Luc : Décryptualité. Semaine 43. Salut Manu.
Manu : Salut Mag.
Mag : Salut Luc.
Luc : Sommaire. Allons-y directement.
Mag : cio-online.com, « Stéphane Rousseau (DSI, Eiffage) : « l’open-source est une chance pour les entreprises » », par Bertrand Lemaire.
Manu : C’est un article assez général, qui est fait dans le cadre du Paris OPEN CIO SUMMIT, je crois bien. Lui représente pas mal d’entreprises, notamment à travers le Cigref. On sait effectivement qu‘ils aiment bien l’open source en général, ils le remettent en avant, à nouveau.
Mag : Entreprendre.fr, « Cloud souverain : offensive française contre Microsoft », par Angelina Hubner.
Manu : On parlait, on en a parlé, on en reparlera sûrement du cloud souverain, le nuage bien de chez nous. Effectivement, le concept lui-même avait été un petit peu enlevé et retiré de toutes les discussions de nos administrations et de nos institutions, parce que, en gros, on pense que les entreprises européennes et françaises ne sont pas capables de faire de l’informatique de nuage et on a besoin des Américains. Là, huit acteurs, huit entreprises françaises se sont mises dans un collectif et qui disent « nous pouvons nous en occuper, nous pouvons travailler là-dessus, vous n’avez pas besoin notamment de Microsoft 365, on peut essayer d’y travailler, en tout cas faites appel à nous. »
Mag : Dont certaines qui travaillent sur le cloud depuis bien longtemps !
Manu : Oui. Donc ce ne sont pas des nouveaux venus, mais il faut leur donner leur chance, quand même.
Mag : ZDNet France, « Une plateforme de données territoriales sous licence libre pour La Rochelle », article de Thierry Noisette.
Manu : C’est dans le cadre de B-Boost ; tout un salon s’est passé là-bas. Dans ce cadre-là ils ont imaginé et mis en place une direction qui est d’aller vers du zéro carbone sur le territoire et, pour ça, ils essayent de mettre en avant toute une plateforme d’open data, de partage de données, de données des administrations locales, de la collectivité. Voilà ! Ils ont un objectif assez ambitieux : pour 2040, ils veulent avoir une neutralité carbone. C’est plutôt sympa et, pour ça, ils veulent s’appuyer sur de l’open data. Là aussi c’est assez intéressant.
Mag : Clubic.com, « Les Linuxiens sont plus à même de signaler les bugs dans les jeux que les Windowsiens… », par Fanny Dufour.
Manu : C’est pas mal, j’ai trouvé que c’était plutôt intéressant. C’est un jeu qui s’appelle Rings of Saturn, aucune idée de ce que c’est, je ne sais pas du tout comment ça marche ! C’est intéressant parce que ce jeu, vraisemblablement propriétaire, fonctionne à la fois sur Windows et sur Linux et, malheureusement, il y a beaucoup plus de joueurs sous Windows que sous Linux ; on pouvait s’y attendre, c’est assez habituel, c’est par habitude.
Luc : Il y a beaucoup plus de gens qui utilisent Windows que Linux, donc forcément.
Manu : Il y a ça aussi, oui, carrément. Mais, chose rigolote, les remontées de bugs sont beaucoup plus faites par les Linuxiens, alors qu’il n’y a pas plus de bugs sous Linux que sous Windows, c’est important de le dire, et non seulement il y a en plus mais en plus elles sont de bonne qualité. Les Linuxiens écrivent vraiment des remontées de bugs circonstanciées, avec les étapes et les procédures pour reproduire les bugs et avec le contexte informatique dans lequel ils se produisent. Donc l’auteur du logiciel est plutôt content.
Mag : C‘est bien connu que les Linuxiens favorisent la qualité à la quantité.
Manu : Voilà ! Exactement !
Luc : C’est un peu de la mauvaise foi. Je pense que la proportion de gens qui sont dans les métiers de l’informatique et qui utilisent Linux est plus importante que sur Windows.
Manu : C’est certainement une des raisons, une des explications, mais tu ne nous enlèveras pas l’idée que les Linuxiens sont des gens de qualité. Voilà ! Il fallait le dire, c’est dit !
Mag : Dernier article. Clubic.com, « Audacity racheté ? Vive Tenacity, son fork toujours libre », par Florent Lanne.
Manu : Le nom est plutôt sympa, j’aime bien, Tenacity, effectivement ça a un petit côté Audacity qui est plutôt sympa, c’est un adjectif, donc c’est une bonne idée. Rappelons que Audacity est effectivement le logiciel de montage audio et de travail sur de l’audio de référence dans le monde du Libre.
Luc : Non, ce n‘est pas exactement ça !
Manu : Toi, Luc, tu l’utilises beaucoup.
Luc : Je l’utilise parce que je fais de la radio. Ardour [1] est beaucoup plus adapté au monde de la musique. Si tu fais de la musique, que tu fais des mix de musiques, Audacity va être quand même très limité ; Ardour est bien plus adapté. Donc Audacity est une des références, c’est très adapté pour ce que je fais quand je prépare le fichier. Point qui est très important, l’article dit que Audacity n’est plus libre, c’est à priori faux. On a vérifié sur la page du site, c’est toujours la GNU GPL [2]. Le problème est ailleurs.
Manu : En gros, le problème c’est qu’ils ont été rachetés par une entreprise qui a eu des démarches un petit peu embêtantes. Ils ont notamment voulu limiter l’âge des utilisateurs dans leurs conditions d’utilisation, en gros, ils ne voulaient pas d’utilisateurs en dessous de 13 ans. Et surtout ils ont commencé à faire on va dire de la télémétrie, pour être gentil, c’est-à-dire qu’ils ont commencé à enregistrer les usages de leur logiciel soi-disant pour la qualité, en tout cas c’est comme ça que c’est présenté, on ne sait pas trop.
Mag : Du coup, si tu limites tes usagers, ton logiciel n’est plus libre ?
Manu : Le truc des 13 ans est effectivement une limite qui est vraiment très bloquante, ce n’est plus libre si tu fais ça. Ils sont revenus en arrière, il n’y a plus cette limite-là. De ce qu’on sait ça reste libre. Pour la télémétrie, eh bien on peut mettre de la télémétrie et avoir un logiciel libre. Ce n’est pas agréable, ce n’est pas sympathique. L’important c’est qu’on n’empêche pas de faire un fork, une fourchette, c’est-à-dire que les gens puissent faire une autre version indépendante.
Mag : Donc c’est Libre mais pas éthique, heureusement il y a une fourchette.
Manu : Oui, on pourrait dire ça.
Le sujet du jour.
Luc : De la semaine même.
Manu : De la semaine, oui, de l’année, tellement c’est important. Ce n’est pas un sujet qui commence dans l’informatique.
Luc : Parles-en Manu, c’est toi qui l’a proposé. Vas-y.
Manu : C’est la grande démission, The Big Quit. Je trouve que c’est plutôt intéressant, ça touche avant tout les États-Unis, c’est en tout cas là-bas que c’est détecté. En gros, cinq millions de personnes ont démissionné de leur travail en août.
Mag : Ça commence aussi à arriver en France.
Manu : Ça arrive dans tous les pays de l’OCDE, les pays occidentaux, l’Allemagne, la Grande-Bretagne semblent touchées, et, d’après les articles qu’on a pu consulter, ça affecte avant tout les métiers de la restauration et de l’hôtellerie pour commencer et les métiers des entreprises du service. Aux États-Unis ça touche un peu plus les femmes et ça touche plutôt les gens de 30/40 ans. Dans le lot, il y a aussi pas mal de personnes qui arrêtent leur métier soit pour devenir retraitées, soit pour reprendre des études, c’est un petit peu les deux. Il y a pas mal de gens qui sont en train de s’inquiéter du phénomène parce que oui, on se retrouve, aux États-Unis là encore, avec 11 millions d’offres d’emploi qui ne sont pas pourvues. Ce sont des chiffres qui sont du jamais vu. En gros, il n’y a jamais eu autant de mouvements de population dans la population active, en tout cas depuis des années.
Luc : On en a aussi parlé en France un petit peu avec cette idée que, notamment dans la restauration, c’était difficile de recruter, les gens ne veulent pas revenir. Dans le domaine des transports aussi : des chauffeurs de bus et de cars ont, à priori, trouvé du boulot à conduire des camions et ne veulent pas revenir dans le transport public. Après, il y a tous ces gens qui se posent des questions par rapport à leur boulot, j’ai lu d’autres articles dans des milieux un peu plus proches de l’informatique — il faut quand même parler un peu d’informatique —, notamment dans de grosses entreprises avec des gens qui remettent en cause leur métier, le type d’entreprise dans lequel ils travaillent. Un des chiffres que j’ai trouvés intéressant sur des grosses boîtes, notamment la finance, etc., ils ont normalement 1 % des gens qui envisagent de se barrer et là ils sont à 5 %, donc une proportion bien plus importante de gens qui remettent en cause leur vie de travail.
Manu : Petite remarque. On connaît quelqu’un qui a changé de poste il n’y a pas longtemps, Luc.
Luc : Oui.
Manu : C’était quand ? Ce n’était pas en août !
Luc : Si, c’était le 1er août. J’ai changé de boulot le 1er août.
Manu : Voilà ! Tu contribues à la statistique américaine ! Non ! En tout cas tu contribues au Big Quit, la grande démission, tu es en plein dedans ! Qu’est-ce qui se passe exactement ? Parce que ça touche la France, la preuve !
Mag : Vas-y, raconte-nous !
Luc : C’est un peu particulier, parce que j’ai très longtemps travaillé dans l’informatique appliquée aux transports publics et j’ai changé il y a deux ans et demi pour de multiples raisons. J’avais un peu le sentiment d’être dans une impasse. J’ai décidé de partir, je suis allé dans une grosse boîte américaine qui venait juste d’être rachetée à ce moment-là, j’y suis allé disant qu’il ne fallait pas être bourré de préjugés. J’y suis resté deux ans et demi. Ce n’est pas lié au Covid ou ce genre de choses, c’est que la boîte tournait un peu en rond sur ses histoires de finance avec des rapports de pouvoir, des conflits, des machins et que je m’ennuyais fermement. Je suis retourné de là où je venais, pour refaire à peu près le même boulot qu’avant mais mieux payé, dans de meilleures conditions, donc je suis content. Je n’ai pas le sentiment d’être motivé par ça : si le boulot m’avait plu et si l’ambiance avait été bonne, je pense que je serais resté.
Mag : J’ai un exemple assez marquant d’une de mes amies qui a un super métier de relationnel et qui décide, à plus de 50 ans, de reprendre des études, de faire un CAP cuisine pour aller monter une maison d’hôtes dans le Cantal.
Manu : On en connaît d’autres, des informaticiens. Ça ne date pas de là, de récemment, mais on connaît ce qui s’appelle des néoruraux ! Des informaticiens de la grande ville, de Paris, qui ont décidé, je ne suis pas sûr qu’on puisse dire sur un coup de tête, c’est même plutôt un projet de fond, qui ont décidé de retourner à la campagne, parfois dans des campagnes profondes avec même pas un restaurant à moins de 50 mètres, un truc incroyable !
Mag : Ah ! Le Parisien !
Manu : Vraiment un truc de fous ! Ils s’épanouissent au loin, à la campagne, dans des lieux un petit peu reculés, et pourquoi pas ! Ce sont des changements qu’on a déjà constatés, c’est juste que là ça a l’air de s’emballer.
Luc : Des gens qui changent de vie ça existe depuis super longtemps. Je pense que tout le monde connaît des gens qui ont remis en cause leur métier, leur machin. Là, est-ce qu’il y a une accélération ? Oui. Évidemment on pense au Covid et on se dit que le Covid a remis des choses en question, a permis aux gens de prendre du recul par rapport à ce qu’ils faisaient.
Mag : Il y a aussi ceux qui veulent continuer à travailler mais dans de meilleures conditions. Typiquement ceux qui se sont habitués au télétravail et qui veulent rester en télétravail, quitte à démissionner si on leur impose de revenir au présentiel.
Manu : J’ai trouvé que c’était intéressant et on avait déjà abordé le sujet, je crois qu’on avait fait un podcast sur ça. On avait parlé des bullshit jobs. Je les décrirais comme des boulots vides de sens, des boulots qu’on fait vraiment par habitude, par peur de devenir pauvre et de ne pas avoir une base de vie. Ces bullshit jobs se sont un peu implantés et je pense, clairement, qu’il y a du mouvement de ce côté-là. Ce n’est peut-être qu’une façon de le faire, de le voir.
Luc : Cette notion a été inventée par David Graeber [3] qui est mort l’année dernière, malheureusement. Ce ne sont pas tant des boulots que tu gardes parce que tu as peur d’être pauvre, en général ce sont très souvent des boulots qui sont plutôt bien payés. Il dit qu’il ne faut pas confondre ça avec les shity jobs, les jobs de merde, il fait toute une nomenclature. Sa théorie c’est, en gros, que le capitalisme moderne, avec les 1 % qui vivent extrêmement bien, a besoin d’avoir une dizaine ou une quinzaine de pour cent de gens qui ont un intérêt à ce que le système continue à tourner. Comme il n’y a pas vraiment besoin de boulot, parce qu’une partie de ces boulots ne sert à rien, on les donne quand même et on paye ces gens. Ce sont souvent des gens qui vont vivre assez confortablement et qui vont faire un boulot qui n’a aucun sens. Certaines personnes le vivent mal parce qu’elles ont le sentiment de mener une vie qui ne mène à rien et qui n’a pas de sens, comme tu le disais.
Mag : Donc ce sont ces gens-là qui démissionnent ?
Luc : Oui, c’est possible. Il disait que certaines personnes le vivaient mal, d’autres le vivaient bien et, en gros, n’en avaient rien à foutre. Dans mon précédent boulot j’ai vu des trucs qui, pour moi, étaient typiquement dans le domaine du bullshit job avec des gens recrutés pour faire rien ou pas grand-chose, des mecs ultra-payés qui devaient bosser deux heures par semaine à tout casser en développant leur business ailleurs. Et tout ce truc-là en disant comment c’est possible que ce truc-là se mette en place alors qu’on est dans le domaine de l’économie, avec des actionnaires, et qu’on est censé être des gens sérieux qui font du bénéfice.
Manu : Je rapprocherais tout ça au logiciel libre pour dire que là, justement, on a du sens et on a des choses qui sont motivantes et intéressantes. La preuve, il y a des gens qui le font sans être payés.
Luc : Oui. C’est d’ailleurs une des choses qui a toujours choqué les gens auxquels on a pu parler de logiciel libre sur les stands, etc. Souvent ils pensaient même que c’était du logiciel gratuit, avec cette idée que faire du logiciel libre c’était nécessairement faire du logiciel de façon bénévole. De fait ça existe, il y a plein de développeurs bénévoles, on en a croisé tout plein, dont certains qui font même des briques logicielles très techniques. On se souvient de la faille Heartbleed [4] qui touchait un logiciel.
Manu : Le « s » de https.
Luc : Voilà, c’est ça. On avait découvert que les gens qui développaient étaient des quasi bénévoles, qu’ils faisaient ça dans leur coin, alors qu’Internet, quasi tout entier, tournait là-dessus. J’ai d’ailleurs vu passer un article qui disait qu’on est à peu près au même point qu’à l’époque et que la sécurité de toutes ces briques, ces machins qui sont développés à droite à gauche, n’avance pas. N’empêche, on a un certain nombre de gens comme ça dans le logiciel libre qui sont payés à faire du développement, c’est leur métier, et le soir ils retravaillent sur du logiciel, mais des trucs qui leur semblent plus intéressants, qui ont plus de sens pour eux. Je pense qu’il n’y a pas grand nombre qui continue à faire son boulot de façon bénévole le soir en rentrant à la maison. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de domaines dans lesquels les gens font ça.
Luc : Je te reprends. Je regarde Mag. La librairie a l’air d’être un domaine proche du logiciel libre : elle continue à lire en dehors, même pour le travail. C’est assez incroyable. Il faut croire que ça la motive ! On peut espérer que la plupart des gens qui démissionnent en ce moment, qui en avaient marre pour x ou y raisons, qui changent de vie en tout cas, on peut espérer que plein de gens vont retrouver du sens. Je les encourage à se mettre à la librairie - non, à la lecture !
Mag : Surtout à faire ce qu’ils aiment !
Manu : Et j’espère que ce qu’ils aiment ce soit du logiciel libre, parce que le logiciel libre, c’est bien.
Luc : J’espère qu’ils feront du Libre, pas que du logiciel, ils peuvent faire plein d’autres choses. Ce que j’attends de voir c’est ce qu’ils vont trouver, parce qu’il y a quand même des équilibres macroéconomiques où il y a un marché du travail. Il y a des gens qui sont prêts à te payer pour faire des trucs, ou d’ailleurs ne rien faire et, dans certains domaines, il n’est pas dit que tu trouves à gagner des sous ailleurs. Ce n’est pas évident. En tout cas, on peut se dire que, d’une certaine façon, les libristes étaient un peu précurseurs, des gens qui sont allés chercher du sens, faire des choses qui ont du sens, travailler à quelque chose qui mène quelque part, avec un idéal comme point de mire.
Manu : Sur ce, je vous dis à la semaine prochaine.
Mag : Et bon épanouissement.
Luc : Salut tout le monde.