tout cas, eh bien je sais contre Hewlett-Packard, je crois que Laurent Costy était contre Hewlett-Packard, eux se sont bien débrouillés, ça a coûté bien cher, les avocats étaient tous sur les genoux pour qu’il n’y ait pas de loi qui passe. Et finalement il a été débouté, je crois c’est en appel, en Cour de cassation.
Marie : En cassation. Il est revenu, il est reparti.
Bookynette : Ouais. Donc il est allé très loin, mais même comme ça, ça n’a pas marché. Donc la vente forcée, c’est passé.
Et puis le dernier, c’est l’informatique déloyale. Nous appelle ça informatique déloyale comme on appelle les DRM. Eux ils appellent ça « mesures techniques de protection » pour les DRM, mais ils appellent ça « informatique de confiance » ! Voilà. C’est l’informatique de confiance. Il faut avoir confiance ! Ils nous surveillent, mais c’est pour notre bien ! Voilà ! En gros ils se permettent d’avoir des accès sur nos ordinateurs, mais c’est pour vérifier qu’il ne nous arrive rien de mal, qu’on n’a pas de virus ou quoi que ce soit. Ce n’est pas du tout pour nous espionner et voir ce qu’on fait, voir ce qu’on cracke, voir ce qu’on utilise et avoir des informations. Non ! Ayez confiance ! Ça rappelle un peu Robin des Bois [Le livre de la Jungle, NdT] avec le serpent avec les yeux comme ça « aie confiance ! » Ils essayent totalement de nous manipuler. Bref ! Donc l’informatique déloyale ! L’informatique de confiance on n’est pas cons, on sait tout à fait ce que c’est.
Donc on avait décidé de mettre ces quatre dangers en évidence à l’April et, comme on aime bien les stickers [9], on en a fait plein et on continue à en faire. D’ailleurs j’en ai dans mon sac mais comme je suis arrivée en retard ils n’étaient pas exposés. Je vous en donnerai à la fin si vous êtes sages !
Marie : C’est encore à toi !
Bookynette : C’est encore à moi !
Marie : Des exemples concrets.
Bookynette : Des exemples concrets. Il y a eu des campagnes qui ont été faites contre les DRM. Par exemple « Les DRM tuent la musique » ou alors « Les auteurs contre les DRM », parce que forcément, il y a les ayants droit qui touchent des sous et qui aiment les DRM et puis il y a ceux qui ne touchent rien. Je ne sais pas si vous connaissez la Sacem [Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique], vous devez sûrement connaître la Sacem, tout le monde en parle. Il faut savoir que la Sacem récolte énormément d’argent : quand vous passez de la musique sur la radio, les radios payent la Sacem ; quand un artiste passe en concert, il va payer la Sacem, il va lui donner des sous parce qu’il passe ses œuvres sur scène, c’est merveilleux, payer pour passer ses œuvres ! Après, la Sacem récupère tous les sous et elle redistribue. Enfin elle ne redistribue que 70 % ; il faut savoir que 30 % de ce que la Sacem touche lui sert à fonctionner elle-même. Donc on se retrouve avec plein d’artistes qui ne touchent rien parce qu’ils sont en dessous d’un seuil minimum. Donc imaginez que vous faites un concert, vous donnez de l’argent pour passer vos chansons, et vous ne touchez rien derrière. C’est ça la Sacem. Et ces artistes-là, qui en ont marre de se faire flouer, se sont dit on va faire une action, pas que contre la Sacem parce qu’ils étaient aussi contre les DRM parce qu’ils en avaient marre qu’on ne puisse pas passer leur musique avec les libertés que eux-mêmes accordaient. Ils se sont bien révoltés contre les DRM parce que les DRM ça mettait des contraintes, genre ils veulent faire découvrir la musique mais leur éditeur limite l’écoute à une fois ; ou limite l’écoute à un certain temps ; ou empêche les gens d’aller en arrière pour réécouter une chanson à partir du moment où elle a été écoutée une fois ; donc ils se sont rendu compte que c’est du foutage de gueule et ils ont fait une grosse campagne contre les DRM.
Après, les auteurs contre les DRM. Pareil les auteurs se sont rendu compte que leurs livres numériques avec DRM, c’était toujours limité dans le temps, limité en nombre d’utilisations, limité dans le pays. Bref ! Il y avait top de contraintes qu’il n’y a pas avec le format papier et ils sont partis en campagne contre les DRM.
Ce sont deux campagnes qui ont vu le jour aux États-Unis et que nous, à l’April, on a transcrites, je crois que c’était en 2013, quelque chose comme ça. Oui.
Eh puis si je parle de George Orwell, 1984, c’est mon préféré parce que je suis libraire. Qui a lu 1984 ?
Pour ceux qui ne l’ont pas lu je vous conseille de le lire, parce que ça fait bien flipper, mais c’est vers là qu’on se tourne. En gros, 1984 c’est un bouquin qui a été vendu par Amazon sur son Kindle. Je viens de dire deux gros mots, il va falloir que je boive un coup. Bref ! Les gens ont acheté leur Kindle, les gens ont acheté Amazon, enfin acheté leur 1984 sur Amazon, ils étaient contents, ils ont pu lire leur livre. Sauf qu’à une époque 1984 a totalement disparu des Kindle, sans prévenir les gens qui l’avaient acheté. Alors là grosse incompréhension. Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’on m’a enlevé mon livre que j’ai acheté légalement, un format que j’ai acheté, c’est mon livre. Oui, mais non ! En fait, quand vous passez par le Kindle Amazon, vous n’achetez pas un livre, vous achetez un service de location. C’est-à-dire qu’Amazon se donne le droit de récupérer les œuvres que vous avez achetées. Oui, oui, lisez les conditions générales de vente, c’est imbitable, mais c’est vraiment marqué dedans. Et Amazon s’était rendu compte, grâce aux ayants droit de George Orwell — parce que George Orwell ça fait longtemps que hein ! — qu’ils n’avaient pas le droit de distribuer 1984. Ah ben mince alors ! Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils l’ont enlevé. Je n’avais pas de Kindle à l’époque et je pense que je n’en aurais jamais, mais moi personnellement, si on vient chercher un livre dans ma bibliothèque, je mords. C’est inadmissible ! Mais en acceptant les conditions générales d’Amazon, on leur donne le droit de faire ça.
Marie : Il y a un autre exemple concret. Oui ?
Public : C’est juste par rapport un autre situation par rapport à la Sacem, c’est un exemple comme ça, mais si vous écoutez la radio dans votre voiture avec un ami, normalement vous devez payer à la Sacem. Théoriquement.
Marie : Oui. On est à la limite de l’écoute privée. C’est dans le cadre privé.
Bookynette : Je peux répondre. Un autre exemple de la Sacem : vous êtes un commerce, vous diffusez la radio, vous payez la Sacem parce qu’on n’est plus dans le cadre privé puisque les clients qui rentrent dans votre magasin ce ne sont pas vos potes. Donc vous payez aussi la Sacem dans ces cas-là. Tous les moyens sont bons ! Et je ne parlerai pas de Saint-Maclou !
Marie : Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que les DRM ont été élaborés, ont été imaginés, pour vous empêcher de copier les fichiers, parce que leur peur c’est que vous copiiez et que vous partagiez avec tous vos amis. C’est ça. Là aussi, gros problème juridique qu’ils essayent de résoudre depuis des années, c’est que vous avez un droit que vous connaissez et que beaucoup de monde connaît c’est ce qu’on appelle le droit à la copie privée. Et là je rebondis sur la voiture. C’est-à-dire que vous achetez les droits d’utilisation d’une musique sur la Fnac, sur n’importe quoi, théoriquement vous pouvez la copier sur votre lecteur MP4 et vous pouvez la mettre dans votre voiture. Eh bien essayez un peu sur certaines musiques ! Essayez un peu de faire ça et de réussir à copier ! Tout ça en violation de votre droit à la copie privée. Donc il y a un problème pour chacune des dispositions. Oui ?
Public : J’ai une question par rapport ça. Effectivement, la copie privée elle ne donne pas de format. À priori vous pouvez vous faire une copie analogique avec un enregistreur et puis la passer sur ce que vous voulez.
Marie : Pour en avoir discuté avec un des très gros contributeurs de ce texte-là, il dit : « Oui, je sais que mon texte pose problème, il n’est plus adapté aujourd’hui parce qu’il y a la copie privée. Et ce que je vais proposer comme évolution du texte c’est que vous pourrez avoir un droit à la copie privée, mais avec une version qui est moins bien ». Une version donc dégradée. Ce à quoi on avait répondu : « Oui, mais quand vous avez fait l’acquisition d’un droit sur une musique, le droit de la diffusion dans une version dégradée, moi je ne suis pas fan. » Je ne vois pas en quoi on devrait avoir une copie privée dégradée, c’est-à-dire pour un film donc pixelisée, c’est à peu près ça, et avec une musique avec un son de merde. Autant ne pas avoir une enceinte avec ça, concrètement !
Public : Je suis tout à fait d’accord avec ça. [Inaudible]. La copie doit être de bonne qualité, identique. C’est une copie.
Marie : Oui c’est une copie. Il y a une problématique d’interprétation. Pour moi une copie c’est identique. Sauf que vous ne pouvez pas copier à l’identique, aujourd’hui, puisque vous avez les DRM. Techniquement. Je vais parler pour moi, ma petite personne et Booky aussi, parce que tu ne vas pas y arriver. Moi je ne suis pas informaticienne. J’ai une musique sur mon ordinateur, il y a un DRM dessus, je ne peux pas la mettre sur un autre support que mon ordinateur. De toutes façons, je ne peux pas la lire avec mon ordinateur parce qu’il n’y a pas Windows dessus. Donc déjà ça ne marche pas. Mais vous avez un vrai problème avec les DRM qui est aussi la copie privée des gens. Et là, je parle, pour le coup, pour les consommateurs lambda. C’est-à-dire de quel droit on nous impose de lire sur un support. Et pour avoir vécu l’expérience une musique téléchargée sur la Fnac, vous rachetez un autre ordinateur, vous ne pouvez plus l’écouter !
Bookynette : Pareil pour Apple.
Marie : Apple aussi, ouais !
Bookynette : Tout le monde connaît Bruce Willis ? Oh si, tout le monde connaît Bruce Willis. Il a une bibliothèque de musique sur son ordinateur de ouf malade. Mais alors vraiment à faire envier tous les disc-jockeys de la terre réunis. Bref ! Il a acheté plein de musique et il s’est dit « mais quand je vais mourir, mes enfants ne vont pas toucher cette musique-là et c’est dommage parce que j’ai des œuvres », qui sont pour lui indispensables. Donc il a demandé à Apple. Et on lui a dit : « Eh bien non, c’est limité à vous, à vous et à votre ordinateur. Donc votre musique, si vous mourrez, perdue ! » Et ça, ça a été catastrophique, inadmissible, incompréhensible. Bruce Willis a fait tellement de bruit que tout le monde en a entendu parler. Parce que Apple a le droit de limiter l’utilisation de sa musique et en plus, comme c’est plein de DRM et que c’est plein de portes dérobées ces ordinateurs Apple, eh bien ils peuvent même le faire en cachette, sans qu’on s’en rende compte.
Marie : Quand on parle de DRM on parle aussi de ce qu’on appelle la pérennité des données. Vous imaginez si un jour on n’a plus les logiciels ! Vous avez une musique et vous n’avez plus le logiciel pour lire le DRM. Concrètement, vous avez perdu une musique qui peut avoir quelques années. C’est vraiment un enjeu de société. On ne parle pas que des informaticiens, là pour le coup, on parle aussi des consommateurs. Les consommateurs qui, comme moi, achètent un ordinateur dans le commerce et qui se retrouvent à ne plus avoir leur musique, à ne plus pouvoir la lire, à ne pas pouvoir la partager, puisque c’est ça, aussi, que ça limite. Et au nom de quoi ? Au nom d’un problème d’équilibre entre droits d’auteur d’un côté et droits, pour le coup, à la copie privée et à l’interopérabilité de l’autre.
Public : Il y a aussi le problème avec, par exemple des jeux vidéo qui nécessitent une connexion à Entertainment et il suffit qu’au bout de quatre ou cinq ans l’éditeur ait le droit de faire [inaudible]. Et on ne peut plus jouer aux jeux alors qu’on a payés.
Marie : C’est ça. J’ai découvert cette problématique-là il n’y a pas très longtemps. Je n’avais pas de console ultramoderne chez moi. J’ai vu la Xbox avec FIFA dessus. J’ai joué à FIFA ! Pour jouer à FIFA il faut que vous vous identifiiez dans le cloud. Et vous ne pouvez pas jouer, vous ne pouvez pas avoir un copain à côté de vous qui peut jouer concrètement sur le même jeu. Parce que vous avez l’identifiant, et donc il faut que vous achetiez tous les deux le jeu FIFA. C’était la version 2017, je ne sais pas s’ils ont corrigé parce que ça avait fait un mini-scandale sur ça : il faut que les deux joueurs se soient inscrits pour pouvoir jouer au jeu. Et là, vous avez un exemple concret de DRM et un exemple concret de protection qui, à mon avis, va avoir des limites. Je pense que ce sont les consommateurs qui vont bouger, un jour ou l’autre, face à ce système-là.
Et là on arrive à la fin de notre histoire. On a l’avenir des DRM. Et là vous voyez qu’on a mis une jolie une photo que vous connaissez peut-être, ça s’appelle le Parlement européen. Parce qu’on est en 2017. Ils traînent un peu en ce moment : ça fait deux ans. 2017, année de révision de la directive des droits d’auteur. Ça a été annoncé. La directive de 2001 devait être révisée. Ils ont entamé le processus en 2016 puisque c’est tous les quinze ans qu’on révise une directive ; donc ils ont entamé le processus en disant on va réviser la directive droit d’auteur, donc la directive de 2001. Vous imaginez l’enjeu énorme que c’est pour nous. Qui dit révision de la directive, dit : « Si on arrive à changer la directive, on va réussir à changer le reste et on va réussir à changer le système de DRM. »
Bookynette : Cinq ans plus tard en Europe ! Dix ans plus tard en France ! Mais on peut y arriver !
Marie : Mais voila ! Et donc on se dit 2016/2017, bon là on va aller vers 2018, si on change le contenu du texte, on va pouvoir avoir un progrès et on va pouvoir avoir une amélioration, ne serait-ce qu’un ré-équilibrage copie privée, droit d’interopérabilité et protection des droits d’auteur. Parce qu’on n’est pas contre les droits d’auteur, attention ! Je tiens à la protection des droits d’auteur.
Premier rapport qui arrive du Parlement européen en 2015. Pré-rapport, donc avant l’entame du processus, rapport Reda. Reda [10] c’est le nom de la parlementaire, je ne sais pas pourquoi ils ont eu un moment d’égarement, ils ont désigné une membre du Parti pirate pour élaborer le pré-rapport de révision de la directive européenne. Forcément il y a eu un problème avec ce qu’ils voulaient. Donc pré-rapport Reda qui a été diffusé et pas suppression complètement mais une véritable évolution : on ne supprime pas, mais vous devez diffuser le code source des DRM que vous utilisez. Autant vous dire que, eh bien on a eu le pré-rapport et on a eu le pré-rapport ! Voilà ! Ils ont refermé tout de suite. Donc les discussions parlementaires, les premiers projets qu’on voit, on a les textes à l’identique de ce qu’il y a actuellement. Ce qui signifie qu’on n’a concrètement aucune évolution, sur ce régime-là, entre 2001 et aujourd’hui. Alors qu’on a, notamment, là pour le coup c’est beaucoup le secteur des livres numériques, beaucoup le secteur de la vidéo encore, qui a fait un fort lobbying.
Bookynette : Et pas la musique !
Marie : Et pas la musique ! Pas la musique parce que, aujourd’hui, ils ont abandonné, pour la majorité, le système des DRM. Est-ce que vous savez pourquoi ils ont abandonné le système des DRM au niveau de la musique ? Et d’une, il n’y a plus de CD qui se vendent, ça c’est une certitude. Mais pourquoi est-ce que, d’après vous, ils ont abandonné le système des DRM ?
Public : Ils ont abandonné ?
Marie : Ouais. Pourquoi d’après toi ?
Public : Parce qu’il y a un milliard de lecteurs de MP3.
Marie : Voilà. Pour eux ça devenait compliqué d’intégrer tous les lecteurs et ils ont vu qu’il y avait des consommateurs mécontents qui allaient vers d’autres plates-formes sans DRM. Et donc on a, notamment le secteur de la musique, qui a commencé à abandonner ce système-là. Donc on se dirige vers un système à l’identique, hélas ! Alors qu’on avait, potentiellement, une porte d’entrée qui pouvait évoluer, dans le respect du droit d’auteur, j’insiste toujours.
La proposition que moi je faisais dans ce cadre-là, que je continuerai à faire quand ça va arriver au niveau français, parce que de toutes façons on va y arriver, c’est suppression des DRM de chiffrage, parce que c’est ça qui, techniquement, pose problème. En revanche, promotion des DRM de tatouage. Pourquoi promotion des DRM de tatouage ? Parce que la Sacem ils ont beaucoup d’argent, pour le coup on va mettre à contribution la Sacem. Qui dit tatouage, on vous a expliqué tout à l’heure, ça veut dire qu’on identifie qui a acheté l’œuvre. D’accord ? Eh bien si vous avez acheté l’œuvre et que vous mettez sur un réseau peer to peer, on a une infraction en France, qui existe déjà, qui s’appelle la contrefaçon. Si on vous identifie comme quoi vous avez mis sur un réseau peer to peer, eh bien à charge pour la Sacem, avec l’argent qu’elle récolte, de poursuivre les gens qui ont mis en ligne alors qu’ils n’avaient pas le droit. Donc on a des DRM de tatouage qui peuvent servir pour poursuivre les gens en contrefaçon et qui ne portent pas atteinte à votre système de copie privée et qui ne portent pas atteinte à votre possibilité de partage avec vos amis. Pour le coup ! Moi c’est mon leitmotiv ; pour moi il y a une solution possible.
En revanche, opposition totale au système de chiffrage qui embête l’utilisateur final, qui vous, en tant qu’informaticiens, vous pose une légère contrariété le soir devant la télé. C’est à peu près ça, parce que j’imagine que quand vous avez un problème vous allez contourner et puis ce sera réglé quoi !
Donc il y a vraiment des solutions, il y a vraiment des discussions à faire, et c’est pour ça qu’il ne faut pas considérer comme acquis le système que vous avez actuellement, parce que là où vous allez, vous, développer, eh bien dans dix ans ça ne sera peut-être pas pareil, véritablement. Quelque chose à rajouter ?
Bookynette : Moi, je n’aime pas les DRM de tatouage non plus. Par contre il y a des réactions, donc si vous voulez nous les partager.
Public : Oui. Sur le tatouage ; le tatouage pose aussi un problème de vie privée, dans le sens où je veux acheter de la musique moderne.
Marie : C’est ça !
Public : Et je ne veux pas laisser de traces en achetant de la musique moderne. Le problème c’est que si le morceau permet de m’identifier, ça veut dire qu’à un moment donné j’ai laissé des traces.
Marie : Mais vous avez laissé une trace au moment de l’achat. Si vous l’avez partagée, elle sera visible par tous. Le moment de l’achat, vous n’êtes pas censé la voir. De toutes façons, vous avez fait une trace au moment du téléchargement, quoi qu’il arrive.
Public : Oui, justement. Vous pouvez avant aller acheter un morceau de musique en payant en espèces le prix demandé.
Marie : Oui. Mais là on part d’un fait acquis que les disques vont disparaître.
Public : Comment à l’avenir je pourrais écouter de la musique ?
Marie : En téléchargeant. Là je parle des systèmes de tatouage avec le téléchargement. Les disques vous pouvez toujours acheter de manière anonyme. Pas de souci.
Public : Le téléchargement ça implique donc une identification des utilisateurs.
Marie : Mais ça implique une identification, de toutes façons, pour télécharger la musique.
Bookynette : Quel que soit le DRM qu’il y aura sur ce que tu vas acheter, ou télécharger, ou autre, il y aura forcément une identification à un moment donné, que ce soit ta connexion à la plateforme, ou l’achat, ou le passage en banque, ou ta Carte bleue. Quel que soit le chiffrement, il y en aura un, il y aura tatouage, il y aura chiffrement, il y aura une trace de ton achat. C’est juste que si après tu le partages, si c’est chiffré on ne verra pas que c’est toi. Si c’est tatoué, eh bien on verra que c’est toi. Donc fais attention à ce que tu achètes. Voilà !
Public : Je me pose une autre question. Ce n’est pas tant le fait qu’on laisse des traces, les traces on peut les éviter, c’est très facile d’éviter de laisser des traces. La question c’est qui possédera ces données ? Quels seront les responsables de ces données ? Quelles seront les protections légales ?
Marie : D’où la nécessaire négociation. Quel est l’équilibre que vous recherchez entre le droit d’auteur, la vie privée. De toutes façons tout est une question d’équilibre. Autant vous dire qu’aujourd’hui, de toutes façons, vous êtes parfaitement identifié. Aujourd’hui, quand vous êtes sur l’Apple Store, le Play Store et tout ce que vous voulez, de toutes façons vous êtes parfaitement identifié. Quand vous êtes sur Android, puisque moi j’ai un Android, pour pouvoir aller sur le Play Store, il faut que vous ayez votre compte Gmail, de toutes façons.
Bookynette : Après il y a un autre store qu’on peut télécharger, qui s’appelle F-Droid [11], que je conseille de télécharger depuis leur site internet et pas depuis le Play Store, surtout pas depuis le Play Store, qui vous permet de récupérer des applications souvent libres, donc qui ne vous espionneront pas, qui ont été testées par d’autres. Mais par contre, vous ne trouverez pas les applications des gouvernements ou les trucs payants. Il faut le dire !
Public : Sachant qu’il existe quand même des moyens de télécharger des applications sur le Play Store via des manipulations d’identité.
Marie : Parce que vous êtes informaticien !
Public : Non pas forcément. Si vous installez par exemple une application comme…
Marie : Mais les gens ! Alors ça, c’est quand j’ai le discours avec les demandes de…, enfin beaucoup moins maintenant. Moi je veux un régime pour le consommateur lambda.
Bookynette : Tu peux dire utilisateur au moins une fois !
Marie : Oui. L’utilisateur. C’est-à-dire, moi, je ne veux pas avoir des démarches de développement et avoir à ouvrir mon terminal. Je ne sais pas ouvrir mon terminal !
Public : Il faut qu’on avertisse, les gens avertis peuvent le faire.
Marie : Il y a aussi une question, et c’est pour ça qu’on essaye d’intervenir de plus en plus, une question de formation des gens. C’est-à-dire que là on va intégrer, vous en avez entendu parler, une formation en informatique à l’école. Qui dit formation en informatique dit qu’est-ce qu’on va enseigner aussi ? Est-ce qu’on va enseigner le développement sous Windows ? Ou est-ce qu’on va enseigner le développement en ayant la conscience et l’autonomie de réfléchir à ce qu’on va utiliser ? Mais de toutes façons, ça ce sont les éternels combats. Oui ?
Public : J’ai une question concernant la vente liée, ce n’est pas clair pour moi, s’il y a une spécificité du logiciel par rapport au matériel ou est-ce qu’on peut qualifier de vente liée la vente d’un matériel avec un matériel ?
Marie : Je n’ai pas compris la…
Public : La vente liée, on va vendre un ordinateur et j’ai le logiciel avec.
Marie : Oui. C’est ça la vente liée.
Public : Inaudible.
Marie : Non, parce que c’est intégré. En fait, la vente liée, vous pouvez avoir, par exemple, une cafetière avec une capsule. On vous vend nécessairement la cafetière avec la capsule. Ce n’est pas que spécifique à l’informatique. Vous liez les trucs et vous faites en sorte que le consommateur soit obligé d’acheter les deux et qu’il n’ait pas le choix et qu’il n’ait pas connaissance du prix de chacun. C’est ce qu’on appelle la vente liée.
Public : C’est très courant !
Marie : C’est très courant et c’est illégal ! Il faut que vous ayez la possibilité, si vous le souhaitez, de pouvoir acheter de manière distinguée. Pour la petite histoire sur la vente liée, puisqu’il y a une fin d’histoire tragique, pour le coup, la vente liée c’est remonté jusqu’à la CJUE, la Cour de justice de l’Union européenne. La question « est-ce que de mettre un logiciel avec une machine est une vente liée ou pas » a été posée à la CJUE. Réponse de la CJUE qui a été donnée l’année dernière, la réponse est non. La réponse est non ! Pourquoi la réponse est non ? Parce qu’ils considèrent que les consommateurs ont besoin, de toutes façons, d’avoir ça et que c’est globalement dans leur intérêt de pouvoir le faire et qu’en tout état de cause, s’ils ne le veulent pas, ils peuvent aller dans des magasins où il n’y en a pas. Et donc s’ils le font c’est qu’ils en ont parfaitement conscience. Voilà !
Public : La réponse peut être choquante, mais elle a sa logique en fait.
Marie : Elle a sa logique : je n’ai pas forcément la même analyse. En revanche, il faut donner la possibilité. Ce que moi je dis, plutôt que d’être jusqu’au-boutiste par rapport aux procédures qui ont été faites, je veux que le consommateur ait conscience de ce qu’il achète. C’est-à-dire que vous avez l’ordinateur HP à 400 euros, mais je veux qu’il ait conscience que quand il achète ça, il achète non seulement la machine à 400 et 150 euros de logiciels. Donc aujourd’hui ils sont obligés, théoriquement, d’afficher les deux prix. Rendez-vous chez Darty ou à la Fnac tout à l’heure. Enfin pas à cette heure-ci, tu sais, à Compiègne c’est fermé !
Public : Théoriquement, pour respecter la transparence, sur le total ils devraient aussi afficher la liste des logiciels qui sont vendus avec.
Marie : Voilà ils devraient. Et aussi, pour vous donner la petite histoire, théoriquement si on affichait toutes les obligations, à la Fnac vous auriez quatre pages d’affichage. Ils sont aussi théoriquement obligés aujourd’hui de vous informer de l’interopérabilité du système que vous avez acheté. Voilà, ils sont obligés ! Ils doivent afficher la distinction des deux prix de ce que vous avez acheté, en vous disant : « Vous avez acheté 150 euros de système d’exploitation Windows, vous avez la possibilité de vous faire rembourser », parce que c’est ça qu’il faut théoriquement dire aux gens. « Vous avez acheté 30 euros de logiciels », parce qu’il n’y a pas que le système d’exploitation Windows, ils ont une obligation d’affichage séparé. C’est là où, à mon avis, il y a un véritable problème. Moi je ne considère pas forcément qu’il y ait une infraction de vente liée, mais, en revanche, il faut que les gens soient informés, qu’il y ait les deux, et qu’on leur propose la possibilité de ne pas acheter avec les systèmes.
Bookynette : Ça, ça me parait utopique.
Marie : Ça arrivera peut-être un jour. Notamment les Mac. Beaucoup de gens aiment les Mac, mais n’aiment pas le système d’exploitation. C’est quand même dommage de ne pas permettre pour les gens qui… Il y a même des geeks partisans des logiciels libres qui défoncent tout leur Mac à l’intérieur pour pouvoir avoir un Mac, mais pas avoir le système dedans !
Bookynette : C’est du bon matos ! Est-ce que vous vous rendez compte si on savait exactement le prix de chaque chose dans un ordinateur, on se rendrait compte que tout ça, ça vaut beaucoup plus cher que ce qu’ils nous le vendent, parce que forcément tout aurait une valeur définie et on se rendrait compte que, en fait, le système d’exploitation, Windows l’offre au constructeur à condition que le constructeur ne fasse que du Windows. On est vraiment dans un monopole. Windows, ils savent qu’ils vendent plus de matériel grâce à eux que n’importe qui, donc ils se permettent de faire des prix sacrifiés aux constructeurs pour que les constructeurs puissent proposer du matériel à prix, on va dire, acceptable. Donc s’il fallait mettre le détail pour chaque chose, déjà il y aurait quatre pages donc ce serait totalement illisible, mais en plus, on se rendrait compte qu’on paye 250 euros alors que ça en vaut beaucoup plus. Qu’on paye 2000 euros, alors que ça en vaudrait beaucoup plus. Bref, on se rendrait compte qu’on se fait arnaquer. Ou alors on pourrait se dire je ne veux que l’ordinateur, je ne veux pas les logiciels, je ne veux pas l’Outlook, je ne veux pas l’Internet Explorer, alors combien ça me coûte ? Ah ! Ça me coûte 50 euros. Pourquoi je paye 500 ? Si les gens prenaient conscience de ça, et il y a une loi qui dit qu’ils devraient pouvoir prendre conscience de ça, eh bien ils se poseraient plus de questions. Alors on va éviter de leur donner trop d’informations parce qu’ils pourraient devenir intelligents et on va leur faire des prix forfaits, des prix globaux. En fait, ils nous prennent tous pour des cons ! Une autre question ?
Public : Justement cette politique de DRM, est-ce qu’un client, un consommateur bien consciencieux, lassé d’être trop restreint dans sa navigation privée par le DRM ou bien même d’être victime, comme vous l’avez dit tout à l’heure, sur le recul sur ses propres droits d’utiliser des logiciels libres, est-ce qu’il ne pourrait se mettre plutôt qu’à pirater des DRM, donc à pirater des œuvres à cause de…
Marie : C’est notamment pour ça que le secteur de la musique a abandonné en partie le système de DRM aussi, parce qu’ils ont constaté, en fait, que l’utilisation de ces systèmes-là était contre-productive. Parce que sans, ça ne marchait pas, les gens allaient sur les systèmes de peer to peer, concrètement. C’est à peu près ça. Contrairement à ce qu’on a pu dire pendant des années, ceux qui téléchargent le plus sont ceux aussi qui achètent le plus légalement. C’est-à-dire que quand vous n’écoutez jamais de musique, globalement vous n’allez jamais non plus sur les réseaux de peer to peer. C’est à peu près ça. Il y a vraiment un système où le consommateur qui apprécie vraiment dépense vraiment aussi. Et donc il y a un équilibre à rechercher véritablement. Oui ?
Public : Sur l’interopérabilité, si un informaticien vend un logiciel qui contrôle les DRM et qu’il se fait attaquer par un ayant droit comment est-ce que vous vous pouvez « prouver » entre guillemets qu’on ne l’a pas fait pour l’interopérabilité ? Finalement c’est la même chose.
Marie : Si votre logiciel ne sert pas que à permettre l’échange de données, la lecture sur différentes plateformes, par exemple.
Public : Inaudible.
Marie : Celui qui attaque. Et généralement ils attaquent par un autre biais qui est très facile actuellement c’est que vous avez créé un logiciel qui permet de contourner mon DRM et vous n’avez pas utilisé la décompilation et l’ingénierie inverse pour tel truc, tel truc, tel truc.
Public : C’est pareil. Comment ils l’expriment ?
Marie : Parce qu’ils savent que pour implémenter certaines choses, à un moment donné vous avez dû passer par un biais ou par un autre.
Public : Ils savent ! Ça ne suffit pas…
Marie : Après on demande une expertise de votre logiciel et s’il y a de forts soupçons du fait que vous ayez contourné en crackant, expertise du logiciel et là si on voit qu’il y a des lignes ; dans les lignes de code c’est flagrant, de toutes façons. Parce que vous avez intégré certaines choses de toutes façons. Ils le voient. Quand j’en parle avec des informaticiens, ils savent très bien à un moment donné ce qu’ils ont fait pour obtenir certaines choses.
Public : Mais comment par exemple ?
Marie : Un exemple concret que j’ai vu : les vols d’informations. Les informations étaient volées. L’exemple concret le plus facile qui a pu être diffusé, c’est le vol d’informations, concrètement, dans les serveurs. D’où les piratages de certains serveurs où ils ont pompé des trucs. Oui ?
Public : Si j’ai bien compris ce que vous avez dit tout à l’heure, la réponse c’est on est obligé d’avoir la décompilation ou la rétro-ingénierie ce qui veut dire que si l’information est disponible sur Internet, on n’a pas le droit de l’utiliser.
Marie : Sauf si l’information a été mise à disposition par l’éditeur du DRM, s’il respecte la loi. Imaginons que l’éditeur de DRM respecte la loi et mette à disposition les informations essentielles à l’interopérabilité. Ce serait le monde des Bisounours. Théoriquement ils devraient mettre à disposition les informations. Ils ne le font jamais parce que ce n’est pas dans leur intérêt. Théoriquement ils mettent à disposition les informations et, dans ce cas-là, vous avez le droit d’implémenter les informations qui sont mises à disposition par l’éditeur. Notamment certains éditeurs de logiciels libres mettent à disposition les informations pour vous permettre d’implémenter votre logiciel. Pas de souci. Si, en revanche, vous voyez l’information qui vous permet de développer circuler sur Internet, vous ne savez pas comment elle a été obtenue. Et généralement, quand elle circule sur Internet comme ça, c’est qu’elle n’a pas été obtenue de la meilleure des manières. Donc vous n’avez pas le droit d’implémenter une information qui circule sur Internet, sans être certain de l’origine, de la source.
Public : Sauf si elle a été obtenue à des fins d’interopérabilité au moyen de la décompilation ?
Marie : Ou de l’ingénierie inverse. Si vous faites un logiciel qui sert à l’interopérabilité.
[Rires]
Public : Si un logiciel libre fait de la rétro-ingénierie pour faire de l’interopérabilité, j’ai le droit de réutiliser ce qu’il a utilisé à mon compte…
Marie : Voilà. Si vous le faites pour autre chose, si vous le faites pour développer un autre logiciel, par exemple, qui sert à récupérer des données personnelles de vos clients, eh bien non, vous ne faites pas d’interopérabilité avec.
Public : Déjà ce qui est bien avec le logiciel libre ça me permet de réutiliser…
Marie : Oui. Mais sauf que généralement les informations dont vous avez besoin ne proviennent pas de logiciels libres. Donc théoriquement vous avez aussi le droit sur le logiciel. Là, pour le coup, on est sur pure propriété intellectuelle, les DRM sont généralement des logiciels qui sont des logiciels propriétaires. Qui dit logiciel propriétaire dit que c’est une œuvre. Vous ne pouvez pas diffuser des morceaux d’une œuvre. Donc vous ne pouvez pas prendre des morceaux d’un logiciel propriétaire et les diffuser, au mépris du droit d’auteur du logiciel. Donc vous ne pouvez pas diffuser les informations d’un logiciel propriétaire, à des fins d’interopérabilité. Mais là on est sur un problème…
Bookynette : Mais on est sûrs, les logiciels libres, c’est beaucoup plus simple. On peut faire quasiment ce qu’on veut.
Public : J’ai une question concernant le streaming. Est-ce que vous pouvez nous rappeler un petit peu les règles en cours en fonction de la nouvelle législation sur le streaming.
Marie : Très grosse discussion sur le streaming. Ça a été un problème qui, juridiquement, pose encore des questions. Tout le monde a dit le problème des peer to peer c’est mort, c’est has-been, c’est dépassé parce que maintenant on a le streaming donc on ne télécharge plus, on lit directement. Et c’est là où vous voyez techniquement la limite parce que vous êtes informaticiens aussi. Vous savez très bien ce sur quoi les ayants droit jouent sur la problématique du streaming : pour pouvoir lire, il faut quand même que vous fassiez un micro fichier, cache, temporaire, ce que voulez, théoriquement. Théoriquement, si on applique stricto sensu, à la lettre, l’interprétation, vous faites aussi du téléchargement, puisque qu’il y a des trucs qui sont téléchargés par votre ordinateur pour pouvoir vous permettre le streaming. Voilà la problématique. Moi je ne travaille pas sur le streaming, donc je ne sais pas où ils en sont au niveau de cette évolution-là, mais c’était le gros débat sur est-ce qu’on peut considérer cette façon-là comme du téléchargement ?
Et aussi, autre grosse limite sur le streaming, c’est que vous n’avez pas le droit de lire un contenu dont la source est illicite, quoi qu’il arrive. Donc si vous lisez en streaming sur le site streaming.net, le truc qui a été piraté par quelqu’un d’autre, vous lisez quand même un contenu illégal à la base. Donc vous n’avez pas, théoriquement, le droit. Après HADOPI, ils ont beaucoup de travail, ne vous inquiétez pas !
[Rires]
Bookynette : Ouais, mais ils sont très forts pour envoyer des courriers.
Marie : Oui. Est-ce que vous avez d’autres ? On ne va pas avoir le temps de passer la petite vidéo, je pense. Si vous voulez l’histoire des DRM en version petit film humoristique [12] avec Magali dans le rôle du DRM, vous pouvez aller sur le site de l’April. Voilà, de toutes façons on n’a pas le son, donc, problème réglé.
Bookynette : En gros on s’est rendu compte que le sujet DRM c’était un sujet qui n’était pas du tout accessible au grand public, il n’en avait juste pas conscience. On s’est dit on va faire une petite vidéo, très courte parce que le grand public n’aime pas rester longtemps devant son YouTube. C’était une petite vidéo de cinq minutes, il me semble, pour expliquer basiquement ce que sont les DRM. Quand je dis basique c’est qu’on n’entre pas dans la technique, non plus. On va juste faire une petite définition, on donne quelques cas concrets et on la passe.
Moi je sais que quand je parlais de DRM à mes potes ils me regardaient avec des grands yeux. Et dernière réunion d’éditeurs que j’ai faite, un éditeur a passé la vidéo pour faire comprendre aux libraires ce que c’était que les DRM. Donc je me suis dit qu’on a dû réussir, parce que s’il passe ça à des libraires c’est qu’il estime que les libraires sont suffisamment intelligents pour comprendre et c’est qu’on a bien fait le truc. Donc on a fait cette petite vidéo avec deux potes, un illustrateur de l’April et un juste militant pour vraiment faire comprendre.
Donc on comparait le livre, donc eh bien là typiquement la copie du livre et là on voit plein de livres et après on a fait la copie du logiciel du livre numérique et là on voit justement comme tu disais, on voit la différence. Il y a plein de petits exemples que je vous conseille d’utiliser et de passer chez vos amis ou dans votre famille pour leur faire comprendre.
Marie : Voilà ! Sans le son du coup, de toutes façons c’est un peu plus compliqué. Mais on vous incite à aller voir et on vous incite vraiment, vous, à prendre conscience en tant que, j’espère, futurs développeurs et futurs gérants de sociétés, d’avoir conscience de ces problématiques-là où on n’attend qu’une seule occasion c’est que mettiez un pas de travers pour pouvoir vous poursuivre ou sur les DRM ou, autre gros combat qu’on avait expliqué, sur les brevets logiciels. Faites très attention où vous allez parce qu’on peut vous tomber dessus très vite, en fait, et généralement ça peut coûter très, très, cher. Voilà ! Oui ?
Public : Dans le déroulé de l’exposé ce qui est bien présenté c’est on va dire le sens, l’interprétation des lois au niveau mondial, puis au niveau européen puis au niveau français. Effectivement j’exprime un sentiment. Je pense que le législateur français ne légifère plus en France. C’est-à-dire le législateur français transpose des lois qui sont des lois européennes, qui ne sont plus des lois nationales, mais déjà des lois internationales puisque les lois européennes sont très fortement influencées par les lois américaines. Donc la question c’est quel recours, que ce soit pour le législateur français, ou pour le consommateur ou l’utilisateur français, ou pour le juriste ?
Marie : Concrètement on est obligé d’intégrer aujourd’hui les textes de l’OMPI, les textes européens. On n’a pas le choix puisqu’on est membre de l’OMPI et on est membre de l’Union européenne. À partir du moment où notre pays est dans ce système-là, sauf à en sortir, puisque c’est ça aujourd’hui, mais ce n’est pas forcément la solution parce que ça protège aussi d’avoir le même système avec les petits voisins. Et c’est pour ça que nous on se bat plus au niveau européen qu’au niveau national, concrètement, puisque c’est là où ça change et c’est là où on fait bouger les choses. Sauf à sortir de l’Union européenne et des traités de l’OMPI, ce qui est impossible ne serait-ce que pour l’OMPI, on est obligé de les intégrer, avec plus ou moins de retard, avec plus ou moins de condamnations pour la France. Parce que vous savez que si on est en retard, à un moment donné, on va être condamné, mais voilà, on est obligé. Et moi je ne fais que, en fait, appliquer les textes qu’il y a aujourd’hui.
Public : En fait, remanier c’est le rôle du législateur français notamment sur des questions d’interopérabilité.
Marie : Oui, c’est ça. On a eu quand même la petite touche qui a fait, alors très mal, mais on a eu la volonté de le faire. Et on a quand même cette possibilité-là. C’est-à-dire qu’on doit intégrer un socle obligatoire et on a la possibilité de l’aménager en fonction de nos spécificités. Mais il ne faut pas que cet aménagement soit en violation du socle. Et là, parfois, on se fait retoquer parce qu’on a mal intégré. Mais que ce soit dans n’importe quel texte aujourd’hui. Il faut savoir qu’aujourd’hui plus de 80 % des textes français sont des copier-coller des directives et règlements européens, de toutes façons. Les élections les plus importantes, aujourd’hui, sont les élections au Parlement européen. Concrètement. Enfin pour changer les textes, c’est ça.
Public : Je suis pas juriste, mais j’ai entendu dire que la législation européenne primait sur la législation française. Je ne sais pas si c’est vrai.
Marie : Alors ce n’est pas exactement ça.
Public : Si, par exemple, la loi française est contraire à une directive européenne ?
Marie : Déjà, là par contre on arrive presque hors sujet. Je pourrai t’expliquer plus tard. La première question qu’on doit savoir, en fait, il y a les directives et les règlements européens, savoir si les directives ont été intégrées dans le système français. Parce que si elles n’ont pas été intégrées, à un moment donné, on peut faire une application directe des directives. À un moment donné, on a ce qu’on appelle la hiérarchie des normes et là on a un très gros débat, on va dire, entre les constitutionnalistes et les européanistes. Il y en a qui considèrent que c’est la Constitution française qui est au-dessus de tout, qui est au sommet de la pyramide ; il y en a d’autres qui considèrent que ce sont les règlements et traités internationaux qui sont en haut de la pyramide. J’aurais tendance à dire aujourd’hui, vu le contexte dans lequel on est, à un moment donné, un jour ou l’autre, on se plie au système européen et international, après quelques condamnations.
Bookynette : Je peux donner un exemple. Il y a un informaticien qui s’est fait attaquer et qui a refusé la loi française, il a demandé l’application de la loi européenne. Ça lui a été refusé. Donc il a fait tout le parcours : appel, cassation et ainsi de suite et en fin de… hop, il a redemandé l’avis de la Cour européenne : ça lui a pris quinze ans. Donc tu peux ! Mais voilà quinze ans ! Pour une petite start-up, autant dire, eh bien tu es mort avant.
Marie : Est-ce que vous avez d’autres ? Je pense qu’on est bons ! On peut en discuter après.
[Applaudissements]
Public : À propos des DRM, on utilise souvent des performances, je pense notamment à des niveaux par exemple sur certaines vidéos, pas officiellement, mais qui demandent certaines performances du processeur. Est-ce que dans ces cas-là ce serait illégal au niveau du possesseur de DRM ?
Marie : Théoriquement oui. Après voilà ! Il faut avoir les moyens, il faut avoir la patience et le courage de pouvoir faire évoluer ces systèmes-là quoi ! Mais c’est surtout l’évolution qu’on a en cours, c’est surtout sur le droit à la copie privée des gens. C’est-à-dire que moi je ne vois pas pourquoi j’aurais droit à un truc dégradé parce que je fais de la copie privée. Pourquoi est-ce que, parce qu’on met des DRM, j’ai un truc qui fonctionne moins bien ou qui ne fonctionne pas ? Mais ça ce sont les prochaines…
Public : Dégradé. Je change le petit pixel qui est tout en haut à gauche, c’est dégradé. Dégradé à quel point ?
Marie : À l’heure d’aujourd’hui, théoriquement ils n’ont pas le droit. C’est la proposition qui avait été faite par le rédacteur des textes qui dit « moi je vous propose d’autoriser des copies dégradées ». Jusqu’à quel point ? C’est un juriste, en plus, qui a proposé, déjà ça dégrade dès que c’est nous qui proposons, mais c’est la proposition qu’il faisait en disant eh bien notamment vous avez un système, il avait pris l’exemple du HD, vous avez un film en HD si vous le copiez il n’est plus en HD ! Au choix. C’est une recherche d’équilibre qui est en discussion. Pour le coup, ça peut paraître pour certains choquant, mais c’est une des premières avancées des ayants droit pour accepter le fait qu’on puisse copier. Donc c’est déjà, oui, peut-être qu’on a été un peu loin. Mais on ne va pas aller jusqu’à faire demi-tour. Ce seront des discussions, mais pour l’instant ce n’est même pas à l’ordre du jour ; ça n’a même pas été retenu. C’est une des premières propositions qui avait été faite.
Bookynette : Il y avait une question tout en haut.
Public : Je ne sais pas trop, mais est-ce qu’on peut imaginer qu’on fasse en France, dans la législation française, un système sur Internet qui recense les bouts de code pour contourner les DRM dans le but d’interopérabilité pour que tout le monde puisse travailler ensemble dans le même but.
Marie : Ça existe. Il y a des bouts de code qui sont disponibles. Il y a des forges, il y a des choses comme ça et il y a des bouts de code qui sont disponibles. On peut mettre à disposition un bout de code pour rendre interopérable.
Public : Moi si j’ai besoin de travailler sur un DRM, je peux légalement aller sur un site.
Marie : À partir du moment où vous êtes sûr de la façon dont ça a été obtenu.
Public : D’accord. Si je peux le prouver, je n’ai pas besoin ensuite de refaire le travail de rétro-ingénierie.
Marie : Voilà. Mais il faut que vous soyez sûr que ça a été obtenu par décompilation ou ingénierie inverse. Si ça a été obtenu par « tombé du camion », on va dire ça comme ça, ce n’est pas possible.
Bookynette : Et toujours si toi-même tu en as besoin pour…
Marie : Pour votre information, par exemple, il y a des bouts de code de VLC qui circulent, qui permettent d’implémenter d’autres choses qui ne sont pas dans la version officielle de VLC. Si elles ne sont pas implémentées, c’est qu’il y a une bonne raison. Voilà C’est tout !
Bookynette : Il y a une autre question là.
Public : Non, c’est bon.
Marie : Je vous remercie beaucoup de votre invitation.
[Applaudissements]
Marie : Du coup on va faire visiter à Booky la province !
Bookynette : J’étais à Toulouse il y a quelques jours.
Marie : Oui, mais Toulouse c’est une grosse ville.
Bookynette : J’ai été à Lille aussi et à Marseille !