- Titre :
- Comment se défendre face aux géants d’internet (GAFA) ?
- Intervenant·e·s :
- Anne-Sophie Jacques - Maxime Guedj - Hélène (auditrice) - Pierre-Yves Gosset (en off) - Giulia Foïs - Ali Rebeihi
- Lieu :
- Émission Grand bien vous fasse, France Inter
- Date :
- février 2020
- Durée :
- 45 min [la chronique « Pas son genre » de Giulia Foïs n’est pas transcrite]
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- Association, image Pixabay - Pixabay License
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Ali Rebeihi : Bonjour à tous Soyez les bienvenus en direct ou en podcast.
Comment se défendre face aux titans d’Internet ? Le combat est-il déjà perdu d’avance ? Quelles sont les armes des consommateurs et des citoyens face à la puissance jamais égalée de Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft. Les GAFAM, les fameux cinq cavaliers qui ont pris d’assaut notre vie sociale, privée, intime, professionnelle, publique. Cinq cavaliers qui ont bien sûr facilité notre quotidien mais qui ont également capté notre attention, notre temps de cerveau de disponible, nous ont rendus accros à leurs outils et services numériques. Comment a-t-on pu accepter cette servitude volontaire sans se défendre ? Est-il encore possible d’échapper à cette emprise ? Quelles sont les pistes pour jouir d’un Internet libre et sans entrave ? Nos invités vous délivrent quelques conseils pour reprendre un peu de pouvoir face aux GAFAM.
Avec nous ce matin la journaliste Anne-Sophie Jacques et le consultant Maxime Guedj.
Et vous, comment vous défendez-vous face aux géants d’Internet ? Au contraire, avez-vous aboli toute velléité d’autodéfense numérique en faisant confiance aux GAFAM ? 01 45 24 7000, sans oublier l’appli France Inter et la page Facebook de Grand bien vous fasse.
Vers 11 heures moins 25 vous retrouverez la combattante Giulia Foïs pour sa chronique « Pas son genre ».
Bienvenue dans Grand bien vous fasse, la vie quotidienne, mode d’emploi.
Voix off : France Inter. Grand bien vous fasse. Ali Rebeihi.
Ali Rebeihi : Bonjour Anne-Sophie Jacques.
Anne-Sophie Jacques : Bonjour.
Ali Rebeihi : Vous êtes journaliste indépendante. Bonjour Maxime Guedj.
Maxime Guedj : Bonjour.
Ali Rebeihi : Vous êtes ingénieur, consultant, indépendant également et vous publiez ensemble aux Arènes Déclic ou « Comment profiter du numérique sans tomber dans le piège des géants du Web ». Dans ce livre vous militez pour un Internet libre, sans surveillance et sans dépendance. C’est encore vraiment possible Anne-Sophie Jacques ?
Anne-Sophie Jacques : Oui, c’est encore vraiment possible. En fait toute la découverte de ce livre, quand on a commencé la rédaction avec Maxime, c’est de réaliser, déjà à partir du constat que vous venez de dresser en introduction, qu’effectivement on est quand même très coincés vis-à-vis de ces géants du Web, vous l’avez dit, qui nous manipulent, qui créent des services, qui nous rendent complètement accros.
Ali Rebeihi : Mais qui ont également amélioré notre quotidien !
Anne-Sophie Jacques : Certes, ils ont amélioré notre quotidien, mais à quel prix ! C’est l’objet du livre aussi et du constat que l’on fait. Dans notre enquête, ce qu’on a surtout réalisé, ce qu’on n’avait pas encore vu avant de commencer, c’est qu’il y a énormément de gens qui se battent pour les libertés sur Internet. Il y a une communauté qui est énorme, avec un enthousiasme qui est fou et pas depuis hier, depuis au moins 30 ans. De toute façon le Web c’est tout jeune, ça a à peine 30 ans, ce n’est rien du tout, c’est une grosse génération.
Ali Rebeihi : Maxime Guedj.
Maxime Guedj : Ce qu’on peut dire c’est que c’est vrai que ça amélioré certaines choses, ça nous fait peut-être gagner du temps en termes d’efficacité. Maintenant, on voit qu’il y a quand même pas mal de gens qui cherchent aussi à faire des vacances détox, à se déconnecter de plus en plus, donc c’est aussi ça qui, en partie, nous a poussés à la nécessité d’écrire ce livre. Au fur et à mesure que cette défiance monte également au sein du monde des technologies et puis de la part des usagers, il y a une forme de défiance qui se construit autour de ça. L’idée c’est aussi de dire qu’il ne faut peut-être pas tout jeter, mais en fait à l’intérieur, dans le numérique, il y a aussi d’autres façons d’envisager le numérique, d’autres façons de le concevoir pour que ça respecte aussi les citoyens, nos libertés et notre vie privée.
Ali Rebeihi : Rappelez-nous quelle est la puissance actuelle des géants du Web, que l’on appelle donc les GAFAM, Google Amazon, Facebook Apple et Microsoft. Ces GAFAM n’ont jamais autant concentré de pouvoirs dans l’histoire de l’humanité ?
Maxime Guedj : C’est étonnant, mais quand on regarde en termes de capitalisation boursière aux États-Unis, Google, Amazon, Microsoft et Apple sont à mille milliards de dollars ; Facebook est autour de 500/530 je crois. Pour une comparaison, c’est Exxon qui est à 250 milliards.
Ali Rebeihi : La compagnie pétrolière.
Maxime Guedj : Voilà, la compagnie pétrolière. Donc on voit qu’on est passé dans une autre phase. Bien sûr que l’extraction des minerais sur la planète continue, mais je dirais que le nouveau minerai à extraire aujourd’hui, qui a le plus de valeur, c’est la donnée et ce minerai est extrait à travers toutes ces plateformes que l’on utilise chaque jour.
Ali Rebeihi : Sans tomber dans la paranoïa, peut-on dire que ces géants du Web ont pris le pouvoir dans nos vies, que nous sommes tous devenus dépendants de leurs outils et services ?
Anne-Sophie Jacques : C’est vrai qu’on est dépendants, mais comme le disait Maxime, ce qui va intéresser ces géants qui sont devenus énormes, c’est en fait notre donnée, c’est ce qui nous appartient, c’est tout ce qu’on fait, tout ce qu’on mange, tout ce qu’on voit, tout ce qu’on lit, tout ce qu’on aime. C’est ça qui les intéresse. Les outils peut-être qu’ils nous rendent service, mais ces outils sont là pour capter le plus de choses sur nous.
Donc on réalise que cette grande phrase qui est connue aujourd’hui « quand c’est gratuit c’est nous le produit » va bien au-delà de ça. Nous ne sommes plus qu’un produit, il n’y a plus que ça qui les intéresse. C’est là où il faut effectivement faire un pas de côté et se dire qu’on n’a pas envie d’être juste un consommateur à la solde de ces géants qui ont pris un pouvoir énorme et qu’on peut faire autrement.
Ali Rebeihi : Nous autres citoyens et consommateurs ne sommes pas à armes égales, c’est un peu comme si sur un ring Mike Tyson combattait contre Jean-Claude Dusse des Bronzés. C’est un peu ça le rapport de force.
Anne-Sophie Jacques : C’est vrai qu’on pourrait parler d’un combat du pot de terre contre le pot de fer, mais il y a des combats de pot de terre qu’il faut mener. Je pense que c’est vraiment capital et je pense qu’on est pile au moment, là, dans l’histoire de ce Web, où on peut nous, citoyens, essayer de faire basculer les choses et rejoindre un mouvement dont je disais tout à l’heure qu’il est ancien et sur lequel on peut s’appuyer, duquel on peut s’inspirer. On peut parler de Edward Snowden qui est assez connu du grand public, qui a révélé en 2013 que les services secrets américains surveillaient l’ensemble des compatriotes de Edward Snowden [1], surveillaient toute la population, voire toute la population du monde. Ils se sont servis pour cela des plateformes que sont Facebook et compagnie. On peut s’inspirer de ces gens qui ont fait ces révélations, qui se sont privés eux-mêmes de liberté pour sauver nos libertés à nous.
Ali Rebeihi : Le problème c’est que nous sommes tous très accrochés, nous sommes une grande majorité à nous considérer comme dépendants de nos objets connectés. Pour beaucoup, oublier son smartphone ou ne plus avoir de batterie c’est une source d’angoisse avec cette peur de rater quelque chose. C’est le fameux FOMO, Fear of missing out, en français je crois que ça s’appelle nomophobie. On est tous accrochés, Maxime Guedj
Maxime Guedj : Oui, c’est vrai que c’est devenu indispensable et certains peuvent même le décrire presque comme une extension de notre corps. Après, est-ce que finalement c’est son caractère indispensable qui est si problématique ? Notre frigo, notre machine à laver nous sont indispensables, pour autant ça ne semble pas nous poser autant de problèmes que le téléphone.
Je pense que ce qui s’est passé c’est qu’on avait à la base un outil technologique. Un outil c’est à notre service et, au départ, l’informatique c’était effectivement pour nous simplifier la vie et faciliter un certain nombre de choses, faire de nouvelles découvertes scientifiques et le Web, à la base, c’était ça, c’était un espace de partage de la connaissance. Sauf que voilà, il y a eu cette bascule avec le modèle économique qui a été découvert, notamment par Google, à travers la captation de données et qui s’est généralisé maintenant à l’ensemble des produits en ligne qui s’adressent au grand public.
Par contre j’aurais tendance à dire, et ce qu’on a essayé de montrer dans le livre c’est aussi ça, c’est-à-dire qu’on aimerait un peu dire qu’on n‘est pas bloqués, contrairement peut-être, si vous voulez, à d’autres secteurs où effectivement on est très dépendants de grosses industries et où effectivement les petits pas permettent de changer les choses, mais pas forcément tout, avec le numérique, si vous voulez, on change d’application. On parle à l’intérieur du livre par exemple de Signal par rapport à Messenger.
Ali Rebeihi : Rappelez ce qu’est Signal.
Maxime Guedj : Signal est une application de discussion instantanée qui est chiffrée, qui est recommandée par Edward Snowden, ce n’est pas très compliqué de le faire et une fois qu’on le fait on invite aussi ses amis à le faire et là, collectivement on peut déjà retrouver de l’espace en termes de vie privée.
Ali Rebeihi : En 20 ans nous avons assisté à une extension du numérique dans tous les domaines de notre vie, nous rendant disponibles, flexibles, multitâches, réactifs tout le temps, jour et nuit ; tout cela a des conséquences bien réelles sur nos vies, Anne-Sophie Jacques. Nous sommes devenus impatients et tous ces outils et services ont pompé notre attention. Ce sont des vampires numériques pour vous ?
Anne-Sophie Jacques : Vous avez dit tout à l’heure que nous sommes tous accros, ce qui est vrai, on est quand même tous assez accros de notre petite machine, mais ce n’est pas un hasard en fait. Il faut savoir que ces géants-là embauchent des armées de psychologues, de gens qui étudient la façon dont notre cerveau fonctionne pour faire en sorte qu’on y reste le plus longtemps possible.
Quand on a commencé ce livre, on se disait c’est un peu comme si on réalisait que matin, midi et soir on mangeait des plats surgelés, peut-être des pizzas, des hamburgers, des frites, on buvait du soda et que, en fait, on pouvait aussi commencer à refaire de la cuisine, à retourner sur le marché le matin, à découvrir d’autres aliments, à se réapproprier des recettes qui ont été accaparées par ces géants qui en font un business de fou.
Ali Rebeihi : Maxime Guedj, ces géants du Web, ce sont des vampires numériques qui vident nos capacités de concentration, d’attention ?
Maxime Guedj : Oui. J’aurais tendance à tempérer cette vision un peu diabolisante, on va dire, des géants. Je pense que c’est ce qu’on s’est attachés à expliquer dans le livre : on a essayé de déplier tout ça. C’est aussi le résultat d’un mode de financement particulier dans le monde des startups qui est fait aussi de pressions économiques. Est-ce que c’était forcément une volonté à la base de capter nos données ?
Ali Rebeihi : Non. Je ne crois pas.
Maxime Guedj : En tout cas ce qui s’est passé, c’est ce qui s’est retrouvé à être le plus rentable économiquement et effectivement, pour une entreprise comme Google, ce sont des entreprises lucratives, la recherche c’est d’augmenter le profit. C’est pour ça qu’on regarde aussi dans le livre des alternatives d’organisation autour des associations, de coopératives, d’autres entreprises aussi mais qui prennent des modes de structuration différents, qui ne cherchent pas forcément à lever des fonds par les leviers classiques pour essayer de s’extraire effectivement de ces pressions.
Ali Rebeihi : Au départ, Internet fut d’abord un immense terrain de liberté, Maxime Guedj.
Maxime Guedj : Oui. Personnellement je m’en souviens.
Ali Rebeihi : À la soif de connaissance et de liberté s’ajoute très vite la soif de profit.
Anne-Sophie Jacques : C’est vrai que c’est comme si on avait découvert un immense territoire, un territoire pour le coup très foisonnant. Je ne sais pas si vous vous souvenez de vos premiers pas sur Internet quand on découvrait les blogs, les sites d’info faits de bric et de broc, il y avait des choses très inventives et c’était vraiment un endroit conçu pour qu’on partage la connaissance. Il faut bien avouer qu’aujourd’hui la connaissance est plutôt capturée, elle est plutôt enfermée et il est peut-être temps de se dire qu’Internet est un bien commun. Je ne dis pas qu’à ses départs le Web était merveilleux, était fabuleux, mais c’était comme un pays très complet avec des choses plus ou moins belles, plus ou moins fortes, et ce pays-là, en fait, il nous a été confisqué.
Ali Rebeihi : Maxime Guedj.
Maxime Guedj : Pour tirer la métaphore, je dirais qu’il faut peut-être décoloniser en fait ce territoire des GAFAM et retrouver notre indépendance.
Ali Rebeihi : C’est fort comme terme !
Maxime Guedj : Si vous voulez, c’est fort, après ça dépend de chacun et de ce qu’il entend, la connotation qui va être reliée à ce terme, mais aujourd’hui on n’est pas indépendants. Si vous êtes sur Messenger pour parler à vos amis, Messenger qui est l’application de messagerie instantanée proposée par Facebook, si un de vos amis veut communiquer avec vous et que vous êtes sur Messenger eh bien cet ami sera obligé de se soumettre aux conditions générales d’utilisation de Facebook pour pouvoir communiquer avec vous. Ce n’est pas du tout le cas par exemple avec les opérateurs téléphoniques. Si demain Orange vous disait que vous ne pouvez plus appeler ni envoyer de textos à des personnes qui sont chez Free, Bouygues ou autre, eh bien ce serait tout à fait scandaleux. Pourtant c’est ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine du numérique avec ces géants.
Ali Rebeihi : Avec quelle recette les GAFAM ont-ils connu une expansion et une telle domination au cours de ces 20 dernières années ?
Anne-Sophie Jacques : Avec quelle recette ? Comme Maxime le disait tout à l’heure, c’est vraiment avec le fait de comprendre que plutôt que de nous vendre un service on allait proposer des choses gratuites sur Internet, un service gratuit et que, en échange, ce qui allait nourrir leur modèle économique, c’est la donnée. La donnée c’est de savoir, comme je le disais, ce qu’on fait. Mais en fait, la donnée c’est même plus intime que ça, c’est-à-dire que là on va chercher au fond de nous, au cœur de nous, de nos émotions, de nos pensées, et c’est ça qui est dangereux en fait.
Maxime Guedj : Maintenant on parle beaucoup d’intelligence artificielle qui n’est que la suite de ces algorithmes qui deviennent juste de plus en plus perfectionnés, c’est-à-dire qu’ils ont tellement de données que maintenant le but du jeu, si j’ose dire, c’est d’anticiper.
Ali Rebeihi : De prédire.
Maxime Guedj : De prédire nos prochains comportements et on voit bien que ça peut avoir tout un tas d’applications effectivement dans le monde commercial.
Ali Rebeihi : Comment se défendre face aux géants du Web, les GAFAM, Google, Amazon Facebook, Apple, Microsoft ? N’hésitez pas à témoigner au 01 45 24 7000. Alexia Rivière, Julia Macarez et Clément Martin m’ont aidé à préparer cette émission réalisée par Claire Destacamp. Belle journée à l’écoute de France Inter.
Pause musicale : Vertige de l’amour par Alain Bashung.
Ali Rebeihi : Alain Bashung, Vertige de l’amour.
Voix off : Hou la, la, je capte mal la Wifi.
Grand bien vous fasse
Il faut peut-être redémarrer la box.
Ali Rebeihi.
Tu sais que moi aussi je vais sur le Facebook.
Sur France Inter.
Ali Rebeihi : 10 heures 23, comment se défendre face aux géants d’Internet, les fameux GAFAM, Google, Amazon, Facebook, Apple Microsoft ? Toutes vos questions au 01 45 24 7000.
Voix off : Cette nuit Léa a fait un cauchemar. La ville était contrôlée par un géant tellement partout dans les rues, dans les existences, que c’était comme s’il avait sucé la vie et le cerveau des gens. Léa a rêvé de l’ogre GAFAM.
GAFAM, c’est un mot qui reprend la première lettre de Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, les marques les plus cool du monde. Pourquoi parler d’ogre alors ?
Parce que GAFAM désigne plus largement ces géants des technologies à ce point importants dans l’économie et dans nos vies qu’ils en deviennent inquiétants, car ce sont tout d’abord des entreprises qui cherchent à faire du profit.
Au début le rêve était cool, le géant, appelons-le Georges, était prêt à tout pour aider tout le monde : besoin d’un bon resto, Georges avait la réponse et, en plus, il disait comment y aller. Et pour acheter des livres, des vêtements, de la musique, n’importe quoi, il était encore là. Et puis le rêve devenait angoissant. Le père de Léa est commerçant, si Georges ne parlait pas de lui, il n’avait pas de clients ! À la fin, on réalisait qu’en échange de ses services Georges avait pris le contrôle, il vous suçait le cerveau, les infos persos et toute votre mémoire. Le pire, c’est qu’il vendait toutes ces données à des publicitaires ou mieux ! à des hommes politiques pour manipuler Léa. Le rêve était devenu un cauchemar.
C’est ça le géant GAFAM : un monstre qui prend tout l’oxygène, qui empêche toute diversité.
Ali Rebeihi : Extrait des Clefs du Numérique [2], écrit et narré par notre camarade Bruno Duvic.
Maxime Guedj, Anne-Sophie Jacques, vous publiez donc Déclic, « Comment profiter du numérique sans tomber dans le piège des géants du Web ». Vous l’avez dit tout à l’heure, les GAFAM collectent nos données pour analyser nos comportements mais désormais il faut prédire nos désirs, synonyme de nouveaux marchés à conquérir. Les GAFAM ont largement investi un domaine comme la recherche cognitive. Quels sont les grands domaines de recherche Maxime Guedj ? Je pense aux biais cognitifs. Je rappelle qu’un biais cognitif ça tort la réalité en l’analysant avec des raisonnements irrationnels et illogiques et les GAFAM investissent beaucoup dans ce domaine-là.
Maxime Guedj : Oui. C’est vrai. Si vous voulez, le design des interfaces va définir – les interfaces c’est l’écran qu’on voit quand on utilise ces applications – va définir nos capacités d’usage mais aussi, potentiellement, influencer nos comportements.
Donc pour l’étape qui a suivi et qui, effectivement, devient de plus en plus étudiée au sein de cette industrie, c’est de comprendre, même à un niveau psychologique, que si je vais mettre le bouton de notification en rouge, en vert, en bleu, ça va agir différemment sur l’usager.
Pour revenir au niveau des biais cognitifs, il y en a tout un tas qui ont été très bien listés par l’économiste Daniel Kahneman [3] qui a eu le prix Nobel d’économie pour ça. C’est important de les connaître pour s’en sortir.
Ali Rebeihi : Exemple, le biais de confirmation qui consiste à privilégier la recherche d’informations qui confirme nos idées préconçues.
Maxime Guedj : Voilà. Exactement. Ça c’est parfait aujourd’hui pour les algorithmes qui vont trier toutes les informations qu’on a dans nos fils d’activité, que ce soit sur Facebook ou Instagram, qui vont continuer de nous fournir des informations qui restent dans notre confort et qui vont ainsi avoir tendance à renforcer encore plus ce biais cognitif et à réduire, finalement, nos capacités à penser les choses autrement ou même à voir qu’il y a d’autres possibilités de voir les choses.
Ali Rebeihi : Anne-Sophie Jacques.
Anne-Sophie Jacques : Tout à l’heure, dans l’extrait, on a entendu le mot « manipulation » ; on en est vraiment là. Il y a eu un scandale qui a été formidable pour justement comprendre ce principe de manipulation, c’est le scandale de Cambridge Analytica, découvert en 2018 grâce à un lanceur d’alerte. Cambridge Analytica [4] c’est le nom d’une agence marketing en Angleterre qui a avoué sur son site que son but c’est de prendre les données des utilisateurs notamment de Facebook et de se servir de ces données pour les manipuler, pour leur donner des consignes de vote. En l’occurrence, le scandale de Cambridge Analytica nous a montré que l’élection de Trump a été favorisée par toute cette armée de marketeurs qui ont ciblé des gens qui ne savaient pas encore pour qui voter, mais qui ont reçu, sur leur fil Facebook, tout un tas de vidéos qui leur ont fait finalement voter Trump, une façon, pour eux, de voir le monde selon Trump. C’est assez inquiétant.
Ali Rebeihi : Vous rappelez dans vote livre que les GAFAM dépensent des sommes considérables pour acheter ou inventer des services qui ont pour but de collecter toujours plus de données.
Anne-Sophie Jacques : C’est ça. En fait à chaque service offert on peut dire « chouette, Google sort un nouveau service » ou « chouette, Google rachète une grosse entreprise » et ils en rachètent énormément, ils ont énormément de moyens. En fait, non ! Tout ça a pour seul but de faire en sorte d’extraire toujours plus de données.
Ali Rebeihi : Bonjour Hélène, bienvenue.
Hélène : Bonjour.
Ali Rebeihi : Vous appelez d’où Hélène ?
Hélène : J’appelle de Marseille.
Ali Rebeihi : Comment faites-vous pour vous défendre face à ces géants du Web avec vos petits moyens ?
Hélène : En fait, les géants du Net n’ont de pouvoir que parce que nous leur en donnons finalement, parce nous utilisonsleurs services. Il y a des alternatives à Facebook – il y a Diaspora [5] par exemple ; à Google Chrome – il y a des navigateurs libres. À côté des géants il y a énormément d’alternatives qui existent, qui ont été créées de façon collaborative et qui sont créées justement pour éviter la captation du pouvoir par un géant privé. Il y a un site qui existe, qui s’appelle degooglisons-internet.org [6], qui liste la totalité des alternatives à tous les logiciels possédés par des GAFAM. C’est super intéressant.
Ali Rebeihi : Comment vous faites au quotidien ? Donnez-nous un exemple Hélène.
Hélène : Un exemple je n’ai pas Google Chrome. J’utilise Qwant [Firefox, NdT]. Je ne vais jamais faire de recherches sur Google, je vais sur DuckDuckGo. En fait, j’ai changé tous les logiciels de mon ordinateur, je suis d’ailleurs sur un système libre, Linux [GNU/Linux], ce n’est pas Microsoft par exemple. Je fais tout simplement attention à ne pas utiliser les services des GAFAM.
Ali Rebeihi : Anne-Sophie Jacques.
Anne-Sophie Jacques : Très intéressant le témoignage d’Hélène. C’est bien. Elle a vraiment compris une chose fondamentale, c’est que si ces géants existent c’est aussi parce qu’on les utilise et qu’on peut très bien utiliser des outils qui existent par ailleurs. Elle a cité « Dégooglisons Internet » qui est une initiative de l’association Framasoft [7], qu’on vous engage à découvrir, qui est une association qui est super, on en parle beaucoup dans le livre, qui permet et qui donne accès à tout un tas d’outils qui sont libres. En fait, ce sont des outils simples qui ne vont pas récupérer nos données, qui ne vont pas nous pister, qui ne vont pas nous surveiller. Ils sont là, ils attendent juste qu’on les prenne et qu’on s’en empare.
Ali Rebeihi : Merci beaucoup Hélène de nous avoir appelés.
Il n’y a pas que d’affreux gauchistes ou libertaires qui tirent la sonnette d’alarme. Certains piliers de l’industrie du Web s’alertent. Je pense à Roger McNamee, l’un des premiers investisseurs de Facebook. Pour Roger McNamee, Facebook est en train de tuer, dit-il, la démocratie. Il dénonce également le comportement, irresponsable selon lui, d’Alphabet, Alphabet c’est la maison mère de Google. C’est fort ce que nous dit Roger McNamee.
Maxime Guedj : Oui. Tout à fait, c’est extrêmement fort et si vous voulez, à l’intérieur de cette industrie, il y a de plus en plus de gens qui s’en rendent compte. Moi aussi j’ai cru aux promesses des start-ups et de ce milieu-là et aujourd’hui on voit bien que c’est extrêmement compliqué. Les pressions économiques qui sont en place permettent difficilement de trouver d’autres modèles. C’est pour ça qu’on parle de ces autres outils, de ces autres initiatives. Je remercie beaucoup Hélène d’avoir parlé de ces outils qu’on liste notamment dans le livre et j’espère que de plus en plus de gens vont les découvrir.
Ali Rebeihi : Et Sean Parker, toujours actionnaire de Facebook et premier président de Facebook, déclare que Facebook rend délibérément ses utilisateurs accrocs. Il s’inquiète des comportements encore inconnus sur les enfants. Anne-Sophie Jacques.
Anne-Sophie Jacques : Oui. Il faut les écouter, parce que eux ont vraiment fait partie de la machine, en font peut-être même encore partie et quand on parle de dangers pour la démocratie ce ne sont pas des mots en l’air, il faut les prendre très au sérieux. Quant à ce que l’utilisation des écrans sur nos enfants peut engendrer, on n’a pas encore trop d’idées, j’imagine que ça va être très documenté. Quand il compare Snapchat qui est une messagerie, une application plutôt pour les ados, qui est très utilisée – mon fils passe un temps fou sur cette appli.
Ali Rebeihi : Le massage est passé.
Anne-Sophie Jacques : J’espère qu’il lira le livre. On en parle souvent. Quand il compare Snapchat à de l’héroïne !
Ali Rebeihi : Il vous dit ça ?
Anne-Sophie Jacques : Non, pas mon fils !
Maxime Guedj : C’est Justin Rosenstein, de chez Facebook, qui compare le pouvoir addictif de Snapchat à l’héroïne et il en sait quelque chose ! C’est lui qui a inventé le bouton « like » sur Facebook.
Anne-Sophie Jacques : Ce ne sont pas des mots en l’air, en fait. C’est vrai que quand on en parle avec les parents, qu’on leur dit : « Tu sais, il compare à de l’héroïne », les parents disent : « Oui, mais qu’est-ce que tu veux, ils sont devant leurs écrans » et c’est assez étonnant, assez inquiétant aussi qu’on ne fasse pas le rapport et qu’on ne dise pas : « Si ton fils avait une seringue dans la chambre est-ce que tu lui laisserais la seringue à portée de main ? » Non, on ne le fait pas encore, mais je pense qu’il y a quand même une prise de conscience qui est en train d’arriver et qui va porter tout ça.
Ali Rebeihi : Comment agissez-vous avec votre fils ?
Anne-Sophie Jacques : Je ne suis pas un bon exemple. Il est grand maintenant, donc ce n’est pas facile de lui piquer son portable, d’ailleurs ça n’aurait aucun sens. J’ai assez confiance en fait en cette génération qui arrive, qui est effectivement toujours plantée devant son écran, mais j’ai assez confiance en elle sur le fait de se dire qu’ils peuvent aussi récupérer énormément de liberté en s’en débarrassant, que eux aussi ont le choix de faire autre chose. Voilà ! Je pense que s’ils doivent passer par cette étape complètement accros au téléphone, à le regarder jour et nuit, je pense qu’ils vont passer aussi par l’étape de « ah, ah, il y a un autre monde vachement plus libre, vachement plus sain, où je récupère de mon temps de cerveau et ce monde-là va être génial à investir. »
Ali Rebeihi : Est-ce que le Réglement général sur la protection des données est vraiment utile, le fameux RGPD, censé protéger nos données ? Expliquez-nous peut-être d’abord comment ça fonctionne. Qu’est-ce que c’est concrètement ce RGPD [8] ?
Anne-Sophie Jacques : C’est un règlement européen qui a été adopté par la Commission européenne en 2013 [par le Parlement européen le 27 avril 2016, NdT] si mes souvenirs sont bons. L’avantage du Règlement c’est qu’il s’applique à l’ensemble des pays membres de l’Union européenne et ce Règlement impose à tout service, tout site qui récupère nos données personnelles – nos noms, nos prénoms et plus – de nous en informer, de nous dire qu’il les récupère et à nous de dire si on est on est d’accord ou pas. C’est pour ça qu’aujourd’hui quand vous ouvrez un site, vous avec un bandeau. Des fois le bandeau est tout petit, des fois les boutons, on a parlé des boutons tout à l’heure, sont un peu cachés, on ne les voit pas, c’est un petit peu compliqué. Il faut savoir que ce Règlement est hyper-important. On peut penser que ça ne va pas assez loin, mais l’Europe on est les seuls au monde à s’être protégés de l’extraction de nos données via ce règlement.
Ali Rebeihi : Comme beaucoup, par exemple moi je clique sur « oui », parce que je suis un peu pressé, que je n’ai pas envie de cocher d’autres cases. On est beaucoup à être comme ça, à dire « oui », à accepter.
Maxime Guedj : Oui. C’est vrai.
Ali Rebeihi : C’est mon problème !
Maxime Guedj : La CNIL [Commission nationale de l’informatique et des libertés] travaille beaucoup à ce niveau-là. C’est la question du consentement, c’est-à-dire que normalement il faudrait que le bouton « Refuser » soit de la même taille, exactement pareil, à côté du bouton « Accepter ».
Je voudrais ajouter sur le RGPD, ce que le RGPD change véritablement et apporte c’est que jusque-là il n’y avait pas vraiment de statut quant à nos données personnelles et sur le fait qu’elles pouvaient être commercialisées. On disait après tout si vous utilisez Google, c’est qu’elles appartiennent à Google. Ce que le RGPD apporte c’est de dire : vos donnés sont personnelles. Le propriétaire, la propriétaire des données c’est la personne qui génère ces données. Ça, c’est quand même un changement radical vis-à-vis de notre position avec les données. On peut espérer que ça va engager de plus en plus les entreprises à nous respecter.
Ali Rebeihi : Dans quelques instants vous nous délivrerez vos conseils de base, quelques conseils d’autodéfense numérique. En attendant il est temps de retrouver la chronique « Pas son genre » de Giulia Foïs.
Chronique « Pas son genre » de Giulia Foïs, non transcrite.
Voix off : Grand bien vous fasse sur France Inter.
Ali Rebeihi : 10 Heures 46. Comment se défendre face aux géants d’Internet, les fameux GAFAM, Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft ? Toutes vos questions au 01 45 24 7000.
Maxime Guedj, Anne-Sophie Jacques, je rappelle que vous publiez aux Arènes Déclic. L’une des clefs pour reprendre le pouvoir face à ces géants du Web c’est peut-être de basculer vers le logiciel libre. Expliquez-nous comment ça fonctionne. C’est l’équivalent d’une recette de cuisine en accès libre où chacun peut améliorer la recette ? C’est un peu ça ?
Maxime Guedj : Si vous voulez un logiciel, quand il est exécuté par un ordinateur, on ne peut pas véritablement savoir quelle est sa recette, en fait. On parlait de plats préparés, on ne peut pas remonter à la recette.
La différence avec un logiciel libre c’est que son code source, c’est-à-dire les instructions qui ont été écrites par des développeuses, des développeuses pour faire fonctionner ce logiciel, est public, donc on peut inspecter comment fonctionne ce logiciel et s’assurer qu’à l’intérieur il n’y a pas de mouchards ou de choses qui n’iraient pas dans le sens de l’usager.
L’autre chose que ça apporte c’est qu’on peut modifier ce logiciel, donc on peut l’adapter à nos propres besoins. Il y a un exemple qu’on évoque dans le livre qui est particulièrement intéressant de ce point de vue, c’est une femme qui a un pacemaker. Il faut se rappeler qu’aujourd’hui on a des logiciels partout, ce n’est pas que dans nos téléphones, c’est aussi dans plein de dispositifs. Donc cette femme a un pacemaker, elle était enceinte, elle a eu des palpitations et ça faisait fonctionner son pacemaker d’une mauvaise manière, ça l’activait alors qu’il ne fallait pas. Elle a contacté l’industriel qui faisait ce pacemaker pour lui indiquer qu’il y avait ce problème, simplement il ne voulait pas changer le logiciel puisque ce n’était pas forcément rentable de s’intéresser juste à cette petite part de la population, ce cas extrême. Si le logiciel de ce pacemaker avait été libre, eh bien elle aurait pu soit elle-même soit avec des développeurs ou des développeuses le modifier pour l’adapter à son cas particulier.
Même d’un point de vue respect de l’environnement c’est aussi intéressant puisque ça peut permettre de lutter contre l’obsolescence programmée. On sait qu’il y a des logiciels, par exemple Microsoft Windows X : Microsoft a annoncé dernièrement qu’il ne maintiendrait plus les prochaines mises à jour, ce qui laisse tout un tas personnes bloquées avec ce logiciel, donc soumises à devoir faire une mise à jour. Si le logiciel était ouvert, c’est le cas de Linux [GNU/Linux] dont on parle dans le livre, eh bien ou pourrait avoir des personnes qui pourraient continuer de l’améliorer, de le modifier pour garder ce logiciel utilisable même si on a une ancienne machine.
Ali Rebeihi : Giulia Foïs.
Giulia Foïs : Moi je suis fascinée par tout ça, de toute façon, à partir du moment où on rentre dans ce monde. Les réseaux sociaux ça va encore, mais dès que ça devient un petit peu technologique, mon cerveau se met à la fois en apnée et en admiration, donc j’écoute et je bois.
Ali Rebeihi : Qu’est-ce que l’open source ? Maxime Guedj. C’est aussi un moyen de rééquilibrer ses forces face aux géants du Web.
Maxime Guedj : L’open source s’inspire beaucoup de l’éthique des logiciels libres qui a démarrée avec Richard Stallman [9]. L’open source a été une manière, si vous voulez, de récupérer l’intérêt que les industriels ont découvert vis-à-vis de l’ouverture de cette source, puisque ça permet de maintenir le code par des équipes qui sont aussi bénévoles, etc. Il y a finalement tout un intérêt économique à développer des logiciels avec une source ouverte. La différence c’est que l’open source va permettre certaines méthodes de commercialisation que le logiciel libre n’autorise pas, donc le logiciel libre participe vraiment à créer du commun. Quand on fait un logiciel libre il faut le garder ouvert et, à l’intérieur de cette licence-là, si vous modifiez ce logiciel, y compris si vous en faites un logiciel commercial, vous vous engagez à le garder ouvert. Cet engagement ne s’applique pas forcément avec l’open source.
Ali Rebeihi : Un exemple concret d’open source ?
Maxime Guedj : Par exemple Facebook, Google, etc., utilisent énormément de technologies open source, mais, comme elles sont open source, ils vont pouvoir derrière les ré-encapsuler, les refermer dans des interfaces et des programmes qui, eux-mêmes, sont fermés. Ce qui fait que nous on n’a pas accès au code source de Facebook, par contre ça ne les empêche pas, à l’intérieur du fonctionnement de Facebook d’utiliser ce type de technologie ouverte.
Ali Rebeihi : Écoutons Pierre-Yves Gosset, directeur de l’association Framasoft, militant du logiciel libre.
Voix off de Pierre-Yves Gosset : Ce qu’on veut c’est construire et coproduire des logiciels libres au service de la société de contribution. Si vous voulez développer des biens communs, il faut être prêt à y participer. C’est une société de l’effort, c’est évident. Ce n’est pas ce qui nous est vendu en face, évidemment ; on est plutôt dans une société du confort avec la société de surconsommation. La société de contribution est une société de l’effort qui va nécessiter de prendre du temps, de prendre sur soi, de mettre de l’énergie dans le maintien et le développement de ces biens communs. Il est difficile aujourd’hui quand on regarde cette société de la surconsommation, de se dire qu’elle a un avenir d’égalité et de fraternité pour beaucoup de gens. Concrètement dans cinq ans, dans dix ans, si jamais on ne développe pas le logiciel libre, on aura quoi ? On aura un « Googleternet » sur lequel vous pourrez consommer des vidéos, sur lequel vous pourrez publier des contenus, mais tous ces contenus seront validés, monétisés et on va vous encourager à produire des contenus qui n’existent pas ou qui ne sortent pas trop du cadre.
Ali Rebeihi : Extrait du documentaire Internet ou la révolution du partage [10] de Philippe Borrel, diffusé en 2019. J’aimerais que vous partagiez quelques conseils d’autodéfense numérique, peut-être d’abord le mot de passe, Maxime Guedj, c’est dans la partie pratique de votre livre, dans la deuxième partie.
Maxime Guedj : C’est vrai qu’on a tendance, avec les mots de passe, à entrer des mots de passe qui sont très réduits en termes de taille et qui vont être facilement cassables. De ce point de vue, une des choses les plus importantes, c’est d’avoir un mot de passe qui va être différent sur chaque plateforme.
Anne-Sophie Jacques : Anne !
[Rires]
Maxime Guedj : C’est compliqué. Je suis d’accord que c’est compliqué. Il y a un logiciel dont on parle qui peut vous aider à les mémoriser ou bien il y a une autre technique, c’est-à-dire que vous pouvez retenir par exemple un mot de passe qui est assez long, qui est assez compliqué et, à l’intérieur de ce mot de passe, vous pouvez avoir une partie que vous allez changer en fonction de l’URL du site sur lequel vous êtes. Comme ça il n’y a pas besoin de retenir.
Giulia Foïs : Vous voulez ma mort psychique !
Maxime Guedj : Non, en l’occurrence ce n’est pas vrai. Par contre il y a d’autres qui s’intéressent à vous surveiller.
Anne-Sophie Jacques : Pierre-Yves Gosset, qu’on a entendu à l’instant, dit une chose qui est capitale c’est qu’effectivement il va falloir faire un effort. Tout à l’heure, Ali, vous nous disiez que vous ne preniez pas le temps d’appuyer…
Ali Rebeihi : Pas toujours.
Anne-Sophie Jacques : Pas toujours, on est d’accord. Moi je ne veux pas du tout vous culpabiliser, on est beaucoup à ne pas le faire. Vous nous demandez quelles sont les alternatives, j’en ai une pour vous, puisqu’on ne clique pas toujours sur ce bouton-là : on peut installer comme navigateur sur son ordinateur un navigateur qui s’appelle Firefox [11], qui est un navigateur libre. Il offre des extensions dont une qui s’appelle uBlock Origin [12], on en parle dans le livre. C’est vraiment très facile.
Giulia Foïs : Il vous regarde !
Anne-Sophie Jacques : En trois clics c’est fait. Cet outil-là va empêcher les pisteurs de vous pister. Vous n’avez même plus besoin de cliquer sur le « Oui », sur le « Non », tous les pisteurs qui sont sur les sites seront totalement bloqués. Ce qui est assez amusant c’est que quand on l’installe, on voit des chiffres apparaître, on se dit « que sont ces chiffres ? », on les regarde et on voit toutes les régies publicitaires qui ont accès à ce que nous on fait sur ce site. Ça peut être le site de Météo-France, ça peut être le site du Monde, tous les sites en fait. Là on les bloque avec ce petit outil que est assez fabuleux.
Ali Rebeihi : Comment naviguer de façon anonyme ?
Anne-Sophie Jacques : Là c’est plus compliqué. Dans le livre on a effectivement toute une partie sur les outils qui nous permettent de naviguer sans se faire repérer. Maxime, peut-être qu’on pourrait toucher un mot un des VPN ?
Ali Rebeihi : C’est quoi un VPN ?
Maxime Guedj : Un VPN [Réseau privé virtuel - Virtual Private Network], c’est une machine intermédiaire à laquelle vous allez vous connecter et qui va vous amener le site que vous souhaitez regarder. L’intérêt c’est que le lien entre vous et cette machine est chiffré. Quand vous essayez de vous connecter mettons à DuckDuckGo qui est une alternative, un moteur de recherche alternatif à Google, si vous y allez directement, votre opérateur voit la requête passer dans ses tuyaux et sait que vous accédez à ce site. Si vous utilisez un VPN, il va juste voir que vous vous connectez à une machine qui est toujours la même, mais il ne saura pas ce que vous faites vis-à-vis de cette machine.
Anne-Sophie Jacques : C’est un peu comme si vous aviez envie de manger plein de pizzas, mais vous n’osez plus aller à la pizzeria le soir parce qu’on vous a repéré, on sait que vous venez tous les soirs. Vous demandez à une tierce personne d’aller l’acheter pour vous, elle va l’acheter comme ça vous êtes tranquille, vous pouvez manger votre pizza et personne ne vous embêtera.
Ali Rebeihi : J’ai tout compris. Quelle messagerie instantanée vous conseillez ?
Anne-Sophie Jacques : Dans le livre on conseille la messagerie Signal [13].
Ali Rebeihi : Pourquoi ?
Anne-Sophie Jacques : Parce que c’est une messagerie qui, quand on s’envoie des messages, tous les messages sont cryptés, c’est déjà une bonne chose. C’est une messagerie qui s’engage également à ne pas utiliser la façon dont on navigue. Elle ne réutilise pas le fait de savoir si on a envoyé des photos, des vidéos. Voilà ! Vous voyez de quoi je veux parler ?
[Rires]
Ali Rebeihi : Non pas du tout ! Quel moteur de recherche conseillez-vous ?
Anne-Sophie Jacques : Tout à l’heure Maxime a évoqué le moteur de recherche DuckDuckGo [14] qui est effectivement aujourd’hui un des plus performants, qui est une super alternative à Google. Il y en a plein d’autres qui sont cités dans le livre.
Ali Rebeihi : Il y a Searx.
Maxime Guedj : Searx [15] c’est autre chose, mais c’est également un moteur de recherche.
Ali Rebeihi : C‘est autre chose, c’est à-dire ?
Maxime Guedj : C’est-à-dire que là vous êtes complètement indépendant. Vous avez DuckDuckGo ou Qwant qui fonctionnent sur des machines qui ne vous appartiennent pas, qui sont à une entreprise, donc il peut toujours y avoir quelque part un risque de se dire « qu’est-ce qu’elles font avec ces recherches ? », eh bien Searx c’est un logiciel qu’on peut installer soi-même sur sa propre machine ou le faire installer sur une machine de quelqu’un qui s’y connaît. Ce logiciel est ce qu’on appelle un métamoteur, donc il va chercher de manière anonyme sur tous les autres moteurs, Google, etc., en vous permettant de garder l’anonymat.
Ali Rebeihi : Vous conseillez également, dans votre livre, par exemple de ne plus recevoir de notifications sur son smartphone.
Anne-Sophie Jacques : On parle des outils, mais il y a aussi une façon de vivre et de comportement à avoir. Effectivement, par exemple si on est un peu accroc aux réseaux sociaux, je ne sais pas si c’est votre cas.
Ali Rebeihi : Je ne suis pas sur les réseaux sociaux.
Giulia Foïs : Il n’est accro de rien !
Anne-Sophie Jacques : On peut aussi, par exemple, supprimer l’application de Facebook ou de Twitter de notre téléphone ce qui déjà nous évite de les regarder quand on fait la queue cinq minutes à la boulangerie. Effectivement, on peut aussi décider de ne pas recevoir les notifications qui captent notre attention, qui font qu’on est moins disponible pour le reste.
Ali Rebeihi : Question très intéressante qu’on vient de recevoir : si j’ai coché « Oui » pour consentement à l’utilisation des donnés, puis-je revenir sur ma décision ?
Anne-Sophie Jacques : Oui, bien sûr. Je crois que dans les paramètres il y a toujours la possibilité. Après c’est un petit peu la limite, on peut toujours revenir, mais avant de trouver de trouver la page qui nous permet de changer et de faire un choix différent, ce n’est pas toujours simple ! On invite aussi les sites à être un petit plus en conformité avec le Règlement européen, le RGPD, pour faire en sorte que le consentement soit un vrai consentement.
Ali Rebeihi : Marie nous dit : « Se passer des GAFAM c’est presque possible. J’ai un iPhone mais au quotidien j’ai réussi à me passer de Google. J’ai fermé mes comptes Facebook, Instagram, WhatsApp. J’utilise Signal à la place. J’ai arrêté Amazon. C’est un processus qui s’est fait sur environ en deux ans. Je ne suis absolument pas bloquée dans ma vie quotidienne numérique et j’ai toujours des amis.
Anne-Sophie Jacques : Ce qui est dingue, c’est que non seulement on n’est pas bloqué. C’est vrai que c’est long, il faut se déshabituer, ce n’est pas facile, ce n’est pas confortable de changer nos habitudes, mais on se rend compte qu’on récupère énormément de temps et qu’on en profite pour faire autre chose.
Ali Rebeihi : Je recommande votre livre qui est également un guide. Merci Anne-Sophie Jacques et Maxime Guedj. Déclic « Comment profiter du numérique sans tomber dans le piège des géants du Web, c’est publié aux Arènes. Merci d’être venus ce matin.
Demain nous serons en direct du salon de l’Agriculture. Venez nombreux dès 9 heures 45 Porte de Versailles, nous évoquerons les plaisirs de la pomme de terre…