- Titre :
- Adrienne Charmet - Quadrature du Net - Contribution CNNum
- Intervenants :
- Adrienne Charmet
- Lieu :
- Strasbourg - Journée contributive CNNum
- Date :
- Janvier 2015
- Durée :
- 07 min 02
- Pour visionner la vidéo : Adrienne Charmet à la journée contributive du CNNum à Strasbourg
Transcription
Présentateur : Maintenant, on va passer à Adrienne Charmet de la Quadrature du Net. Donc, même règle, cinq minutes.
Adrienne Charmet : Bonjour. Moi, je vais essayer de présenter cinq points qui nous semblent essentiels pour le futur politique et technique d’Internet. La Quadrature est souvent connue pour ses prises de position assez tranchées, critiques, sur les législations et les évolutions d’Internet, mais si on est aussi tranché, c’est qu’on a une vision assez claire de ce qu’on aimerait voir émerger de cette concertation numérique, et donc, la future loi numérique.
L’Internet que nous voulons utiliser, partager, promouvoir, défendre, c’est un Internet qui soit un espace de liberté, d’ouverture, de décentralisation, de dynamisme et de respect de l’individu, de l’internaute, de l’usager. La clef de voûte, je vais placer mes cinq points très rapidement.
La clef de voûte de tout ce dispositif, et à notre sens, de tout ce qui doit sous-tendre cette future loi numérique, c’est la neutralité du net. Une neutralité stricte, qui traite sans discrimination les données qui transitent sur les réseaux. Sans discrimination, donc sans inspection, sans surveillance, sans distorsion de la technique, avec un principe qui ne souffre pas de demi-mesure, parce qu’il détermine l’ensemble des conditions des libertés qui en découlent. Pour nous, transiger sur la neutralité du net ou la soumettre à des impératifs financiers, fiscaux, ou la sacrifier au nom d’un chantage à l’investissement dans les réseaux, ou de fausses questions de sécurité, c’est ouvrir la porte à la perte de l’ensemble des qualités, potentialités, dynamiques de l’Internet que nous connaissons.
Deuxième élément indispensable : l’ouverture. Ouverture, donc, interopérabilité des plates-formes, des outils, avec un utilisateur qui soit au centre du réseau, maîtrisant ses données, ses autorisations d’accès, ses logiciels, ses terminaux. Pour nous, une loi numérique, pour être complète et logique doit avancer sur ce terrain, en comprenant que la question des plates-formes et de la loyauté dans l’espace numérique se place essentiellement dans la question de l’ouverture maîtrisée par l’utilisateur.
Troisième point essentiel pour le futur d’Internet : la question judiciaire. Madame Trautmann en a parlé, je vais en reparler rapidement. Elle peut se résumer en quelques mots : ne pas céder sur l’État de droit, et je pense que les choses qu’on vit actuellement le soulignent particulièrement. Sans revenir sur les nombreux contournements du judiciaire qui sont instaurés actuellement dans les législations pour des questions de sécurité, de surveillance, de terrorisme, de renseignement, de protection des ayants droit de l’industrie culturelle, etc., rappeler tout simplement qu’on ne peut pas accepter, sur Internet, des pratiques extra-judiciaires qu’on n’accepterait pas dans la vie hors-ligne, qui seraient considérées comme des atteintes graves aux libertés individuelles. La massification des échanges qu’entraîne le développement des pratiques numériques ne doit pas être le prétexte à une régression des libertés. Il en va vraiment de l’avenir, à moyen, à long terme, de nos démocraties, puisque la parole publique et l’action publique et individuelle s’est massivement déplacée et développée sur le numérique. On ne peut répondre au foisonnement, y compris détestable parfois, de l’expression publique par une suspension des droits élémentaires. Et vraiment, j’insiste, on a vu une prise de parole spontanée, massive ces jours derniers, pour défendre la liberté d’expression et je crois qu’il faut rester logique dans cette défense de la liberté.
Si on doit réfléchir à une manière plus intelligente, plus adaptée, de concilier l’État de droit, l’Internet, les libertés fondamentales, l’équilibre entre protection et libertés, alors il faut se donner l’ambition de le faire et j’espère que cette concertation y parviendra.
Quatrième et avant-dernier point : un Internet sain qui ne peut se développer qu’en respectant la vie privée de ses utilisateurs. L’inflation de surveillance, d’exploitation des données personnelles, par des entreprises, des administrations, ne peut pas continuer en l’état. Pour la Quadrature du Net, une loi numérique doit se donner comme ambition de protéger au maximum les citoyens de l’exploitation massive de leurs données, du profilage commercial ou à but de renseignement. L’inflation de surveillance est, de manière systématique, une perte de libertés individuelles. Encore une fois, on n’a pas à accepter sur Internet ce qu’on n’accepterait pas hors d’Internet.
Dernier point qui me semble important à rappeler : la future loi numérique ne pourra atteindre son objectif et devenir une brique politique essentielle du futur de l’Internet que si elle respecte les points suivants.
Se dégager de l’influence des lobbies industriels, catégoriels, parfois publics, qui cherchent avant tout à sécuriser leur espace d’intérêt ou de profit sur Internet. Les intérêts sont si peu convergents que chercher à contenter tout le monde sera de toutes façons impossible. Alors, on engage très fortement le Conseil national du Numérique, le gouvernement, etc., à se focaliser d’abord sur le bien commun des citoyens.
Deuxième point essentiel : défendre des positions claires, cohérentes et audacieuses au niveau européen. Il est inacceptable d’avoir des positions divergentes ou peu claires au sujet des réglementations européennes en cours de discussion, un discours qui ne soit pas le même en France et au niveau européen. C’est particulièrement le cas pour la neutralité du net, où il ne s’agit pas de se justifier dans des médias en disant qu’on est pour la neutralité du net, tout en faisant l’inverse, de manière opaque, au niveau européen. Il faut définir clairement ce qu’on veut et laisser les citoyens tirer les conclusions, électorales ou politiques, qu’ils jugent nécessaires.
Dernier point. Tenir compte des usages nés de l’Internet et les assimiler. On ne peut pas, à la fois, suspendre de plus en plus de libertés fondamentales parce que Internet existe, et refuser, en même temps, de tenir compte des usages nés de la massification de l’accès à Internet. Une prise de parole décentralisée, ouverte à tous, le partage massif de contenus culturels ou autres, le foisonnement économique, intellectuel, l’Internet actuel est assez déroutant. Parfois, il déroute la vieille économie, la vieille politique. Mais, le processus de consultation qui a lieu ici est un pas positif intéressant dont on espère, pour avoir participé à de nombreuses consultations qui n’ont servi à rien, qu’il sera respecté jusqu’au bout par le gouvernement, dans son travail législatif. Donc, comprendre les usages, les synthétiser, travailler la loi pour les accompagner intelligemment, ça ferait honneur au politique qui est si décrié aujourd’hui, car si éloigné de la réalité. Ça implique de considérer Internet et son système de liberté foisonnante comme une chance, et non pas comme une hydre à maîtriser. C’est l’enjeu, et j’ai fini, et on espère vraiment que l’occasion ne sera pas ratée.
Présentateur : OK. Eh bien merci beaucoup.
Applaudissements