Voix off : Bienvenue dans F(r)ictions numériques, la série de podcasts dans laquelle on interroge nos pratiques et fictions numériques.
Au départ de cette série, il y a l’envie de remettre en question la transformation numérique à l’heure où on la juge incontournable. Tissée par la parole d’hommes et de femmes passionnés par cet objet omniprésent, c’est une conversation au détour de laquelle on frotte les fictions numériques aux frictions qu’elles génèrent.
Lancée par le Collectif Ouishare [1], cette émission voit le jour grâce au soutien de l’ADEME [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie] et de la métropole de Lyon.
Voix off : Aujourd’hui on connaît l’homme de l’année 1982, il est à côté de moi, je vous le présente, l’ordinateur individuel ou, par l’appeler pour l’appeler par son nom américain, mister computer. Le grand problème est : qu’allons-nous en faire ?
Damien Roussat : En 2017, l’État français présentait Action publique 2022 [2], le plan de modernisation des services de l’État qui, parmi ses objectifs, annonçait une dématérialisation à 100 % des services publics à l’horizon 2022.
En 2019, le Défenseur des droits publiait un rapport [3] sur le sujet en alertant, je cite, « sur les risques et dérives de cette transformation numérique, notamment sur le risque de recul de l’accès aux droits et d’exclusion de certains usagers ». Cette dématérialisation est-celle souhaitable ? Comment affecte-t-elle les usagers ainsi que les agents du service public ? Les collectivités subissent-elles cette orientation ou s’en emparent-elles activement ?
Pour commencer nous avons voulu interroger Pierre Mazet, chercheur en sciences sociales, sociologue indépendant, membre du comité scientifique du LabAccès [4], un projet de recherche action autour des questions de l’accès aux droits et aux services publics dans un contexte de dématérialisation. Nous l’écoutons sur le rapport entre dématérialisation des services publics et capacité des usagers d’y accéder via le numérique.
Pierre Mazet : On repère souvent, autour de 2015, un moment d’accélération du mouvement de dématérialisation des services publics. Quand je dis services publics, pour le coup, c’est vraiment de manière globale, aussi bien les administrations d’État que les organismes de Sécurité sociale ou autres, voire les services publics locaux maintenant, même si c’est un peu plus récent : pour inscrire son gamin à la crèche ou à des activités périscolaires il faut aussi en passer par Internet de nos jours. L’offre publique, de manière générale, et l’administration des services publics est passée en mode dématérialisé depuis cinq ans avec cet objectif d’action publique 2022 de 100 % de dématérialisation des administrations d’État qui avait été posé. On verra ce que ça donne effectivement mais ça donne un peu la ligne de conduite du gouvernement en la matière qui correspond à un désir de modernisation, de faire des économies, de se situer dans les classements européens et internationaux en matière de digitalisation de l’État d’une manière générale.
Du coup, la manière dont ça s’est fait en France, mais c’est le cas dans la plupart des pays de l’OCDE, c’est que c’est fait sur un mode assez exclusif, c’est-à-dire qu’on est passé assez rapidement, pour un certain nombre de démarches, de, grosso modo, on était en format papier à « vous êtes obligé de passer en format numérique ». C’est toujours compliqué d’avoir un propos absolument général sur un nombre de démarches qui est colossal et qui renvoie à des administrations très différentes. Il y a des contre-exemples de ça, pour le coup les impôts, ça fait à peu près 10 ans, 15 ans qu’ils ont annoncé, rendu possible la télédéclaration et autres chaque année. Au début ils ont essayé d’intéresser à la chose et puis, petit-à-petit, c’est devenu obligatoire jusqu’à aujourd’hui. Les impôts c’est un bon exemple parce qu’au départ on avait une ristourne de 30 euros quand on faisait sa déclaration en ligne. Maintenant ça a été suspendu à cause du Covid mais ce qui était annoncé c’est qu’à partir de 2021, je crois, on allait avoir une amende si on ne la faisait plus en ligne.
Damien Roussat : Finalement est-ce que ça simplifie ? Est-ce que ça rend autonome concrètement ?
Pierre Mazet : C’est très difficile de parler d’une manière générale des démarches administratives, donc de dire si elles ont rendu autonomes ou pas, dans quels cas de figure ou pas. Ça dépend de plein de choses. Elles ne sont pas toutes dématérialisées, la dématérialisation n’est pas faite de la même manière pour toutes les démarches, elles ne s’adressent pas aux mêmes personnes, elles n’ont pas la même fréquence, elles n’ont pas encore toutes la même ergonomie même s’il y a un travail pour tenter d’unifier tout ça, elles sont beaucoup en silo, etc.
Du coup, si on essaye malgré tout de faire une espèce de réponse médiane, est-ce qu’elle a facilité la vie à des gens ? Oui. D’une manière générale, ceux qui avaient des démarches très simples à faire et qui étaient compétents numériquement. Pour le dire assez simplement, nous qui parlons, quand nous avons des télédéclarations d’impôts à faire, d’inscription d’enfants ou autre, je pense qu’on est à peu près compétents numériquement, on maîtrise ces choses-là et on est capable de dire, quand les interfaces ne fonctionnent pas très bien, qu’on trouve qu’elles sont mal faites, alors que des personnes qui ne sont pas à l’aise pensent qu’elles ne savent pas faire, par exemple.
Clairement, pour un certain nombre de démarches à réaliser, ça a facilité la vie d’une grande proportion, pas des usagers, mais d’un certain nombre d’usagers pour un certain nombre de démarches. Il n’est pas dit que globalement tous les usagers compétents apprécient la dématérialisation telle qu’elle se fait parce que, parfois, elle se fait très mal et elle conduit à beaucoup plus de complexité. Pour le coup, tout compétent que vous êtes, quand vous n’êtes pas d’accord avec l’administration pour des choses relativement simples c’est extrêmement compliqué d’avoir un échange rapide sur ces questions-là, parce que, du coup, ça se fait de manière numérique. Il y a des espèces de boucles, d’interactions un peu infinie, qui se mettent en place par l’intermédiaire de mails, de boîtes de messagerie ou autres et qui ne facilitent pas forcément le traitement administratif du cas, alors que ça pouvait être beaucoup plus simple quand on avait un rendez-vous en face-à-face pour remettre les choses d’aplomb.
Pour revenir à une espèce de point médian, pour des choses très simples et des personnes équipées, effectivement ça a relativement facilité. Pour des personnes qui ne savent pas faire, ça n’a pas facilité, très clairement. Et pour des personnes qui savent faire ou qui ne savent pas faire, mais qui ont des choses complexes à réaliser, ça n’a pas forcément facilité non plus, pour une raison relativement simple c’est que les interfaces ne sont pas prévues pour gérer la complexité des cas et, généralement, quand on échappe aux cases qui sont préformées dans les interfaces telles qu’elles sont conçues aujourd’hui, toujours pas à partir des usagers malgré tout ce qu’on peut entendre sur l’UX design [User Experience Design] et ce qui est aussi mis en place derrière par l’État et qui produira sans doute des effets en termes de commande UX et autres par la DINUM [Direction interministérielle du numérique]. Pour l’instant, il n’y a qu’à voir le nombre de sites, de pages et d’interfaces différentes auxquelles on a à faire quand on a des démarches administratives à faire, il y a une multiplication un peu en silo. Il y a des outils pour ont permis de réduire ça, FranceConnect [5] en particulier, néanmoins il y a encore beaucoup d’interfaces et elles sont généralement pensées surtout pour répondre à des problèmes réglementaires et pas à une capacité de navigation plus simple des usagers.
Ce n’est pas du tout dans un but d’autonomisation des usagers. Si l’automatisation des usagers coûtait cher à l’État, ce n’est pas ça qu’on aurait mis en place. Disons que là ça tombe bien parce que ça permet d’être dans un discours d’usager/client qui, effectivement, préfère ne pas se déplacer parce que les administrations ne sont pas forcément les interactions les plus intéressantes ; quand on peut faire les choses à distance, ça permet de les faire sur un temps qu’on choisit en fonction de ses rythmes de vie. En même temps, ça permet surtout et aussi de faire des économies de coûts de gestion extrêmement importantes pour les administrations. C’est notamment pour ça, en l’occurrence, que c’est préconisé à l’échelle de tous les télé-payeurs au niveau international. Une démarche dématérialisée coûte – des estimations ont été faites, elles valent ce qu’elles valent – au moins 100 fois moins cher qu’une démarche en physique, c’est-à-dire qui passerait sur du matériel en l’occurrence ou sur une démarche papier qu’il faudrait traiter ou sur une interaction physique avec des agents en place, etc. C’est notamment très notablement parce que ça permet de faire des économies très importantes de coûts de gestion qu’il y a eu un fort développement, pas très anticipé, pas très collaboratif on va dire de manière générale, de la dématérialisation et ça encore une fois en France, mais dans la majorité des pays européens, aux États-Unis c’est un peu la même chose, en Australie c’est pareil. Tous les États dits développés se sont largement engagés là-dedans, surtout pour faire des économies de coûts de gestion initialement en postulant plus ou moins que tous les habitants des pays savaient faire avec l’administration, sachant qu’après on a la spécificité française d’avoir une administration qui est quand même assez inflationniste en matière de normes et de règles, ce qui ne rend pas forcément beaucoup plus simple la réalisation des démarches qu’elles soient numériques ou pas.
Damien Roussat : Nous nous sommes alors posé la question de savoir si quelqu’un payait ou non les pots cassés de cette dématérialisation qui semble se mettre en place à marche forcée.
Pierre Mazet : De manière générale, ce que les statistiques montrent c’est que les personnes qui sont les moins connectées sont, outre les personnes d’un certain âge – il y a une corrélation entre l’âge et le fait d’être connecté ou pas, c’est-à-dire d’être capable de se connecter à Internet et de réaliser des actions sur un mode numérique –, les grands groupes – toutes les études sont convergentes sur ces résultats – c’est effectivement en raison de l’âge, en raison du niveau de diplôme et du niveau de ressources. Donc si on met directement en phase ces résultats-là avec le fait de la dématérialisation des services publics, ça veut dire que les personnes les plus âgées et les personnes les plus précaires, en l’occurrence, sont plus exposées par la dématérialisation des services publics, statistiquement, indépendamment du nombre de démarches qu’elles ont à réaliser.
Quand on regarde le nombre de démarches, à priori, que les personnes ont à réaliser, le nombre de démarches administratives, ce qu’on remarque et ce que les études en cours ont beaucoup thématisés et publicisés, c’est que plus on est une personne précaire, plus on a de démarches administratives à faire, notamment en raison d’un caractère assez protecteur du droit en France, pour le coup. Cela fait que, par exemple, quand on est bénéficiaire d’un minima social on a des déclarations trimestrielles de ressources à faire, ce qui fait qu’on en a au moins quatre par an à réaliser, alors que les démarches administratives que les personnes qui ne sont pas bénéficiaires de minima sociaux ont à faire, en fonction de leur vie, sont statistiquement, à priori, moins. Ce qui conduit assez directement à dire que les personnes précaires sont non seulement les personnes qui, statistiquement, sont les moins connectées, mais aussi celles qui ont le plus de démarches administratives à réaliser avec, en plus, un impact sur leur situation de vie qui est extrêmement fort puisque si ça les met en situation de non recours ou de perception retardée de leurs droits, ça n’a pas exactement le même impact que quand on n’arrive pas à faire une autre démarche, carte grise ou inscription des enfants à la crèche, pour prendre d’autres exemples.
Damien Roussat : Nous avons demandé à Pierre si et comment l’État garantit l’égalité d’accès aux services publics.
Pierre Mazet : Il ne le garantit pas du tout. Pour le coup, les rapports du Défenseur des droits ont bien mis en évidence et ont largement alerté là-dessus à propos de la continuité des services publics et des principes fondateurs des services publics, d’égalité et de continuité, dans la mesure où, globalement, il n’y a pas eu de mesures uniformes et systématiques d’accompagnement des personnes qui n’étaient pas capables de faire leurs démarches en ligne à l’échelle de toutes les administrations et des organismes de Sécurité sociale, très clairement. Ce qui ne veut pas dire que ça n’est pas arrivé, ça a pu arriver localement. Localement il y a des choses qui peuvent se mettre en place, en l’occurrence c’est un peu à la discrétion qui des préfets, qui des directeurs de caisses d’allocations familiales ou autres. Il y a des choses qui ont été faites. Il faudrait rentrer dans le détail des administrations dont on parle. Il y a eu beaucoup de recours au service civique pour faire de l’accompagnement aux démarches en ligne, en l’occurrence, mais qui n’ont pas entraîné des résultats mirobolants. C’est d’ailleurs notamment pour ça que le secrétariat d’État au numérique a axé le plan de relance numérique fléché sur la formation de 4000 conseillers numériques sur le territoire, c’est notamment pour professionnaliser un petit peu ces activités de médiation numérique qui sont assez mal définies, parce que les « Services civiques » ou les bénévoles qui faisaient office d’accompagnants n’étaient pas nécessairement très capés et compétents pour faire ce travail-là.
Globalement, s’il y a eu un mouvement assez homogène de dématérialisation de la relation administrative, il n’y a pas eu, en revanche, de procédure homogène d’accompagnement des publics ayant des difficultés avec le numérique. Pour le coup, il n’y a vraiment aucune garantie d’égalité, de parité ou autre, mais, au contraire, la création d’inégalités territoriales extrêmement fortes, notamment parce que, dès lors qu’on habite en milieu rural, on est beaucoup plus touché par la disparition des guichets de service public qui vont dans les préfectures centres généralement, ce qui fait qu’il n’y a plus la possibilité d’aller demander de l’aide physiquement. On devient donc dépendant de ses capacités de mobilité et de transport ce qui fait qu’il y a un coût très clairement supplémentaire qui n’est pas simplement monétaire mais qui est aussi psychologique d’avoir à se déplacer ou autre.
D’une manière générale, l’inégalité est notamment sur cette base territoriale-là, une très grande inégalité entre les villes et les campagnes, pour le dire très rapidement, et puis il y a une très grande inégalité entre ceux qui se débrouillent avec le numérique et les autres. En plus, il n’y a pas eu d’anticipation, de prévention, de préparation et de coopération avec les acteurs locaux, d’abord pour repérer, détecter, recruter et accompagner les personnes qui avaient des difficultés avec le numérique pour qu’elles puissent faire leurs démarches administratives dans de bonnes conditions.
Damien Roussat : On s’est demandé si la dématérialisation creuse les inégalités existantes ou si elle en crée de nouvelles.
Pierre Mazet : Il y a tout un courant de recherche qui affirme, en s’appuyant sur des données statistiques quand même assez fortes, qu’en l’occurrence les inégalités numériques ne sont que la déclinaison, sur le mode technologique, des inégalités sociales, ce que prouvent assez largement les données d’enquêtes. Ces inégalités-là se jouent à plusieurs niveaux, pas nécessairement en termes de connexion parce qu’avec l’arrivée des smartphones, pour le dire rapidement, ça a permis à beaucoup de gens, globalement ça a entraîné une manière de démocratisation de l’accès à Internet bien plus importante qu’avec les ordinateurs ; cet aspect-là des possibilités de connexion s’est un peu tassé. En revanche, on retrouve de très fortes inégalités dans les usages avec l’exemple habituel, qui commence à être un peu battu en brèche maintenant, de dire que les jeunes savent faire avec le numérique ; ça dépend de quels jeunes et ça dépend de quel numérique. Les jeunes, globalement, sont hyperconnectés, mais on remarque qu’en termes de variété des usages on retrouve une distribution sociale extrêmement forte entre des jeunes de milieux populaires et des jeunes de classes supérieures qui non seulement, en l’occurrence, utilisent les réseaux sociaux à longueur de journée, font aussi des jeux en ligne, mais ont une pratique de l’ordinateur parce qu’il y en a chez eux, donc ils n’ont pas de problèmes de passage de l’un à l’autre, de l’utilisation du clavier et de la souris, et sont capables d’écrire des CV ou des lettres de motivation beaucoup plus facilement que les jeunes de milieux populaires qui ont des usages numériques extrêmement fréquents et intenses mais limités dans leur diversité.
Plus les personnes sont précaires, ont peu de ressources et peu de diplômes, plus elles ont des démarches à faire pour accéder à de l’emploi, pour accéder à des aides ou autres, ce qui fait qu’il y a un effet qu’on a appelé de double, de triple ou de quadruple peine, de sur-accroissement, en l’occurrence, des inégalités sociales de ce point de vue-là. D’une manière générale – c’est vrai pour l’accès au numérique, mais c’est encore plus vrai pour l’accès au numérique administratif – moins vous êtes doté d’un point de vue psychosocial plus vous avez de démarches à faire, donc plus vous êtes touché par la dématérialisation.
Damien Roussat : Autre sujet, la dématérialisation passe aussi par la conception et le déploiement de programmes informatiques, de logiciels, dont certains utilisent des algorithmes qui vont aider les agents et l’administration à prendre des décisions administratives.
Nous avons souhaité interroger à ce propos Bastien Le Querrec, doctorant sur la question des décisions algorithmiques dans l’administration et membre de l’association La Quadrature du Net [6]. Nous l’écoutons sur la conception et la validation de ces algorithmes.
Bastien Le Querrec : La première question à se poser c’est dans quel cas une administration a besoin ou estime avoir besoin d’un algorithme. Ça va être dans des cas où soit l’administration a besoin d’automatiser énormément de décisions, d’une complexité qui peut être très simple comme très élevée, ou lorsque l’administration estime qu’un humain ou une humaine n’a pas la capacité de faire ce qu’on veut lui demander. Dans les deux cas, lorsque cette administration estime qu’elle a un besoin, réel ou avéré, peu importe, finalement elle a une liberté quasiment totale dans la conception de l’algorithme, dans son usage, à partir du moment où l’administration ne prendra pas, au sens strict, sa décision sur la base unique d’un algorithme. Ce qui est interdit aujourd’hui en droit c’est que l’algorithme serve d’unique facteur pour prendre une décision, au sens où l’administré qui se verra opposer cette décision se verrait opposer la décision non pas d’un humain ou d’une humaine mais d’un algorithme avec tout l’arbitraire qu’on peut imaginer.
Ensuite, dans la conception de l’algorithme, finalement l’administration est très large. Une administration qui a besoin d’un algorithme peut, la plupart du temps, utiliser la sous-traitance, peut acheter des algorithmes déjà faits – ça se fait beaucoup en matière de sécurité –, peut, si c’est quelque chose qui est prévu, organisé par la loi, par exemple travailler avec des laboratoires, des universités, en matière de renseignement c’est notamment le cas. Donc on a une multitude d’acteurs qui peuvent entrer en jeu au moment de la conception. Il n’y a pas de réelle barrière à partir du moment où l’humain est censé toujours valider ou être une solution alternative à l’algorithme.
Damien Roussat : On s’est demandé si ces algorithmes engendraient des biais pour les usagers, notamment pour des situations complexes ou socialement difficiles.
Bastien Le Querrec : Aujourd’hui le problème, quand on utilise les algorithmes, c’est que, justement, l’algorithme ne va pas lui-même prendre la décision. On va avoir une forme de double déresponsabilisation au sens où les personnes qui vont concevoir l’algorithme vont toujours se dire « de toute façon, derrière, il y aura une validation par un humain, ce n’est pas si grave si l’algorithme n’est pas parfait ». On va également avoir une déresponsabilisation de la part des personnes qui sont censées valider ou contrôler le résultat d’un algorithme au sens où on vend l’algorithme comme étant très souvent meilleur et on va demander à une personne qui est censée être moins bonne que l’algorithme de contrôler un algorithme, donc on a une incohérence là-dedans.
Le fait d’avoir cette double déresponsabilisation et le fait que la décision, au sens strict, n’est pas prise par un algorithme va rendre la contestation de cet algorithme beaucoup plus compliquée. Juridiquement, lorsqu’on veut contester une décision, on va contester la décision au sens strict. Et lorsqu’un algorithme est utilisé en amont, ça va être très compliqué de pouvoir, dans le cadre d’un recours, remonter jusqu’à la décision algorithmique réelle parce qu’elle n’est plus dans le spectre de ce qui peut être contesté.
Ce problème d’accès à l’algorithme se voit de manière très importante lorsqu’on a un encadrement, par la loi par exemple, de cette procédure de validation par un humain. Typiquement le Conseil constitutionnel en 2019, dans la loi de finance pour 2020, disait, à propos d’une surveillance algorithmique des réseaux sociaux avant l’éventuelle ouverture d’un contrôle fiscal, que lorsqu’un algorithme va émettre une alerte, le fait qu’il y ait une validation systématique par un humain, peu importe si l’humain a ou non une marge de manœuvre, le fait que cette procédure existe, soit obligatoire, soit écrite dans la loi, fait qu’on ne pourra pas contester le fait qu’il y ait un algorithme qui ait été utilisé en amont. Cette difficulté d’accès au droit est, d’un point de vue moral, très compliquée. On est en train de dire aux usagers et usagères d’un service public que si la décision ne leur plaît pas alors qu’elle a été prise par un algorithme – et ça on le sait très souvent lorsque ce sont des décisions massives, lorsque ce sont des décisions autour desquelles l’administration a fait la publicité de l’usage d’algorithmes –, aux personnes qui sont concernées par ces décisions qu’elles ne pourront plus contester les algorithmes. Cet usage d’algorithmes va aussi avoir des conséquences sur d’autres droits indépendamment de la possibilité de contester une décision de justice.
Pour nourrir un algorithme on est obligé de lui donner énormément d’informations. Si on utilise un algorithme pour détecter les signaux faibles, c’est-à-dire détecter ce qu’un humain ne serait pas capable de voir avec une analyse uniquement humaine, lorsqu’on utilise ce genre d’algorithme, on va brasser énormément de données. Toute la question de la surveillance, la surveillance fiscale, la surveillance en matière sécuritaire, la surveillance sanitaire également, repose sur des données personnelles très nombreuses, parfois pseudonymisées, mais la technique du pseudonymat, juridiquement, n’est pas parfaite au sens on peut remonter, à partir d’un pseudonyme, à l’identité réelle des personnes moyennant certaines difficultés. Ces algorithmes vont avoir besoin de se nourrir de tout un tas d’informations personnelles qui vont créer intrinsèquement une limitation des droits. Typiquement, lorsque l’on fait de la surveillance algorithmique pour repérer des fraudeurs fiscaux en surveillant l’ensemble des réseaux sociaux, on va inévitablement dissuader les personnes d’utiliser ce genre de service. Lorsque l’on fait de la surveillance algorithmique des réseaux de télécoms, on va dissuader les personnes d’utiliser ces réseaux pour communiquer, qu’elles soient ou non suspectes, puisqu’on ne sait pas, par définition dans ce genre de cas, qui pourrait être suspect ou pas.
Avec la multiplication des cas d’usage d’algorithmes, notamment cette crainte de plus en plus forte, au sein des administrations, que l’algorithme, s’il peut effectivement automatiser des décisions très simples peut aussi permettre de prendre des décisions qu’un humain ne pourrait pas prendre de lui-même tout seul, on va devoir nourrir avec beaucoup plus d’informations, avec des algorithmes qui aussi, très souvent, ne sont pas auditables au sens où certaines technologies algorithmiques ne permettent pas de reproduire les résultats ; c’est toute la problématique autour de l’intelligence artificielle. Finalement, cette multiplication des algorithmes plus le fait que la décision finale de l’administration ne sera pas prise par l’algorithme directement mais par le truchement humain, ce qui est plus ou moins réel en fonction des cas, fait qu’on a des conséquences en termes de droits fondamentaux qui, aujourd’hui, sont très peu évaluées parce qu’on a assez peu de recul sur le long terme de ces usages. On nous parle d’expérimentation, soi-disant on y va petit à petit et on fait attention à respecter les droits. Dans la pratique ce n’est absolument pas le cas. Lorsqu’on parle d’expérimentation, très souvent c’est une expérimentation grandeur nature, c’est juste qu’on a dit que dans trois ans on regarderait si on maintient ou pas cet usage de l’algorithme.
Finalement on ne se pose pas la question : est-ce qu’on a besoin de ce genre d’algorithme ? Quand on met la balance entre les résultats attendus et les effets de bord est-ce que, finalement, on ne devrait pas faire un autre choix que d’utiliser ces algorithmes ? Avant de faire ce genre d’expérimentation on devrait se poser ces questions. On ne se les pose pas, parce qu’on ne veut pas se poser la question des problèmes pour les citoyens et les citoyennes.
Damien Roussat : Et les agents qui contrôlent ces algorithmes, valident leurs décisions, comment sont-ils touchés ?
Bastien Le Querrec : Un exemple très intéressant c’est celui de Parcoursup. Parcoursurp [7] c’est la procédure d’attribution de formation dans le supérieur aux lycéens et lycéennes. Parcoursup passe par une série d’algorithmes dits locaux, c’est-à-dire que les universités, lorsqu’elles reçoivent les candidatures, vont devoir les trier et, comme il y a beaucoup trop de candidatures à trier, les universités peuvent utiliser des algorithmes dits locaux, c’est-à-dire typiquement des pondérations en fonction de certains critères pour opérer un premier classement.
Le problème dans Parcoursup c’est que, à côté de cette utilisation des algorithmes locaux, la loi a prévu des commissions d’examen des vœux qui étaient déconnectées de la réalité universitaire. C’est-à-dire que quand le dispositif Parcoursup a été contesté, notamment devant le Conseil constitutionnel, on s’est retrouvé à avoir la conférence des présidents des universités, c’est-à-dire les personnes qui dirigent les universités, défendre la mesure et, en face, avoir des syndicats étudiants mais aussi des syndicats de professeurs et de maîtres de conférences qui s’opposaient à cette mesure parce qu’on leur retirait, de par la composition de ces commissions d’examen des vœux, la réelle possibilité de pouvoir classer les vœux. Les commissions d’examen des vœux sont formées sur la base de personnes choisies par les chefs d’établissement, ce ne sont pas forcément des professeurs de chaque université. Les personnes qui font l’université, finalement, pas celles qui dirigent l’université mais celles qui font l’université, refusaient ce classement totalement opaque et s’opposaient à l’usage de ces algorithmes.
Avec Parcoursup, on a imposé l’usage d’algorithmes parce qu’on changeait de paradigme : il fallait classer l’intégralité des candidatures parce que l’université est sous-dotée et ne peut pas accepter autant d’étudiants et d’étudiantes qu’elle devrait le faire. À cause de ça, on a dû classer les candidatures, aller à l’encontre de la vision universelle de l’accès à l’université que défendent les personnes qui font l’université. L’algorithme Parcoursup a été, finalement, le symbole de cette opposition dans la vision que doit être l’université entre les personnes qui dirigent et les personnes qui font ce service public.
Damien Roussat : Pour mettre côte à côte théorie et pratique, nous nous rendons maintenant du côté des territoires et des collectivités, afin de mieux comprendre quel rôle elles jouent vis-à-vis de la dématérialisation des services publics et de quelle marge de manœuvre elles disposent à ce sujet.
Nous allons entendre Gaëtan Constant, nouvellement élu à la ville de Villeurbanne en tant qu’adjoint au maire, en charge de la qualité du service public et de la lutte contre la fracture numérique.
Gaëtan Constant : J’aimerais vous parler de la dématérialisation des services en tant que réponse aux attentes de la population. Il faut savoir qu’on a engagé un travail de rédaction, le nom est un peu technique, d’un schéma directeur de transformation numérique. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’on est en train de réfléchir à travers un audit, à travers une réflexion et des actions à mener, à comment transformer numériquement l’administration de la ville de Villeurbanne, à la fois en interne mais aussi en externe ; en interne pour les agents et agentes de la collectivité et en externe vis-à-vis des usagers de la ville. Le schéma directeur nous permet justement d’avoir une vision et un processus de dématérialisation de nos services qui soit un peu réfléchi.
Ce processus de dématérialisation répond à des attentes en termes d’immédiateté et de simplification d’accès au service public. En fait il permet, quand on discute avec les usagers, de les rassurer sur la prise en compte de leurs demandes, c’est-à-dire le suivi de leurs demandes en ligne, les informations sur le délai de traitement. Il permet aussi plus de discrétion dans le recours aux droits – c’est-à-dire que vous n’êtes pas obligé de venir au guichet, vous pouvez faire ça depuis chez vous, vous pouvez avoir une certaine intimité vis-à-vis de votre recours ou de votre démarche – et, globalement, de diffuser plus largement l’offre de service. C’est-à-dire qu’on n’est plus obligé de centraliser à l’hôtel de ville ou dans un espace précis les différents services que propose la ville, on peut les diffuser plus largement à nos usagers. Ça ce sont les attentes de la population.
Mais cette dématérialisation, cette transformation numérique a, en fait, des incidences justement sur cette population. Ça exclut par exemple, on peut le dire, des personnes qui ne sont pas à l’aise ou pas équipées. On aura une plus forte représentation chez les personnes âgées, chez les personnes en précarité sociale ou chez les personnes qui font le choix du non numérique. On a, du coup, un risque de rupture de droits si elles n’arrivent pas ou ne veulent pas faire leurs démarches en ligne. Le constat de l’incidence que cette transformation a c’est qu’on se retrouve avec des personnes qui vont être ce qu’on appelle, on peut le dire, fracturées numériquement. J’insiste bien sur le fait qu’elles sont fracturées numériquement par compétence ou par matériel, par choix ou de façon subie. C’est quand même important de garder en tête que ça peut être également un choix.
On a tous les jours des guichets de la mairie qui reçoivent des usagers qui se retrouvent en difficulté face au grand nombre de services publics en tout genre qui sont entièrement numérisés : CAF [Caisse d’allocations familiales], Pôle emploi, Carsat [Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail]. On a de plus en plus de services publics qui ne sont pas inhérents à la ville mais qui sont numérisés, pour lesquels on a des personnes qui sont en difficulté, donc qui viennent aux guichets de la mairie pour demander de l’aide et les services de la ville, je le dis, font cet accompagnement. Ça prend un temps important pour les agents qui reçoivent du public. Il y a une espèce d’effet report de la dématérialisation. Au lieu de faire gagner du temps parce que la dématérialisation permet normalement de le faire, il y a, en fait, un report de ce temps vers les agents de la ville qui doivent répondre, justement, aux demandes de ces usagers qui se retrouvent en difficulté face à la dématérialisation.
On a une sorte de dépendance, un peu indirecte, qui se recrée vis-à-vis des travailleurs de la collectivité et qui crée, en fait, une sorte de charge de travail supplémentaire qui ne permet pas de gagner du temps comme l’était la promesse de la dématérialisation au préalable. D’autant plus que numérique administratif est spécifique, il demande déjà une autonomie administrative. C’est-à-dire si vous n’étiez pas capable de gérer l’administratif au préalable, normalement, dans quasiment l’intégralité des cas, vous n’êtes pas capable non plus de supporter et de prendre en charge l’administratif numérique. On a un effet de report de cette lacune. Finalement, ce que faisaient les personnels en version matérialisée, papier ou guichet au préalable pour les personnes qui avaient des difficultés avec l’administratif, se retrouvent à leur refaire encore une fois, voire un peu plus parce qu’on a des personnes qui, en plus, ont la fracture numérique.
On a aussi, et j’insiste là-dessus, inégalité de traitement. Il faut savoir, et c’est assez logique, que les demandes numériques vont souvent être plus rapides à traiter que les demandes classiques — voie postale, guichet. Ça nous interroge donc sur l’égalité entre les usagers du service public parce qu’on va avoir deux vitesses : on va avoir les publics auxquels on pourra répondre rapidement via le numérique et les personnes auxquelles on ne pourra pas répondre aussi rapidement, donc on a une inégalité qui se crée de cette manière-là.
Une autre question qu’on se pose également avec cette dématérialisation c’est, en fait, le risque d’une mise à distance des institutions, donc le fait que les institutions, que les agents, que nous, finalement la collectivité territoriale, on ne connaisse plus une partie de notre public parce qu’en fait on ne le voit plus en direct. On n’a plus de contacts directs, physiques, avec ces personnes-là, donc on a tout un spectre d’une population qui peut aller très bien, qui, finalement, peut faire ses démarches en ligne, qui se retrouve déconnectée physiquement de notre action.
Ça c’est pour les incidences de la dématérialisation.
Aujourd’hui, en tant que politique en charge du dossier notamment de la transformation numérique et de ses conséquences, on a la volonté, j’ai la volonté avec l’équipe municipale, de mener des actions, de continuer des actions à destination du public justement pour accompagner cette transformation numérique. J’aimerais quand même le rappeler, l’illectronisme, c’est-à-dire la non maîtrise, on va dire, du secteur numérique, c’est entre 16,5 et 20 % de la population française, à peu près 13 millions de personnes, c’est une audition du Défenseur des droits en mai 2020 qui le dit. Communément, on va dire dans la sphère un peu publique, on le sait et ça a été mis en lumière par la crise du Covid. Le constat d’illectronisme et de fracture numérique a été mis en lumière à travers cette crise parce qu’on s’est retrouvés confinés, on s’est retrouvés à la maison, on s’est retrouvés à devoir travailler à distance, à devoir travailler avec des outils numériques, parce que ce sont des outils qui sont formidables, et j’insiste vraiment sur le terme outil, ils doivent être au service d’une action, au service d’une politique publique, au service de notre vie. En fait, cette dématérialisation, cette fracture numérique a été mise en lumière à travers cette crise. On se rend compte qu’il faut agir pour essayer de ne pas avoir des mesures qui seraient préjudiciables pour les personnes concernées.
Sur Villeurbanne, par rapport à ça, on est notamment dans l’actualité. Le 1er février on va lancer le réseau d’inclusion numérique. Sur Villeurbanne on a, depuis quelques années, un réseau qui marche très bien qui est le réseau de lutte contre les discriminations. On va essayer de calquer un peu le processus pour le faire au niveau de la question de la fracture numérique et de l’inclusion numérique. En fait, on va faire émerger les besoins non couverts sur notre territoire. On va essayer de favoriser les échanges de pratiques, le partage d’informations, de favoriser, en fait, une meilleure orientation des usagers à travers tous les acteurs sur le territoire, que ce soit le soit le CCAS [Centre communal d’action sociale], que ce soit les Maisons de service public, que ce soit les associations, des entreprises, qui luttent contre cette fracture numérique. En mettant tout le monde autour de la table et en mutualisant les connaissances, les compétences et les actions, on va être capable, en tout cas c’est ma conviction politique, de créer une synergie d’actions et de structurer un réseau de vigilance sur le non recours lié à la dématérialisation. C’est vraiment ça notre objectif. C’est de se dire que l’accès aux droits est essentiel pour tous les usagers et qu’il ne faut pas qu’on se retrouve avec des publics qui soient totalement déconnectés, qui soient totalement isolés et ainsi créer de nouvelles inégalités avec le numérique.
On a la volonté que si des nouveaux services de la vie soient dématérialisés, on ait la possibilité, c’est notamment une des missions transversales de notre mandat, la transition démocratique, d’être capables de les designer, de les construire avec des groupes d’usagers pour les adapter au mieux aux besoins, pour les concevoir accessibles dès le départ, pour les simplifier.
Il faut donner aussi accès, on pense, aux usagers à des lieux pour s’approprier le numérique, c’est-à-dire qu’on ait des lieux d’accueil communs de la ville, qu’on appellera sûrement des espaces publics numériques, qui soient capables sur le territoire, à différentes strates, d’accompagner les personnes, les usagers, à utiliser le numérique et à accéder à leurs droits.
Et enfin, une autre action un peu forte qu’on mènera sur ce mandat, c’est la formation des agentes et agents de la ville pour accompagner ces personnes. On se rend bien compte que ce n’est pas en mettant trois ordinateurs dans un espace public numérique qu’on aura forcément les usagers qui vont se l’approprier, qui vont l’utiliser. Il faut qu’on soit capable de créer de la médiation numérique par rapport à ça et de concevoir cette question de manière structurelle, c’est-à-dire d’agir sur comment les citoyens s’approprient le numérique et comment ils accèdent à leurs droits de cette manière-là.
Finalement, j’ai une remarque sur le droit au non numérique. C’est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur parce que, comme je vous le disais, on parle souvent de la fracture numérique comme étant subie, mais on ne parle pas de la fracture numérique étant choisie. Pour moi, le droit au non numérique est un droit que se trouve être fondamental mais qui a ses limites. Ses limites dans les sens où en fait, à l’échelle de la ville si vous voulez, je vais pouvoir agir sur les différentes démarches, c’est-à-dire que je vais pouvoir faire en sorte que toutes les démarches qui sont disponibles en ligne soient aussi disponibles en version papier, soient aussi disponibles en version guichet, qu’on accompagne les personnes pour utiliser les différents outils, que les personnes qui ne souhaitent pas utiliser le numérique puissent le faire. Ça c’est au niveau de la strate collectivité territoriale, c’est là où j’ai la compétence avec les agents de la ville pour agir, mais l’écosystème qui nous entoure, en fait, est globalement favorable à la dématérialisation. On a l’objectif 2022 du programme d’action publique, fixé par le président, qui nous fixe comme cap 100 % des services publics dématérialisés. On a FranceConnect, on va avoir le coffre-fort numérique, on va avoir la carte d’identité numérique, en fait on va avoir cette marche forcée autour du numérique. C’est une situation qui nous met dans une difficulté politique et un peu philosophique : on a envie de défendre le droit au non numérique, mais on se rend compte, finalement, que tout l’écosystème qui est autour, lui, lance cette marche forcée du numérique. C’est aussi une question à prendre en compte.
Une position que je trouve intéressante a été proposée par le Défenseur des droits justement dans son dernier rapport sur cette question du numérique, c’est de demander que les coûts économisés par la dématérialisation soient réinvestis dans l’accompagnement et l’accueil physique et que la dématérialisation fasse l’objet de véritables politiques de structures, ce qui n’était pas le cas au départ. En fait, en demandant cet ajustement sur la réflexion autour du numérique et autour, justement, de ce programme d’action publique, eh bien qu’on ait une véritable réflexion sur comment on réinvestit l’argent économisé, comment on met cette dématérialisation dans une véritable politique plus globale.
Damien Roussat : Si la pleine dématérialisation des services publics est une orientation d’État et que le numérique est érigé en poule aux œufs d’or des économies de coûts de gestion, il ne règle pas, pour autant, la question des inégalités sociales face aux démarches administratives, de l’amélioration de l’accès aux droits, de l’efficacité des recours et de la bonne application du droit d’opposition.
En délégant une part des décisions à des algorithmes, en délégant une partie de l’accompagnement des usagers à des tiers ou à d’autres services, délègue-t-on une part de la responsabilité de l’État de garantir une égalité d’accès aux services publics et une qualité de traitement, quelle que soit la complexité des parcours de vie ou des situations ?
Voix off : Merci à nos invités d’avoir accepté de parler de frictions numériques à ce micro.
À la technique et à la création sonore Vincent De Ambrogio que l’on remercie chaleureusement. Merci à vous de nous avoir écoutés.
Ce podcast est lancé par le Collectif Ouishare que vous pouvez retrouver sur les réseaux sociaux et sur le site ouishare.net. Pour rester en lien et nous écrire, rendez-vous sur le site fricnum.ouishare.net. Vous pouvez commenter ce podcast sur SoundCloud. Vos témoignages nous sont précieux. À bientôt.