Créer son entreprise, faire du logiciel libre et ne pas vendre son âme ? Jean-Michel Armand

Titre :
Comment je fais pour créer mon entreprise, faire du logiciel libre et ne pas vendre mon âme ?
Intervenant :
Jean-Michel Armand (j-mad chez hybird.org)
Lieu :
RMLL - Montpellier
Date :
Juillet 2014
Durée :
58 min

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Présentation

Il y a de cela maintenant huit ans, j’ai co-créé Hybird avec trois compères. À l’époque nous savions coder et nous pensions que cela suffirait, ou presque. Cette conférence est le récit de nos huit ans. De nos démarches, de nos galères, de nos réussites et de nos grosses foirades.
Parce que créer une entreprise et faire du libre c’est possible et ce n’est pas si difficile que cela.
Mais ce qui est sûr c’est que ce n’est pas que coder !

Transcription

Introduction

J-M. A. : Montpellier, bonjour ! Alors, aujourd’hui, je vais vous faire une conférence sur comment est-ce qu’on fait pour créer son entreprise, pour faire du logiciel libre et pour ne pas vendre son âme. Donc, on a quarante minutes pour discuter de ça. J’espère être légèrement plus court, histoire qu’on ait un peu plus de temps pour des questions/réponses. Ce qui est intéressant, c’est quand même de discuter, faire un petit débat.
Donc, moi, qui suis-je ? Jean-Michel ARMAND, ça c’est moi. J’ai créé ma société, qui s’appelle Hybird [1], avec trois autres copains en 2005. On l’a créée à cinq au départ, huit ans après, on est en 2014 et on est huit.
Rapidement, un petit historique. Entre 2005 et 2008, on a fait des presta diverses. Donc, du code, beaucoup de code, de l’intégration CRM, donc on a intégré du Sugar et du V-Tiger. À partir de 2008, on en a eu marre, on s’est dit « on va devenir éditeurs de CRM ». Donc, qui dit éditeur qui crée son logiciel, dit éditeur-intégrateur et depuis 2008, on est éditeur-intégrateur de notre logiciel qui s’appelle Crème CRM [2].
Donc, cette petite conférence est un petit post-mortem de huit ans de vie, huit ans de ce qu’on a fait, histoire que si un jour vous vouliez monter une boîte, vous fassiez mieux que nous.

Des questions à se poser

Donc, avant de monter une boîte, avant de se dire « on va monter une entreprise », il y a quelques questions à se poser. Quelques questions à se poser, qu’on s’est posées, pas forcément toutes, et qui vous aideront à vous dire « est-ce que je monte une boîte ou est-ce que je ne monte pas ? Est-ce que je reste salarié ou est-ce que je reste chercheur ? ».
Alors, la première question, c’est « est-ce que je monte une boîte tout seul ou à plusieurs ? ». C’est une vraie question importante. Nous, dès le départ, on voulait monter à quatre associés. Donc, c’était la volonté. Si vous êtes seul, l’avantage quand on est seul, c’est, qu’a priori, on est souvent d’accord avec soi-même. Voilà, il n’y aura pas de grande discussion à base de « non, je dois faire ça, non, il faut que le thème soit bleu, non, il faut que le CSS utilise Stylus, non, laisse, c’est mieux. » Non, il n’y aura pas tout ça, vu que logiquement, la plupart du temps, on est d’accord avec soi-même. Par contre, le problème, c’est que vous serez tout seul, donc vous aller devoir porter tout à bout de bras. Donc, les problèmes, les coups de blues, les mois sans clients, les projets qui dérapent, les projets qui explosent, tout ça, vous n’aurez pas d’épaule pour pleurer. Là, c’est plus difficile.
Après, souvent, on va dire qu’on a un démarrage plus lent, vu que quand on est tout seul, on a plus de boulot à se partager entre juste soi. Donc, il va falloir faire de la production, faire du commercial, faire de la compta, aller voir les banques, aller voir son expert-comptable, aller voir ses fournisseurs si vous en avez, etc. Donc, voilà, on n’a pas le même braquet au niveau de ce qu’on peut faire, on n’a pas la même force de puissance humaine, du coup, ça fait plus lent. Souvent, ça fait des projets plus petits. Donc, si vous voulez re-développer un super serveur web qui va être mieux qu’Apache et NGinx ensemble, bon, le faire tout seul, ce n’est pas forcément la bonne idée.
À plusieurs ? Donc, à plusieurs, c’est bien puisque vous êtes plein, vous êtes tous très bons, vous êtes tous super compétents, donc ça va aller beaucoup plus vite. Alors, là, il faut se dire « comment est-ce que je choisis mes associés ? ». La première chose à se dire, c’est que ça va être pire qu’un mariage, ça va être pire qu’une relation de couple, vos associés, vous les verrez plus souvent, pendant plus de temps, chaque jour, que votre moitié si vous en avez une. Voilà, vous allez passer huit, dix, peut-être plus, mais dix heures par jour, ensemble, à bosser sur le même projet. Est-ce que vous allez être capable de les supporter pendant dix ans ? Dix heures par jour pendant dix ans, ça fait beaucoup d’heures. Donc, ça c’est la première question. Est-ce qu’au niveau personne, vous allez être capable de gérer. De gérer cette promiscuité, de gérer le fait que le vous de dans dix ans n’est pas le vous de maintenant et le euxde vos associés de dans dix ans n’est pas le eux de maintenant. Comment est-ce que vous allez faire ?
Il n’y a pas de recette miracle. Nous, typiquement, on a fait la même école, donc on a bossé ensemble sur des projets, on a fait des stages ensemble, on était des potes, on est toujours des potes, mais à l’époque on était des potes. Quand on a voulu monter notre entreprise, on a parlé à des gens qui nous ont tous dit  : « Ah, il n’y a rien de pire que de monter une entreprise entre amis, c’est surtout pas : les amis, ce sont les amis ; l’entreprise ce sont les sous. Il ne faut pas mixer les deux. La seule chose que vous allez faire c’est vous disputer au bout de deux ans, vous n’allez pas tenir un an, etc. »
On n’a pas écouté les gens, on l’a fait quand même. Mais, typiquement, voilà, la remarque des gens, c’est que quand vous choisissez des associés, il faut les choisir avec ses compétences et pas choisir les gens avec qui vous aimez bosser. À mon avis, ce n’est pas forcément un bon conseil. La preuve, c’est que nous, on a créé ensemble parce qu’on aimait bosser ensemble et puis on est toujours là huit ans après. Après tout, c’est quelque chose qui se comprend. C’est vrai que quand vous montez une entreprise, pas mal de gens montent une entreprise pour uniquement gagner des sous, donc pourquoi entrer ces notions d’amitié.
Les gens qui nous ont conseillés de ne surtout pas monter à quatre et de ne surtout pas monter en tant qu’amis, étaient tellement persuadés que ça ne tiendrait pas que, pour la petite histoire rigolote, on a commencé en étant dans un incubateur et, en fait, dans cet incubateur, ils avaient différentes tailles de bureau disponibles et le directeur de l’incubateur nous a donné un bureau d’à peu près sept ou huit mètres carrés alors qu’on était cinq. Et l’été 2004, il a fait très, très chaud. Et cinq ordis, cinq personnes dans même pas huit mètres carrés, je peux vous dire que… Voilà, il était totalement persuadé. On était en juin à l’incubateur, pour lui, avant la fin de l’été, au moins deux de l’équipe Hybird seraient partis et donc il nous avait donné un petit bureau en prévision. Neuf mois après, on a eu le droit à un vrai bureau où on avait plus de place.
Mais, voilà, donc cette notion de « est-ce qu’on monte à plusieurs ? Est-ce qu’on monte tout seul ? Qui on choisit ? », c’est important. Ce qui est vraiment important, plus que de dire « il ne faut pas créer d’entreprise entre amis, il ne faut pas créer une entreprise, juste avec des compétences », je pense qu’il n’y a aucune règle qui vaille. Ça dépend de votre situation. Ce qui est important, c’est de valider la vision que vous avez sur l’entreprise. Est-ce que vous voulez monter une entreprise pour juste gagner des sous ? Est-ce que vous voulez monter une entreprise pour faire du Libre ? Est-ce que vous voulez monter une entreprise parce que vous voulez créer quelque chose ? Est-ce que vous voulez monter une entreprise et vous n’acceptez pas de bosser plus de sept heures par jour parce que c’est comme ça ? Voilà. Le pourquoi vous avez rencontré vos associés n’est pas important, le quelle est la vision commune de la future entreprise que vous voulez créer est important. Le mieux, c’est, à la rigueur, de l’écrire, de discuter ensemble et de voir si tout le monde a écrit à peu près la même phrase sur le petit papier, à ce niveau-là.

Choisir les noms

Le nom pour le projet. Alors, tout le monde le sait, dans un projet, ce qui est compliqué, ce n’est pas le code, c’est le nom.
Alors, nous, on s’appelle Hybird. Pourquoi ? Parce qu’un de mes associés aime dessiner et en cours, pendant qu’on discutait de la future boîte super top qu’on allait créer, il avait dessiné cette petite mascotte super cool, qui est donc un albatros avec des lunettes d’aviateur et on s’est dit qu’il faut absolument qu’on trouve un nom d’entreprise pour pouvoir utiliser ce dessin-là en tant que mascotte. Je vous rassure, on n’a jamais utilisé ce dessin-là en tant que mascotte, en plus. Mais donc, il nous fallait forcément un oiseau quelque part dans le nom. Donc, on s’est dit « oiseau » en français, ça fait pas super bien, bird en anglais, ça doit y aller, trouvons des choses. Et donc, on a brainstormé, brainstormé, brainstormé, et puis, trop bien, en plus, anagramme avec hybride, Hy ça fait « haut », etc., « haut » ça fait l’oiseau qui vole, nickel, on a trouvé le nom du siècle.
En fait, c’est la pire idée poss’’ible. On aurait voulu le faire exprès, je ne sais pas si on aurait pu trouver un nom moins bien que notre nom de société. La moitié des gens, et encore quand je dis la moitié des gens, c’est juste parce que j’ai envie d’être gentil avec nous, disent « hybride » parce qu’ils ne voient pas qu’on a inversé le r et le i. Et quand vous avez quelqu’un qui vous appelle au téléphone et qui vous demande « est-ce que je suis bien chez i-beurde ? », c’est juste horrible. Voilà. En plus, si vous rajoutez « on est marseillais », si vous rajoutez quelqu’un qui a un peu d’accent marseillais par dessus, le « i-beurde » avec un accent marseillais, c’est juste horrible.
Donc, le nom, c’est important. C’est important pourquoi ? Déjà, parce que quand les gens le prononcent mal, ça fait ridicule. Ensuite, parce qu’effectivement, moi, ça m’est déjà arrivé d’avoir quelqu’un qui m’appelle au téléphone qui me dise « je vous ai envoyé un mail pour vous parler d’un futur projet » et je dis « eh bien non, je n’ai pas reçu le mail, vous l’avez envoyé à qui ? ». « Eh bien, jma chez hybrid.org ». « Ah non, désolé, c’est hybird, est-ce que vous pouvez le renvoyer ? ». Donc, à un moment ou un autre, ça peut vraiment impacter notre business d’avoir trouvé un nom qui est pourri. Alors, on ne va pas le changer, parce qu’on l’aime bien notre nom, mais voilà !
Deuxième exemple : si on récidivait ? On a un produit, on est devenu éditeur, on s’est dit « on va faire un CRM, il faut qu’on trouve un nom super cool, faisons encore des jeux de mots ». Alors, en 2008, on a pris les lettres CRM et on a écrit sur plein de papiers, tous les mots qui existent dans la langue française avec ’’c’’, ’’r’’, ’’m’’. Tous, pour voir ceux qui étaient cool. Donc, il y a cérumen, il y a des choses comme ça, je vous le dis parce qu’il était dans la liste. Mais là, on s’est dit non, celui-là, non. On a choisi ’’Crème’’. Donc, le jeu de mots métier, parce que c’était le jeu de mots avec CRM. L’intérêt de Crème, pourquoi ? Bon, c’est facile à prononcer, déjà. C’est un vrai mot, donc les gens ne se trompent pas dans l’orthographe. Et surtout, c’est une déclinaison qui a du sens. Nous, on fait énormément de salons pour vendre. Là, c’est une photo d’un salon à Paris, avec moi et mes deux salariés. On se déguise, donc sur des salons, on a des grands tabliers, on a des toques de vendeur de crèmes glacées et on offre vraiment des crèmes glacées sur les salons. Autant vous dire qu’au niveau commercial, les gens se rappellent de nous. Et quand on appelle six mois après un mec qu’on a croisé dans une allée, en lui disant on est les hommes aux tabliers, il sait tout de suite qui on est et ce qu’on fait. Donc, là, c’est un nom qui est bien trouvé, du coup. On a l’air un peu ridicule avec nos tabliers, mais voilà ! Là, on est plutôt contents, depuis 2008 qu’on a trouvé Crème, on est plutôt contents de notre nom. Donc, voilà, c’est toute la différence entre, à mon avis, un mauvais nom, notre nom d’entreprise et un bon nom, notre nom de produit. L’intérêt, voilà, c’est quelque chose qu’on se rappelle simplement, qui s’écrit simplement, et si possible sur lequel on peut jouer derrière pour que les gens se rappellent de vous à travers votre nom.

Savoir quoi faire

Donc, vous avez l’équipe, ou alors vous avez votre équipe vous-même tout seul, vous avez le nom, maintenant ça serait mieux de savoir pour faire quoi ? Alors, est-ce que vous voulez devenir éditeur ? Est-ce que vous voulez devenir intégrateur ? Est-ce que vous voulez être un consultant ? Est-ce que vous voulez faire de l’infogérance ? Qu’est-ce que vous voulez faire dans votre entreprise ?
Nous typiquement, quand on s’est lancés, donc on a fait avant, on a été créé en 2005, avant on a fait 18 mois d’incubateur, on avait un super projet, qu’on avait appelé « esquisse », qui était le projet de faire une plate-forme de MMORPG en 3D avec des liens, MMORPG pour pouvoir se téléporter tels des hyperliens, mais entre mondes 3D. Au bout de 18 mois, on a eu une esquisse, donc le nom était bien trouvé. Mais, voilà, on s’est dit « après, maintenant, il faut manger, faire des sous », donc on a arrêté et puis on fait autre chose, qu’on pouvait facturer.
Donc on avait une idée, sauf que c’était une idée débile au point de vue du nombre qu’on était, du temps qu’on avait et des sous qu’on avait, surtout. Donc, c’est important quand vous montez une boîte de se dire « qu’est ce que je veux devenir ? ». Nous, au final, on s’est reconverti en faisant du code, en mode mini-SSII sympa qui fait du code en logiciel libre, et puis, après, on est devenus éditeur. Mais voilà, c’est mieux de savoir, quand vous allez vous lancer, qu’est-ce que vous voulez faire. Après, vous allez changer, ça, ce n’est pas grave, vous allez changer une fois, deux fois, trois fois, mais vous allez vous lancer, vous avez huit mois de trésorerie, n’utilisez pas vos six premiers mois pour vous dire « qu’est-ce qu’on fait ? », parce qu’après, il ne vous reste plus grand chose.

Mais pourquoi ?

Et pourquoi vous voulez monter une entreprise en fait ? La question pourquoi ? Moi, quand je discute avec des futurs créateurs d’entreprise et que je leur pose la question, il y en a certains qui me disent « je veux coder, je veux coder ce que je veux, je veux coder quand je le veux, je veux coder tout le temps », alors là, c’est ça [NdT. slide « Double Facepalm. For when one facepalm doesn’t cut it »], donc non, déjà ça. Il y en a d’autres qui me disent « moi, je veux créer le nouveau Facebook, moi, je veux devenir milliardaire avant cinquante ans ». Bon eh bien là, c’est carrément ça [NdT. slide « Triple Facepalm. When the fail is so strong, reality starts acting up… » ], donc ça non plus, ça n’arrivera pas.
Moi, pourquoi j’ai voulu monter une boîte ? Pour coder, déjà. Donc, je me suis planté à ce niveau-là. Encore que, si on veut coder, beaucoup coder, une des bonnes façons de faire, c’est de monter à plusieurs. Typiquement, nous, étant une équipe de quatre, il y a certains associés qui codent quasiment tout le temps, voire tout le temps. Moi, à la courte paille, je me suis foiré, je n’ai pas eu la bonne paille, donc moi, non. Si vous voulez vraiment beaucoup coder, une des solutions possibles, c’est d’être plusieurs parce que là, ça va être possible. Moi je voulais coder, c’est raté. Mon but, moi, c’était vraiment de créer quelque chose, de devenir éditeur et d’être plus ou moins libre. Vous le verrez, c’est raté aussi. On n’a pas un boss, mais on a des clients. Je ne sais pas si on gagne au change, mais on les choisit un peu, au moins, c’est déjà bien. Et bosser avec des gens que j’apprécie et que j’aimais, donc au moins, j’ai une raison qui marche bien, parce que du coup, effectivement, je ne suis pas devenu salarié donc je ne suis pas arrivé dans une équipe. L’équipe elle s’est montée, on l’a montée ensemble, c’est elle qui s’est auto-montée, donc à ce niveau-là, je n’ai pas totalement foiré toutes mes raisons pour lesquelles j’ai commencé à monter Hybird.

C’est quoi une entreprise ?

Alors, avant de continuer, j’ai une petite question : « Une entreprise, c’est quoi ? ». Ça, c’est quelque chose, je pense, qu’il est important que chacun se pose : « Qu’est-ce que c’est qu’une entreprise ? » Alors, si vous allez voir un prof d’éco, il va vous dire qu’une entreprise, c’est un système qui produit de la valeur. Si vous allez voir un business-angel, il va vous dire qu’une entreprise, c’est un truc qui ramène plein de cash, fois cinq si possible. Si vous allez voir un salarié, il va vous dire qu’une entreprise, c’est une boîte, c’est un truc, avec un chef qui vous donne du boulot et en échange, il vous donne des sous.
Pour moi, une entreprise, avant tout, ce sont des responsabilités. En fait, c’est juste ça. Ça va être des responsabilités envers vos clients, parce qu’à un moment, vos clients vous ont fait confiance, vous vous demandez encore peut-être pourquoi, mais ils l’ont fait, ils ont signé, ils vous ont donné de l’argent et donc, il faut faire ce qu’ils vous ont demandé. Et puis, après, une fois que c’est fait, si vous avez des contrats de maintenance, etc., il faut survivre suffisamment longtemps pour pouvoir continuer à faire en sorte de rendre le service pour lequel ils vous paient. Donc vous avez une vraie responsabilité par rapport à vos clients.
Vous avez une vraie responsabilité par rapport à vos collaborateurs, un peu moins avec vos associés, mais à un moment ou à un autre, si vous avez des salariés, des salariés, ce sont des gens qui vont vous faire confiance, donc qui attendent que vous leur payiez un salaire tous les mois. Peut-être qu’ils vont avoir un emprunt pour leur maison. Si vous, en tant qu’associé, vous prenez des décisions pourries, votre boîte elle va planter. Vous, vous allez vous retrouver sans argent, mais vos salariés un peu pareil, et eux pourtant n’y sont pour rien, ce n’est pas eux qui ont pris les décisions stratégiques pourries qui ont fait que vous avez planté. Donc, il y a vos collaborateurs.
Il y a envers votre famille si vous en avez. Parce que monter une boîte, ça prend beaucoup de temps. Et il y a des responsabilités, à la base de dire « j’ai quand même la responsabilité de ne pas totalement exploser mon noyau familial. » Si vous avez une moitié, si vous avez des enfants, ça peut être bien de les voir de temps en temps. Moi, quand j’ai créé Hybird, j’avais, hou là, je ne sais plus, vingt et quelques, donc, je n’avais pas forcément. Mais ce sont des choses à prendre en compte.
Et il y a envers vous. Pour l’avoir fait, bosser quatorze heures par jour, tous les jours, pendant plusieurs mois, plus que plusieurs mois, ce n’est pas très bon pour la santé. Donc, il y a une vraie responsabilité. Voilà, créer une boîte, ça implique une responsabilité envers vous-même, en tant que est-ce que je ne vais pas juste totalement m’exploser la santé.
Et envers votre produit, si vous êtes éditeur, typiquement, pour nous, nous avons eu une responsabilité envers Crème. Si on plante, s’il n’y a pas forcément de nouvelle version de Crème, parce qu’on est quand même ultra-moteur à ce niveau là, eh bien c’est une responsabilité. On a la responsabilité de faire en sorte que Crème vive, que Crème évolue et avance.
Donc, pour moi, une entreprise, c’est une responsabilité. Plus qu’autre chose, plus que toute autre définition de l’entreprise possible, c’est vraiment un nœud de responsabilités. C’est pour ça que quand je disais, à un moment ou à un autre, j’ai monté une boîte pour être libre, ouais, j’ai échangé une chaîne, « être un salarié », par plein de chaînes, plein de responsabilités différentes. Et c’est important, en fait, à un moment ou à un autre, de réfléchir à ça, en disant « ah bah oui, finalement, peut-être que… »
Donc, on a plein de responsabilités, mais en échange on essaie d’avoir des sous. Alors, c’est souvent le sujet qui fâche. Ça fait quelques temps que je fais des conférences aux RMLL, quand on parle d’argent et de logiciel libre, les gens m’envoient des tomates. Maintenant, non, plus, mais avant, oui.
Alors, première chose : ce n’est pas sale. Vous avez le droit de faire des sous avec du Libre, vous avez le droit de faire plein de sous avec du Libre. Il y a juste différentes manières, il y a une bonne manière, il y a une mauvaise manière, mais vous avez le droit de le faire. Et mieux que de ne pas être sale, c’est même très bien. Nous, par exemple chez Hybird, on a huit personnes qui font du logiciel libre et qui sont payées pour faire du logiciel libre. Et si elles sont payées, c’est parce que Hybird a suffisamment d’argent pour leur faire un chèque. On ne braque pas une banque tous les mois pour faire nos salaires. Donc, ça fait un certain volume de code, j’ai oublié combien de lignes de code Crème contient, mais plusieurs dizaines de milliers. C’est du code libre qui n’a été financé que parce que Hybird est capable de faire de l’argent avec du logiciel libre. Ça fait que le ministère de l’Intérieur, j’en parlais hier, utilise du logiciel libre. Voilà, chaque entreprise qui fait des logiciels libres, elle augmente le nombre de logiciels libres qui existent dans le monde. Donc c’est quand même un peu le but. Les entreprises qui font du Libre, si elles en font bien, elles sont quand même parmi les structures les plus évangélisatrices possibles. Donc, faire de l’argent avec du logiciel libre, c’est juste super bien.
En puis, en plus, l’avantage, c’est que les sous c’est un peu le carburant de l’entreprise. Si vous n’avez pas de sous, vous n’avez pas d’entreprise. Si vous avez des sous, vous avez une entreprise, en tout cas, vous en avez un peu plus. Et en plus, quand vous avez de l’argent, c’est bien, parce qu’une bonne trésorerie, ça vous permet de gérer bien et correctement vos responsabilités. Reprenons le slide d’avant, vous avez plein de responsabilités, si vous avez des sous, c’est facile de les gérer, c’est facile de ne pas bosser trop tous les jours, c’est facile de bien payer vos collaborateurs, c’est facile de ne pas faire du caca horrible pour livrer vos clients le plus vite possible tant pis si ça ne marche pas, histoire d’en signer d’autres et c’est facile de ne pas se tuer à la santé.
Par contre, quand on a un coup de stress, vous n’avez plus de sous, vous avez un problème de rentrée d’argent. Là, du coup, c’est plus compliqué d’arriver à gérer les choses. On passe en mode d’urgence. On passe en « au secours, on va tous mourir, au secours, vite, vite, vite, faisons n’importe quoi ! ». Une chose qu’on apprend, une chose que moi j’ai apprise, une chose que mes associés ont apprise : si on veut gérer une entreprise et si on veut la gérer sainement de telle manière que tous les matins on pourra continuer à se regarder dans un miroir, il faut apprendre à dire « non ». Il faut apprendre à se dire « ce prospect-là, je ne le sens pas, ce prospect-là, il va me faire faire des choses que je n’ai pas envie de faire, ce prospect-là, il va être plus chiant qu’autre chose, je vais dire non ». Si vous n’avez pas d’argent, vous ne direz jamais « non » et vous allez vous en vouloir un maximum car vous allez dire « oui » alors que vous savez qu’il faut absolument dire « non ». Et puis, vous allez vous retrouver à faire des trucs pas trop crades, à prendre du code, à un moment ou un autre, et puis à faire des gros copier-coller en ayant enlevé les licences parce que, oh putain, il faut livrer vite. Voilà. Ce qui est important, c’est que quand votre entreprise tourne bien, quand elle a de la trésorerie, vous êtes capable de voir un projet, voir un prospect, voir un futur client, voir un fournisseur ou voir un partenaire qui va vous proposer un super contrat, mais bon, par contre la licence est un peu chiante, alors « tu veux pas un peu ? ». Et là, vous pourrez dire « non ».
Si votre entreprise est juste limite, si vous n’avez pas beaucoup d’argent, si vous êtes dans le rouge, vous aller dire « bon, eh bien tant pis, allez, on dit oui ». Et vous allez vous en vouloir pendant longtemps. Donc, c’est pour ça que c’est important, tout ce qui est des sous est important, parce que c’est ça qui va vous faire vivre et c’est ça qui va vous permettre de rester fidèle à votre philosophie, si tant est qu’il soit dit que vous en ayez une. Mais c’est ça qui va vous permettre de pouvoir le matin vous dire « je suis fier de me lever, je suis fier d’aller bosser dans ma boîte, je suis fier d’être le boss de ma boîte et je suis fier de ce que je fais ». Et ça, vous ne pouvez le faire que parce qu’à un moment ou un autre, vous allez être capable de dire « non ». Et dire « non », c’est-à-dire que vous puissiez dire « non ». S’il vous manque des sous, vous ne pourrez pas dire « non », vous allez dire « oui » et vous allez être très malheureux.

Trouver des sous

Alors, la nouvelle question, c’est « comment est-qu’on trouve les sous ? ». Parce que, bon, c’est bien gentil, mais on ne braque pas des banques tous les matins. Donc, pour trouver des sous, il faut vendre. Donc, ça veut dire, qu’à un moment ou un autre, vous faites des choses, il faut que les gens vous donne de l’argent contre ces choses-là.
Alors, je vais vous apprendre quelque chose : avoir le code le mieux écrit du monde, ça ne vous aidera pas du tout à vendre, tout le monde s’en fout ! Ça vous aidera à avoir de grosses marges, parce que vous allez vendre de la maintenance que vous n’allez pas utiliser, parce que votre code est super bien et qu’il n’y a jamais de bug. Mais, en vrai, malheureusement, je suis le premier à me plaindre et à pleurer, mais avoir du code bien écrit, les gens qui vont vous acheter, si vous faites du logiciel, ou même si vous faites de l’intégration, si vous faites un site web, les gens, que vous mettiez un Wordpress, un Joomla ou n’importe quoi, ils n’iront pas voir le code, heureusement, parce que sinon ils diront non. Mais voilà, à un moment ou à un autre, le fait que votre code soit bien écrit, même le fait qu’il soit unitairement testé, parfaitement, que la couverture soit 100%, il faut absolument que ce soit fait, mais les gens s’en foutent, la plupart du temps. Ou oui, si vous vendez du logiciel pour contrôler des métros, peut-être que là, ils vont regarder ça. Mais si vous faites du logiciel de gestion, si vous faites du site web, si vous êtes un intégrateur Nagios ou autre, même là, pourtant… Je veux dire, allez voir le code de Nagios, ce n’est pas forcément super joli. Malheureusement, le fait d’écrire du beau code ne vous aidera pas à vendre. Et l’argument de vente, arriver devant un client et dire : « J’ai 100% de couverture de code, mon code est super bien écrit, il est super top, il va super vite », vous ne signerez jamais. Vous faites un ERP, vous allez voir les gens et vous leur dites : « J’ai 100% de couverture de code, nickel ». « OK, et alors ! Est-ce qu’il fait les factures ton logiciel ? ». Donc, c’est super important d’écrire du bon code, c’est super important qu’il soit testé, parce que derrière vous n’aurez pas de bug à corriger, donc si vous n’avez pas de bug à corriger, ça fera moins de temps, ça fera moins de temps que vous ne facturerez pas forcément, donc vous allez avoir des marges, mais ce n’est pas ça qui va vendre, ce n’est pas cela qui vous aidera à vendre.
Pour vendre, il faut plusieurs choses. Pour vendre, il faut d’abord savoir comment vendre. Donc, ça veut dire qu’est-ce que vous allez dire comme discours, les gens appellent ça « blabla », pour faire en sorte qu’on vous fasse un chèque. Après, c’est à quel prix vous allez vendre ? Est-ce que vous allez vendre au prix du marché, moins cher, plus cher ? Alors, on a à peu près tout essayé, vendre moins cher n’est pas forcément une bonne idée, vendre plus cher n’est pas forcément une mauvaise idée non plus. Ça dépend vraiment de votre marché. Vous dire : « Bon, eh bien, je suis nouveau, je suis petit, alors je prends le prix des autres et puis j’enlève un tiers et c’est mon prix à moi, comme ça je fais signer tout le monde, parce que tout le monde va… », ça ne marchera pas forcément. Pour plein de raisons.
Définir un produit : vous vendez quoi ? Vous êtes éditeur ? OK, mais vous êtes prestataire ? OK. Vous êtes intégrateur ? Vous codez ? Qu’est-ce que vous vendez ? Je vends mes mains et je code. Votre cerveau, déjà mais… Voilà, apprenez ce que vous vendez en vrai. Nous, par exemple, on ne vend pas Crème. On vend le fait d’installer un CRM et de rendre les commerciaux plus efficaces. On vend plein de choses, mais on ne vend pas notre logiciel. Quand on faisait du dev, on ne vendait pas du dev, on était spécialisé la plupart du temps sur des projets qui étaient juste à la ramasse et qui explosaient, on vendait le fait d’être des pompiers et de nettoyer les choses, de nettoyer tout le caca qu’on trouvait. Donc, voilà, qu’est-ce vous vendez en vrai ?
Et puis, à qui vous le vendez ? Est-ce que vous voulez vendre votre logiciel ou vos presta, vous faites de l’infogérance ? Est-ce que vous allez vendre vos petits serveurs à des web agencies ou est-ce que vous allez le vendre à des éditeurs qui ont juste une plate-forme SaaS ? Voilà. Quelle est votre cible ? En fonction de votre cible, vous définissez votre prix, votre argumentaire et là, vous avez une chance de vendre.
Pour vendre, ça veut dire qu’il faut communiquer, qu’il faut parler, qu’il faut rencontrer les gens. Parce que, là c’est toujours pareil, vous pouvez toujours espérer vendre en faisant juste un site web et en disant : « On vend ». Ça marche de temps en temps, mais à un moment ou à un autre, même ça, c’est de la communication. Donc, ça veut dire qu’il ne va pas juste falloir coder, il ne va pas juste falloir vous dire « on sait exactement ce qu’on veut vendre », il va falloir le mettre en pratique. C’est-à-dire, qu’à un moment ou à un autre, il va falloir se dire « bon, eh bien, OK. Je me déguise en quelqu’un qui aime bien parler aux gens, et je vais parler aux gens ». Et là, il y a plein de méthodes. Donc, ça peut être, clairement, ça peut être de se dire « on va faire des salons ». Donc, nous, par exemple, on ne fait que des salons, on ne fait que ça. On y va, on prend nos tabliers, on prend nos toques, on se déguise, on va faire les guignols, on offre des glaces, on fait des démos quand même, un peu, et on explique pourquoi Crème est bien. Mais nous, notre façon de vendre, c’est de faire des salons. Votre façon de faire, ça pourrait être de prendre votre téléphone et d’appeler les gens. On a essayé, c’est chiant à faire, donc on a arrêté. Et puis, de présenter ce que vous faites, de faire des conférences, de venir aux RMLL, de dire « ouais, on fait un super logiciel qui fait du CRM » ou « on fait un super logiciel qui fait des factures, qui a plein de O dans le nom et puis on vous explique à quoi ça sert et puis… ». Et puis c’est faire une conférence aux RMLL, aller hop ! Je ne sais pas.
L’important, c’est de prendre la parole, c’est de de parler, c’est expliquer ce que vous faites. Et encore plus important que le reste, c’est, pour vous qui faites du logiciel libre comme nous, c’est d’évangéliser les choses, c’est d’expliquer aux gens en quoi c’est bien le libre, pourquoi c’est bien, pourquoi est-ce que c’est cool, pourquoi est-ce que ça va les arranger. Pourquoi… OK, là, maintenant, aujourd’hui, ils ont l’impression que vous les faites chier à leur expliquer les quatre libertés et pourquoi est-ce que c’est cool pour eux, mais qu’en vrai il faut qu’ils vous écoutent parce qu’à un moment ou à un autre, cela va être important pour eux et pour leur business futur, de faire du logiciel libre. C’est un peu compliqué parce que, suivant les gens à qui vous vendez… Nous, par exemple, typiquement, on vend à des directeurs commerciaux. Je peux vous parier qu’il n’y a pas grand monde dans le monde qui se contrefiche plus des quatre libertés qu’un directeur commercial et pour qui le logiciel libre, c’est juste… Voilà. Donc, il faut quand même arriver à lui expliquer que, OK, d’accord, il n’en a rien à faire. OK, d’accord, je ressemble à un gros barbu qui code, et il n’a pas envie de m’écouter, mais que c’est quand même important pour sa structure et sa société de m’écouter et de comprendre pourquoi est-ce que le logiciel libre, c’est mieux que d’aller signer chez Sage ou chez Salesforce. Donc, voilà, il y a une vraie complexité à ce niveau-là, de faire comprendre aux gens que ce qu’on leur explique, ce n’est pas juste du baratin d’ayatollah du logiciel libre communiste, mais que c’est intéressant pour leur structure et leur petit portefeuille et leurs sous. Lorsque vous arrivez à faire comprendre aux gens que c’est pour leurs sous, vous avez déjà gagné leur écoute.
En plus, ça redevient important, honnêtement, maintenant. Il y a un an, un an et demi, je discutais avec des gens, pas mal de copains qui ont monté des boîtes dans les bateaux, on disait : « Ouais, c’est bon, le logiciel libre, « on a gagné » entre guillemets. Il n’y a plus personnes qui nous embêtent, les gens comprennent que le Libre c’est bien, etc. ». Ça, la période économique étant ce qu’elle est, ça a vraiment beaucoup changé et on se retrouve pas mal sur des discours méchants, fud, etc., de « camarades propriétaires », on va dire, qui font du logiciel proprio. Et donc, ça redevient important de se remettre à ré-évangéliser ses clients, ses prospects, ses fournisseurs, etc., comme quoi oui il y a des avantages, oui c’est bien, non on n’est pas des barbus, non on ne fait pas ça dans un garage et si on le fait, eh bien c’est bien quand même. Et qu’à un moment ou un autre, non, ils ne risquent pas grand-chose et que non, si on ferme, tout ne va pas s’arrêter. Donc l’époque fait que le besoin d’évangélisation en termes de business revient, et de manière importante.

Éditeur/intégrateur

Quelque chose dont je n’arrête pas de parler tout le temps. Donc, là, on va finir, il ne me reste plus que trois ou quatre slides et il me restera presque dix minutes de plus, exprès pour avoir plein de questions. J’espère que vous en aurez plein.
Les relations entre éditeur et intégrateur. Nous, on est éditeur, on a été intégrateur, maintenant on est éditeur-intégrateur. Donc, on connaît, je dirais, pas mal de choses. J’ai des potes qui sont intégrateurs, des potes qui sont éditeurs, on discute beaucoup. Il y a de fortes chances, à un moment ou à un autre, que vous soyez soit éditeur, soit intégrateur. Bon, vous allez peut-être faire de la presta, etc., de l’infogérance, mais même à ce niveau-là, on peut parler presque d’intégration.
C’est censé être basé sur du gagnant-gagnant. C’est-à-dire que l’éditeur est censé avoir une super énorme force de frappe marketing et commerciale, qui est bien plus importante que la vôtre, donc il est censé, lui, dire que son logiciel est super bien, qu’il est beaucoup mieux que les autres, qu’il est super cool et, en échange de ça, il va signer des partenariats avec les intégrateurs. Et les partenariats, ce n’est pas juste pour se faire plaisir, c’est parce que, normalement, l’intégrateur reverse des sous à l’éditeur. Parce que l’intégrateur, lui, va signer des contrats que vous, éditeur, vous n’auriez jamais pu signer, parce que vous n’avez pas les contacts, parce que vous n’êtes pas sur la bonne zone géographique, pour plein de raisons. Donc l’éditeur développe le logiciel, les intégrateurs intègrent. Les intégrateurs intègrent le logiciel qu’ils n’ont pas à développer, donc du coup, c’est moins cher pour eux, donc ils reversent des sous à l’éditeur et tout le monde est content. L’éditeur n’intègre pas donc il ne fait que du trunk et tout le monde est content. Voilà, c’est assez souvent comme ça que ça marche, les contrats de partenariat éditeur-intégrateur, la plupart du temps, que ce soit du libre ou du propriétaire, le fonctionnement est à peu près le même.
La question, c’est comment est-ce qu’on fait quand les intégrateurs décident de faire un truc qu’ils ont le droit, mais qui peut être embêtant pour l’éditeur, c’est-à-dire « eh bien moi, je vais prendre le logiciel et puis je vais dire que je l’intègre et je l’intègre, et puis voilà ». Il y a pas mal, du coup, d’éditeurs qui partent sur un système que je n’aime pas, qui est un système de licence communautaire et licence propriétaire, ou semi-entreprise, ou le nom que vous voulez. C’est une manière de régler le problème. C’est-à-dire, voilà, il y a la version communautaire, elle est bien mais pas top, on ne la met pas à jour trop souvent, il manque plein de choses, mais elle est là, elle est libre, tout va bien. Et puis derrière, on a la version entreprise, où là, il y a plein de trucs, mais pour la télécharger, pour que les intégrateurs aient le droit de l’installer, il faut qu’ils aient le petit macaron « intégrateur officiel », donc il faut qu’il fasse un gros chèque et puis après, ils n’ont pas le droit de la redistribuer, à part à leurs clients, etc. Ça renifle un peu trop pour moi tout ce qui est mécanisme de vente propriétaire, donc ce n’est pas forcément le mieux. Je n’ai pas non plus de solution toute faite. En tant qu’éditeur, je comprends très bien qu’à un moment ou à un autre… Bon, nous, on est trop petit, on n’a pas d’intégrateur, donc la question ne se pose pas, mais je comprends très bien qu’un éditeur qui a plein de salariés, qui passent plein de temps à faire un logiciel qui, en plus, est libre, aimerait bien que les gens qui vont l’installer, eux, parce qu’ils ont le temps de ne faire que ça, lui renvoient un peu des sous. Je comprends que ça semble logique et il y a une notion de financement à un moment ou un autre, puisque l’intégrateur, il n’a rien financé. C’est le jeu mais…
Une des solutions que je vois certains de mes partenaires éditeurs mettre en place, c’est de juste bloquer la marque. C’est une solution que je trouve intelligente, à la rigueur, et qu’on mettra peut-être en place. C’est juste de dire « voilà, on fait un logiciel », on va prendre l’exemple de Crème, donc on est éditeur de Crème, nous Crème, on n’a qu’une seule version, qui est l’unique et la seule version, qui est en AGPLv3 parce qu’on aime bien l’AGPL. Donc, n’importe qui pourrait la prendre et devenir intégrateur. S’il y a des gens qui veulent devenir intégrateur, au cas où… Et ça ne pose pas de problème. Le seul truc, c’est que s’ils veulent devenir intégrateurs de Crème CRM, il faut qu’ils soient partenaires Crème, sinon ils deviennent intégrateur du CRM qui a le code de Crème CRM, mais qui ne s’appelle pas Crème CRM.
Voilà, ça peut être un moyen de fonctionnement intéressant, c’est juste de dire « OK, vous avez le code source, pas de problème. Vous voulez le déployer et l’installer chez tout le monde, pas de problème. Vous voulez nous donner zéro euro, aucun problème. Mais par contre, le mot Crème CRM, lui, il n’est pas libre, c’est une marque donc vous prenez le code source, vous installez le logiciel, mais vous ne dites pas que vous faites du Crème CRM. »
C’est intéressant aussi parce qu’il y a un vrai effet pervers que la plupart des gens ne voient pas forcément, c’est qu’on arrive assez souvent à se retrouver, quand on faisait du V-Tiger ou quand on faisait du Sugar CRM, ça nous est arrivé, d’arriver chez des gens qui avaient un Sugar ou un V-Tiger et qui étaient juste totalement mécontents, en disant « ce logiciel, c’est pourri, ça ne marche pas, etc. », juste parce qu’ils avaient été intégrés par quelqu’un qui avait fait ça par-dessus la jambe, un peu n’importe comment, etc., en disant « je suis intégrateur Sugar, hop, je vais faire du Sugar », et qui avait fait juste des trucs « caca ». Et du coup, c’était le logiciel en lui-même qui était considéré comme mauvais, alors que ce n’était pas le logiciel qui était mauvais, c’était le travail qui avait été fait par la personne qui l’avait déployé. Donc l’intérêt, à un moment ou à un autre, on va dire de limiter la possibilité d’être intégrateur, est un intérêt à ce niveau-là aussi, c’est qu’on protège « la qualité », entre guillemets, de la réputation de notre logiciel.
Donc, voilà, il y a un respect mutuel à avoir. De toute façon, à un moment ou à un autre, un intégrateur ne peut pas vivre sans son éditeur, c’est juste pas possible. Si l’intégrateur ne fait qu’intégrer, il faut qu’il intègre un logiciel qui existe. Si le logiciel existe, mais qu’il n’y a plus d’éditeur et que, donc, il n’évolue plus parce qu’il n’y a plus personne qui écrit du code, eh bien, il n’y a plus d’intégrateur, à un moment ou à un autre, c’est fini, direct. Dans l’autre sens, un gros éditeur ne peut pas vivre sans intégrateur parce que sinon il n’y a personne qui…
Comment est-ce qu’on gère les tricheurs ? Je ne sais pas. Typiquement, si vous êtes intégrateur ou éditeur, vous avez peut-être des raisons. Moi, la seule chose que j’ai trouvée, c’est peut-être ça, c’est la marque. Après, est-ce qu’il faut les gérer ?

Conclusion

Au final, la question qu’il faut se poser, et la question à laquelle je n’ai pas vraiment de réponse, c’est créer une boîte, est-ce que ça vaut le coup ? Est-ce qu’il ne vaut pas mieux être salarié ? Je n’en sais rien. Moi, ça fait huit ans que je bosse chez Hybird, ça fait huit ans que je réponds « oui » à cette question, tous les jours. Je ne sais pas si dans deux mois, peut-être qu’avec ce qu’il va se passer, je répondrai « non ». Avec huit ans de recul, c’est énormément de boulot, bien plus que ce qu’on peut le penser. Il ne faut pas espérer, ce que je disais tout à l’heure, vous n’allez pas créer Facebook ou alors peut-être mais non. Statistiquement, non.
Honnêtement, si moi j’étais salarié, si mes associés étaient salariés, on gagnerait beaucoup plus. Mes salariés actuels gagnent plus que moi et c’est normal. Donc, voilà, ne le faites pas pour l’argent parce que vous n’en aurez pas, pas autant que ce que vous pourriez en avoir en tant que salarié. Ne le faites pas pour les vacances parce que vous n’en aurez pas forcément beaucoup. Ne le faites pas pour ne faire que coder, parce que vous n’allez pas que coder. Maintenant, si vous voulez créer des choses, si vous voulez avoir au minimum un sentiment de liberté, si vous voulez faire quelque chose de potentiellement utile, peut-être, il faut y aller.
J’ai cinq minutes d’avance. En tout cas, merci de ne pas avoir fui pendant les trente cinq minutes qui viennent de passer. Et si vous avez des questions, on a beaucoup plus de temps que prévu.
Applaudissements

Réponses aux questions du public

Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Oui, c’est mieux. Et typiquement, choisir un bon nom, disponible, et déposer la marque, c’est encore mieux. Alors, ça va peut-être choquer les gens, mais, voilà, honnêtement, il faut le faire, les noms, il vaut mieux. C’est pareil, nous, on était dans une pépinière d’entreprises, maintenant, on est du côté hôtel parce qu’on est trop vieux, donc on connaît plein d’entreprises, et j’ai croisé des gens qui ont eu des problèmes à ce niveau-là. Voilà, c’est chiant, donc il vaut mieux vérifier s’il est disponible et il vaut mieux penser à déposer la marque dans les trucs intéressants pour nous, histoire de ne pas trop avoir de problèmes. Oui ?
Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Effectivement, si on cherche « Crème » sur Google, je pense qu’on ne trouve juste pas du tout. C’est pour ça, que nous on parle toujours vraiment beaucoup de « Crème CRM ». En fait, on s’est dit que quand les gens allaient chercher un CRM, ils allaient forcément chercher le mot « CRM » à côté. Et que donc, du coup, la marque d’ailleurs, qu’on a déposée, c’est Crème CRM, pas que « Crème », parce que de toute façon, je pense que ça ne serait pas passé que « Crème », donc voilà, et ce n’est que exactement que dans les classes qui, précisément. Donc, nous, on est juste parti du principe que les gens quand ils cherchent un CRM, ils vont mettre « CRM » aussi dans Google, et que donc « Crème » plus « CRM », ça va le faire. Mais, effectivement, s’ils ne cherchent que « Crème », on ne va jamais remonter, ça, c’est clair.
Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Alors, nous, le but ultime. On voulait effectivement faire du jeu vidéo. On voulait faire du jeu vidéo, donc, tant pis. Maintenant, on en fait le soir, le week-end, voilà. Mais on voulait faire du Libre, on voulait bosser ensemble. Il y avait vraiment trois parties vraiment très importantes pour nous, c’était : du Libre, du jeu vidéo si possible et ensemble. Donc, tant pis, quand on a dû se dire « tant pis, on ne fait pas de jeu vidéo », mais on s’est quand même dit « on va continuer à faire du Libre et on va continuer à bosser ensemble ». Donc, c’est là-dessus qu’on a, comment dire, scié l’une des trois pattes, mais on est resté sur les deux autres et, mais oui, ça été un crève-cœur, et c’est toujours un crève-cœur. Et puis, surtout, en plus, historiquement, il y a quelques années après, il y a Second Life qui est sorti, etc. On avait juste envie de manger nos chapeaux parce que, voilà, on aurait levé des fonds, on aurait peut-être pu le faire, sauf qu’on ne voulait pas lever des fonds, et puis je ne sais pas si on y serait arrivé. Mais, oui, il y a eu un basculement complet de structure d’entreprise, à se dire « non, on ne fera pas de jeu, eh bien tant pis, on ne fera pas de jeu, quoi. Mais, on va faire quand même du Libre et puis on va quand même bosser ensemble ». Donc, c’est là-dessus qu’on arrive à rester soudés. Mais ce n’est pas forcément évident, à un moment ou à un autre, de se dire « maintenant, il faut faire des trucs car il faut qu’on mange, quoi ! Donc, tant pis, on va coder ! ».
Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Alors, honnêtement, je ne sais pas. Je dirais que je ne pense pas. Par contre, ce que je sais, c’est que ce n’est pas forcément aussi compliqué de monter une boîte en France que ce qu’on le dit. Ça, je le sais pour avoir des potes qui ont monté des boîtes aux USA ou en Allemagne. Ils ont des problèmes qui ne sont pas les mêmes que les nôtres. Mais, ce n’est pas super facile non plus.

Les problèmes administratifs ne sont, au final, que des faux problèmes. Quand on a que des problèmes administratifs, on n’a pas de problèmes. Dire « c’est compliqué de monter une boîte en France », c’est, en fait, dire « je n’ai pas envie de monter une boîte, je rêve de le faire, mais je n’ai pas envie de le faire là, alors je prends la première excuse possible pour ne pas le faire : les problèmes administratifs ». Voilà ! Si on veut monter sa boîte, ce n’est pas le fait qu’il faille aller passer un jour, je ne sais plus où, pour monter le dossier,c’est facile. Les problèmes administratifs ne sont pas si compliqués. Oui, l’URSSAF, c’est un peu chiant. Oui, le RSI, il paraît que c’est l’enfer. Mais on gère ça, il y a des choses pour gérer. Et puis, il y a d’autres problèmes dans d’autres pays. Je ne suis pas sûr que, voilà. C’est toujours le plus simple des problèmes à résoudre [Ndt. un problème administratif]. Gérer la relation avec ses associés, gérer ses clients, vendre, trouver de l’argent, ça ce sont des vrais problèmes. Que l’URSSAF vous demande une pénalité monstrueuse parce qu’elle a paumé votre chèque, c’est un problème sur une semaine. Je ne suis vraiment pas sûr que le pays change quelque chose et, dans tous les cas peut-être, mais en tout cas, en France, je pense qu’on est mieux lotis que ce que la plupart des gens qui veulent monter une boîte, en tant que Français, pensent. Juste parce qu’ils ne sont pas allés vraiment voir comment ça marche ailleurs. Forcément, si ont écoute TF1, on a l’impression qu’aller ailleurs, ça marche, que c’est beaucoup plus facile. Je ne suis vraiment pas sûr que ce soit le cas. En tout cas, clairement, si je devais remonter une boîte, je la remonterais en France.
Public : Inaudible.
J-M. A. : Alors, c’est bien parce que j’aurais dû en parler dans mes slides. Ça a vraiment été un plus. Pas forcément, uniquement, que pour l’accompagnement. C’est vrai qu’on est arrivé en incubateur, nous on a monté en sortie d’école, donc en fait, notre stage de troisième année d’études, c’était monter notre boîte. D’ailleurs, administrativement, là ce n’était pas simple dans le domaine administratif, l’école ne savait pas dans quelle case nous mettre. Et donc, ils avaient dit : « Il vous faut absolument une convention de stage ». « Mais on ne peut pas, on n’a pas monté notre boîte ». « Mais il faut une convention de stage ». « On ne peut pas ». « Eh bien alors, vous ne pouvez pas monter votre boîte ». « Ah, eh bien non… ». Et le truc a été de dire « alors, faites une convention de stage avec l’incubateur, donc rentrez dans un incubateur ; c’est l’incubateur qui vous prend en stage et qui fait une convention avec l’école. » Et là, hop, magique, on a la case.
Donc, on est rentrés en stage dans un incubateur et effectivement, on est arrivés tout crétin à vingt et quelques années en sortant de son école d’ingé, et ça a été, pour nous, oui, avoir un mec qui dit « la compta, c’est important. Et puis, il faut que vous écriviez les statuts. Et puis il faut… » Oui, on était tellement bêtes que c’était important d’avoir un accompagnement. Après, l’intérêt d’une pépinière et l’intérêt d’un incubateur, encore plus que l’accompagnement, c’est vraiment d’être, tous les jours du coup, avec plein d’autres créateurs d’entreprises, et donc, de pouvoir parler des galères avec eux, de pouvoir discuter, d’échanger. De se rendre compte que, quand on va chez un banquier, au départ… Ça, c’est super cool, les banquiers ne sont pas obligés de vous ouvrir un compte en tant que créateur d’entreprise, donc il faut les convaincre que « oui, c’est bien, s’il vous plaît, ouvrez-moi un compte ». Quand vous avez deux banques qui vous disent « non », et que vous rentrez et que vous discutez avec d’autres créateurs d’entreprises qui ont plus de trente-cinq ans et qui vous disent : « Nous, on y est allés aujourd’hui et ils nous ont demandé la caution de nos parents ». « Mais vous avez plus de trente-cinq ans, quand même ! ». « Ouais, mais… ». C’est une histoire vraie, en plus. Donc, voilà, c’est intéressant, ça relativise.
La pépinière et l’incubateur, c’est vraiment super bien parce qu’effectivement, il y a des gens qui vont vous cadrer, mais ça, ça dépend vraiment de l’incubateur, mais c’est bien parce que vous allez pouvoir échanger. C’est beaucoup plus facile de partager les coups de blues, c’est sympa de faire des apéros lorsqu’il y a de super bonnes nouvelles. Et ça permet de voir si on se plante, pas se plante, de discuter avec les gens « mon projet, tu penses qu’il est cool ? Là, qu’est-ce que tu penses, comment je le ferais ? ». Nous, par exemple, les tabliers sur les salons, on a osé le faire que parce qu’on en a parlé avec des gens qui étaient dans le couloir et qui nous on dit : « Mais votre idée est géniale, on ne vous parle plus si vous ne le faites pas ». Donc, on s’est dit « hop, on y va, on met des tabliers », Mais se dire « on va aller sur un salon, tout le monde sera en costard cravate, et puis nous, on aura des tabliers et des toques, on va offrir des glaces », en 2010… En 2010, il y a souvent des gens qui refusaient de nous parler avec nos tabliers. Mais voilà, on y est allé parce qu’on a discuté avec des gens dans les couloirs et qui nous ont dit : « C’est trop bien votre idée, allez-y, sinon vous êtes bêtes ! ». Est-ce que si on avait été tout seul dans un bureau, est-ce qu’on ne se serait pas dit « non, on va trop loin », et est-ce qu’on ne l’aurait pas fait ? Donc, voilà, c’est vraiment bien pour l’émulsion qu’il y a du fait d’être plein de créateurs d’entreprises ensemble. Oui ?
Public : Inaudible.
J-M. A. : Alors, ça dépend vraiment. Typiquement, c’est ce que j’expliquais hier, on a signé avec un ministère en 2012, on était six. On bosse avec les magasins BUT, ils sont quand même assez énormes. Il y a ce que tu veux vendre, donc il y a ta cible, et après en fonction. On bosse avec plein de gens qui sont deux ou trois ou quatre. Nous, on a décidé, au niveau de la taille, de ne rien s’interdire. Après, oui, forcément, aller signer avec le ministère, les magasins BUT, ou d’autres gros clients qui sont à plus de trois cents salariés, c’est compliqué. Tu ne vas pas y aller en sonnant en bas à la porte « bonjour, c’est moi, je vous vends un CRM », « cool, on signe ». Voilà, ça prend potentiellement plus de temps, potentiellement les salons sont une bonne raison pour les faire, potentiellement les apporteurs d’affaires sont une bonne raison pour les contacter.
Pour le public, c’est différent, il y a des appels d’offre. L’avantage du public, c’est qu’il y a des appels d’offre, donc à un moment ou à un autre, il faut avoir quand même un peu d’historique de vie derrière. Ce n’est pas tellement la taille, c’est leur dire « je n’ai pas six mois », c’est ça qui va être plus important. Mais par contre, la taille est beaucoup moins importante pour le public, surtout maintenant, l’argument PME est presque un plus, en plus.
Mais oui, bosser avec des grosses boîtes du privé, c’est toujours compliqué. Surtout si en plus, tu essaies de travailler avec une boîte parisienne et que toi tu es marseillais, comme nous, il y a la double peine. Donc, oui, bosser avec le privé, ce n’est pas forcément facile. Il y a toujours l’argument « ah ouais, mais si… ». Mais après, de toute façon, tu cumules : tu fais du logiciel libre, donc ce n’est pas du SAP, donc déjà, de toute façon, c’est compliqué, donc à un moment ou à un autre, il faut essayer. Ce n’est pas forcément les mêmes canaux pour rentrer à l’intérieur, mais honnêtement, il n’y a pas une barre anti-PME tout de suite qui arrive, ça va dépendre des gens en face, mais c’est possible. Et potentiellement, c’est plus simple de signer un gros contrat par an qui va faire un tiers de ton chiffre, que de signer cinquante petits qui vont faire un tiers de cinquantième de ton chiffre. Ça dépend. Et, suivant ce que tu vends, tu ne pourras jamais le vendre à des petits. Si tu veux être un presta Nagios, tu ne vas pas aller vendre à une boucherie le fait qu’elle doit gérer son Nagios sur son e-commerce où elle vend des kilos de bœufs, c’est juste pas possible.

Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Alors, nous, on a eu beaucoup de chance. Nous, on a vraiment un bon karma. On a démarré avec 21 000 euros en capitaux propres dont la moitié en prêt et l’autre moitié, on a pleuré à nos parents pour qu’ils nous donnent de l’argent. On a fait une première année où on a facturé, je ne sais même pas comment on est arrivé à un peu moins de 15 ou 16 000 euros, donc on ne s’est pas du tout payé la première année. Et après, on s’est dit « oh, mais il faut peut-être qu’on mange ! ». On était à l’époque où on était un peu au RMI, un peu ancien étudiant donc on avait l’habitude de manger des pâtes. Donc, nous ça a pris à peu près un an. Parce qu’après, on s’est dit « il faut qu’on mange, il faut qu’on bosse, il faut qu’on trouve des choses ». Et on a mis trois mois, on a eu de la chance, on a trouvé un contrat de presta sur du développement embarqué en C++ sur du long terme, pour deux personnes. Du coup, au bout de trois mois, on avait des micro-salaires. Quand je dis « micro », c’est de l’ordre de cinq cents euros par tête et par mois, donc c’est du « micro ». Et pour avoir un « vrai salaire », entre guillemets, c’est-à-dire pour être au SMIC, on a mis deux ans.
Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Nos salariés sont vraiment payés, avec des salaires normaux. Et nous, en tant qu’associés, on est à 1 500 net, tous les associés. Oui, on est associés salariés. Il faudra couper ça, sur la bande. Objectivement, on se paie beaucoup moins que si on était salariés. Après, c’est un choix d’entreprise. Nous, on veut grossir un peu pour arriver à douze, treize, quatorze, par là, cette taille-là. On embauche une personne tous les ans. À un moment ou à un autre, on se dit « cette année, est-ce qu’on s’augmente, nous, actionnaires ? Ou est-ce qu’on embauche quelqu’un ? ». Jusqu’à présent, la décision est toujours« on embauche quelqu’un ». Lui a un vrai salaire. Nous, on continue de se payer moins pour pouvoir embaucher quelqu’un tous les ans. Ce sont des choix.

J’ai des copains qui ont décidé de monter une boîte et de se payer autant que ce qu’ils étaient payés quand ils étaient salariés, donc qui ont des gros salaires, qui embauchent peut-être moins, mais du coup, qui se mettent plus la pression pour bosser. Voilà, nous, on diminue artificiellement notre charge, donc aussi, peut-être qu’on se met moins de coups de pied au cul, parce qu’on a moins de pression en disant « ça va ! ». Ça, ce sont vraiment des choix personnels. J’ai répondu à toute la question ?

Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Alors, ça dépend quand tu démarres, aussi. Tu as une gamine, tu as un boulot donc, au bout d’un moment, tu as des économies, donc, du coup, la situation de départ n’est pas la même. Nous, on a démarré, on était étudiants. Moi j’étais boursier, donc j’arrivais à trois cents euros par mois, donc j’avais juste pas d’économies, donc de toutes façons, je ne pouvais pas. Voilà, donc, se dire « o n va démarrer et se payer un salaire tout de suite », ce n’était juste pas possible. En plus, on démarrait en tant qu’étudiants, donc un client, on ne savait pas ce que c’était ; un réseau, on ne savait pas ce que c’était ; des gens, on connaissait nos camarades de promo. Donc il faut le temps de monter un réseau, il faut le temps de monter les gens, il faut le temps de choisir ce que tu vas faire, donc pour nous il faut le temps de perdre plein de temps à faire des trucs, n’importe quoi, pour après faire un truc qu’on peut vendre. Donc, il y a cette notion-là. Ça peut être plus court, ça dépend de comment tu démarres. Là, ça dépend vraiment de ta situation. Si tu veux devenir intégrateur, que tu es salarié, que tu as déjà des relations, que tu as déjà des clients et que tu pars avec deux/trois clients au départ, tu vas mettre trois mois. Nous, on était dans la pire situation du monde. Mais d’un autre côté, c’est aussi le truc, c’est de se dire « on n’a pas de thune, on est étudiants, ça fait trois ans qu’on est à l’école, donc ça fait trois ans qu’on mange des patates et des pâtes. On n’a pas de gamins, pour la plupart on était tout seul, on n’a pas de maison, on n’a pas de voiture, on n’a pas de crédit, on n’a rien, donc on n’a pas besoin d’argent, donc autant y aller, autant essayer de faire des choses, autant faire ce qu’on veut, on s’en fout, on n’a pas besoin d’argent ». Et puis, quand on a commencé à avoir de l’argent, on s’est mis à faire des choses qu’on pouvait facturer.
Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Ce n’est pas du tout le plus sexy. Je pense que si mon moi de 2004 rencontrait mon moi de 2008, quand mon moi de 2008 a dit « on va faire un CRM », mon moi de 2004 lui mettrait des gifles. Mais, voilà, on a créé en 2005. On a commencé à faire de la presta, donc on a fait plein de dev. À un moment ou à un autre, on s’est dit « on n’est que des dev, on est très mauvais pour vendre des choses, si on installait un outil pour nous aider un peu à vendre ». C’est moi qui me déguise en commercial chez Hybird, je me suis dit « si je m’installais un outil pour essayer de faire en sorte que je sois un peu moins mauvais commercial ! ». D’abord, je n’avais pas compris à quoi ça servait un CRM, je pensais que ça me rendrait meilleur, mais donc, du coup, je n’avais pas compris. Et du coup, j’ai testé Sugar, V-Tiger et tout le bordel. Donc, j’ai choisi d’utiliser V-Tiger. Et je faisais beaucoup de rencontres réseau avec d’autres chefs d’entreprises, etc. Et puis j’ai rencontré un autre chef d’entreprise qui faisait du logiciel libre, mais depuis bien plus longtemps que moi, et qui avait monté une vraie boîte, et qui me dit : « Tiens, moi, j’aimerais bien un CRM ». Donc, la première fois, je lui dis « écoute, on a un serveur, le load est tout bas, et tout, je te le déploie, tu testes, tu regardes et puis tu l’utilises, ça ne me coûte rien ». J’ai fait ça deux fois et puis la troisième fois, le mec m’a dit : « Moi, j’aimerais bien te faire un chèque pour ça ». Je fais « quoi ? Ah bon, de l’argent ? Bon, eh bien OK, allons-y ! ». Et on est devenu intégrateur de CRM comme ça. Pour de vrai. Mais, c’est vrai, c’est vraiment le troisième qui m’a proposé de nous donner de l’argent. Puisque pour moi, c’était un pote, donc je lui déployais son CRM et puis il l’utilisait et puis voilà, quoi. Et donc, on s’est mis à avoir des clients, pas mal, des gros clients d’ailleurs. Et à un moment ou à un autre, on s’est dit « on veut devenir éditeur, pourquoi est-ce qu’on ne le ferait pas dans un domaine qu’on connaît ? ». OK, ce n’est pas sexy le CRM, mais au moins, on connaît, on peut peut-être apporter des choses dans Crème, des trucs qui n’existaient pas dans les autres CRM, en tout cas, à l’époque. Et c’est comme ça qu’on a créé Crème. Voilà, c’est du hasard pur de A à Z.
Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Oui, c’est vrai que le logiciel de gestion est pas souvent super « bandant ». Faire du B to C, faire des machins, c’est un peu plus rigolo. Faire de la gestion… Même le CRM, on peut plus s’amuser, « s’amuser », entre guillemets. Mais, voilà, faire de la compta, de la facturation ou même de la cartographie de compétences, ce n’est pas super. Et puis, niveau algorithmie, ce n’est pas non plus super… D’autres question ? Oui ?
Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Non, j’ai dit que je ne trollerai pas pendant la conf. Effectivement, au départ, on a fait un PRCE, un Prêt Régional à la Création d’Entreprise. Après on a eu un aide de l’OSEO [3] au démarrage de Crème, qui nous a d’ailleurs pas mal aidé, donc une « petite aide », entre guillemets, pour les volumes OSEO. Tout le reste, on n’a juste jamais essayé ou même essayé d’aller au bout. On a voulu faire un dossier JEI [NdT. Jeune Entreprise Innovante], avec un cabinet conseil, à la fin je pense que j’étais leur bête noire et puis à la fin, je leur ai dit « mais arrêtez, je ne vais jamais y arriver ». Voilà ! Il y a des choses qu’on ne sait pas faire. Et faire un dossier de subvention, je ne sais pas faire, je n’ai pas envie de faire, et puis ça me fait chier. Donc, c’est pour ça que je ne parle pas de dossier de subvention, parce qu’on est pas très très bon là-dedans, et je n’ai pas envie de vous dire que c’est compliqué, que c’est long, etc., juste parce que c’est mon ressenti perso et que ce n’est pas forcément vrai. Par contre, OSEO sont des gens à aller voir, bon ils ne s’appellent plus OSEO maintenant mais la BPI [NdT. Banque Publique d’Investissement], ils sont des gens à aller voir parce que ce sont, potentiellement, les seuls dossiers que nous on est arrivé à finir, alors c’est dire qu’ils sont simples. Et ce n’est pas super compliqué, ils sont plutôt à l’écoute, ils comprennent ce que font les gens, ils comprennent ce que font les gens en informatique, ce qui n’est pas souvent le cas pour les subventions, donc ça c’est bien. Donc, la BPI, il faut y aller, ils sont sympas, ils sont gentils, les dossiers ne sont pas trop lourds. Le reste, on n’a jamais, je n’ai jamais eu le courage.
Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Ouais, nous, on voulait faire un « rescrit » [NdT. Le rescrit fiscal est une réponse de l’administration à vos questions sur l’interprétation d’un texte fiscal], etc., pour être sûrs. Moi, je n’aime pas que… Donc, j’ai voulu faire le dossier complet pour le rescrit, pour le machin truc, et puis j’ai commencé à faire. Et puis, ça me gonflait d’écrire comme il fallait. Il fallait que j’explique dans un langage compréhensible par les gens qui vont lire le dossier JEI, ce qu’on faisait. Donc, ça m’a gonflé. On a mis six mois et au bout de six mois, j’ai arrêté. Mais, on n’est pas un bon exemple. À ce niveau-là, les subventions publiques, si vous êtes capables d’en faire, faites-en. Nous, on n’y est juste pas arrivé. Encore quelques questions ?
Public :
Inaudible.
J-M. A. :
Pour choisir ? Du coup, j’ai aussi hérité du droit d’être gérant. Ça s’est choisi à l’unanimité moins une voix, la mienne. Donc, voilà. Et au final, ça a commencé comme ça. Et plus personne n’a envie de faire ce que je fais parce que cela a l’air trop chiant, donc je continue. Pour être totalement honnête, au départ, c’était très chiant, aller vendre des choses, je n’aimais pas du tout. Au final, c’est sympa aussi, c’est un plaisir différent. Donc, je code beaucoup moins, ça, c’est clair, mais si ça me faisait chier, la situation ne serait pas restée comme ça. Donc, c’est juste un domaine de compétence différent que, potentiellement, suivant ton ressenti, tu peux apprendre à aimer et tu peux même arriver à te dire que tu es plutôt content de le faire. Voilà, je suis plutôt dans cette situation-là, donc en fait, je suis plutôt content de faire le commercial et c’est plutôt classe de venir faire des confs aux RMLL.

Oui, au départ, c’était juste la courte paille. D’ailleurs, un peu moins maintenant, mais on aimait bien, à l’époque, faire un peu stresser les gens qui étaient en face de nous, donc on a fait un concours pour l’ordre des experts-comptables, qu’on a gagné, etc. En assemblée générale, on était tout content, on avait un simple diplôme en papier. Donc, on a gagné le droit d’avoir un compte ouvert à la banque. Donc du coup, ça a été plus simple pour avoir un compte et après, du coup, on a demandé un prêt bancaire, etc. Donc, pour avoir un prêt bancaire en tant qu’entreprise, il faut signer des dizaines et des dizaines de papiers. Et, c’est le gérant. Les actionnaires un peu et le gérant beaucoup. Et, je me rappelle, on arrive, c’était un soir, rendez-vous avec la banque. Donc il y avait la banquière et nous quatre, et on signe des papiers. Mes trois associés avaient fini super vite et moi je signe, je signe, je signe et j’en avais marre. Et à un moment, je me relève et puis je fais « c’est bientôt fini ? », « ouais, c’est bientôt fini ». « Bon, la prochaine fois, ce n’est pas moi le gérant, parce que là, je n’en peux plus ». Elle a eu un instant d’arrêt, elle est devenue toute blanche, elle m’a fait : « Non, mais M. Armand, pas la prochaine fois, là, c’est bon quoi, on vous a fait un prêt là ! ». Voilà. On a un peu arrêté de faire des blagues comme ça, par contre.
Une autre question ? Bon, c’est fini. Merci d’être restés aussi longtemps.
Applaudissements.
[footnotes /]

Références

[3OSEO

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.