- Titre :
- Blockchain et nouvelles formes de gouvernance
- Intervenants :
- Primavera De Filippi, CERSA & Harvard Law School - Paul Richardet, VP SOCIETY
- Lieu :
- Paris Open Source Summit 2016 - Plénière Society
- Date :
- Novembre 2016
- Durée totale :
- 13 min 27
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- Licence :
- Verbatim
Transcription
Primavera : Je voulais commencer avec un petit tour de magie, mais je vais le simplifier parce que je ne peux pas trop le faire avec une main. Non, mais ça va aller.
Paul : Je vais te le tenir.
Primavera : Non, mais c’est bon. Donc là j’ai 20 rials, ça ne vaut pas grand-chose, mais surtout le problème c’est que je ne peux les dépenser qu’une seule fois, et donc, qu’est-ce que se passerait si je pouvais les reproduire ? Donc là j’en ai 20, j’en ai 40, j’en ai 60. J’ai maintenant 60 rials. La question donc c’est : est-ce que vous accorderiez vraiment de la valeur à cet argent ? Probablement pas.
Le problème c’est que c’est le système de fonctionnement des banques. Donc depuis que les banques ont la capacité de prêter plus d’argent qu’elles n’en ont, elles peuvent désormais créer de la monnaie, même si de façon théoriquement temporaire, en offrant des prêts à découvert. Et donc aujourd’hui il y a plus ou moins 97 % de tout l’argent qui est en circulation dans le monde qui est fondé sur la dette. Et c’est là, bien sûr, un des facteurs principaux qui a porté à la crise financière de 2008, qui nous a fait perdre pas mal de confiance dans ces institutions financières.
Et pourtant ces institutions ont toujours aujourd’hui un rôle important à jouer, surtout avec le numérique. Donc l’internet nous a permis de communiquer et d’échanger des informations entre pairs, en nous passant des chaînes de télé ou des radios, et il a aussi mené à l’émergence de ces réseaux pair à pair, pour le partage de fichiers, puisque si j’ai un document en format numérique, je peux le reproduire en plein de copies, le distribuer à mes pairs, sans pour autant perdre l’accès à ma propre copie.
Évidemment, cela pose un problème lorsqu’il s’agit d’échanger de l’argent ou tout autre ressource dont la valeur dépend de la rareté. Et c’est pour ça que lorsque l’on veut échanger ou transférer de l’argent sur Internet, on doit passer par des intermédiaires financiers tels que les banques ou PayPal. Et ces opérateurs sont donc responsables de vérifier les transactions et de s’assurer que personne ne peut dépenser plus d’argent de ce qu’il ne possède réellement. Le problème, évidemment, c’est que ces institutions introduisent une nouvelle couche de centralisation sur ce réseau décentralisé qui est l’internet et le système ne fonctionne alors que lorsqu’on fait confiance à ces institutions.
Qu’est-ce qui se passerait si, au lieu de se confier à ces intermédiaires financiers, on créait plutôt un système de paiement décentralisé ?
Ce système, évidemment, il existe déjà c’est Bitcoin, une monnaie virtuelle qui peut être échangée entre pairs, sans passer par aucune banque ou autre institution financière.
Bitcoin [1] a été créé en 2008 par un individu qui se cache sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto et, à différence des monnaies traditionnelles telles que les euros ou les dollars qui sont émis par une banque centrale contrôlée par un État, l’émission de bitcoins est déterminée par un protocole informatique qui va définir précisément la quantité totale de bitcoins qui seront créés et la vitesse à laquelle ils vont être générés. Donc aujourd’hui il y en moyenne 12,5 bitcoins qui sont générés toutes les dix minutes.
Et donc, de cette manière, on peut dire que Bitcoin simule, en quelque sorte, les caractéristiques de l’or. L’or ne peut pas être créé à partir de rien, il doit être extrait du sous-sol et plus le temps passe plus la quantité d’or stockée dans le sous-sol s’épuise et plus il devient donc difficile d’en trouver.
Et de la même façon, les bitcoins ne sont pas créés à partir de rien. De nouveaux bitcoins sont générés à chaque fois qu’un ordinateur identifie la solution à un problème informatique, dont la difficulté augmente au fur et à mesure que le réseau grandit. C’est-à-dire que plus les gens investissent de ressources informatiques dans le réseau, plus il devient difficile de générer des nouveaux bitcoins.
Et ce problème informatique est semblable à celui de trouver la solution à un cadenas. Il faut essayer toutes les possibilités pour trouver quelle est la bonne combinaison, mais une fois que le bon chiffre a été trouvé, c’est très facile, pour les autres, de vérifier que c’est correct.
Vous voulez probablement vous demander, puisqu’il s’agit effectivement d’une monnaie virtuelle, comment est-ce qu’on peut s’assurer que les utilisateurs de bitcoins ne peuvent pas reproduire leur argent, un peu comme j’ai essayé de faire avec mes rials. Donc comment peut-on faire confiance à cette technologie ?
Eh bien il s’avère que le protocole de Bitcoin part du principe que tout le monde est un escroc. Il s’appuie donc sur une technologie qui élimine complètement la notion de confiance et qui la remplace par un système qui est fondé sur la preuve. Donc cette technologie c’est la blockchain [2], qui est donc une architecture en réseau, qui permet d’échanger de la valeur de façon sécurisée et complètement décentralisée, sans besoin de passer par aucun intermédiaire de confiance.
Comment ça marche exactement ? Eh bien au lieu de confier à un intermédiaire financier la tâche d’autoriser les transactions, sur Bitcoin l’historique de toutes les transactions est détenu dans sa totalité par tous les membres du réseau, qui participent tous à la vérification et à la validation de ces transactions. Et c’est le fait qu’elles sont partagées en réseau qui les rend infalsifiables, puisque si quelqu’un essaie de modifier même une seule de ces transactions, la fraude va être immédiatement détectée par tous les autres membres du réseau.
Et une fois que ces transactions ont été validées, elles sont enregistrées au sein d’un bloc de transactions qui incorpore une référence au bloc précédent. Et cette référence fait partie du même problème informatique dont je vous ai parlé auparavant. C’est-à-dire que la seule façon d’ajouter des données et de valider des transactions sur la blockchain, c’est de trouver la bonne combinaison qui va permettre d’attacher un nouveau bloc de transactions à la chaîne de blocs précédente.
Donc la blockchain ce n’est en fin de compte qu’une longue chaîne de transactions qui se référencent les unes les autres. Et plus longue est cette chaîne, plus grande sera la sécurité du réseau, puisque la modification d’une seule de ces transactions va invalider la référence au bloc précédent ce qui va donc, inévitablement, briser la chaîne.
Donc Bitcoin c’était la première application la blockchain, mais cette technologie a récemment connu une nouvelle vague de popularité depuis que les gens se sont rendu compte que la blockchain peut aussi être utilisée dans de nombreuses applications qui s’étendent bien au-delà du monde de la finance. Car après tout, qu’est-ce que c’est que la blockchain ?
Dans sa définition la plus brute, la blockchain peut être assimilée à un cadastre décentralisé, certifié et incorruptible. Donc à chaque fois qu’une information est enregistrée sur la blockchain, sa source en devient certifiée et l’information ne peut plus être effacée ni modifiée. Donc la blockchain peut servir à authentifier ou à certifier des documents, ainsi qu’à enregistrer des données dont l’intégrité doit absolument être préservée.
Et la blockchain est notamment très utile dans tout ce qui concerne les actes notariés. Aujourd’hui le transfert d’un titre foncier est enregistré sur un cadastre public, administré par un opérateur de confiance, le gouvernement dans ce cas. Avec la blockchain, le transfert des titres de propriété peut se faire de façon automatique et décentralisée. Les notaires deviennent alors obsolètes puisque le transfert de propriété peut être enregistré directement sur la blockchain, qui fait effet de preuve. Et donc cela permet notamment le passage d’un système fondé sur la confiance vers un système qui, lui, est fondé sur la preuve. Et la confiance est donc déléguée à la technologie sous-jacente.
Une autre caractéristique très intéressante de la blockchain, c’est la capacité qu’elle a à transférer des objets numériques d’un bout à l’autre de la planète, de façon décentralisée et sécurisée. Avant l’arrivée de la blockchain on ne pouvait que reproduire des objets numériques, puisque si je vous transfère un document sur Internet, je détiens toujours le contrôle sur ma propre copie. Avec la blockchain, on peut désormais transférer des objets numériques et cela nous permet, pour la première fois, d’appliquer la notion de propriété sur des ressources en format numérique. Donc on ne parle plus seulement de propriété intellectuelle sur les œuvres de l’esprit, mais d’un véritable droit de la propriété sur des objets numériques.
On parle beaucoup de l’internet des objets avec l’apparition de ces dispositifs connectés qui peuvent communiquer les uns avec les autres et qui interagissent avec les gens qui les entourent pour mieux s’adapter à leurs besoins. Et ces dispositifs, soi-disant intelligents, s’approprient les caractéristiques des technologies numériques, telles que la connectivité ou la programmabilité. Et la blockchain permet, en fait, d’obtenir l’effet inverse. C’est-à-dire que, grâce à cette technologie, les objets numériques peuvent se réapproprier des caractéristiques des objets physiques telles que leur rareté, leur unicité et leur transférabilité.
Prenons l’exemple d’une œuvre d’art en format numérique. Il était pendant longtemps impossible de créer des éditions limitées puisque n’importe qui en possession d’une seule de ces éditions pouvait les reproduire en plein de copies identiques. Avec la blockchain les artistes peuvent désormais créer des copies uniques de leurs œuvres numériques et les transférer sur Internet, tout en préservant leur rareté et leur authenticité.
Et enfin, de façon plus générale, qu’est-ce que la blockchain peut apporter aux organisations ?
Cette technologie permet d’expérimenter avec des nouveaux systèmes de gouvernance qui sont fondés sur des modèles moins hiérarchiques et plus décentralisés. Donc grâce à la transparence et à la traçabilité de la blockchain, il est possible pour des individus qui ne se font pas confiance, ou pour des entreprises qui sont en compétition, de collaborer à la production d’un bien en commun, tout en s’assurant que lorsque ce bien sera commercialisé, chacun va pouvoir être récompensé de manière proportionnelle à sa contribution. C’est ce qu’on appelle le modèle de la coopétition, qui est un modèle hybride entre la coopération et la compétition.
Pour illustrer ce concept, prenons l’exemple de la création d’une maquette numérique qui demande la contribution de plusieurs personnes avec des expertises différentes. Au lieu de recruter au sein d’une seule entreprise la totalité de cette expertise, la blockchain nous permet d’expérimenter avec des approches plus ouvertes et plus élastiques, inspirées du modèle open source. N’importe qui va pouvoir contribuer à l’élaboration de cette maquette numérique, qui va donc être réalisée de manière collaborative grâce à la contribution de centaines ou de milliers de personnes. Et chacune de ces contributions va pouvoir être enregistrée sur la blockchain, ce qui va permettre de comptabiliser la valeur qui a été effectivement apportée par chacun de ces individus afin de, potentiellement, les rémunérer en conséquence.
On parle aussi beaucoup du cloud computing et de comment ce modèle a permis de révolutionner les systèmes informatiques de nombreuses entreprises qui ne sont plus obligées d’investir autant de ressources informatiques en interne. Avec la blockchain, le modèle du cloud computing s’étend, en fait, à la structure même de l’entreprise qui devient donc de plus en plus élastique et dynamique.
Pour conclure, ça c’est la slide dédiée à Paul, on peut dire que même s’il a fallu beaucoup de temps pour le réaliser, cette crise de 2008 nous a apporté, en fait, beaucoup de bénéfices puisqu’elle a donné lieu à cette nouvelle technologie qui pourrait nous mener vers l’internet que l’on attendait tous : l’internet de l’amour et de la collaboration.
Paul : Là, franchement ! Parce que hier soir, on avait parlé du fait que j’avais un domaine open love et tout, que je ne savais pas quoi en faire, vous avez peut-être dévoilé ! Bon !