- Titre :
- Contributopia : Dégoogliser ne suffit pas ! Peut-on faire du libre sans vision politique ?
- Intervenant :
- Pierre-Yves Gosset
- Lieu :
- Rencontres mondiales du logiciel libre 2018 - Strasbourg
- Date :
- juillet 2018
- Durée :
- 1 h 29 min 40
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- David Revoy Contributopia - Accueil - Licence Creative Commons By 4.0
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Peut-on faire du libre sans vision politique ?
Suite à sa campagne « Dégooglisons Internet » (oct 2014 - oct 2017), l’association a fait le bilan, calmement. Et il n’est pas brillant.
En quelques années, les GAFAM/BATX/NATU (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi, Netflix, AirBnb, Tesla, Uber) ont « colonisé » le monde, en formatant nos interactions, en normalisant nos relations, en orientant nos consommations, en contrôlant notre pouvoir d’agir. À l’œuvre derrière cette mécanique, une mutation économique et sociale : le capitalisme de surveillance.
Avec sa nouvelle feuille de route « Contributopia », Framasoft souhaite mettre en place des outils et accompagner des dynamiques collectives qui permettraient de pouvoir agir plutôt que de subir. Il ne s’agit plus seulement de savoir « ce que nous refusons » (le logiciel propriétaire, les attaques contre nos libertés fondamentales, etc.), mais aussi de définir « quel monde nous souhaitons », et comment le logiciel libre et les communs peuvent nous aider à y le mettre en œuvre.
Nous essaierons donc de poser les faits qui démontrent que l’open source se porte (très) bien mais que le logiciel libre (= open source + valeurs + éthique) soit dans une ornière depuis plusieurs années.
Pour sortir de l’ornière, mais aussi de l’épuisement, ne devrions-nous pas faire un pas de côté et réinterroger les pratiques, les fonctionnements et les visions de nos communautés libristes ? Ne plus voir le logiciel libre comme une fin en soi nous permettant de nous libérer nous (libristes), mais comme un outil inspirant capable de favoriser l’émancipation de toutes et tous, et d’accélérer des transformations sociales positives ?
La question politique a toujours été centrale dans le mouvement du logiciel libre, mais les questions économiques, techniques et juridiques - elles aussi profondément politiques, mais évitant soigneusement notre capacité d’avoir une vision globale - ont parfois posé un voile sur notre faculté à nous projeter ou à passer de la réaction à l’action.
Et vous, comment imaginez la place du logiciel libre dans la société dans 3, 5 ou 10 ans ?
Transcription
Peut-on faire du libre sans vision politique ?
Dégoogliser ne suffit pas. Peut-on faire du Libre sans vision politique ? Déjà je spoile, la réponse est non ; je vais réexpliquer pourquoi. Encore une fois je redis parce que là, du coup, la conférence sera coupée, enfin la vidéo sera probablement coupée en deux, donc pour ceux qui n’ont pas pu ou qui n’auront pas visionné la vidéo d’avant. Tu veux peut-être une pause ? Non c’est bon ! Ça continue à tourner.
Je vais quand même me représenter, ça va faire un peu bizarre mais c’est volontaire.
Je m’appelle Pierre-Yves Gosset, je suis délégué général d’une association qui s’appelle Framasoft [1] qui, depuis une dizaine d’années, fait la promotion du Libre — culture libre, logiciels libres ; maintenant on déborde aussi sur les communs, on déborde sur le capitalisme de surveillance aussi.
L’objectif de cette deuxième conférence qui suit le bilan de ces trois années de campagne de « Dégooglisons Internet » [2], je l’ai donc appelée « Peut-on faire du Libre sans vision politique ? », sachant que chaque année aux RMLL — et là, rien que cette année, je crois qu’il y a au moins trois conférences qui tournent autour de ce sujet-là — ce n’est pas un sujet nouveau, ce n’est pas un sujet qu’amène Framasoft, c’est un sujet sur lequel Framasoft veut un, se positionner et deux, utiliser finalement sa capacité médiatique et sa légitimité dans ce milieu du logiciel libre pour porter, elle aussi, ce message-là. Ce que je vais dire n’aura peut-être rien de nouveau pour certains et certaines d’entre vous, mais il faut bien, à un moment donné aussi, que ça soit redit par d’autres personnes.
Soyez indulgent·e·s
Je vais vous demander d’être indulgents et indulgentes, la conférence c’est la première fois que je la fais, je l’ai finie hier soir, celle du bilan je l’ai finie tout à l’heure, mais celle-là je l’ai finie hier soir.
55 diapositives qui sont un peu chargées, très inspirées, finalement, d’autres visions, d’autres personnes, de rencontres, voilà. Aussi de mon expérience plus que de celle de Framasoft sur des sujets qui vont être parfois clivants, parfois trollesques, mais bon, après tout !
J’utilise l’écriture inclusive et je vous emmerde !
Et c’est plus moi qui parle que Framasoft dans cette conférence-là, même s’il y a beaucoup de points communs et je vais m’inclure dans l’autocritique que je vais faire.
Assertions
Très rapidement, deux affirmations que je ne prétends pas universelles.
Quand je vais parler du Libre, ma définition à moi du Libre, celle que j’utilise aujourd’hui, ce n’est pas celle que j’utilisais hier qui était plutôt celle des quatre libertés ; ce n’est peut-être pas celle que j’utiliserai demain, peu importe, mais en tout cas aujourd’hui, quand je vais vous dire Libre, je vais penser « open source + valeurs », notamment valeurs éthiques et valeurs sociales. Ce qui veut dire que l’open source, quelque part, si on retourne l’équation, c’est bien du « Libre - des valeurs éthiques et sociales ».
Et quand je vais parler de politique c’est l’« ensemble des discours, actions et réflexions ayant pour objet l’organisation du pouvoir au sein d’une société ». Vous pouvez ne pas être d’accord avec ça, ce n’est pas grave, personnellement ça m’en touche une sans bouger l’autre, c’est juste le point de départ de tout ça.
Nous avons cru nos propres mensonges
Première chose – oui, j’avais dit que je ferai du clickbait aussi – nous avons cru nos propres mensonges, donc je vais redire là encore des choses qui ont souvent été dites, mais je vais essayer d’en ré-synthétiser quelques-unes.
- Premier c’est que « le Libre a gagné ! »
Pour moi c’est faux. Jusqu’à il y a peu, on va dire cinq-dix ans, on avait d’un côté le logiciel privateur dont les valeurs sont l’enclosure, le marché, les formats fermés, la propriété intellectuelle et tout, le tout basé sur un code propriétaire c’est-à-dire pour lequel on n’a pas accès à la recette de cuisine du code et, en face, vous aviez le logiciel libre avec ses valeurs, son éthique et surtout, enfin surtout, aussi des qualités techniques de transparence, de pérennité du code, de partage éventuellement du code, alors pas toujours dans l’open source, mais voilà ! Donc des qualités techniques et des valeurs éthiques et sociales.
Depuis quelques années, l’analyse que j’ai c’est que le capitalisme de surveillance est venu un petit peu transformer tout ça. Typiquement quand on voit la Linux Foundation [3] qui travaille essentiellement avec des grosses boîtes c’est très bien, mais ils font plutôt de l’open source. Quand on voit Microsoft qui rachète GitHub, pareil, on voit bien que Microsoft fait de l’open source, Microsoft ne fait pas du logiciel libre, si on part de ma définition.
Donc on a petit à petit une forme de réduction des valeurs éthiques et sociales du logiciel libre par rapport à cette open source très envahissant. Ça ne veut pas dire que nous, intérieurement, on est moins militants, mais concrètement ça devient difficile de ne pas être assommés par la puissance de l’open source en face, à partir du moment où vous avez dans les plus gros contributeurs à l’open source Google, Apple, Facebook – enfin Apple pas trop – Google, Facebook, Microsoft maintenant, etc.
De l’autre côté, dans le camp d’en face, comme il y a moins de production de code propriétaire quelque part — enfin moins ça ne veut pas dire en quantité mais potentiellement moins visible — ça a laissé, à mon sens, par une espèce de jeu de vases communicants, beaucoup plus de place et ils sont beaucoup plus hargneux sur le fait de défendre leurs valeurs. Et c’est un petit peu de ça dont je voulais parler.
Est-ce que les libristes se détournent de l’open source ? Je ne sais pas.
Quand on vient me dire « non mais c’est bon le logiciel libre a gagné », concrètement ce qu’on m’a dit il y a quelques semaines lors d’une interview radio, la réponse est non, le logiciel libre n’a pas du tout gagné. Ça va être assez compliqué là-dessus. - Le Libre c’est simple, je vais t’expliquer.
Faux. [Projection de la carte conceptuelle sur la page logiciel libre de Wikipédia]. Sans déconner si vous allez sur la page Wikipédia – logiciel libre [4], c’est ça. On ne peut pas dire aux gens « c’est simple, machin et tout » ; réflexe : admettons que la personne soit un petit peu ouverte d’esprit elle va se dire : je vais regarder sur Wikipédia ; elle tombe sur ce graphique-là, tout en haut. Voilà ! C’est ça qui explique le logiciel libre aujourd’hui ! Vous allez me dire les Anglo-saxons sont meilleurs ! [Projection de la page en.wikipedia/free_license] [5]. Raté !
Après on dit « ouais, de toutes façons il y a des équivalents ». Nous, à Framasoft, on parle toujours d’alternatives et on est conscients que ce ne sont pas des équivalents. - « Le Libre c’est pareil ! »
Mais non ! Le Libre ce n’est pas pareil ! Voilà la page d’accueil de Discord par exemple, qui est un logiciel qui permet de faire de la discussion, enfin c’est une espèce de chat texte plus voix, utilisé par des millions de personnes sur la planète, qui sert aux gens à s’auto-organiser. Donc c’est un outil important si on veut, nous, réussir à nous auto-organiser, on peut aller regarder comment ça fonctionne, etc.
Vous allez me dire « oui, mais dans le logiciel libre, on a plein de logiciels qui font la même chose que Discord depuis avant Discord et TeamSpeak ou Skype ». Typiquement il y a un truc qui s’appelle Mumble. Voilà la page d’accueil de Mumble. Et quand vous voulez télécharger Mumble [6], parce que c’est là, c’est Download Mumble la page n’est pas en français, vous avez tout de suite le petit schéma ; encore une fois à moi ça ne cause strictement aucun problème, mais il faut que je fasse un choix entre Windows, Windows x64, Ubuntu, iOS, machin, et après on va me dire « est-ce que tu veux de l’AMD-64, du i-386, etc. »
Sérieusement ! J’ai entendu, je crois « c’est bien ! » Quand je vais sur la page de Discord, si je viens avec un Mac on reconnaît que c’est un Mac et automatiquement on me propose la version Mac par défaut, il y a petit lien, enfin ce que fait très bien Firefox et ce que fait très bien maintenant LibreOffice, mais pendant des années LibreOffice utilisait exactement le même type de page ; maintenant c’est bon, par défaut on détecte ; on améliore juste l’expérience utilisateur pour rassurer l’utilisateur qu’il a tout à fait raison de venir utiliser ce logiciel.
Vous avez à gauche la présentation de ce à quoi ressemble Discord, donc une espèce de Slack, de Mattermost, de RocketChat ou de Framateam, si vous voulez, en termes de visualisation, et à droite la bonne vielle interface, alors je crois que c’est du Qt [7] de chez Mumble, efficace, mais putain, qui a 15 ans, du coup c’est compliqué, je veux dire juste en termes de design, d’envoyer des utilisateurs là-dessus. Il y a une vraie problématique de design sur comment est-ce qu’on pense nos logiciels. Est-ce qu’on pense à l’utilisateur ou pas ? J’ai vraiment des doutes ! - « Le libre, c’est des millions de contributeurs et de contributrices ».
Faux. Vous vous en doutiez ! C’est surtout des milliers, des millions de consommateurs et de consommatrices. Donc là je fais le lien avec la conférence que je viens de finir sur cette société de consommation dans laquelle nous, du coup à Framasoft, on voit bien qu’on a surtout des clients plus que des utilisateurs et des utilisatrices et c’est un petit peu difficile parce qu’on propose quelque chose et les gens arrivent, enfin je n’ai pas précisé tout à l’heure, mais sur Framasoft le support c’est quasiment 80 mails par jour auxquels il faut répondre ; il faut ! auxquels on répond parce qu’on a bien envie d’y répondre et parce qu’on paye quelqu’un pour y répondre, mais c’est quand même compliqué.
Concrètement, je reprends ici quelques chiffres. Forcément, vous allez me dire il y a les gros paquebots du Libre : typiquement Firefox c’est 1000 salariés ; LibreOffice c’est là aussi beaucoup de développeurs et de développeuses qui travaillent ; c’est chouette, mais si on regarde dans les faits concrètement comment ça se passe, le Libre est totalement indigent.VLC – non Jean-Baptiste Kempf, le président de VideoLan, n’est pas là je crois cette année, mais je lui ai demandé confirmation – c’est une dizaine de personnes qui font plus de 100 commits ; un commit c’est une modification de code source ; j’ai été chercher les chiffres en 2017.
À chaque fois que je présente cette slide on vient me voir à la fin : « Oui mais quand même, les commits on peut en faire plein, on peut en faire pas beaucoup, etc. » OK, pas de problème, peu importe ce avec quoi on mesure. Je maintiens que mon argument reste juste et si vous voulez vous-même faire des mesures par commit, par utilisateur, sur la taille du commit par machin, etc., vous pouvez le faire, et les résultats m’intéressent, mais là je suis allé au plus vite et pour moi c’est assez parlant.
Inskape c’est 8 personnes qui font plus de 50 commits dans l’année.
Gimp c’est 6.
Thunderbird c’est 6. Alors Thunderbird a réembauché des gens, donc c’est très bien vous allez me dire que sur ces 6 là ils ne vont pas faire seulement plus de 50 commits, ils vont peut-être en faire plus de 5000 par an, mais ça ne résout pas le problème d’un très petit nombre de personnes qui modifient et qui maintiennent le code.
Diaspora 4.
Etherpad 0. Etherpad, qui est utilisé par des millions de personnes sur la planète, n’a pas de développeur. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a personne qui développe dessus. Mais ça veut dire qu’il n’y a pas une personne qui est très active dessus et moi ça me pose vraiment un problème parce que, derrière, nous on a fait les malins, on a mis du Framapad, du machin, etc., c’est cool ! Sauf que c’est pareil on n’a pas nous de développeur pour réellement prendre le temps de développer sur tous ces logiciels.
Donc ça pose quand même un véritable problème et qui est, pour moi, un des principaux problèmes sur lesquels on va essayer de travailler nous, sur les prochaines années, dans cette campagne « Contributopia ». En plus l’immense majorité, à part chez VLC où ils sont payés, je ne crois pas que chez Inskape, Gimp, Diaspora c’est sûr et Etherpad je suis sûr aussi, personne n’est payé là-bas. Chez Thunderbird il y a des salariés, chez VLC il y a des salariés mais, pour le reste, la réponse est non.
Sur quoi reposent nos infrastructures numériques ? C’est titre d’un ouvrage qu’on a traduit dans la collection Framabook [8], vous pouvez aller le récupérer, le télécharger librement gratuitement, etc., et le lire ; ça a été écrit par Nadia Eghbal qui entre un petit peu dans le détail et dans le fond de cette problématique-là.Ça c’est une image, c’est l’affiche du film Idiocratie , mais c’est un petit peu la représentation que moi j’ai du Libre communautaire en 2018. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien, ça ne veut pas dire que les gens sont nécessairement malheureux, mais concrètement ça se dégrade petit à petit et ce n’est pas la fête !
- Le logiciel libre est un « commun ».
Ça c’est une évidence pour moi et du coup il va falloir réussir à en prendre soin. - Dernier mensonge, « À la fin c’est nous qu’on gagne ! »
Je l’entends souvent cette phrase. C’est chouette, elle redonne de l’espoir, etc., c’est comme dire « à la fin la planète va s’en sortir ! » OK ! Si vous voulez !
Réalité
Pour moi on se fait quand même défoncer la gueule tous les matins au petit déj, que ça soit les lois, que ça soit… – on pourra rentrer dans le détail tout à l’heure, je pense, de toutes ces problématiques-là –, mais ce que je veux dire c’est que tous les matins arrivent des contre-mesures par rapport au monde qu’on essaye de construire et arrivent des contre-discours par rapport à celuui qu’on essaye d’inventer : le monde du premier de cordée ce n’est pas le mien ; le monde de la start-up nation ce n’est pas le mien ; le monde de Parcoursup ce n’est pas le mien – oui Parcoursup est hébergé sur Framagit, comme je le disais dans la conférence d’avant, on fait la différence entre héberger quelque chose et être contre quelque chose ; enlever 5 euros d’APL, forcément pour des étudiantes et des étudiants qui potentiellement pourraient travailler, eh bien c’est con à dire mais s’il faut qu’ils aillent chercher à bouffer, c’est un peu plus compliqué pour eux et on ne peut pas leur en vouloir de ne pas développer.
On sous-estime systématiquement les opposants à notre modèle.
Je ne suis pas si vieux que ça mais enfin ça fait quand même maintenant quelques dizaines d’années, je peux les compter en deux dizaines, que je suis dans le milieu du logiciel libre et que j’utilise des logiciels libres, et on arrive à parler de nous, on arrive à documenter ce qu’on fait, etc. Je trouve qu’on n’a pas fait un très gros travail de documentation sur les histoires, les objectifs, les dynamiques et les moyens mis en place par les GAFAM notamment ; moi je suis assez surpris. Alors ça commence à percer, il y a des travaux notamment de sociologues et d’économistes qui commencent sur le capitalisme de surveillance, mais ce sont des travaux de recherche, donc ils prennent du temps. Ce sont des gens qui sont bien plus pointus que nous, mais, du coup, le temps que leurs travaux soient publiés ! Je vous parlais tout à l’heure, dans la conférence d’avant, de Shoshana Zuboff qui, on va dire, est un petit peu la spécialiste du capitalisme de surveillance ; elle va publier un livre sur le capitalisme de surveillance, en anglais, mais le temps qu’il soit traduit, etc., eh bien il se passe beaucoup de temps et en attendant on ne voit pas venir concrètement quelles sont les actions que mettent en place les entreprises du capitalisme de surveillance et les structures du capitalisme de surveillance.
Je prends juste un cas, le Embrace, Extend & Extinguish qui est une doctrine qui a été affirmée par un juge lors d’un jugement de Microsoft je crois que c’est en 95 ; un juge américain qui disait : « La méthode de Microsoft c’est Embrace, Extend & Extinguish » donc « adopter, étendre et étouffer ». C’est typiquement ce qu’ils vont faire avec GitHub par exemple. On peut se dire on s’en fout, GitHub ce n’est pas un site libre, etc., oui très bien ! On voit bien qu’ils sont en train de récupérer l’open source, donc ils adoptent aujourd’hui les technologies de l’open source parce qu’elles sont efficaces ; ils vont les étendre. Comment ? On commence à voir des pistes, mais on voit bien qu’ils vont récupérer un certain nombre de choses. Je discutais avec un des responsables de Microsoft il n’y a pas longtemps et il disait : « Du modèle Freemium, du modèle où on vous rajoute de l’intelligence artificielle, etc. », sauf que ça sera l’intelligence artificielle de Microsoft. Donc les codes open source déposés sur GitHub vont être traités par de l’intelligence artificielle made in Microsoft qui, elle, ne sera pas open source. Donc c’est vraiment : ils ont adopté, ils vont étendre et, à la fin, leur objectif est évidemment d’étouffer le mouvement que nous portons.
Troisième point on ne propose toujours quasiment pas d’imaginaires positifs ; il y en a quelques-uns qui pointent mais qui sont, pour l’instant, peu visibles et il faut qu’on arrive à les rendre visibles, aujourd’hui, dans le discours et dans le récit ! Là aussi, je le disais dans la conférence d’avant, moi pendant trois ans j’ai fait une conférence en expliquant quels étaient les problèmes de la triple domination de Google, de la colonialité qu’ils nous imposent, etc. ; c’est quand même assez emmerdant à la fois pour moi parce que je vous ai dit la charge mentale et l’anxiété que ça peut générer, mais nos imaginaires sont contraignants. OK ! Comment est-ce qu’on peut les rendre moins contraignants ? Ils sont, pour l’instant, souvent très élitistes. Quand on parle du Libre, parfois on s’emballe un petit peu en disant « mais ce n’est pas grave, tu fais sudo apt get install, machin, bidule ». Non ! C’est une forme d’élitisme et il va falloir qu’on puisse réussir à sortir de ça.
Enfin et surtout, on ne s’auto-organise quasiment pas. Dans nos communautés libristes, dans nos communautés libristes ça va plutôt bien. La problématique c’est comment on s’auto-organise avec les autres ; quand je dis les autres c’est à la fois, je vais y venir, sur la question un petit peu de l’archipellisation du logiciel libre, mais aussi les entreprises du Libre aujourd’hui. Je sais qu’il y en a, je les vois, je suis très copain avec plein de gens qui sont patrons, patronnes d’entreprises du Libre, c’est chouette ! Sauf que quand on me contacte, et ça m’est arrivé, je vais donner une anecdote très concrète : quatre agricultrices en sud Bretagne qui me contactent en me disant : « On voudrait faire développer une application mobile pour nos traites des vaches parce qu’on a une exploitation de vaches qui font du lait bio et, aujourd’hui, les logiciels qui existent ce n’est que du propriétaire, etc. Est-ce que vous pouvez nous aider ? En plus on est financées par je ne sais plus quoi, quel organisme, etc. » Donc elles ont de l’argent, elles ont un besoin, elles ont surtout une valeur qu’elles veulent porter qui est que ce logiciel doit être libre. Donc je leur fais : « Ah, c’est super cool, je vais vous mettre en contact avec des entreprises qui font ça parce que nous, Framasoft, on ne le fait pas. » J’ai sollicité différents réseaux en disant « entrez en contact » ; j’ai eu des retours il y a un an ou deux — ça datait d’il y a trois-quatre ans — et on m’a dit « mais en fait, finalement ça ne s’est pas fait je crois ! » Voilà ! Pourquoi, comment, etc. ? On a du mal à auto-organiser et du coup je me dis : si elles sont allées chez Cegid ou machin, c’est quand même un petit peu dommage !
Mutualisation des moyens de production.
Là aussi c’est pour l’anecdote. J’étais aux états généraux du numérique du parti communiste, c’était au mois de mars. J’intervenais aux côtés d’un élu parisien en charge du logement qui critiquait la problématique de Airbnb qui fait monter le prix des loyers et qui, du coup, génère de la gentrification, etc. Et il a fallu que je lui rappelle ce que c’était, à lui élu communiste, la mutualisation des moyens de production, ce qui m’a plutôt fait rire. Concrètement si Paris était capable de travailler avec Lille ou avec Brest, etc., on pourrait développer du logiciel libre. Évidemment le développer en one-shot c’est compliqué ; c’est moins cher d’aller voir la start-up d’à côté mais pour quel coût à long terme ?
Stratégie du choc
Concrètement, j’ai un peu l’impression qu’on est toujours en état de sidération, on passe toujours d’états qui sont épuisants entre « ah oui c’est trop bien » ; là du coup « ah la directive copyright, article 13, c’est bien, on a gagné » et puis paf ! Il y a une autre loi qui arrive derrière, etc. Je ne sais pas exactement comment est-ce qu’on s’en sort.
Winter is Coming
D’autant que l’hiver arrive et que ce n’est pas hyper bien barré.
Je vous rassure on a quand même eu quelques victoires. Je ne sais pas si Snowden est une victoire, mais, en tout cas, je pense que je voue une admiration sans borne aujourd’hui à Edward Snowden d’avoir aidé et participé à rendre publiques ces problématiques. Pareil, ce sont toujours des victoires en demi-teinte. Le RGPD [Règlement général sur la protection des donnée], personnellement je ne le traiterais pas nécessairement comme une victoire, mais, en tout cas, c’est un point intéressant sur lequel on peut construire. Bon !
J’ai quand même l’impression que, collectivement, on a un peu merdé.
J’en viens à un point un petit peu touchy. Ça fait plus de 15 ans maintenant que je suis membre de différents GULL, Groupe d’utilisateurs de Logiciels libre, c’est pour ça que je m’inclus dans l’autocritique ; quand je dis que je suis membre, j’ai été adhérent, j’ai été membre du conseil d’administration de différents GULL dans les différentes villes où j’ai habité, etc. ; on arrive et on a toujours ce modèle, je ne sais pas, de l’install-partie de « tiens je vais te montrer telle ou telle chose, etc. », mais on part très rapidement dans nos guerres de chapelles : on va dire « mais tu utilises windaube, machin, etc. » Tout ça a été dit 50 fois aux RMLL mais c’est toujours vrai aujourd’hui ! Qu’est-ce qui nous manque pour changer ?
De la politique, oui. Mais laquelle ?
Si on avait été dans une autre forme d’organisation j’aurais bien posé ces deux questions en débat mouvant parce qu’elles vont me servir par la suite. Quel rapport avec le logiciel libre ? je vais y venir ; deux phrases :
« Le changement climatique est un problème majeur et pas uniquement écologique mais aussi politique et économique ». Je trouve que déjà se positionner sur cette question-là ce n’est quand même pas mal.
« S’attaquer sérieusement à ce problème (et à d’autres… guerres, pauvreté, etc.) implique une remise en cause profonde de nos modèles économiques et particulièrement de la notion de croissance. »
Ces deux phrases sont assez vieilles, elles ont plus de dix ans aujourd’hui ; c’est un groupe de blogueurs qui s’appelle les Freemen, je crois, qui avaient positionné ces questions pour dire « est-ce qu’on se retrouve autour de ces questions-là ou pas ? », et je vais y revenir.
Je vais quand même passer 4 minutes 30 de philosophie, enfin de philosophie, un petit extrait d’une conférence de Bernard Stiegler qui aborde un certain nombre de concepts. Il ne les aborde pas tous ici, en 4 minutes 30 c’était un petit peu compliqué. Je remercie nos amis de DataGueule d’avoir réalisé cette vidéo. DataGueule est une petite boîte de production et de journalistes indépendants qui produisaient des formats courts pour France 2 et qui ont récemment sorti un film qui s’appelle Démocraties [9] au pluriel, que vous pouvez visionner librement sur Internet et sur PeerTube. Alors demo live, du coup il faut que je balance mon VLC. Hop ! Il faut que je vous mette un petit de son, ça va prendre quelques secondes. Hop ! Est-ce que vous entendez ? Ah ben non, ça ne risque pas de marcher si je ne déplace pas une petite fenêtre… Hop ! Est-ce qu’il va réussir à me le faire !
Public : Tu passes sous Windows !
Pierre-Yves Gosset : Ouais, c’est ça, exactement ! Ça va être dur de viser le 4 minutes 23, mais je peux le faire parce que VLC est un super logiciel. Hop !
Projection d’un extrait de la vidéo réalisée par DataGueule « La faim du travail » [10]
Bernard Stiegler : L’employé le mieux payé du monde s’appelait Alan Greenspan et c’est lui qui l’a dit le 23 octobre 2008 lorsqu’il a dû, auditionné par le Sénat américain, expliquer pourquoi ça ne fonctionnait pas. Eh bien il a expliqué qu’en fait il ne comprenait pas comment ça marchait ; qu’il était là pour servir le système et que plus personne ne comprenait comment ça marchait.
J’ai appelé ça « le prolétaire le mieux payé du monde ». C’était le président de la réserve fédérale des États-Unis, c’est-à-dire patron de la finance mondiale et ce qu’il disait c’est « je n’y comprends rien ». C’est ça la prolétarisation. Vous servez un système, vous ne savez pas comment il fonctionne, vous ne pouvez pas le changer, vous ne pouvez pas le critiquer.
On est arrivé à un niveau d’hyper-prolétarisation, d’extrême rationalisation, d’extrême taylorisation, qui aboutit finalement maintenant à un énorme problème : c’est que les tâches sont tellement parcellisées , tellement formalisées, qu’on n’a plus besoin des employés, on peut de plus en plus les remplacer par des algorithmes ou par des robots.
À partir du moment où les robots remplacent les employés, les employés n’ont plus de salaire donc ils n’ont plus de pouvoir d’achat. Les robots produisent, mais il y a de moins en moins de gens pour acheter ce qu’ils produisent. À partir de là il y a un effondrement macro-économique inéluctable.
La disparition de l’emploi doit être transformée en chance. Ce que nous soutenons c’est qu’il faut faire de la redistribution sur un autre critère que l’emploi et qu’est-ce que nous appelons le travail ?
Pour beaucoup de gens, le travail et l’emploi c’est la même chose ; pas pour nous. Pour nous, un travail c’est ce qui ne peut pas être automatisé. Un travailleur qui a un vrai savoir produit de la différentiation, de la diversité, ce qui permet d’augmenter la complexité, la diversification d’un système pour le rendre plus résilient.
Il faut, aujourd’hui, produire de l’intelligence collective parce que nous sommes en train de foncer vers de très gros problèmes et nous devons résoudre ces problèmes. À partir de là il faut se dire : la perte de l’emploi c’est une chance à condition de la transformer en économie du travail qu’on appelle le travail contributif dans une économie contributive et basé sur un revenu contributif.
Tout ça est rendu possible par une technologie qui s’appelle la technologie numérique et, en effet, la technologie numérique c’est ce que, depuis Socrate, on appelle un pharmacon : c’est à la fois un poison et un remède. Si on n’en a pas de politique, si on ne prescrit pas de nouvelles façons de s’en servir, si on ne donne pas aux gens la possibilité d’avoir une intelligence de ce que c’est que cette technique, pas simplement une intelligence individuelle mais une intelligence collective, alors on permet à des prédateurs comme Uber ou d’autres, finalement de capter toute la valeur possible tout en détruisant les sociétés, parce que c’est ce qui se passe.
Ou bien on peut au contraire dire « on va s’emparer de cette technologie pour reconstruire une société mais sur des bases tout à fait nouvelles » ; mais ça, il faut s’en donner les moyens.
Je vous donne un exemple sur le problème du remplacement. On parle beaucoup des Smart Cities, moi-même je m’y intéresse beaucoup. Aujourd’hui, il y a deux manières de voir les Smart Cities : la manière ultra-dominante, c’est-à-dire on remplace toutes les décisions par des algorithmes et on automatise absolument tout : les flux d’automobiles, les transports publics, la surveillance du crime, enfin toutes ces choses-là ; ça c’est le modèle dominant qui repose sur les big data. Et puis il y a un autre modèle tout à fait différent ; le premier a m’en avoir parlé s’appelle Jean-François Caron, c’est le maire d’une toute petite commune de 8 000 habitants, Loos-en-Gohelle dans le bassin minier, qui m’a dit : « Moi j’ai travaillé avec Orange pour mettre en place des capteurs – les capteurs c’est la base des Smart Cities –, mais ça ne sert pas du tout à déclencher des algorithmes, des automatismes, tout ça, ça sert à convoquer des réunions d’habitants. C’est-à-dire que ça permet de faire que les habitants, à un moment donné, soient tous informés de, par exemple, l’état de la consommation d’un quartier, etc. ; ça convoque une réunion et ça fournit des informations aux gens pour qu’ils discutent et qu’ils prennent une décision.
Ça c’est une vraie Smart City, c’est une ville vraiment intelligente où les habitants augmentent leur intelligence collective.
L’économie, au sens premier, c’est prendre soin de sa maison, c’est l’économie domestique dont parlent, par exemple, les Grecs ou Aristote, et économiser ça veut d’abord dire « prendre soin », au départ. Aujourd’hui non, parce qu’aujourd’hui c’est devenu une économie ultra-spéculative qui veut dire à peu près le contraire.
Mais nous, nous disons qu’il faut reconstruire une économie qui repose sur des savoirs et les savoirs ce sont des façons de prendre soin à travers ce que l’on sait des objets de ce savoir. Donc oui c’est une manière de redévelopper du soin collectivement, à l’échelle de tout un territoire, et de réorganiser la société sur cette base pour redévelopper aussi ce qu’Émile Durkheim appelait « de la solidarité organique » c’est-à-dire le fait de partager des savoirs, de travailler ensemble et de reconstituer des sociétés très liées, très fortement liées. Aujourd’hui la société est totalement atomisée, ce n’est plus vraiment une société ; c’est ce qu’un économiste qui s’appelle Jacques Généreux appelait une « dissociété » ; la « dissociété » c’est très dangereux.
Pierre-Yves Gosset : Hop ! J’espère ne pas trop avoir cassé l’ambiance et en plus ça va être pire après. Magnifique !
J’ai pris cet extrait, j’aurais pu en prendre plein d’autres, etc. Il se trouve qu’on est amenés à travailler ou à participer de façon assez proche aux travaux de Bernard Stiegler qui organise, notamment en Seine-Saint-Denis, une expérience qui s’appelle Plaine-Commune, qu’on suit avec intérêt. Je ne trouve pas du tout que tout ce qu’il dit là-dedans est juste, on pourrait rediscuter la Smart City by Orange, mais ce qui me paraît intéressant c’est de repenser quels sont les problèmes et comment est-ce qu’on peut les travailler.
La question de ce qu’il appelle le revenu contributif est une idée intéressante qui vient compléter d’autres idées, que ça soit le revenu de base, le revenu universel, etc. Du coup, ça permettait de réfléchir à est-ce qu’on est quand même un petit peu dans la merde ? Oui. Et comment est-ce qu’on peut y répondre ? Déjà pas juste en restant entre libristes mais en allant s’intéresser aux travaux de gens qui font de la recherche et autres.
Reprendre le pouvoir (pour mieux le détruire ?)
Reprendre le pouvoir pour mieux le détruire, nous sommes clairs, c’est plutôt pour mieux le réorganiser. Si jamais il y a des graphistes dans la salle, je pense qu’il y a des choses à faire sur Bookchin et Blockchain. Murray Bookchin est un éco-anarchiste décédé il y a quelques années qui avait beaucoup travaillé et écrit sur cette question de comment est-ce qu’on peut s’auto-organiser, se réorganiser sur des petits groupes et comment ces petits groupes peuvent interagir les uns avec les autres.
Si je le mets face à la blockchain – la blockchain, encore une fois, c’est une technologie, je n’ai pas d’avis particulier –, mais ce qu’on souhaite avec la blockchain c’est décentraliser. Nous, en tant que libristes, on travaille beaucoup cette question de la blockchain – ça apparaissait quand même un certain nombre de fois dans le programme des RMLL –, mais est-ce qu’on travaille sur comment est-ce qu’on peut faire travailler ces technologies-là avec d’autres et dans quels buts politiques ? C’est pour ça que je trouvais juste que les mots accolés ne sonnaient pas mal. C’était le point graphisme, parce que là c’est beaucoup moins graphique.
Faire. Faire sans eux. Faire malgré eux.
« Faire. Faire sans eux. Faire malgré eux. » C’est un titre que je pompe à Benjamin Bayart qui a écrit un article il y a quelques mois, voire quelques années maintenant, « Faire. Faire sans eux. Faire malgré eux », et je reprends du coup les propos de Francesco Casabaldi qui a écrit un article qui s’appelle « Vers une fédération des communes libres » [11]. Je vais vous le lire parce que, de toutes façons, si j’attends que vous le lisiez, j’ai peur d’en perdre et d’en endormir quelques-uns au passage :
Alors puisque décidément les vies qu’on nous propose sont trop étroites pour y loger nos rêves, puisque décidément l’organisation politique, économique et sociale de ce(s) pays est pour nous chaque jour un peu plus insupportable, puisque même l’air ambiant sent tellement le fascisme rampant et les gaz lacrymogènes qu’il en est devenu irrespirable, puisque rester ici un jour de plus, c’est finalement continuer à collaborer à l’exploitation et à la destruction de la planète et de l’humanité, puisque les libertés qu’on nous jette sous la table sont trop maigres pour notre dignité, puisque enfin, nous sommes encore vivants et bien, partons.
Entendons nous bien. On vit ici, on habite ici, on reste ici.
Mais le temps est venu d’assembler tous ces petits bouts de liberté, d’autonomie que nous avons su construire, conquérir ou préserver, de déclarer l’autonomie de ce patchwork, et de faire simplement, calmement, sécession. »
Ce que je trouvais intéressant là-dedans, alors c’est très lyrique, ça peut en toucher certains et complètement laisser froids d’autres, à la limite peu importe, c’était le « et bien partons » qui m’intéresse et que je vous soumets comme idée.
J’ai repris ici la carte de Game of Thrones ; j’étais sur une thématique Game of Thrones dans ces slides. Il était tard hier !
Du coup, si je repends maintenant ce que je viens de vous présenter, qui n’est pas du tout de moi, on a d’un côté une société de surconsommation, donc des enclosures, de l’individualisme, de la standardisation, etc. et, de l’autre, des modèles de société de contribution qu’on n’a pas explorés. C’est pour ça que j’ai pris la carte de Game of Thrones, honnêtement j’aurais pu prendre n’importe quelle cartographie, ça aurait pu le faire. Ce qui m’intéressait c’est que dans Game of Thrones, pour ceux qui ont suivi, il y a quelque chose. Tout se passe quasiment sur un continent, etc. En fait, on s’aperçoit sur la carte que c’est beaucoup plus grand et on se dit « mais putain, c’est chiant de rester coincé dans cette histoire-là, de se retrouver engoncé sur ce continent-là alors que si ça se trouve il se passe plein d’autres histoires hyper-intéressantes ailleurs et que, eh bien on ne les voit pas ou très peu. » Il y a même un troisième continent pour vraiment les fans, dont je ne fais pas spécialement partie, mais les fans de Game of Thrones ont peut-être vu qu’il y a un troisième continent dont il n’est absolument pas question dans la série.
Ce qui m’intéresse c’est, du coup, qu’est-ce qui nous bloque ? C’est quoi les freins qui nous empêchent d’aller vers cette société de contribution ?
Au départ je présentais cette carte sans lire ce texte et il manquait quelque chose ; les gens disaient « ouais, mais on ne va pas quitter la société de consommation demain ! » Effectivement c’est compliqué, ça réclame un effort ; la société de contribution est une société de l’effort ; ça ne va pas être simple, mais quand on dit « partons », ce qui est important c’est le reste de la phrase c’est, en fait, partons mais en restant là ! Donc comment est-ce qu’on peut mettre en relation ces expériences qui ont lieu autour des communs, autour des collectifs, autour de la liberté, autour de la collectivisation, de la coopération ; autour de l’intérêt général et de l’économie générative ; du mouvement associatif ? Etc. Comment est-ce qu’on relie ces actions-là ?
Il me reste une dizaine de minutes pour vous dire comment est-ce que nous on s’y prend.
Comment on fait, concrètement ?
La réponse de Framasoft (et uniquement de Framasoft)
Chacun fera bien comme il le veut.
La première chose c’est qu’on s’est dit que dégoogliser ne suffit pas, tout comme composter ne suffit pas, tout comme donner ne suffit pas, tout comme faire sa part ne suffit pas, tout comme manifester ne suffit pas, tout comme « bénévoler » ne suffit pas et tout comme être végan ne suffit pas.
Tout ça c’est très bien mais ce ne sera jamais suffisant. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas le faire, tout au contraire, mais ça ne sera jamais suffisant.
Donc nous, on s’est bien aperçus que dégoogliser ne suffisait pas. Les attentes sont complètement énormes par rapport à « Dégooglisons Internet », je le traitais dans la conférence d’avant. Les gens veulent toujours plus : « Attaquez-vous à l’Éducation nationale » ;« vous n’avez qu’à vendre du service premium » – elle est pour toi spéciale dédicace David ; « Framamail c’est pour quand ? » Etc. Oui. OK !
Mais en fait, les moyens sont indigents ; ça je vous l’ai présenté juste avant. On nous dit « embauchez des designers, etc. », oui, mais nous on a choisi de rester une petite association.
D’autre part, s’organiser ça prend du temps. Donc là je reviens au Collectif CHATONS [12], moi je trouvais que ça avançait très lentement et puis, en discutant avec des gens qui travaillent dans des réseaux d’éducation à l’environnement ils me disent « 60 structures en 18 mois, ça va, ce n’est pas mal ! »
Donc (auto)critiques effectivement.
Nous, sur « Dégooglisons Internet » on n’a absolument pas changé le système. C’est ce que je disais tout à l’heure. Je repense aux propos d’une psychiatre qui disait « moi on m’apprend à soigner les gens qui font un burn-out. En fait, le problème ce n’est pas que les gens aient un burn-out ; le problème c’est le travail, c’est le système. En tant que psy ça me donnera toujours du boulot parce que j’aurais toujours des gens en burn-out. À partir du moment où les conditions de travail deviennent de plus en plus dures, les gens sont de plus en plus épuisés donc on me les envoie ; moi je les soigne et je les renvoie au front, etc. Et puis il y en a qui craquent, il y en a que je ne peux pas soigner, etc. Mais le problème n’est pas là, le problème c’est le système. »
Sur « Dégooglisons Internet », pour moi c’est exactement ça. OK, super ! On a dégooglisé, on a 34 services, waouh ! Super ! Pour quoi faire au final ? C’est une vraie question ; ce n’était pas pour faire un truc dramatique ! Pour quoi faire ?
Continuer à écoper ?
Ceux qui sont arrivés à la fin de la conférence ont déjà vu celle-là [la vidéo du chat qui remonte inlassablement son chaton qui glisse sur un toboggan]. Nous, on continue effectivement à écoper, mais du coup cette allégorie, on finit un service, c’est bien on est contents, on a libéré un truc, trop bien, machin et tout, et puis on y retourne, etc. ! Mais ça ne marche pas !
Quel monde voulons-nous ?
Là vous avez un texte qui a été écrit par un des membres de Framasoft qui s’appelle Gee, que certains connaissent parce qu’il a fait un certain nombre de conférences aux RMLL – je lui dis « bonjour Gee » –, qui est un des administrateurs de Framasoft et qui a écrit un texte qui s’appelle « Quel est votre rêve ? », que je vous encourage à aller voir donc j’ai mis, ce n’est pas trop compliqué https://grisebouille.net/quel-est-votre-reve/, que je trouvais assez intéressant parce que, là aussi, ça a déjà écrit peut-être 100 fois, mais c’est écrit par un libriste. Du coup on perçoit le message différemment : les personnes qui lisent le blog de Gee ne sont pas nécessairement des éco-anarchistes.
(re)définition en cours…
Une fois qu’on s’est dit : bon, eh bien OK, c’est cool, quel est notre rêve ?, on s’est dit : il faut qu’on redéfinisse, et on s’est posé un temps et encore, c’est toujours en cours, sur un certain nombre de points.
Le premier point c’était nos valeurs. C’est quoi les valeurs de Framasoft ? C’est l’éthique, c’est l’émancipation, inclusivité, non culpabilisation, partage, positivité, pacifisme ; donc ça veut dire qu’on ne va pas aller brûler les banques demain. Le faire, la bienveillance, le soin.
On a interrogé notre raison d’être. Ce qu’on veut faire c’est quoi ? Le but de Framasoft ? Pourquoi est-ce qu’on est là ?
Ce qu’on veut faire, nous, c’est de l’émancipation numérique. On veut Software To The People. Comment est-ce qu’on redonne le logiciel aux gens ? Comment est-ce qu’on les rend maîtres de leurs outils ? Comment est-ce qu’on change le monde un octet à la fois ? C’est peut-être sans fin, mais on sait qu’on peut passer par ce chemin-là.
Dans nos objectifs, je l’ai mis en version troll, outiller numériquement la société de contribution, ce qui peut se traduire en start-up nation novlangue : « digitaliser la disruption des acteurs à impact social d’intérêt général ».
On a refait un choix sur : c’est quoi notre objectif ?
Sur les moyens.
Tout à l’heure, on parlait de la taille, etc., et du poids, notamment du mien. Framasoft a décidé de rester une association loi 1901, de ne pas devenir une SCIC, une SCOP ou autre ; de rester sous la barre des dix salariés – je ne dis pas que ça ne sera jamais onze un jour mais, en tout cas, on ne prévoit pas de réembaucher à long terme ; de rester une bande de potes, avec de l’humour et de la bonne humeur dedans ; de rester basée sur les dons ; d’y aller avec le bit et le couteau et, pour essayer de répondre quand même un petit peu aux problématiques très ambitieuses voire un peu prétentieuses auxquelles on s’attaque, faire des alliances plutôt que de continuer à grossir.
Pour ça on a revu notre communication en sachant qu’on ne pouvait plus dire qu’on s’adressait à tout le monde. On est une association d’éducation populaire, je le disais dans la conférence d’avant, on a refait nos statuts entre autres pour ça, pour avoir un agrément, etc. Dans l’éducation populaire souvent il y a cette logique de dire « on ne laisse personne sur le chemin, on s’adresse à tout le monde, etc. » Nous on ne peut pas ! On est trop petits pour ça, on n’y arrive pas, on ne sait pas faire. À un moment donné, admettons nos failles et, tout simplement, on arrête de s’adresser au premier de cordée qui a deux 4X4. Essayer de convaincre cette personne-là nous demande une énergie qui est trop importante. Si j’ai 100 points d’énergie est-ce que je vais dépenser de l’énergie auprès des gens qui sont dans une association ou dans un réseau d’éducation à l’environnement durable ou est-ce que je vais parler, je vais passer deux heures à discuter au congrès du Medef ? Concrètement ? Voilà ! On fait un choix. Dans notre communication on fait le choix de s’adresser nous, Framasoft, à un certain nombre de domaines, associations, économie sociale solidaire écologique et éducation populaire. Point Barre. Notre communication c’est ça. Ça ne veut pas dire qu’on refuse de discuter avec les autres, mais ça veut dire qu’on ne va pas perdre de temps à discuter avec les autres. C’est ce que je vous disais là encore dans la conférence d’avant sur notre rapport avec le ministère de l’Éducation nationale.
Contributopia
Ce qui a donné, une fois qu’on s’est un petit posé ces questions-là, cette campagne qui n’est pas une campagne d’ailleurs, en tout cas on ne le vit pas comme ça, on le vit plutôt comme une feuille de route avec quatre projets par an sur trois ans. Pourquoi trois ans ? Parce que c’est bien. Pour moi qui suis directeur de l‘association et qui dois gérer, coordonner les projets, trois ans c’est bien, ce n’est pas trop loin, ce n’est pas trop près, 12 projets ça va, c’est gérable ; je rappelle qu’on en a fait plus de 35 les années d’avant donc ça va ; ça reste gérable.
Services
Premier point donc sur la première année pour ne pas vous perdre parce que si on était arrivés en levant le poing en disant « il y en marre, vive la société de contribution », je pense qu’on aurait perdu beaucoup d’entre vous et l’idée c’était d’amener ces idées-là petit à petit, par capillarité, qu’elles infusent tranquillement.
Donc on continue à créer et à proposer des outils :
Frama.site c’est fait ;
Framameet le meetup like alternative à Meetup et au groupe Facebook ça va être en cours, ça va être en ActivityPub et ça va être avec des designers en amont ;
Framapétitions, il faut que je me bloque une semaine pour le faire d’ici la fin de l’année, je ne sais pas quand ;
Framatube, vous êtes au courant, c’est à peu près terminé ; en octobre on aura une v1 et grâce à vous puisque c’est en partie vous qui l’avez financée.
Essaimage
Sur la deuxième année, on va dire 2018-2019 – on parle plus ou moins en année scolaire, on se donne le droit de déborder, ça ne va pas être au jour près – la question comment est-ce qu’on transmet les savoir-faire au travers de quatre projets :
- poursuivre l’organisation et le soutien au projet CHATONS ;
- YunoHost : on a déjà soutenu toute l’année 2017 le projet YunoHost [13] en mettant à disposition notre adminsys Luc qui faisait la présentation juste avant moi ; ses vendredis étaient consacrés à améliorer, à fournir des paquets pour le projet YunoHost, il ne travaillait pas sur le cœur. Sachant que les gens qui travaillent sur le projet YunoHost ont toujours besoin de devs et de touilleurs et de touilleuses sur le cœur de YunoHost, si vous pouvez aller leur filer un coup de main ce serait vachement bien. YunoHost, pour celles et ceux qui ne voient pas, c’est un projet qui permet d’installer très rapidement des applications et des services et typiquement les services Framasoft mais d’autres aussi. Pendant un an on a travaillé sur ce projet-là et on voudrait qu’il continue à pousser ;
- l’internationalisation c’est toujours en cours, j’en parlais un petit peu avant, on continue à traduire un certain nombre de pages d’accueil, etc. La difficulté c’est que plus on traduit plus on a de gens qui viennent d’autres pays sur nos services et ce n’est pas du tout notre objectif. C’est une complexité qu’il faut résoudre, mais on commence à avoir des liens de plus en plus serrés avec d’autres communautés à l’étranger ;
- Winter of Code, rien que pour le projet, rien que pour la punchline, winter is coding, ça vaut le coup de le faire ; je reviendrai dessus si vous voulez.
Éducation populaire
Et enfin dernière année, travailler à inspirer les possibles.
Comment est-ce qu’on peut faciliter la contribution, comment est-ce qu’on identifie les freins à la contribution. Je vous disais tout à l’heure que nos infrastructures numériques du Libre communautaire étaient quand même dans un sale état ; comment est-ce qu’on travaille ces contributions-là ?
Éventuellement un projet autour de Git mis à la portée de toutes et de tous pour qu’on puisse transmettre cet outil qui est merveilleux mais sur lequel on ne pas dire à quelqu’un à l’extérieur « va ouvrir une issue sur Git, sur Framagit » ; je suis désolé ! Je le dis en riant et à la fois parce que je suis aux RMLL mais c’est quelque chose qui me frustre et qui me met en colère ; on ne peut pas dire ça. Il faut qu’on trouve d’autres moyens. On a les capacités de mettre ces moyens en action, mais il faut qu’on trouve à le faire.
UPLOAD [Université populaire du Libre] est notre projet secret pour casser les jambes de l’Éducation nationale ; un jour on y arrivera ! Ou pas ! On verra.
Objectifs généraux
Les objectifs généraux c’est proposer des alternatives concrètes au capitalisme de surveillance, notamment en travaillant la question d’ActivityPub [14] qui est arrivée en cours de campagne « Dégooglisons Internet ». La fédération existe depuis longtemps, Gnu social fait ça depuis des années, le mail, n’en parlons pas. Mais du coup, le fait d’avoir dans nos salariés deux personnes, plus même, aujourd’hui une stagiaire aussi qui travaille sur cette question de c’est quoi ce protocole, comment est-ce qu’il fonctionne et comment est-ce qu’on peut le rendre simple, accessible, vulgariser, faire des prototypes que les gens puissent suivre et implémenter dans leurs applications, c’est quelque chose qui, à notre avis, permettra là encore de mettre l’intelligence en périphérie du réseau plutôt que de la centraliser ; typiquement une alternative à Meetup centralisée, le Framameet n’a juste aucun intérêt. Si, par contre, on est capable de le faire en utilisant les outils de la fédération ce sera quand même vachement plus pratique. ActivityPub nous sert aussi d’expérimentation pour ça.
Faire plus d’information et de sensibilisation.
On travaille le cycle des « Léviathans » qui est un cycle autour du capitalisme de surveillance. Christophe Masutti [15] qui est un des membres très actif de Framasoft et bénévole très actif à Framasoft écrit un bouquin sur l’histoire de l’informatique et du numérique. Khrys, je crois que je l’ai vue tout à l’heure dans la salle, voilà, coucou, a commencé il y a quelques semaines et continue à sortir une veille [16] autour, un petit peu, de ce qui se passe dans le numérique. En fait c’est un travail important, je vais y venir, sur le côté comment est-ce qu’on met les gens en lien. C’est-à-dire si on ne parle que du numérique sur le Framablog, c’est bien, mais on va exclure d’autres personnes. Donc le fait de faire de la veille et des petits posts qui parlent d’autre chose et qui nous emmènent ailleurs permet à la fois aux gens de ne pas rester coincés sur un Framablog trop numérique et permet à d’autres personnes de se dire « tiens, là il y a des gens du numérique qui s’intéressent à ce qu’on fait. » Je vais vous en reparler.
Rendre le libre plus accessible. C’est un petit peu la réflexion de madame tout à l’heure qui me disait que son fils, en ayant vu des conférences, s’était dit « en fait j’ai compris et je peux aller en reparler ». Il faut qu’on travaille nos argumentaires autour de « Contributopia » ; c’est tout frais, tout neuf ; concrètement on n’est pas très bons. Encore une fois c’est la première fois que je fais cette conférence donc il va falloir l’affiner au cours des années qui viennent.
Écouter les publics, diagnostiquer les freins, faciliter l’appropriation du Libre.
Là on a plein de projets qui vont sortir dans les années qui viennent. Puisque « Contributopia » n’est qu’une partie ; « Contributopia » c’est un étage de plus, il y a « Dégooglisons », il y a Framabook la maison d’édition, donc tout ça vient se rajouter à d’autres choses.
Construire des ponts en buvant des coups, en mixant les dev, adminsys, designers, graphistes, médiateurs, médiatrices, utilisateurs et utilisatrices, etc.
On a fait — il est là-bas, Lunar, bonjour — avec La Quadrature du Net et Lunar ??? qui a animé deux jours de Fabulous Contribution Camp à Lyon l’an passé où on travaillait un petit peu ces questions de comment est-ce qu’on peut faciliter la contribution, qu’est-ce qui nous manque, etc., donc on a fait ça en one shot l’an passé.
Par contre, aujourd’hui sur Lyon et Toulouse vous avez des Contrib’Ateliers, ça s’appelait Frama-Ateliers, on a décidé d’appeler ça Contrib’Ateliers parce qu’il y a des gens de Mozilla qui viennent, il y a des gens d’autres structures. L’idée c’est d’ouvrir les ateliers de contribution à des gens qui sont non libristes. Là aussi ça existe, il y a plein de groupes d’utilisateurs de logiciels libres qui faisaient ça. L’idée c’est, encore une fois, d’utiliser la légitimité et la visibilité qu’a Framasoft pour dire « venez ; vous connaissez Framasoft vous pouvez venir contribuer à cet atelier-là. »
Construire des ponts, j’ai déjà dit.
Créer des alliances je vais y revenir.
Promouvoir le Web comme un commun qui est aussi un des objectifs de « Contributopia ». Très honnêtement on ne sait pas encore exactement comment on va le faire ; on est juste convaincus que c’est une idée forte et qu’il va falloir le faire. Et voilà !
Diagnostiquer, encourager et faciliter la contribution.
Donc construire des récits, raconter des histoires de contribution, expérimenter des nouveaux modèles économiques, j’en ai un petit peu parlé dans la conférence d’avant, etc.
La place de Framasoft (2004-2014)
Sur la place de Framasoft, globalement 2004-2014, Framasoft, je l’ai toujours décrit comme ça. C’est quoi Framasoft ?
Framasoft est une association qui est une des portes d’entrée du logiciel libre francophone. C’était ça ma « punchline » entre guillemets, le slogan, le moto de Framasoft. « Tu ne connais pas ce milieu du logiciel libre ? Viens, on te montre et après tu vas voir ». Concrètement, on n’accompagnait pas les personnes tout au long de leur trajet, par contre on était une des portes d’entrée ; il y en avait d’autres et il y en a toujours d’autres.
À partir de « Dégooglisons Internet » on voit bien qu’on a fait ce choix — vous ne voyez pas forcément si c’est bon, ça se voit, la flèche grossie un petit peu —, c’est l’idée de dire : OK, on a toujours une porte ouverte depuis la société de consommation sur ce qu’est que le Libre, etc., mais on n’y consacre aujourd’hui pas plus d’énergie que ça ; notre énergie est consacrée aujourd’hui à mieux accueillir les gens qui viennent de cette société de contribution dont je vous parlais tout à l’heure.
Et surtout, un autre objectif, c’est d’être une porte de sortie et ça c’est quelque chose qui nous tient vraiment à cœur ; je ne sais pas si on va vraiment y arriver avec « Contributopia », mais si on n’essaie pas on n’y arrivera pas ! L’idée c’est de prendre les gens qui sont les plus motivés, les plus intéressés parmi vous, que vous soyez dev, graphiste ou prof, peu importe, vous êtes intéressé par le milieu du logiciel libre, vous traînez dans cette communauté du logiciel libre, c’est comment est-ce que vous allez vous mettre à disposition de cette société de contribution et qu’on arrête de penser que ce sont nos outils qui vont changer le monde ; c’est faux ; ce sont les gens qui vont changer le monde et comment est-ce qu’ils peuvent le faire avec des outils qui sont en cohérence avec leurs valeurs.
Tragédie du LSD
Ça c’était pour le fun mais du coup, tragédie du LSD de Laurent Marseault [17] qui est un animateur, formateur, anciennement Outils réseau et aujourd’hui Animacoop, et qui parlait de ces trois communautés, il y en a plein d’autres, mais de ces trois communautés qui avaient bien du mal à tisser des liens entre elles entre les libristes, les solidaristes et les durabilistes et que, finalement, on a malgré tout les mêmes enjeux, les mêmes valeurs et que – merci OpenStreetMap de m’avoir sorti une petite image d’archipel qui va bien – l’idée étant de dire « eh bien admettons que le Libre soit une des îles que vous voyez là, peu importe laquelle, il y a d’autres îles, et la question c’est comment est-ce qu’on construit, tout en gardant chacun notre identité, notre culture ? » Parce que voilà, nos débats Vim/Emacs on ne va pas les arrêter demain – ça fait partie de notre culture, l’idée n’est pas de la renier ; par contre l’idée c’est de dire : OK, mais ça, ça reste sur notre île ; on n’est pas obligés d’aller porter ce combat Vim/Emacs à l’extérieur ; s’il vous plaît ! Merci ![Rires]. Donc comment est-ce qu’on coopère avec ces autres îles ?
Construire des ponts, des alliances, des stratégies
Concrètement et j’en arrive à ma conclusion.
Framasoft a construit des ponts, des alliances, des stratégies, avec un certain nombre d’acteurs, peu importe leurs noms, des associations, ESSE [Économie Sociale, Solidaire et Écologique], etc. Ça peut être des liens qui sont proches ou ça peut être des liens qui sont juste on se croise de temps en temps, on boit des coups et on discute ensemble. Et je pense qu’il n’y a pas forcément pour l’instant besoin d’aller beaucoup plus loin. Par contre il ne faut pas qu’on reste juste chez nous ; aller rencontrer les gens de Next INpact et aller boire un Gewurtz avec eux c’est important – eh bien oui, le Gewurtz c’est la thématique – c’est important parce que c’est en croisant petit à petit ces choses-là qu’on arrivera à créer du lien et à travailler les uns avec les autres.
Là je n’ai listé que les gros mouvements que potentiellement vous êtes amenés à connaître ; je n’ai pas listé tout le monde évidemment. Vous noterez que ministères et État, eh bien non rien, en fait !
Nos partis pris
Nos partis pris c’est de faire ensemble d’abord avec les utilisateurs et les utilisatrices et que Framasoft ne soit pas considéré comme une entreprise qui va produire du service. On veut faire avec vous.
Tout à l’heure il y avait la question, à la fin de la conférence PeerTube, « vous n’avez pas des stickers, vous n’avez pas de flyers ? » « Non, tu peux les faire. » Et « tu peux les faire » ce n’est pas une injonction, ce n’est pas « fais-le toi-même », c’est « aide-nous à les faire ». Et quand on dit « aide-nous » c’est « aide-toi et trouve d’autres gens », etc. Nous on est trop petits, on ne peut pas faire ce travail-là.
Inventer un imaginaire numérique positif.
Là on commence à travailler avec des artistes, des écrivains, etc. On est déjà en contact avec Alain Damasio, qui est auteur de science-fiction, avec lequel on voulait travailler sur cette question des imaginaires positifs parce que lui ça fait quelques années qu’il y travaille. Mais comment est-ce que lui travaille pour que nous on puisse récupérer des choses, les amener dans le Libre, que ça infuse et que, à un moment donné, ça percole ?
Outiller celles et ceux qui veulent faire des communs.
On outille, vous notez bien, on n’accompagne pas. On n’est pas en capacité avec 8 salariés et 27 bénévoles d’aller accompagner chaque structure, chaque MJC, etc. Donc c’est comment est-ce qu’on peut, nous, outiller ? Du coup il va falloir d’autres personnes pour faire d’autres choses.
Et enfin décloisonner le Libre de son ornière technique pour développer ses valeurs éthiques et sociales. Vaste sujet qu’on commence à aborder seulement maintenant.
Convergence des buts, j’en ai déjà parlé avec tous ces types de structures.
Est-ce qu’on va y arriver ? Non.
Pour ceux qui étaient là à la conférence de tout à l’heure, malin le mec ! Donc tout à l’heure c’était est-ce qu’on y est arrivé ? Oui, et grâce à vous. Là est-ce qu’on va y arriver ? Non et en tout cas pas sans vous. Donc concrètement j’espère que dans trois ans je reviendrai, alors peut-être pas aux RMLL, je pense qu’il faut brûler les RMLL et les GULL § ; ce n’est pas que les RMLL ce n’est pas bien, j’ai vu Harmonie, mais je pense qu’il y a un certain nombre de pratiques qui sont sclérosées chez nous, qu’il faut qu’on démonte et qu’on déconstruise pour ne pas dire brûler parce que sinon c’est un peu violent. Il faut déconstruire un certain nombre de choses.
Ah mince, il me restait deux slides. Je les avais oubliées, je ne les ai même pas animées.
Propositions (en interne)
Soyons fiers de notre culture mais ne l’imposons pas. Le Vim/Emacs reste chez nous. Merci !
Faisons évoluer nos méthodes d’animation et de transmission.
Demain il y a une journée autour des GULL, des groupes d’utilisateurs de logiciels libres et, l’après-midi, je vais essayer, je ne sais même pas combien il y aura de personnes, mais de proposer d’autres types de formats que juste que le mec blanc, barbu, qui vient vous causer de ce qu’il fait.
Remettons en cause nos pratiques.
Est-ce qu’on a toujours besoin de faire des install-parties ? Peut-être, peut-être pas. Est-ce qu’on peut organiser des cartoparties, etc ? Là, je m’intéresse plutôt aux groupes d’utilisateurs de logiciels libres.
Devs, arrêtez avec les égos. Putain ! Enfin ! Le dev n’est pas plus important que le designer, que le touilleur ou la touilleuse ; je n’ai pas précisé, touilleur-touilleuse ce n’est pas community manager ; c’est quelqu’un qui fait du lien et qui empêche que l’issue tombe au fond et qu’elle soit oubliée par le dev : « Eh, coucou, toc-toc, tu as oublié telle issue. Ce serait bien si tu pouvais imaginer ce qu’est le problème ? Comment est-ce qu’on peut travailler à plusieurs dessus ? etc. » Ça fait partie, pour moi, des objectifs qu’on se fixe c’est que quand vous allez créer un logiciel libre ce ne soit pas un ou une dev qui s’y colle, que ce soit nécessairement un ou une dev et un touilleur ou une touilleuse quoi ! C’est-à-dire deux personnes dès le départ. L’intelligence collective ça marche ! Il faut juste l’utiliser.
Propositions (à l’externe)
Et à l’externe créez des assos !
Préparez-vous à l’autonomie, ce qui ne veut pas dire la solitude, mais concrètement, tout à l’heure sur les deux questions de Casabaldi que je citais, « le changement climatique on va se le prendre en pleine gueule » et « il faut arrêter avec la croissance », eh bien il va falloir se préparer à l’autonomie y compris dans nos métiers. Enfin si on veut défendre un Libre politique il va falloir réfléchir à ça.
Aller boire des coups avec les solidaristes, les durabilistes et les autres et se mettre à leur service.
Et enfin positionnez-vous politiquement pour savoir avec qui vous voulez vous organiser ; pas forcément tout le monde ; il ne s’agit pas de rejoindre un mouvement. Ce travail a été extrêmement salutaire pour nous de travailler nos valeurs, nos raisons d’être, nos objectifs et nos moyens.
Et je vous encourage tous et toutes à le faire pour y voir plus clair et savoir comment vous vous positionnez.
Merci.
[Applaudissements]
On va essayer de prendre quelques questions, pas trop longtemps du coup parce que je sais que les gens qui filment et l’équipe technique ont peut-être juste envie de partir boire des coups, si le Gewurtz est au frais ! Vas-y Harmonie. Tiens tu as même un micro ! On a perdu le micro !
Harmonie Vo Viet Anh, organisatrice des RMLL : La plénière de ce soir a été annulée parce que notre invitée est malade, donc vous avez quelques minutes de plus.
Pierre-Yves Gosset : OK ! Je répète pour ceux qui n’auraient pas entendu, la plénière étant annulée pour cause de maladie de l’intervenante, eh bien on a le temps de prendre plus de deux-trois questions. Allez-y. Putain ! Je savais que ça allait être toi ! On va faire tourner, le temps que les micros arrivent, il y a une question là-bas.
Public : Un aspect que je voudrais mettre en lumière par rapport à ce que tu as dit : pourquoi c’est crucial que nous allions vers des groupes qui ont envie de travailler souvent différemment, c’est aussi pour leur proposer des outils qui fonctionnent à l’inverse de la logique du système capitaliste. Le monde de Facebook c’est un monde où on est seul ! Où on a son compte à soi, seul, avec son petit nom ! On a besoin de créer des outils qui incarnent des pratiques collectives et ce ne sont pas les capitalistes qui les écriront parce que leur intérêt c’est de nous atomiser. Notre intérêt c’est de faire du collectif. Créons des outils qui nous permettent de fonctionner en collectif.
Pierre-Yves Gosset : Merci. Je ne peux qu’approuver. Pour peu que ça vaille quelque chose. Une autre question en bas. Une là-bas. Après je suis là jusqu’à mercredi soir et je préfère discuter en buvant une Gewurtz plutôt que dans un amphi surchauffé.
Public : Ce n’est pas vraiment une question. Tout à l’heure tu parlais de mettre en place un système, un Framapétitions, mais en fait on a déjà mis en place à l’April, donc il y a juste à l’implémenter c’est gSpeakUp, c’est benj qui a développé.
Pierre-Yves Gosset : Je vois. Par contre gSpeakUp aujourd’hui ne permet pas, je crois, à tout un chacun de pouvoir se créer sa propre pétition sans installer l’outil. C’est-à-dire soit tu as les compétences et tu installes l’outil. C’est le problème que j’ai eu avec Framaform ; moi je ne suis pas du tout développeur et puis un jour je me suis dit : il manque un outil alternatif à Google Forms ; j’ai vu plein d’outils pour faire des formulaires, à commencer par du LimeSurvey, enfin des grosses machines, etc. Le problème c’est que ça ne permettait pas aux gens d’avoir un accès facile et de se dire : j’ai dix minutes, il faut que je crée un formulaire et il faut que ça soit prêt dans dix minutes. Ces personnes-là je ne vais pas leur dire « attends, je vais t’expliquer ce que c’est qu’un serveur, ce que c’est que l’auto-hébergement, ce que c’est que Node.js, etc. » J’ai eu le même problème. Après je suis tout à fait prêt, si jamais vous connaissez des services de pétition qui permettent facilement à tout un chacun, de façon vraiment simple et fluide, de se créer des pétitions, une, dix, mille, et de pouvoir accueillir des millions de réponses parce que c’est vers ça qu’on va, je suis preneur.
Du coup gSpeakUp je l’avais repéré ; on m’a reparlé il n’y a pas longtemps de l’outil de La Maison-Blanche mais qui est sur une vieille version de Drupal qui n’est pas maintenue depuis trois ans, juste ce serait une idiotie complète d’y aller.
Moi ça ne m’amuse pas spécialement d’avoir à développer cet outil d’autant que, encore une fois, je suis pas développeur, donc quand vous verrez Framapétitions vous direz « putain ça a été fait par un mec qui n’y connaît quand même pas grand-chose ! » Du coup je veux bien contacter les développeurs de gSpeakUp et leur dire « comment est-ce qu’on fait pour déployer rapidement et simplement cet outil-là ? » Il faut que n’importe qui puisse dire comme sur Change — concrètement nous on fait du copier-coller — : je veux créer ma pétition, je clique sur créer ma pétition, je clique là et je peux monter ma pétition. S’il y a des outils… Voilà ; le point Gewurtz !
Public : Oui. Moi j’ai à peu près 200 questions mais je pense qu’on ira en discuter deux-trois heures ; je ferai un article super !
Pierre-Yves Gosset : Pas de problème !
Public : Je vais me limiter à trois questions. La première c’est : est-ce que tu n’as pas peur du côté yakafokon ? Tu l’as dit très bien tout à l’heure il y a des choses qu’on dit dans les RMLL ou dans le monde du Libre depuis des années. À chaque fois on se dit « c’est bon, cette année on le fait » et puis, en fait, au final tu as toujours du Windaube dès que tu parles de Libre ou de Windows.
L’autre question c’est quand est-ce que tu te présentes aux élections ?
Et la troisième est-ce que, justement, tu n’as pas peur de la politisation de Framasoft et du fait que ça puisse un peu nuire au discours ? Parce qu’il peut y avoir des libristes de droite, même si bon, la contribution ce n’est pas forcément leur truc, mais ils ont peut-être besoin d’être écoutés aussi, il faut aller vers eux, tu sais, pour les faire changer vers mieux. Est-ce que tu n’as pas peur, justement, que ça fasse un peu branche armée de la France insoumise ? Je ne sais que ça n’est pas ça, surtout qu’en plus ils sont sur YouTube, ils ont Google Analytics, attention ! Mais effectivement, est-ce que tu n’as pas peur que ça pénalise l’association, sa façon d’être vue comme un élément un peu neutre même si on ne sait pas ce n’est pas le cas ? Vous êtes tous des gauchistes !
Pierre-Yves Gosset : Je vais répondre dans l’ordre inverse parce que comme ça tu pourras me rappeler l’ordre des questions.
Est-ce qu’on n’a pas peur que ça fasse trop politisé et de perdre des gens au passage ? Concrètement en choisissant de s’adresser aux associations, à l’ESSE et à l’éducation populaire, on a déjà perdu des gens et à la fin on en a gagné parce que notre message, aujourd’hui, il est conçu pour toucher un certain nombre de personnes et pour, nous, faire quelques pas dans la direction qui nous semble juste. Si on se plante, j’ai envie de dire : ce n’est pas la fin du monde ! La nature a effectivement horreur du vide et d’autres feront ça.
Après quand je dis Framasoft se politise, on ne va avoir ce discours-là, là je peux prendre le temps, on est aux RMLL. etc., mais l’idée pour nous ça a toujours été de passer par l’action plus que la réunion. Je reviens à la conférence d’avant, le fait qu’effectivement on ne va pas aller perdre du temps, aller rencontrer untel ou machin ou truc à partir du moment où il n’y a pas un engagement clair, derrière, de ces personnes-là. Et je pense que ça maintiendra un équilibre entre le discours et l’action et concrètement, évidemment qu’on sera perçus toujours comme une association de gauchistes ! Mais le mec qui a deux 4X4 et qui est le premier de cordée, qu’est-ce qu’il en a à foutre du logiciel libre ! À un moment donné, ce n’est pas grave ! Je peux être critique. Pour ceux d’entre vous qui auraient deux 4X4 et qui vous considérez comme membres actifs de la start-up nation, c’est super ! Je te regarde, toi à la caméra là-bas, parce que je pense que tu n’es pas forcément dans cette salle, mais entre guillemets « ce n’est pas grave ». On a dit qu’on était pacifistes, on ne va aller lutter contre. Par contre, on ne veut pas se laisser déborder et on veut continuer à construire les imaginaires, à mettre en place des actions, etc. Donc si c’est là-dessus qu’on perd des gens ! Pff ! Moi j’aurais tendance à dire tant pis !
Du coup ta question numéro deux c’était ?
Public : Est-ce que tu te présentes aux élections ?
Pierre-Yves Gosset : Jamais du coup ! Si tu as suivi un petit peu ça, tu penses bien que… Justement l’idée est tout au contraire d’arrêter avec les élections et de se dire que, de toutes façons, ce qui marche plutôt pas trop mal, on peut critiquer ça, mais ce qui marche plutôt pas trop mal dans le Libre c’est qu’il y a quand même un mécanisme de tempérance du pouvoir et d’égos mesurés ; alors ça dépend, on en connaît quelque-uns dans le milieu du Libre qui ont des égos complètement démesurés, mais ils parlent beaucoup, etc. Ici tu peux très bien te foutre de la gueule de Stallman, tout le monde s’en fout ! Je n’ai pas de soucis, à un moment donné, à dire que ce qu’on promeut comme système c’est de l’auto-organisation et surtout pas de l’élection. Ou alors de l’élection pour un truc bien précis avec un pouvoir bien cadré, limité, etc., et qu’il y ait une mission, pas une délégation de pouvoir. Et sur ta première question ?
Public : Les yakafokon.
Pierre-Yves Gosset : Ah les yakafokon. J’ai un site, vous pouvez y aller — je ne suis pas connecté, je vais me connecter à Internet —, il s’appelle http://yakafokon.detected.fr/ ; je l’ai fait spécialement pour les membres de Framasoft. J’en ai fait un deuxième qui je crois s’appelle projet.framasoft.fr où ils doivent mettre qui fait quoi, quand, comment ou pourquoi. J’ai tous les matins des demandes : « Ah putain ce serait cool si… », du coup ils ont deux liens. Hop là, on va ouvrir mon petit Firefox qui doit se traîner par là. Ça c’est un lien où je renvoie souvent, le plus souvent en interne, [Pierre-Yves connecte son ordinateur à Internet ! Camionnette DGSI n°3 c’est moi. Ah là, là, ces libristes !] C’est évidemment un peu facile. Si on arrive à mieux expliquer qui on est, pourquoi est-ce qu’on le fait, etc. ?
Je l’ai mis dans la conférence, mais je ne suis pas revenu dessus. On n’a pas écrit de manifeste à Framasoft et je pense qu’il faut qu’on le fasse, je pense qu’il est temps ; le temps est venu d’expliquer qui on est, pourquoi est-ce qu’on le fait, etc., pour envoyer les gens sur cette histoire du manifeste et dire, à un moment donné, « vous nous demandez des trucs mais qui ne relèvent pas de ce qu’on est censés faire, de ce qu’on souhaite faire, etc. » On est une bande de potes et OK ! il y a 500 000 personnes qui viennent utiliser nos services, donc c’est un peu flippant, mais on reste une bande de potes ; ça veut dire que si demain ça tombe en panne eh bien voilà ! Framasoft ce sera fini et on passera à autre chose. Franchement non, je n’ai pas trop de soucis avec ça ; voilà ! C’est une question de communication qui est compliquée.
J’ai Florence en bas, et en haut aussi ; c’est parti en haut. Est-ce que quelqu’un peut transmettre le micro ?
Public : Bonjour. Je trouve ça un peu dommage ton discours sur la politique ; ça casse un petit peu les choses. Je vais être un petit peu embêtant là-dessus, mais là tu disais : les gens de droite ce ne sont pas forcément des contributeurs et ce genre de choses. C’est quand même un discours assez élitiste, il n’y a quand même pas en France juste les gens de gauche et les autres qui ont deux 4X4 et qui ne voudraient pas contribuer au Libre et qui se contentent d’en profiter.
Pierre-Yves Gosset : À quel moment tu m’as entendu dire gauche ou droite ?
Public : Enfin un petit quand même vis-à-vis de la question de l’intervenant, enfin de la personne juste avant.
Pierre-Yves Gosset : Oui, du coup il pose la question.
Public : Enfin tu vois très bien ce que je veux dire.
Pierre-Yves Gosset : Quand je dis premier de cordée, ça pourrait être dit par quelqu’un de gauche. L’idée du succès, l’idée de l’épanouissement par la croissance, c’est là-dessus qu’on combat ; que ça soit une idée de gauche ou une idée de droite, moi je m’en contrefous. Évidemment qu’il y a des gens de droite qui contribuent. Mon problème n’est pas droite ou gauche. Mon problème est : est-ce que tu fais par exemple de l’open source ou est-ce que tu fais du Libre ?
Public : On peut faire du Libre aussi dans d’autres partis politiques voire ne pas être intéressé par la politique et contribuer tout à fait.
Pierre-Yves Gosset : Oui. OK ! Pas de souci. Mon discours n’est pas du tout de dire ne faites pas de politique ! Il est de dire que Framasoft a fait le choix, à un moment, mais qui nous appartient, qui n’appartient qu’à nous. Mince du coup je ne suis pas sur la bonne page, forcément, je voulais ressortir l’image de l’archipel. Chacun fait ce qu’il veut. Je ne suis pas en train de vous dire « vous devez ! » Si vous avez compris ça, c’est que j’ai complètement foiré ma conférence ; je disais « voilà, les problèmes que nous on identifie, comment est-ce que nous on y répond » et la question politique était bien clairement marquée, spoiler, c’est à vous de trouver la façon dont vous voulez vous impliquer. Et si, pour vous, c’est d’aller discuter dans des ministères ou avec des partis politiques, etc., c’est super ! Moi je n’ai aucun problème avec ça. Je dis juste que Framasoft ne le fera pas.
Public : OK !
Pierre-Yves Gosset : Ça répond à yakafocon. C’est systématique ; j’entends complètement la question de David parce que c’est notre plus grosse difficulté. Les gens pensent que puisqu’on a fait plein de trucs on va faire plein de trucs. Non ! Désolé on est une bande de potes ; on a fait une AMAP du logiciel libre, on est bien contents et du coup les gens voudraient qu’on devienne Biocoop ; Non !
Public : Là-dessus je suis entièrement d’accord !
Pierre-Yves Gosset : Il y aura des gens pour aller discuter avec les politiques et c’est très bien. Il y a de la place pour tout le monde. Tant qu’on ne fait pas trop de merde, tant qu’on est une planète, il y a de la place pour tout le monde, donc je pense sincèrement qu’il y a vraiment de quoi faire sur ce côté archipellisation. Vous avez une île « logiciel libre » et peut-être qu’il y a même un truc qui est encore une sous-île Framasoft. Nous, on ne fait que ça et on ne prétend faire que ça. Juste, ne venez pas nous faire chier et ne nous demandez pas que notre île devienne machin et de mettre du béton partout pour satisfaire le mec qui aurait ses deux 4X4. C’est violent comme discours, je suis conscient, alors que je répète qu’on est pacifistes, machin, etc., mais je suis conscient que ce discours de dire ne pas s’adresser à quelqu’un. Mais pourquoi est-ce que… ? Mais parce que je n’ai pas le temps ! Je me suis couché à 5 heures du mat, enfin 4 heures cette nuit pour finir de travailler sur ces présentations, la nuit d’avant c’était 5 heures ; je viens de Brest, je n’ai juste pas le temps ! J’aimerais si j’avais une énergie folle ! Et je dis « je » mais ça vaut pour tout Framasoft. J’ai clairement dit que cette conférence concernait avant tout moi, mon de point de vue plus que celui de l’association, mais il est partagé quand même relativement dans l’asso. À un moment donné quand les gens viennent nous solliciter et nous disent : « Vas-y, réexplique-moi le logiciel libre » de dire : « Je suis désolé, mais là il faut que j’aille changer mon gosse ! » Moi j’en ai ras-le-bol de culpabiliser en disant : ah là, là, on ne s’adresse pas à tout le monde ! Eh bien non moi je m’adresse avant tout aux gens dont je pense qu’ils peuvent avoir une action positive allant dans le sens de la société de contribution que nous on défend. Ça ne veut pas dire qu’on dit merde aux autres ! Ça veut juste dire « désolé mais là je dois aller faire autre chose ». Faisons le deuil, en tout cas moi j’ai fait mon deuil de ça, faisons le deuil peut-être collectif de se dire que nous militantes et militantes du Libre on peut tous fonctionner et choisir nos cibles.
Moi ce à quoi je vous encourage et tout le sens de cette conférence était de rappeler — mais encore une fois, ça fait dix fois, dix ans que ça se fait ici aux RMLL, c’est juste que là aujourd’hui c’est porté par une association différente —, de dire : choisissez quelles sont vos valeurs, quelles sont vos raisons d’être, quels sont vos moyens, quels sont vos objectifs et, en fonction de ça, choisissez ce que vous voulez faire. Ce n’est pas beaucoup plus compliqué que ça. Et créez des alliances. Le discours, finalement, j’aurais pu vous le faire en 30 secondes, mais le discours est là. Donc quand on vient me dire « mais pourquoi est-ce que tu ne vas pas, machin ? » Parce que j’ai choisi de ne pas le faire ! » Ça ne va pas chercher beaucoup plus loin que ça. S’il y a parmi vous des gens qui ont envie d’aller discuter avec des députés, etc., je trouve ça génial. Juste, ne venez pas me bouffer mon temps ! Une petite dernière pour la route. Il y avait Florence au moins.
Florence : Merci. Bonjour. Moi je suis Florence d’une association qui s’appelle Assodev-MarsNet qui fait de la médiation, du Libre à Marseille, enfin en région PACA. Je voulais aussi apporter un retour d’expérience par rapport à ce bilan sur la Dégooglisation. Chez nous, en trois ans, il y a quand même énormément de gens au sein des associations qui connaissent les Framatrucs. Donc ça c’est super encourageant, super enthousiasmant, malgré le contexte un peu déprimant des GAFA qui nous attaquent de toutes parts aussi avec leur action de médiatisation de leurs outils et services privateurs. Donc de ce côté-là c’est super enthousiasmant.
Ce que je voulais dire aussi c’est que les associations c’est vraiment une cible très intéressante parce qu’elles sont déjà super sensibilisées au niveau éthique. Du coup elles sont très réceptives et ce sont elles, en fait, qui vont toucher le grand public. Et ça c’est bien parce que le grand public, finalement, quelque part il est difficile à toucher alors que les associations sont plus faciles à toucher ; donc ça peut être intéressant de passer par ce biais-là pour toucher le grand public.
L’autre chose que je voulais dire c’est demain il va y avoir un inter-GULL et la question en fait des install-parties, il y a peut-être d’autres types de parties à inventer ; bon, il y a les cryptoparties, les cartoparties, etc., mais, par exemple, ça peut-être aussi des testing parties, c’est-à-dire tester les nouveaux services, tester les Framatrucs, tester tous les services en ligne libres, éthiques qui existent. Il y a ça.
Et puis l’autre chose que je voulais dire, c’est vrai il y a le côté résistance numérique, mais il y a aussi le côté construisons notre propre Internet, nos propres outils, le côté, en fait, c’est bien de résister mais c’est aussi bien de construire ce qu’on veut. Ça va, c’est bon, le vieux modèle économique, c’est fini ! Il faut construire quelque chose de nouveau.
Et la dernière chose que je voulais dire c’est au niveau des médiateurs du Libre ; il y a plein de gens dans les différentes sphères dont tu as parlé tout à l’heure, c’est-à-dire ceux qui font le solidaire, ceux qui font le contributif.
Pierre-Yves Gosset : Les durabilistes et les solidaristes comme je les ai appelés.
Florence : Et les associations aussi. Finalement ce sont eux qui sont les médiateurs du numérique les plus efficaces, parce qu’eux sont en direct avec le public. Et nous on peut se positionner comme, en fait, outilleurs de ces médiateurs parce qu’ils sont peut-être plus à même que nous à convertir les personnes au Libre, ils ont un langage beaucoup plus adapté que nous.
Pierre-Yves Gosset : Complètement d’accord avec ça.
Florence : Et puis voilà ! Bilan très positif, malgré le contexte un peu difficile.
Pierre-Yves Gosset : Aller, une petite dernière pour la route ; il y avait monsieur en bleu là-bas et puis je vais enfin pouvoir aller boire mon premier coup de l’aprem !
Public : Est-ce que tu pourrais brièvement décrire le projet UPLOAD, s’il te plaît, par pure curiosité ?
Pierre-Yves Gosset : Le projet UPLOAD. Déjà moi je suis payé pour écrire des acronymes donc UPLOAD ça veut dire « Université Populaire du Libre Ouverte Accessible et Décentralisée » et, comme pour CHATONS, chaque terme est important. L’idée d’UPLOAD est d’utiliser le protocole ActivityPub pour construire des centres de ressources décentralisés, fédérés, dans lesquels chacun pourrait faire connaître, faire reconnaître ses compétences formelles ou non formelles. Voilà comment je décrirais le projet.
En gros, imagine une université, non pas une, mais des universités en ligne. Je ne sais pas, tu as l’Université du Nous [18], tu as FUN. L’université du Nous c’est une université qui travaille sur beaucoup de projets autour du durable, je parlais des durabilistes donc développement durable et autres questions ; il y a, je ne sais pas, je vais dire France université numérique, ça m’étonnerait qu’ils me rejoignent du coup ça ne va peut-être pas leur plaire, mais qui produit là aussi beaucoup et qui héberge beaucoup de MOOC, donc de cours en ligne ouverts à tous et à toutes librement.
Pour l’instant on est en train de construire un premier MOOC autour du projet CHATONS, donc on va interroger Bernard Steigler, on va interroger Tristan Nitot, on va interroger Isabelle Attard, on va interroger, j’ai perdu son prénom, madame Rouvroy [Antoinette, NdT] qui travaille sur les algorithmes, Antonio Casilli sur le digital labor, etc., pour avoir un background technique, académique sur pourquoi c’est important de faire CHATONS parce que l’auto-hébergement c’est compliqué mais ça devient plus facile quand tu es convaincu du fait qu’il faut auto-héberger tes données. Et quand je dis auto-héberger ça peut être semi auto-héberger en les confiant, finalement, à des organismes de confiance.
Il y aura un module sur la technique, un module politique et un module organisationnel et ces trois modules il faudra bien qu’on les mette quelque part. On s’est dit à un moment donné : super, Framasoft va monter sa propre petite plateforme de MOOC, une de plus, l’idée étant de les mettre en commun, d’utiliser potentiellement un processus qui s’appelle Open Badges ; aux RMLL il y a suffisamment de geeks pour que je puisse expliquer ça un peu rapidement. Open Badges est une image. Les Open Badges [19] ce sont des badges dans lesquels tu vas trouver des métadonnées, qui disent « dans cette image sont cachées des informations qui vont dire que telle personne maîtrise telle ou telle compétence et que c’est délivré par telle ou telle structure ou personne. » Ça veut dire que toi-même tu pourras venir dire « je sais réparer une machine à laver et j’habite à Strasbourg ». Et à la fois moi je pourrais dire : j’ai un diplôme en ingénierie économique délivré par l’université de Grenoble en 1999 ; ça veut dire si c’est vieux ! L’idée c’est qu’on puisse produire ça, qu’on puisse trouver les compétences de chacun.
Pourquoi cette idée-là est importante ?
C’est parce que vous comprenez bien que dans cette idée d’auto-organisation ; je vous ai quand même cité Murray Bookchin ou Casabaldi, pas non plus les personnes les plus institutionnalisées qu’on puise imaginer ! On voit bien qu’il y a une forme d’effondrement qui vient. Je ne suis pas du tout collapsologue mais concrètement on va se prendre le mur, je pense, dans pas si longtemps que ça, et il va falloir trouver des gens qui ont des compétences autour de nous ; il va falloir trouver des gens qui savent faire ceci ou cela. À un moment donné, comment est-ce qu’on va faire pour les trouver ? Tu ne vas pas pouvoir googler « réparateur machine à laver » ça va te sortir des boîtes, ça ne va pas te sortir des gens et ça ne va pas te sortir celle qui est nécessairement à côté de chez toi. Et on se dit qu’en travaillant cette question de quelles personnes ont quelles compétences non formelles, je maîtrise la permaculture, je… machin, etc., on a une possibilité de faire ça.
On était très emmerdés ; c’est comme l’alternative à YouTube. On avait dit dès 2014 qu’on voulait faire une alternative à YouTube, jusqu’à mai 2017 je ne savais pas ce qu’on allait faire ; c’est juste qu’on s’est rencontrés avec Choccobozzz, on est allés boire un coup aux RMLL à Saint-Étienne ; il m’a dit : « Je quitte mon poste à Saint-Étienne, je vais habiter à Lyon, est-ce que tu as du taf ? » Et, en fait, lui travaillait déjà sur une alternative fédérée donc ça donnait du sens à… Et UPLOAD, pour moi, c’est un peu pareil. Tant qu’on n’avait pas ActivityPub, tant qu’on n’avait pas le moyen de dire… Framasoft ne va pas faire une université Framasoft, c’est complètement ridicule et prétentieux ! Par contre s’il y a une université, s’il y a un mouvement type Les Colibris, s’il y a un mouvement tel Framasoft, s’il y a, etc., tous ces gens-là sont capables de mettre ça en commun et de travailler de façon fédérée, tu as, à ce moment-là, un système qui permet aux gens de s’auto-organiser. Et là je reprends la conférence qu’Isabelle Attard faisait à Pas Sage En Seine [20] il y a quelques jours ; elle disait : « Par contre il ne faut pas qu’on se voile la face, s’il y a bien une chose qui fait peur au pouvoir, ce sont les gens qui s’auto-organisent ».
Donc te dire comment est-ce qu’on va le faire, j’ai des idées, je ne vais pas tout raconter maintenant ! C’est prévu sur la feuille de route, c’est prévu officiellement en 2020 ; nous connaissant, si ça sort en 2022, on est contents. Et peut-être que d’autres le feront avant. L’important c’est de réfléchir à ça et de penser à l’organisation de ça.
Eh bien Gewurtz time. Merci.
[Applaudissements]